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VISAGES D’ISRAEL (Informations Juives – Mai-Juin 2013)

In ARTICLES, PARCOURS on juillet 11, 2013 at 10:12

14 avril.  Roissy. Départ pour Israël. Visites familiales. Quelques jours de repos. Puis Jérusalem. Mer. Librairies. Auparavant, routine insane des fouilles à corps. Il faut ôter ses chaussures. Sa ceinture. Sonnerie persistante, provoquée par je ne sais quoi. Les bras  en croix. Palpations jusqu’autour du col de chemise. Micro-attentats contre la dignité humaine. De quel droit  ce jeune homme que je ne connais pas porte t-il ses mains sur mon corps? Etat des lieux du terrorisme. « Civilisation » du contre – terrorisme.

15 avril au matin. Netanya. Ma fille y a accompli son alya avec sa propre famille il y aura bientôt cinq ans. Le dernier de mes petits-fils est un sabra. « Pourquoi t’en vas tu » lui avais-je demandé? « Parce que je ne veux pas revivre ce que toi et Maman avez vécu au début des années 60, lorsque vous avez  quitté l’Algérie en catastrophe ». Yaël est avocate au barreau d’Israël. Elle a repassé tous ses examens. Le droit israélien contemporain est très différent du droit français. Je lui demande si la vie n’est pas trop dure. Quatre enfants dont trois en bas âge et une vie professionnelle à recommencer de zéro ou presque…Elle me dit: « Ma place est ici ». Sa fille aînée s’apprête à passer les fameux « psychometrics» pour intégrer l’Armée de défense d’Israël. Ce peut-il que le temps ait si vite passé..  Je revois Sarah dans mes bras,  âgée de quelques mois, dans son jardin de Montpellier, suivant du regard le vol des papillons… Elle est métamorphosée. Parlant couramment outre le français, l’anglais, l’hébreu et s’essayant au… coréen. Elle est mordue de rock n’roll venu de Séoul. En même temps elle étudie la Michna et lit Rachi dans le texte.. Sa sœur âgée de 8 ans relève mes impropriétés grammaticales lorsque je lui parle directement en ivrit quotidien. Quelles sont les routes de notre véritable Histoire?

18 avril. Aéroport de Sdé Dov. Proche départ pour Eilat. Les dispositifs de sécurité sont ostensiblement renforcés. Au moins deux interrogatoires, et les valises désormais passées au scanner. Un moment à peine après avoir été installé à la buvette, mon nom est appelé au mégaphone. Je dois me  présenter à un autre agent de sécurité. La technique utilisée est celle des « sondages ». Un nom est appelé au hasard… On sur- vérifie les passeports et les cartes d’embarquement. Sait-on jamais … Ce matin deux « engins », comme on dit pudiquement, sont tombés aux environs d’Eilat, probablement tirés à partir du Sinaï. Officiellement aucun dégât. L’aéroport a été brièvement fermé. Puis rouvert, au grand soulagement des voyageurs qui se voient déjà au bord des plages pour un jour, ou un jour et demi  de vacances  et d’oubli qu’ils n’auront pas volé. Enfin l’avion décolle. Tel Aviv vue du ciel avec ses quartiers aux bâtiments en forme de cube ou de parallélépipède qui irradient  de plus en plus loin à partir du centre historique. Ensuite découverte de Jérusalem également vue du ciel dans sa lumière incomparable à n’importe quelle heure du jour. Puis la Mer Morte, aux couleurs  ultra-  vivantes, turquoise et blanche. Et le Néguev ocre, arable, où l’on pourrait construire mille villes. Enfin Eilat à quelques encablures d’Akaba. Un rêve: avec mes cousins traverser la baie d’Eilat à la nage jusqu’à Akaba. Atterrissage digne d’un film de Tom Cruise, en pleine ville. D’un coup, cette chaleur, cette bonne chaleur qui vous saisit dès la sortie de l’avion et efface d’un coup le gris revêche du printemps parisien.

19 avril. Le téléphone sonne. J’avais promis de l’éteindre. Impossible bien sûr. La communauté juive traverse une grande tourmente. L’on me demande mon avis. Je précise que je ne me trouve pas à Paris mais pour quelques jours à Eilat. «A Eilat?» s’étonne t-on «Mais vous devez vous ennuyer  à mourir!». Mon interlocuteur n’a probablement jamais mis les pieds ici, ou il y a bien longtemps, lorsque le passage d’une voiture dans la  rue principale de la ville constituait un événement. Eilat aussi s’est métamorphosée. Les quartiers d’habitations gagnent sur la montagne. Les infrastructures touristiques se veulent du dernier cri. Les restaurants casher  proposent toutes les cuisines du monde. De nombreuses librairies, générales et de «kodech», ouvrent à différents endroits de la ville. Les synagogues francophones sont particulièrement accueillantes. Nombre de «ôlim» venus il a plusieurs décennies du Maroc retrouvent le français de leur enfance. Les plages sont larges. Les étrangers, surtout russes, y voisinent avec les israéliens venus de tous les coins du pays. L’un d’eux s’exclame: « A Tel Aviv il y a la mer. A Eilat il y a la plage ». Avec ma petite fille nous aimons  longer la  réserve de coraux rigoureusement surveillée contre le tourisme prédateur. A l’extrême du sud d’Israël, le  pays aussi ressemble à un immense chantier. «Il ne faut pas oublier les jeunes couples»  rappelle  fortement le chauffeur de taxi.

22 avril. Trajet Eilat – Jérusalem en autobus Eged. Quatre heures de voyage avec un seul arrêt dans un café-relais bondé. Les transports en commun permettent une  profonde immersion dans le peuple d’Israël. Tous les types humains y sont représentés, depuis l’éthiopien, sombre comme la nuit, à la « Punk », façon San Francisco, avec les cheveux teints en vert et en rouge. Derrière  notre siège, un homme à la kippa de velours noir, relit une Michna. Devant, un couple de retraités qui doit s’imaginer que nous sommes sourds crie à tue tête dans le téléphone portable que le mari et la femme  se passent de l’un à l’autre. Le chauffeur, lui, se repasse Yerouham Gaon. Les kilomètres défilent dans  ce paysage lunaire, avec ses à-pics torturés, ses statues de pierre sculptée par le hasard et ce bleu salin, festonné de blanc pur, qui exténue le regard. En début d’après- midi, Gare centrale des autobus. Sur un étal des livres du Rav Kook. Un véritable centre commercial, mais surveillé à chaque millimètre carré. J’ouvre un recueil de textes sur Chavouôt. Selon le Rav Kook, la différence entre les pharisiens d’un côté, les saduccéens et les boéthusiens de l’autre tient en ceci: ces deniers ne croyaient pas à la sainteté collective du peuple d’Israël.

23 avril. Jérusalem. Directement au Kotel. Grande affluence. Un groupe de pèlerins chrétiens réellement impressionnés. Et ce Mur qui défie le temps. Une fois de plus, le front contre la pierre patinée. Que demander au Créateur qu’il ne sache déjà! L’important n’est-il pas  de le lui demander, personnellement, si j’ose dire?  De l’autre côté de la méh’itsa les femmes prient avec une ferveur qui n’appartient qu’à celles qui enfantent. Pourquoi prier, sinon pour la paix, pour l’unité, pour la lucidité de nos esprits et le discernement de nos cœurs… Je songe à la tourmente qui afflige la communauté juive de France et son rabbinat. Ici, la vie est dure pour le  plus grand nombre mais la vie se construit et l’Histoire s’éclaire. En France, les temps ne sont pas moins durs mais l’on dirait que rien ne s’y édifie plus.. De tous les versets de la Thora, le suivant doit  servir d’étoile polaire : «  Et tu choisiras la vie » …

24 Avril. Nouvel appel téléphonique «Quand retournez vous à Paris?». Ce mot «retour» impacte l’oreille interne. Dans la Tradition juive et  dans l’espérance millénaire du peuple juif le seul retour digne de ce nom est précisément le retour en Eretz Israël. Je corrige aussitôt, sans que mon interlocuteur saisisse le sens de ce qui est plus qu’une nuance: «Je reviens après demain». La communication  prend fin. Non pas  le débat intérieur. Revenir. Retourner. Le temps passe. La vie s’écoule. Irréversible. Destin ou avenir? Au bout d’un demi- siècle  l’Algérie d’une enfance déracinée se dissout. Une voie obstruée se libère peu à peu. Sans rien renier. Je reprends le verset précédent dans son énoncé intégral: «Et tu choisiras la vie afin que tu vives, toi et ta descendance sur la terre que Dieu te donne à toi». La Terre d’Israël, politiquement reconquise mais toujours et éternellement: don du Créateur.

 Raphaël Draï zatsal, avril 2013

  1. J’essaye de lire régulièrement ce que vous écrivez, je ressens souvent une émotion.

    Dans cette chronique sur les 10 jours que vous passez en famille en Israël au mois d’avril.
    je me suis senti concerne.

    Au mois de mai, j’ai fait un voyage à Tel-Aviv… et j’ai vécu quelques jours à Éli, pour partager avec des nièces et leurs familles la vie aux limites d’Israël.

    Dans l’avion du « retour », j’ai essayé quelques lignes pour me libérer de cette émotion.

    j’ai beaucoup aimé ce texte, je vais m’y inspirer pour mon prochain voyage

    merci

    Morris Azan

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