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Commentaire Paracha Nasso

In Uncategorized on juin 14, 2024 at 12:38
34 Nasso.

(Nb, 4, 21 et sq)

L’entame de cette paracha qui suit celle de Bémidbar – selon l’épellation effective – peut donner l’impression d’une simple nomenclature de familles et d’une description purement linéaire de tâches et de fonctions, affectées d’abord aux Kéhatites puis aux Guirchounites ou à la famille de Mérari. Il faut aller au delà de cette impression et comprendre, une fois encore, la logique interne de ce mode d’exposition.

La paracha précédente avait pour objet la disposition dans l’espace des diverses composantes du peuple d’Israël, selon les quatre points cardinaux habituels mais aussi en regard de l’En-haut et au regard d’une projection vers l’en-suite de l’Histoire à venir, les lévites ayant, eux, vocation à être dispersés dans le reste du peuple. Cette fois, il est question des missions dévolues aux principales familles de ce peuple compte tenu de leurs propres dispositions d’esprit et de leur insertion dans ce plan d’ensemble, sachant que le Sanctuaire en constitue le pôle et le moyeu, pour prendre ces images.

Ces fonctions ne sont d’ailleurs pas dévolues indistinctement à l’intégralité des membres des dites familles Une chaîne généalogique sûre et seuil d’âge sont requis – de 30 à 50 ans – avec une aptitude supplémentaire: il faut à chacun des membres concernés être « sortant à l’armée » (yotsé la tsava). Cette traduction prête d’ailleurs à confusion, elle même procédant d’un solide stéréotype: l’aptitude à servir au Sanctuaire serait liée à une aptitude militaire corrélative. Le stéréotype ainsi réactivé, on l’aura compris, est celui du « Dieu des armées de l’Ancien Testament », lui même surgeon de l’autre stéréotype, non moins générique, celui du «Dieu vengeur» du même Ancien Testament.

Il est sûr que tsava désigne aussi en hébreu une armée mais parce qu’une armée est un corps organisé, doté d’une cohérence interne et d’un commandement unifié. L’accent n’est pas mis prioritairement sur les armes dont elle dispose ni sur la violence qu’elle peut exercer. C’est pourquoi également dans les textes bibliques ou dans les prières juives il est fait invocation à «l’armée des cieux» (tsva hachamaïm), et que le Créateur est lui même nommé, pour autant qu’il puisse l’être: Hachem tsévaot. La consultation de l’ensemble du lexique hébraïque biblique le confirmerait en cas de besoin.

Pour prendre une autre image, tout se passe comme si le récit biblique décrivait la structure d’un navire et la disposition de l’équipage ainsi que les instruments devant servir à discerner son itinéraire avant qu’il ne gagne la haute mer, avec ses tempêtes, mais aussi ses calme-plats, ses pêches fructueuses mais aussi avec ses filets vides ou déchirés, toutes métaphores des révélations d’une Histoire se faisant et non pas figée.

Aussi le début de la paracha concerne t-il les tâches que les différentes familles précitées doivent accomplir dans le montage et le démontage du Sanctuaire lors de la Traversée d’un désert aussi propices en crises que la haute mer en tempêtes. Aucune de ces familles n’est affectée exclusivement à l’intégralité ce service, ce qui l’eût dotée d’un privilège exorbitant, lui même générateur de tensions et de confrontations. On le verra lors du commentaire de la parachat Korah’. Pourtant cette réparation de tâches, sinon cette division des fonctions, n’est que le verso, si l’on peut dire, d’un dispositif dont il faut considérer aussi le recto: à savoir que le remontage du Sanctuaire, après qu’ont été démontés, puis transportées ses différents éléments, d’étape en étape, nécessitera, à nouveau, la coopération et le concours des familles concernées. Ainsi se retrouveront les gestes et se reconstituera l’esprit qui furent ceux du tout premier montage du Sanctuaire et notamment de la Tente d’Assignation, du Ohel moêd, du lieu de la convergence vécue et de la réunification effective du peuple porteur de la Thora.

Ce qui exige cette fois une disposition d’esprit bien particulière qu’on pourrait qualifier d’esprit de suite. Il se caractérise par les deux traits suivants. Un être humain est une existence mouvante. Un être humain se déplace. Mais ce déplacement, ne doit pas se transformer en errance ni en fuite. D’où l’ambivalence de l’adjectif «déplacée» appliqué à la personne. Lorsqu’il passe d’un point à un autre, un être humain ne doit pas se trouver dans la nécessité de se délester de ce qui lui appartient, des acquis de son travail, des fruits de son oeuvre. Encore faut-il que ce transport lui même n’alourdisse pas ou ne complique pas ce trajet. D’où la parfois nécessité d’un démontage méthodique lequel ne doit pas se transformer non plus en démembrement et en dislocation.

Il s’ensuit que toute opération de démontage doit s’effectuer en sachant qu’elle sera suivie inéluctablement par une opération de remontage, une opération décisive qu’elle doit faciliter et non pas décourager ou rendre impossible. Telle était la « didactique » qui inspirait le démontage, le transport puis le remontage du Sanctuaire, de sorte qu’à la fin du parcours, d’une part le trajet envisagé avait bel et bien été effectué, mais aussi que chacun et que chacune, au terme de celui ci, n’eût pas été rendu étranger, à lui même et à autrui.

D’autres commentaires sont encore possible, ce qui nous conduira en conclusion provisoire, et en prévision de la célébration de Chavouôt, à rappeler une observation du Rav Kook relative au début des Pirké Avot: « Moïse reçut (la) Thora du Sinaï.. » Si l’on a mis l’article « la » entre parenthèses c’est que la phrase originale n’en use pas et devrait être lue : « Moïse reçut Thora du Sinaï ». LA Thora, avec l’article défini, se révèlera, précisément dans la chaîne de transmission qui s’ensuit. Révélations futures pour la suite des générations qu’engendre le perpétuel, l’incessible choix de la vie.

                                                Raphaël Draï zal, 17 mai 2013

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