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La communauté juive vire-t-elle à droite?

In Uncategorized on mars 29, 2022 at 4:20

La question pressante a été posée ces derniers jours dans un lieu de culte par un fidèle dont les opinions sont généralement modérées. Pourquoi cette préoccupation? Et de citer le succès du livre d’Eric Zemmour en se demandant s’il convient vraiment à des intellectuels ou à des publicistes juifs de surenchérir à propos de l’identité française. Que lui répondre? Il y va de ces questions comme de celles qui concernent une possible décision de quitter la France. Nul ne peut substituer sa responsabilité à celle des intéressés. On peut néanmoins se demander ce qui suscite de pareilles inquiétudes. Pour le comprendre il suffit juste de poursuivre l’échange.

En premier lieu, les Juifs de France ne vivent pas sur une station orbitale. Ils sont partie intégrante et intégrée d’un pays qui n’en finit pas de traverser les crises les unes après les autres, qu’elles soient financières, politiques ou morales. Il faut y prendre garde: la transition n’est pas difficile du désenchantement à la désillusion, puis de la désillusion au nihilisme. L’histoire encore chaude du continent européen en fournit trop d’exemples contagieux. Ce que l’on pourrait qualifier de « crise chronique » qui affecte la France ne date certes pas de la dernière élection présidentielle. Elle remonte à 1973 et même avant. Pourtant, tous les gouvernements qui se sont succédés depuis ont prétendu en sortir avant que leurs promesses inconsidérées ne soient démenties par leur bilan réel. La communauté juive n’en est pas indemne. Ses membres sont également affligés par le chômage, par la précarité et par la peur du lendemain. D’où parfois cette porosité nouvelle aux slogans du Front National qui à son tour promet monts et merveilles. L’issue ne se trouvera pas au seul sein de la communauté juive mais dans la démocratie française pour peu que le sens de l’intérêt général l’emporte sur la mentalité partisane et la férocité des ambitions personnelles.

Un autre facteur doit être pris en compte, celui là propre à cette communauté: son sentiment croissant d’insécurité et de marginalisation, comme il est apparu cet été lors des manifestations de soutien au Hamas dans les rues de France, des mouvements grégaires où des salafistes et des djihadistes s’amalgamaient avec des militants se revendiquant de la gauche et de l’extrême gauche. Mais il ne faut pas s’arrêter au visible et au patent. Il semble aussi que dans certains quartiers des jeunes hommes et des jeunes femmes juives cèdent à la propagande islamiste et se retrouvent convertis à la religion coranique. Qui s’en préoccupe? Expliquer n’est pas justifier mais face à de pareilles entreprises, on peut également expliquer, propagande contre propagande, que les thèses de l’extrême droite deviennent audibles et tentantes, y compris dans les milieux qui paraissaient les mieux imperméabilisés. Ces questions doivent être ouvertement posées sans quoi il est à craindre que la présente situation n’empire. L’avenir se construit dans le présent et le présent n’est rien sans la lucidité.

Raphaël Draï zal Radio J, le 27 octobre 2014

COMMENTAIRE PARACHA CHEMINI

In Uncategorized on mars 24, 2022 at 6:18

( Lev, 9, 1 et sq )

25 Chémini.

On l’a vu dans la parachat Vayakhel, une fois le Sanctuaire construit et monté selon l’ordre même, le séder, des prescriptions divines, la Présence de Dieu l’investit tout entier, au point de ne plus laisser place à Moïse en personne. Dans la parachat Chemini, il n’en va pas autrement mais il s’agit maintenant de l’ordre prescrit pour l’accomplissement des sacrifices, compris au sens hébraïque des korbanot, des liturgies de rapprochement. Cette fois encore Moïse sert pour ainsi dire de moniteur à Aharon, non pour conforter son pouvoir sur lui mais pour signifier l’importance en ces actes là de la relation fraternelle pleinement vécue. C’est probablement pour cette raison que le tout premier des ces korbanot consistera dans un « veau adulte et expiatoire ». Si la référence à l’épisode du Veau d’Or dans laquelle Aharon s’est impliqué dans les circonstances que l’on sait est patente, elle indique aussi que cet épisode est dépassé, que la réparation spirituelle est sociale en est à présent parachevée. C’est pourquoi aussi, alors que le Veau d’Or avait été singularisé parmi tous es éléments symboliques du moment, au point d’être  transmuté en idole, le veau du korban actuel s’insère parmi d’autres animaux symboliques et purs, c’est à dire corrélés à la présence humaine et formant site de vie avec elle.

Bien sûr les actes et gestes subséquents accomplis en ce sens par Aharon et par ses fils comportent chacun un sens spécifique que les grands commentateurs, les mépharchim, de la Tradition sinaïtique éclairent. C’est aussi leur enchaînement qui revêt une signification intrinsèque. Comme le fait observer Benyamin Lau, en recevant la Thora sur le mont Sinaï et en la transmettant à tout Israël, Moïse conjoignait l’en-haut avec l’en-bas. En accomplissant à présent les gestes sacerdotaux pour lesquels ils avaient été désignés, Aharon et ses fils, conjoignent réciproquement l’en-bas avec l’en-haut de telle sorte que l’espace spirituel fût ouvert et praticable dans les deux directions, comme l’était l’échelle vue en songe par Jacob. Les anges y reliaient également les deux univers non pas séparés depuis les commencements de la Création mais différenciés pour que celle-ci sorte décidément du chaos, du tohou vavohou originel.

Cette gestuelle liturgique ne suffit pas à elle seule. Elle doit se conclure par un autre geste qui en collige toutes les étapes et indique ses véritables destinataires: « Aharon étendit ses mains vers le peuple et le bénit (lev, 9, 22) ». Sans cette bénédiction, les rituels antérieurs auraient été mécaniques et incantatoires. Cependant, une fois cette bénédiction prononcée, rien ne se passe. Le récit évoque une seconde bénédiction prononcée conjointement par Moïse et par Aharon. Alors et alors seulement se produit la révélation divine annoncée dès le début par Moïse : «  Ils ressortirent et ils bénirent le peuple et la Gloire divine se révéla à tout le peuple ».S’ensuit la validation de cette liturgie : « Un feu s’élança de devant  le Seigneur et consuma sur l’autel le  sacrifice d’élévation et les graisses. Et tout le peuple vit et chanta et ils tombèrent sur leur face » (Lev, 9, 24).Le contenant s’avère adéquat au contenu et les deux voies corrélatives ainsi ouvertes par les deux frères, individuellement puis ensemble, permet à la Présence divine de se manifester au sein du peuple, ce qui transmute les tlounot, les récriminations habituelles, en chants de joie.

Une joie de courte durée. Deux des fils d’Aharon, Nadav et Avihou, saisis d’enthousiasme, croiront devoir accomplir leurs propres liturgies hors de cet espace là, ainsi déterminé, hors de ce séder. Il en résulte qu’un feu s’élança également de devant l’Eternel mais pour les dévorer. De nombreux commentaires tentent d’éclairer les causes de cette tragédie. L’un d’entre eux retient l’attention: Nadav et Avihou n’auraient pas supporté que leur père ait eu à nouveau besoin de Moïse afin que la Présence divine se manifeste. Rivalité destructrice. Mais la cause principale doit sans doute être déduite de la prescription qui s’ensuit dans le récit même du Lévitique: «L’Eternel parla ainsi à Aharon: «Tu ne boiras ni vin ni liqueur forte, toi ni tes fils, lorsque vous pénétrerez dans la Tente de la rencontre, afin que vous ne mourriez pas, règle perpétuelle pour vos générations, et afin de pouvoir distinguer (lehavdil) entre le sacré et le profane, entre l’impur et le pur et instruire les enfants d’Israël dans toutes les lois que l’Eternel leur a fait transmettre par Moïse » ( Lev, 10,  8 à 11 ).

Le service divin, la Âvodat hakodech, ne requiert aucune de ces attitudes par lesquelles l’esprit s’obscurcit et s’oblitère mais au contraire une pleine capacité de discernement. Et chacun doit se trouver à la place qui lui est indiquée non par son désir personnel mais par l’accomplissement de ce service même: Aharon et ses fils à leur place, et Moïse à la sienne, confirmée, de même que seront confirmées les places d’Aharon et de ses fils survivants lors de la révolte de Korah.

Raphaël Draï zal 4 Avril 2013

COMMENTAIRE PARACHA TSAV

In Uncategorized on mars 18, 2022 at 2:43

24 Tsav

(Lv, 6, et sq)

Cette paracha est doublement importante, par son contenu propre et par son lien avec le Chabbat Hagadol qui précède Pessah’, et d’ailleurs il y est aussi question ici de matsot, de pain azymes, à pétrir et à consommer par les cohanim, et plus particulièrement par les fils d’ Aharon, le Cohen gadol.

Mais elle commence par une prescription fort importante qui concerne la ôla, la liturgie ascensionnelle, qui doit se poursuivre toute la nuit, tandis que le feu de l’autel doit brûler sans intermittence, et être alimenté chaque matin. Cette prescription s’énonce en ces termes : «Un feu perpétuel (ech tamid) sera entretenu (toukad) sur l’autel, il ne devra point s’éteindre (lo tichbé) (Lv, 6, 6)».

Le sens de pareilles prescriptions pourrait paraître anthropologique et concerner l’état  actuel d’un peuple à peine sorti de l’esclavage, accédant non sans mal à la liberté des corps et à celle de l’esprit. Ces rituels là seraient alors strictement didactiques, sans transcender le temps où ils furent institués. Une telle vue serait superficielle. Le terme même de ôla, formé sur le radical ÂL, élever, indique au contraire qu’au delà de tous les korbanot individuels ou même collectifs, se plaçait  cette liturgie d’élévation, d’ascension et de transcendance qui devait commencer le soir, lorsque la lumière du jour reflue et laisse place à l’obscurité, jusqu’au matin. Comme si la ôla devenait l’équivalent d’un  maor, d’un luminaire.

En quoi plus précisément une telle intention transcendante se discerne-t-elle? En ce qu’elle ne s’accommode pas des temps où la lumière ne brille pas d’elle même. Il faut rappeler, justement en termes d’anthropologie religieuse, que dans la religion égyptienne, s’il faut ainsi la dénommer, d’où le peuple des Bnei Israël est sorti, la nuit était particulièrement angoissante où refluaient tous les monstres du sous–monde. La liturgie de la ôla surmonte cette disparition de la lumière du jour en instituant une lumière spécifique, de nuit, la nuit de la conscience. Et s’il faut insister sur une telle continuité, c’est que la liturgie nocturne de la ôla doit s’opérer à partir d’un feu allumé dés le matin (baboker), et qualifié en tant que tel de perpétuel, tamid, pour bien souligner que les différentes phases du temps cosmiques ne provoquent pas l’hétérogénéité du temps de la Création divine ; que toutes les temporalités particulières et locales retrouvent leur cohérence d’ensemble dans la volonté de perpétuer une clarté inextinguible, pour peu qu’on l’entretienne.

Et c’est pourquoi deux verbes sont employés  à son propos : d’abord  ce feu devra être entretenu : toukad, positivement. La traduction en langue française ne rend pas tout à fait compte des connotations de ce verbe en hébreu puisqu’il est construit sur le  radical KD que l’on retrouve dans KoDeCh ; comme si ce feu devait être non pas dévorant mais sanctificateur. Ce premier verbe se rapporte à la qualité intrinsèque d’une  telle source de lumière et d’énergie.

L’autre verbe sous sa forme négative se rapporte cette fois à l’attention humaine, au sens de la responsabilité par laquelle la notion de garde, de chemira,  trouve toute sa résonance. L’on devra donc se garder de laisser ce feu – référence de l’esprit et de l’âme, s’éteindre. Et cela non par à coups mais perpétuellement. La vie de l’esprit comme l’histoire du peuple d’Israël s’inscrivent ainsi dans la longue durée, vers l’éternité, le tamid se profilant vers le netsah’.

Les fils d’Aharon devront de leur côté confectionner avec de la farine issue d’offrandes des matsot, des pains non levés, le h’ametz, le levain, désignant l’effervescence, le gonflage sans augmentation de substance, l’équivalent de l’alcool dans le vin, l’alcool dont il devront se garder à leur tour avant de procéder aux actes qui relèvent du service divin. Par suite, si pour l’ensemble du peuple la consommation exclusive de telles matsot, avec ce qu’elles symbolisent et qui est rappelé lors du séder de Pessah, n’est prescrite que durant huit jours, elle l’est à titre quotidien et en somme perpétuel pour les cohanim, sachant que tout le peuple est lui même qualifié de mamlekhet cohanim, de souveraineté pontificale, le mot pontife prenant à son tour son sens du mot pont, de cette construction humaine  qui relie l’ici et le là-bas, l’homme et son prochain, l’homme et le Créateur.

Raphaël Draï zal 21 mars 2013

LE SENS DES MITSVOT – PEKOUDEI

In Uncategorized on mars 3, 2022 at 10:47

«Quant aux mille sept cents soixante quinze sicles, on en fit les crochets (vavim), des piliers, la garniture de leurs chapiteaux et leurs tringles» (Ex, 38, 28). Traduction de la Bible du Rabbinat.

La traduction précitée est un bon exemple de ce qui se perd du texte biblique lorsqu’il n’est pas abordé directement en langue hébraïque, dans la sûre intelligence des notions et concepts qu’il utilise. De quoi est-il question? Non plus de la conception du Sanctuaire mais de la confection de ses divers composants puis de leur assemblage, avant leur montage conclusif. À première vue nombreuses sont les répétitions qui alentissent ce récit, depuis la première paracha consacrée à ce sujet: la paracha Térouma. Nous sommes incités à une attention plus soutenue une fois éclairée sa logique d’exposition car il ne s’agit pas des mêmes niveaux narratifs et explicatifs. C’est pourquoi la paracha Pekoudéi commence par rappeler qui furent les maîtres d’œuvre de toute cette affaire concernant le Monde d’en-haut et le Monde d’en-bas: Betsalel fils de H’our et Oholiav fils d’Akisamakh, assistés de quiconque au sein du peuple était «savant de cœur». Autrement dit, toutes les opérations intellectuelles et techniques entrant dans la construction du Sanctuaire devaient réaliser chacune à part, puis toutes ensemble une œuvre de pensée, de mah’achava, l’opposé du Veau d’or coulé d’un seul métal, une effigie d’une seule pièce, matérialisation non d’une réflexion mais d’un passage à l’acte. On comprend mieux aussi pourquoi le Sanctuaire résulte à son tour d’un assemblage, qu’il ait fallu coudre ensemble des tentures, ajointer des panneaux, réunir des pièces confectionnées d’abord chacune pour elle même. Aussi, et dans le même ordre d’idée, le mot «crochets», utilisé dans cette traduction, abrase-t-il le sens du terme hébraïque originel: vavim. Bien sûr par définition et par destination un crochet est destiné à conjoindre deux éléments distincts, à les mettre en contact de sorte à former par leur conjonction un élément nouveau. Mais précisément pourquoi cette pièce particulière se nomme t-elle en hébreu vavim?

On aura immédiatement observé que ce mot est le pluriel de vav, de la lettre ainsi nommée dans l’alphabet hébraïque. Où cela conduit-il? Aux différents réseaux de sens que cette lettre engage. La lettre vav est la sixième de l’alphabet et correspond aux six premières phases de la Création, les phases actives, lesquelles de ce fait ne constituent pas une simple succession d’opérations surajoutées les unes aux autres mais ce qu’il est convenu d’appeler une séquence, dotée d’une logique et d’une cohérence internes. La lettre vav est bien, en ce sens, la lettre de la conjonction, celle qui rapporte l’un à l’autre en les articulant des éléments autrement disparates et inopérants. L’articulation est l’un des signes les plus visibles et les plus tangibles de la vie. Sans articulation pas de voix, pas de langage, pas de gestes coordonnés, pas de conduite adaptative, pas de combinatoire mentale, etc. Toute la Genèse est placée sous ce signe: «Au commencement l’Eternel créa les cieux ET la terre» (Gn, 1, 1).

Si, dans la confection du Sanctuaire, des éléments particuliers de celui-ci sont nommés vavim, c’est bien pour l’insérer dans la symbolique créatrice que l’on vient de souligner. Symbolique de pensée mais qui éclaire aussi, et de l’intérieur, la symbolique sociale du peuple d’Israël. Car on aura également observé que la lettre VaV s’écrit elle- même avec deux VaViM. Répétition? Redondance? Certes non, mais indication particulièrement parlante selon laquelle, à la différence de l’image induite par le «crochet», une véritable conjonction et une réelle articulation s’obtiennent non par l’assujettissement d’une pièce principale à une pièce secondaire mais par le chevillage de deux pièces d’égale importance, placées l’une en regard de l’autre, en position de réciprocité.

Une réciprocité qui ajoute une valeur supplémentaire à ces deux pièces-là et les exhausse à un niveau de signification et d’efficacité plus élevé encore puisque l’addition des deux lettres vav forme le chiffre 12, celui des composantes du peuple d’Israël, du nombre de ses «rameaux», des douze chevatim, ce terme étant préférable à celui de tribu, mot d’origine romaine et qui se rapporte, comme son nom l’indique, au chiffre 3.

D’autres niveaux de signification sont encore discernables lorsqu’on aura rappelé que la lettre VaV est la lettre pivot du nom de Lévi, un nom qui sera donné au «rameau» sacerdotal par excellence d’où sont issus les cohanim. Or cette même lettre se retrouve dans toute la terminologie hébraïque de l’éthique, du soutien à autrui et des son accompagnement durant toutes les phases de sa vie, surtout lorsqu’elles sont semées de difficultés et d’obstacles (alVaa, leVaya, etc..)

Ce qui culmine à une dernière remarque conclusive dans le cadre de cette analyse: dans l’alphabet hébraïque la lettre vav suit immédiatement la lettre hei, symbolique de la Présence divine et ces deux lettres se succèdent tout aussi immédiatement dans le Tétragramme.

Toutes ces indications ne constituent pas les degrés ascendants d’on ne sait quel ésotérisme mais les degrés successifs d’une autre échelle: celle de la responsabilité interhumaine dans une Création ouverte et vivace.

Raphaël Draï zal, 26 février 2014