24 mars.
Mais à quoi d’autre s’attendait-on pour ce premier tour des Municipales? A vrai dire la Bérézina n’est pas un fleuve russe mais elle traverse Paris et sinue dans toute la France. Il fallait bien que le dissentiment accumulé depuis deux ans bientôt se trouve un exutoire. Inutile d’accabler les accablés. Lorsque la candidate PS à Paris, dauphine en titre de Delanoë, selon la logique de désignation népotique mise en place dans la capitale, en est à traiter de « branquignol » le gouvernement Ayrault, en visant d’un regard noir l’Elysée, la messe est probablement dite. Comme prévu aussi, et quoi qu’on en pense, le scrutin municipal actuel atténue les défaites et autorise l’ouverture de quelques parachutes. On en verra les effets de sourdine au soir du second tour. Pour l’heure ce n’est pas seulement l’incompétence économique qui se trouve aussi nettement sanctionnée mais encore une profonde déconsidération morale dont les péripéties sont dans tous les esprits, en attendant le probable livre de comptes concocté par l’ancienne compagne du Président de la République, ouvrage dont on ne doute pas qu’il glorifiera la littérature française considérée depuis ses sommets. L’affaire des écoutes a provoqué un véritable coup de sang chez Nicolas Sarkozy et ses amis. Quel que soit l’enrobage procédural de la dite affaire, elle conforte chez les citoyens de base le sentiment que le mot d’ordre est à l’élimination par tous les moyens du prédécesseur immédiat de François Hollande dont Nicolas Sarkozy est devenu une sorte de « dibbouk » phobique. Tout cela aggravé, on ne le répétera jamais assez, par une économie en berne, un chômage teigneux et une diplomatie picrocholine. Comment peut-on, comment ose t-on présider un pays avec 85% d’opinions défavorables? Le pire est sans doute à venir car les bons résultats du FN laissent présager une secousse d’une plus grande ampleur à l’occasion des Européennes. Se dirige t-on vers une crise de régime? Mais de quel «régime»? La crise, s’il faut ainsi la nommer, qui affecte la France est sans précédent puisqu’elle est simultanément politique, économique, et sociétale. En 1968, le gouvernement d’alors disposait face au séisme qui a manqué l’emporter de réelles marges de manoeuvre budgétaires, et donc de négociation. Telle n’est plus la situation aujourd’hui. Le fameux « pacte de stabilité » sur lequel François Hollande joue peut-être un de ses ultimes bancos est plombé par l’incertitude proprement politique de ce qu’il lui reste de quinquennat. Que Martine Aubry se récrie lorsque l’on évoque devant elle son éventuelle présence dans le prochain gouvernement en dit encore plus long que les fulminations d’Anne Hidalgo. Mishima l’a exprimé en mots burinés : en matière de pouvoir, il ne suffit pas de prétendre, il faut ensuite assumer.
26 mars.
Retour d’un bref séjour en Bulgarie et principalement à Sofia. Pays étrange et familier à la fois. Les standards et les stéréotypes de la mondialisation se combinent avec les réminiscences d’un passé auquel on voudrait rendre une vie plénière. Frappé, au centre de la ville, par les quatre monuments typiques de cet espace-temps désorganisé: l’église orthodoxe, la mosquée en voie de réfection, la synagogue de style viennois, trop vaste pour être chauffée, et surtout le nouveau centre commercial. Car dans ces pays sortis à peine du soviétisme, consommer est devenu une forme d’activité confessionnelle et ritualisée aussi. On imagine mal d’ici ce que furent les décennies du Parti unique, avec sa police des corps et des esprits, son architecture massive, exhibitionniste, son mépris «attilesque» de toutes les cultures antécédentes. Une dévastation mentale dont les effets actuels sont à peine évaluables et dont les effets différés ne sont même pas soupçonnables. Les pays sont fragiles comme sont les personnes. Les simulacres de la puissance ne durent pas longtemps lorsque la vie digne de ce nom n’ose plus se montrer aux fenêtres et lorsque les amandiers redoutent de fleurir.
27 mars.
« Une année studieuse » d’Anne Wiazemski. Le livre de bord d’une jeune étudiante de Nanterre dans les années 66 à 69, petite fille et pupille de Mauriac et surtout épouse à la va-vite de Jean-Luc Godard follement épris de cette réplique de « la Jeune fille à la perle » de Vermeer. Un document très attachant sur la Nouvelle Vague, sur ses audaces, ses naïvetés et ses chinoiseries. Sans parler de l’évocation d’une époque de transition; celles des mœurs, des débuts de la contraception, lorsque les corps se délestaient de peurs ancestrales sans toujours discerner où menaient les chemins clair-obscur des nouvelles libertés. Car que deviennent les navires qui ont perdu leur ancre?
RD