danieldrai

Archive for septembre 2018|Monthly archive page

PARACHA VE ZOTH HABERAKHA

In Uncategorized on septembre 30, 2018 at 3:19

44 Vaet'hanane2

( Dt, 33 et sq )

Formellement, cette paracha est la dernière de la Thora. Substantiellement, elle forme charnière entre celle qui la précède et celle qui la suit: la parachat Beréchit, laquelle constitue la première, toujours au sens formel, du Pentateuque. Cette charnière  se reconnaît à la conjonction « et »  rendue par la lettre vav qui préfixe l’expression Habérakha: la bénédiction. L’entame de la Thora doit donc se lire « Et voici la bénédiction ». Si, sur le plan de l’énonciation, cette bénédiction commence dans et par la parole actuelle de Moïse, son origine et sa cause se trouvent dans les événements et les enseignements qui la précèdent, non seulement depuis Moïse mais depuis le Beréchit initial. L’entame de la paracha doit alors se comprendre ainsi « De ce fait, voici la bénédiction … et voici vers où elle mène …».

Pourquoi ne s’agit-il pas de simple stylistique? Parce qu’une bénédiction ne se réduit pas à son énoncé immédiat. Elle s’adosse à une expérience déjà constituée en patrimoine intellectuel et spirituel, en expériences multiples, en épreuves cumulées. Pour les  plus difficiles, elle en évite la récidive. Surtout elle ouvre sur un futur justifiant les termes de la prière relative à la bonté du Créateur « qui renouvelle chaque jour l’oeuvre de la Création ». Avant de quitter le peuple d’Israël, Moïse parachèvera son viatique par une bénédiction de cette sorte. Bien sûr elle n’est pas la première du genre. Celle dispensée par Jacob à ses fils la précède (Gn, 49, 2 et sq). Ce qui n’empêche pas  l’originalité de la bénédiction nouvelle.

Pour bien discerner le signification et l’impact de la bénédiction spécifique délivrée par Moise, il faut en rapporter chaque à élément à celle dispensée par Jacob. Cependant, si dans les deux cas, il s’agit en effet d’une bérakha au sens biblique, autrement dit de la reconnaissance par l’Humain de la Présence divine à travers ses manifestations concrètes en ce monde- ci, la bénédiction délivrée par Moïse est bien deutéronomique, au sens global du « Sépher Dévarim » qu’elle conclut. Elle « secondarise » la bénédiction prononcée par Jacob à destination de sa descendance. Avec deux différences.

La première  est, si l’on peut dire, d’échelle. Jacob a béni une famille. C’est vers un peuple qu’est dirigée la bénédiction de Moïse. Ensuite, Jacob a béni ses enfants dans la situation qui était la leur à ce moment. Depuis, cette situation, en toutes ses dimensions, a évolué. Pour le comprendre il n’est que de se reporter à la bénédiction concernant Chimôn et Lévi. En reprenant les mots de Jacob  à ce sujet, il faut vraiment se convaincre qu’ils participent d’une bénédiction: « Chimôn et Lévi.. digne couple de frères: leurs armes sont des instruments de violence. Ne t’associe pas leurs desseins, ô mon âme.. » (Bible du Rabbinat ). Considérons le chemin parcouru que souligne la bénédiction de Moïse: « … uniquement fidèle à ta Parole ils enseignent tes lois, gardiens de ton Alliance, ils enseignent tes lois à Jacob et ta doctrine à Israël.. ». La comparaison de ces deux formulations atteste qu’il est une progression possible dans l’ordre du sacerdoce spirituel, qu’aucun élargissement des aires de la conscience n’est interdit à quiconque y oeuvre. En ce sens, la bénédiction  délivrée par Moïse n’est pas à proprement parler un testament mais un nouveau programme à l’intention d’un peuple  qui doit désormais inscrire cet idéal sinaïtique dans la réalité, démontrer que ce n’est pas une utopie, au sens dégradé du terme.

Mais Moïse doit déférer à la Parole divine qui lui a enjoint de mourir, sans que nous sachions très bien la portée de ce terme pour un être ayant accédé à un si haut degré de spiritualité. Le Créateur lui même confirme qu’ils se parlaient « face à face ». Lorsqu’un être humain pleinement et simplement humain accède à de degré, qu’est ce qui véritablement meurt en lui qui ne lui survivrait d’aucune manière? Ce qui survit à Moïse n’est rien d’‘autre que son exemple puisque nul ne sait où son corps est inhumé. Cet exemple se résume en un mot: l’homme était humble (ânav), et le texte hébraïque avait ajouté cette précision «très humble». Comme si l’humilité pouvait souffrir des degrés! Pourtant il faut bien en accepter l’idée tant il est des humilités contraintes ou pire: feintes. Elles ne sont que des narcissismes inversés. L’humilité n’est pas l’effacement de soi, au contraire. Elle désigne la capacité pour l’être capable d’un face à face avec l’Eternel de se mettre également en retrait lorsque les circonstances l’exigent, sans en ressentir la moindre diminution à compenser aussitôt. La lumière à laquelle s’allume une autre lumière ne diminue pas. Elle continue d’illuminer et d’étendre la zone de visibilité d’un univers physique et  spirituel.

S’agissant de la sépulture de Moïse, nous ne  disposeront désormais que de ces seules indications: elle se trouve quelque part dans la vallée de Moab, face à Beth Péôr. Ces indications ne sont pas seulement géographiques. Elles signifient que l’exemple de Moïse interdit la répétition des événements tragiques auxquels sont associées les deux  indications topographiques précédentes, à quoi correspondent les deux voies toujours frayées de la régression humaine à quoi elles se contentent de faire allusion. Et ce n’est pas pour rien que les deux mots qui concluent la Thora sont « Col-Israël »: tout Israël, l’«ensemble-Israël», sans que personne n’y soit oublié,  qu’il fût vivant ou simplement souvenir  dans la continuité de la Vie. Et c’est dans un même souffle, en liant la paracha  «Vézoth Habérakha»  à  celle  qui recommence la Thora qu’il faut lire «  Col- Israël – Beréchit »: tout Israël est pour la Création.

                                            Raphaël Draï zatsal, 17 Septembre 2013

La bénédiction finale de Moïse – Vezoth Aberakha

In Uncategorized on septembre 30, 2018 at 12:03

Cliquer sur le lien pour acceder à la video:

http://akadem.org/sommaire/paracha/5768/parachat-hachavoua-5768/la-benediction-finale-de-moise-29-07-2008-7381_4311.php

LA COMMUNAUTE JUIVE VIRE-T-ELLE A DROITE? (Radio J, 27 Oct 2014)

In Uncategorized on septembre 23, 2018 at 10:18

La question pressante a été posée ces derniers jours dans un lieu de culte par un fidèle dont les opinions sont généralement modérées. Pourquoi cette préoccupation? Et de citer le succès du livre d’Eric Zemmour en se demandant s’il convient vraiment à des intellectuels ou à des publicistes juifs de surenchérir à propos de l’identité française. Que lui répondre? Il y va de ces questions comme de celles qui concernent une possible décision de quitter la France. Nul ne peut substituer sa responsabilité à celle des intéressés. On peut néanmoins se demander ce qui suscite de pareilles inquiétudes. Pour le comprendre il suffit juste de poursuivre l’échange.

En premier lieu, les Juifs de France ne vivent pas sur une station orbitale. Ils sont partie intégrante et intégrée d’un pays qui n’en finit pas de traverser les crises les unes après les autres, qu’elles soient financières, politiques ou morales. Il faut y prendre garde: la transition n’est pas difficile du désenchantement à la désillusion, puis de la désillusion au nihilisme. L’histoire encore chaude du continent européen en fournit trop d’exemples contagieux. Ce que l’on pourrait qualifier de « crise chronique » qui affecte la France ne date certes pas de la dernière élection présidentielle. Elle remonte à 1973 et même avant. Pourtant, tous les gouvernements qui se sont succédés depuis ont prétendu en sortir avant que leurs promesses inconsidérées ne soient démenties par leur bilan réel. La communauté juive n’en est pas indemne. Ses membres sont également affligés par le chômage, par la précarité et par la peur du lendemain. D’où parfois cette porosité nouvelle aux slogans du Front National qui à son tour promet monts et merveilles. L’issue ne se trouvera pas au seul sein de la communauté juive mais dans la démocratie française pour peu que le sens de l’intérêt général l’emporte sur la mentalité partisane et la férocité des ambitions personnelles.

Un autre facteur doit être pris en compte, celui là propre à cette communauté: son sentiment croissant d’insécurité et de marginalisation, comme il est apparu cet été lors des manifestations de soutien au Hamas dans les rues de France, des mouvements grégaires où des salafistes et des djihadistes s’amalgamaient avec des militants se revendiquant de la gauche et de l’extrême gauche. Mais il ne faut pas s’arrêter au visible et au patent. Il semble aussi que dans certains quartiers des jeunes hommes et des jeunes femmes juives cèdent à la propagande islamiste et se retrouvent convertis à la religion coranique. Qui s’en préoccupe? Expliquer n’est pas justifier mais face à de pareilles entreprises, on peut également expliquer, propagande contre propagande, que les thèses de l’extrême droite deviennent audibles et tentantes, y compris dans les milieux qui paraissaient les mieux imperméabilisés. Ces questions doivent être ouvertement posées sans quoi il est à craindre que la présente situation n’empire. L’avenir se construit dans le présent et le présent n’est rien sans la lucidité.

Raphaël Draï, Radio J, le 27 octobre 2014

PARACHA HAAZINOU

In Uncategorized on septembre 20, 2018 at 7:15

  ( Dt, 32, 1 et sq )Darmon Haazinou

Avant de quitter le peuple d’Israël et ce monde, Moïse entend parfaire le viatique dont il les dote. Jusqu’à présent, il avait procédé à l’anamnèse historique d’Israël, mettant en évidence ses vulnérabilités mais aussi ses points forts. Rien ne doit être dissimulé au risque d’en subir la récidive. Mais ces paroles d’éveil et d’admonestation ne se sont pas destinées aux Anges du Service. Le peuple d’Israël est un peuple d’humains, situé sur une terre, et sous un ciel. Le ciel et la terre seront donc pris à témoins par Moïse car une même loi de vie les régit solidairement avec le peuple qui vivra selon leurs coordonnées, diurnes ou nocturnes. Ne le savions nous déjà? Le Deutéronome est le livre de la didactique prophétique. Faut-il qu’elle soit elle même redite? En réalité ce qui frappe dans cette paracha, au moins en ses débuts, est la langue dans laquelle Moïse, le prophète incomparable par son humilité,  s’exprime. Elle défie la traduction tant elle est chargée symboliquement et sémantiquement. Pour l’expliciter, la paraphrase, au sens du Targoum, d’abord, puis l’étude à deux ou à plusieurs sont requises. Moïse aurait-il voulu rendre ses propos impénétrables? A t-il pêché par ésotérisme, par « sibylisme »? Il ne semble pas.

Son seul but est de concilier la personnalité singulière de chaque Bnei Israël avec son appartenance d’ensemble au peuple du Sinaï. Lorsqu’une parole doit être interprétée à plusieurs, elle devient le moyen de raccorder le Je, le Tu et le Nous, comme ont parfois tant de difficulté à le faire les pensées contemporaines. Ce n’est pas seulement un exercice intellectuel: au milieu de cette paracha se trouve la plus forte déclaration relative à  l’unité et à l’unicité divines, après le « Chéma Israël ». Il n’est pas de divinité adjacente ou supplétive au Dieu du Sinaï, le Dieu qui fait vivre, mourir (Moïse va le vérifier) mais qui fait revivre aussi. C’est bien au milieu même de ce milieu, dans son tokh, que s’énonce l’affirmation de la résurrection. Au cours des siècles, une théologie aussi polémique qu’aveugle niera que le peuple d’Israël ait cru à la résurrection des morts. Il faut ne pas avoir lu  cette paracha pour commettre un si grave contre-sens. Celui ci peut cependant se reconstituer d’une autre manière.

Si l’humain est appelé, quoi qu’il en soit,  à ressusciter, quelle  peut être la signification de la mort conçue comme une épreuve? La mort n’est nullement déniée. Elle présente cet étrange point commun avec l’amour: elle peut faire l’objet d’une injonction. Le Créateur l’intimera à Moïse: «Monte sur le mont Nébo et là, meurs!». Le verbe est à la forme active, comme s’il s’agissait d’une opération à conduire consciemment d’un bout à l’autre. A quoi correspondrait cette action si particulière sinon à un dessaisissement volontaire de  toutes les possessions, de toutes les attaches d’une vie qui mérite ce nom tant elle aura été à chaque instant vécue! On ne quitte pas vraiment ceux auxquels et ce à quoi l’on ne s’est jamais attaché. Sans attachement, point d’arrachement. Moïse a aimé sa condition humaine. De son propre mouvement il n’en voudrait point d’autre. Il voudrait plutôt traverser le Jourdain avec ce peuple qu’il a tant aimé… Mais là s’arrête son cheminement en cette vie. Pourtant si celle-ci ne devait pas se poursuivre ailleurs et  autrement, pourquoi le Créateur l’incite t-il à contempler panoramiquement, panorama dans l’espace  et dans le temps, cette terre qui lui a été interdite?

La mort n’est pas déniée mais elle ne doit pas devenir occasion de panique, le signe de l’ultime horreur. Si la vie que l’on a vécue est digne de ce nom, on y puisera le courage, sinon la sérénité indispensables pour la quitter. Le Créateur a laissé à Moïse tout le temps de réviser la Thora avec le peuple qui l’a acceptée au Sinaï. Il l’a laissé la répéter jusqu’au moindre détail, en expliciter les plus fines variantes. Mais Moïse ne doit pas  procrastiner. ll faut qu’il quitte et ce peuple et ce monde qui le feront vivre d’une autre manière, dans leur mémoire, par l’élévation de leur esprit au degré où le sien accéda. En somme, l’enseignement divin se poursuit jusqu’en ces ultimes instants ;

Arrivés au terme de cette paracha un sentiment qui serait presque de la tristesse nous saisit : pourquoi le Créateur tient-il à rappeler au prophète agonisant la cause de l’interdit qui l’empêche de franchir le Jourdain? Etait-ce le bon moment? Le Créateur ne passe t-il pas ici pour une divinité rancunière et vindicative? Plusieurs lectures sont possibles. La précédente est fragile tant le Créateur dispensera des paroles de bonté, de mansuétude et même de reconnaissance vis à vis de Moïse. Une autre s’ouvre: le rappel opéré à ce moment exprime moins la vindicte du Créateur que ses regrets. Ah, si Moïse avait parlé au rocher au lieu de le frapper! La Parole divine y revient parce que si le remords est ressassement d’un passé mort, les regrets marquent la volonté de réparer sur le champ et pour l’avenir ce qui peut l’être.

Cette fois Moïse obéit, quoi que son cœur endure. Obéir au Dieu de vie, c’est cela le sanctifier. Par deux fois Moïse se sera soustrait au regard optique du peuple: la première lorsqu’il accomplit l’ascension du Sinaï, l’autre lorsqu’il accomplit celle du mont Nébo. Dans les deux cas, il reste l’exemple vivant d’une obéissance sanctifiante, celle par laquelle le serviteur, aussi haut qu’il soit monté, reconnaît la souveraineté divine, celle d’où seule procède la résurrection à venir.

Raphäel Draï zatsal 8 septembre 2013

RAYONNEMENT DE YOM KIPPOUR

In Uncategorized on septembre 17, 2018 at 4:40

 

 

Capture d_écran (169)

 

Comme Jérusalem est le point de ralliement du peuple juif dans l’espace, Yom Kippour l’est dans le temps qui s’écoule d’une année à l’autre. Que l’on soit juif observant ou non, sensible ou réfractaire à la présence divine, juif des 613 mitsvot ou juif d’aucune, sauf de celle d’être juif sans même admettre que cela soit une mitsva, Yom Kippour, qu’on le vive à la synagogue ou chez soi, est un jour peu ordinaire, grand et redoutable. Les juifs observants rappellent par les prières qu’ils récitent alors, par le jeûne qu’ils observent, par l’examen de conscience qu’ils creusent en leur mémoire, cet autre jour au terme duquel Moïse sut obtenir de Dieu le pardon de la faute du Veau d’Or commise par les Bnei Israël pourtant libérés d’Egypte. Car au-delà de ce pardon, Moïse avait obtenu aussi par son amour d’Israël que justement ce Dieu là se révèle : Dieu de compassion et de commisération, qui donne e l’homme faillible expose aux exigences de la Loi le temps de la comprendre et d’en réaliser le contenu. Et non pas divinité irascible et vengeresse, qui ne supporte pas que l’homme ne lui obéisse pas sur le champ, tel un esclave ou une bête de trait. C’est ce premier Yom Kippour que les juifs observants veulent prolonger parce que l’attitude de Dieu envers l’homme commande celle de l’homme envers son prochain. Si la Tora a été transgressée, la volonté de réconciliation de l’homme avec Dieu n’a de sens que si le peuple d’Israël, comme Am, comme « Ensemble », est reconstitué. Sachant ce que peut être la profondeur des discordes et l’inépuisable résonance des disputes, l’exigence religieuse de la réconciliation atteste de la capacité à tester réellement libre, c’est-à-dire d’assigner une borne obligatoire à toute déchirure du lien interhumain, une échéance à tout ressentiment. Et si le respect de cette limite s’avère impossible, si pénètrent dans la synagogue des êtres encore désaccordés, c’est que Kippour restera imparfait, que l’on évoquera le Service saint qu’accomplissait le Grand-Prêtre dans la Maison de Sainteté avec une âme partiellement indisponible. Au-delà des connotations mystiques de mauvais aloi du mot messie, l’on comprend que la Tradition juive ait lié l’avènement messianique, tel qu’elle le comprend, à l’accomplissement d’un Chabbat en sa plénitude et à celui d’un Yom Kippour sans réticence.

Les juifs non-pratiquants n’en respectent pas moins eux aussi la grandeur de ce jour-là parce qu’ils savent qu’aucune des indifférences dont ils peuvent faire preuve, des renoncements à quoi ils auraient consenti, ni aucun éloignement du peuple d’Israël, aucune abjuration, nul reniement, ne serait obstacle à leur entrée de plein droit dans toutes les synagogues du monde, comme le dit la bouleversante prière de Kol Nidré « dans l’Assemblée d’en Haut et dans l’Assemblée d’en Bas ». Car Israël est un peuple qui fut dispersé aux quatre points cardinaux de l’univers et de l’esprit, et qui lentement retisse l’étoffe que le glaive a parfois déchiré d’une Tente qu’en plein Désert l’on nommait Tente de la Rencontre. Le juif de Kippour n’est pas le juif surnuméraire qui s’ajoute aux autres un seul jour après s’en être soustrait le reste de l’année. Il est cet homme ou cette femme qui parfois n’ose pas parler de ses épreuves et de ses déchirements parce que la pudeur l’emporte encore sur la souffrance ; qui peut-être ne jeûne pas mais qui sait que d’autres s’imposent l’épreuve de la soif et de la faim afin que leur prière procède vraiment d’une faiblesse surmontée. Qui parfois aussi n’ose pas s’enfoncer dans la houle des châles blancs aux lignes noires ou bleues. Qu’importe : le jour de Kippour chacun ne demande des comptes qu’à soi seul. Et le plus observant sait qu’il s’est trouvé parfois, ne fut-ce qu’une heure, une minute ou simplement le temps d’une pensée, comme quelqu’un qui a perdu son hébreu.

Raphaël Draï zal, l’Arche Octobre 1990

 

PARACHA NITSAVIM

In Uncategorized on septembre 7, 2018 at 9:36


Darmon Nitsavim.(Dt, 29, 9 et sq )

Ces parachiot conduisent vers la fin du sepher Devarim et vers la conclusion de la mission acceptée par Moïse depuis la révélation divine au Buisson ardent. Que de chemin parcouru! Et combien escarpé, périlleux, côtoyant tant d’abîmes dans lesquels tant d’autres peuples ont disparu ou disparaîtront.. Où en est actuellement le peuple d’Israël? Ce n’est pas sa position géographique qui importe mais sa situation spirituelle. Moïse l’indique par l’expression: «Athem nitsavim hayom coulékhem liphnéi YHVH Elohékem ». Ce qui peut se traduire: «Vous vous maintenez aujourd’hui intégralement devant l’Eternel votre Dieu». Chacun des mots composant cette sentence qui est aussi un état des lieux spirituel, comme on l’a dit, appellerait le commentaire. On s’arrêtera à nitsavim puisque ce terme  donne son titre à la présente paracha.

Il est en effet différentes façons de marquer la position d’un individu ou d’une collectivité humaine. Lorsque les Bnei Israël furent arrivés  devant le Har Sinaï, le texte de Chemot précise qu’ils firent là une halte réparatrice: «Vayh’an cham Israël negued haHar» (Ex, 19, 2).Quelle est la particularité de leur nouvelle position? NiTSaVim est construit sur la racine Tsa (B)V que l’on retrouve dans TsaVa, l’organisation méthodique, dans laquelle il est une place pour chacun et où chacun se sente à sa place légitime. C’est seulement par extension de cette signification primordiale que l’armée, au sens militaire mais également civique et éthique, est désignée par la mot TsaVa. La racine Ts(B)V (avec un beth prononcé ve) est affine à la racine TsV (avec un vav) que l’on retrouve dans MiTsVa. Cette signification se retrouve encore dans l’expression TsVa Hachamaym, la constellation des cieux, et surtout dans l’un des noms de Dieu: Adonaï- TseVaot, non pas le Dieu des Armées, avatar ou prototype du dieu Mars, mais Dieu des régularités, de l’esprit de suite, et finalement de l’Alliance, de la Berith, en laquelle toutes ces connotations se synthétisent.

D’autres dimensions de cette racine attirent l’attention. Par l’emploi de nitsavim, Moïse rappelle le peuple à l’un des épisodes les plus cruciaux de son parcours, lorsqu’à la suite de la transgression et de la régression du veau d’Or   il entreprit d’obtenir le  pardon divin. On se souvient des demandes pathétiques de Moïse. Il aurait voulu que l’Eternel lui donnât connaissance de rien moins que son Être. Ce qui lui est refusé. Toutefois, le Dieu du pardon assigne à Moïse une autre place  à partir de laquelle celui-ci  pourra percevoir les 13 attributs de la compassion, lesquels constituent la seconde révélation du Sinaï après celle des 10 Paroles. Cette place, légitime et adéquate à l’être  propre de Moïse, est ainsi assignée: «  Et YHVH dit: «Voici un endroit (makom) avec moi( iti) et tu te maintiendras (VeniTsaVta) sur la Forme créatrice (âl hatsour) (Ex, 33, 21)». En l’occurrence la racine Tsa( B)V se  rapporte donc bien à une position spirituelle par laquelle l’Eternel et l’humain  se retrouvent conjointement pour aborder de nouvelles phases de leur commune histoire. C’est cette éminence là que Moïse souligne maintenant pour y reconnaître la position atteinte désormais par le peuple tout entier,  dans tous ses éléments constituants,  jusqu’au fendeur de bois et au porteur d’eau, sans en excepter  le guer, l’étranger selon la loi biblique.

Au terme de quarante années de ce trajet transformateur, de ce walking through qui est simultanément un working  through, un travail profond sur soi- même, le  peuple d’Israël est arrivé au degré d’élévation spirituelle qui fut celui de Moïse lorsqu’il monta de nouveau sur le Sinaï à la rencontre de l’Eternel et qu’il fut autorisé à s’y maintenir avec Lui afin de recevoir les secondes Tables, analogues aux premières, et les Attributs du pardon qui sont indissociablement ceux de l’amour universel: ahavat ôlam. C’est à ce même niveau que doit se comprendre une  affirmation de la paracha qui autrement pourrait passer pour fantasmatique si ce n’est totalitaire.

Après avoir affirmé, au nom du Créateur que ce n’est pas exclusivement avec le peuple hic et nunc   que l’engagement sinaïtique est conforté et qu’il est scellé, Moïse ajoute qu’il l’est uniment «avec celui qui n’est pas aujourd’hui (hayom) avec nous (einénou po îmanou)». L’affirmation peut sembler ambiguë. Certes, les Bnei Israêl présents sont parties effectives à cette Alliance. Ils sont bien là (po), physiquement et en toute conscience, aptes à y consentir. Mais de quel droit s’autoriser du coup à préempter l’avenir, au point de lui faire perdre sa signification essentielle? La question vaut d’être creusée.

Engager un avenir sur les voies de la vie est-ce attenter à la liberté des générations à venir? Dans la paracha qui suit celle-ci, dans la paracha Vayélekh, se trouvera énoncée l’un des principes les plus fondamentaux de la Thora, celui qui concerne le choix décisif de la vie alors que sont ouvertes les deux options antagonistes:  la bénédiction et la malédiction, la vie et la mort.  Il faut lire en son entier le verset de référence «..Et tu choisiras la vie afin que tu vives toi et ta descendance sur la terre que l’Eternel t’a dévolue (Dt, 30) ». Le choix de la vie engage bien la postérité de celui ou celle qui le décide, en récusant l’autre option, laquelle aurait pu, en théorie et en acte, faire l’objet d’un choix égotiste non moins «libre».

On comprend mieux à présent la portée de ce repère: NiTsaVim. Un peuple ne s’identifie pas de manière ponctuelle, dans un présent réduit à un intervalle fugace, impalpable, entre passé et avenir. Lorsque Moïse évoque « ceux qui ne sont pas là », au moment de la traversée du Jourdain, il pense à tous ceux qui n’ont pas réussi la traversée du Désert et qui s’y trouvent inhumés, à commencer par Myriam sa sœur. C’est le Moïse qui, au moment fatidique de la sortie d’Egypte, n’avait pas oublié non plus les ossements de Joseph.

Un peuple  se situe à cette altitude spirituelle lorsqu’il assume  son histoire, toute son histoire, sans trier entre événements glorieux et accidents calamiteux. Même les descendants de Korah’ deviendront les auteurs de Psaumes comparables à ceux du Roi David et seront réunis dans le même psautier. Certes, le peuple actuel des Bnei Israël est bien arrivé sous la conduite de Moïse à ce niveau  sans pareil. Mais il ne doit pas s’imaginer qu’il s’y maintiendra sans  avoir à y veiller perpétuellement. C’est pourquoi, la paracha Vayélekh introduit du même mouvement au thème considérable du Hester Panim, du voilement de la Face divine, lorsqu’il arrivera que ce même peuple, intégralement, exhaustivement présent aujourd’hui, se montrera demain oublieux de l’Alliance. Moïse le sait et y pare. Il a appris au moment même où il était niTSaV avec L’Eternel  que tout pressentiment sombre, au lieu d’inciter au fatalisme qui le consommera, doit inciter sans attendre à concevoir la contre -mesure qui palliera les défaillances du moment, aussi graves soient-elles, afin que l’Histoire commune se poursuive. C’est dans ces dispositions d’esprit et avec cette intelligence de l’avenir que Moïse, sachant qu’il arrivera que Dieu voile sa Face,  écrit préventivement la Cantate, la Chira, qui rappellera aux Beni Israël leurs obligations de sorte que la Face divine se révèle à nouveau parce qu’à nouveau le peuple et la Loi d’amour et de responsabilité ne feront plus qu’Un.

L’unité se distingue du totalitarisme en ce que celui-ci naît toujours des carences de celle-là. En araméen, «se réjouir» se  traduit par «se réunir», faire Un. Belle paracha  pour le mois d’Eloul, celui durant  lequel Moïse, sans désemparer, après la faute du veau d’Or, su  obtenir le pardon divin et en rendre les voies inoubliables.

Raphaël Draï