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Le Mythe de la loi du Talion 2/2 – Emission RCF 24 février 2021, Invité GR Daniel Dahan

In Uncategorized on février 28, 2021 at 10:47

Retransmission Emission RCF du 24 Février 2021présentée par Sarah Brunel

Invité : Daniel Dahan, Grand Rabbin de la région Auvergne-Rhône-Alpes

https://rcf.fr/spiritualite/le-mythe-de-la-loi-du-talion-22?unkp=f7fda6a577e9ab8e7c42986ede805b6b

Le mythe de la loi du talion 1/2 – Emission RCF 27 février 2021, Invité GR Daniel Dahan

In Uncategorized on février 28, 2021 at 11:00

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Retransmission Emission RCF du 27 Février 2021présentée par Sarah Brunel

Invité : Daniel Dahan, Grand Rabbin de la région Auvergne-Rhône-Alpes

« Le mythe de la loi du Talion » par Raphaël Draï 

https://rcf.fr/spiritualite/le-mythe-de-la-loi-du-talion-12

 

Paracha Testave: le sens des mitsvot

In Uncategorized on février 26, 2021 at 1:58
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(Ex, 27, 20 et sq)

«Tu feras confectionner pour Aaron ton frère (ah’ikha) des vêtements sacrés (bighdé kodech), insignes d’honneur (lechabod) et de majesté (oultif’éret). Tu enjoindras donc à tous les artisans habiles (h’akhmei lev) que j’ai doués du génie de l’art (rouah’hokhma), qu’ils exécutent le costume d’Aaron, afin de le consacrer à mon sacerdoce »

(Ex, 2 à 4). Traduction de la Bible du Rabbinat.

Les termes hébraïques originaux mis entre parenthèses indiquent à quel point la traduction précitée, fort approximative, ne rend pas compte de leur signification véritable. ll faut donc y revenir.

La précédente mitsva incombe à Moïse désigné ici comme le « frère d’Aharon », lequel doit officier comme Cohen Gadol, le Grand Prêtre. Chaque fois que des termes fondamentaux sont utilisés dans les quatre livres qui suivent le sépher Beréchit, il faut se reporter à ce livre pour en comprendre les significations initiales. Ainsi des mots vêtement (BeGeD) et du mot frère (AH’). La première fois qu’il soit question d’un vêtement dans la Thora c’est à propos du premier couple, après la transgression initiale du commandement de ne pas consommer du fruit de l’Arbre de la connaissance du bien et du mal. Cette transgression met pour ainsi dire l’Humain à nu et à découvert. Pour se recouvrir Adam et Eve cousent ensemble des feuilles d’autres arbres et s’en font des « pagnes », comme traduit encore la Bible du Rabbinat (Gn,3, 7). Sans doute ces feuilles-là désignent-elles d’autres modes de connaissance.

Sans entrer une fois de plus dans des questions complexes de traduction, il suffit de comprendre que la notion de vêtement se rapporte physiquement et moralement à cette transgression générique qu’elle a charge de recouvrir et non de dissimuler. La confection des vêtements du Grand Prêtre ne s’y limitera pas. Il s’agit à leur propos d’aller plus loin: de réparer d’abord, de sublimer ensuite.

Les mêmes observations s’imposent à propos de la notion de frère, de ah’. Ne savons-nous pas qu’Aharon et Moïse sont frères de père et de mère? La mention du mot ah’ désigne en réalité un élément problématique découlant du premier fratricide. En d’autres termes, les mitsvot relatives à la confection des vêtements inhérents au sacerdoce sont voués à la réparation et au dépassement des deux transgressions initiales. Il ne s’agit pas non plus et seulement de decorum. C’est pourquoi la vêture du Grand Prêtre est elle même référée à l’idée de sainteté qui n’apparaît pas explicitement dans la traduction précédente.

Dans l’univers biblique la sainteté se rapporte chaque fois qu’elle est mentionnée, sous quelque modalité que ce soit, au choix de la vie, à son établissement pérenne. De ce point de vue, la confection de cette vêture importe tant par son objet que par les procédés mis en oeuvre. On observera que cette confection est confiée à des artisans, pour reprendre cette terminologie, qui ne doivent pas seulement faire preuve d’«habileté». Ils doivent être doués de facultés d’un tout autre niveau, être d’une part des savants de cœur (h’akhmei lev) et, d’autre part, être doués non seulement de sagesse mais d’esprit de sagesse (rouah’ h’okhma). Ce qui conduit au passage à cette observation: il se trouvait donc au sein du peuple des esclaves à peine libérés de la servitude pharaonique des êtres de cette stature qu’il fallait savoir discerner, tout comme il avait fallu savoir le faire pour les juges et autres dirigeants du peuple selon la paracha Ytro (Ex,18, 21).

Que faut-il entendre par sagesse de cœur? Une sagesse qui transcende la simple intelligence technique. Comme l’expliquera plus tard le rav Kook, toute spécialisation (miktsoâ), efficiente dans son domaine propre, risque d’enfermer le spécialiste concerné dans les bornes de son savoir. Pour participer à une œuvre collective, il doit s’avérer capable de relier sa connaissance à celle d’autrui de sorte à former une échelle de savoir complémentaire et supplémentaire, compatible avec ce niveau de l’œuvre. En l’occurrence il s’agit de la construction et de l’édification du Sanctuaire, œuvre homothétique à celle de la Création. A cet égard le Maâssé Hamichkane devient assurément l’homologue de l’œuvre de la Création, du Maâssé Beréchit, et de l’Œuvre de la Structure, du Maâssé Mercava.

C’est pourquoi les hommes et les femmes de l’art attachés à cette réalisation doivent également faire preuve d’esprit de sagesse afin que celle-ci ne se réduise jamais à ses modes opératoires, qu’elle ne cesse de se transcender jusqu’à atteindre les degrés de la Création nommé Cavod et Tif’éret. Chacun aura compris que des vocables, comme ceux de H’okhma, de Rouah’ et de Tif’éret procèdent chacun et ensemble de l’univers des séphirot par lesquelles l’œuvre de la Création divine devient accessible à l’entendement humain, sachant que depuis sa propre naissance l’Humain est le coopérateur (choutaf) du Créateur pour le parachèvement de cette Création.

Si les différents vêtements constituant la vêture du Cohen Gadol soulignent sa position singulière, particulièrement élevée, dans le processus de la Création sanctifiée ils ne doivent pas l’isoler du klal Israël. C’est pourquoi, ces vêtements sont confectionnés par des membres du peuple qui ne doivent pas être considérés comme de simples exécutants. C’est l’esprit du peuple, à son plus haut niveau, qui se transfère dans cette vêture. La prêtrise au sens biblique n’est pas une caste. Pareil dispositif se retrouvera d’ailleurs à propos de « la bénédiction des Cohanim » dont on sait qu’elle n’est pas unilatérale, descendant des prêtres jusqu’au peuple, mais qu’elle se formule en sanctification réciproque et dialoguée.

Raphaël Draï zal 6 février 2014

POURIM « CINQ–SIX »

In Uncategorized on février 25, 2021 at 1:41
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Comment peindre Constantine durant Pourim,

Trouver les mots – parfums, les couleurs et les rimes…

L’hiver neigeux y laissait ses traces de froid

Et dans les rues pentues courraient les enfants rois


Qui faisaient bouquets de narcisses et mimosas

Pour Tata Fortune ou pour Mémé Rosa

Avant de pavoiser les cours et les fenêtres

Ouvertes sur le printemps d’un oublieux bien-être.


Dans les oratoires se lisait la Méguila

Pour fustiger Haman, ses sbires au coutelas,

Et magnifier Esther qui su vaincre sa peur,

Notre Esther Hamalka qui se fit mère et sœur


Et nous louangions son oncle Mardoché

Qui ne plia genou aux auvents du marché

Sachant que Yéhoudi est un titre de vie

Qui provoque la haine mais suscite l’envie.


Sur les tables nappées nous lancions les deux dés

Les douadèches blancs et noirs aux points non décidés,

L’as-doch disait la perte et le cinq-six le gain,

Le plaisir de la vie bruissait en son regain.


Sur la ville en fête s’épandaient les lumières

Où nos yeux se perdaient de toutes les manières

Mais le sort nous saisit puis il nous projeta

Loin des ravins ombreux de l’étrange Cirta


Et nous avons roulé hors des maisons natales

Comme les dés battus par d’autres mains fatales,

Très longtemps le futur nous parut indécis

Jusqu’au moment heureux où sortit le cinq–six.


Aujourd’hui des Hamans refont assaut de haine

L’engeance du dément reste hélas bien pérenne

Mais nous savons d’Esther qui domina sa peur

Que le salut divin peut « s’annoncer d’Ailleurs ».


Pourim Saméa’h

Raphaël Draï zal, 27 février 2015

écrit dans le TGV Paris- Bordeaux 

LE SENS DES MITSVOT – PARACHA TEROUMA

In Uncategorized on février 18, 2021 at 10:45

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(Ex, 25, 23 à 30)

A la mémoire de notre ami Alain Nabet (zal), du groupe des EIF de Montpellier, recréé  en 1963.

«  Et tu feras ensuite une table en bois de « chtitim », longue de deux coudées, haute d’une coudée et demie, tu la recouvriras d’or pur (…) Et tu placeras sur  cette table des  pains de propositions (leh’em panim), en permanence devant moi (lephanai tamid) » (Ex, 25, 23 à 30). (Bible du Rabbinat).

Sans disjoindre ces différents plans de l’existence charnellement humaine mais vouée à une transcendance, la paracha Michpatim concernait les règles de la « société civile hébraïque », avec son état de droit primordial et sa représentation de « l’être ensemble ». La paracha Térouma, elle, concerne la  sainteté du peuple.

Ce n’est pas que la vie sociale ou que l’immanence soient des niveaux secondaires ou triviaux de l’être, mais l’humain n’est pas statique, ni corporellement ni intellectuellement. Il se déplace et il se dépasse. La coexistence civile est à la fois une fin en soi, pour éviter le « tous contre tous » (P.A. III, 2) et le point de départ d’une vie d’un niveau encore supérieur, celui de la sanctification, de la kedoucha, selon la proposition faite plus haut: « Vous serez pour moi une souveraineté de pontifes et un peuple sanctifié (goï kadoch) (Ex, 19, 6). En quoi consiste cette sanctification pour qu’elle n’apparaisse pas «  mystique » ou éthérée ?

Les versets précédents l’indiquent avec les mitsvot qu’ils énoncent. La « Table » dont il est question est à double dimension, comme le Sanctuaire, le « Mikdach » dont elle est un élément, avec l’Arche de la Loi et la Ménorah, le Luminaire. Le « Mikdach » doit être construit et agencé selon un modèle, un tavnit, qui s’inscrit dans le Monde d’En-haut. Il doit opérer la translation, au sens quasi-mathématique, de sa structure et de ses fonctions dans le Monde d’En-bas afin de le transcender. Le mot « table » (choulh’an) est donc à entendre selon deux sens, au sens matériel et au sens conceptuel  lorsque l’on parle par exemple de table d’orientation ou de table de logarithmes. Construit sur la racine ChLH’, ce terme désigne non pas un plan fixe mais un plan dynamique et vectorisé, littéralement « mandaté » comme l’est le chaliah’, l’envoyé, en droit hébraïque. On relèvera aussi les  contiguïtés phonétiques et de signification entre les racines ChLH’et ChLKh, la seconde désignant le « tien », l’appropriation légale, moralement légitime. Que cette table soit recouverte d’or, qui représente le matériau pur par excellence,  marque la connexion entre  la pureté ( tahara ) et la sainteté ( kedoucha ); et l’on sait en outre qu’il s’agit là de deux des six Traités de la Michna, de la Loi Orale.

Sur cette Table située au Sud du Sanctuaire, et sanctifiant cette direction qui n’est plus exclusivement  topographique ou tellurique, doivent être disposées deux  rangées de six pains chacune. Donc, dans le Sanctuaire sont mis en relation les éléments les plus immatériels de la Création: la pensée, avec l’Arche de la Loi et la lumière, avec la Ménorah d’une part; et l’élément le plus matériel: le pain, symbole de toute nourriture humainement élaborée et cela, soulignons le aussi, lors de la période même du don de la manne, de la nourriture la plus spiritualisée durant la Traversée du désert. Une nouvelle fois les Pirkéi Avot insisteront sur cette connexion profonde « S’il n’y pas de Thora, il n’y a pas de farine; s’il n’y pas de farine, il n’y pas de Thora » (P.A.III, 21), exemple type de cognition «simultanée» dont les termes doivent être posés l’un après l’autre dans l’espace pédagogique mais qui doivent être pensés ensemble.

C’est dans le Lévitique que seront données d’autres indications relatives à ces pains immédiatement qualifiés de « pains de visage » pour bien indiquer qu’il s’agit non pas exclusivement d’une nourriture « physiologique » mais bien d’une nourriture à visée sociale et, à la lettre, conviviale (Lev, 24, 5 à 9). Ces pains, appelés aussi h’alot, doivent être au nombre de douze, autant que le nombre des tribus d’Israël. Ils doivent non pas constituer un amas compact mais être distribués en deux rangées de six, chacune correspondant aux six jours «oeuvrables» de la semaine. Chaque pain est donc l’élément particulier d’un ensemble cohérent, séparé des autres par un intervalle distinctif mais en même temps relié à l’ensemble des douze. Sur chaque rangée devait brûler de l’encens, lequel indique la dimension de sublimation de cette alimentation ainsi sanctifiée.

Les pains étaient changés chaque chabbat de la manière suivante: sur un groupe de huit prêtres, deux portaient les pains nouveaux (six chacun) et deux  portaient des encensoirs. Les autres avaient les mains libres. Les deux premiers devaient disposer ces pains nouveaux sur la Table du Sanctuaire au fur et à mesure que les prêtres  aux mains libres ôtaient ceux de la semaine passée de sorte que la Table ne se trouve jamais vide. Puis l’on procédait au renouvellement de l’encens selon la même gestuelle. Il fallait ainsi que les mouvements des uns et des autres fussent parfaitement coordonnées[1]. Cette fois le lien n’est plus établi entre l’élément particulier et l’ensemble auquel il appartient, mais entre le discontinu et le continu. La succession des semaines, scandée par le jour du chabbat, est évidemment discontinue mais la coordination des mouvements de deux sizaines de prêtres rétablit  par elle même la dimension de continuité.

Enfin, les pains ôtés chaque semaine devaient être consommés à l’extérieur du Saint des Saints, six en priorité par les grands prêtres, par les cohanim, en raison du degré de sainteté auquel ils étaient d’ores et déjà dévolus depuis Aharon. Les autres étaient distribués aux prêtres ordinaires qui eux mêmes formaient transition et continuité avec le peuple tout entier en vue de sa sanctification propre.

Raphaël Draï zal, 29 janvier 2014


[1] Cf.Abraham Chill, The Mitsvot, Keter, Jérusalem, 2000, p. 119.

Le sens des mitsvot: Michpatim

In Uncategorized on février 11, 2021 at 7:52

 PARACHA MICHPATIM

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Qu’est ce qu’une mitsva? La traduction la plus approchée proposerait « règle » ou « norme » de conduite. Ce qui implique la définition préalable de ce que « norme » signifie. Il n’est pas question d’entrer dans les débats nés de cette tentative de définition. Une norme est-elle exclusivement juridique ou comporte telle également des dimensions morales? Dans la Thora, la mitsva est bien une norme mais qui ne divise pas le droit et l’éthique. Elle est indissociablement juridique et morale, fin et moyen. Son principe générique remonte au « Gan Eden » lorsque le récit de la Genèse relate que le Créateur y disposa l’Humain auquel il enjoignit la première mitsva, explicite( vaytsav): consommer de tout ce que le Jardin produira, sauf de l’Arbre de la connaissance du Bien et du Mal ( Gn,2, 16).

Par où l’on comprend déjà que toute mitsva se rapporte à ce tout premier acte de discernement: entre le Bien –qui conforte le processus de la Création; et le Mal, qui  lui fait obstacle. Dans ces conditions que signifie michpat? Ce mot éclaire la dimension  proprement prescriptive de la mitsva, la manière dont il importe assurément de s’exprimer et de se conduire de telle sorte que le mouvement de la Création l’emporte sur la propension contraire. C’est pourquoi, immédiatement après la paracha « Ytro » dont on pourrait dire qu’elle définit d’une part le droit constitutionnel d’Israël et d’autre  part les grands principes de l’institution judiciaire, la paracha « Michpatim » décline les principales normes concrètes de droit civil, de droit pénal,  et de droit social inhérentes au peuple des anciens esclaves, tout juste libérés de leur servitude et qui doivent faire l’apprentissage simultané de la liberté et de la responsabilité. Afin d’illustrer ce que michpatim veut dire à cet égard l’on prendra un exemple.

Le Sepher Chemot dispose – nous suivrons pour commencer la traduction de la Bible du Rabbinat: «  Si des hommes se prennent de querelle et que l’un frappe l’autre (ich eth réêhou) d’un coup de pierre ou de poing sans qu’il en meure mais qu’il soit forcé de s’aliter, s’il se relève et puisse sortir appuyé sur un bâton, l’auteur de la blessure sera absout (venékka ). Toutefois il paiera le chômage (chivto yten ) et les  frais de la guérison ( vérapo  yérapé ) » ( Ex, 21, 18, 19).

En quoi ce michpat concerne t-il les différentes branches du droit que l’on vient de mentionner? Pour bien le saisir, il faut reconnaître l’une des lignes de force de cette paracha qui ressemble, en première vue, à un catalogue de permissions et d’interdits sans logique interne. En réalité cette logique apparaît dans la distinction capitale entre droit civil et droit pénal, le droit social et le droit médical intervenant à titre médiateur. A bien les lire, les versets précédents  mêlent des données civiles et des données pénales. Frapper son prochain, es qualités et non pas simplement « quelqu’un d’autre », avec une pierre ou avec le poing, relèverait  du droit pénal. Il s’agit bien d’une agression ou à tout le moins d’un passage à l’acte. Comment expliquer que l’auteur d’un acte de cette sorte puisse s’en acquitter par un simple dédommagement?

Les michpatim en question se distribuent, on l’a dit, en deux premières catégories: ceux qui relèvent du droit civil, lequel  se rapporte aux incidents et accidents de la vie quotidienne, et ceux qui relèvent d’une intention délibérée, parfois préméditée, de nuire. Pour un peuple libre, la première catégorie doit recevoir une application extensive, la seconde s’avérer d’interprétation stricte et même « strictissime  ».

La question se pose ainsi à propos des deux versets précités puisque le passage à l’acte pris en compte aurait pu causer la mort de la victime mais que, par chance, cette issue fatale ne s’est pas produite. L’intrication de ces deux  champs juridiques: civil et pénal, dans ces deux versets, ouvre  à la nécessité pour le tribunal compétent de différencier déjà ces deux domaines. Ce n’est pas parce qu’un acte aurait pu avoir des conséquences fatales qu’il doit être immédiatement rangé dans la catégorie pénale, avec le risque encouru de la peine capitale, si elle pouvait s’appliquer. Dans tous les cas, le droit civil doit prendre le pas dès lors que les causes du fait générateur d’un tel dommage rendent cette primauté possible, légalement parlant.

Seulement, ce n’est pas parce que l’auteur du dommage serait acquitté – sous- entendu de l’intention criminogène – qu’il en a fini avec son jugement. Sitôt le dommage matériellement constaté – notamment par une claudication visible-il doit être objectivement et subjectivement réparé, d’abord au regard de l’arrêt de travail et ensuite au regard des soins engagés par la victime. L’important reste la réparation et le retour autant que possible à une vie normale, le lien social (réoût ) se trouvant par là – même lui aussi réparé, autant qu’il puisse l’être. On sait, suivant le commentaire de Rachi ( ad loc ) que c’est à partir de l’axiome « vérapo yrapé » que se développe tout le droit médical d’Israël dont on trouvera les bases essentiels dans les traités talmudiques concernés, notamment Baba Kamma (85 a)[1].

Une dernière observation à ce propos soulignera cette fois les intrications du droit positif avec les grands principes organisateurs de la vie du peuple. L’arrêt de travail  de la victime est désigné par l’expression chivto. Il n’est pas impossible que cette expression se réfère à un degré encore plus élevé  de significations. Le mot: « arrêt » (ChiB (v) To)est construit sur la même racine que le mot ChaBbaT. Tout se passe comme si cette  identité de racine indiquait que la cause la plus « générique »  du dommage se trouvait aussi dans un dysfonctionnement de l’institution chabbatique – avec ce qu’elle comporte de scansion des énergies physiques  et d’incitation à la réflexion –  ayant causé une contrariété de l’esprit et un trouble du comportement prédisposant au passage à l’acte  porté devant le tribunal. Car – et l’on n’y insistera jamais assez – l’existence même des michpatim, distribués comme ils le sont dans cette paracha, conforte l’interdit majeur et originel de se faire justice soi même.

Raphaël Draï zatsal, 20 janvier 2014

[1] On se permettra de renvoyer aux « Topiques sinaïtiques », tome III, « La Justice, le droit et la vie », Hermann, 2013.

Paracha Ytro

In Uncategorized on février 4, 2021 at 6:01
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 (Ex, 18, 1 et sq)

Après la traversée de la « Yam Souf », la « Mer de la fin » – fin de l’esclavage externe – cette paracha est essentiellement dévolue au don de la Thora, à l’événement sinaïtique par excellence. Pourtant l’ascension spirituelle du Sinaï n’y est pas décrite immédiatement.

La paracha débute par le récit des circonstances dans lesquelles, Ytro, le pontife de Midian et beau-père de Moïse, rejoint ce dernier et tout le peuple des Bnei Israël. Rencontre physique autant que spirituelle. Ytro se joint désormais de cœur avec le peuple libéré parce qu’il fait sienne l’histoire de la libération des champs de corvée et qu’il reconnaît pour sien le Dieu libérateur et rédempteur. En même temps, il ramène à Moïse ses deux fils et son épouse restés auprès de lui pendant tout le temps qu’a duré la première phase de cette libération en Egypte même. Pourquoi cette précision qui pourrait paraître secondaire? Justement pour souligner que durant tout le temps qu’a duré également la séparation de Moïse d’avec Tsipora et d’avec Guerchom et Eliêzer, le lien conjugal et paternel a été préservé. Ytro n’est pas Laban. C’est pourquoi Moïse se porte à sa rencontre et qu’ensuite les Anciens, les Zekénim, Aharon en tête, participent avec lui aux sacrifices d’actions de grâce (Ex,18, 12). Ce qui au passage fait justice du stéréotype multiséculaire relatif à l’enfermement religieux d’Israël, à l’atrophie de son sens de l’Universel. La paracha consacrée au don de la Thora commence précisément par ce récit de conjonction entre êtres qui ne partagent pas d’emblée les mêmes croyances mais qui finissent par se rejoindre parce qu’un sens transcendant les chevilles à présent les uns aux autres. C’est sous cette lumière que le peuple s’approche du  » Har Sinaï « , désignation sur laquelle on reviendra. La leçon d’universalisme n’est pas achevée. Elle se poursuit par un autre enseignement, un autre apport de Ytro à l’organisation vitale du peuple d’Israël.

Le pontife de Midian constate que Moïse siège seul en permanence au tribunal, du soir  jusqu’au matin. A ses yeux, ce n’est pas bonne justice. Il recommande à son beau-fils d’adopter une autre manière de procéder : déléguer la compétence juridictionnelle qu’il semble détenir exclusivement à une véritable institution judiciaire qui puisse juger sans désemparer, dans les meilleurs délais et au plus proche des justiciables. Moïse l’écoute, quitte à reformuler cette recommandation selon les exigences spécifiques du peuple d’Israël. Pour souligner une fois encore que le don de la Thora ne replie pas ce peuple sur lui-même, que ce peuple comporte une dimension assurément universaliste puisque, on ne le relèvera jamais assez, l’organisation d’une institution judiciaire efficiente est le préalable au don des dix Paroles.

Ce don lui-même est conditionné par d’autres avertissements concernant la position du peuple au moment où les dix Paroles vont être révélées. Le peuple ne doit pas se précipiter pour « voir » ou pour « toucher ». A l’évidence, ces avertissements qui donnent le sentiment que le peuple se trouve devant un lieu électrifié à haute tension, font écho à la toute première paracha de la Thora et au récit de la première transgression lorsque, en dépit du commandement divin, H’ava avait porté la main sur l’Arbre de la connaissance du bien et du mal et qu’elle s’était saisie de son fruit pour en consommer instantanément (Gn 3, 6). Cette fois, la dimension du temps, de l’attente, est inculquée au peuple. Car la Thora ne se réalisera pas d’un coup. Il y faudra de la patience et de l’endurance ainsi que le relais des générations.

Il faut alors revenir sur la signification du lieu dit Har Sinaï. En première acception cette expression désigne un lieu géographique, un site topographique. Mais l’on sait également que HaR désigne la conception au sens biologique et la conceptualisation, dans l’exercice de la pensée. Le don de la Thora, selon cette dernière acception, implique une ascension intellectuelle et spirituelle, un dépassement de soi, la sortie décisive des conditionnements corporels et mentaux de l’esclavage. La Thora devient ainsi le but et le moyen de cette délivrance pérenne. Et c’est lorsque le peuple a satisfait à ces préalables que le don de la Thora déclinée en dix Paroles se produit effectivement et collectivement. Elles seront désormais inscrites dans la conscience universelle et chacun en connaît le contenu (Ex, 20, 1 à 17). Il serait vain d’indiquer tous les ouvrages consacrés à l’Evénement. S’il fallait n’en retenir qu’un, l’on citera bien sûr le «Tif’éret Israël» du Maharal de Prague.

Ces dix Paroles ne sont pourtant pas isolées dans le « H’oumach ». Si elles comportent un sens intrinsèque, elles se relient structuralement aux dix Énonciations (Maamarot) par lesquelles l’Univers a été créé, comme les premiers chapitres du livre de la Genèse en rendent comptent. Les dix Paroles ne se réduisent pas à dix assertions juridiques ou même morales isolées de l’ensemble de la Création. Chacune comporte un prolongement génésiaque et permet d’éviter l’opposition et parfois l’antagonisme stérile qui affecte la théorie du droit entre partisans du droit positif et partisans du droit naturel. On en prendra un seul exemple: la IVème Parole relative à l’observance du chabbat  (Ex, 20, 8 à 11) se relie directement au chabbat de la Création divine (Gn, 2, 3). Cette corrélation structurale atteste qu’une Alliance (Berith) conjoint le Créateur au peuple d’Israël et qu’ensemble ils coopèrent désormais à la délivrance du genre humain des voies contraires à la vie dans lesquelles il a pu s’engager.

C’est sans doute pourquoi, la paracha Ytro s’achève sur une prescription dont la signification et la portée  doivent également s’élucider: ne pas accéder à l’Autel divin par «marches» afin que ne se dévoile pas « la nudité » de la personne. Que faut-il en comprendre sinon que la révélation divine se distingue complètement d’une forme d’exhibitionnisme, qu’elle récuse « l’esprit de l’escalier », qu’elle implique progression continue  et donc esprit de suite. Ce sera, logiquement, l’objet de la paracha suivante.

Raphaël Draï zal – 16 Janvier 2014


[1] Pour les prolongements de cette approche, on pourra se reporter au tome I des «  Topiques inaïtiques » : «  L’Alliance du Sinaï », Hermann, 20013.Paracha Ytro