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Paracha TEROUMA

In RELIGION on janvier 29, 2014 at 8:04

2éme série. LE SENS DES MITSVOT

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(Ex, 25, 23 à 30)

A la mémoire de notre ami  Alain Nabet (zal), du groupe des EIF de Montpellier, recréé  en 1963.

«  Et tu feras ensuite une table en bois de « chtitim », longue de deux coudées, haute d’une coudée et demie, tu la recouvriras d’or pur (…) Et tu placeras sur  cette table des  pains de propositions (leh’em panim), en permanence devant moi (lephanai tamid) » (Ex, 25, 23 à 30). (Bible du Rabbinat).

Sans disjoindre ces différents plans de l’existence charnellement humaine mais vouée à une transcendance, la paracha «Michpatim » concernait les règles de la « société civile hébraïque », avec son état de droit primordial et sa représentation de « l’être ensemble ». La paracha « Térouma », elle, concerne  la  sainteté du peuple.

Ce n’est pas que la vie sociale ou que l’immanence soient des niveaux secondaires ou triviaux de l’être, mais l’humain n’est pas statique, ni corporellement ni intellectuellement. Il se déplace et il se dépasse. La coexistence civile est à la fois une fin en soi, pour éviter le « tous contre tous » (P.A. III, 2) et le point de départ d’une vie d’un niveau encore supérieur, celui de la sanctification, de la kedoucha, selon la proposition faite plus haut: « Vous serez pour moi une souveraineté de pontifes et un peuple sanctifié (goï kadoch) (Ex, 19, 6). En quoi consiste cette sanctification pour qu’elle n’apparaisse pas «  mystique » ou éthérée?

Les versets précédents l’indiquent avec les mitsvot qu’ils énoncent. La « Table » dont il est question est à double dimension, comme le Sanctuaire, le « Mikdach » dont elle est un élément,  avec l’Arche de la Loi et la Ménorah, le Luminaire. Le « Mikdach » doit être construit et agencé selon un modèle, un tavnit, qui s’inscrit dans le Monde d’en-haut. Il doit opérer la translation, au sens quasi- mathématique, de sa structure et de ses fonctions dans le Monde d’en-bas afin de le transcender. Le mot « table » (choulh’an) est donc à  entendre selon deux sens, au sens matériel et au sens conceptuel  lorsque l’on parle par exemple de table d’orientation ou de table de logarithmes. Construit sur la racine ChLH’, ce terme désigne non pas un plan fixe mais un plan dynamique et vectorisé, littéralement « mandaté » comme l’est le chaliah’, l’envoyé, en droit hébraïque. On relèvera aussi les  contiguïtés phonétiques et de signification entre les racines ChLH’et ChLKh, le seconde désignant le «tien», l’appropriation légale, moralement légitime. Que cette table soit recouverte d’or, qui représente le matériau pur par excellence,  marque la connexion entre  la pureté (tahara) et la sainteté kedoucha; et l’on sait en outre qu’il s’agit là de deux des six Traités de la Michna, de la Loi Orale.

 Sur cette Table située au Sud du Sanctuaire, et sanctifiant cette direction qui n’est plus exclusivement  topographique ou tellurique, doivent être disposées deux  rangées de six pains chacune. Donc, dans le Sanctuaire sont mis en relation les éléments les plus immatériels de la Création: la pensée, avec l’Arche de la Loi et la lumière, avec la Ménorah d’une part; et l’élément le plus matériel: le pain, symbole de toute nourriture humainement élaborée et cela, soulignons le aussi,  lors de la période même du don de la manne, de la nourriture la plus spiritualisée durant la Traversée du désert. Une nouvelle fois les Pirkéi Avot  insisteront sur cette connexion profonde « S’il n’y pas de Thora, il n’ay pas de farine; s’il n’y pas de farine, il n’y pas de Thora » (P.A.III, 21), exemple type de cognition «simultanée» dont les termes doivent être posés l’un après l’autre dans l’espace pédagogique mais qui doivent être pensés ensemble.

C’est dans le Lévitique que seront données d’autres indications relatives à ces pains immédiatement qualifiés de « pains de visage »  pour bien indiquer qu’il s’agit non pas exclusivement d’une nourriture « physiologique » mais bien d’une nourriture à visée sociale et, à la lettre, conviviale (Lev, 24, 5 à 9). Ces pains, appelés aussi h’alot, doivent être au nombre de douze, autant que le nombre des tribus d’Israël. Ils doivent non pas constituer un amas compact mais être distribués en deux rangées de six, chacune correspondant aux six jours «oeuvrables» de la semaine. Chaque pain est donc l’élément particulier d’un ensemble cohérent, séparé des autres par un intervalle distinctif mais en même temps relié à l’ensemble des douze. Sur chaque rangée devait brûler de l’encens, lequel indique la dimension de sublimation de cette alimentation ainsi sanctifiée.

Les pains étaient changés chaque chabbat de la manière suivante: sur un groupe de huit prêtres, deux portaient les pains nouveaux (six chacun) et deux  portaient des encensoirs. Les autres avaient les mains libres. Les deux premiers devaient disposer ces pains nouveaux sur la Table du Sanctuaire au fur et à mesure que les prêtres  aux mains libres ôtaient ceux de la semaine passée de sorte que la Table ne se trouve jamais vide. Puis l’on procédait au renouvellement de l’encens selon la même gestuelle. Il fallait ainsi que les mouvements des uns et des autres fussent parfaitement coordonnées[1]. Cette fois le lien n’est plus établi entre l’élément particulier et l’ensemble auquel il appartient, mais entre le discontinu et le continu. La succession des semaines, scandée par le jour du chabbat, est évidemment discontinue mais la coordination des mouvements de deux sizaines de prêtres rétablit  par elle même la dimension de continuité.

Enfin, les pains ôtés chaque semaine devaient être consommés à l’extérieur du Saint des Saints, six en priorité par les grands prêtres, par les cohanim, en raison du degré de sainteté auquel ils étaient d’ores et déjà dévolus depuis Aharon. Les autres étaient distribués aux prêtres ordinaires qui eux mêmes formaient transition et continuité avec le peuple tout entier en vue de sa sanctification propre.

                                                                                     RD


[1] Cf.Abraham Chill, The Mitsvot, Keter, Jérusalem, 2000, p. 119.

EST-CE LE « RETOUR » DES ANNEES 30?

In ARTICLES, ETUDES ET REFLEXIONS, SUJETS D'ACTUALITE on janvier 29, 2014 at 1:46

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Lorsque ce 26 janvier 2014, en pleins Champs-Elysées, l’on a pu entendre des énergumènes, infiltrés dans une foule encolérée, « gueuler » – que l’on veuille bien pardonner la brutalité du vocable: « Juif, la France n’est pas à toi » et autres slogans antisémites, et cela, au moins jusqu’à présent, dans une complète impunité cette interrogation est fortement revenue à l’esprit. Ces années-là, qui ont précédé la seconde Guerre mondiale et la tentative d’annihilation des Juifs,  l’antisémitisme s’autorisait déjà à passer à l’acte et à investir l’espace public. On sait – mais le sait on vraiment? – ce qui s’en est suivi. C’est pourquoi toutes les questions doivent être posées et il faut ne se priver d’aucun instrument d’analyse permettant à chacun et à chacune de se faire son idée de la situation et éventuellement de prendre les décisions, individuelles et collectives, qu’elle requiert .

I.

A l’évidence, chronologiquement parlant, nous ne sommes pas – ou plus – dans ces années-là. Contrairement à une formule plus souvent rabâchée que comprise, l’Histoire ne se répète pas. Ces années-là, l’Europe émergeait difficilement d’une guerre totale, exterminatrice, qui avait laissé exsangues et mentalement disloqués ses deux principaux belligérants: la France et l’Allemagne. Depuis le début des années 20, un caporal de l’armée vaincue du Reich, ne rêvait que de revanche et avait désigné les Juifs comme l’entité maléfique, une organisation de traîtres qui avaient poignardés le Reich dans le dos en préparant la révolution mondiale par Bolcheviques interposés. Ces années-là,  le monde dit capitaliste éprouvait les répliques destructrices du séisme de 1929 tandis que le monde littéraire découvrait Céline, son « Voyage au bout de la nuit », puis « Bagatelles pour un massacre » et « L’Ecole des cadavres ». Le monde  des philosophes continuait de commenter « Sein und Zeit » de Martin Heidegger, paru en 1927, et sa thématique de la déréliction. Les psychanalystes décortiquaient « Malaise dans la civilisation » paru en 1929. L’Etat d’Israël n’existait pas et l’antisémitisme, mondain ou prolétarien, se donnait les coudées franches. Les juges allemands commençaient à  avoir peur. Les Juifs, quant à eux, pouvaient  croire à la résistance des démocraties et se considéraient pour la plupart comme la chair de la chair des pays dont ils étaient devenus les citoyens. La guerre d’Espagne éclata en 1936. Les régimes hitlériens et mussoliniens en firent la  terre d’essai de leurs techniques guerrières et de leurs armements anti-civils. La France devenait électoralement parlant celle du Front Populaire dirigé pour ses ennemis par un Léon Blum socialiste et donc juif, ou l’inverse. La deuxième guerre mondiale éclata en septembre 1939. En 1940 la France était occupée par la Wehrmacht et par la Gestapo. Le 16 juillet 1942 les Juifs de la région parisienne furent collectivement raflés  dans l’attente de leur déportation. A partir de 1943 l’aviation alliée procédait  à des bombardements massifs des villes allemandes, causant des centaines de milliers de morts. Le 27 janvier 1945 le camp d’extermination d’Auschwitz était libéré et révélait son horreur. Les 6 et 9 août 1945 les villes japonaises d’Hiroshima et de Nagasaki  se voyaient anéanties par deux explosions atomiques. Le 14 mai1948, l’Etat d’Israël était créé. Et le 26 janvier 2014 étaient éructés sur l’avenue principale de la  Ville-lumière les slogans précités. L’Histoire se répète t-elle, sachant comme l’a écrit Freud qu’en ces domaines  la répétition, mouvement électif de la pulsion de mort, est diabolique?

Chronologiquement parlant l’Histoire ne se répète pas, au sens de l’itération mécanique. Faut-il pour autant s’aveugler sur le cours qu’elle peut prendre? En réalité, dans certaines de ses zones spécifiques, l’Histoire n’a pas besoin de se répéter. Il lui suffit de se poursuivre. Les spécialistes des sciences  humaines et sociales savent que sous la discontinuité des événements – dont certains sont intentionnellement fabriqués – des constantes sont notables, des continuités profondes repérables. Il faut les identifier tout en se prémunissant contre ce que Marc Bloch dénonçait à juste titre comme « le démon de l’analogie ». La France de 2014, membre déterminant de l’Union européenne et dirigée  depuis 2012 par un président socialiste, ou affiché sous cette identité politique, n’est pas celle des années 30. Certes, mais des éléments comparables  sinon analogues doivent être relevés, sans les extrapoler indûment. En matière de pathologie personnelle ou individuelle aucun symptôme, aucun indicateur ne doit être négligé.

II.

Tout d’abord l’on ne saurait se rassurer à bon compte en mettant les manifestations actuelles d’antisémitisme sur le compte d’une « minorité ». Dans la vie individuelle comme dans la vie politique  doit être comprise l’évolutivité des phénomènes en cause. Mein  Kampf date de 1925. Hitler accède à la chancellerie du Reich en 1933, huit années après. Et c’est en 1939, soit encore six années après, qu’éclate la seconde Guerre mondiale. Durant toutes ces 15 années intermédiaires d’éminents diplomates, des écrivains, des chefs d’entreprise, des hommes de foi, des hommes d’Etat ont cru qu’il était possible de discuter avec Hitler, qu’il était accessible au principe de raison suffisante. Sauf que la pathologie qui l’avait investi n’était pas ou n’était plus accessible à ce principe. Autrement, et entre autres, eût-il attaqué l’URSS en 1942 après avoir signé un pacte avec Staline trois années auparavant?  Tout en se gardant d’amalgamer les périodes et les dates, c’est dès 1945 qu’un écrivain français et catholique d’envergure comme François Mauriac relève la reviviscence de l’antisémitisme en France, pour ne pas dire son « retour ». C’est dans les années 70 que le phénomène négationniste éclate à son tour. C’est en 2000 que plusieurs observateurs dénoncent « le nouvel antisémitisme » à visage islamiste et d’extrême gauche en se heurtant au déni de réalité des autorités politiques et judiciaire d’alors. 14 années – pas moins – se sont écoulées depuis et c’est peu dire que cet antisémitisme ne s’est pas résorbé. En janvier 2014, plus de 5,000 spectateurs sont prêts à faire au Zénith de Nantes une ovation à un prétendu « comique » dont ils ne veulent pas savoir qu’il a été condamné pénalement pour antisémitisme et haine raciale. L’Histoire ne se répète sans doute pas mais ces continuités sont flagrantes. Un torchon comme « Rivarol » en vente libre se replace dans les traces de « Je suis Partout » et son éditorialiste trempe sa plume dans la même encre que Brasillach. Un hebdomadaire de gauche, bien pensant  mais répugnant à trancher et en profonde confusion idéologique, conçoit sa couverture en forme de fausse fenêtre et place sur le même plan les suppôts de l’antisémitisme rabique et des journalistes ou écrivains qui ont le tort de ne pas être du même bord que lui.

Une différence de taille doit pourtant être relevée et au regard des années 30 et à celui du début de la décennie 2000. Cette fois l’Etat ne laisse pas faire. Depuis les années 60, l’arsenal législatif s’est renforcé. En 2005 Jacques Chirac reconnaît la responsabilité de l’Etat dans la persécution et la déportation des Juifs de France durant l’Occupation et la Collaboration. Ce discours est intégré dans la jurisprudence du Conseil d’Etat et fera référence dans son ordonnance du 16 janvier dernier qui confirme la légalité de l’interdiction préfectorale frappant le spectacle-meeting du prétendu «  comique ». Dans toute cette affaire, le ministre de l’Intérieur, soutenu par le président de la République et par la garde des Sceaux, elle même cible de propos racistes odieux en raison de la couleur de sa peau – ô Gaston Monnerville ! -, Manuel Valls donc a tenu bon. Le « comique » en question fait l’objet de plaintes pénales qui sans doute aggraveront les précédentes. Cette fois, et sous peine d’emprisonnement, il est acculé à payer les amendes dont l’organisation de son insolvabilité lui a permis de neutraliser l’impact. Les principales autorités religieuses du pays condamnent sans ambiguïté ces manifestations de haine, la perversion des esprits qu’elles encouragent, les dangers qu’elles font courir à la démocratie française dans son ensemble. De nouvelles initiatives sont prises au Parlement pour renforcer, encore et encore, le dispositif législatif qui devrait dissuader les propagateurs de cette haine à la fois froide et délirante de sévir impunément. Pourtant, l’inquiétude reste vive, les esprits troublés, l’avenir incertain. Pourquoi?

III.

 Pour tenter de répondre à cette interrogation plusieurs écueils doivent être évités mais le respect du principe de réalité doit également conserver sa prééminence.  Il faut en particulier prendre garde à ne pas conglomérer entre eux des éléments négatifs pour finir par se convaincre et convaincre autrui que la situation est sans issue et qu’elle ne saurait engendrer que désespoir et impuissance. Cette précaution prise, l’exercice d’une pleine lucidité est salutaire. La lutte contre l’antisémitisme et contre l’anti-judaïsme exige la conjonction de plusieurs solidités, sociales et culturelles, juridiques et politiques. C’est sur ces plans que de fortes vulnérabilités sont apparentes et préoccupantes.

Il semble d’abord que la décision de Manuels Valls  lui coûte  plusieurs points de popularité dans les sondages; que la décision d’interdire le spectacle du « comique » ait rebuté notamment une frange de la  jeunesse. Si son recul ne surprend pas parmi les militants du Front National, dans la  jeunesse, ou ce qui est désigné de ce terme, il doit être analysé attentivement. Dans un livre-bilan qui soulève bien plus de questions qu’il n’en résout: « La fin des sociétés », le sociologue Alain Touraine use de formules parfois surprenantes et qui pourraient être mal comprises, notamment l’affirmation selon laquelle dans la phase actuelle de la vie collective les droits doivent l’emporter sur la Loi. L’assertion fera frémir les juristes, les éthiciens et jusqu’aux psychanalystes, sans parler des croyants. Elle demanderait un commentaire plus développé mais en son énoncé même elle a fonction de symptôme. Une société en crise depuis le début des années 70, qui peine à fournir des emplois et des logements, qui a substitué l’Etat-percepteur à l’Etat providence, ne peut en outre devenir une société des censures. Au contraire, le désir de chacun est à lui même sa propre loi, qu’il s’agisse des idées, du sexe ou de l’image du corps. Et cette loi individualisée s’adosse sur des droits collectifs également absolutisés. En somme il est vraiment interdit d’interdire. Le fait même de l’interdiction obnubile son objet qui disparaît de l’écran, qu’il s’agisse d’une rave partie ou d’un spectacle antijuif. L’exercice du discernement passe après la satisfaction ludique et la manifestation de la toute puissance de soi qui est l’envers du sentiment de précarité et d’impuissance qui afflige la société du chômage et des plans sociaux à répétition.

C’est sans doute pourquoi des juristes patentés ont tiré à boulets rouges contre l’ordonnance du Conseil d’Etat au nom de la liberté d’expression. Le plus préoccupant à ce propos est cette fois la  méconnaissance de quelques principes essentiels de l’ordre juridique et de ce qu’il est convenu d’appeler l’Etat de droit en France, à commencer par la distinction entre autorité administrative – laquelle doit intervenir à titre préventif en cas de risques pour l’ordre public, et l’autorité judiciaire qui  intervient après-coup, l’action de ces deux autorités devant être nécessairement coordonnée au niveau d’un gouvernement dûment informé. Il est préoccupant de constater que pour des juristes diplômés, l’imputation d’antisémitisme avéré, judiciairement condamné, doit s’effacer devant l’expression soudainement absolutisée d’une liberté quelle qu’elle soit, comme si la liberté d’expression n’était pas limitée légalement  et comme si tout autre liberté devait s’effacer devant elle, notamment celle d’aller et de venir librement sans se voir menacé physiquement ni sentir sa vie en danger. La tuerie de Toulouse du 19 mars 2012 n’a produit à cet égard aucun enseignement.

Reste l’Etat et plus particulièrement l’Exécutif. Pour que l’Etat puisse exercer réellement son autorité il faut qu’il en ait une. L’autorité de se décrète pas. Elle naît de trois facteurs puissants et sans alternative: les résultats obtenus, la préservation de la cohésion nationale  et sociétale,  et la crédibilité personnelle. Quant aux résultats, en dépit du ressassement d’une formule incantatoire et d’une prédiction  conjuratoire la courbe du chômage ne s’inverse toujours pas, à presque deux ans de présidence Hollande. Pour la préservation de la cohésion du pays, la loi autorisant le mariage  homosexuel a sans doute satisfait quelques milliers de personnes. Elle a fait verser des centaines de milliers d’autres, agressées au cœur de leurs croyances, dans une opposition réfractaire et irréductible. Quant à la crédibilité personnelle du président de la République, il est à craindre que les révélations de la presse à scandales et que les ouragans médiatiques qui en ont résulté ne la confortent  guère, pour user d’une litote.

En conclusion – provisoire – nous ne sommes pas dans un retour des années 30. Nous sommes bien en 2014. Par bien des aspects, sur la pente prise et qui ne cesse de s’accentuer, dans les nouvelles configurations sociales et mentales de la France, ça n’est pas plus rassurant.

 Raphaël Draï

Bloc-Notes: Semaine du 20 Janvier 2014

In BLOC NOTES, SUJETS D'ACTUALITE on janvier 28, 2014 at 11:08

21 janvier.

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Avec les affaires de cœur du Président de la République, ce n’est pas seulement la séparation entre la sphère privée et la sphère publique qui se trouve mise en question. On l’a déjà dit, le domaine privé, celui du secret et de l’intime, ne mérite plus ce qualificatif lorsqu’il déborde dans les rues, sur les places et dans les médias. Il appartient aux personnes concernées d’y veiller. La véritable question est, semble t-il, celle de l’autorité dans l’Etat. A ce niveau, l’autorité ne se décrète pas. Elle résulte de la crédibilité de ceux et de celles qui s’en prévalent et cette crédibilité est elle-même assujettie à leurs conduites et à leur comportement. C’est justement l’apport de penseurs d’envergure comme John Dewey ou Michael Oakeshott d’avoir insisté à propos de la démocratie non pas sur les épures institutionnelles, finalement abstraites, mais sur la conduite vérifiable des gouvernants et des gouvernés, sur la cohérence entre les valeurs invoquées et leur incarnation, sous peine de voir ces valeurs démonétisées et ridiculisées. L’Elysée est sans doute le plus haut lieu de la République politique. Dans ses murs se tiennent les conseils des ministres, les conférences de presse, les cérémonies prestigieuses. Apprendre que s’y profèrent les hauts-cris et qu’y éclatent des scènes de ménage l’expose à une dangereuse désaffectation symbolique. On ne concevrait pas un show de Madonna à Notre-Dame de Paris. C’est d’ailleurs le sujet du roman le plus cru de Zola dans la série des Rougon-Macquart: «Pot Bouille» qui décrit l’envers bourbeux des immeubles bourgeois, lorsque les servantes nettoient les pots de chambre de leurs maîtres et qu’elles y  vont de leur analyse salace. « Pot Bouille » conduit à « La Débâcle ». S’agissant du président de la République, ses « communicants » patentés sauront certainement emballer le paquet et lui faire prononcer les mots pesés dont ils sont convaincus que c’est ceux-là qui ramèneront le calme dans les esprits et préserveront les fictions en cours. Il est trop tôt pour le savoir. Les traumatismes politiques ressemblent parfois aux hémorragies internes. Les dégâts n’en  sont pas visibles immédiatement. Cet « envers de l’histoire contemporaine » ramène la politique aux degrés d’en dessous du zéro d’autant que les autres indicateurs, notamment économiques, ne sont pas brillants. Dans sa dernière conférence de presse le président de la République, éludant  les questions sur sa vie « priblique », a cru bon de lancer la boule du « pacte de responsabilité » dans le jeu de quilles de ses opposants. La courbe du chômage n’en a cure s’il faut en croire les chiffres qui déjà circulent à ce sujet. Sur les murs de Paris sont collées des affichettes avec le slogan  sub-méditerranéen: « Dégage! ». Ce n’est pas seulement qu’il soit désobligeant et même injurieux pour l’impétrant. On ne peut surtout ignorer l’état des pays où il a été mis en oeuvre.

23 janvier.

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Conférence sur la Syrie à Paris avec Laurent Fabius comme maître des cérémonies. Indépendamment du sujet lui même, le ministre français des Affaires étrangères doit être salué comme le plus discret du gouvernement, celui qui accomplit sa tâche par tous les temps, sur tous les continents, sans dimanche ni jours fériés. Compte tenu de son CV, son mérite n’est pas mince puisque  cette discrétion n’est pas le résultat de son insignifiance. Qui sait ce que sera son avenir? En France, toutes les opinions, toutes les analyses sont frappées de précarité en attendant le résultat des élections municipales et surtout des élections européennes. Revenant à la Syrie, l’état des lieux permet de s’interroger une fois de plus sur la nature du monde arabo-musulman. Ses tropismes ancestraux le portent à l’expansion indéfinie du Dar El Islam mais en son sein ce ne sont que guerres, schismes, luttes fratricides, attentats criminels. Sur le champ de bataille syrien, Bachar El Assad ne cède toujours pas. Kerry a beau fulminer, son homologue russe n’en démord pas, et considère que le territoire syrien est stratégiquement vital pour l’empire de Poutine qui voudrait ressusciter celui des tsars, en intégrant dans leur lignée Staline et Lénine. On pensait le djihad réservé aux non-musulmans. En réalité il sévit aussi contre les musulmans jugés hérétiques ou parjures, sans que l’on puisse se faire une idée claire de ce que sont en cet univers l’hérésie et l’abjuration. L’Egypte s’est livrée à un référendum dont les résultats confirment non pas les progrès nilotiques de la démocratie mais l’ampleur des simulacres qui y sont agencés. Ce qui n’empêche pas le groupe des 22 Etats arabo-musulmans membres de l’Unesco de se liguer pour interdire une exposition sur le peuple juif et la terre d’Israël (voir « L’Unesco entre forfaiture et hypocrisie »). Israël ou « l’ennemi providentiel », comme dirait Carl Schmitt.

26 janvier.

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« Lumières d’été » de Jean Grémillon, Madeleine Robinson, Paul Bernard, Madeleine Renaud, Pierre Brasseur, Georges Marchal et d’autres, sont magistralement dirigés. Ils sont beaux, convaincants, oniriques dans cette lumière nue, toutefois passablement désincarnés au regard de l’époque. Le film est de 1942. Les peines de cœur sont attachantes mais l’on éprouve bien de la peine à voir les films ou à lire les livres de ces années là dont certains sont à n’en pas douter des chefs d’oeuvre et sont canonisés dans le Panthéon des grands classiques. Les « Visiteurs du soir » de Carné   sont également de 1942. Il faut se méfier des « flash-backs » en direction de cette époque lorsque des caméras tournaient, des pages se noircissaient, des théâtres affichaient « complet » tandis que des hommes et des femmes étaient déportés, torturés, réduits en loques et lambeaux avant de se voir transformés en cendre et en poussière de ci-devant humains. Même impression d’autre monde en compulsant les fichiers de thèses et de mémoires universitaires soutenus ces années là, en constatant  que le spectacle des idées s’était poursuivi à la Sorbonne ou dans les autres facultés de province d’où les enseignants de la stature  de Léon Brunschvicg, Jean Wahl, Raymond Aron, Vladimir Jankélévitch avaient été rayés des cadres pour cause d’origine juive. L’époque n’était pas tout à fait rationnelle. A suivre ces « lois » raciales, il eût fallu aussi décrocher les crucifix de toutes les cathédrales, églises et chapelles de France. De cette époque  défigurée, qu’est-ce qui suinte encore et toujours dans la nôtre?

 RD

L’UNESCO ENTRE FORFAITURE ET HYPOCRISIE

In ARTICLES, ETUDES ET REFLEXIONS, SUJETS D'ACTUALITE on janvier 23, 2014 at 11:58

I.

Le slogan de l’UNESCO pour le XXIème siècle est formulé en ces termes: « Construire la Paix dans l’esprit des hommes et des femmes ». Autant dire  qu’outre sa destination vers l’extérieur des murs de l’institution internationale sise à Paris, au métro Ségur, ce slogan la rappelle en tant que de besoin à sa vocation initiale, celle qui a justifié sa création à côté de l’ONU en 1945. Que son siège ait été fixé à Paris n’est pas sans signification non plus: si la Wehrmacht a défilé sur les Champs-Elysées, elle n’a pas eu l’occasion de parader à Picadilly Circus. Pour un individu comme pour une institution, la forfaiture qualifie un manquement grave, injustifiable et conscient à sa raison d’être. C’est donc ce risque qu’encourt cette institution internationale après l’annulation, maquillée en report, d’une exposition consacrée au peuple juif et à son lien avec la terre d’Israël. Une annulation qui a provoqué tant de réactions scandalisées qu’il a bien fallu que la direction générale de l’UNESCO fasse légèrement marche arrière et qu’elle transforme l’annulation définitive en « report »; comme quoi dans le jeu des institutions internationales la règle prédominante est non pas la paix des esprits mais la capacité d’affronter un rapport de forces, y compris dans le monde qui se proclame celui de la culture. Car la faute de la direction actuelle de l’institution, incarnée par la bulgare Irina Bokova, vouée à l’objectif précité, est à deux versants.

En premier lieu elle a cédé à la pression du groupe des Etats arabes, ou qualifiés comme tels, au motif qu’une telle exposition mettrait en danger les négociations israélo-palestiniennes dont chacun sait qu’elles se déroulent  précisément à la station Ségur! On s’étonnera ainsi qu’un groupe de 22 Etats arabes et musulmans soit constitué à l’UNESCO alors qu’à notre connaissance aucun autre groupe ethnique et confessionnel analogue n’y figure. En vérité, depuis que l’Autorité palestinienne a été admise comme membre de cette institution, celle-ci a été intégrée dans le champ stratégique constitué partout où il est possible contre l’Etat d’Israël. En ce sens, la politique, sous sa forme la plus détestable, a saisi le culturel, sous sa modalité la plus idéale.

Ce type de comportements n’est pas nouveau. On le croyait toutefois réservé à l’ONU, à son Assemblée générale et à  ses diverses  institutions connexes, comités et sous-comités.  Heureusement, un verrou fonctionne encore au Conseil de Sécurité, sous la forme du veto américain pour l’essentiel. On imagine d’ailleurs sans peine en quelle arène tauromachique cette même Assemblée générale serait transformée si l’Autorité palestinienne y accédait au rang d’Etat membre. Le groupe, on devrait dire, compte tenu de leur façon d’agir: la bande des Etats arabo-islamiques, renforcée d’un Etat palestinien agissant comme aiguillon, ne tarderait pas à organiser l’expulsion  du seul  Etat « juif » de cette organisation dont la paix là aussi est l’enseigne officielle principale.

A l’Unesco, pour y revenir, parée du slogan de la paix – et de la paix  tenons nous bien dans les esprits, ce groupe d’Etats chasse déjà en meute. Lorsqu’une activité ou une ligne programmatique lui déplaît, il est désormais en mesure d’exercer une pression suffisamment forte sur ses instances dirigeantes pour leur dicter sa loi. Loi dérisoire car dans les nombreuses réactions à la décision d’« annulation – report  » est chaque fois souligné à quel point chacun de ces 22  Etats éprouve de la difficulté à faire régner la paix civile à l’intérieur de ses frontières et à répondre aux aspirations de sa propre population. En revanche – c’est le cas de le dire – la haine d’Israël y est le plus sûr facteur d’aimantation collective. En l’occurrence, la directrice actuelle de l’ONU a manifestement manqué à sa responsabilité primordiale: faire respecter quoi qu’il puisse en coûter la vocation de l’institution internationale qu’elle a voulu diriger. Dans la vie personnelle comme dans la vie publique, il n’est pire plaie que de prétendre a des responsabilités pour lesquelles on n’a pas été taillé(e) et que l’on n’assume pas. De ce point de vue, la reculade dans la reculade des institutions dirigeantes de l’UNESCO, ajoutant l’hypocrisie à la forfaiture, et contraintes de n’évoquer à présent, on l’a dit, qu’un «report», ne fera qu’aggraver la suspicion pour ne pas dire le discrédit qui l’affecte auprès d’hommes et de femmes pour qui le mot « paix » n’est pas le faux nez du mot « guerre » et qui ne se sont jamais insurgés lorsque la culture islamique, là ou ailleurs, a été célébrée et mise en évidence pour un public qui n’y avait pas spontanément accès. Voilà pour le décalage entre la vocation officielle et le fonctionnement effectif. Reste le fond.

II.

 Au fond, ce que le groupe des Etats arabes affiliés à l’UNESCO n’a pas toléré, c’est qu’une exposition mette en évidence le lien du peuple juif avec la terre d’Israël. Ce lien ne doit pas exister puisque les ennemis de l’Etat d’Israël et leurs alliés ont décrété son inexistence et qu’ils l’ont frappé d’interdit. De ce point de vue également, la dimension  spécifiquement politique de cet anti-sionisme qui est bien une maladie de la raison, le cède à une autre affliction de l’esprit: le révisionnisme, lequel n’a pas qu’une face. Pour les suppôts initiaux de cette pathologie mentale les chambres à gaz n’ont pas réellement existé. De même pour le révisionnisme à visage islamique, il n’y a pas de lien  entre l’Etat d’Israël et le peuple juif, ni entre le peuple juif et cette terre dont le nom de « Palestina »  lui a été conféré par la Rome impériale avant la naissance de l’Islam. Sur cette lancée, les récits bibliques qui remontent à l’aube de la conscience humaine ne sont qu’inventions, forgeries et lubies de même que les récits évangéliques,  sauf lorsqu’ils sont sollicités pour faire la preuve de l’immémorialité de la parole coranique. A cet égard Abraham a été le premier musulman, à moins que ce ne fût Adam dont l’épouse, Eve la pécheresse,  inventa, à n’en pas douter, le premier voile féminin de la Création. Le dernier venu parmi les peuples se réclamant du monothéisme n’a eu et n’a de cesse de cesse que d’en expulser les deux premiers pour s’y subroger théologiquement et pour s’établir physiquement à leur place en réclamant de leur part obédience religieuse et soumission politique. Ce révisionnisme, encore innommé comme il le devrait, n’opère pas exclusivement à l’encontre de l’histoire des Juifs et des chrétiens. Il sévit à rebours de la véritable histoire d’un Islam très vite sorti des limites de son Arabie natale pour se lancer militairement à la conquête de la totalité du monde connu et habité, faisant presque oublier l’Empire romain tout en retrouvant les balises. Toutes les terres conquises hors de ces limites n’ont pas été subjuguées sur le seul plan militaire et politique. Elles ont été dés-identifiées, linguistiquement, topographiquement et du point de vue mémoriel. Les théologies des peuples concernés ont été elles aussi mises au format des conquérants. La  seule mémoire acceptable fut précisément celle qui justifiait ces conquêtes par vive force puis les emprises sur le corps et sur  les esprits  qui en résultaient.

Une emprise qui ne fut  pas toujours entérinée par ses objets. Dés que les populations dominées furent en mesure de prendre les armes, elles entreprirent comme en Espagne la reconquête de leurs terres premières. Et ce fut au tour des populations islamisées d’être subjuguées et parfois contraintes à l’exil, à moins de se convertir. C’est cette  entreprise de conquête et de domination universelle qui explique, sans bien  sûr le  justifier, le barrage érigé, mentalement phobique, contre les entreprises de remémoration concernant les terres conquises par les armées mahométanes. Ce n’est pas seulement qu’elles aboutissent à mettre en cause la souveraineté originelle de l’Islam géographique, si l’on pouvait ainsi le caractériser. Elles rappellent du même coup un autre fait « originel » et source de dé-légitimation  morale et juridique: le  fait même de ces  conquêtes violentes, par force armée  et pillages, de terres situées parfois  à des milliers de kilomètres de l’Arabie. Et cela dans une phase du temps actuel qualifié  de « post-colonial », après qu’ont été durement mises en cause les emprises colonialistes occidentales des XIXème et XXème siècles. En somme, si l’anti-colonialisme stigmatise des régimes d’exploitation invétérée préparés par des conquêtes violentes, l’Islam politique et militaire n’en est pas exempt. Au contraire: il en constitue l’une des configurations  patentes. Au lieu de l’admettre et d’en tirer les enseignements, les Etats arabes  décolonisés, au sens de l’Occident, ne veulent plus entendre évoquer leur propre origine prédatrice et interdisent que d’une manière ou d’une autre ces faits  brutalement refoulés reviennent  dans le réel.

On ne se serait pas livré à cette analyse si, précisément, la vocation de l’Unesco, définie par ses propres instances, n’avait pas été de bâtir la paix dans les esprits. La notion même d’esprit se trouve déniée par ces pressions de masse multitudinaires qui ne  peuvent se rapporter  à rien d’autre en effet qu’à un inavouable révisionnisme  propagé par tous les moyens du terrorisme diplomatique et culturel, si ces qualificatifs pouvaient le moins du monde s’accoler à un substantif de cette nature.

La paix dans les esprits  ne sera qu’un vain slogan tant que l’Islam, au sens expansif, n’acceptera pas un double bornage: le premier théologique, celui d’être un visage du monothéisme, et un seul, apparu après les deux premiers et s’étant d’ailleurs nourri d’eux; et l’autre, politique et culturel: l’univers existait avant que l’Islam n’advînt et il en a conservé une mémoire plus que vive.

On ne terrorise pas la mémoire de l’humanité.

Raphaël Draï zatsal, 23 Janvier 2014

DIEUDONNE, SUITE, MAIS NON PAS… FIN – Actu J 23 Janvier

In ActuJ, SUJETS D'ACTUALITE on janvier 22, 2014 at 11:06

Dans « l’affaire Dieudonné », l’on pouvait penser que le recours à la justice était le plus sûr moyen  de régler définitivement le grave conflit  en cause et de respecter l’Etat de droit. C’est en ce sens que la décision initiale du Tribunal administratif de Nantes, saisi en urgence par les conseils du « comique », selon la procédure dite du référé-liberté, et autorisant la tenue de son spectacle, pouvait susciter de légitimes préoccupations. N’avait été l’appel intenté contre cette décision, également en urgence, par le Ministre de l’intérieur on imagine sans peine l’exultation d’un Dieudonné  pénétrant sur la scène du « Zénith », acclamé par 5 000 spectateurs, et faisant entonner « Shoah Ananas ». Seulement, le Conseil d’Etat, lui, a validé la décision préfectorale annulant ce prétendu spectacle pour risques de troubles à l’ordre public et  atteinte antisémite au principe du  respect de la dignité humaine. Lorsque dans les heures qui ont suivi l’ordonnance de la plus haute juridiction administrative, Dieudonné lui même affirmait renoncer à ce « spectacle » aux saillies antijuives et qu’il n’y avait plus d’« affaire » affligée de son nom, l’on pouvait certes se rassurer au titre du respect de l’Etat de droit et du retour au calme. Il  a fallu rapidement déchanter pour au moins trois raisons. La première est liée à la réaction de certains juristes tirant à vue sur le Conseil d’Etat et mettant en cause la validité de son ordonnance. A  leurs yeux, le respect de l’Etat de droit en France prohibe, en matière de liberté d’expression,  les interdictions préventives et générales assimilables à une véritable censure anti-démocratique. Si Dieudonné devait être sanctionné c’était, éventuellement, à titre proprement répressif, au cas où il aurait repris ses sketches marqués d’antisémitisme. Cette critique apparaît, elle-même, fortement critiquable en ce qu’elle méconnaît la différence capitale entre autorité administrative et autorité judiciaire. La première est fondée à intervenir préventivement  en cas de risque sérieux et avéré de trouble à l’ordre public. Or, d’une part, l’ordonnance du Conseil d’Etat rappelle par sa jurisprudence que Dieudonné a déjà fait l’objet de sept condamnations pénales pour antisémitisme, dont plusieurs à titre définitif, et d’autre part que l’antisémitisme, depuis la déclaration de Jacques Chirac  en 1995  sur l’emplacement du Vel d’Hiv, est par lui- même constitutif du trouble à l’ordre public tel qu’il est entendu en droit public. L’antisémitisme, quelles qu’en soient les manifestations, est antinomique avec le concept de liberté, quelles qu’en soient les expressions. C’est pourquoi aussi l’ordonnance du Conseil d’Etat a été suivie par les tribunaux administratifs de Tours et d’Orléans et qu’elle a été invariablement confirmée par la Haute Juridiction. Il n’empêche que cette position a été, tout aussitôt, obliquement imputée au magistrat qui avait présidée l’instance d’appel, en raison de ses « origines ». Imputation odieuse relevée par le Vice-Président de l’éminente juridiction, lequel  rappelait que le même magistrat avait présidé, il y a peu de temps, l’instance autorisant le Front National  à tenir son université d’été. On relèvera alors dans la foulée la polémique opposant Philipe Bilger, ancien magistrat, et Jean- François Copé lequel avait approuvé l’ordonnance du Conseil. Pour ce magistrat reconverti dans la parole polémique, le président de l’UMP avait pris une position « communautariste ». Disons le  en  clair: en raison de ses « origines ». Certes Jean- François Copé a répliqué à ces insinuations mais il eût été sans doute préférable que  cette réponse enfonce le clou. La réplique s’est formulée sur le mode encotonné de la prétérition. Combien sont-ils à penser à voix haute ou à voix basse comme Philipe Bilger, institué porte-parole de l’on ne sait quelle majorité silencieuse devant l’on ne sait quelle lobby? On relèvera encore la réaction de Marine le Pen, d’abord fort précautionneuse en la matière. Elle aussi s’est déchaînée contre un Conseil d’Etat jugé liberticide et s’est inscrite dans le camp de Dieudonné. Il faut souligner enfin que si, à la suite  de ses décisions courageuses et qui lui confèrent une véritable stature d’homme d’Etat, Manuel Valls perd quelques points dans certains sondages, il est en recul surtout parmi les militants et sympathisants de la formation dirigée par Marine le Pen dont le naturel idéologique, trop longtemps tenu en bride,  revient ainsi au galop. A l’approche de deux importantes consultations électorales, il importe plus que jamais sous la Vème république de conforter le lien entre liberté et responsabilité. A suivre…

Raphaël Draï – Actu J 23 Janvier

Paracha de la semaine – 2ème Serie – Le Sens des Mitsvot: Michpatim

In RELIGION on janvier 20, 2014 at 11:05

2ème série. LE SENS DES MITSVOT

 PARACHA MICHPATIM

                                    18Michpatim14

Qu’est ce qu’une mitsva? La traduction la plus approchée proposerait « règle » ou « norme » de conduite. Ce qui implique la définition préalable de ce que « norme » signifie. Il n’est pas question d’entrer dans les débats nés de cette tentative de définition. Une norme est-elle exclusivement juridique ou comporte telle également des dimensions morales? Dans la Thora, la mitsva est bien une norme mais qui ne divise pas le droit et l’éthique. Elle est indissociablement juridique et morale, fin et moyen. Son principe générique remonte au « Gan Eden » lorsque le récit de la Genèse relate que le Créateur y disposa l’Humain auquel il enjoignit la première mitsva, explicite( vaytsav): consommer de tout ce que le Jardin produira, sauf de l’Arbre de la connaissance du Bien et du Mal ( Gn,2, 16).

 Par où l’on comprend déjà que toute mitsva se rapporte à ce tout premier acte de discernement: entre le Bien –qui conforte le processus de la Création; et le Mal, qui  lui fait obstacle. Dans ces conditions que signifie michpat? Ce mot éclaire la dimension  proprement prescriptive de la mitsva, la manière dont il importe assurément de s’exprimer et de se conduire de telle sorte que le mouvement de la Création l’emporte sur la propension contraire. C’est pourquoi, immédiatement après la paracha « Ytro » dont on pourrait dire qu’elle définit d’une part le droit constitutionnel d’Israël et d’autre  part les grands principes de l’institution judiciaire, la paracha « Michpatim » décline les principales normes concrètes de droit civil, de droit pénal,  et de droit social inhérentes au peuple des anciens esclaves, tout juste libérés de leur servitude et qui doivent faire l’apprentissage simultané de la liberté et de la responsabilité. Afin d’illustrer ce que michpatim veut dire à cet égard l’on prendra un exemple.

Le Sepher Chemot dispose – nous suivrons pour commencer la traduction de la Bible du Rabbinat – : «  Si des hommes se prennent de querelle et que l’un frappe l’autre (ich eth réêhou) d’un coup de pierre ou de poing sans qu’il en meure mais qu’il soit forcé de s’aliter, s’il se relève et puisse sortir appuyé sur un bâton, l’auteur de la blessure sera absout (venékka ). Toutefois il paiera le chômage (chivto yten ) et les  frais de la guérison ( vérapo  yérapé ) » ( Ex, 21, 18, 19).

En quoi ce michpat concerne t-il les différentes branches du droit que l’on vient de mentionner? Pour bien le saisir, il faut reconnaître l’une des lignes de force de cette paracha qui ressemble, en première vue, à un catalogue de permissions et d’interdits sans logique interne. En réalité cette logique apparaît dans la distinction capitale entre droit civil et droit pénal, le droit social et le droit médical intervenant à titre médiateur. A bien les lire, les versets précédents  mêlent des données civiles et des données pénales. Frapper son prochain, es qualités et non pas simplement « quelqu’un d’autre », avec une pierre ou avec le poing, relèverait  du droit pénal. Il s’agit bien d’une agression ou à tout le moins d’un passage à l’acte. Comment expliquer que l’auteur d’un acte de cette sorte puisse s’en acquitter par un simple dédommagement?

Les michpatim en question se distribuent, on l’a dit, en deux premières catégories: ceux qui relèvent du droit civil, lequel  se rapporte aux incidents et accidents de la vie quotidienne, et ceux qui relèvent d’une intention délibérée, parfois préméditée, de nuire. Pour un peuple libre, la première catégorie doit recevoir une application extensive, la seconde s’avérer d’interprétation stricte et même « strictissime  ».

La question se pose ainsi à propos des deux versets précités puisque le passage à l’acte pris en compte aurait pu causer la mort de la victime mais que, par chance, cette issue fatale ne s’est pas produite. L’intrication de ces deux  champs juridiques: civil et pénal, dans ces deux versets, ouvre  à la nécessité pour le tribunal compétent de différencier déjà ces deux domaines. Ce n’est pas parce qu’un acte aurait pu avoir des conséquences fatales qu’il doit être immédiatement rangé dans la catégorie pénale, avec le risque encouru de la peine capitale, si elle pouvait s’appliquer. Dans tous les cas, le droit civil doit prendre le pas dès lors que les causes du fait générateur d’un tel dommage rendent cette primauté possible, légalement parlant.

Seulement, ce n’est pas parce que l’auteur du dommage serait acquitté – sous- entendu de l’intention criminogène – qu’il en a fini avec son jugement. Sitôt le dommage matériellement constaté – notamment par une claudication visible-il doit être objectivement et subjectivement réparé, d’abord au regard de l’arrêt de travail et ensuite au regard des soins engagés par la victime. L’important reste la réparation et le retour autant que possible à une vie normale, le lien social (réoût ) se trouvant par là – même lui aussi réparé, autant qu’il puisse l’être. On sait, suivant le commentaire de Rachi ( ad loc ) que c’est à partir de l’axiome « vérapo yrapé » que se développe tout le droit médical d’Israël dont on trouvera les bases essentiels dans les traités talmudiques concernés, notamment Baba Kamma (85 a)[1].

Une dernière observation à ce propos soulignera cette fois les intrications du droit positif avec les grands principes organisateurs de la vie du peuple. L’arrêt de travail  de la victime est désigné par l’expression chivto. Il n’est pas impossible que cette expression se réfère à un degré encore plus élevé  de significations. Le mot: « arrêt » (ChiB (v) To) est construit sur la même racine que le mot ChaBbaT. Tout se passe comme si cette  identité de racine indiquait que la cause la plus « générique »  du dommage se trouvait aussi dans un dysfonctionnement de l’institution chabbatique – avec ce qu’elle comporte de scansion des énergies physiques  et d’incitation à la réflexion –  ayant causé une contrariété de l’esprit et un trouble du comportement prédisposant au passage à l’acte  porté devant le tribunal. Car – et l’on n’y insistera jamais assez – l’existence même des michpatim, distribués comme ils le sont dans cette paracha, conforte l’interdit majeur et originel de se faire justice soi même.

 

 


[1] On se permettra de renvoyer aux « Topiques sinaïtiques », tome III, « La Justice, le droit et la vie », Hermann, 2013.

Bloc-Notes: Semaine du 13 Janvier 2014

In BLOC NOTES, SUJETS D'ACTUALITE on janvier 20, 2014 at 9:47

15 janvier

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« Vous avez vu ce qu’il a fait à cette pauvre Trierweiler » demande dans l’autobus une dame aux cheveux mauves à sa vis- à – vis, munie des premiers brins de mimosa. Et celle-ci de répondre, comme si elle était de la famille: «  Il faut dire qu’elle n’était pas très sympathique!  La « nouvelle » est beaucoup mieux ». Vie privée? Vie publique? Une vie privée qui se commente dans les autobus de la RATP est elle encore privée? Et imaginons un instant, ce qu’à Cupidon ne plaise, que le président de la République, juché sur un scooter la nuit venue pour s’en aller rejoindre « la nouvelle » glisse, chute et que sa tête heurte le trottoir. Vie privée? Vie publique? Accident du travail ou coup du sort? Le fils de Louis-Philippe est mort après que son cheval avait buté sur une dénivellation de pavé  parisien, rue de la Révolte. Gardons nous cependant de toute  grandiloquence et évitons de citer pour la  nième fois la phrase – d’ailleurs sortie du contexte – de Malraux relative à la vie: « ce misérable petit tas de secrets ». Tous les philosophes, sans parler des psychanalystes, ont insisté sur le caractère composite et parfois totalement clivé de la personnalité humaine. Le jour ceci, le soir cela, et à minuit autre chose, ou quelqu’un d’autre. A quoi l’on objectera que nul n’a l’obligation d’être candidat à la magistrature suprême de son pays et que lorsqu’on y prétend il faut se soucier d’une cohérence minimale des comportements. DSK, pour le désigner par son sigle, a chèrement payé pour s’en persuader. Alors que le chômage ne cesse de progresser en France, que l’affaire Dieudonné y signale un taux élevé d’anoxie, que le budget dérape à cause de l’atonie des rentrées fiscales; alors que l’on ne parle plus que d’exil, d’évasion et du recrutement de djihadistes français par centaines sur les fronts syriens, voilà à quoi est occupée la sphère politique: à justifier ou à condamner les ébats du président actuel, chacun mesurant ses paroles à l’aune de ses propres conduites, avouables ou inavouables. On songe irrésistiblement au film de Zhang Ymou « Epouses et concubines » sur le  jeu de chaises musicales composé par le seigneur des Lieux, Chen Zuo Quiam, entre les nombreuses concubines qui exaltent en son logis, selon l’ordre par lui prescrit et la faveur de l’instant, son hyper-virilité. Qu’en sortira t-il? L’image du président de la République sera t-elle un peu plus dégradée? Se poser la question c’est supposer qu’il dispose encore d’une image. « Vous verrez » dit ce spécialiste des médias « il finira par épouser Valérie ou Julie et cette séquence  sera terminée ». Tout le drame tient dans ce vocabulaire: la vie politique découpée en séquences étanches,  comme un film de série B, avant montage. Dur de descendre de la conception hégélienne de l’Etat comme « accession à la conscience de l’universel » aux photos clandestines de Water-Closer. Un exemple de toute beauté pour les jeunes dealers des quartiers  difficiles, à qui l’on fait la leçon sur le respect d’autrui et la préservation élective du lien social. Mais pour reprendre une phrase célèbre « La question ne sera pas posée ». Ou si peu.

16 janvier.

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En effet selon les confidences d’un agent des RG plusieurs centaines de djihadistes recrutés en France et en Europe  combattraient actuellement sous l’emblème d’Al Qaida, notamment en Syrie, et d’évoquer à ce propos un recrutement « d’usine ». Ce constat ne laisse pas d’être particulièrement préoccupant. Comment expliquer que les RG le sachent et le chiffrent mais qu’ils ne puissent l’empêcher? Ces recrutements ne s’opèrent pas dans n’importe quels quartiers. Les viviers sont connus et recensés. Les filières d’exflitration sont repérées. Pourquoi cette aboulie? Comment des parents peuvent-ils être dupes des prétextes fournis par tel ou tel de leur fils lorsqu’ils savent que celui-ci vient de se convertir à l’Islam, ou à ce qui en tient lieu, et qu’il leur annonce partir en voyage touristique pour plusieurs mois, alors qu’il est sans travail et qu’il vit  la plupart du temps chez papa- maman? Sur le Net circule le texte d’une brève allocution, violemment comminatoire, de Poutine devant le Parlement russe et saluée par une « standing ovation » de plusieurs minutes. Poutine y intime l’ordre aux minorités musulmanes d’obéir non pas à la shariâ  mais à la loi nationale, ou sinon d’aller voir ailleurs si le Prophète saura les accueillir. Puis de citer la France et la Hollande comme exemple de pays islamiquement sinistrés, engagés sur une pente impossible à remonter. A part quoi, le dialogue inter-religieux mondain se poursuit, avec force prières mutuelles et partage de transcendances. Qui niera l’importance du dialogue inter-religieux pour la paix des âmes et pour la paix civile! Mais qui peut s’en contenter lorsque les RG en arrivent au constat de ce prosélytisme fanatisé? Revient irrésistiblement à l’esprit la formule de Tocqueville sur la fête, en apparence unanimiste, de la Fédération en 1790: « On ne parle que de ce qui unit et l’on se tait sur tout ce qui divise ». D’un côté la Tunisie accouche dans la douleur d’une constitution compatible avec les droits de l’Humain, de l’autre Mérah et Dieudonné sont devenus les héros d’une population pulsionnellement déliée, pour qui la vie a moins de piquant  que la survie.

19  janvier.

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Plus les temps sont asphyxiants moins il faut se désister de son esprit et jeter son âme aux orties. Le recueil des discours et allocutions prononcés par les prix Nobel  de littérature et réunis par Eglal Errera y aide grandement. Dans chacun de ces textes s’entend  la profession   de foi d’hommes et de femmes brusquement promus à la dimension  planétaire par la  volonté posthume  d’un inventeur qui avait su ne mettre au point que des explosifs. Exemple réussi de blanchiment moral ? Peu importe. Ces « bilans » de romanciers, de poètes ou de philosophes sont  revigorants. L’Académie suédoise tient à ne négliger aucune langue, aucun genre, aucune religion. Une fois ces  textes lus pour eux mêmes, l’on est porté à les rapprocher en grandes transversales, découvrant d’étonnants points communs entre celui du chrétien Mauriac et celui du juif  Agnon, l’un citant l’Evangile et l’autre le Talmud ;  entre Camus et Bellow, entre Sefeirt  le tchèque et Nelly  Sachs, l’allemande, entre Naguib Mahfouz et Isaac Bashevish  Singer. Avec des antinomies irréductibles. L’allocution de Cholokhov est de la pure langue de bois soviétique, servile et stéréotypée. La rapprocher de celle d’Alexandre Soljenitsyne  permet de comprendre pourquoi l’URSS a disparu. On subodore également pour quelle raison Sartre de son côté a refusé le noble prix en 1965: sans doute parce que Mauriac  et Camus l’avaient obtenu avant lui!  Et puis, cette lecture progressant, et la liste des auteurs intégrés dans l’ouvrage rapportée à celle de la liste exhaustive des candidats du Nobel, bien des regrets apparaissent. Dommage que n’y figure pas le discours de Bergson, ni celui de Mommsen, ni celui de Churchill. On se rattrapera  grâce à Bertrand Russell dont la bafouille de remerciements  comporte  des passages  désopilants. Il faut  imaginer d’ailleurs la tête leurs Majestés suédoises en 1950…Et puis il y a tout ceux et toutes celles qui n’ont pas été labellisés «  Nobel » mais qui méritent néanmoins d’être lus: Héraclite, Platon, Plotin, Dante, Maimonide, Ibn Khaldoun, Louise Labé, Leibniz, Somadeva, Molière, Swift, Jane Austen, Proust, Joyce,  etc.. etc..

Paracha Ytro

In RELIGION on janvier 16, 2014 at 12:29

17 Yitro 1

 (Ex, 18, 1 et sq)

Après la traversée de la « Yam Souf », la « Mer de la fin » – fin de l’esclavage externe – cette paracha est essentiellement dévolue au don de la Thora, à l’événement sinaïtique par excellence. Pourtant l’ascension spirituelle du Sinaï n’y est pas décrite immédiatement.

La paracha débute par le récit des circonstances dans lesquelles, Ytro, le pontife de Midian et beau-père de Moïse, rejoint ce dernier et tout le peuple des Bnei Israël. Rencontre physique autant que spirituelle. Ytro se joint désormais de cœur avec le peuple libéré parce qu’il fait sienne l’histoire de la libération des champs de corvée et qu’il reconnaît pour sien le Dieu libérateur et rédempteur. En même temps, il ramène à Moïse ses deux fils et son épouse restés auprès de lui pendant tout le temps qu’a duré la première phase de cette libération en Egypte même. Pourquoi cette précision qui pourrait paraître secondaire? Justement pour souligner que durant tout le temps qu’a duré également la séparation de Moïse d’avec Tsipora et d’avec Guerchom et Eliêzer, le lien conjugal et paternel a été préservé. Ytro n’est pas Laban. C’est pourquoi Moïse se porte à sa rencontre et qu’ensuite les Anciens, les Zekénim, Aharon en tête, participent avec lui aux sacrifices d’actions de grâce (Ex,18, 12). Ce qui au passage fait justice du stéréotype multiséculaire relatif à l’enfermement religieux d’Israël, à l’atrophie de son sens de l’Universel. La paracha consacrée au don de la Thora commence précisément par ce récit de conjonction entre êtres qui ne partagent pas d’emblée les mêmes croyances mais qui finissent par se rejoindre parce qu’un sens transcendant les chevilles à présent les uns aux autres. C’est sous cette lumière que le peuple s’approche du  » Har Sinaï « , désignation sur laquelle on reviendra. La leçon d’universalisme n’est pas achevée. Elle se poursuit par un autre enseignement, un autre apport de Ytro à l’organisation vitale du peuple d’Israël.

Le pontife de Midian constate que Moïse siège seul en permanence au tribunal, du soir jusqu’au matin. A ses yeux, ce n’est pas bonne justice. Il recommande à son beau-fils d’adopter une autre manière de procéder : déléguer la compétence juridictionnelle qu’il semble détenir exclusivement à une véritable institution judiciaire qui puisse juger sans désemparer, dans les meilleurs délais et au plus proche des justiciables. Moïse l’écoute, quitte à reformuler cette recommandation selon les exigences spécifiques du peuple d’Israël. Pour souligner une fois encore que le don de la Thora ne replie pas ce peuple sur lui-même, que ce peuple comporte une dimension assurément universaliste puisque, on ne le relèvera jamais assez, l’organisation d’une institution judiciaire efficiente est le préalable au don des dix Paroles.

Ce don lui-même est conditionné par d’autres avertissements concernant la position du peuple au moment où les dix Paroles vont être révélées. Le peuple ne doit pas se précipiter pour « voir » ou pour « toucher ». A l’évidence, ces avertissements qui donnent le sentiment que le peuple se trouve devant un lieu électrifié à haute tension, font écho à la toute première paracha de la Thora et au récit de la première transgression lorsque, en dépit du commandement divin, H’ava avait porté la main sur l’Arbre de la connaissance du bien et du mal et qu’elle s’était saisie de son fruit pour en consommer instantanément (Gn 3, 6). Cette fois, la dimension du temps, de l’attente, est inculquée au peuple. Car la Thora ne se réalisera pas d’un coup. Il y faudra de la patience et de l’endurance ainsi que le relais des générations.

Il faut alors revenir sur la signification du lieu dit Har Sinaï. En première acception cette expression désigne un lieu géographique, un site topographique. Mais l’on sait également que HaR désigne la conception au sens biologique et la conceptualisation, dans l’exercice de la pensée. Le don de la Thora, selon cette dernière acception, implique une ascension intellectuelle et spirituelle, un dépassement de soi, la sortie décisive des conditionnements corporels et mentaux de l’esclavage. La Thora devient ainsi le but et le moyen de cette délivrance pérenne. Et c’est lorsque le peuple a satisfait à ces préalables que le don de la Thora déclinée en dix Paroles se produit effectivement et collectivement. Elles seront désormais inscrites dans la conscience universelle et chacun en connaît le contenu (Ex, 20, 1 à 17). Il serait vain d’indiquer tous les ouvrages consacrés à l’Evénement. S’il fallait n’en retenir qu’un, l’on citera bien sûr le «Tif’éret Israël» du Maharal de Prague.

Ces dix Paroles ne sont pourtant pas isolées dans le H’oumach. Si elles comportent un sens intrinsèque, elles se relient structuralement aux dix Énonciations (Maamarot) par lesquelles l’Univers a été créé, comme les premiers chapitres du livre de la Genèse en rendent comptent. Les dix Paroles ne se réduisent pas à dix assertions juridiques ou même morales isolées de l’ensemble de la Création. Chacune comporte un prolongement génésiaque et permet d’éviter l’opposition et parfois l’antagonisme stérile qui affecte la théorie du droit entre partisans du droit positif et partisans du droit naturel. On en prendra un seul exemple: la IVème Parole relative à l’observance du chabbat  (Ex, 20, 8 à 11) se relie directement au chabbat de la Création divine (Gn, 2, 3). Cette corrélation structurale atteste qu’une Alliance (Berith) conjoint le Créateur au peuple d’Israël et qu’ensemble ils coopèrent désormais à la délivrance du genre humain des voies contraires à la vie dans lesquelles il a pu s’engager.

C’est sans doute pourquoi, la paracha Ytro s’achève sur une prescription dont la signification et la portée doivent également s’élucider: ne pas accéder à l’Autel divin par «marches» afin que ne se dévoile pas « la nudité » de la personne. Que faut-il en comprendre sinon que la révélation divine se distingue complètement d’une forme d’exhibitionnisme, qu’elle récuse « l’esprit de l’escalier », qu’elle implique progression continue  et donc esprit de suite. Ce sera, logiquement, l’objet de la paracha suivante.

Raphaël Draï zal – 16 Janvier 2014

* Avec le commentaire de la paracha Ytro s’achève le premier cycle annuel de nos commentaires du Pentateuque.

Il se poursuivra, si le Créateur nous prête vie, non par une nouvelle reprise narrative de ces parachiot mais cette fois, à propos de chacune d’elle, par le commentaire d’une des mitsvot qui y apparaissent.

Bonne continuation.

 


[1] Pour les prolongements de cette approche, on pourra se reporter au tome I des «  Topiques Sinaïtiques » : «  L’Alliance du Sinaï », Hermann, 20013.

Bloc-Notes: Semaine du 6 Janvier

In BLOC NOTES, SUJETS D'ACTUALITE on janvier 14, 2014 at 2:32

9 janvier.

section-interieur

Je ne sais si la notion de suspense peut avoir cours dans la vie juridictionnelle, mais comment qualifier autrement l’attente qui a marqué ce jeudi la décision du Conseil d’Etat après que le tribunal administratif de Nantes avait autorisé la tenue, si l’on ose dire, du spectacle, si l’on ose dire encore, de Dieudonné maintes fois condamné pénalement pour propos antisémites? Le tribunal de Nantes avait rendu d’urgence son jugement en début d’après midi. A 17 heures 30 la formation ad hoc du Conseil d’Etat se réunissait et pratiquement une heure plus tard la messe était dite: l’annulation préfectorale du « spectacle » se voyait validée légalement ( Cf. « La force de la loi » ).A n’en pas douter, l’ordonnance, pour la qualifier de son nom spécifique, de la plus haute juridiction administrative fera couler beaucoup d’encre. Mais l’encre est moins onéreuse que le sang, même s’il arrive que les deux substances se mélangent. Dans cette « affaire » deux éléments de débat, entre autres, retiennent l’attention. D’abord celui sur la notion même de liberté d’expression. Ses partisans se recrutent dans les deux camps mais pas dans le même sens. Pour les suppôts de Dieudonné, cette liberté doit être inconditionnelle et ses mauvais usages éventuels sanctionnés certes mais après-coup. Autant le dire clairement, sachant, répétons le, que le « comique » a déjà fait l’objet de plusieurs condamnations pénales à ce propos: il faudrait laisser Dieudonné récidiver et, au fond, jouer les ventriloques pour tous ceux et celles qui n’ont pas le courage de déclarer ouvertement leur antisémitisme personnel. Pour ses  adversaires, la liberté-en-soi est à contre-sens. Toute liberté est bornée par le souci d’autrui et ce bornage se nomme responsabilité. C’est sans doute ce qu’en langage légal le Conseil d’Etat vient de rappeler. La liberté ne consiste pas pour un fumeur à jeter son mégot allumé dans la pinède, en plein mois d’août, puis à alerter les pompiers pour éteindre un incendie qui laissera des hectares et des hectares complètement carbonisés. Dans ces conditions, si comme le dit l’adage on a vingt quatre heures pour maudire ses juges, on a plus de temps encore pour les bénir, en toute laïcité. L’autre élément du débat est relatif à l’action même du Ministre de l’Intérieur. Sans avoir besoin de jouer les détectives, ses ennemis ont bien tenté de transformer l’affaire Dieudonné en piège mortel pour le potentiel futur candidat présidentiel dont Manuel Valls prend de plus en plus les dimensions. Les bruits qui courent sur les galipettes du président de la République ne vont pas calmer les janissaires.

10 janvier.

220px-Ariel_Sharon,_by_Jim_Wallace_(Smithsonian_Institution)

Les médecins israéliens de plus en plus sceptiques sur l’évolution du coma dans lequel Ariel Sharon est plongé depuis huit années, à supposer qu’un comateux ait le moindre sens de la durée. Dans l’histoire de l’Etat d’Israël, quelle figure aura été plus tragique et controversée que la sienne! Coté pile, la percée du déversoir en 1973 et l’encerclement fatal de l’armée égyptienne ;  côté face la guerre du Liban et le massacre de Sabra et Chatilla. « Il faut juger un homme à son enfer » a écrit Marcel Arland. Comment ne pas y repenser en découvrant chaque jour les massacres qui, cette fois, se déchaînent en République Centre Africaine et, là encore, entre chrétiens et musulmans!  Dans Bangui, la capitale chaotique, les chrétiens qui parviennent à se saisir de musulmans n’en laissent que des tronçons avant de les brûler, tandis que les éléments de la Séléka bombardent  à l’arme lourde les chrétiens réfugiés dans les temples et dans les Eglises. Le tout sous le regard des troupes françaises  qui ne savent où donner du fusil d’assaut et qui ne peuvent plus secourir personne!  Et ces troupes là, contrairement aux unités de l’Armée d’Israël, se trouvent à des milliers de kilomètres du territoire national! La férocité des guerres entre adeptes du monothéisme, en ses différents avatars, doit conduire à s’interroger le Créateur en personne. Le monothéisme « théologique » masque mal l’autre « unithéisme »: l’adoration fanatique de la divinité létale, de  la Pulsion de mort. Nietzsche a évoqué quelque part la philosophie à coup de marteaux. Dans les camps de Beyrouth, à Bangui, au Nigeria, au Darfour, au Mali  c’est de théologie à la machette et au couteau de boucher qu’il est question.  Rien n’assure que le Créateur, comme on l’appelle, y reconnaîtra les siens. Les siens sont plutôt portés à la construction et au prolongement de l’existence. A chacun sa jouissance.

12 janvier.

IMG_5814.JPG

Dans l’atmosphère méphitique de l’affaire Dieudonné, achevé la  lecture du roman de Nicolas d’Estienne d’Orves « Les fidélités successives ». Je m’y suis attaché pour tenter de comprendre comment un tout juste quadragénaire revivait, littérairement parlant, la période enténébrée de l’Occupation et de la Collaboration, et comment il expliquait le comportement des bourreaux et des déporteurs, si l’on peut ainsi les qualifier. L’intrigue: deux frères amoureux de la même femme – une demi-sœur qu’ils se disputent passionnellement et sauvagement –  puis qui sont pris dans la schizophrénie du temps, passant d’un camp à l’autre, cette intrigue pourra passer pour passablement compliquée pour ne pas dire embrouillée. Fidélités successives ou simultanées? Pas plus embrouillée que l’époque de référence. L’auteur qui est petit-fils du grand Résistant Honoré d’Estienne d’Orves décrit bien  les allers et retours du bien vers le mal et du mal vers le bien, au bout desquels chacun finit noyé dans le gris de l’équivoque et du refus de choisir vraiment. On s’interrogera aussi sur les personnages « juifs » qui hantent ce récit et qui participent non plus seulement des fantasmes de l’époque mais de ceux du temps actuel. Toutes les nostalgies ne s’équivalent pas. La nostalgie d’une enfance passée auprès des ruisseaux riants où se péchaient les écrevisses   n’est pas celle des années où l’on entassait des hommes, des femmes et  des vieillards disloqués dans des wagons à bestiaux pour en faire moins que de l’engrais. Le mot de « fidélité » a ceci de particulier: il supporte mal les adjectifs, sans parler des « abjectifs ».

Bloc-Notes: Semaine du 6 Janvier

In BLOC NOTES, SUJETS D'ACTUALITE on janvier 14, 2014 at 2:29

9 janvier.

section-interieur

Je ne sais si la notion de suspense peut avoir cours dans la vie juridictionnelle, mais comment qualifier autrement l’attente qui a marqué ce jeudi la décision du Conseil d’Etat après que le tribunal administratif de Nantes avait autorisé la tenue, si l’on ose dire, du spectacle, si l’on ose dire encore, de Dieudonné maintes fois condamné pénalement pour propos antisémites? Le tribunal de Nantes avait rendu d’urgence son jugement en début d’après midi. A 17 heures 30 la formation ad hoc du Conseil d’Etat se réunissait et pratiquement une heure plus tard la messe était dite: l’annulation préfectorale du « spectacle » se voyait validée légalement ( Cf. « La force de la loi » ).A n’en pas douter, l’ordonnance, pour la qualifier de son nom spécifique, de la plus haute juridiction administrative fera couler beaucoup d’encre. Mais l’encre est moins onéreuse que le sang, même s’il arrive que les deux substances se mélangent. Dans cette « affaire » deux éléments de débat, entre autres, retiennent l’attention. D’abord celui sur la notion même de liberté d’expression. Ses partisans se recrutent dans les deux camps mais pas dans le même sens. Pour les suppôts de Dieudonné, cette liberté doit être inconditionnelle et ses mauvais usages éventuels sanctionnés certes mais après-coup. Autant le dire clairement, sachant, répétons le, que le « comique » a déjà fait l’objet de plusieurs condamnations pénales à ce propos: il faudrait laisser Dieudonné récidiver et, au fond, jouer les ventriloques pour tous ceux et celles qui n’ont pas le courage de déclarer ouvertement leur antisémitisme personnel. Pour ses  adversaires, la liberté-en-soi est à contre-sens. Toute liberté est bornée par le souci d’autrui et ce bornage se nomme responsabilité. C’est sans doute ce qu’en langage légal le Conseil d’Etat vient de rappeler. La liberté ne consiste pas pour un fumeur à jeter son mégot allumé dans la pinède, en plein mois d’août, puis à alerter les pompiers pour éteindre un incendie qui laissera des hectares et des hectares complètement carbonisés. Dans ces conditions, si comme le dit l’adage on a vingt quatre heures pour maudire ses juges, on a plus de temps encore pour les bénir, en toute laïcité. L’autre élément du débat est relatif à l’action même du Ministre de l’Intérieur. Sans avoir besoin de jouer les détectives, ses ennemis ont bien tenté de transformer l’affaire Dieudonné en piège mortel pour le potentiel futur candidat présidentiel dont Manuel Valls prend de plus en plus les dimensions. Les bruits qui courent sur les galipettes du président de la République ne vont pas calmer les janissaires.

10 janvier.

220px-Ariel_Sharon,_by_Jim_Wallace_(Smithsonian_Institution)

Les médecins israéliens de plus en plus sceptiques sur l’évolution du coma dans lequel Ariel Sharon est plongé depuis huit années, à supposer qu’un comateux ait le moindre sens de la durée. Dans l’histoire de l’Etat d’Israël, quelle figure aura été plus tragique et controversée que la sienne! Coté pile, la percée du déversoir en 1973 et l’encerclement fatal de l’armée égyptienne ;  côté face la guerre du Liban et le massacre de Sabra et Chatilla. « Il faut juger un homme à son enfer » a écrit Marcel Arland. Comment ne pas y repenser en découvrant chaque jour les massacres qui, cette fois, se déchaînent en République Centre Africaine et, là encore, entre chrétiens et musulmans!  Dans Bangui, la capitale chaotique, les chrétiens qui parviennent à se saisir de musulmans n’en laissent que des tronçons avant de les brûler, tandis que les éléments de la Séléka bombardent  à l’arme lourde les chrétiens réfugiés dans les temples et dans les Eglises. Le tout sous le regard des troupes françaises  qui ne savent où donner du fusil d’assaut et qui ne peuvent plus secourir personne!  Et ces troupes là, contrairement aux unités de l’Armée d’Israël, se trouvent à des milliers de kilomètres du territoire national! La férocité des guerres entre adeptes du monothéisme, en ses différents avatars, doit conduire à s’interroger le Créateur en personne. Le monothéisme « théologique » masque mal l’autre « unithéisme »: l’adoration fanatique de la divinité létale, de  la Pulsion de mort. Nietzsche a évoqué quelque part la philosophie à coup de marteaux. Dans les camps de Beyrouth, à Bangui, au Nigeria, au Darfour, au Mali  c’est de théologie à la machette et au couteau de boucher qu’il est question.  Rien n’assure que le Créateur, comme on l’appelle, y reconnaîtra les siens. Les siens sont plutôt portés à la construction et au prolongement de l’existence. A chacun sa jouissance.

12 janvier.

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Dans l’atmosphère méphitique de l’affaire Dieudonné, achevé la  lecture du roman de Nicolas d’Estienne d’Orves « Les fidélités successives ». Je m’y suis attaché pour tenter de comprendre comment un tout juste quadragénaire revivait, littérairement parlant, la période enténébrée de l’Occupation et de la Collaboration, et comment il expliquait le comportement des bourreaux et des déporteurs, si l’on peut ainsi les qualifier. L’intrigue: deux frères amoureux de la même femme – une demi-sœur qu’ils se disputent passionnellement et sauvagement –  puis qui sont pris dans la schizophrénie du temps, passant d’un camp à l’autre, cette intrigue pourra passer pour passablement compliquée pour ne pas dire embrouillée. Fidélités successives ou simultanées? Pas plus embrouillée que l’époque de référence. L’auteur qui est petit-fils du grand Résistant Honoré d’Estienne d’Orves décrit bien  les allers et retours du bien vers le mal et du mal vers le bien, au bout desquels chacun finit noyé dans le gris de l’équivoque et du refus de choisir vraiment. On s’interrogera aussi sur les personnages « juifs » qui hantent ce récit et qui participent non plus seulement des fantasmes de l’époque mais de ceux du temps actuel. Toutes les nostalgies ne s’équivalent pas. La nostalgie d’une enfance passée auprès des ruisseaux riants où se péchaient les écrevisses   n’est pas celle des années où l’on entassait des hommes, des femmes et  des vieillards disloqués dans des wagons à bestiaux pour en faire moins que de l’engrais. Le mot de « fidélité » a ceci de particulier: il supporte mal les adjectifs, sans parler des « abjectifs ».

LA FORCE DE LA LOI

In ARTICLES on janvier 13, 2014 at 2:00

La journée du 9 janvier 2014 restera marquante dans les annales de la communauté juive de France, de la République française et aussi des spécialistes de droit administratif et de science politique. Car « l’affaire Dieudonné » n’était, au moment où le tribunal administratif de Nantes se voyait saisi en « référé-liberté » par ses avocats, ni anecdotique ni vénielle. Il s’agissait de savoir si l’antisémitisme de Dieudonné M’bala M’bala pouvait être couvert légalement, être considéré comme l’expression d’une liberté fondamentale: la liberté  d’expression, et continuer sa prolifération. En l’occurrence, c’est le Ministre de l’intérieur, Manuel Valls, qui a pris, comme l’on dit, les choses en mains et, soutenu par la Garde des sceaux, maints collègues du gouvernement et le président de la République, a su engager cette triste affaire sur le seul terrain où elle pouvait être résolue: celui du respect de la loi et du droit. La confrontation était périlleuse. Juridiquement et politiquement.

Avant  d’examiner l’ordonnance rendue en urgence par le Conseil d’Etat statuant au contentieux, sur appel du Ministre de l’intérieur, après la décision  en première instance du tribunal administratif de Nantes favorable à Dieudonné, et avant d’en retirer les enseignements principaux pour l’avenir, il faut rapidement revenir sur ce jugement initial, sur son impact immédiat  et sur ses conséquences s’il avait été validé.

 

I. Procédures d’urgence

 Le « référé-liberté », introduit par les conseils de Dieudonné tendait à l’annulation de la décision antérieure du préfet de Loire Atlantique interdisant la tenue dans la localité de Saint Herblain du spectacle – ou de la prestation ainsi qualifiée – de Dieudonné intitulée « Le Mur ». Pour quel motif? Celui-ci n’était pas des moindres: pour antisémitisme avéré de son auteur et risque sérieux de troubles à l’ordre public. Suivant les avocats de Dieudonné, cette interdiction préfectorale, étayée par une circulaire du  Ministre de l’intérieur, était illégale et portait atteinte, comme on l’a dit, à une liberté fondamentale, ce qui justifiait la procédure d’urgence ainsi lancée.

Dans une République  il  n’est pas d’alternative au respect de l’Etat de Droit. Lorsque les juges ont tranché, et sous réserve d’user de toutes les voies de recours  prévues par la loi, leur décision doit être respectée. Comme l’écrit Thomas Mann précisément dans son récit: Das Gesetz: « Que j’aie tort ou que j’aie raison: la Loi ». D’où l’extrême appréhension de tous les observateurs, dans un sens ou dans un autre, relativement à la décision du Tribunal Administratif de Nantes. D’autant que d’éminents spécialistes de droit administratif penchaient pour l’autorisation finale du spectacle au regard d’une jurisprudence, à leurs yeux assurée, du Conseil d’Etat symbolisée par un arrêt « Benjamin » du 19 mai 1933. Et lorsque ce 9 janvier 2014, la décision du juge administratif est tombée et qu’elle autorisait le spectacle  au motif qu’il ne pouvait être taxé d’antisémitisme, pour beaucoup il a fallu prendre sur soi. D’autant que Dieudonné et ses conseils, se sont mis, eux, à crier « victoire » tandis que Dieudonné en personne proclamait  que « le combat » ne faisait que commencer. On peut sans peine imaginer quelles connotations peut recevoir le mot de « combat », et toute la terminologie approchante, sur le  terrain de l’antisémitisme.

Le Ministre d’l’intérieur ayant à son tour interjeté appel, en invoquant l’atteinte à  la dignité de la personne humaine qui affligeait le spectacle interdit par l’autorité préfectorale, tout restait suspendu à la décision du Conseil d’Etat,  à son tour saisi en urgence et ouvrant  son audience à Paris quelques heures à peine après la décision du Tribunal administratif de Nantes. Comment dissimuler que ces quelques heures  puis celles de l’audience furent celles d’une dure attente? Comment ne pas avoir redouté que la plus haute juridiction administrative française autorise à son tour  le spectacle d’un individu ayant fait par ailleurs l’objet de plusieurs condamnations pénales pour antisémitisme et haine raciale? Une validation à ce niveau n’allait-elle pas faire céder l’une des plus hautes et fortes digues dressées légalement contre l’antisémitisme? La vision ne quittait plus les esprits: Dieudonné entrant sur la scène du Zénith, ovationné par 5000 spectateurs, et brandissant la décision du Conseil d’Etat avant de faire entonner «Shoah  Ananas» !  Comment ne pas avoir eu à l’esprit d’autres visions, en des temps qu’on a eu le tort de croire abolis…

Et puis le Conseil d’Etat a rendu sa propre ordonnance, en sens contraire de la décision  rendue quelques heures plus tôt par le Tribunal Administratif de Nantes: l’interdiction préfectorale n’était pas entachée d’illégalité; ses motifs étaient confortés et la décision du tribunal nantais invalidée  pour mauvaise appréciation des circonstances de l’affaire, particulièrement du risque sérieux  de troubles à l’ordre public. L’annulation du « spectacle » de Dieudonné était maintenue et il fallait désormais s’y conformer.

 II. Antisémitisme et ordre public

L’ordonnance rendue ce 9 janvier prendra certainement place dans le vénérable ouvrage de Mrs Long, Weil et Braibant sur « Les grands arrêts de la jurisprudence administrative ». Elle  donnera  lieu à de savants commentaires dont on espère qu’ils ne se départiront jamais de la sérénité qui sied aux juristes. Que faudrait-il déjà en retenir, là encore en «référé de lecture» si l’on pouvait avancer cette expression?

D’abord les références primordiales du Conseil d’Etat, à commencer par le Préambule de la Constitution et la Convention européenne des droits de l’Homme. Ensuite le rappel de sa propre jurisprudence, soulignant  qu’elle ne se limitait au fameux arrêt «Benjamin», qu’elle comportait deux autres arrêts: celui du 27 octobre 1995: «Commune de Morsang – sur – Orge », et celui du 16 février 2009: Hoffman-Glemane. Trois références cohérentes et corrélatives. La première rappelle le principe intangible de la liberté d’expression; la  seconde la nécessité de respecter la dignité humaine dans l’usage de cette liberté; et  la troisième – que l’on avait sans doute oubliée ou minimisée – la responsabilité de l’Etat français dans la mise en oeuvre de la déportation des Juifs de France et dans la propagation de l’antisémitisme.

Le raisonnement de l’instance d’appel s’est déployé ensuite à partir d’un constat  expressément formulé: « Le spectacle tel qu’il est conçu contient bien des propos de caractère antisémite, qui incitent à la haine raciale et font  en méconnaissance de la dignité de la personne humaine l’apologie des discriminations, persécutions et exterminations perpétrées au cours de la seconde guerre mondiale » ; et que ce contenu raciste est gagé, si l’on peut ainsi s’exprimer, sur les neuf condamnations pénales de Dieudonné, dont sept à titre définitif. Ce qui a fondé l’autorité  administrative concernée à prendre légalement la décision attaquée, et cela, ajoute le Conseil d’Etat, tant par les pièces du dossier que par les échanges tenus au cours de l’audience publique.

D’où ce nouveau rappel didactique à l’endroit des partisans de l’autorisation sous réserve de poursuites ultérieures  en cas de dérapage: la loi fait un devoir à l’autorité administrative, es qualités, de prévenir ces troubles lorsqu’ils sont avérés et de ne pas attendre  qu’ils se produisent puis qu’ils dégénèrent.

Telle est l’interprétation de la loi, tel à présent est l’Etat de droit.

Dès le lendemain, les conseils de Dieudonné ont cru devoir s’engager dans la même démarche contentieuse vis à vis d’autres interdictions préfectorales, à Tours et à Orléans. La procédure a été  suivie dans les mêmes conditions et elle a aboutit aux mêmes ordonnances, la Préfecture de Paris ayant quant à elle interdit ce spectacle au Théâtre de la Main d’Or.

Bien des commentaires suivront donc cette série de décisions. Un enseignement, parmi d’autres, mais majeur, doit cependant être souligné concernant la notion même de troubles à l’ordre public. En quoi consistaient exactement ceux que le Ministre de l’Intérieur a voulu prévenir? S’agissait-il exclusivement d’un risque matériel de confrontation physique  sur les lieux du « spectacle » ou dans ses alentours?  Probablement. Il faut toutefois tirer toutes les conséquences de la troisième référence jurisprudentielle, qui se rapporte elle même à une autre décision du Conseil d’Etat, rendue en assemblée le 12 avril 2002 sur requête de.. Maurice Papon. C’est dans cette décision qu’est rappelée la responsabilité de l’Etat français, lors de l’Occupation, dans la propagation de l’antisémitisme génocidaire et dans la déportation bureaucratiquement organisée des Juifs de France. En ce sens, pour la haute juridiction administrative, l’antisémitisme n’est pas condamnable à titre seulement intellectuel, idéologique ou affectif. Il ne relève pas seulement du droit pénal individuellement appliqué. Il porte atteinte à la notion même d’ordre public  républicain. Le professer, en faire l’apologie pour reprendre les termes de l’ordonnance du 9 janvier, c’est défigurer la France  et rendre à l’Etat le visage de l’Occupant et de la Collaboration.

Il faut espérer que les spectateurs, actuels ou potentiels, de Dieudonné, que ses commanditaires et même que ses conseils le comprennent et qu’ils ne plongent pas d’avantage leurs mains dans cette boue ineffaçable, tant elle est toujours mêlée  de cendres et de souffrances.

                                                                                        Raphaël Draï

PARACHA BECHALAH’

In RELIGION on janvier 8, 2014 at 1:32


16 Béchala'h
( Ex, 13, 17 et  sq )

Cette paracha est une paracha – clef dans l’histoire du peuple d’Israël puisqu’elle relate les suites immédiates de la Sortie d’Egypte au regard du pouvoir pharaonique – ou de ce qui en subsiste,  et déjà les premières épreuves de la Traversée du désert. Car il semble bien que la dixième frappe, la mort des premiers nés ait eu raison de l’obstination du Roi d’Egypte, que sa volonté de puissance soit bel et bien brisée. Pourtant, sitôt le dernier Hébreu passé, son « cœur se renverse », ses pulsions primitives le réinvestissent avec la violence des crues trop longtemps contenues et il décide d’aller se ressaisir  de cette masse humaine afin de la réduire à nouveau à la condition servile. Dans sa toute-sagesse, le Créateur l’avait entrevu et c’est la raison pour laquelle il fait emprunter au peuple un itinéraire qui ne favoriserait pas ses paniques éventuelles. Pourtant l’ultime passage à l’acte se produit.

Pharaon lance ses six cents chars de guerre à la poursuite du peuple. Il  refuse de toutes ses forces que le Principe pharaonique, avec l’esclavagisme qui en est l’épine dorsale, soient atteints mortellement. D’autant qu’à ses yeux, ce peuple s’est de lui-même enfermé dans une nasse. La position qu’il occupe depuis son départ constitue un véritable piège. Le voici pris entre le désert et la mer. Le massacre s’annonce immense. Le peuple l’a perçu et, comme il fallait s’y attendre, s’en prend à Moïse.

D’un coup, comme un remugle d’égout, la mentalité servile s’exprime sous forme de véhémentes protestations: l’Egypte manquait elle de tombeaux que Moïse ait cru devoir mené le peuple dans le désert pour l’y faire massacrer! Eclate l’anti-parole humaine, celle qui dénie le fait même de la délivrance et du nouvel état d’esprit qu’elle devrait entraîner: mieux vaut la servitude que la mort!  Mieux vaut la mort de l’âme et de l’esprit que celle du corps. Ce ne sera pas l’unique fois où une telle parole se fera entendre dans la suite de la traversée des mers  de sable et de pierraille.

Moïse tente de calmer cette houle, de rassurer les esclaves-en-esprit et de dissuader leurs meneurs. Le Créateur n’abandonnera son peuple menacé d’extermination. Il combattra pour lui. Cependant, Dieu le fait comprendre à Moïse: le temps n’est pas aux cris vers le ciel ni aux prières introverties. Il faut faire mouvement, prendre la première décision, s’engager résolument dans les eaux. Elles livreront un passage compatible pour le seul peuple à pied et non pas pour une armée de chars lancés à fond de train. Et c’est ce qui advint. Encouragé par la tribu de Benjamin qui la première s’était avancée vers la masse liquide, le reste l’imite.

Commence l’angoissante traversée de la Mer Souf pour atteindre l’autre rive, celle dont il faut être sûr que l’armée égyptienne ne l’atteindra pas. Au premier acte de courage qu’avait représenté l’acquisition des agneaux du sacrifice pascal en Egypte même, fait suite ce nouveau témoignage courageux: le peuple progresse au milieu des eaux, mais chemine sur des voies de terre ferme. Tout sentiment de crainte paraît enfin l’avoir quitté. Vient le moment fatidique, celui que le Pharaon, plus chef de guerre que jamais, croit enfin venu, triomphal, pour se revancher des dix plaies qui ont brisées le verrou de servitude.

Imaginant que le piège s’est hermétiquement refermé sur les Hébreux il engage la bataille finale, l’extermination qui fera leçon pour les autres peuples sous la face de cieux. Ce devint, en vérité, la bataille de trop. Engagé à son tour au milieu des eaux, sur les mêmes voies que celles empruntées par les anciens esclaves mais qui n’étaient pas destinées au roulement des chars, l’armée égyptienne est surprise jusqu’à la mort par le reflux sur elle des masses liquides. Pas un seul poursuivant n’en réchappera. Et c’est lorsque le moindre des fugitifs voit sur le rivage de la mer agoniser ses bouchers qu’il comprend qu’une nouvelle histoire commence.

Elle sera inaugurée par un Cantique dont les termes sont repris chaque matin dans toutes les  synagogues du monde, jusqu’aujourd’hui: La « Shira », le Cantique de la Délivrance, le premier hymne à la liberté conçu par la conscience humaine. Et ce Cantique sera redoublé  par les voix des femmes, repris par Myriam la prophétesse, celle qui avait contribué par sa vigilance au sauvetage sur le Nil de ce frère qui à présent doit mener le peuple non plus hors de l’Egypte territoriale mais de l’Egypte mentale, celle qui s’est sédimentée durant près de trois siècles dans l’âme étrécie des Hébreux. Ce frère, celui de Myriam et celui de tous les « sortants d’Egypte » (yotséi Mitsraïm), devra faire preuve d’une infinie patience et d’un amour sans limites pour conduire les ex-esclaves d’abord au lieu que le Créateur lui indiquera pour y recevoir sa Loi et y consacrer son Alliance, ensuite vers la terre promise aux Pères, cette terre « bonne et large » sur laquelle le peuple nouveau-né devra construire une civilisation de liberté et de responsabilité conjointes, un pays où prévaudra l’axiome des axiomes:  «  et tu aimeras ton prochain comme toi: Je suis l’Eternel ».

La tâche s’annonce écrasante, surhumaine. Presque trois siècles d’esclavage ont détruit les structures mentales des Hébreux.  Ils ne savent plus parler, compter, raconter. Lorsque les besoins du corps deviennent lancinants, ils ne savent pas encore les  convertir en demandes et attendre que leur soit indiqué comment les satisfaire. Leurs oreilles n’ont jamais entendu que les ordres sans réplique, jappés par les maîtres de corvée. C’est dans ce langage-là qu’ils sont portés à s’exprimer à présent, qu’ils reproduisent. Ils ont soif? Qu’on leur apporte à boire! Ils ont faim? Qu’on leur serve les mets plantureux dont l’Egypte les a, comme chacun sait, gratifiés. Ils ont faim de viande hallucinée. Ils ont faim de pouvoir.

La thérapeutique consistera d’abord à les en gaver avant de recevoir la manne, la nourriture à la fois corporelle et spirituelle adéquate au mouvement d’ascension qui sera requis de leur être: l’ascension du Sinaï. Car tel est l’objectif. Moïse et Aharon les en ont avertis: eux mêmes, par eux mêmes, que sont-ils (nah’nou mah)( 16, 8)! Un peuple dont le Pouvoir ne soit pas le principe fondamental de son existence est-il concevable ? Est-il viable?

Les premiers enseignements sont dispensés en ce sens mais la Traversée du désert ne fait que commencer.

Raphaël Draï zal, 8 janvier 2014

Bloc Notes: Semaine du 1er Jan 2014

In BLOC NOTES, SUJETS D'ACTUALITE on janvier 8, 2014 at 1:10

1er janvier 2014

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Bonne et heureuse année 2014! Jamais des souhaits de cette texture n’auront été plus nécessaires  qu’en ce début d’an neuf. Hier soir, les vœux du Président de la république n’auront convaincu que les fidèles d’entre les fidèles. François Hollande était émouvant de sincérité. Le ton y était. La conviction aussi. Le fond manque toujours, et cruellement. Malgré  les tripatouillages sémantiques et statistiques de la semaine écoulée, la trop fameuse courbe du chômage ne s’est pas infléchie dans le bon sens. Elle ressemble au contraire, et de plus en plus, à  la règle rigide, de bois ou de métal, dont usaient les instituteurs et les institutrices à l’ancienne pour châtier le bout des doigts des chahuteurs impénitents ou des cancres professionnels. Politiquement parlant, le régime de la Vème République, en son était actuel, semble en état d’apesanteur. D’un côté une majorité qui transforme en vil plomb   ce qu’elle touche, de l’autre une opposition étêtée, sans chef véritable et dont les contre-propositions ne flottent guère mieux que les canots de sauvetage de la dite majorité, pour autant qu’elle existe toujours. Et puis, il y « la société civile », pour la nommer de ce nom désuet dont il n’est pas sûr non plus qu’il corresponde à la réalité évoquée. Dans son dernier livre – sur lequel on reviendra – «  La fin des sociétés » le vénérable et vivace Alain Touraine tente de nous convertir à son optimisme. La société à la papa, c’est fini. Il faut  promouvoir le « Sujet » aimant, créatif, porteur de droits énergisants et qui ne s’en laisse plus conter  ni compter. Difficile au demeurant de percevoir dans ce bilan théorique comment ce Sujet – là pourra naître autrement que dans des envolées incantatoires. Il  semble au contraire, et il n’y pas vraiment pas lieu de s’en réjouir, que les sociétés pénuriques et  les économies de la précarité, renforcées par les camisoles psychico-numériques, soient comparables à des champignonnières vénéneuses. On le constate avec les engeances qui se pressent aux meetings – spectacles de Dieudonné (cf. « La logique du pitre »). Qu’en sortira t-il? Les nouveaux nihilismes ne peuvent se dissoudre que dans une espérance digne de ce nom, celle qui projette un présent fécond vers un avenir de parachèvement. L’époque est prise dans le tragique  que secrète l’absence de pensée véritable.  On songe au livre de René Guénon sur « Le règne de la quantité et le signe des temps ».  La  mentalité « twitteuse » l’emporte sur les véritables processus de la connaissance et l’on préfère expectorer une sentence intellectuellement carencée de 140 signes à l’attention de milliers et de milliers de destinataires qui y répondront de même, plutôt que de former une seule vraie phrase, insérée dans un raisonnement communicatif.  Tout cela se paye et il faut espérer aussi que la note ne sera pas trop salée. A cet égard le livre de Norman Davies «  Vanished kingdoms. The History of Half – Forgotten Europe » »  incite à la réflexion. Davies  y décrit la disparition pure et simple en Europe, au sens large, de pays entiers, de royaumes, de cités, de républiques  qui se croyaient immortels. A commencer par l’URSS dont le Parti communiste français  ne semble toujours pas avoir réalisé qu’elle n’existe plus.

2 janvier

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De nombreux djhihadistes  français – on avance le chiffre de six cents combattants – sont engagés dans les combats actuels en Syrie. Certains d’entre eux sont des «convertis» à une religion qui se présente sous les dehors de l’Islam mais qui propage le culte de la mort, celle de ses adeptes et celle de leurs victimes. Cette fois, le régime de Bachar el Assad, toujours soutenu à bras tendu par la Russie de Poutine, ne fait pas de quartiers et massacre ces jeunes fanatiques sans s’acquitter des sommations d’usage. En Egypte, la situation n’incite pas à l’optimisme non plus. Le régime du général El Sissi doit faire face à des ennemis désormais mortels qui n’hésitent pas à recourir aux  attentats collectifs que l’on croyait réservés à Bagdad ou à Beyrouth. A Bagdad où le premier Ministre Nouri El Maliki appelle ses concitoyens à chasser les troupes d’Al Qaida qui tentent d’y prendre le pouvoir. Situation dangereuse qui incite  maintenant l’Iran  à proposer son aide au régime  irakien  naguère combattu à mort. Difficile de ne pas avoir le tournis! Malgré les appels du pied, Barak Obama, passablement surmené, jure que l’Amérique ne reviendra plus dans la région. La Tunisie quant à elle tente de s’en sortir cahin-caha. Voilà trois ans que Ben Ali a été chassé du pouvoir mais qu’il coule des jours heureux et anonymes, on ne sait plus où d’ailleurs.  La République tunisienne s’efforce de trouver sa voie entre les nostalgiques de l’ancien régime et les hyper-nostalgiques du temps des Califes. Trois ans c’est long, très long à l’ère de la mondialisation, quand rien n’assure que les années ainsi  consommées se rattrapent.

5 janvier

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Dans les périodes où l’hiver semble avoir gagné les esprits, il faut rouvrir les livres qui parlent de création, d’invention, bref du meilleur de l’homme: «  L’Histoire de l’Art » d’Elie Faure, « Les Voix du silence» de Malraux, « La civilisation de la Renaissance » de Burckhardt, les livres de Ruskin et de Chastel. Non par rétrogradation intellectuelle mais pour simplement se remettre à l’esprit des périodes  qui ne furent pas toujours dédiées à la paix des Cités mais où les êtres humains ont su édifier des monuments qui, des siècles après leur dédicace,  forcent notre admiration, où ils ont su peindre des tableaux qui enrichissent notre regard, sculpter des formes dont nul n’avait l’idée avant qu’elles n’apparaissent. S’interroger à leur propos est vivifiant. Comment une société humaine fait- elle naître Michel Ange, Vinci, Raphaël, pour nous y limiter? Que s’est-il passé dans ses tréfonds pour qu’en surgissent ces pinceaux pensants, ces maillets spirituels, ces truelles de l’Eternel, ou peu s’en faut, et des palettes à défier l’arc en ciel… Il n’est pas d’espoir sans mémoire, mémoire du pire sans doute mais également mémoire du meilleur. Sans cultiver aucune illusion rétrospective il faut se demander à quelles conditions une époque se survit à elle même et s’inscrit dans une durée qui ne se dégrade  plus, à moins que le soleil ne vienne à s’éteindre. Il n’en va pas autrement pour la littérature ou la musique avant qu’elles ne deviennent des succursales de l’industrie. A vrai dire, on ne re-né jamais. Toute naissance est neuve, inédite, inouïe. En ce début de 2014, ne faut-il pas réapprendre à naître sans cesse au désir de vivre?

RD

LA LOGIQUE DU PITRE

In Uncategorized on janvier 6, 2014 at 4:25

Raphaël Draï 1942-2015 (zal)

1- Bascule d’un ancien comique.

Comment, en ce début 2014, devient t-on « Dieudonné M’Bala M’Bala », l’ennemi public n°1 de la communauté juive de France, stigmatisé par le Ministre de l’Intérieur avec l’appui de la Garde des Sceaux et le soutien du Président de la République, mais réunissant des milliers de spectateurs payants et faisant son gras des « produits dérivés », comme l’on dit, tout en ayant organisé son insolvabilité afin de ne pas acquitter les amendes prononcées à la suite d’au moins quatre condamnations pénales pour incitation à l’antisémitisme?

La question vaut d’être posée car on ne peut oublier que ce triste pitre a longtemps formé tandem avec Elie Semoun lequel ne dissimule pas plus son judaïsme que Djamel Debbouze ne cache son identité musulmane. Comment – et surtout pourquoi? – passe t-on de sketches plutôt amusants, dans lequel le comique Juif et le comique Noir se moquaient des travers de…

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LA LOGIQUE DU PITRE – Raphaël Draï zal – Janvier 2014

In ARTICLES, CHRONIQUES RADIO, ETUDES ET REFLEXIONS, SUJETS D'ACTUALITE on janvier 6, 2014 at 4:17

1- Bascule d’un ancien comique.

Comment, en ce début 2014, devient t-on « Dieudonné M’Bala M’Bala », l’ennemi public n°1 de la communauté juive de France, stigmatisé par le Ministre de l’Intérieur avec l’appui de la Garde des Sceaux et le soutien du Président de la République, mais réunissant des milliers de spectateurs payants et faisant son gras des « produits dérivés », comme l’on dit, tout en ayant organisé son insolvabilité afin de ne pas acquitter les amendes prononcées à la suite d’au moins quatre condamnations pénales pour incitation à l’antisémitisme?

La question vaut d’être posée car on ne peut oublier que ce triste pitre a longtemps formé tandem avec Elie Semoun lequel ne dissimule pas plus son judaïsme que Djamel Debbouze ne cache son identité musulmane. Comment – et surtout pourquoi? – passe t-on de sketches plutôt amusants, dans lequel le comique Juif et le comique Noir se moquaient des travers de notre temps, à cette véritable guerre, menée en solo contre les Juifs en général et la communauté juive de France en particulier, faisant feu de tout bois, sans aucun respect pour ce qui semblait hors d’atteinte des quolibets et dérisions: la Shoah, avec ce qu’elle implique? Comment en arrive t-on à être happé par cette logique du pire qui incite à des provocations cyniques sur des thématiques pénalement réprimées et, à la suite des plaintes judiciaires inévitables et des condamnations qu’elles entraînent le plus souvent, à en rajouter, en rajouter encore, et toujours plus, jusqu’à heurter les consciences à leurs racines mêmes et susciter des souhaits de disparition complète de la scène publique du pitre en cause; car il y a longtemps, bien longtemps, que Dieudonné ne fait plus rire.

Comme pour Youssouf Fofana ou Mohamed Mérah, il faut s’interroger sur les antécédents de ces personnages et sur ce moment de bascule vers « l’autre côté », celui dont on ne revient en général que menottes aux poignets, et parfois, à l’instar de Mérah, les pieds devant. La comparaison entre Mérah et Fofana d’un côté et Dieudonné de l’autre est-elle excessive? Dans le climat actuel on pourrait le penser, sachant que Dieudonné a fait l’objet de plusieurs condamnations au pénal au motif d’antisémitisme. Dans tous les cas il y a passage à l’acte, pour Merah et Fofana avec des armes létales, pour Dieudonné par l’usage de mots empoisonnées et d’images assassines, avec la circonstance aggravante, s’agissant de Dieudonné, qu’il se produit en public, exporte ses délires et les commercialise mettant ainsi en danger la vie d’autrui. Faut-il en chercher la cause dans une rivalité mal assumée face à son binôme d’alors qui s’est mis à voler de ses propres ailes puis à conquérir une notoriété de meilleur aloi que celle d’un comparse laissé pour compte et qui cherche désormais à se venger comme un amoureux dépité? Pourtant, si tous les concurrents malheureux, les époux trompés et les amants largués se convertissant à titre cathartique à la haine antijuive la planète serait mise en danger plus mortel qu’avec les émissions de CO2! De ce point vue la logique du pire reste bien une logique puisque par cette véritable descente aux enfers Dieudonné démontre lui même son absence de vrai talent et justifie que son binôme de naguère n’ait plus voulu poursuivre une route commune. Il y a en effet longtemps que le personnage n’amuse plus les vrais amateurs de rire dont on sait à quel point, pratiqué avec esprit, il est salutaire pour l’âme et pour le corps. Les batailles de tarte à la crème ont fait rire aux éclats les enfants que nous avons été. Les insultes ricanantes, les injures à se tordre, le détournement du rire et de l’humour à des fins haineuses n’appellent que le mépris. Sauf qu’avec Dieudonné, il ne s’agit pas d’agressions commises dans l’obscurité de ruelles malfamées. Ses agressions sont perpétrées à la lumière des sunlights et des projecteurs, préparées par le tout-à-l’égout du pire de l’Internet et des réseaux dits « sociaux ». Car Dieudonné l’a compris: la démocratie se contourne et se détruit par ces procédés pervers qui consistent à jouer la loi contre elle même, à profiter de la liberté d’expression pour insulter et injurier, en plaçant les institutions de la République devant des dilemmes quasiment insolubles: n’en rien dire favorise la propagation de cette malfaisance, la combattre c’est contribuer gratuitement à sa publicité. C’est ici qu’apparaît le deuxième élément, décisif, du système Dieudonné: la présence d’un public qu’il réussit à amalgamer devant sa bouche d’ombre.

2- Le rire des complices.

Dieudonné ne serait rien sans son public. Bien sûr il est fait état à son sujet d’autres aides occultes ou inavouables qui expliquent, dit- on, ses passages en Iran et sa barbe «salafisante». Pourtant le triste pitre ne serait rien sans ce public addictif qui lui apporte soutien psychique et financier, lui procurant ce sentiment d’impunité qui lui permet de récidiver, tout en se laissant happer chaque fois un peu plus par cette logique qui s’avèrera, n’en doutons pas, destructrice. Qui donc compose non pas à proprement parler ce « public » mais l’engeance, au sens de la sociologie des bandes, qui le porte? Les quelques reportages ou fragments de reportages disponibles ne permettent d’en avoir qu’une idée elle même fragmentaire. Il y a d’abord le «noyau dur»: les antijuifs invétérés, rabiques et incurables, à propos desquels même la psychiatrie ne sait que dire. On y discerne ensuite les antijuifs islamistes qui lisent le Coran après de fortes inhalations des « Protocoles des Sages de Sion »; et les antisionistes idéologiques, auto-convaincus que l’Etat d’Israël est une création du Lobby Sioniste Mondial dont le CRIF est l’émanation française; et puis les antijuifs empiriques, ou d’occasion, qui ont eu un différent avec un voisin ou un collègue juif, ou présumé tel, et qui viennent chez Dieudonné exhaler leur rancoeur homicide parce qu’il n’y pas plus de Kommandantur ou de Commissariat aux Affaires Juives à qui adresser des lettres de délation. Sans parler des belles âmes prédisposées, pour lesquels les images à sens unique en provenance du Moyen Orient causent ce que l’on pourrait appeler des « préjudices mentaux médiatiques ». Pourquoi s’en étonner? Dans « Le Figaro » du 4 mai 1948 – donc trois ans à peine après la découverte des camps de la mort, François Mauriac pouvait écrire: « L’antisémitisme est loin d’avoir disparu depuis que l’écroulement du nazisme a interrompu la proscription de la race infortunée ». On a bien lu: pour Mauriac il ne s’agit que d’une interruption. Cependant, il n’y pas que le noyau dur, il y a les autres, tous les autres, ceux qui n’hésitent plus à faire le geste de ralliement que l’on sait, ceux qui viennent inhaler un air empuanti pour s’encanailler, par jeu, pour passer un bon moment ludique, par bravade, par esprit de transgression, pour se prouver qu’ils n’ont peur de rien, qu’ils ne respectent personne, qu’il n’y a plus de tabou; tous ceux et celles dont le « moi » pour employer une caractérisation plus savante est un moi « désencombré », désencombré de normes, de valeurs, de scrupules, de limites et aussi de vrai courage. A cet égard, et sans abuser de ce terme, ils forment la symptomatologie de ce qu’Alain Touraine, nomme, dans un autre ordre d’idées, l’« après- social » contemporain, celui des individus qui ne se sentent liés par rien et par personne, pour lesquels la notion d’interdit relève du crime de lèse- majesté. Ces individus qui s’imaginent «souverains» et «résistants» ne font en réalité que céder à ces formes de contagion psychique d’où naissent régulièrement les refrains entêtants, les mots sans signification mais auto-magnétisés (« allô quoi »), les opuscules pavloviens, sans contenu réel, vendus à des millions d‘exemplaires et dont on se demande, tant ils manifestent de débilité mentale et de panurgisme décérébré, pourquoi ils sont si largement repris. Il y faut néanmoins des relais et des des-inhibiteurs majeurs. A moins de se reporter à une pathologie personnelle, comment expliquer que Nicolas Anelka, que Tony Parker, que Mamadou Sakkho, s’y soient laissés allés? Cependant ils ne sont pas les seuls et ils ont été épinglés à cause d’une célébrité qui, au contraire, aurait dû les en dissuader. Il ne faut pas se tromper: laissée à sa propre pente cette contagion aurait tôt fait de transformer le métro en champ de bataille.

Tout cela noté, et conscients que l’indignation n’a jamais remédié en tant que telle à quoi que ce soit, quelles sont les issues? Elles apparaissent de trois ordres, sachant également que l’antisémitisme est une pathologie trans-générationnelle qui se transmet de mémoire en mémoire. La première est d’ordre judiciaire et policier. Il importe que disparaisse le sentiment d’impunité qui incite Dieudonné à parader, à signer et à persévérer. Ses condamnations ne sauraient plus longtemps rester ineffectives. Puisque le pervers joue avec la loi, il faut lui en inculquer, comme il se doit, et avec persistance, les obligations. Par ailleurs, et dès lors que le triste pitre est sous le coup de plusieurs condamnations, ceux qui l’hébergent, qui accueillent ses spectacles et favorisent ses récidives en deviennent les complices et appellent solidairement à leur encontre les sanctions du Code pénal. C’est lorsqu’il n’a plus trouvé d’hébergement qu’Abdelhakim Dekkar, le tueur de Libération, s’est rendu à la police. Reste le «public» de Dieudonné. Là encore, les individus qui le constituent doivent être persuadés que leur présence à ses « spectacles » les rend à leur tour complices des instillations collectives de haine antijuive qui s’y produisent et qu’à tout le moins ils aient le courage de s’y réunir à visage découvert.

Une société ne choisit pas toujours les maux qui la minent. Une fois qu’elle les a décelés, si elle ne les combat pas pour s’en guérir, il est rare qu’elle n’en paye pas le prix. Les « retours » calamiteux de l’Histoire sont toujours annoncés par l’impunité toxique de délinquants récidivants, émerveillés par leur audace et qui finissent par se prendre pour des héros.

                                      Raphaël Draï zal

Ces éléments d’analyse reprennent en les développant les thèmes d’une chronique diffusée par Radio J, le 6 janvier 2014.

Bloc-Notes: Semaine du 23 décembre

In BLOC NOTES, SUJETS D'ACTUALITE, Uncategorized on janvier 2, 2014 at 12:03

24 décembre

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Une fois passée la trêve des confiseurs, le dernier avis du conseil d’Etat concernant l’accompagnement des enfants à l’école par des parentes musulmanes voilées va soulever  plus que des commentaires érudits ou pinailleurs dans les Facultés. Il faut noter que cet avis a été sollicité par le Défenseur des droits qui n’y voyait plus très clair. Où commence et où s’arrête le territoire scolaire en principe «sanctuarisé», au sens laïc du terme? Si un élève n’a pas le droit de pénétrer dans une école publique en arborant les signes religieux de sa confession, une sienne parente est elle autorisée à le faire, et cela, pourquoi pas,  jusqu’à la porte  de la classe? Le Conseil d’Etat est d’avis que le principe de neutralité qui s’impose aux agents du service public ne s’impose pas à ses usagers. En droit strict et statique, il n’a pas tort mais qu’est-ce que le droit «strict»? Et peut-on concevoir raisonnablement de canoniser la dichotomie entre agents et usagers dans un pareil contexte? Ne faut-il pas, en ces périodes troubles, lorsque l’appartenance confessionnelle risque de se dévoyer en prosélytisme, envisager le service public comme l’ensemble insécable constitué par les agents qui y opèrent et ceux qui en usent? Peut- on concevoir un service public digne de ce nom dans lequel les agents n’auraient cure des usagers ou dans lequel les usagers  se comporteraient comme dans leur lieu de culte? Le principe de neutralité invoqué en «strict» droit administratif n’est qu’une déduction d’un autre principe, d’un niveau sans doute supérieur: celui de laïcité, inscrit explicitement dans la Constitution et par lequel le République françaises s’identifie. Une fois de plus  la question de la propagande islamique en France est posée dans des termes qui ajoutent à la confusion ambiante.Il n’est pas question de juger de la manière dont les uns et les autres s’habillent ou s’affublent mais pour une femme  se couvrir de la tête aux pieds: foulard  – scaphandre, doudoune-bibendum, pantalons et socques hermétiques, est-ce seulement se vêtir pudiquement ou se couler dans une sorte de combinaison physiquement et mentalement isolante? L’idée que l’on se fait de l’espace public est indissociable de celle que l’on se forge de la République et de la démocratie. Il est vrai que le Conseil d’Etat s’en remet aux chefs d’établissement pour faire respecter la conception démocratique de l’espace public scolaire mais l’on voit mal comment Mr. le Proviseur ou Mme la Proviseure pourra  interdire quoi que ce soit à une mère voilée qui brandirait de la main droite la photo de Cheikh Yassine et de l’autre l’avis du Conseil d’Etat.  C’est à l’usage que l’on vérifiera si l’avis de l’éminente assemblée a été d’une part de bon conseil et d’autre part utile à la consolidation de l’Etat… de droit. Réponse, au moins partielle, aux municipales et aux européennes.

26   décembre.

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Le Président Hollande semble d’un naturel heureux. S’il ne prend pas ses fonctions à la légère, il  ne se prend pas trop au  sérieux non plus. D’où sa propension parfois incoercible aux «vannes» et aux blagues dans des  circonstances où il faut savoir garder ses distances, quitte à pouffer de rire ensuite dans les toilettes de l’Elysée. Sa blague sur Manuel Vals « revenu sain et sauf d’Algérie, ce qui n’est pas peu dire » lors de la réception officielle des membres du CRIF au palais présidentiel a vite fait de voler jusqu’à Alger où elle n’a pas fait se fendre tout le monde. Au contraire. D’où les « contre -vannes » et les protestations indignées en réplique d’outre-Méditerranée, avec la circonstance aggravante, selon la presse arabophone du pays, que l’Algérie a été moquée devant des « Juifs ». Au point d’en oublier la propension non moins avérée des algériennes et des algériennes à l’humour décapant  ou à la dérision dont ses propres pouvoirs publics ont appris à s’accommoder depuis que les années 90, sous les auspices du GIA, ont fait grimper les barèmes du goût de vivre et ont rappelé les effets salutaires du mot d’esprit dans ses relations avec l’inconscient. Pourtant si notre François Hollande national manifeste par ses blagues à deux centimes d’euro la nostalgie de ses années-potache, on  ne va pas en faire, c’est le cas de le dire, un fromage. Il lui faut juste reprendre un petit coup de sérieux compassé, qu’il repense par exemple  à la fameuse courbe du chômage  qui répugne à s’inverser sauf lorsqu’elle est calculée par trimestre, en en déflaquant des brassées de vrais chômeurs, les chats siamois et les veuves joyeuses. Question de bibliographie et de moment opportun! Si le Président veut alimenter sa verve, qu’il lise Alphonse Allais ou l’Almanach Vermot. S’il entend recouvrer la mine grave, il ne reste plus qu’une solution mais radicale –  à part se replonger dans les statistiques de l’INSEE: penser au retour de Nicolas Sarkozy.

27 décembre.

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Les romans très longs ne sont supportables que si leur héros principal l’est aussi. Demeurer durant prés de 900 pages dans la promiscuité d’un benêt ou d’un demeuré reste possible à condition qu’ils s’agisse du prince Muichkine dans «L’Idiot».Les mille et quelques pages des « Misérables » ne se traversent qu’en compagnie de Jean Valjean et en portant Marius sur nos épaules dans le réseau des égouts de Paris. Au bout de la 300ème page la question se pose pour le sous-lieutenant au 27ème lanciers Lucien Leuwen. Et Stendhal ne nous rend pas la tâche facile. A la 301ème, la question  devient lancinante: ne faut-il pas planter sans préavis, dans le  Nancy de l’époque, ses rues cloacales et ses  aristocrates ennuyées, ce jeune militaire désoeuvré dont le père paie à pleine Bourse les frais de son tilbury, les escapades transgressives et la complaisance de son Ministre? Et puis, page après page, l’on arrive au terme de ce roman inachevé, en regrettant qu’il le soit mais pas complètement puisque dans le texte finalement publié il est loisible de suivre les annotation de Stendhal, la manière dont il se juge écrivant et juge ses personnages, les situations où il les plonge, les dilemmes où il les enferme,  sans parler de ses stratagème enfantins pour détourner les foudres d’une éventuelle censure, lorsqu’il déguise le nom de Guizot sous celui de Zogui!  Reste le style qui reconstitue celui des hommes et les femmes d’esprit de l’époque Louis – Philippe, tout en finesses assassines, en circonlocutions retorses, en sinusoïdales  qui dissimulent le coup de grâce, porté avec une exquise courtoisie et le sens dentellier de la nuance. Du grand art! La scène au cours de laquelle Mme Grandet étouffe de ses propres mains sa morgue sous l’aveu de son amour coupable est un morceau d’anthologie. La fin- provisoire – du roman ne fait plus regretter ce long compagnonnage: la façon dont Lucien Leuwen affronte la ruine imprévisible de son père, la fortitude blessée de sa mère sont de Corneille. Il aura ainsi fallu près de mille pages pour que le freluquet au cheval de luxe se mue en homme droit qui sache  fixer dans les yeux la tête de Méduse. Et l’on restera sur sa « fin », chacun imaginant  à sa façon la suite du parco.

RD

Bloc-Notes: Semaine du 23 décembre

In Uncategorized on janvier 2, 2014 at 12:01

24 décembre

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Une fois passée la trêve des confiseurs, le dernier avis du conseil d’Etat concernant l’accompagnement des enfants à l’école par des parentes musulmanes voilées va soulever  plus que des commentaires érudits ou pinailleurs dans les Facultés. Il faut noter que cet avis a été sollicité par le Défenseur des droits qui n’y voyait plus très clair. Où commence et où s’arrête le territoire scolaire en principe «sanctuarisé», au sens laïc du terme? Si un élève n’a pas le droit de pénétrer dans une école publique en arborant les signes religieux de sa confession, une sienne parente est elle autorisée à le faire, et cela, pourquoi pas,  jusqu’à la porte  de la classe? Le Conseil d’Etat est d’avis que le principe de neutralité qui s’impose aux agents du service public ne s’impose pas à ses usagers. En droit strict et statique, il n’a pas tort mais qu’est-ce que le droit «strict»? Et peut-on concevoir raisonnablement de canoniser la dichotomie entre agents et usagers dans un pareil contexte? Ne faut-il pas, en ces périodes troubles, lorsque l’appartenance confessionnelle risque de se dévoyer en prosélytisme, envisager le service public comme l’ensemble insécable constitué par les agents qui y opèrent et ceux qui en usent? Peut- on concevoir un service public digne de ce nom dans lequel les agents n’auraient cure des usagers ou dans lequel les usagers  se comporteraient comme dans leur lieu de culte? Le principe de neutralité invoqué en «strict» droit administratif n’est qu’une déduction d’un autre principe, d’un niveau sans doute supérieur: celui de laïcité, inscrit explicitement dans la Constitution et par lequel le République françaises s’identifie. Une fois de plus  la question de la propagande islamique en France est posée dans des termes qui ajoutent à la confusion ambiante.Il n’est pas question de juger de la manière dont les uns et les autres s’habillent ou s’affublent mais pour une femme  se couvrir de la tête aux pieds: foulard  – scaphandre, doudoune-bibendum, pantalons et socques hermétiques, est-ce seulement se vêtir pudiquement ou se couler dans une sorte de combinaison physiquement et mentalement isolante? L’idée que l’on se fait de l’espace public est indissociable de celle que l’on se forge de la République et de la démocratie. Il est vrai que le Conseil d’Etat s’en remet aux chefs d’établissement pour faire respecter la conception démocratique de l’espace public scolaire mais l’on voit mal comment Mr. le Proviseur ou Mme la Proviseure pourra  interdire quoi que ce soit à une mère voilée qui brandirait de la main droite la photo de Cheikh Yassine et de l’autre l’avis du Conseil d’Etat.  C’est à l’usage que l’on vérifiera si l’avis de l’éminente assemblée a été d’une part de bon conseil et d’autre part utile à la consolidation de l’Etat… de droit. Réponse, au moins partielle, aux municipales et aux européennes.

26   décembre.

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Le Président Hollande semble d’un naturel heureux. S’il ne prend pas ses fonctions à la légère, il  ne se prend pas trop au  sérieux non plus. D’où sa propension parfois incoercible aux «vannes» et aux blagues dans des  circonstances où il faut savoir garder ses distances, quitte à pouffer de rire ensuite dans les toilettes de l’Elysée. Sa blague sur Manuel Vals « revenu sain et sauf d’Algérie, ce qui n’est pas peu dire » lors de la réception officielle des membres du CRIF au palais présidentiel a vite fait de voler jusqu’à Alger où elle n’a pas fait se fendre tout le monde. Au contraire. D’où les « contre -vannes » et les protestations indignées en réplique d’outre-Méditerranée, avec la circonstance aggravante, selon la presse arabophone du pays, que l’Algérie a été moquée devant des « Juifs ». Au point d’en oublier la propension non moins avérée des algériennes et des algériennes à l’humour décapant  ou à la dérision dont ses propres pouvoirs publics ont appris à s’accommoder depuis que les années 90, sous les auspices du GIA, ont fait grimper les barèmes du goût de vivre et ont rappelé les effets salutaires du mot d’esprit dans ses relations avec l’inconscient. Pourtant si notre François Hollande national manifeste par ses blagues à deux centimes d’euro la nostalgie de ses années-potache, on  ne va pas en faire, c’est le cas de le dire, un fromage. Il lui faut juste reprendre un petit coup de sérieux compassé, qu’il repense par exemple  à la fameuse courbe du chômage  qui répugne à s’inverser sauf lorsqu’elle est calculée par trimestre, en en déflaquant des brassées de vrais chômeurs, les chats siamois et les veuves joyeuses. Question de bibliographie et de moment opportun! Si le Président veut alimenter sa verve, qu’il lise Alphonse Allais ou l’Almanach Vermot. S’il entend recouvrer la mine grave, il ne reste plus qu’une solution mais radicale –  à part se replonger dans les statistiques de l’INSEE: penser au retour de Nicolas Sarkozy.

27 décembre.

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Les romans très longs ne sont supportables que si leur héros principal l’est aussi. Demeurer durant prés de 900 pages dans la promiscuité d’un benêt ou d’un demeuré reste possible à condition qu’ils s’agisse du prince Muichkine dans «L’Idiot».Les mille et quelques pages des « Misérables » ne se traversent qu’en compagnie de Jean Valjean et en portant Marius sur nos épaules dans le réseau des égouts de Paris. Au bout de la 300ème page la question se pose pour le sous-lieutenant au 27ème lanciers Lucien Leuwen. Et Stendhal ne nous rend pas la tâche facile. A la 301ème, la question  devient lancinante: ne faut-il pas planter sans préavis, dans le  Nancy de l’époque, ses rues cloacales et ses  aristocrates ennuyées, ce jeune militaire désoeuvré dont le père paie à pleine Bourse les frais de son tilbury, les escapades transgressives et la complaisance de son Ministre? Et puis, page après page, l’on arrive au terme de ce roman inachevé, en regrettant qu’il le soit mais pas complètement puisque dans le texte finalement publié il est loisible de suivre les annotation de Stendhal, la manière dont il se juge écrivant et juge ses personnages, les situations où il les plonge, les dilemmes où il les enferme,  sans parler de ses stratagème enfantins pour détourner les foudres d’une éventuelle censure, lorsqu’il déguise le nom de Guizot sous celui de Zogui!  Reste le style qui reconstitue celui des hommes et les femmes d’esprit de l’époque Louis – Philippe, tout en finesses assassines, en circonlocutions retorses, en sinusoïdales  qui dissimulent le coup de grâce, porté avec une exquise courtoisie et le sens dentellier de la nuance. Du grand art! La scène au cours de laquelle Mme Grandet étouffe de ses propres mains sa morgue sous l’aveu de son amour coupable est un morceau d’anthologie. La fin- provisoire – du roman ne fait plus regretter ce long compagnonnage: la façon dont Lucien Leuwen affronte la ruine imprévisible de son père, la fortitude blessée de sa mère sont de Corneille. Il aura ainsi fallu près de mille pages pour que le freluquet au cheval de luxe se mue en homme droit qui sache  fixer dans les yeux la tête de Méduse. Et l’on restera sur sa « fin », chacun imaginant  à sa façon la suite du parco.

RD

PARACHA BO

In RELIGION on janvier 1, 2014 at 4:22

15 Bo

 (Ex, 10, 1 et sq )

L’obstination du maître de l’Egypte restera dans les annales de l’humanité comme l’exemple le plus terrible de la logique du pire, de l’exaltation de soi et du déni mortel de la réalité. Toutes les frappes qui affligent l’Egypte sont autant de prétextes aux yeux de Pharaon pour s’acharner en son refus, de paraître chaque fois concéder pour n’avoir à rien céder. Il semble qu’après chaque plaie, il veuille gagner du temps vers un objectif que l’on suppute mais qui de sa part ne se déclare jamais clairement. Escompte t-il que Moise, considéré comme un égyptien, un mitsri, épuise ses tours, et que pareil au chasseur dont le carquois s’est vidé il se retrouve le point d’être attaqué par sa proie?

L’historien des mentalités que fut  Lucien Febvre nous a mis en garde: les structures psychiques de l’humain ne sont pas des invariants. Ce qui nous est devenu compréhensible aujourd’hui ne l’était pas il y a deux siècles seulement, sans parler de millénaires. La «psychologie» de Pharaon ne s’explique pas aisément. Elle se constate.

Après les sept premières plaies, le Maître divinisé de l’Egypte persiste dans son refus, même s’il paraît, comme on l’a dit, faire chaque fois amende honorable, pour ne pas parler de repentir. Chaque fois, dès que les effets de la plaie se font moins sentir, au lieu d’en tirer les leçons il s’encourage dans son obstination. C’est sans doute de cette façon que l’on peut concevoir le schème si souvent répété dans ces chapitres selon lequel «Dieu endurcit le cœur de Pharaon». C’est à la seule évocation de ce Dieu qui ne tombe pas sous sa coupe que l’esprit de Pharaon  se raidit, s’enferme sur lui même, la  phobie aggravant l’obsession. Nous découvrons là devant des échelles de pouvoir dont seuls les totalitarismes contemporains  restitueront l’idée.

Cependant, pour les esclaves hébreux l’issue est proche. La plaie des ténèbres semble avoir profondément ébranlé le Pharaon obstiné dont même la dévoration des sauterelles n’a pu avoir raison. Et encore: il manoeuvre, il louvoie, il accepte que les Hébreux quittent l’Egypte mais en laissant leur bétail si ce n’est leurs enfants en gages ou en otages.  Il  faudra une dernière plaie – la plus terrible – pour qu’il ouvre enfin le verrou dix fois verrouillé de l’Egypte: la mort des premiers nés, dont le sien. Alors il cède tout ce qu’il avait refusé jusque là: que les hébreux s’en aillent au plus vite  et, comme tous les potentats qui s’effondrent, le voici se déjuge, qui demande à Moïse, une fois que les Hébreux se seront munis de tout ce dont ils ont besoin pour la route, de le… bénir. Le récit biblique ne dit pas si Moïse s’est exécuté. Hélas, nous ne sommes plus au temps de Joseph, de Jacob et du Pharaon hospitalier… Néanmoins, et jusqu’à cette extrême limite, rien n’assure que le Maître de l’Egypte – ou ce qu’il en reste,  et d’elle et de lui! – se soit rendu à merci…

Il n’empêche. Dieu l’avait demandé à Moïse avant même la dixième plaie: que les enfants d’Israël se préparent à partir. Le temps est venu, même si l’instant exact n’est pas fixé car le Créateur n’est pas assujetti au temps chronologique. Ce sera aux environs de minuit et ce minuit sera différent de tous ceux qui l’ont précédé. Il ne marquera pas un simple partage de la nuit commençante et de la pleine nuit  mais une distinction entre deux âges du monde: celui de la servitude et celui de la délivrance. C’est sur le territoire même de l’Egypte que les deux dimensions de cette délivrance sont soulignées: la délivrance des corps va se consommer mais pour s’articuler sans désemparer à celle des esprits, et la tâche ne sera guère plus facile. On ne sort pas de plus de deux siècles d’esclavage par simple proclamation. Il faudra y œuvrer corps et âme. Et à cette fin, en finir avec la peur.

Si la nuit de la délivrance est fixée au 14 nissan, c’est dès le 10 de ce mois que les esclaves commenceront à se départir des chaînes mentales d’un pareil état. Ils devront par eux- mêmes acquérir l’agneau du sacrifice – liturgie odieuse pour l’Egypte –  et le maintenir quatre jours durant dans leur habitation. La Sortie d’Egypte ne sera pas un sauve – qui – peut. Après quoi, ils devront distinguer leur habitation de celles des Egyptiens par une marque de sang, celle du sacrifice, aux poteaux et au linteau de leur porte. Par là même ils assumeront  ce que l’on nomme aujourd’hui leur identité.

Dans l’attente de la plaie fatidique, les Hébreux doivent se tenir prêts pour le départ non sans avoir fait mémoire de tous ces événements, plus tragiques les uns que les autres. Si le Pharaon était tenté d’en effacer les moindres traces, celles-ci se retrouveraient transportées dans la liturgie pascale avec ces quatre symboles essentiels, ces quatre inducteurs de questions, lesquelles  impliquent d’ores et déjà une complète liberté de parole: la coupe de vin, le pain azyme, les herbes amères et l’agneau du sacrifice.

C’est également en terre d’Egypte que sont déterminés les cadres mentaux du peuple nouveau-né: son calendrier, ses institutions fondamentales, notamment celle d’une Loi  non discriminatoire pour l’ancien esclave libéré, l’ezrah’, et l’étranger, le guer, sans pour autant confondre les croyances et les cultures. On ne changera pas la boue des champs de corvée pour celle de rituels et de liturgies devenues indiscernables. Ce n’est pas en se dissolvant que l’on accède à l’universel. Mais, comme on l’a dit aussi, après que l’Egypte a été frappée dans ses premiers nés – en souvenir desquels toutes les règles bibliques de la dévolution des aînés à l’Eternel trouve sa cause – il ne faut pas imaginer Pharaon rendu.

A ses yeux la partie n’est pas perdue. La configuration de l’ultime bataille se dessine déjà dans la topographie du désert et dans l’aveuglement des anciens esclaves qui le demeurent à ses propres yeux …

Raphaël Draï, zal, 1er Janvier 2014