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In Uncategorized on juin 25, 2020 at 10:47
37 Kora'h.

( Nb, 16 et sq )

Qu’il ne suffise pas de se réclamer de la Thora, de la Loi, pour en devenir un exemple probant est illustré ad nauseam par la présente paracha puisqu’elle met aux prises non pas des membres de tribus différentes mais des membres de la même tribu, et quelle! la tribu de Lévi.

Le déclenchement  de la révolte dont Korah’ et sa clique vont prendre l’initiative n’en est pas moins décrit de manière surprenante; « Et Korah’ prit, fils de Kéhat, fils de Lévi.. ». Surprenante, à coup sûr, d’abord au plan grammatical puisque le verbe « prendre », utilisé ici, n’a pas de complément d’objet comme le voudrait la grammaire habituelle. Faute de copiste? Erreur de transcription?  Si tel avait été le cas, cette faute ou cette erreur eût été mentionnée en marge du texte, selon la règle dite du kétiv-kéri, littéralement: «  C’est écrit comme ceci, mais il faut lire comme cela.. ». Ce n’est pas le cas. Dès lors comment entendre cette formulation?

Plusieurs commentaires en ont été proposés au cours des siècles, portant notamment sur le fait que Korah’ et ses affidés avaient « pris » leurs comparses au piège de leurs paroles captieuses pour les dresser contre Moïse et Aharon son frère. Une autre hypothèse est envisageable toutefois qui se rapporterait à la force de la pulsion à l’oeuvre en cet affrontement mais également à sa cécité. Tout se passe comme si Korah’ avait été mu par ce que les psychanalystes nomment une pulsion d’emprise dont l’objet qui la soutient initialement importe peu. Dans une situation de ce type, l’on prend pour prendre puis l’on est pris soi même par ce même mouvement. Telle semble être la pulsion particulière qui investit notamment la volonté de Pouvoir. Tous les prétextes lui sont bons. Et comme aucun objet déterminé n’est véritablement de nature à la satisfaire, nul n’est besoin d’en préciser la nature. L’intelligence elle même lui est asservie et la fournit en «bonnes raisons» et en sophismes de mauvaise foi.

C’est sans doute pourquoi le texte des Nombres précise également la généalogie de Korah’, lévite certes mais de la famille en charge, l’on s’en souvient, du service divin au Sanctuaire. Si tant est que l’honneur soit le motif déterminant d’une conduite, quel honneur serait plus grand que celui là!  Et pourtant  Korah’ et sa bande ne s’en satisfont pas. Ce qu’ils visent n’est rien de moins que la place de Moise et d’Aharon, non pas telle qu’elle est mais telle qu’ils l’imaginent: conférant honneurs suprêmes, prébendes et sans  doute, pourquoi pas droit de cuissage. N’est-ce pas cette rumeur qui avait couru à propos de Moïse et de la « femme couchite », racontars dont, hélas, Myriam et Aharon avaient été les relais? Cependant, pour justifier leur coup de force, Korah’ et les siens vont commettre deux erreurs qui leur seront fatales.

D’une part, ils vont imputer à Moïse et à Aharon des visées monarchiques qui n’étaient pas les leurs. Ce qui s’attestera dans le jugement de Dieu auquel chaque protagoniste sera convié sans tarder.

D’autre part, ils vont prétendre que la tâche de Moise et d’Aharon est achevée puisque le peuple d’Israël serait tout entier parvenu à la sainteté, qu’il serait devenu un peuple de «parfaits», ne justifiant plus aucune tutelle. Or, et à moins que, d’eux mêmes, ils ne se soient exclus de ce peuple, leur tentative, par le mauvais esprit dont elle témoigne, en apporte la démonstration exactement inverse. Le mécanisme mental à l’œuvre dans  ce procès d’intentions n’est rien d’autre que celui de la projection. Autrement dit, Korah’ et sa bande imputent à Moise et à son frère de bas motifs qui sont surtout les leurs. D’où la réaction que l’on pourrait qualifier de «contre-projective» de Moïse retournant à  leur véritable source ces motifs séditieux. Le texte de la paracha en rend compte de façon littérale.

Pour signifier à Moise et à Aharon que c’en était assez de leur «  Pouvoir », Korah’ avait dit:

a) «  C’en est trop de votre part (rav lakhem )( Nb, 16, 3) ;

à quoi Moïse répliquera, terme à terme, et symétriquement, après avoir essuyé cette salve de griefs et avoir souligné les hautes prérogatives des kéhatites:

 b) « C’en est trop de votre part, fils de Lévi ( rav lakhem Bnei Lévi  » ( Nb, 16, 7).

Et puisqu’il faut trancher, le jugement de Dieu sera sollicité. Ce qui ne peut manquer de  provoquer notre étonnement. Comment Moise et Aharon ont-ils pu solliciter un tel jugement, en impliquant le Créateur dans une querelle où, en somme, ils étaient juges et parties? Deux raisons ici aussi l’expliqueraient.

La querelle ne porte pas sur  un objet matériel, ni même sur une question de préséance protocolaire. Elle s’est portée sur un terrain capital: celui de la sainteté, de la kedoucha, celui là même où le Créateur affirme que l’on peut s’approcher de Lui selon la prescription du Lévitique: «Vous serez saints car je suis Saint, l’Eternel votre Dieu» (Lv, 19, 2).

Or quel autre juge sinon le Saint par excellence pourrait trancher une pareille contestation! Mais surtout, en acceptant, comme s’il allait de soi, un jugement de cette sorte, Korah’ et sa bande savaient qu’ils prenaient un risque mortel. Membres de la tribu de Lévi, comme on y a fortement insisté, ils ne pouvaient ignorer le sort qui fut celui de Nadav et Avihou, les deux premiers fils d’Aharon, foudroyés aux abords du Saint des Saints pour  en avoir approché un feu «autre» qui ne leur avait pas été commandé dans l’exercice de leur sacerdoce. Korah’ et les siens ne tarderont pas à le vérifier par leur propre chute dans l’abîme  qui s’ouvrira de ce fait sous leur pas.

Cependant, comme le Tanakh est d’un seul tenant, les Psaumes nous apprendront que les descendants de Korah’ n’en ont pas été stigmatisés, qu’ils deviendront même des psalmistes de premier rang. Pour bien faire comprendre, s’il en était besoin, que pour quiconque s’y attache parce qu’il le doit, rien n’est irréparable.

Raphaël Draï zal, 4 juin 2013

PARACHA CHELA’H LEKHA

In Uncategorized on juin 18, 2020 at 5:58

( Nb, 13 et sq )

36 Chala'HLeHa.

Cette paracha inaugure une série de quatre parachiot parmi les plus dures de tout le Tanakh concernant le peuple d’Israël et l’on doit immédiatement relever à ce propos que le récit biblique n’en cache et n’en atténue rien. Jusqu’à présent a été décrite l’organisation pour ainsi dire idéale de ce peuple. Désormais, le voici à l’épreuve. Pour bien comprendre ce qui va suivre, il faut en effet revenir sur un des épisodes les plus marquants relatés dans la paracha précédente, celui au terme duquel le peuple ayant exigé d’être nourri de viande Moïse éclate de chagrin, allant jusqu’à requérir de Dieu la fin de ses jours.

Moïse sent que sa fin approche, que le plus difficile de l’histoire de son peuple commence. Aux abords de la terre de Canaan, le Créateur lui demande d’y envoyer un groupe d’explorateurs afin d’investiguer dans toute la contrée pour savoir quelle est sa conformation, sa fécondité, la disposition physique et mentale de ses habitants actuels, la forme de ses villes et leurs défenses, et s’il s’y trouve « de l’arbre ou rien (êts in ayn ) », formule sur laquelle on reviendra.

Première interrogation: pourquoi Moïse n’est-il pas invité à conduire lui même cette exploration pionnière? Pourquoi la confier à un échantillon symbolique du peuple? On l’a pressenti: parce que sa propre fin approche et qu’il lui faut passer le relais. Cette transition a commencé dès la paracha précédente avec la constitution de l’assemblée des  70 sages, dotés d’un esprit prophétique allumé à celui de Moïse mais irradiant désormais dans l’ensemble du peuple. En somme, le peuple s’autonomise progressivement en endossant les responsabilités qui jusqu’à présent ont été assumées par le seul Moïse, assisté d’Aharon et de Myriam.

Parmi les multiples enseignements de la paracha Chelakh’ Lekha, l’on retiendra donc pour commencer celui-ci: assumer une responsabilité ne va pas de soi. Cette prétention exige force, endurance, esprit de suite. Au départ, quoi de plus élitiste que cette délégation! Chacun des noms qui la constituent peut être lu comme un brevet de prestige. Certes, mais le prestige doit être honoré et « noblesse oblige »,  sans intermittence. Les explorateurs vont ainsi pénétrer en terre de Canaan, sans que personne n’y  perçoive leur présence. Ils en « auront plein les yeux », suivant l’expression populaire. Cette contrée apparaît comme un mélange de cocagne et de cité anté-diluvienne. A preuve: l’énorme grappe de raisins qu’il devront charrier sur leurs épaules.

Ce que Moïse leur a demandé surtout est de vérifier si ce pays comporte de « l’arbre ou non ». On l’a relevé, cette formule appelle le commentaire  puisqu’il suffisait d’un simple coup d’œil, fût-ce de loin, pour constater qu’elle était boisée et fructifère. Cette formule recèle alors un autre sens, plus condensé.

Si, dans la langue hébraïque, le mot ÊTs désigne l’arbre, il le désigne ainsi parce que, au delà de l’image même de cet arbre singulier, le mouvement générique de l’arborescence se donne à discerner et à comprendre. Qu’est-ce qu’une arborescence?  A partir d’une ligne unique, une bifurcation première donnant naissance à des arborescences secondaires de plus en plus fines. Les psychologues le savent précisément avec le «test de l’arbre». Cette figure-là est signe de liberté, celle qui découle de la possibilité de choisir, entre plusieurs directions, entre plusieurs options. A condition que la fibrillation en cours ne se conclue pas en cassure, en séparation et en dispersion. D’où la nécessité correspondante d’une forte attache des branches entre elles et de toutes au tronc commun, lui même solidement enraciné. On l’a vu avec la Ménora.

Aussi, la racine Êts qui s’écrit en hébreu avec deux lettres elles-mêmes bifurcantes, le âyn et le tsadé, se retrouve dans le mot ÊTsA qui désigne le conseil. On comprend mieux à présent la formule utilisée par Moïse: « Hayech bah êts im-ayn »: s’il y a en elle de l’arborescence – entendue en ce sens – ou «  rien ». La résonance de cette formule est considérable. Elle semble faire écho à celle des Bnei Israël, au lieu-dit Massa et Mériba, avant l’agression de Âmalek, elle même sanctionnant ce questionnement  dubitatif: « Hayech Hachem békirbénou im- ayn »: « Si Le Créateur est parmi nous ou rien » (Ex, 17, 7)… Comme s’il fallait, au moment de franchir la ligne d’arrivée, à nouveau vérifier que les représentants du peuple avaient bien intégré la signification de leur responsabilité. Aussi riche soit elle, une terre n’est que désolation si l’esprit de – bon – conseil ne s’y trouve pas, car c’est en ce conseil et par lui que la Présence divine s’atteste.

Il ne faudra pas attendre longtemps pour constater à quel point l’enseignement n’a pas été compris. Au retour de leur expédition, les envoyés de Moïse se montreront de très mauvais conseil, provoquant la désespérance du peuple, une désespérance dont les effets différés se manifesteront jusque dans la destruction des deux Temples de Jérusalem. Heureusement, Josué, fils de Noun, dont le  nom avait été opportunément changé et bonifié par Moïse avant le départ du groupe, et Caleb, fils de Yéphouné, échapperont au concours de médisance.

Cependant la question demeure: pourquoi Moïse n’a t-il pas également changé et bonifié le nom des autres explorateurs ?

 A chacun et à chacune d’y réfléchir.

Raphaël Draï zatsal, 27 Mai 2013

AN 2002 – LA COMMUNAUTE JUIVE DE FRANCE DONNEES ET DEFIS

In Uncategorized on juin 14, 2020 at 2:15

Une enquête sur les Juifs de France en 2002?

En période de si profonde inquiétude et de doutes si nombreux? Autant vouloir changer les roues d’un véhicule en pleine lancée. Pourtant, pour risqué qu’il soit, l’exercice est parfois nécessaire. Lorsque l’inquiétude grandit, lorsque les fantasmes et les peurs l’infectent, il est nécessaire de revenir aux réalités. Celles-ci, avant tout, se chiffrent et se configurent. Au fait: les Juifs de France, combien sont-ils? Et puis à quelles valeurs s’identifient-ils? Leur inquiétude incontestable va t-elle jusqu’à remettre en question l’avenir d’une communauté juive en France même? Et d’ailleurs va t-il de soi que l’on se pose tant de questions lancinantes moins de cinquante ans après la libération du territoire français occupé par les armées du Reich, et quarante ans tout juste après l’arrivée des quelques cent mille Juifs éradiqués d’Algérie? Un premier chiffre en forme de confirmation frappe l’attention. Contrairement aux fantasmes des hallucinateurs du « lobby juif »en France, la communauté juive de ce pays ne compte pas plusieurs millions d’habitants qui tous résideraient dans les quartiers huppés, tandis que leurs élites se rencontreraient clandestinement au Métro Bourse. La communauté juive de France compte un peu plus de 500 000 personnes, pour la plupart réunies dans Paris et la région parisienne. Les autres se regroupent dans les grandes cités de l’Hexagone, pas forcément là où le soleil est le plus constant mais là où il n’est pas impossible de former un minian. Car la vie s’en vient et, hélas aussi, s’en va et dans les deux cas il y faut quelques prières. Ce chiffre modeste peut faire d’abord l’objet d’une évaluation interne. Si la communauté juive de France est à présent la plus peuplée d’Europe, ce n’est pas qu’elle soit en forte croissance endogène. L’Europe s’est profondément désertifiée de ses Juifs depuis la Shoah pour les raisons qu’il n’est plus besoin de souligner. Alors, la France est-elle une exception? Un refuge? Un vestige? A vrai dire ce chiffre ne prend son sens intense qu’au regard des bouleversements actuels de la sociologie religieuse et donc politique de la France et, notamment, au regard des quelques quatre millions – au moins – d’arabo-musulmans qui s’y trouvent et y demandent l’intégralité de leurs « droits », pour reprendre un slogan de Tarik Ramadan, tandis qu’un anti-israëlisme – pour ne pas dire un anti-judaïsme – virulent, déclaré ou mutique, les gagne massivement. Depuis la fin des années 70, la position démographique de la, communauté juive s’est profondément dégradée. A présent elle se trouve numériquement reléguée en dernière position, loin derrière les communautés catholique, islamique, protestante, orthodoxe slave et bouddhistes. Cela n’aurait d’autre signification que statistique, si précisément le nombre n’était devenu, au fil des ans, un « indicateur » de réalité politique. Le tristement célèbre rapport Boniface pourrait-il se comprendre autrement? S’adressant aux leaders socialistes mais cherchant une oreille beaucoup plus large, il tentait d’accréditer l’équation anti- républicaine entre importance politique réelle et chiffre de la population effective. Froisser les Juifs? Voire les piétiner? Qu’importe. Tant à se fâcher, autant le faire avec le plus faible nombre, insusceptible par ailleurs de croître d’avantage. La leçon devrait porter. Il est inutile d’arguer du faible chiffre de la population juive pour tenter de faire le bon élève de la classe, pour rejouer les « fous de la République » et les accros de la démocratie. En considérant la progression de la mentalité démagogique, avancer ce chiffre comme un label de bonnes vies et mœurs civiques, c’est ipso facto faire aveu de faiblesse. Le suffrage universel s’alignant désormais sur l’audimat télévisuel comment autrement s’étonner que rien ni personne dans cette communauté ne puisse infléchir en quoi que ce soit la politique pro-arabe de la France? En ce sens, les prestations de Jacques Chirac lors du sommet de la francophonie au mois d’octobre à Beyrouth ont eut tôt fait de fossoyer les espoirs de plus grande impartialité soulevés par Jean Pierre Raffarin et Dominique de Villepin. Comment espérer aussi que les grands médias nationaux, surtout télévisés, relayés notamment dans tout le Maghreb, abandonnent ce qui n’est plus au fond qu’une attitude de mépris à l’encontre de l’immense majorité des citoyens français de religion et même de sensibilité juive, comme on a pu le vérifier lors des grandes manifestations d’avril dernier? Alarmes excessives? Inquiétudes infondées? Complexe obsidional? La soupçon aurait été plausible si les membres de cette communauté ne constituaient qu’un ramassis d’illettrés primaires portés aux identifications grégaires. Ce que l’enquête de 2002 révèle et établit c’est qu’au regard de la moyenne nationale, la communauté juive de France compte le plus grand nombre de bacheliers et de diplômés de l’enseignement supérieur. On est loin d’y pratiquer le prêt à penser et l’embrigadement confessionnel même si un très fort sentiment d’appartenance culturelle et religieuse s’exprime en même temps chez la plupart de ses membres. A quel titre d’ailleurs lui en ferait-on reproche alors que le Pape en plein Parlement italien croit devoir une nouvelle fois rappeler les citoyens européens aux « racines chrétiennes de l’Europe », tandis que Valery Giscard d’Estaing fait obstacle de son corps à l’inassimilable Turquie au risque de faire se retourner Pierre Loti dans sa tombe? Au surplus, non seulement, cette communauté ne se coupe pas de la communauté nationale, mais elle cultive des valeurs propres que cette même communauté nationale voudrait bien voir largement diffuser dans ses zones sensibles: le respect des autres et de soi, l’attachement familial, la solidarité envers les plus démunis, intra comme extra muros, le souci de comprendre, l’aspiration à une paix qui ne soit pas un jeu de dupes. Quoi que l’on pense des écoles juives, des centres communautaires, de l’état des mouvements de jeunesse ou de celui du rabbinat, ce résultat n’aurait pu être atteint depuis au moins cinq décennies sans un lent et patient et méritoire travail d’éducation et de socialisation, aussi ouverte que controversive. En cherche t-on une preuve supplémentaire? L’enquête de 2002 souligne justement que désormais la majorité des chefs de familles juives sont nés en France et n’ont plus avec le pays d’origine de leurs parents qu’un lien de mémoire. Faut-il alors rappeler que la communauté juive de France a reçu dans les années 61 et 62 plus de cent mille juifs rapatriés en catastrophe d’une Algérie en situation apocalyptique? Que malgré la faiblesse de ses moyens elle a su au moins y faire face sans cultiver la haine et recuire le ressentiment? Que de très nombreux juifs ont vécu et vivent parfois encore dans des barres de HLM? Qu’ils ont accepté des petits boulots? Que le chômage ne les épargne pas? Qu’ils ont néanmoins eu à cœur de surmonter dislocations familiales, déprimes tenaces et autres tragédies plus graves? Que, cependant, leurs enfants sont aujourd’hui les dépositaires d’une mémoire à peu prés heureuse, disponible pour toute réconciliation qui se voudrait sincère? Or c’est précisément cette réussite-là qui engendre à présent tensions, désarroi et parfois colère, quand elle n’incite pas à l’émigration, selon les schémas classiques de Albert O. Hirschman dans Exit, Voice and Loyalty: lorsque la voix n’est plus audible, la « loyauté » n’est plus qu’aliénation et, à son tour, l’issue n’est plus, si l’on peut dire, que dans la sortie. Depuis septembre 2000 et la contagion en France de l’Intifada des Mosquées, on l’a maintes fois souligné, tout se passe comme si la communauté juive de France comptait désormais pour rien. Les violences physiques ou les agressions verbales qui la visent ont été longtemps et largement minimisées. Il suffit que sous l’effet de contraintes extérieures (attentats du 11 septembre 2001 ;changement de majorité en 2002 ) elles connaissent une accalmie pour que ceux qui les dénoncent avec force et endurance se voient taxés d’affabulation quand ce n’est pas de servir les intérêts inavouables d’une puissance occulte aux sombres desseins. Pourquoi donc des hommes et des femmes dont la citoyenneté repose sur l’adhésion à des valeurs profondes, historiquement consolidées, sont ils et sont elles à ce point politiquement bafoués? Les données chiffrées de cette enquête méritoire ne sont pas en contradiction avec l’observation de comportements incompatibles, eux, avec la qualité théorique de citoyen: sentiment d’exclusion converti en projet d’émigration « extérieure » vers Israël certes mais aussi vers les USA, le Canada ou même la Nouvelle Zélande; développement de stratégies dites de « précaution », au cas où…, cette dernière formule ne se comprenant vraiment qu’à la condition d’être rapportées aux traumatologies extrêmes et reviviscentes des années 40, s’agissant de la Shoah, et des années 60 s’agissant d’un déracinement qui fut collectif et sans préavis. A quoi s’ajoutent tant d’attitudes et de gestes qui se rapportent maintenant à une véritable émigration intérieure, si ce n’est à un auto-retranchement de caractère phobique: désabonnement rageur de publications, appréhensions angoissées à la lecture des journaux, crainte d’allumer la télévision, addiction aux sources d’information en boucle, zapping anxieux d’une chaîne à l’autre pour y quêter un peu d’impartialité et y guetter un peu moins de haine à l’égard de ces nouveaux non humains: les « colons » israëliens – parfois des parents! dont le meurtre est absous d’avance, où qu’il se produise, directement ou par amalgame idéologique. Dans ces conditions, la théorie des dominos opère a grande échelle et de manière exhaustive: lorsque l’horizon se bouche, lorsque le passé semble se répéter, à quoi riment, en matière d’éducation ou d’équipements communautaires, lancements de nouveaux programmes et élaboration de « projets d’établissements »?

Les Juifs de France ont-ils un avenir?

Les alternatives prennent la forme de dilemmes mutilants: a) en tant que Juifs, peut être, mais ailleurs, ou b) en tant que Français mais à condition de subir une sérieuse capitis dimiutio et de se désister d’Israël. Il faudrait donc de nouveau choisir? L’on entend les belles âmes se récrier, avec effets de manches: « Mais comment oser vous ! » En matière aussi grave il ne s’agit pas de s’indigner mutuellement mais de répondre aux défis de l’époque. L’on aurait bien tort de croire que les Juifs de France seraient tous atteints de communautarisme galopant, qu’ils ne verraient plus midi ou minuit qu’à leur porte alors que tant d’entre eux ne cessent de proclamer, à qui veut bien les entendre, le contraire. Les Juifs de France réagissent en fait comme des sismographes. Il y a au moins deux ans qu’ils ressentent des secousses erratiques et déséquilibrantes que d’autres préfèrent attribuent à leur « agitation ». Midi? Minuit? Et s’il était plus tard qu’on ne le pense? L’espérance d’Israël ne s’est jamais accommodée d’aucune illusion et c’est pourquoi elle a su trouver les voies de l’avenir. Grâces soient donc rendues aux sociologues du temps présent s’ils permettent d’ouvrir la discussion sur les issues des temps futurs.

                 Raphaël Draï zal, L’Arche, Décembre 2002

PARACHA BEHA’ÂLOTEKHA

In Uncategorized on juin 11, 2020 at 7:23
35 Beha'alotra

Tandis que les parachiot précédentes étaient consacrées à la configuration du camp d’Israël, ainsi qu’à la définition des tâches et des missions incombant à toutes les composantes du peuple, celle-ci commence par une adresse particulière aux cohanim, aux prêtres et grands prêtres, en ces termes:  « C’est vis à vis de la face du Candélabre (el moul pnei Haménora) que les sept lampes doivent projeter la lumière». Suivent des précisions que l’on pourrait juger redondantes sur la forme du Candélabre et notamment sur l’obligation qu’il  soit  façonné d’une seul tenant. Cette traduction, celle de la « Bible du Rabbinat », doit servir de point de départ.

Ce n’est pas la première fois qu’il est question de la Ménora dans la Thora. Le livre de Chemot a traité abondamment des modalités de sa confection. Comme il n’est pas de répétition dans le récit biblique, il faut tenter de comprendre cette nouvelle disposition scripturaire. Jusqu’à présent, en effet, c’est surtout l’anatomie du camp d’Israël dont il a été question. A présent, le livre de Bémidbar, des Nombres, évoque l’influx qui doit l’invigorer: la lumière. Celle-ci n’est pas celle, naturelle,  qui provient du soleil et de la lune. Il s’agit d’une lumière faite pour ainsi dire de main d’homme, à partir d’une huile particulièrement pure et qui devra être disposée dans les sept branches du Candélabre. Car si celui-ci doit bien être d’un seul tenant, il prend ensuite la forme d’une arborescence, toujours symbole de pluralité et donc de liberté. Cet Arbre de lumière est lui même disposé de manière particulière,ce que donne à entendre finement le texte hébraïque.

Les cohanim devront en faire «monter» les lumières, les nérot, très précisément «en face de la Menora». Ce qui ne signifie pas qu’eux mêmes aient à se trouver  physiquement, en face du Candélabre mais que les lumières de celui-ci correspondent, face à face, aux lumières d’un autre Candélabre: de la Ménora  céleste. Il n’y a, en l’occurrence, aucun risque de fétichisation de la Ménora se trouvant dans le Sanctuaire. Le sens de celle-ci ne se renferme pas en elle même. Il se rapporte à un autre élément qui le constitue effectivement. Il faut se représenter le dispositif mis en place de la manière suivante: les cohanim face à la Ménora du Sanctuaire, elle même faisant face à la Ménora céleste.

Dès lors en quoi celle-ci consiste t-elle? Il ne s’agit justement pas d’une Ménora où se retrouveraient le soleil et la lune, avec d’autres étoiles ou planètes mais d’une Ménora cognitive et spirituelle, celle qui est évoquée notamment par le prophète Esaïe d’abord dans cette parole d’espérance: « Le peuple qui marchait dans la ténèbre voit une lumière grande (or gadol),  ceux qui habitaient dans une terre mortifère une lumière  irradiante (or naggah) (sera) sur eux  » ( Es, 9, 1);  et ensuite dans cette vision d’avenir: «Or un rameau sortira de la souche de Jessé, un rejeton poussera ses racines. Et sur lui reposera l’esprit du Seigneur, esprit de sagesse et d’intelligence, esprit de conseil et de force, esprit de science et de crainte  de Dieu» ( Es, 11, 1, 2).

A chacune des lumières, des orot, de la Ménorah d’en bas, mais à la direction ascensionnelle, correspond une des facultés éminentes de l’esprit humain liée à l’esprit divin. Par là même l’on est amené à comprendre que la liturgie sacerdotale décrite dans  la présente paracha n’est pas relative à l’éclairage optique du Sanctuaire, et plus tard du Temple, mais à la mise en lumière des dimensions et facultés de l’esprit humain en tant qu’il est corrélé à l’esprit divin, conformément à ce qui est qualifié dans le livre de la Genèse, dans le sépher Beréchit, de tsélem Elohim, expression littéralement intraduisible que l’on peut rendre par la  formule: « corrélation divine».

Ces mêmes dimensions spirituelles et facultés cognitives ne sont pas vouées à demeurer théoriques ou purement conceptuelles. Elles sont activées par les conduites et le comportements qui leur correspondent, et cela par le biais de l’accomplissement des mitsvot. Dans la symbolique hébraïque, le mot ner se rapporte à celui de mitsva  et celui de or à Thora, selon le verset: «Car la chandelle ( ner) est la mitsva et la Thora, lumière (or) ». On sait qu’il est 613 mitsvot. Plusieurs classifications en ont été proposées au cours des siècles. Une autre, fondée sur la présente paracha, deviendrait concevable regroupant ces 613 mitsvot au regard cette fois de chacune  des dimensions évoquées dans la vision d’Esaïe.

Pourquoi insister enfin sur le fait que la Menora doit être confectionnée d’un seul tenant, alors que nous le savons déjà?  Le contexte est différent  et l’enseignement aussi. Certes,  il est question ici d’arborescence, de 613 mitsvot, de sept nérot, de sept dimensions de l’esprit. Cependant, la pluralité ne doit pas se transformer en dispersion puis en inévitable extinction. Les branches ne méritent ce nom que reliées solidement à un tronc, lui même figure et symbole de l’unité vivante. Utile rappel avant la description qui ne va guère tarder des crises qui secoueront le peuple des Bnei Israël en mettant  précisément à l’épreuve son unité et la configuration de son camp, de son mahané, réceptacle de la Présence divine.

Raphaël Draï zatsal 22 mai 2013

1967-2015: UN BILAN

In Uncategorized on juin 4, 2020 at 11:30

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A quelques journées de la commémoration de la guerre dite des « Six jours » et qui, dans sa phase militaire offensive devait se déclencher le 5 juin 1967; après cinq décennies d’affrontements de toutes sortes: guerres conventionnelle, attentats terroristes de grande envergure et surtout guerre idéologique et propagandiste inlassable, il semble nécessaire de s’interroger sur la signification et la portée d’un conflit qui semble n’avoir décidément aucune fin prévisible. Parfois dans la communauté juive de France, les esprits sont sur ces sujets tellement désemparés qu’il importe de reconstituer quelques points de repère fondamentaux. Car un demi-siècle de guerre multiforme ne peut pas ne pas affecter une collectivité humaine non seulement de manière circonstancielle mais de génération en génération au point qu’en 2015 nombre de citoyens juifs de France s’interrogent sur un avenir possible et vivable dans la patrie des Droits de l’Homme. Or jusqu’en 1967 les relations entre la France bimillénaire et l’Etat d’Israël étaient régis par une formule restée fameuse du Général de Gaulle: « Israël notre ami, notre allié ». Ces deux termes ne sont pas ornementaux, surtout le second lequel, au delà de toute implication affective, attestait d’une communauté d’intérêts entre les deux Etats. C’est sur cette base que les tensions nées entre l’Egypte nassérienne et l’Etat d’Israël furent initialement interprétées. Il allait de soi que le cas échéant de Gaulle donnerait suite à ce qui ne relevait pas d’un simple toast mais d’un engagement à la fois diplomatique et militaire. Hélas, pour qui l’aura personnellement vécue, qui pourra oublier l’angoisse térébrante qui saisit le peuple juif à la fin du mois de mai et au début du moins de juin 1967! Il est par trop facile de reconstituer l’Histoire une fois qu’elle est advenue mais durant ces semaines fatidiques, ce fut non pas le sort de telle ou telle frontière ou ligne d’armistice qui se trouva mis en cause mais l’existence même de l’Etat juif recréé en 1948. Et c’est à ce moment précis, alors qu’il semblait inéluctable que Nasser parvienne enfin à atteindre ses objectifs politicides que de Gaulle, contre toute attente, procéda à chaud et dans le pire des contextes à un véritable renversement d’alliances désignant l’Etat d’Israël comme un simple Etat du champ de bataille menaçant à fronts renversés l’existence de l’Egypte ou de l’Irak. D’où cette décision inique d’embargo qui n’affligeait que le seul Etat juif. On sait ce qu’il en résulta sur le plan militaire à partir du 5 juin et le retournement complet de situation que l’armée d’Israël infligea aux armées ennemies coalisées: Jérusalem-Est se trouvait à présent sous le contrôle des forces armées israéliennes. Pour la première fois des Juifs étaient en mesure d’y circuler sans entrave ni menaces. Entre-temps, et pour nous limiter à la France, des manifestations d’une ampleur inégalées s’étaient déroulées dans maintes villes, à commencer par Paris en solidarité avec la population d’Israël ouvertement menacée d’extermination. Pourtant dès les semaines qui suivirent, tandis qu’Israël faisait des ouvertures de paix à un ennemi battu à plate couture, se déclencha à l’ONU l’offensive idéologique et diplomatique qui allait cyniquement et méthodiquement permuter les rôles de David et de Goliath. Rappelons qu’au même moment la guerre du Vietnam faisait rage et que des procédés de propagande analogues étaient systématiquement mis en oeuvre par les ennemis des Etats Unis. Depuis prés de cinq décennies à présent cette forme de guerre n’a jamais cessé. Il en est résulté pour la France, et sauf remarquables exceptions, une stigmatisation qui semble désormais incurable de l’idéologie sioniste assimilée à celle d’un racisme d’Etat et à un apartheid impitoyable. Jusqu’au moment où la sociologie religieuse de la France ayant elle même muté sous l’influence de mouvance islamistes radicales, la vie des Juifs français se trouva mise en danger quotidien et sanglant. Ce n’est pas à dire que les institutions juives de France n’aient pas tout tenté afin de remonter ce courant calamiteux. Mais à la suite de Braudel il faut différencier les conflits de courte durée et ceux de longue et même de trop longue durée. Ceux-ci deviennent de véritables faits mentaux, transmis de génération en génération et qui finissent par acquérir l’autorité de la chose jugée. Combien de temps cette situation perdurera t-elle? Il faut simplement être préparé à sa prorogation et en attendant ne pas oublier l’axiome des axiomes: « Tu choisiras la vie ». Il suffit de comparer l’état réel des pays belligérants arabes de 1967 et l’Etat d’Israël d’aujourd’hui pour en mesurer le caractère vital et assurément sans alternative.

                                 Raphaël Draï zal, 5 juin 2015