danieldrai

Archive for janvier 2018|Monthly archive page

CHRONIQUE DE LA HAINE ANONYME – Arche Février 2002

In Uncategorized on janvier 30, 2018 at 10:59

Avec Tou Bichvat, le Nouvel an hébraïque des arbres, l’on voudrait consacrer toute notre attention aux premières efflorescences, aux premiers pointillements de couleurs tendres dans les arbres et dans les buissons reverdis. La mémoire heureuse se réveille en la circonstance. A Constantine, pour Tou Bichvat, les mouvements de jeunesse se livraient à des concours fort disputés pour célébrer les pulsations de la vie, le ciel rasséréné, l’eau libérée des glaciations de l’hiver. Aujourd’hui l’esprit se porte à de plus dures pensées. Depuis 18 mois la communauté juive de France vit dans l’inquiétude, évaluant au jour le jour les troubles qui l’affectent, les violences qui la visent, les propos qui la désobligent, lorsqu’ils ne la diffament pas. Il est dur d’envisager les propos de la haine nue quand le printemps commence, et pourtant…

Au fait, qu’est ce que la haine? Un sentiment « obscur », disent les psychanalystes. N’est-il pas impossible d’en préciser la nature, après son examen sur pièce? La haine résulterait alors d’un désir de mort contrarié dans son expression assassine. Soit le cas du judaïsme et de l’Etat d’Israël. Lorsque l’un est insulté et l’autre injurié, y ajouter, si possible publiquement, vous vaut désormais louanges et couronnes de laurier. Mais répondre comme il se doit, sans concéder un seul poil de notre pelisse, provoque ceci, qu’il faut découvrir dans son ampleur. Venons aux faits. Après la publication dans Le Monde d’un reportage de François Maspéro présentant la politique profonde de l’Etat d’Israël envers les Palestiniens comme une politique « d’apartheid » (cette invention malheureusement occidentale et pseudo-chrétienne) nombreux en ont jugé la thématique insultante et la mise en page quelque peu complice. Et nous avons été quelques uns alors à signer une réponse dans ce même journal, laquelle fut certes publiée sous le titre « Durban sur Seine » mais de manière bien moins voyante, et encadrée comme il se doit par un avis de sens contraire (21 janvier). Après quoi le courrier est arrivé. Deux lettres ont retenu mon attention inquiète. L’une partageant les thèses de Maspéro mais exprimée dans le langage cotonneux des universitaires militants qui jouent les impartiaux. L’autre exprime une haine si pure, qu’elle mérite d’être portée à la connaissance publique pour servir à leur information sur les gisements de mort décelables dans notre beau pays tout juste après les déclarations de Jacques Chirac en 1996 et celle de l’Episcopat français en 1997. Ce texte est anonyme. Moralement l’anonymat est un indice de lâcheté. Mais psychiquement et politiquement, il incite précisément à ne pas minimiser ce qu’il exprime, à lui conférer un plus haut coefficient de nuisance et de destructivité. Cette lettre, anonyme donc, se présente formellement en un propos principal et deux NB (respectivement NB et NB2 ). Elle se veut ainsi très structurée. L’écriture est d’un trait, sans rature, ni repentir. Celle d’un « éduqué ». Que dit le paragraphe : « Je lis aujourd’hui votre article intitulé « Durban sur Seine ». Point n’est besoin de chercher bien loin les causes d’une recrudescence – qui reste à prouver – de l’antisémitisme. Si elle existe, vous en êtes vous mêmes les meilleurs vecteurs. Vous étiez odieux, vous voilà obscènes. Avec mon mépris, un ancien ami d’Israël ». Toute cette salves d’injures et d’insultes, couronnée de « mépris » (on y reviendra), simplement pour avoir exprime un dissentiment… Comme la tentative maspérienne de souillure eût été voluptueuse si nul ne l’avait récusée! Toutefois, à présent, il faut descendre plus bas. Le propos initial n’est vraiment que du hors d’œuvre. Le plat principal requiert un estomac d’autruche: « Vous connaissez cette terrible photo des années 43 ou 44 représentant un petit enfant juif, les bras levés sous les yeux d’un soldat allemand ». Qui n’en a pas eu, pour sûr, le regard giflé… L’Anonyme poursuit: « J’ai longtemps cru que si je l’avais pu, par miracle, j’aurais essayé de le sauver. Aujourd’hui je ne lèverai pas le petit doigt pour lui. S’il a survécu il est sans doute colon à Gaza, il parle comme vous, et il vote pour Sharon qu’il trouve trop mou». Il faut serrer le mors à la psychiatrie pour ne pas lire cette argumentation à l’envers: comme l’aveu honteusement contre-tourné que l’auteur de ces lignes anonymes, s’il eût été présent, eût sans nul doute laissé cet enfant là dans sa profonde détresse, s’il ne l’eût pas directement livré, de ses propres mains, à la Gestapo. L’halluciner comme un « colon de Gaza » décharge notre haïsseur sans nom avouable de cette lâcheté rétroactive. En somme, le colon irréel de Gaza permet d’anéantir une nouvelle fois et post-mortem l’enfant qu’on gaza réellement. Si la haine est là, pansue à en crever, sa dilatation n’est pas achevée. Il faut à présent viser les co-signataires du crime de lèse haine – tranquille : « Et vous même, si vous aviez été allemand en 33, on voit bien quel uniforme vous auriez porté … ». A vrai dire, en 33 je n’étais pas né. Je suis né en 1942, privé de la nationalité française par l’abrogation du décret Crémieux et si l’armée américaine pour l’essentiel n’avait pas débarqué sur les côtes d’Algérie en novembre, cette année là, tout était préparé à notre intention pour des départs aussi lointains que sans retour.

Il faut maintenant conclure par le NB2, inattendu : « Ne vous méprenez pas : j’ai visité 2 fois Auschwitz, le lieu absolu de l’horreur… » Me méprendre, cher auteur anonyme, mais vous n’y pensez pas! Quelles raisons, vous lisant, aurais – je de m’y laisser aller? Que redoutez vous? Que cette méprise ne soit qu’une juste et immanquable rétorsion, sans phrases et sans appel, elle, au mépris dont vous croyez pouvoir me gratifier au début de votre nauséeuse missive? Sans doute telle eût été ma réaction si je n’avais jugé que votre lettre est sans doute anonyme quant à son signataire – un véritable couard moral – mais non pas quand à son contenu que scarifie de son paraphe en forme de faux, dans les deus sens du mot, la grande Haine anonyme qui tente de nous gâcher les printemps de la résurrection. Pour une fois, je crois devoir la sortir de son enveloppe – girondine – pour la donner à lire s’ils le peuvent, du lieu où ils se trouvent, à ceux et celles, de tous âges qui, au contraire de vous, ne s’en sont allés à Auschwitz qu’une seule fois. Et pour cause…

                                       Raphaël Draï zal, 5 février 2002

LE SENS DES MITSVOT: PARACHA BECHALA’H

In Uncategorized on janvier 25, 2018 at 10:10

16BechalaHJanv15

« On fit savoir au Roi d’Egypte que le peuple s’était enfui ; alors le cœur de Pharaon et de ses serviteurs fut inversé (yéapekh) à l’égard du peuple et ils dirent : « Qu’avons nous fait là d’avoir renvoyé Israël de notre servitude! » (Ex, 14, 5).

« Ainsi (az) chantera Moïse et les Enfants d’Israël … » (Ex, 15, 1).

Depuis que la confrontation a commencé entre le Pharaon et le Dieu dont Moïse et Aharon rapporte les demandes, la question morale d’une très forte intensité est posée. Comment expliquer sinon justifier le comportement de Pharaon, d’abord hautain et cassant, puis accommodant et même repentant pour ne pas dire manoeuvrier? Ce dernier revirement l’atteste. Après avoir autorisé, fût-ce la mort dans l’âme, le départ des Hébreux, voici que sur un simple renseignement concernant leur localisation, et estimant qu’ils s’étaient d’eux mêmes fourrés dans un piège, l’état d’esprit du Pharaon et de ses principaux conseillers les incite à un revirement ultime. Le verbe yéaphekh est encore plus fort. Il marque une complète inversion (hipoukh) comme si le passé ne s’était pas produit, comme s’il n’avait pas été constitué par des événements ayant une signification propre.

Voici qu’une nouvelle fois le jugement de Pharaon se réduit à l’instant actuel, qu’il se trouve dans l’incapacité de relier passé, présent et futur. Son jugement est obnubilé par son désir de toute puissance. Tout l’autorise à nourrir ce désir, même et surtout s’il a été fortement contrarié jusqu’ici. En termes de psychologie contemporaine l’on dirait que la personnalité de ce pharaon est une personnalité « alternante », qu’elle oscille sans cesse entre deux pôles contraires sans pouvoir trouver la juste voie laquelle en l’occurrence serait celle du respect de la réalité. Pharaon se montre incapable d’esprit de suite, ce que la langue hébraïque rend par le vocable ÊKeV que l’on retrouve dans le nom de Jacob: YaÂKoV. C’est pourquoi, l’esprit obscurci par le dernier élancement d’un désir comparable à un raptus, il croit devoir se lancer à la poursuite des Enfants d’Israël pour tirer d’eux d’abord une sanglante vengeance puis en ramenant les rescapés hébétés sur la terre d’Egypte afin de pérenniser le système esclavagiste dont elle vivait largement.

On sait ce qu’il en adviendra: après que l’armée de Pharaon s’était lancée dans le chemin à sec de la Mer Rouge dont les eaux s’étaient partagées en plusieurs chenaux, la destruction complète de cette armée transformée en une horde de bouchers décidés à exercer une vengeance mémorable et à obtenir une victoire rétroactive qui eût fait oublier jusqu’à la première des dix Plaies.

Relevons ainsi l’opposition entre la personnalité de Pharaon et celle de Moïse au contact précisément de cette même réalité. Un autre mot: az la dénotera. Lors de la révélation du Buisson ardent, l’on se souvient que Moïse n’avait pas déféré spontanément à la demande divine relative à la Sortie d’Egypte. Il avait plutôt accumulé les objections et les réserves, estimant cette mission hors de ses moyens d’alors. Une de ces objections mérite d’être soulignée: « Et Moïse dit à Dieu: « De grâce mon Seigneur, je ne suis pas homme éloquent et cela ni d’hier, ni d’avant hier, ni depuis toujours (méaz) (Ex, 4, 10) ». Le sens de cette objection doit être bien compris à partir de ce dernier terme: méaz. Moïse objecte d’une incapacité qui ne date pas d’aujourd’hui et qui ne s’est pas manifesté dans un passé à peine récent. Dire que ce handicap date depuis toujours laisse entendre qu’il durera toujours, qu’en somme il est incurable et que rien ne sert de l’ignorer. A ce moment là Moïse, tout grand qu’il soit et appelé à l’être encore plus, commet une erreur face à son interlocuteur divin: il extrapole de sa situation présente à la suite des temps, comme si l’avenir n’existait pas en soi, qu’il n’était qu’un simple prolongement du passé. La réplique divine sera bien celle de ce Dieu justement appelé Eternel. L’Eternité n’est pas la simple expansion indéfinie d’un temps antérieur, fixé une fois pour toutes et qui de ce fait pourrait être celui du désespoir absolu. L’Eternité est celle du Créateur qui « par sa bonté renouvelle chaque jour et perpétuellement l’oeuvre de la Création ».

Depuis, Moïse s’est laissé convaincre et d’objecteur à la Parole divine il en devient le réalisateur effectif et patient. Cette transformation personnelle se verra consacrée après la traversée de la Mer Rouge. Face à l’évidence de la libération du peuple hébreu dans son ensemble c’est bien le mot az qui advient aux lèvres de Moïse mais dans un sens complètement transformé, placé cette fois en perspective d’avenir. Et c’est sans doute pourquoi le traité Sanhédrin du Talmud s’appuiera notamment sur ce verset écrit au futur pour attester de la résurrection des morts et sur la prévalence de la vie.

Raphaël Draï zatsal, 29 janvier 2015

 

Nouvelle Parution : « Tu Choisiras la Vie – Commentaires tanakhiques – Chémoth (l’Exode) » – Editions Lichma

In Uncategorized on janvier 22, 2018 at 8:44

Sefer Chemottu-choisiras-la-vie-la-genèse

Nous remercions chaleureusement Yossef Azoulay Directeur des Editions Lichma de cette magnifique réalisation. Un grand merci au Grand Rabbin Daniel Dahan pour son émouvante préface et Gérard Darmon pour ses magnifiques illustrations.

Pour commander le livre:

http://editionslichma.com/fr/204-tu-choisiras-la-vie-la-genèse.html

LE SENS DES MITSVOT: PARACHAT BO

In Uncategorized on janvier 18, 2018 at 11:07

« Et Dieu dit à Moïse et à Aharon en terre d’Egypte afin qu’ils l’explicitent: « Ce mois ci (hah’odech hazé) pour vous sera en tête des mois (roch h’odachim), il sera premier (richon) des mois de l’année (h’odché hachana) (Ex, 12, 2).

 15 BoJanv15

Pour les plus grands commentateurs de la Tradition juive, ce verset constitue en réalité la première de toutes les mitsvot spécifiquement prescrites aux Bnei Israël au moment où ils sont eux mêmes constitués en tant que peuple et afin que cette dimension reçoive tout son sens. Celui-ci peut à son tour être perçu et explicité clairement si l’on ne perd pas de vue que cette collectivité humaine tente de sortir d’un long, d’un très long esclavage qui lui fait perdre le sens des deux coordonnées principales de la conscience humaine: l’espace et le temps. L’espace se réduit pour les esclaves aux champs de corvée où ils façonnent à la chaîne des briques, avec de la boue et de la paille. Quant au temps, il se dévide dans une suite de jours sans autre destin que leur infinie répétition. De cette double atrophie, spatiale et temporelle, résulte le kitsour rouah’, l’étrécissement à presque rien de leur champ de conscience. A quoi il faut ajouter le bépharekh, l’atrophie de leur parole qui ne trouve à s’exercer que pour l’exécution sans délais d’ordres qui se veulent sans réplique, sous la menace des gourdins. C’est à la restructuration de ce champ de conscience, pour ne pas dire à sa structuration tout court, qu’est dévolue cette première prescription dont il faut s’attacher à comprendre la formulation et l’intention.

Il n’est guère aisé de définir ce qu’est le temps en soi. Il s’agit ici du temps à la fois psychologique, celui d’êtres appelés à la liberté individuellement vécue, et du temps historique, celui d’un peuple appelé à assumer collectivement une vocation au sein de l’humanité. Ce temps là se comprend selon trois modalité particulières mais qui s’intègrent les unes aux autres: le temps quotidien, celui des jours nommés yamim; le temps mensuel, celui que scandent les mois (h’odachim), et le temps annuel, celui de la chana. A quoi se rapportent-ils?

Le temps quotidien est celui de cette conscience minimale qui permet aux esclaves de simplement survivre. Comme on l’a vu, ce temps- là est devenu celui des répétitions stériles, du piétinement bourbeux. Aussi importe t-il de lui conférer une autre dimension, qui l’ouvrira à une autre perspective: le mois, en hébreu h’odech. Vocable particulièrement significatif par lui même et au regard du contexte actuellement éclairé. Par lui même puisque ce vocable est construit sur la racine H’DCh qui désigne le renouvellement, l’innovation, donc la reprise de la Création, par suite l’exact inverse de la répétition sans aucune progression sensible. Ce temps nouveau doit faire l’objet d’une première perception active, d’une première prise de conscience, immédiate, événementielle, rendue par la formule ce « mois-ci (hah’odech hazé) ». Et c’est en tant que tel qu’il deviendra non pas le premier mois, au sens ordinal, mais littéralement « la tête des mois », roch h’odachim, comme sera institué, dans une dimension supplémentaire de la durée, une tête de l’année: roch hachana. De sorte que l’on passe d’un temps qui est surtout un non-temps, celui de l’asservissement des sens et de l’esprit, d’un temps pour ainsi parler décapité, à un temps où se relient le passé, le présent et l’avenir; la mémoire, la décision et le projet.

Et c’est une fois ce premier étayage réussi que s’instituera le temps proprement calendaire, celui de la succession ordinale des mois, lesquels de ce fait même formeront une autre dimension encore de la temporalité, celui de l’année, de la chana. Ce dernier vocable est construit sur la racine ChN qui désigne maintenant le changement; non pas la modification mécanique mais celle qui intègre la dimension préalable du h’odech, de l’innovation, mais démultipliée selon les douze visages du peuple, suivant les douze facettes d’une Création scandée par des saison diversifiées, celles de la pluie d’hiver (guéchem) ou de la rosée printanière (tal).

On comprend mieux pourquoi le verset précité précise que ces prescriptions sont données en terre d’Egypte, autrement dit sur cette terre qui était devenue pour les descendants de Jacob celle de la dissolution des esprits, de la lobotomisation spirituelle.

Toutes les mitsvot qui s’ensuivent, et particulièrement celles qui concernent l’agneau pascal seront comprises selon cette perspective, à partir d’un temps qui se remembre et de corps jusque là pulvérisés, qui se rejoignent en plein clarté de l’esprit, sachant que l’Histoire est également redevenue printanière.

Raphaël Draï zatsal, 22 janvier 2015

 

Conférence Vidéo – « Quand Baudelaire appelait à exterminer les juifs » – Schibboleth Actualité de Freud 2013

In Uncategorized on janvier 14, 2018 at 11:48

Extrait Conférence Schibboleth – Actualité de Freud – La Shoah dans l’imaginaire collectif (Tel Aviv 2013):

Capture d_écran (97)

Cliquer sur ce lien pour accéder à la conférence

 

LE SENS DES MITSVOT: PARACHA VAERA

In Uncategorized on janvier 11, 2018 at 11:04

« Et l’Eternel (Elohim) parla à Moïse et lui dit, à lui (elav): « Je (Anokhi) suis Dieu (Tétragramme) » » (Ex, 6, 2).

14 VaéraDéc14

Dans ce premier verset, qui doit être relié à celui d’une révélation préliminaire, celle du Buisson ardent, sont mentionnés trois « noms » de Dieu, tel qu’il se prépare désormais à une confrontation avec le potentat qui nie Son existence: avec Pharaon. Cette confrontation fera l’objet du récit à venir, avec ses dix « frappes » rendues inéluctables par l’obstination de cet homme qui se prenait pour le Créateur et était adoré à ce titre par sa cour et par ses sujets.

Une première question se pose: ces trois noms: Elohim, Anokhi et le Tétragramme ne sont-ils pas redondants? Un seul d’entre eux n’eût-il pas suffi pour conforter Moïse dans ses propres résolutions et auprès des Bnei Israël dont la persécution s’est entre temps aggravée, malgré l’énoncé de la libération, si ce n’est à cause d’elle? Il ne le semble pas et comme nous le verrons, ces trois noms, pour peu que l’on en discerne le sens exhaustif, correspondent à trois modalités de l’intervention divine telle qu’elle est annoncée à Moïse.

Une autre question apparaît, qui se rapporte cette fois à quelques uns des stéréotypes les plus tenaces de la critique biblique. Selon ce stéréotype le récit biblique aurait été rédigé par plusieurs écoles ou mouvances, et à des époques différentes, chacune se faisant de Dieu une idée singulière, d’où ces noms divers. La cohésion d’ensemble du récit en cause ne serait qu’apparente entre le rédacteur « élohiste » et le rédacteur « yawiste », sans parler du « Sacerdotal » qui serait l’auteur particulier du Lévitique, du troisième livre de la Thora. Cette manière d’aborder le texte biblique doit être étudiée, comme il se doit. Elle se heurte néanmoins à la présence de versets tels que le verset précité où apparaissent d’évidence, et simultanément, l’Elohiste et le Yawiste, sans parler de celui que l’on pourrait qualifier d’« Anokhiste ». Faut-il en déduire que ces différents rédacteurs se sont réunis en conclave pour décider d’une motion de synthèse? Cela ne se peut puisqu’ils sont censés avoir existé et travaillé dans des régions différentes, à des époques différentes et avec des « théologies » différentes ? Et puis pourquoi ce verset particulier et non pas un autre? On observera d’ailleurs que ce verset « synthétique » est loin d’être isolé, que le premier de cette sorte apparaît dans le livre de la Genèse à propos de la situation de l’Humain au Jardin d’Eden (Gn, 2, 15).

S’il faut relever cette contradiction, c’est pour mieux comprendre la présence en effet simultanée de ces trois noms au moment où une intervention décisive se prépare dans laquelle la Présence divine va s’impliquer dans l’histoire humaine. Selon la Tradition sinaïtique, et contrairement au stéréotype précédent, comme on a commencé de l’indiquer, chacun de ces trois noms correspond à une modalité de l’action divine et leur présence simultanée signifie que ces trois modalités vont s’exercer, parfois séparément, parfois corrélées mais qu’il ne faut surtout pas les disjoindre. En ce sens Elohim correspond à la modalité ou à la dimension de justice (din), cette justice qui est inhérente à la culture égyptienne mais que ce pharaon là, « qui ne connaissait pas Joseph », violente et bafoue. Quant au Tétragramme, il correspond à la dimension de compassion et de miséricorde (rah’amim) qui sera perpétuellement présente, prête à s’exercer dès l’instant où le maître de l’Egypte répondra sans ambiguïté à la demande divine, transmise par Moïse, sans en rien retrancher, sans aucune réserve mentale. Quant à Anokhi – dont on se souvient qu’il correspondait à une question posée par Moïse au Buisson ardent (Ex, 3, 11)- il se rapporte à la Présence personnelle du Dieu libérateur, celle qui s’adresse à chaque Bnei Israël en particulier et à l’ensemble du peuple nommé de ce Nom, ce nom qui ouvrira une autre phase de la révélation divine, celle du Sinaï, du Décalogue, celle qui justifie que l’actuelle soit engagée en pays de grande servitude: « Je suis (Anokhi) l’Eternel (Tétragramme) ton Dieu (Elohekha) qui t’ai fait sortir du pays d’Egypte, de la maison des esclaves (Ex, 20, 2) ».

En ce verset mémorable les trois noms de Dieu se trouvent une fois de plus réunis et le sens de cette réunion se comprend mieux à l’égard d’un peuple qui commence son cheminement dans l’Histoire à la fois humaine et divine, un peuple libéré et qui doit faire l’apprentissage difficile de la responsabilité.

Raphël Draï zatsal, 15 Janvier 2015

BLOC NOTES semaine du 7 janvier 2015

In Uncategorized on janvier 7, 2018 at 11:13

7 janvier 2015
Se frotter les yeux pour y croire… La nouvelle sanglante et macabre s’affiche là, sur l’écran, comme s’il fallait qu’elle s’y incruste: 12 morts à « Charlie Hebdo » ! La rédaction, à quelques survivants près, est exterminée. La télé confirme. Deux ou trois hommes, cagoulés et armés, ont pénétré dans l’immeuble et ont abattu dessinateurs, chroniqueurs et gardes du corps puisque malheureusement ce dispositif s’était imposé. Les témoignages visuels ne tardent guère. L’on entend et l’on voit deux individus courant vers un véhicule pré-positionné en criant: « Nous avons vengé le prophète ! Charlie Hebdo est mort ! », avant de repartir en trombe. Carnage à la kalachnikof, et aussitôt signé. Entre temps, l’on aura aperçu les deux tueurs achever un policier à terre, comme s’ils avaient voulu écraser un cloporte. Déjà dans la rue d’autres voitures de police arrivent en trombe, sirènes hurlantes. Qui sont les victimes? Les noms s’égrèneront un peu plus tard: Cabu, Wolinski, Charb, l’économiste Bernard Maris, et d’autres… Le grand écart psychique est requis entre ce qu’ils représentent et la mort qui leur a été infligée… Ils se savaient menacés mais faisaient comme si… Peut on mourir pour un trait de plume ou de feutre? Les chaînes de radio et de télé diffusent en boucle les mêmes images. Traumatisme. « Trop-matisme ». La réalité excède ce que l’on peut en comprendre. La chasse aux tueurs a commencé. Ils ont semble t-il changé de véhicule. Leur trace s’efface dans les rues de Paris et de la proche banlieue. D’autres images. Le président de la République, François Hollande, en personne arrive devant le siège de « Charlie Hebdo », flanqué du Premier ministre, du ministre de l’Intérieur et d’Anne Hidalgo, la Maire de Paris. Premières déclarations, à vif, sur le vif. « Attaque barbare ».. « Tout sera fait ».. A l’intérieur des locaux, d’après ce que l’on peut discerner, la vision est effroyable. Puis au fil des heures, de nouvelles précisions. Les victimes ont été tuées pour ainsi dire nominativement. Individuellement et en corps de rédaction. Il faut une fois de plus ouvrir le compas au maximum. Ce massacre pour des dessins… Et au nom de ce « Dieu » que les tueurs nomment « Allah » puisqu’on les a aussi entendu distinctement crier, victorieusement: « Allah ouakbar »… Finalement les tueurs et ceux qui les commanditent auront pris le temps d’exercer leur sinistre et démentielle vengeance. D’autres noms encore tombent: Tignous, Honoré, Cayat… Il ne s’agit plus de savoir si l’on était ou non de leur bord, si l’on adhérait à leurs idées. Pour ceux de ma génération Cabu et Wolinski, surtout, faisaient partie des meubles; Wolinski avec ses débiles libidineux, Cabu avec ses curés, ses imams et ses rabbins, aux bouches dentues comme celles des vampires de ses cauchemars enfantins. Eux, les comiques, les adeptes de la dérision, les maîtres de la caricature auront vu en face l’Ange de la mort sans pouvoir esquisser le moindre croquis. Les tueurs sont à présent repérés du côté de Reims. Auront-ils les moyens de s’exfiltrer hors du territoire français…?

8 janvier 2015
Le troisième tueur a sévi. Une jeune policière a été tuée hier d’une balle dans le dos. D’importantes forces de police sont déployées, jusqu’ici en vain. Les chaînes de télé émettent en continu avec ces deux plaies: le bavardage et la pseudo expertise d’«anciens» de ceci ou de cela qui additionnent les hypothèses et les conjectures invérifiables. Le nom des deux tueurs qui ont opéré à « Charlie Hebdo » est à présent diffusé. Il s’agit de deux frères: Saïd et Chérif Kouachi dont les parents sont d’origine algérienne. Eux sont nés en France. Il ne faut donc pas parler de « combattants étrangers » à leur sujet. Les tueurs qui prétendent venger l’honneur du prophète Mohamed sont de nationalité française. Le mot d’ordre est qu’il faut se garder des amalgames, que tout musulman n’est pas un islamiste et que tout islamiste n’est pas un djihadiste; que deux des policiers abattus sont de confession musulmane. Qui le nierait? Pourtant c’est bel et bien « Allah ouakbar » que et la France a entendu proférer par les frères Kouachi après le massacre qu’ils ont commis. Dans quelle case de la sociologie politique et de la pathologie religieuse des années actuelles faut-il loger ce cri de guerre?

9 janvier 2015
Alors que la présidence de la République appelle toute la France à manifester dimanche et que de nombreux chefs d’Etat et de gouvernements seront présents, des otages sont retenus depuis le début de l’après-midi dans l’« Hyper cacher » de Vincennes. D’après ce que l’on croit comprendre deux morts, au moins, y gisent déjà. Les autres otages ne savent comment échapper à la démence froide et cynique du troisième tueur tandis que les hommes du Raid ont pris position. Amedy Coulibaly est venu assassiner sur place et en nombre ces hommes et ces femmes, accompagnés d’enfants, pour la seule raison qu’ils sont Juifs. Ils n’ont ni caricaturé le prophète, ni procédé à l’on ne sait quel amalgame islamophobique, puisque telle est la nouvelle langue de bois. On peut être sûr que certains otages sont originaires de pays arabes d’où eux-mêmes ou leurs parents ont naguère été éradiqués. Il n’y a pas d’islamophobie juive mais la judéophobie islamique ne cesse de faire ses ravages… La France entière se prépare à manifester pour attester que la République est indivisible. Du moins en apparence. Car si l’on estime à plus d’un millier les djihadistes français, quel est le chiffe réel de leurs sympathisants et de leur soutiens financiers et moraux?
Si la République se veut indivisible, les esprits le sont-ils?

Raphaël Draï zal

LE SENS DES MITSVOT: PARACHA CHEMOT

In Uncategorized on janvier 4, 2018 at 7:54

13 ChémothJanv15Texte-2

« Moïse dit à Dieu: « De grâce mon Seigneur, je ne puis pas homme loquace, ni d’hier ni d’avant hier, ni depuis que Tu as parlé à Ton serviteur, car je suis pesant de bouche et pesant de langage ». Dieu lui dit: « Qui a donné une bouche à l’homme? Ou qui le rend muet ou sourd, ou clairvoyant ou aveugle? N’est ce pas moi, Dieu? Et maintenant va! et moi je serai avec ta bouche et je t’apprendrai ce que tu dois dire » (Ex, 4, 10, 11).

Cet extrait du long dialogue entre Moïse et le Créateur au Buisson ardent pose avant tout un problème théologique si l’on définit la théologie comme l’exercice de la pensée qui tente de comprendre ce qu’est le divin. De ce point de vue il est possible de reconnaître deux modalités de cette forme de pensée.

Pour la première, Dieu est inconnaissable parce qu’il est incommensurable au regard de la créature humaine. L’affirment des chants liturgiques comme: « Ygdal Elohim h’ay » ou « Adon Ôlam »: Dieu n’a ni commencement, ni fin, ni forme ni substance. Il ne se situe pas dans un espace parce que l’espace est sa création. Et il n’en va pas autrement du temps. D’où cette autre question: si Dieu est inconnaissable à quoi cela peut-il servir de s’interroger à son propos? En réalité cette première modalité est surtout destinée à prévenir toute captation humaine de l’idée divine, d’éviter que quiconque prétende s’approprier le concept de Dieu pour en faire la base d’un pouvoir à son tour divinisé.

L’autre modalité, illustrée par les versets précités, correspondrait à une théologie existentielle. On le voit ici: le Dieu qui se révèle à Moïse le fait dans un humble arbrisseau, comme pour se mettre à sa portée. Ensuite, il le sollicite et l’engage à lui parler. Ce dont Moïse s’acquitte non sans d’infinies précautions car précisément lorsque la Présence divine se met à la portée de l’esprit humain, elle s’expose à toutes les vicissitudes de celui-ci (mirage, hallucinations, illusions etc..). C’est pourquoi dans ces circonstances Moïse n’hésite pas à demander: « Qui est Anokhi? » ce qui peut s’entendre aussi bien comme « Qui suis-je moi Moïse! » pour que tu me confies une mission aussi exorbitante: d’aller parler à Pharaon afin qu’il laisse s’en aller le peuple hébreu, mais aussi comme: « Qui es tu toi, Dieu? » pour que je défère à ta propre demande.

Quoi qu’il en soit c’est un véritable dialogue qui s’engage et qui se déploie. Le Dieu qui se révèle à Moïse est l’antithèse absolue de Pharaon qui ne permettait d’aucune façon que l’on réplique à sa parole, qu’on lui oppose des objections, qu’on ne l’exécute pas aussitôt qu’elle a été proférée. Au contraire, dans ce long passage du livre de L’Exode, Moïse ne cesse de résister à la Parole divine, de lui opposer objections et contre-arguments comme s’il se trouvait de plain-pied avec la Présence divine au point même de vouloir mettre de soi-même un terme à cet improbable entretien. Car on ne manquera pas de relever un élément discordant dans la réplique de Moïse: il se prétend peu porté à la discussion. Ce n’est pas un rhéteur et l’éloquence n’est pas sa principale qualité. Il n’empêche que depuis plus d’un chapitre à présent le récit biblique nous rapporte ce qui ressemble de plus en plus à un débat avec la Présence divine sans que celle-ci perde patience comme l’on s’y serait attendu selon une vison théologique absolutisée du concept de Dieu.

Qui plus est, Dieu indique à Moïse que c’est Lui et nul autre qui est source de toute parole, origine de tout langage. La formulation biblique est frappante, Dieu est « avec la bouche » de l’Homme lorsque celui-ci est convié à se faire le partenaire du Divin pour l’exécution d’une mission dont dépend la poursuite d’une Histoire indissociablement divine et humaine puisqu’elle met en œuvre une Berith, une Alliance. Ce qui conduit à cette déduction a fortiori: si au titre de cette Histoire la Parole divine s’engage directement avec la parole humaine, si elle ne s’offense d’aucune objection, quel être humain pourrait s’autoriser à imposer le monologue à un autre être humain, comme s’il était d’une essence supérieure?

Il est vrai qu’aucun dialogue ne saurait non plus aboutir à la dissolution des paroles échangées, faute de décision finale. Le moment viendra où la Présence divine le signifiera nettement à Moïse lequel finira par comprendre qu’il est temps de passer à l’action, que ce qu’il éprouve compte pour peu face à la survie de tout un peuple. Cependant son frère Aharon l’accompagnera. La libération de l’esclavage se place immédiatement sous le signe de la fraternité.

 Raphaël Draï zatsal, 8 Janvier 2015