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Bloc-Notes : Semaine du 19 au 25 août

In BLOC NOTES on août 28, 2013 at 9:59

19 août.

CourbesFrançois Hollande et Jean-Marc Ayrault n’ont pas pris de vraies vacances. Il leur fallait occuper tout «l’espace médiatique», comme l’on dit dans ce  jargon, pendant qu’une partie du peuple de France, celui qui n’est pas affligé par le chômage et par la précarité, goûte au sel des vagues océanes et méditerranéennes ou à l’air pur des montagnes alpines et pyrénéennes. Cette volonté d’être présents par l’image, au lieu de l’être par ses résultats, a quelque chose de pathétique. Mon collègue  philosophe, Jean François Mattéi, vient d’écrire un livre remarquable, dense et clair, sur les simulacres (« La puissance du simulacre. Dans les pas de Platon », François Bourin). L’ubiquité  médiatique est l’un des signes de la démocratie moderne ou post- moderne à condition, précisément, qu’elle ne se réduise pas à un de ces simulacres anémiques par lesquelles on fait prendre au «bas peuple », comme l’on disait sous l’Ancien régime, des vessies pour des lanternes. Par exemple en se fixant pour objectif «l’inversion» de la courbe du chômage. Qu’entendre par inversion? Un chômeur de moins et l’on sera content? D’où cette question récurrente: qu’est-ce que le socialisme? En quoi consiste sa spécificité  lorsque ceux et celles qui s’en réclament se fixent des objectifs aussi bas? Il est vrai que la «pensée socialiste» est en grande souffrance. Au temps de Mitterrand – inutile de remonter à Blum et à Jaurès – les ouvrages foisonnaient sur le sujet. Le socialisme faisait penser, en effet. Aujourd’hui, où sont les Martinet, les Gorz, et même les Chevènement? Leurs émules, si peu émulés, martyrisent leur tablette numérique et anabolisent leurs réseaux sociaux. L’on ne sait plus que fabriquer de pauvres simulacres du réel et de les  conditionner en pilules-twitts: le minimum de pensée dans des sentences naines. Or, la reprise de la croissance est soumise à deux conditions drastiques: ne plus confondre occupation, activité et emploi; et pour ce faire, développer les capacités  de recherche scientifique universitaire et extra-universitaire. Le marché des biens primaires (machines à laver, frigos, et même, automobiles) est presque saturé. Il doit s’ouvrir sur un autre marché – le mot n’est pas péjoratif – celui des biens secondaires, tertiaires etc. Ceux qui correspondent aux aspirations de la personne qui pense, qui espère, qui crée parce que son intelligence est déverrouillée. L’âme, elle, ne se sature jamais. Les « contrats d’avenir », signés cet été à tour de bras,  correspondent –ils à de véritables emplois ou s’inscrivent dans la lignée des ateliers nationaux de 1848? L’une des plaies de notre époque est bien ce nominalisme propagandiste. Sur des réalités peu reluisantes l’on colle des mots ronflants lancés dans la circulation: la fausse monnaie du langage. On verra à l’usage, d’autant que la Droite s’adonne toujours, hiver comme été, à une scissiparité mortelle.

21août.

Sissi

La nouvelle court: l’ancien Raïs égyptien, Hosni Moubarak, pourrait être remis en  liberté sous la pression du Général Sissi dont les méthodes n’ont décidément rien à voir avec le personnage de son homonyme, l’impératrice d’Autriche, incarné par Romy Schneider. La situation devient carnavalesque  puisque l’ancien président Morsi se trouve, lui, en résidence surveillée, pour ne pas dire qu’il est incarcéré. Il semble que le «nouveau nouveau» Pharaon  soit un homme aux idées simples: est bon pour l’Egypte ce qu’il a décidé pour elle, avec l’appui d’une armée ayant parfaitement intégré les règles d’occupation de l’espace médiatique international où la place Tahrir  fait fonction de scène principale. Le général Sissi – à moins qu’il ne fût déjà Maréchal – se sent en situation de force suffisante pour ne pas répondre au téléphone à Barak Obama dont la politique n’est pas pour rien dans cette bourbeuse confusion moyen – orientale. «Sissi imperator» a bien compris que  la Guerre froide pouvait renaître de ses cendres encore chaudes;  que Poutine veut reconstituer l’aire d’influence de l’ex- URSS; qu’il soutient Assad à  bout de bras pour cette raison. Il faut se souvenir de ce qu’était la présence diplomatique et militaire de l’URSS dans les années 60 en cette région du monde. Elle s’est révélée dans  toute son ampleur et sa virulence lors du fiasco de l’expédition de Suez en 1956, puis durant la guerre des Six Jours et celle de Kippour. Obama et Poutine ressuscitent une forme de conflit qui n’a plus rien d’idéologique. C’est la raison pour laquelle Obama va probablement se résoudre à intervenir en Syrie. Pour montrer à ce freluquet de Poutine qui est le vrai patron. Quant à la France, qui sauvegarde son métayage colonial dans cette même région, elle s’apprête à lui emboîter le pas. A chacun son dictateur et son tableau de chasse: Sarkozy  a eu la  peau de Kaddafi, dans les circonstances  atroces que l’on sait, Hollande veut celle d’Assad.

23 août.

Dumas

«Acté» est sans doute l’un des romans les moins connus d’Alexandre Dumas. Sa lecture édifie. D’abord au plan littéraire, comme l’on dirait dans le langage des dissertations. Le récit se déroule du temps de Néron ce qui prédispose aux effets grandioses, aux descriptions maximales, à la dilatation des yeux du lecteur devant les jeux du cirque où 1500 lions sont massacrés en un seul après- midi;  devant ces orgies où la louve de Rome se vautre sur les triclimums incestueux;  devant le supplice des premiers chrétiens enduits de résine  pour servir de torches humaines, et enfin devant la fin grotesque d’un hyper-tyran qui s’aveulit au delà de l’exprimable dans un suicide  pitoyable. Au fil de la lecture, les scènes principales d’un autre roman bien plus célèbre se font réminiscences: celles du «Quo Vadis?» de Henryk Sienkiewicz. On n’ira pas jusqu’à dire qu’« Acté » y est largement plagié mais à l’évidence le roman polonais publié en 1896 puise à pleins seaux dans celui de Dumas,  avec des variantes bien sûr, y compris la scène célèbre dans laquelle l’herculéen Ursus fait de son corps un rempart protégeant la jeune chrétienne qu’un taureau veut déchirer de haut en bas. Le roman de Dumas aurait ma préférence. Il y analyse fort bien les raisons de la propagation irrésistible de la foi chrétienne dans un Empire romain miné par ce qu’il nomme un «indéfinissable malaise». Le mot retient l’attention puisque Freud l’emploiera dans «L’Homme Moïse et la religion monothéiste» à propos du même phénomène. Freud a t-il lu «Acté»? Pourtant Dumas ne serait pas Dumas s’il ne réécrivait l’histoire à sa convenance, par exemple en faisant de Paul de Tarse un apôtre visuel de Jésus – qu’il n’a rencontré que sous forme de vision, diront les uns, d’hallucination selon les autres. Un Saint Paul courageux mais pas téméraire et qui, à rebours  de sa vision sur le chemin de Damas, excipera de sa citoyenneté romaine pour échapper au supplice de la croix et être décapité plus proprement. Un roman  édifiant, sur tous les fanatismes, celui de la tyrannie mais aussi celui de la bonté absolutisée.

Bloc-Notes – Semaine du 12 au 19 août

In BLOC NOTES on août 24, 2013 at 10:03

12 août.

Salan

Préparation d’une communication au colloque sur  «Justice et Etat» pour l’Association des Historiens des Idées Politiques. Le colloque se tiendra à Aix en Provence à la mi-septembre et j’y traiterai des procès Salan, Jouhaux et Bastien-Thiry. Un peu plus d’un demi-siècle constitue déjà un véritable segment d’histoire, au sens chronologique et universitaire. Pourtant, à se replonger dans les comptes rendus sténographiques de ces procès qui se sont déroulés devant des juridictions d’exception, l’on constate que cette histoire est on ne peut plus présente. Bien sûr,  l’article 16 en vertu duquel ces juridictions sans voies de recours ont été instituées n’a plus reçu d’application. Compte tenu de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme de telles «exceptions» à ces droits essentiels ne seraient plus tolérées aujourd’hui. Mais la réflexion continue de s’alimenter à trois sources, vives et amères: juridique, politique et morale. Juridiquement, comment en ce temps là le concept même de «juridiction d’exception» a t-il il pu être entériné par des parlementaires, par des juristes, par des officiers supérieurs, sachant qu’au bout du jugement se trouvait le peloton d’exécution ou, s’agissant de Jouhaux, la guillotine ? Politiquement, il ressort des débats mêmes qu’aucun des chefs de l’OAS ne professait l’idéologie fasciste que leur ont collé au visage des idéologues ayant mis leur voile dans le sens du fameux vent de l’Histoire – qui a tourné depuis. Au contraire, leurs états de service sur tous les champs de bataille sont étincelants, leur républicanisme éprouvé sur ces mêmes lieux où se risquent et la vie et l’honneur. Sans l’appel de Salan en sa faveur, de Gaulle ne serait  sans doute jamais revenu au pouvoir. Reste le problème moral ou éthique, comme l’on dit aujourd’hui. L’analyse des discours du général de juin 1958 à juin 1962 démontre de manière aveuglante à quel point fut pratiquée la duplicité langagière et finalement la diplomatie bouchère. Dans la vie politique, les imputations éthiques ne sont pas aisées à établir. Mais il faudra bien savoir à qui finalement imputer tant et tant de massacres, d’enlèvements, d’incarcération arbitraires, de désespérance depuis le «Vive l’Algérie française»  lancé par le général en uniforme à Mostaganem en juin 1958 jusqu’au référendum calamiteux de 1962 auquel les populations les plus directement intéressées n’ont pas eu le droit de participer.

 13 août.

Akaba Eilat

Il y a quelques jours, tir de missile sur Eilat à partir du Sinaï. Faut-il en attendre de nouveaux?  L’engin a été neutralisé par le «Dôme d’acier». Eilat est une ville  balnéaire qui fait face à Akaba. La proximité des deux villes permet aux Israéliens de se rendre en Jordanie et au Jordaniens de faire leurs emplettes dans les «Kanions» de cette ville située à l’extrême sud d’Israël. Image d’une coexistence quasiment quotidienne, qui tisse les mille brins d’une paix véritable. Les islamistes ne voient pas les choses de cette façon. Depuis la chute de Moubarak et l’arrivée au pouvoir des Frères Musulmans, le Sinaï est devenu une passoire. Les islamistes égyptiens, palestiniens et d’ailleurs y nidifient en violation complète  du Traité de Washington qui reconnaît la souveraineté égyptienne sur la péninsule où les Hébreux ont pérégriné durant quarante années mais qui en fait ipso facto une zone démilitarisée. Toute intervention dans le Sinaï de l’une ou l’autre partie au Traité dont les Etats Unis sont les garants doit être autorisée par l’autre. Des unités égyptiennes y combattent à présent ces éléments fanatisés – qui, eux, se passent d’autorisation – laissant également à l’armée israélienne le soin d’assurer, selon ses propres moyens, la sécurité des populations concernées. Comme il fallait s’y attendre les auteurs du tir de missile se sont prévalus d’un droit aux représailles contre les tirs antérieurs des «Juifs». La rhétorique du renversement des facteurs est devenue une véritable mécanique avec son bruit de crécelle. Après un autre tir – d’avertissement celui là – de l’aviation d’Israël sur une rampe de lancement sise à Gaza il semble que le «calme» soit revenu. Jusqu’à quand? L’Egypte est en tumulte et la Syrie en plein chaos.

15 août.

 

Giorgione

Pour  se dégager quelque peu des minutes du procès Salan, lecture des «Mémoires de Giorgione» imaginés par Claude Chevreuil. Comment devient t-on l’élève de Bellini, le compagnon de Dürer et du Titien? Quelles sont les réflexions de Leonardo Da Vinci face à un Giorgione sidéré mais où «La Tempête» est en gésine? Le roman alambiqué de Dan Brown est devenu plus célèbre que les «Carnets» du Maître des Maîtres. Claude Chevreuil l’a donc imaginé à partir de quelques documents plus ou moins biographiques et des «Vies» de Vasari. Mais l’époque s’y retrouve et surtout y est exploré le besoin de créer, pour ne pas dire le mystère de la Création, avec les déchirements des fins de transmission lorsque l’élève dépasse le maître et voit poindre le rival dans le nouvel apprenti. L’écriture est belle, classique, sertie de formules à inscrire sur les agendas. Nécessité absolue d’équilibrer les écrits mortifères, écriture morte pour pensées meurtrières ou sans horizon, par des pages de cette encre dans lesquelles la Forme, nouvellement inventée, littéraire et picturale, n’est rien d’autre que le paraphe des anges de la vie.

 

 

Bloc-Notes – Semaine du 5 au 11 août

In BLOC NOTES on août 22, 2013 at 8:33

5 août.

Robert Attal , 5 aoôut 34

Pour qui est né en Algérie, et plus particulièrement dans la communauté juive de Constantine, le 5 août reste une date horrifique. Ce jour là, en 1934, un pogrom d’une sauvagerie inouïe, exécuté par des musulmans fanatisés, faisait des dizaines de victimes, atrocement mutilées, tandis que les autorités civiles étaient en vacances et que, faute d’ordres,  ou mus par des sentiments obscurs, les forces militaires restaient l’arme au pied. On a beaucoup glosé sur cette page sanglante qui marquera l’histoire de l’Algérie. Sur les circonstances et les causes d’une pareille sauvagerie, bien des explications ont été avancées. Aucune ne rend compte justement d’une orgie aussi assassine, ni le ressentiment d’une partie de la population dite indigène, ni les effets délétères de la crise économique qui affligeait ce département français. Reste l’explication par la haine confessionnelle et religieuse. Durant des siècles, les Juifs de cette partie du monde se trouvaient régis par les dispositions de la Shariâ qui faisait d’eux des «dhimmis»,  appartenant à une minorité prétendument «protégée» parce que procédant d’un des peuples reconnus par les nouveaux conquérants comme « peuple du Livre ». En Algérie, sous ce régime là, les Juifs, y compris ceux qui occupaient des positions «  privilégiées », vivaient dans la peur continuelle des exactions, des vols, des viols. La conquête française  les fit accéder à un statut plus égalitaire  dont les lendemains ne pouvaient certes se prévoir complètement. Les musulmans ne les y suivirent pas tout en leur reprochant leur «  manque de solidarité ». Ce grief, récurrent, y compris de nos jours, a surtout été forgé après- coup pour justifier d’autres horreurs et atroces attentats à venir dont les cibles furent également des Juifs, des cibles décidées es qualités. Cercle vicieux. Car les Juifs d’Algérie, eux, au moment où se déclancha en novembre 1954 ce qu’il faut bien appeler la guerre d’Algérie, une guerre affreuse qui dura plus de sept ans, forgèrent leur opinion avec en fond de tableau mental  précisément le pogrom du 5 août. C’est ce fond traumatique non résorbé que fit résonner de manière plus traumatique  encore l’attentat  du Casino de la Corniche à Alger ou l’assassinat de  Raymond Leyris. Mis à part quelques  militants communistes ou trotskystes, l’immense majorité des Juifs d’Algérie choisirent la France. L’horreur du 5 août  1934 avait prévalu sur celle de l’abrogation du décret Crémieux par le régime de Pétain. C’est tout dire. Dans les rapports compliqués et parfois tumultueux entre l’Algérie indépendante et la France, les autorités algériennes ne cessent d’inciter la République française à la repentance pour son passé colonial. La réciproque est plus difficile à entendre, surtout lorsqu’il s’agit pour ces mêmes autorités de regarder en face, comme il se doit, ces crimes qu’aucune « cause » ne peut justifier.

 

7 août.

Berlusconi

Silvio Berlusconi retoqué par la Cour de cassation italienne risque de se retrouver en prison. Proverbes et adages se pressent en foule : « La roche tarpéïenne est proche du Capitole », « Plus dure sera la chute », etc… Mais nous sommes en Italie où l’on sait réfréner l’expression extrême des sentiments les plus irréversibles. En raison de son « grand âge » (74 ans!) le « Cavaliere » échappera sans doute au sort qu’a connu en France Bernard Tapie pour ne citer que lui – et heureusement. Malgré tout, le « Cavaliere » qui, en dépit de ce même « grand âge », s’adonne à ces soirées qu’ailleurs l’on qualifie de libertines, n’a pas voulu faire tomber le nouveau gouvernement si fragilement installé de son pays. Donnant-donnant? Dans l’Union européenne l’Italie est à part. Après le désastre du fascisme, elle s’est dotée d’un régime pire encore que celui de la IV République en France. Les combinaisons politiciennes s’y accordent à celles des coffres-forts et des comptes en banques exotiques. Soit. Mais l’Italie  demeure aussi le pays d’une immense créativité culturelle. Les notions de Renaissance, au sens du XVème siècle, et celle, plus politique, de Risorgimento, y sont toujours incitatrices. Ce qui fait que rien non plus ne s’y prend vraiment au  tragique. Il est fort à parier que si Berlusconi était réellement emprisonné, sa cellule ne  tarderait pas à devenir un haut lieu de la vie carcérale nocturne de la péninsule.

8 août.

 

Baudelaire

Repris les deux volumes de la «Correspondance» exhaustive du poète le plus « infernal » de la littérature française : Charles Baudelaire. Les lettres de la fin du second tome, lorsque l’auteur des « Fleurs du mal » est sur le point de rendre sa plume avec son âme, rejoignent les premières de son adolescence. Les demandes d’argent, principalement à sa mère, pour éponger dettes et protêts forment l’essentiel de ses demandes suppliciées par ce qu’il appelle «l’humiliation des petits besoins». La comparaison se fait d’elle même avec cet autre endetté perpétuel que fut Balzac mais leur commune compulsion à l’endettement n’est pas de même nature. Chez Balzac elle est plus sultanesque, presque néronienne. Il s’agit de brûler  sa vie comme l’Empereur incestueux avait mis le feu à sa ville. Baudelaire est un mendigot addictif. Dans son endettement, c’est son abaissement perpétuel qu’il semble rechercher. On a peine à croire que le même homme a pu écrire tant de lettres avilies et ces « Salons » où il démontre son extraordinaire intuition esthétique. Il devient difficile de suivre Valéry lorsqu’il fait de Baudelaire une sorte de nouveau Malherbe, mettant de l’ordre dans la foire poétique du romantisme.  Nul n’ignore l’influence de Poe sur l’auteur des « Fleurs du Mal ». On ne croit pas si bien  dire : Baudelaire ou le puits (sans fond) et le pendule (du suicide à feu lents). Valery n’a pas tort d’observer également que Victor Hugo  publia quelques une des plus grands œuvres poétiques précisément après la mort du fils de Mme Aupick. Les livres de comptes journaliers d’Hugo, repris dans l’édition Massin, révèlent au contraire à quel point pour le proscrit océanique  « un sou était un sou ». Ecrire à destination de l’avenir glorieux n’empêche pas de se préoccuper du lendemain  trivial.

PARACHA KI TAVO ( Dt, 26, 1 et sq )

In RELIGION on août 21, 2013 at 11:33

sans-titre

Par les deux mouvements complémentaires qui les caractérisent, les deux parachiot: Ki tétsé (lorsque tu sortiras …) et Ki tavo (lorsque tu t’en viendras …) sont intimement reliées. Ki tétsé répondait à un mouvement allant de l’intérieur vers l’en-dehors; Ki tavo répond à un mouvement allant de l’extérieur vers l’intime. Car l’on aura compris qu’il ne s’agit pas ici d’une simple entrée, physique, en terre de Canaan en vue de la transformer en Eréts Israël. La transformation envisagée doit conduire cette terre à recouvrer son énergétique et sa vocation originelles, vers le BeRéChiT par quoi a commencé toute la Création. Dès êtres qualifiés de créateurs, parce qu’ils ont appris à maîtriser leurs impulsions primaires, à différer la satisfaction de leurs exigences initiales, le temps de les soumettre à leur jugement, sont désormais au contact intime d’une terre rendue à sa primauté créatrice. Entre eux et elle un véritable échange doit s’instaurer qui fût ascensionnel. La présente paracha peut donc être lue de bien des façons mais elle comporte une leçon d’économie à la fois politique et prophétique.

Cette terre est qualifiée de « possession à héritage (nah’ala lerichta)». L’expression, difficilement traduisible, peut être comprise comme suit. NaH’aLa est construit sur la racine H’L qui désigne à la fois le profane (H’oL), en attente de sa sanctification, et la fluence (NaH’al). Première indication : cette terre n’est pas destinée à être simplement gérée, maintenue en l’état. Elle doit être transformée. Toute transformation implique un dessein et un but. Ils sont indiqués par le verbe LaRéCheT qui désigne, certes, la transmission de patrimoine mais dans le sens du BeRéChiT originel, par un mouvement de remontée de l’état actuel vers la source du vivant. C’est pourquoi la racine RChT se retrouve dans les deux vocables. Par quelles conduites liturgiques ce dessein sera rempli et ce but approché au plus près ?

Du fait même que la récolte a été féconde, selon l’engagement du Créateur, un échange doit s’engager qui n’a rien à voir avec le donnant – donnant ou avec les spoliations du parasitisme sacerdotal. Cet échange est avant tout signe et marque de reconnaissance envers le Créateur, reconnaissance au sens de la gratitude mais aussi au sens cognitif. D’où la désignation précise des prélèvements qui seront dévolus à cet échange prophétique. Ils sont appelés RéChiT selon la signification déjà soulignée. L’être reconnaissant fait dévolution au Créateur de la part de la récolte qui atteste de sa Présence. Aussi cette part prophétique doit être non pas consommée sur le site de la récolte, ce qui pourrait être confondu avec un rite strictement agraire, mais au lieu où le Créateur aura lui même choisi, en toute liberté, si l’on peut dire, de manifester sa présence et son Nom. Au lieu où il peut par ce Nom être appelé et entendu. C’est pourquoi ces prélèvements ne peuvent consister qu’en RéChiT, au sens biblique, autrement dit provenir de ce que l’on appelle « les sept espèces» de céréales et de fruits, purs produits d’Erets Israël.

Pour Yossef Karo, l’auteur du Choulh’ane Âroukh mais aussi de commentaires d’inspiration kabbalique de la Thora, ces sept espèces correspondent aux sept séphirot qui succèdent au trois séphirot initiales (h’okhma, la sagesse ; bina, l’intelligence, et daât, la connaissance) et qui en transmettent l’influx, la hachpaâ. Voilà pour l’intention. Quant à l’accomplissement de la dévolution prophétique, elle incombe également au CoHeN, en ce que le nom qui le désigne comporte à son tour la lettre hei, symbolique de la Présence divine, encadrée par les lettres caph et noun, qui ensemble forment le mot CeN, par lequel, on s’en souvient, sont scandées de manière affirmative et approbatrice les différentes phases de la Création initiale, telle que la relate le Sépher Beréchit, le livre de la Genèse.

Cet accomplissement ne se réduit pas à des incantations ésotériques. Il commence par un récit historique, une remise en mémoire, une anamnèse : celle de l’esclavage égyptien et celle de la libération des champs de corvées où l’esprit humain était réduit à son ombre. Si l’être hébreu est redevenu créateur c’est bien parce qu’il a été libéré, corporellement et mentalement, de cet asservissement au néant.

 La dévolution des RéChiT n’aurait pas de sens si elle ne reconstituait pas ce champ de mémoire qui empêche toute appropriation asservissante, toute captation, toute privatisation d’une terre dans laquelle le Créateur lui même, par le choix du lieu de sa Présence, atteste de sa propre liberté.

La dévolution ainsi engagée et conduite se parachève par trois gestes dont la signification et la résonance s’éclairent par les verbes qui les désignent : hinah’ta (tu reprendras souffle) ; hichtah’avita (tu te ressourceras) ; vésamah’ta (et tu te réjouiras). Une réjouissance qui se distingue de toute « jouissance » égocentrée puisqu’elle doit conjoindre la maisonnée du producteur mais également le lévite qui ne dispose d’aucun patrimoine tangible, et l’étranger, le guer, le tiers, accueilli pour ce qu’il est, parce qu’il est proche et vulnérable, sans autre gage ou contre- obligation de sa part, sauf celle de respecter la loi de la terre ainsi sanctifiée qui lui donne l’hospitalité

La terre conférée par le Créateur au peuple d’Israël est qualifiée de « bonne ». Terre de bonté (erets tova ), elle doit l’inspirer à ceux qui y vivent comme à ceux qui y séjournent.

Raphaël Draï zatsal,  22 août 2013

Bloc Notes – 29 Juillet – 4 Aout

In BLOC NOTES on août 8, 2013 at 8:55

29 Juillet.

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La politique française en sourdine estivale. De part et d’autre, les snippers sont à l’affût mais le volume sonore des invectives et des mises en cause personnelles a sensiblement baissé. Paris ne se trouve plus sous cette cloche sonore qui contraint à tendre l’oreille pour saisir à la terrasse d’un café la nuance d’une confidence faite par un ami ou le pépiement d’un moineau. Tout indique, à n’en pas douter, qu’il s’agit d’une trêve, seulement d’une trêve. François Hollande sait que l’automne risque d’être plus brûlant qu’un été indien  et s’emploie à déminer préventivement ici ou là, signant à tour de bras des « contrats d’avenir » dont il faut espérer qu’ils ne soient pas l’équivalent d’assignats, démonétisés avant même que d’être mis en circulation. Le président de la République se fie toujours à ses prédictions et répète sa  formule  incantatoire: la courbe du chômage s’infléchira avant la fin de l’année. Que le ciel l’entende et que la France retrouve un taux de croissance digne des 30 Glorieuses! Pour se donner du cœur à l’ouvrage, il faut relire, été faisant, les économistes et les statisticiens de cette période, non pour tenter de la ressusciter, à la manière des nécromanciens, mais pour reprendre un peu de la liqueur d’optimisme. Et  notamment, de Jean Fourastié lire ou relire: «  Le grand espoir du XXeme siècle », écrit au lendemain de la deuxième guerre mondiale. Bien sûr il y eut aussi «  Les désillusions du progrès »  de Raymond Aron et les douches tièdes de Jacques Ellul. Mais des esprits comme Fourastié, Sauvy, Bartoli, ne cultivaient pas un optimisme narcotique. L’espoir n’était pas pour eux une posture affective mais l’un des moteurs essentiels de la croissance économique. Aujourd’hui il faut se demander si la pénurie n’est pas devenue l’autre nom de la fatalité, si le rachitisme n’est pas devenu un état d’esprit. Les historiens et les sociologues des prochaines décennies y jugeront le rôle quasi-miraculeux de la révolution numérique qui permet à chacun, en attendant des jours meilleurs, à de se réfugier dans sa bulle, de parler à son mini-micro, branché sur son oreille interne, comme s’il s’entretenait avec le Grand Être, avant de capter  les retours  de son âme abyssale. A quand le plus grand espoir du XXIeme siècle?

31 juillet.

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Dimanche dernier, fin des JMJ au Brésil. Plus de deux millions de participants  réunis, pour ne pas dire agglomérés sur la plage de Copacabana. Il semble que la logistique ait laissé à désirer. Mais l’essentiel était d’être sur place pour entendre précisément les paroles de confiance et d’espoir du Pape François dont s’était la première sortie planétaire. A en croire les reportages télévisés, il semble que chacun et chacune soit reparti avec sa musette pleine de visions, de rêves, et de volontarisme évangélique. Evangélique ou évangélisateur? La nuance n’est pas seulement sémantique. Le premier qualificatif se réfère à une disposition de l’âme, à une orientation du cœur. Le second à la volonté de  convertir autrui à la foi de l’Eglise catholique, apostolique et romaine. Comment concilier cette volonté avec l’exigence de dialogue  inter- religieux? La marge est étroite. D’autant qu’au sein même de la chrétienté les autres églises, dites «  évangéliques », mais d’inspiration protestante, n’entendent pas laisser le champ libre au pape François, lequel a cru devoir délivrer en même temps un message à l’islam en prônant un respect «  mutuel ». Je me méfie toujours des mouvements de masse surtout à coefficient confessionnel. Je ne doute pas des intentions évangéliques au sens éthique  du successeur de Benoît XVI. Mais il faut imaginer quels eussent les commentaires si les télévisions avaient diffusé les images de 2 millions de jeunes musulmans et musulmanes massés sur la plage de Casablanca ou de Carthage  et  lancés  à l’assaut de l’univers religieux par un  hyper-Imam indexant la moindre de ses phrases sur une Sourate présumée d’inspiration divine. Chateaubriand écrit dans ses « Mémoires d’outre tombe »: «  A force de s’étendre, Napoléon rencontra les Russes ». Après la Bérézina ils mirent leur pas dans les siens jusqu’au cœur de Paris. Le mot « bistrot » qui ressemble tant à une fleur de langage du pavé parisien est un mot russe qui date de cette période …

4 août.

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« A Paris au mois d’août.. » La chanson d’Aznavour revient aux lèvres. Au pied des platanes  déjà des envolées de feuilles mortes alors que, chronologiquement parlant, l’été en est à son premier tiers seulement. La chaleur est lourde, plombée. Un premier sondage sur les films programmés cet après- midi  propose la centième rediffusion des «Canons de Navarone» et la deux centième rediffusion de «  La soupe aux choux ». L’occasion de ressortir un coffret des films d’Eric Rohmer et de découvrir ou redécouvrir le Paris des années 60 (« La boulangère de Monceaux »), ou les rives du lac d’Annecy (Le genou de Claire) ou la paradisiaque « heure bleue » de « Reinette et Mirabelle ». A des années  Lumière ( avec L majuscule ) des films actuels, purs produits informatiques, qui laissent le choix entre la dévastation de la planète par une force inter-sidérale ou les exploits de gangsters revenus d’un stage chez Dracula.. Rohmer, ce sont des dialogues écrits-parlés, dans la manière de Marivaux ou de Musset, des superbes images de champs et de sous -bois  qui font songer à Renoir, Monet ou Corot, des frimousses au goût de berlingots, des dragueurs entre deux âges qui lisent  Rousseau dans La Pléiade. Tout se montre et se dit par touches et  allusions. Les êtres sont là, impalpables et énigmatiques.  Il n’est pas plus simple de les saisir que de saisir une poignée de vent. Un seul défaut mais récurrent dans les films en couleur: ces giclées, parfois ces flaques de rouge vermillon – tables de jardin, couvertures, pulls, parfois bassines en plastique- en tout premier plan. On ne sait s’ils ont été décidés pour capter l’œil et pour chercher des contrastes mais l’on doute que Renoir, Monet ou Corot en eussent usé de manière aussi  badigeonnée. Il faut s’en faire une raison. Autrement,  revenir à « Ma nuit chez Maud » et ses magnifiques « noir et blanc », ceux de la neige sur Clermont-Ferrand de la fin des années 60, ceux de la nuisette et des longs cheveux de François Fabian.