19 août.
François Hollande et Jean-Marc Ayrault n’ont pas pris de vraies vacances. Il leur fallait occuper tout «l’espace médiatique», comme l’on dit dans ce jargon, pendant qu’une partie du peuple de France, celui qui n’est pas affligé par le chômage et par la précarité, goûte au sel des vagues océanes et méditerranéennes ou à l’air pur des montagnes alpines et pyrénéennes. Cette volonté d’être présents par l’image, au lieu de l’être par ses résultats, a quelque chose de pathétique. Mon collègue philosophe, Jean François Mattéi, vient d’écrire un livre remarquable, dense et clair, sur les simulacres (« La puissance du simulacre. Dans les pas de Platon », François Bourin). L’ubiquité médiatique est l’un des signes de la démocratie moderne ou post- moderne à condition, précisément, qu’elle ne se réduise pas à un de ces simulacres anémiques par lesquelles on fait prendre au «bas peuple », comme l’on disait sous l’Ancien régime, des vessies pour des lanternes. Par exemple en se fixant pour objectif «l’inversion» de la courbe du chômage. Qu’entendre par inversion? Un chômeur de moins et l’on sera content? D’où cette question récurrente: qu’est-ce que le socialisme? En quoi consiste sa spécificité lorsque ceux et celles qui s’en réclament se fixent des objectifs aussi bas? Il est vrai que la «pensée socialiste» est en grande souffrance. Au temps de Mitterrand – inutile de remonter à Blum et à Jaurès – les ouvrages foisonnaient sur le sujet. Le socialisme faisait penser, en effet. Aujourd’hui, où sont les Martinet, les Gorz, et même les Chevènement? Leurs émules, si peu émulés, martyrisent leur tablette numérique et anabolisent leurs réseaux sociaux. L’on ne sait plus que fabriquer de pauvres simulacres du réel et de les conditionner en pilules-twitts: le minimum de pensée dans des sentences naines. Or, la reprise de la croissance est soumise à deux conditions drastiques: ne plus confondre occupation, activité et emploi; et pour ce faire, développer les capacités de recherche scientifique universitaire et extra-universitaire. Le marché des biens primaires (machines à laver, frigos, et même, automobiles) est presque saturé. Il doit s’ouvrir sur un autre marché – le mot n’est pas péjoratif – celui des biens secondaires, tertiaires etc. Ceux qui correspondent aux aspirations de la personne qui pense, qui espère, qui crée parce que son intelligence est déverrouillée. L’âme, elle, ne se sature jamais. Les « contrats d’avenir », signés cet été à tour de bras, correspondent –ils à de véritables emplois ou s’inscrivent dans la lignée des ateliers nationaux de 1848? L’une des plaies de notre époque est bien ce nominalisme propagandiste. Sur des réalités peu reluisantes l’on colle des mots ronflants lancés dans la circulation: la fausse monnaie du langage. On verra à l’usage, d’autant que la Droite s’adonne toujours, hiver comme été, à une scissiparité mortelle.
21août.
La nouvelle court: l’ancien Raïs égyptien, Hosni Moubarak, pourrait être remis en liberté sous la pression du Général Sissi dont les méthodes n’ont décidément rien à voir avec le personnage de son homonyme, l’impératrice d’Autriche, incarné par Romy Schneider. La situation devient carnavalesque puisque l’ancien président Morsi se trouve, lui, en résidence surveillée, pour ne pas dire qu’il est incarcéré. Il semble que le «nouveau nouveau» Pharaon soit un homme aux idées simples: est bon pour l’Egypte ce qu’il a décidé pour elle, avec l’appui d’une armée ayant parfaitement intégré les règles d’occupation de l’espace médiatique international où la place Tahrir fait fonction de scène principale. Le général Sissi – à moins qu’il ne fût déjà Maréchal – se sent en situation de force suffisante pour ne pas répondre au téléphone à Barak Obama dont la politique n’est pas pour rien dans cette bourbeuse confusion moyen – orientale. «Sissi imperator» a bien compris que la Guerre froide pouvait renaître de ses cendres encore chaudes; que Poutine veut reconstituer l’aire d’influence de l’ex- URSS; qu’il soutient Assad à bout de bras pour cette raison. Il faut se souvenir de ce qu’était la présence diplomatique et militaire de l’URSS dans les années 60 en cette région du monde. Elle s’est révélée dans toute son ampleur et sa virulence lors du fiasco de l’expédition de Suez en 1956, puis durant la guerre des Six Jours et celle de Kippour. Obama et Poutine ressuscitent une forme de conflit qui n’a plus rien d’idéologique. C’est la raison pour laquelle Obama va probablement se résoudre à intervenir en Syrie. Pour montrer à ce freluquet de Poutine qui est le vrai patron. Quant à la France, qui sauvegarde son métayage colonial dans cette même région, elle s’apprête à lui emboîter le pas. A chacun son dictateur et son tableau de chasse: Sarkozy a eu la peau de Kaddafi, dans les circonstances atroces que l’on sait, Hollande veut celle d’Assad.
23 août.
«Acté» est sans doute l’un des romans les moins connus d’Alexandre Dumas. Sa lecture édifie. D’abord au plan littéraire, comme l’on dirait dans le langage des dissertations. Le récit se déroule du temps de Néron ce qui prédispose aux effets grandioses, aux descriptions maximales, à la dilatation des yeux du lecteur devant les jeux du cirque où 1500 lions sont massacrés en un seul après- midi; devant ces orgies où la louve de Rome se vautre sur les triclimums incestueux; devant le supplice des premiers chrétiens enduits de résine pour servir de torches humaines, et enfin devant la fin grotesque d’un hyper-tyran qui s’aveulit au delà de l’exprimable dans un suicide pitoyable. Au fil de la lecture, les scènes principales d’un autre roman bien plus célèbre se font réminiscences: celles du «Quo Vadis?» de Henryk Sienkiewicz. On n’ira pas jusqu’à dire qu’« Acté » y est largement plagié mais à l’évidence le roman polonais publié en 1896 puise à pleins seaux dans celui de Dumas, avec des variantes bien sûr, y compris la scène célèbre dans laquelle l’herculéen Ursus fait de son corps un rempart protégeant la jeune chrétienne qu’un taureau veut déchirer de haut en bas. Le roman de Dumas aurait ma préférence. Il y analyse fort bien les raisons de la propagation irrésistible de la foi chrétienne dans un Empire romain miné par ce qu’il nomme un «indéfinissable malaise». Le mot retient l’attention puisque Freud l’emploiera dans «L’Homme Moïse et la religion monothéiste» à propos du même phénomène. Freud a t-il lu «Acté»? Pourtant Dumas ne serait pas Dumas s’il ne réécrivait l’histoire à sa convenance, par exemple en faisant de Paul de Tarse un apôtre visuel de Jésus – qu’il n’a rencontré que sous forme de vision, diront les uns, d’hallucination selon les autres. Un Saint Paul courageux mais pas téméraire et qui, à rebours de sa vision sur le chemin de Damas, excipera de sa citoyenneté romaine pour échapper au supplice de la croix et être décapité plus proprement. Un roman édifiant, sur tous les fanatismes, celui de la tyrannie mais aussi celui de la bonté absolutisée.