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PARACHA HAAZINOU

In Uncategorized on septembre 24, 2020 at 9:45
Darmon Haazinou

 ( Dt, 32, 1 et sq )

Avant de quitter le peuple d’Israël et ce monde, Moïse entend parfaire le viatique dont il les dote. Jusqu’à présent, il avait procédé à l’anamnèse historique d’Israël, mettant en évidence ses vulnérabilités mais aussi ses points forts. Rien ne doit être dissimulé au risque d’en subir la récidive. Mais ces paroles d’éveil et d’admonestation ne se sont pas destinées aux Anges du Service. Le peuple d’Israël est un peuple d’humains, situé sur une terre, et sous un ciel. Le ciel et la terre seront donc pris à témoins par Moïse car une même loi de vie les régit solidairement avec le peuple qui vivra selon leurs coordonnées, diurnes ou nocturnes. Ne le savions nous déjà? Le Deutéronome est le livre de la didactique prophétique. Faut-il qu’elle soit elle même redite? En réalité ce qui frappe dans cette paracha, au moins en ses débuts, est la langue dans laquelle Moïse, le prophète incomparable par son humilité,  s’exprime. Elle défie la traduction tant elle est chargée symboliquement et sémantiquement. Pour l’expliciter, la paraphrase, au sens du Targoum, d’abord, puis l’étude à deux ou à plusieurs sont requises. Moïse aurait-il voulu rendre ses propos impénétrables? A t-il pêché par ésotérisme, par « sibylisme »? Il ne semble pas.

Son seul but est de concilier la personnalité singulière de chaque Bnei Israël avec son appartenance d’ensemble au peuple du Sinaï. Lorsqu’une parole doit être interprétée à plusieurs, elle devient le moyen de raccorder le Je, le Tu et le Nous, comme ont parfois tant de difficulté à le faire les pensées contemporaines. Ce n’est pas seulement un exercice intellectuel: au milieu de cette paracha se trouve la plus forte déclaration relative à  l’unité et à l’unicité divines, après le « Chéma Israël ». Il n’est pas de divinité adjacente ou supplétive au Dieu du Sinaï, le Dieu qui fait vivre, mourir (Moïse va le vérifier) mais qui fait revivre aussi. C’est bien au milieu même de ce milieu, dans son tokh, que s’énonce l’affirmation de la résurrection. Au cours des siècles, une théologie aussi polémique qu’aveugle niera que le peuple d’Israël ait cru à la résurrection des morts. Il faut ne pas avoir lu cette paracha pour commettre un si grave contre-sens. Celui ci peut cependant se reconstituer d’une autre manière.

Si l’humain est appelé, quoi qu’il en soit,  à ressusciter, quelle  peut être la signification de la mort conçue comme une épreuve? La mort n’est nullement déniée. Elle présente cet étrange point commun avec l’amour: elle peut faire l’objet d’une injonction. Le Créateur l’intimera à Moïse: «Monte sur le mont Nébo et là, meurs!». Le verbe est à la forme active, comme s’il s’agissait d’une opération à conduire consciemment d’un bout à l’autre. A quoi correspondrait cette action si particulière sinon à un dessaisissement volontaire de  toutes les possessions, de toutes les attaches d’une vie qui mérite ce nom tant elle aura été à chaque instant vécue! On ne quitte pas vraiment ceux auxquels et ce à quoi l’on ne s’est jamais attaché. Sans attachement, point d’arrachement. Moïse a aimé sa condition humaine. De son propre mouvement il n’en voudrait point d’autre. Il voudrait plutôt traverser le Jourdain avec ce peuple qu’il a tant aimé… Mais là s’arrête son cheminement en cette vie. Pourtant si celle-ci ne devait pas se poursuivre ailleurs et  autrement, pourquoi le Créateur l’incite t-il à contempler panoramiquement, panorama dans l’espace  et dans le temps, cette terre qui lui a été interdite?

La mort n’est pas déniée mais elle ne doit pas devenir occasion de panique, le signe de l’ultime horreur. Si la vie que l’on a vécue est digne de ce nom, on y puisera le courage, sinon la sérénité indispensables pour la quitter. Le Créateur a laissé à Moïse tout le temps de réviser la Thora avec le peuple qui l’a acceptée au Sinaï. Il l’a laissé la répéter jusqu’au moindre détail, en expliciter les plus fines variantes. Mais Moïse ne doit pas procrastiner. Il faut qu’il quitte et ce peuple et ce monde qui le feront vivre d’une autre manière, dans leur mémoire, par l’élévation de leur esprit au degré où le sien accéda. En somme, l’enseignement divin se poursuit jusqu’en ces ultimes instants ;

Arrivés au terme de cette paracha un sentiment qui serait presque de la tristesse nous saisit : pourquoi le Créateur tient-il à rappeler au prophète agonisant la cause de l’interdit qui l’empêche de franchir le Jourdain? Était-ce le bon moment? Le Créateur ne passe t-il pas ici pour une divinité rancunière et vindicative? Plusieurs lectures sont possibles. La précédente est fragile tant le Créateur dispensera des paroles de bonté, de mansuétude et même de reconnaissance vis à vis de Moïse. Une autre s’ouvre: le rappel opéré à ce moment exprime moins la vindicte du Créateur que ses regrets. Ah, si Moïse avait parlé au rocher au lieu de le frapper! La Parole divine y revient parce que si le remords est ressassement d’un passé mort, les regrets marquent la volonté de réparer sur le champ et pour l’avenir ce qui peut l’être.

Cette fois Moïse obéit, quoi que son cœur endure. Obéir au Dieu de vie, c’est cela le sanctifier. Par deux fois Moïse se sera soustrait au regard optique du peuple: la première lorsqu’il accomplit l’ascension du Sinaï, l’autre lorsqu’il accomplit celle du mont Nébo. Dans les deux cas, il reste l’exemple vivant d’une obéissance sanctifiante, celle par laquelle le serviteur, aussi haut qu’il soit monté, reconnaît la souveraineté divine, celle d’où seule procède la résurrection à venir.

Raphäel Draï zal 8 septembre 2013

FALLAIT-IL CREER L’HOMME ?

In Uncategorized on septembre 17, 2020 at 9:58

Les solennités de Tichri se déployant de Roch Hachana à Simh’at Thora, incitent l’homme à se poser des questions à la limite de sa faculté de penser. Non qu’il faille prendre celle-ci en flagrant délit d’impotence. Il s’agit plutôt d’apprendre ou de réapprendre à questionner non pas de manière anecdotique mais de sorte que la question prenne sens au regard de la Création tout entière.

Alors : fallait-il créer l’Homme ? Rien de moins.

Célébrer Roch Hachana c’est fêter la création de l’Univers à propos de quoi le Zohar affirme que la Joie naquit. L’interrogation dubitative sur l’opportunité, voire le bien fondé, de la création de l’homme ne peut manquer de surprendre. A moins qu’elle ne traduise la perplexité, parfois consternée, de la conscience éthique face aux manquements de l’Homme aux lois de la création proprement dite : Irrespect de la parole donnée, dissimulation, violence immaîtrisée, volonté de nuire. Les Sages du Talmud ont porté cette discussion au point où tout à la fois elle trouve son expression pratique et son dénouement.

Fallait-il créer l’Homme ?

Les Sages firent un certain décompte au terme duquel ils donneront une réponse plutôt négative : la création de l’Homme ne s’inscrit pas spontanément dans l’ordre de la création par exemple de la lumière ou des espèces végétales. Pourquoi ? Il suffit de décompter les obligations, les mitsvot, qui constituent la Thora tout entière. Le nombre des mitsvot négatives — ou obligations de s’abstenir l’emporte sur celui des mitsvot positives ou obligations d’accomplissement 365 contre 248 La Thora marque ainsi ses précautions sinon sa défiance vis-à-vis de l’Homme laissé à sa propre pente. Dans ces conditions, le désespoir ne jette-t-il pas son obscurité indélébile sur la conception juive de l’Univers ? Comment, dès lors, justifier les solennités d’espérance de Tichri : l’appel à la compassion, et ces prières qui doivent rouvrir le Livre de la Vie ? Pour dénouer pareille contradiction, il faut conduire jusqu’à son terme exact le décompte des Sages du Talmud. En réalité les mitsvot positives et les mitsvot négatives n’ont pas une valeur identique. Parce que pour les unes l’intention, la pensée qui se forme en vue de l’acte, compte, et pas pour les autres. L’intention de bien faire, quand bien même elle n’aboutirait pas à sa réalisation, est considérée comme mitsva. Et lorsqu’elle est suivie d’effet cette mitsva compte double. Tandis que l’intention de mal faire n’est pas, elle, immédiatement décompté comme transgression si elle ne se réalisait pas. A l’exception de l’intention idolâtre. D’où le conseil des Sages du Talmud. Dans l’absolu il eût mieux valu que l’homme ne fût point créé. Puisqu’il l’a été, désormais il lui incombe de faire attention aux intentions qui se forment dans son esprit et aux actes qui s’ensuivent. Si l’intention d’augmenter la vie se traduit par les actions qui la mettent réellement en œuvre, et si, peu à peu, les intentions malveillantes ou malfaisantes en disparaissent, de ce point de vue, et rétroactivement, la création de l’homme se verra amplement justifiée. Il ne fera plus exception à l’ensemble du processus inauguré par ce vocable programmatique : Bérechit. Que l’homme ne s’adonne pas au désespoir en découvrant la Loi dans sa lecture superficielle. Qu’il ne confonde pas le donné statique et le potentiel infini. Puisque l’intention de bien faire est comptée comme mitsva positive – dès qu’elle ne se réduit pas, bien sûr, à ce qu’il est convenu d’appeler un vœu pieu – en réalité le décompte des H’akhamim met face à face 496 mitsvot positives et 365 mitsvot negatives. Selon ce décompte conclusif c’est donc la confiance en l’homme qui l’emporte. Et la confiance la Emouna, est elle-même une des toutes premières mitsvot positives.

Chaque fois qu’en l’esprit humain naît le désir de vie, et les choix qui en découlent, tout le Maasse Berechit, l’œuvre de la Genèse, reprend son cours. La Création ne s’est pas faite une fois pour toutes. Elle n’est pas destin prescrit. Tichri le rappelle. A chaque instant du temps de nos vies nous pouvons être pleinement associés de Dieu dans sa Création. Incommensurable pouvoir. Incommensurable dignité. C’est sans doute pourquoi le texte de la Genèse emploie ce pluriel inattendu qui a donné lieu à tant de commentaires au long des siècles : « Faisons l’homme à notre semblance » (Gen 1, 26) dit le Créateur. Faisons-le, c’est à dire ensemble, par l’accomplissement cette Loi d’espérance, et d’espérance réellement opératoire parce que désillusionnée, qui compte déjà la simple intention de créer comme choix inaugural la vie. Tichri se célèbre dars la lumière de l’automne qui est selon nos propres modalités saison de révélation. Les arbres se dépouillent de leur feuillage roussi et laissent s’épandre une lumière apaisée et miséricordieuse. Ainsi de nos esprits d’où tombent les pensées mortes avant de s’engager dans nos hivers spirituels ne sont pas solitudes glacées mais espaces de la patience d’où renaîtront nos vivaces intentions d’ajouter à la Valeur humaine.

Raphaël Draï zal, L’Arche 1992

PAIX INTIME DE TICHRI

In Uncategorized on septembre 16, 2020 at 9:14
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Sans que ces deux solennités soient dissociables, dans la complétude du calendrier d’Israël l’on peut dire que Pessah célèbre au printemps la conquête de la liberté politique et que les liturgies de Tichri célèbrent à l’automne celle de la liberté intérieure, de l’esprit en lutte non contre un ennemi extérieur, mas contre lui-même. Afin qu’il s’y instaure une paix qui ne soit pas d’illusion mais d’accord intime avec soi. Tichri donne ainsi son plein sens à l’injonction du Lévitique : « Et tu aimeras ton prochain comme toi. Pressés par la nécessité de démontrer que le judaïsme comporte lui aussi une éthique de l’altérité qui le démarque de la fantasmagorie du « Dieu-Vengeur de l’Ancien Testament » bien des penseurs juifs ont donné de ce verset une interprétation unilatérale fondée sur le second de ses deux termes. Ainsi s’est développé, à juste titre dans un univers souillé par la méconnaissance de l’Autre, le rappel pressant de la responsabilité vis-à-vis d’autrui que la Torah érige en effet en Klal Gadol, en Grand Principe, au sens que cette formule reçoit en démocratie lorsque sont évoqués les Principes Généraux du Droit. Mais cette éthique de l’Autre ne saurait oblitérer le versant qui lui correspond : l’Ethique de soi qui empêche de transformer la morale d’Israël en pensée sacrificielle. L’amour que l’on se doit, comme si l’on était un autre, n’est que trop justifié par les manifestations de la haine de soi dont l’expression politique n’est que la plus voyante. Dans l’histoire d’Israël il est peu d’exemples de suicides. Le roi Saül a pourtant mis fin de ses mains à ses jours. Il pensait que l’Esprit de Dieu l’avait déserté au point de lui refuser jusqu’aux rêves de la nuit. Il suffit de suivre son évolution dans le Livre des Juges puis de Samuel pour voir comment, peu à peu, moins que ce David qu’il persécute, ce qui suscite sa haine meurtrière c’est sa propre vie, appesantie par une Royauté dont le sens messianique lui échappait. Pendant un temps la persécution du fils d’Ishay servira de dérivatif à cet ennemi intérieur. Mais lorsqu’elle se révèlera inopérante vis-à-vis de son objet réel alors il ne restera d’autre issue que l’épée que l’on se plonge dans le ventre. C’est parce qu’elle respecte l’équilibre nécessaire entre l’amour d’autrui, du prochain, et de soi, que la Bénédiction des Cohanim est commentée par ceux qui l’écoutent sous le talith, sous le châle de prière, par cet autre verset : « Paix, paix au Lointain (rah’ok) et au proche (karov) dit Dieu ». Ce verset peut s’entendre de deux manières au moins : paix à l’Autre qui est près, et paix à l’Autre qui est loin. Mais aussi paix à l’Autre, dans tous les cas, et paix pour soi. Paix pour l’esprit saisi d’un mauvais vertige lorsqu’il tourne et retourne l’argument qui l’a blessé et qu’il ne cesse d’énoncer dans la plaie : paix pour l’esprit qu’habite une peur qu’il nourrit de sa propre substance parce qu’i ne sait pas ce que lui réserve la réalité, et que plus il s’éloigne d’elle plus elle s’éloigne de lui tandis que l’intelligence se déchire dans cet écart sans fin : paix pour l’esprit qui se croit libre mais que l’Ennemi occupe tel un envahisseur qu’on ne laisserait plus s’en aller. Les solennités de Tichri revêtent une gravité qui ne marque ni Pessa’h ni Shavouot parce qu’elles n’ignorent rien des difficultés de la pacification intérieure. L’on pourrait s’interroger : pourquoi ne suffit-il pas d’accomplir Kippour une seule fois dans son existence ? Pourquoi recommencer chaque année ? Parce que d’une année à l’autre les manquements à la Loi se renouvellent ? Certainement mais pourquoi se renouvellent-ils sinon parce que la source n’a pas été véritablement atteinte ? Dans sa vie, de Tichri en Tichri, les Kippours ne se juxtaposent pas. Ils cumulent leurs forces respectives pour toucher enfin et abolir cette source de pensées amères qui nous font parfois recracher notre propre langage, nous laissant la bouche vide, sans mots pour l’Autre, mais sans rien avoir non plus à se dire. Ce rejet de l’amertume est au cœur de la liturgie de Roch Hachana. C’est elle qui commande que, pour un soir, inaugural, sur la table le sel soit remplacé par le sucre.

Que l’année nouvelle soit douce pour tous.

Raphaël Draï zal, l’Arche Septembre 1991

NITSAVIM – VAYELEKH

In Uncategorized on septembre 10, 2020 at 5:34
Darmon Nitsavim.

(Dt, 29, 9 et sq )

Ces parachiot conduisent vers la fin du sepher Devarim et vers la conclusion de la mission acceptée par Moïse depuis la révélation divine au Buisson ardent. Que de chemin parcouru! Et combien escarpé, périlleux, côtoyant tant d’abîmes dans lesquels tant d’autres peuples ont disparu ou disparaîtront.. Où en est actuellement le peuple d’Israël? Ce n’est pas sa position géographique qui importe mais sa situation spirituelle. Moïse l’indique par l’expression: «Athem nitsavim hayom coulékhem liphnéi YHVH Elohékem ». Ce qui peut se traduire: «Vous vous maintenez aujourd’hui intégralement devant l’Eternel votre Dieu». Chacun des mots composant cette sentence qui est aussi un état des lieux spirituel, comme on l’a dit, appellerait le commentaire. On s’arrêtera à nitsavim puisque ce terme  donne son titre à la présente paracha.

Il est en effet différentes façons de marquer la position d’un individu ou d’une collectivité humaine. Lorsque les Bnei Israël furent arrivés devant le Har Sinaï, le texte de Chemot précise qu’ils firent là une halte réparatrice: «Vayh’an cham Israël negued haHar» (Ex, 19, 2). Quelle est la particularité de leur nouvelle position? NiTSaVim est construit sur la racine Tsa (B)V que l’on retrouve dans TsaVa, l’organisation méthodique, dans laquelle il est une place pour chacun et où chacun se sente à sa place légitime. C’est seulement par extension de cette signification primordiale que l’armée, au sens militaire mais également civique et éthique, est désignée par la mot TsaVa. La racine Ts(B)V (avec un beth prononcé ve) est affine à la racine TsV (avec un vav) que l’on retrouve dans MiTsVa. Cette signification se retrouve encore dans l’expression TsVa Hachamaym, la constellation des cieux, et surtout dans l’un des noms de Dieu: Adonaï-TseVaot, non pas le Dieu des Armées, avatar ou prototype du dieu Mars, mais Dieu des régularités, de l’esprit de suite, et finalement de l’Alliance, de la Berith, en laquelle toutes ces connotations se synthétisent.

D’autres dimensions de cette racine attirent l’attention. Par l’emploi de nitsavim, Moïse rappelle le peuple à l’un des épisodes les plus cruciaux de son parcours, lorsqu’à la suite de la transgression et de la régression du veau d’Or il entreprit d’obtenir le  pardon divin. On se souvient des demandes pathétiques de Moïse. Il aurait voulu que l’Eternel lui donnât connaissance de rien moins que son Être. Ce qui lui est refusé. Toutefois, le Dieu du pardon assigne à Moïse une autre place à partir de laquelle celui-ci pourra percevoir les 13 attributs de la compassion, lesquels constituent la seconde révélation du Sinaï après celle des 10 Paroles. Cette place, légitime et adéquate à l’être propre de Moïse, est ainsi assignée: «  Et YHVH dit: «Voici un endroit (makom) avec moi ( iti ) et tu te maintiendras (VeniTsaVta) sur la Forme créatrice (âl hatsour) (Ex, 33, 21)». En l’occurrence la racine Tsa(B)V se  rapporte donc bien à une position spirituelle par laquelle l’Eternel et l’humain  se retrouvent conjointement pour aborder de nouvelles phases de leur commune histoire. C’est cette éminence là que Moïse souligne maintenant pour y reconnaître la position atteinte désormais par le peuple tout entier, dans tous ses éléments constituants,  jusqu’au fendeur de bois et au porteur d’eau, sans en excepter le guer, l’étranger selon la loi biblique.

Au terme de quarante années de ce trajet transformateur, de ce walking through qui est simultanément un working  through, un travail profond sur soi- même, le  peuple d’Israël est arrivé au degré d’élévation spirituelle qui fut celui de Moïse lorsqu’il monta de nouveau sur le Sinaï à la rencontre de l’Eternel et qu’il fut autorisé à s’y maintenir avec Lui afin de recevoir les secondes Tables, analogues aux premières, et les Attributs du pardon qui sont indissociablement ceux de l’amour universel: ahavat ôlam. C’est à ce même niveau que doit se comprendre une  affirmation de la paracha qui autrement pourrait passer pour fantasmatique si ce n’est totalitaire.

Après avoir affirmé, au nom du Créateur que ce n’est pas exclusivement avec le peuple hic et nunc   que l’engagement sinaïtique est conforté et qu’il est scellé, Moïse ajoute qu’il l’est uniment « avec celui qui n’est pas aujourd’hui (hayom) avec nous (einénou po îmanou) ». L’affirmation peut sembler ambiguë. Certes, les Bnei Israêl présents sont parties effectives à cette Alliance. Ils sont bien là (po), physiquement et en toute conscience, aptes à y consentir. Mais de quel droit s’autoriser du coup à préempter l’avenir, au point de lui faire perdre sa signification essentielle? La question vaut d’être creusée.

Engager un avenir sur les voies de la vie est-ce attenter à la liberté des générations à venir? Dans la paracha qui suit celle-ci, dans la paracha Vayélekh, se trouvera énoncée l’un des principes les plus fondamentaux de la Thora, celui qui concerne le choix décisif de la vie alors que sont ouvertes les deux options antagonistes: la bénédiction et la malédiction, la vie et la mort. Il faut lire en son entier le verset de référence «..Et tu choisiras la vie afin que tu vives toi et ta descendance sur la terre que l’Eternel t’a dévolue (Dt, 30) ». Le choix de la vie engage bien la postérité de celui ou celle qui le décide, en récusant l’autre option, laquelle aurait pu, en théorie et en acte, faire l’objet d’un choix égotiste non moins «libre».

On comprend mieux à présent la portée de ce repère: NiTsaVim. Un peuple ne s’identifie pas de manière ponctuelle, dans un présent réduit à un intervalle fugace, impalpable, entre passé et avenir. Lorsque Moïse évoque « ceux qui ne sont pas là », au moment de la traversée du Jourdain, il pense à tous ceux qui n’ont pas réussi la traversée du Désert et qui s’y trouvent inhumés, à commencer par Myriam sa sœur. C’est le Moïse qui, au moment fatidique de la sortie d’Egypte, n’avait pas oublié non plus les ossements de Joseph.

Un peuple  se situe à cette altitude spirituelle lorsqu’il assume son histoire, toute son histoire, sans trier entre événements glorieux et accidents calamiteux. Même les descendants de Korah’ deviendront les auteurs de Psaumes comparables à ceux du Roi David et seront réunis dans le même psautier. Certes, le peuple actuel des Bnei Israel est bien arrivé sous la conduite de Moïse à ce niveau sans pareil. Mais il ne doit pas s’imaginer qu’il s’y maintiendra sans  avoir à y veiller perpétuellement. C’est pourquoi, la paracha Vayélekh introduit du même mouvement au thème considérable du Hester Panim, du voilement de la Face divine, lorsqu’il arrivera que ce même peuple, intégralement, exhaustivement présent aujourd’hui, se montrera demain oublieux de l’Alliance. Moïse le sait et y pare. Il a appris au moment même où il était niTSaV avec L’Eternel que tout pressentiment sombre, au lieu d’inciter au fatalisme qui le consommera, doit inciter sans attendre à concevoir la contre-mesure qui palliera les défaillances du moment, aussi graves soient-elles, afin que l’Histoire commune se poursuive. C’est dans ces dispositions d’esprit et avec cette intelligence de l’avenir que Moïse, sachant qu’il arrivera que Dieu voile sa Face, écrit préventivement la Cantate, la Chira, qui rappellera aux Beni Israël leurs obligations de sorte que la Face divine se révèle à nouveau parce qu’à nouveau le peuple et la Loi d’amour et de responsabilité ne feront plus qu’Un.

L’unité se distingue du totalitarisme en ce que celui-ci naît toujours des carences de celle-là. En araméen, «se réjouir» se  traduit par «se réunir», faire Un. Belle paracha  pour le mois d’Eloul, celui durant  lequel Moïse, sans désemparer, après la faute du veau d’Or, su  obtenir le pardon divin et en rendre les voies inoubliables.

Raphaël Draï zal, 29 aout 2013

Commentaire Paracha Ki Tavo

In Uncategorized on septembre 3, 2020 at 6:37
sans-titre
( Dt, 26, 1 et sq )

Par les deux mouvements complémentaires qui les caractérisent, les deux parachiot: Ki tétsé (lorsque tu sortiras …) et Ki tavo (lorsque tu t’en viendras …) sont intimement reliées. Ki tétsé répondait à un mouvement allant de l’intérieur vers l’en-dehors; Ki tavo répond à un mouvement allant de l’extérieur vers l’intime. Car l’on aura compris qu’il ne s’agit pas ici d’une simple entrée, physique, en terre de Canaan en vue de la transformer en Eréts Israël. La transformation envisagée doit conduire cette terre à recouvrer son énergétique et sa vocation originelles, vers le BeRéChiT par quoi a commencé toute la Création. Dès êtres qualifiés de créateurs, parce qu’ils ont appris à maîtriser leurs impulsions primaires, à différer la satisfaction de leurs exigences initiales, le temps de les soumettre à leur jugement, sont désormais au contact intime d’une terre rendue à sa primauté créatrice. Entre eux et elle un véritable échange doit s’instaurer qui fût ascensionnel. La présente paracha peut donc être lue de bien des façons mais elle comporte une leçon d’économie à la fois politique et prophétique.

Cette terre est qualifiée de « possession à héritage (nah’ala lerichta)». L’expression, difficilement traduisible, peut être comprise comme suit. NaH’aLa est construit sur la racine H’L qui désigne à la fois le profane (H’oL), en attente de sa sanctification, et la fluence (NaH’al). Première indication : cette terre n’est pas destinée à être simplement gérée, maintenue en l’état. Elle doit être transformée. Toute transformation implique un dessein et un but. Ils sont indiqués par le verbe LaRéCheT qui désigne, certes, la transmission de patrimoine mais dans le sens du BeRéChiT originel, par un mouvement de remontée de l’état actuel vers la source du vivant. C’est pourquoi la racine RChT se retrouve dans les deux vocables. Par quelles conduites liturgiques ce dessein sera rempli et ce but approché au plus près ?

Du fait même que la récolte a été féconde, selon l’engagement du Créateur, un échange doit s’engager qui n’a rien à voir avec le donnant – donnant ou avec les spoliations du parasitisme sacerdotal. Cet échange est avant tout signe et marque de reconnaissance envers le Créateur, reconnaissance au sens de la gratitude mais aussi au sens cognitif. D’où la désignation précise des prélèvements qui seront dévolus à cet échange prophétique. Ils sont appelés RéChiT selon la signification déjà soulignée. L’être reconnaissant fait dévolution au Créateur de la part de la récolte qui atteste de sa Présence. Aussi cette part prophétique doit être non pas consommée sur le site de la récolte, ce qui pourrait être confondu avec un rite strictement agraire, mais au lieu où le Créateur aura lui même choisi, en toute liberté, si l’on peut dire, de manifester sa présence et son Nom. Au lieu où il peut par ce Nom être appelé et entendu. C’est pourquoi ces prélèvements ne peuvent consister qu’en RéChiT, au sens biblique, autrement dit provenir de ce que l’on appelle « les sept espèces» de céréales et de fruits, purs produits d’Erets Israël.

Pour Yossef Karo, l’auteur du Choulh’ane Âroukh mais aussi de commentaires d’inspiration kabbalique de la Thora, ces sept espèces correspondent aux sept séphirot qui succèdent au trois séphirot initiales (h’okhma, la sagesse ; bina, l’intelligence, et daât, la connaissance) et qui en transmettent l’influx, la hachpaâ. Voilà pour l’intention. Quant à l’accomplissement de la dévolution prophétique, elle incombe également au CoHeN, en ce que le nom qui le désigne comporte à son tour la lettre hei, symbolique de la Présence divine, encadrée par les lettres caph et noun, qui ensemble forment le mot CeN, par lequel, on s’en souvient, sont scandées de manière affirmative et approbatrice les différentes phases de la Création initiale, telle que la relate le Sépher Beréchit, le livre de la Genèse.

Cet accomplissement ne se réduit pas à des incantations ésotériques. Il commence par un récit historique, une remise en mémoire, une anamnèse : celle de l’esclavage égyptien et celle de la libération des champs de corvées où l’esprit humain était réduit à son ombre. Si l’être hébreu est redevenu créateur c’est bien parce qu’il a été libéré, corporellement et mentalement, de cet asservissement au néant.

La dévolution des RéChiT n’aurait pas de sens si elle ne reconstituait pas ce champ de mémoire qui empêche toute appropriation asservissante, toute captation, toute privatisation d’une terre dans laquelle le Créateur lui même, par le choix du lieu de sa Présence, atteste de sa propre liberté.

La dévolution ainsi engagée et conduite se parachève par trois gestes dont la signification et la résonance s’éclairent par les verbes qui les désignent : hinah’ta (tu reprendras souffle); hichtah’avita (tu te ressourceras); vésamah’ta (et tu te réjouiras). Une réjouissance qui se distingue de toute « jouissance » égocentrée puisqu’elle doit conjoindre la maisonnée du producteur mais également le lévite qui ne dispose d’aucun patrimoine tangible, et l’étranger, le guer, le tiers, accueilli pour ce qu’il est, parce qu’il est proche et vulnérable, sans autre gage ou contre- obligation de sa part, sauf celle de respecter la loi de la terre ainsi sanctifiée qui lui donne l’hospitalité

La terre conférée par le Créateur au peuple d’Israël est qualifiée de « bonne ». Terre de bonté (erets tova ), elle doit l’inspirer à ceux qui y vivent comme à ceux qui y séjournent.

Raphaël Draï zal,  22 août 2013