I.
Le slogan de l’UNESCO pour le XXIème siècle est formulé en ces termes: « Construire la Paix dans l’esprit des hommes et des femmes ». Autant dire qu’outre sa destination vers l’extérieur des murs de l’institution internationale sise à Paris, au métro Ségur, ce slogan la rappelle en tant que de besoin à sa vocation initiale, celle qui a justifié sa création à côté de l’ONU en 1945. Que son siège ait été fixé à Paris n’est pas sans signification non plus: si la Wehrmacht a défilé sur les Champs-Elysées, elle n’a pas eu l’occasion de parader à Picadilly Circus. Pour un individu comme pour une institution, la forfaiture qualifie un manquement grave, injustifiable et conscient à sa raison d’être. C’est donc ce risque qu’encourt cette institution internationale après l’annulation, maquillée en report, d’une exposition consacrée au peuple juif et à son lien avec la terre d’Israël. Une annulation qui a provoqué tant de réactions scandalisées qu’il a bien fallu que la direction générale de l’UNESCO fasse légèrement marche arrière et qu’elle transforme l’annulation définitive en « report »; comme quoi dans le jeu des institutions internationales la règle prédominante est non pas la paix des esprits mais la capacité d’affronter un rapport de forces, y compris dans le monde qui se proclame celui de la culture. Car la faute de la direction actuelle de l’institution, incarnée par la bulgare Irina Bokova, vouée à l’objectif précité, est à deux versants.
En premier lieu elle a cédé à la pression du groupe des Etats arabes, ou qualifiés comme tels, au motif qu’une telle exposition mettrait en danger les négociations israélo-palestiniennes dont chacun sait qu’elles se déroulent précisément à la station Ségur! On s’étonnera ainsi qu’un groupe de 22 Etats arabes et musulmans soit constitué à l’UNESCO alors qu’à notre connaissance aucun autre groupe ethnique et confessionnel analogue n’y figure. En vérité, depuis que l’Autorité palestinienne a été admise comme membre de cette institution, celle-ci a été intégrée dans le champ stratégique constitué partout où il est possible contre l’Etat d’Israël. En ce sens, la politique, sous sa forme la plus détestable, a saisi le culturel, sous sa modalité la plus idéale.
Ce type de comportements n’est pas nouveau. On le croyait toutefois réservé à l’ONU, à son Assemblée générale et à ses diverses institutions connexes, comités et sous-comités. Heureusement, un verrou fonctionne encore au Conseil de Sécurité, sous la forme du veto américain pour l’essentiel. On imagine d’ailleurs sans peine en quelle arène tauromachique cette même Assemblée générale serait transformée si l’Autorité palestinienne y accédait au rang d’Etat membre. Le groupe, on devrait dire, compte tenu de leur façon d’agir: la bande des Etats arabo-islamiques, renforcée d’un Etat palestinien agissant comme aiguillon, ne tarderait pas à organiser l’expulsion du seul Etat « juif » de cette organisation dont la paix là aussi est l’enseigne officielle principale.
A l’Unesco, pour y revenir, parée du slogan de la paix – et de la paix tenons nous bien dans les esprits, ce groupe d’Etats chasse déjà en meute. Lorsqu’une activité ou une ligne programmatique lui déplaît, il est désormais en mesure d’exercer une pression suffisamment forte sur ses instances dirigeantes pour leur dicter sa loi. Loi dérisoire car dans les nombreuses réactions à la décision d’« annulation – report » est chaque fois souligné à quel point chacun de ces 22 Etats éprouve de la difficulté à faire régner la paix civile à l’intérieur de ses frontières et à répondre aux aspirations de sa propre population. En revanche – c’est le cas de le dire – la haine d’Israël y est le plus sûr facteur d’aimantation collective. En l’occurrence, la directrice actuelle de l’ONU a manifestement manqué à sa responsabilité primordiale: faire respecter quoi qu’il puisse en coûter la vocation de l’institution internationale qu’elle a voulu diriger. Dans la vie personnelle comme dans la vie publique, il n’est pire plaie que de prétendre a des responsabilités pour lesquelles on n’a pas été taillé(e) et que l’on n’assume pas. De ce point de vue, la reculade dans la reculade des institutions dirigeantes de l’UNESCO, ajoutant l’hypocrisie à la forfaiture, et contraintes de n’évoquer à présent, on l’a dit, qu’un «report», ne fera qu’aggraver la suspicion pour ne pas dire le discrédit qui l’affecte auprès d’hommes et de femmes pour qui le mot « paix » n’est pas le faux nez du mot « guerre » et qui ne se sont jamais insurgés lorsque la culture islamique, là ou ailleurs, a été célébrée et mise en évidence pour un public qui n’y avait pas spontanément accès. Voilà pour le décalage entre la vocation officielle et le fonctionnement effectif. Reste le fond.
II.
Au fond, ce que le groupe des Etats arabes affiliés à l’UNESCO n’a pas toléré, c’est qu’une exposition mette en évidence le lien du peuple juif avec la terre d’Israël. Ce lien ne doit pas exister puisque les ennemis de l’Etat d’Israël et leurs alliés ont décrété son inexistence et qu’ils l’ont frappé d’interdit. De ce point de vue également, la dimension spécifiquement politique de cet anti-sionisme qui est bien une maladie de la raison, le cède à une autre affliction de l’esprit: le révisionnisme, lequel n’a pas qu’une face. Pour les suppôts initiaux de cette pathologie mentale les chambres à gaz n’ont pas réellement existé. De même pour le révisionnisme à visage islamique, il n’y a pas de lien entre l’Etat d’Israël et le peuple juif, ni entre le peuple juif et cette terre dont le nom de « Palestina » lui a été conféré par la Rome impériale avant la naissance de l’Islam. Sur cette lancée, les récits bibliques qui remontent à l’aube de la conscience humaine ne sont qu’inventions, forgeries et lubies de même que les récits évangéliques, sauf lorsqu’ils sont sollicités pour faire la preuve de l’immémorialité de la parole coranique. A cet égard Abraham a été le premier musulman, à moins que ce ne fût Adam dont l’épouse, Eve la pécheresse, inventa, à n’en pas douter, le premier voile féminin de la Création. Le dernier venu parmi les peuples se réclamant du monothéisme n’a eu et n’a de cesse de cesse que d’en expulser les deux premiers pour s’y subroger théologiquement et pour s’établir physiquement à leur place en réclamant de leur part obédience religieuse et soumission politique. Ce révisionnisme, encore innommé comme il le devrait, n’opère pas exclusivement à l’encontre de l’histoire des Juifs et des chrétiens. Il sévit à rebours de la véritable histoire d’un Islam très vite sorti des limites de son Arabie natale pour se lancer militairement à la conquête de la totalité du monde connu et habité, faisant presque oublier l’Empire romain tout en retrouvant les balises. Toutes les terres conquises hors de ces limites n’ont pas été subjuguées sur le seul plan militaire et politique. Elles ont été dés-identifiées, linguistiquement, topographiquement et du point de vue mémoriel. Les théologies des peuples concernés ont été elles aussi mises au format des conquérants. La seule mémoire acceptable fut précisément celle qui justifiait ces conquêtes par vive force puis les emprises sur le corps et sur les esprits qui en résultaient.
Une emprise qui ne fut pas toujours entérinée par ses objets. Dés que les populations dominées furent en mesure de prendre les armes, elles entreprirent comme en Espagne la reconquête de leurs terres premières. Et ce fut au tour des populations islamisées d’être subjuguées et parfois contraintes à l’exil, à moins de se convertir. C’est cette entreprise de conquête et de domination universelle qui explique, sans bien sûr le justifier, le barrage érigé, mentalement phobique, contre les entreprises de remémoration concernant les terres conquises par les armées mahométanes. Ce n’est pas seulement qu’elles aboutissent à mettre en cause la souveraineté originelle de l’Islam géographique, si l’on pouvait ainsi le caractériser. Elles rappellent du même coup un autre fait « originel » et source de dé-légitimation morale et juridique: le fait même de ces conquêtes violentes, par force armée et pillages, de terres situées parfois à des milliers de kilomètres de l’Arabie. Et cela dans une phase du temps actuel qualifié de « post-colonial », après qu’ont été durement mises en cause les emprises colonialistes occidentales des XIXème et XXème siècles. En somme, si l’anti-colonialisme stigmatise des régimes d’exploitation invétérée préparés par des conquêtes violentes, l’Islam politique et militaire n’en est pas exempt. Au contraire: il en constitue l’une des configurations patentes. Au lieu de l’admettre et d’en tirer les enseignements, les Etats arabes décolonisés, au sens de l’Occident, ne veulent plus entendre évoquer leur propre origine prédatrice et interdisent que d’une manière ou d’une autre ces faits brutalement refoulés reviennent dans le réel.
On ne se serait pas livré à cette analyse si, précisément, la vocation de l’Unesco, définie par ses propres instances, n’avait pas été de bâtir la paix dans les esprits. La notion même d’esprit se trouve déniée par ces pressions de masse multitudinaires qui ne peuvent se rapporter à rien d’autre en effet qu’à un inavouable révisionnisme propagé par tous les moyens du terrorisme diplomatique et culturel, si ces qualificatifs pouvaient le moins du monde s’accoler à un substantif de cette nature.
La paix dans les esprits ne sera qu’un vain slogan tant que l’Islam, au sens expansif, n’acceptera pas un double bornage: le premier théologique, celui d’être un visage du monothéisme, et un seul, apparu après les deux premiers et s’étant d’ailleurs nourri d’eux; et l’autre, politique et culturel: l’univers existait avant que l’Islam n’advînt et il en a conservé une mémoire plus que vive.
On ne terrorise pas la mémoire de l’humanité.
Raphaël Draï zatsal, 23 Janvier 2014