A la lecture de ce seul titre, certains lecteurs de L’Arche seraient en droit de se demander si le ciel ne va pas leur tomber sur la tête avant que le feu du ciel ne foudroie les locaux du 36 rue Broca. Et pourtant, le dialogue avec les homosexuels et les homosexuelles de la communauté est plus que jamais à l’ordre du jour. Faudrait-il le récuser au regard de son objet même? En France, un tel déni n’est plus de mise et pourrait paraître discriminatoire. Comment! L’on commenterait du matin au soir les pensées cumulées de Buber, de Levinas et de Rosenzweig ainsi que le corpus des Droits humains et puis l’on se déroberait à l’apparition de l’Autre dans toute son « autreté », sitôt qu’elle vient à se manifester? Lors de la Gaypride du début de l’été des chars à l’enseigne des homos juifs et juives se joignent maintenant à la parade et font d’une telle déclaration publique, en général largement médiatisée, un coming out souvent irréversible puisque chaque famille concernée, sans qu’elle le sache toujours, pourvue qu’elle soit dotée d’un poste de télé, peut y reconnaître un des siens. Il faut se rendre à l’évidence: l’homosexualité se déclare à présent ouvertement dans maintes familles juives, y compris dans quelques une de celles qui se veulent les plus orthodoxes en matière de Halakha. Plutôt que de vivre cette «révélation» dans l’effondrement puis la fureur propice aux excommunications jupitériennes, n’est-il pas préférable d’engager un dialogue digne de ce nom avec des hommes et des femmes qui assument leur identité sexuelle pour ce qu’elle est: portée vers un partenaire du même sexe? Car ces mêmes homos, comme l’on dit, se veulent complètement, irréductiblement juifs et juives. A ce titre, ils revendiquer un accès normal aux lieux de culte et de prière, si ce n’est une représentation dans les organisations les plus officielles de la Communauté qui souvent, se met sur répondeur. Cependant, pour ne pas risquer d’échouer lamentablement, au risque d’aggraver le fossé qu’il se proposait de combler, les partisans d’un dialogue digne de ce nom, en ce domaine particulièrement miné, se doivent de vérifier préalablement et son objet et sa méthode, en évitant d’entrée de jeu une tentation délétère: la démagogie. Celle-ci incite chaque fois à en rajouter sur ce qui se produit dans l’espace public, simplement parce que cela s’y produit, et qu’en matière «d’événementiel» l’on s’en voudrait d’avoir un char de retard dans la prochaine Gaypride. D’autant, que la société française et que le droit de la République ont largement entérine le fait homosexuel. La loi de 1999 sur le PACS a suscité de violentes polémiques. Qui voudrait les relancer aujourd’hui? La société post-moderne présente ce trait caractéristique: d’abord elle s’offusque, ensuite elle banalise le scandale avant d’en balayer les feuilles mortes. Faut –il ajouter que de ce point de vue la Cour suprême de l’Etat d’Israël, à l’instar du Législateur et des tribunaux français, fait prévaloir la citoyenneté qui relève de la sphère des libertés publiques sur l’appartenance sexuelle qui, elle, se ramène à la vie privée, protégée en tant que telle, de chacun et de chacune[1]. Quoi qu’il en soit, l’objet d’un pareil dialogue ne se réduit pas non plus à ces considérations de droit et de sociologie, si ce n’est d’économie politique. La Thora, qui est également une législation structurant un modèle social, prohibe strictement l’homosexualité: «Et un mâle (zakhar) ne couchera pas à la façon de la femme; C’est une abomination(toêva) » (Lev, 18, 22). Être juif, ou juive, homosexuel(le) ou non, c’est se confronter inévitablement à cet interdit majeur qui, dans le chapitre XVIII du Lévitique est encadré par l’interdit de sacrifier sa progéniture à Moloch puis par l’interdit de la zoophilie! Pour la Thora, ces pratiques sexuelles – là, légalisées en Egypte et en Canaan, ne relèvent pas de la sphère intime. Laissées à leur propre pente, elles aboutissent à la destruction de la société qui les naturalise et qui les encourage, une société qui dénature la terre qui la porte, laquelle finit par la vomir! Des interdits de cette sorte ne sont ni aménageables, ni négociables. Et ils se rapportent sans exception à l’interdit générique par excellence: celui de l’inceste. Dans ces conditions, dialoguer avec les homos juifs et juives, ne trouve t-il pas en ces injonctions sans méandres ni fioritures une limite infranchissable, et cela pour autant que l’épithète juif ou juive comporte un sens et un contenu? Françaises ou israëliennes, les lois parlementaires et les décisions de justice qui régissent la citoyenneté peuvent elles, enjamber, si l’on peut dire, les lois du Créateur qui sont censées régir l’identité humaine en tant que telle? Etre juif ou juive, n’est-ce pas faire sa loi personnelle de ce que prescrit le Livre de la Genèse, le Sepher Berechit à propos de cette identité primordiale: « Dieu créa l’Humain avec sa semblance, à la semblance de Dieu il le créa, mâle (zakhar) et femelle (nekeva) il les créa (bara otham) (Gn; 1, 27) »? Après la proclamation à l’échelle cosmique de cette différenciation sexuelle, intervient la création de l’homme (ich) et de la femme (icha), l’un et l’autre, et l’un avec l’autre, intuitu personnae (Gn ; 2, 23 et 24). Cette différenciation personnalisée conduit les deux être formés selon la Loi de Dieu à se conjoindre de sorte qu’ils constituent, littéralement, une chair-Un(e) (bassar Ehad); qu’ils incarnent ce que l’Unité créatrice signifie. Comme l’explique Rachi, c’est dans l’enfant à venir, celui qu’ils concevront ensemble et qu’ensemble ils feront advenir à la vie, que cette unité plénière se réalisera. La cause n’est-elle pas entendue? D’aucune manière l’homosexualité qui dénie le paradigme inhérent à la Création divinement voulue ne saurait être justifiée ou admise.C’est pourquoi ce passage du Lévitique est relu lors de l’impressionnante Minha de Yom Kippour. Aucune plaidoirie ne saurait être reçue qui tenterait d’en modifier les termes. Et pourtant, un dialogue, ne se réduit pas à son objet brut. Celui ci n’est habilité entre êtres humains que si le dialogue qui le promeut en est réellement, et inconditionnellement, un. A cet égard la Thora s’avère aussi indivisible.Pour le comprendre, il ne suffit pas de citer les Pirkei Avot lorsqu’ils enseignent qu’il n’est pas de Thora sans attention envers les êtres (derekh erets), elle dont toutes les voies sont présumées d’aménité (noâm) et les avenues signalisées de paix (chalom). Il faut revenir aux interdits eux-mêmes tels qu’ils sont énoncés dans ce crucial chapitre XVIII du Lévitique. Ce chapitre ne débute pas de plain pied par une salve de prohibitions. Celles-ci sont justement précédées par deux versets dont il faut également comprendre la fonction et le sens, juste à cette place: « L’Eternel parla (vaydaber) à Moïse pour dire (lemor). Parle (daber) aux Enfants d’Israël, et tu diras à leur intention (veamarta alehem): Je suis l’Eternel votre Dieu (Elohekhem) « (Lev ; 1, 1 et 2). Apres quoi, intervient, en effet, la série des interdits majeurs portant sur l’homosexualité mais aussi sur l’hétérosexualité incestueuse et adultérine. Pourquoi souligner ces deux versets introductifs? Les commentateurs de la Thora savent distinguer entre le verbe ledaber: parler, exprimer, et le verbe, lemor, dire, expliquer, expliciter, rendre acceptable et compréhensible.Les quelques 25 interdits dont il sera question au chapitre XVIII ne doivent pas être assénés à coup de gourdin. Pour aussi interdicteur qu’il soit, un interdit doit être entendu, compris, accepté par son destinataire, surtout lorsque celui-ci fait partie de ce peuple à qui Dieu s’adresse comme « votre Dieu», sans discrimination. Contrairement à l’idée reçue, un interdit et une défense ne sont pas soustrait par nature au dialogue: ils y sont assignés. Car dans un dialogue digne de ce nom, chacun et chacune, s’expose. S’exposer dans un tel domaine n’est pas un verbe vain. Du côté homo, il faut en effet s’expliquer sur l’étrange revendication d’un « droit à la différence » qui aboutit à rien de moins que l’indifférenciation de l’homme et de la femme dans une relation sexuelle où chaque partenaire du même sexe fait comme s’il n’était pas ce qu’il est. Et du côté hétéro, il faudrait s’expliquer sur l’origine lointaine et sur les causes plus proches de la dilection homosexuelle, qui n’est pas toujours surdéterminée par l’ingénierie génétique de la personne qui y est portée ou qui y cède. Au sens biblique un couple, un zoug, est constitué, certes, d’un homme et d’une femme. Cela ne suffit pourtant pas. Ce couple ne se parachève qu’à une condition: qu’un véritable amour unisse cet homme et cette femme qui se sont choisis et qui par l’échange de leur consentement reconstituent l’Humain tel qu’issu de l’Idée divine.. Le rappellent les 7 bénédictions qui sanctifient cet amour.
Qu’en dites vous?
Raphaël Draï zal, Arche Juin 2004
[1] Cf. les développements consacrés à ce sujet dans notre ouvrage, Grands problèmes politiques contemporains, Presses Universitaires d’Aix Marseille, 2001.