danieldrai

Archive for août 2016|Monthly archive page

Quel dialogue avec les homos juifs et juives ? L’Arche Juin 2004

In Uncategorized on août 29, 2016 at 11:00

A la lecture de ce seul titre, certains lecteurs de L’Arche seraient en droit de se demander si le ciel ne va pas leur tomber sur la tête avant que le feu du ciel ne foudroie les locaux du 36 rue Broca. Et pourtant, le dialogue avec les homosexuels et les homosexuelles de la communauté est plus que jamais à l’ordre du jour. Faudrait-il le récuser au regard de son objet même? En France, un tel déni n’est plus de mise et pourrait paraître discriminatoire. Comment! L’on commenterait du matin au soir les pensées cumulées de Buber, de Levinas et de Rosenzweig ainsi que le corpus des Droits humains et puis l’on se déroberait à l’apparition de l’Autre dans toute son « autreté », sitôt qu’elle vient à se manifester? Lors de la Gaypride du début de l’été des chars à l’enseigne des homos juifs et juives se joignent maintenant à la parade et font d’une telle déclaration publique, en général largement médiatisée, un coming out souvent irréversible puisque chaque famille concernée, sans qu’elle le sache toujours, pourvue qu’elle soit dotée d’un poste de télé, peut y reconnaître un des siens. Il faut se rendre à l’évidence: l’homosexualité se déclare à présent ouvertement dans maintes familles juives, y compris dans quelques une de celles qui se veulent les plus orthodoxes en matière de Halakha. Plutôt que de vivre cette «révélation» dans l’effondrement puis la fureur propice aux excommunications jupitériennes, n’est-il pas préférable d’engager un dialogue digne de ce nom avec des hommes et des femmes qui assument leur identité sexuelle pour ce qu’elle est: portée vers un partenaire du même sexe? Car ces mêmes homos, comme l’on dit, se veulent complètement, irréductiblement juifs et juives. A ce titre, ils revendiquer un accès normal aux lieux de culte et de prière, si ce n’est une représentation dans les organisations les plus officielles de la Communauté qui souvent, se met sur répondeur. Cependant, pour ne pas risquer d’échouer lamentablement, au risque d’aggraver le fossé qu’il se proposait de combler, les partisans d’un dialogue digne de ce nom, en ce domaine particulièrement miné, se doivent de vérifier préalablement et son objet et sa méthode, en évitant d’entrée de jeu une tentation délétère: la démagogie. Celle-ci incite chaque fois à en rajouter sur ce qui se produit dans l’espace public, simplement parce que cela s’y produit, et qu’en matière «d’événementiel» l’on s’en voudrait d’avoir un char de retard dans la prochaine Gaypride. D’autant, que la société française et que le droit de la République ont largement entérine le fait homosexuel. La loi de 1999 sur le PACS a suscité de violentes polémiques. Qui voudrait les relancer aujourd’hui? La société post-moderne présente ce trait caractéristique: d’abord elle s’offusque, ensuite elle banalise le scandale avant d’en balayer les feuilles mortes. Faut –il ajouter que de ce point de vue la Cour suprême de l’Etat d’Israël, à l’instar du Législateur et des tribunaux français, fait prévaloir la citoyenneté qui relève de la sphère des libertés publiques sur l’appartenance sexuelle qui, elle, se ramène à la vie privée, protégée en tant que telle, de chacun et de chacune[1]. Quoi qu’il en soit, l’objet d’un pareil dialogue ne se réduit pas non plus à ces considérations de droit et de sociologie, si ce n’est d’économie politique. La Thora, qui est également une législation structurant un modèle social, prohibe strictement l’homosexualité: «Et un mâle (zakhar) ne couchera pas à la façon de la femme; C’est une abomination(toêva) » (Lev, 18, 22). Être juif, ou juive, homosexuel(le) ou non, c’est se confronter inévitablement à cet interdit majeur qui, dans le chapitre XVIII du Lévitique est encadré par l’interdit de sacrifier sa progéniture à Moloch puis par l’interdit de la zoophilie! Pour la Thora, ces pratiques sexuelles – là, légalisées en Egypte et en Canaan, ne relèvent pas de la sphère intime. Laissées à leur propre pente, elles aboutissent à la destruction de la société qui les naturalise et qui les encourage, une société qui dénature la terre qui la porte, laquelle finit par la vomir! Des interdits de cette sorte ne sont ni aménageables, ni négociables. Et ils se rapportent sans exception à l’interdit générique par excellence: celui de l’inceste. Dans ces conditions, dialoguer avec les homos juifs et juives, ne trouve t-il pas en ces injonctions sans méandres ni fioritures une limite infranchissable, et cela pour autant que l’épithète juif ou juive comporte un sens et un contenu? Françaises ou israëliennes, les lois parlementaires et les décisions de justice qui régissent la citoyenneté peuvent elles, enjamber, si l’on peut dire, les lois du Créateur qui sont censées régir l’identité humaine en tant que telle? Etre juif ou juive, n’est-ce pas faire sa loi personnelle de ce que prescrit le Livre de la Genèse, le Sepher Berechit à propos de cette identité primordiale: « Dieu créa l’Humain avec sa semblance, à la semblance de Dieu il le créa, mâle (zakhar) et femelle (nekeva) il les créa (bara otham) (Gn; 1, 27) »? Après la proclamation à l’échelle cosmique de cette différenciation sexuelle, intervient la création de l’homme (ich) et de la femme (icha), l’un et l’autre, et l’un avec l’autre, intuitu personnae (Gn ; 2, 23 et 24). Cette différenciation personnalisée conduit les deux être formés selon la Loi de Dieu à se conjoindre de sorte qu’ils constituent, littéralement, une chair-Un(e) (bassar Ehad); qu’ils incarnent ce que l’Unité créatrice signifie. Comme l’explique Rachi, c’est dans l’enfant à venir, celui qu’ils concevront ensemble et qu’ensemble ils feront advenir à la vie, que cette unité plénière se réalisera. La cause n’est-elle pas entendue? D’aucune manière l’homosexualité qui dénie le paradigme inhérent à la Création divinement voulue ne saurait être justifiée ou admise.C’est pourquoi ce passage du Lévitique est relu lors de l’impressionnante Minha de Yom Kippour. Aucune plaidoirie ne saurait être reçue qui tenterait d’en modifier les termes. Et pourtant, un dialogue, ne se réduit pas à son objet brut. Celui ci n’est habilité entre êtres humains que si le dialogue qui le promeut en est réellement, et inconditionnellement, un. A cet égard la Thora s’avère aussi indivisible.Pour le comprendre, il ne suffit pas de citer les Pirkei Avot lorsqu’ils enseignent qu’il n’est pas de Thora sans attention envers les êtres (derekh erets), elle dont toutes les voies sont présumées d’aménité (noâm) et les avenues signalisées de paix (chalom). Il faut revenir aux interdits eux-mêmes tels qu’ils sont énoncés dans ce crucial chapitre XVIII du Lévitique. Ce chapitre ne débute pas de plain pied par une salve de prohibitions. Celles-ci sont justement précédées par deux versets dont il faut également comprendre la fonction et le sens, juste à cette place: « L’Eternel parla (vaydaber) à Moïse pour dire (lemor). Parle (daber) aux Enfants d’Israël, et tu diras à leur intention (veamarta alehem): Je suis l’Eternel votre Dieu (Elohekhem) « (Lev ; 1, 1 et 2). Apres quoi, intervient, en effet, la série des interdits majeurs portant sur l’homosexualité mais aussi sur l’hétérosexualité incestueuse et adultérine. Pourquoi souligner ces deux versets introductifs? Les commentateurs de la Thora savent distinguer entre le verbe ledaber: parler, exprimer, et le verbe, lemor, dire, expliquer, expliciter, rendre acceptable et compréhensible.Les quelques 25 interdits dont il sera question au chapitre XVIII ne doivent pas être assénés à coup de gourdin. Pour aussi interdicteur qu’il soit, un interdit doit être entendu, compris, accepté par son destinataire, surtout lorsque celui-ci fait partie de ce peuple à qui Dieu s’adresse comme « votre Dieu», sans discrimination. Contrairement à l’idée reçue, un interdit et une défense ne sont pas soustrait par nature au dialogue: ils y sont assignés. Car dans un dialogue digne de ce nom, chacun et chacune, s’expose. S’exposer dans un tel domaine n’est pas un verbe vain. Du côté homo, il faut en effet s’expliquer sur l’étrange revendication d’un « droit à la différence » qui aboutit à rien de moins que l’indifférenciation de l’homme et de la femme dans une relation sexuelle où chaque partenaire du même sexe fait comme s’il n’était pas ce qu’il est. Et du côté hétéro, il faudrait s’expliquer sur l’origine lointaine et sur les causes plus proches de la dilection homosexuelle, qui n’est pas toujours surdéterminée par l’ingénierie génétique de la personne qui y est portée ou qui y cède. Au sens biblique un couple, un zoug, est constitué, certes, d’un homme et d’une femme. Cela ne suffit pourtant pas. Ce couple ne se parachève qu’à une condition: qu’un véritable amour unisse cet homme et cette femme qui se sont choisis et qui par l’échange de leur consentement reconstituent l’Humain tel qu’issu de l’Idée divine.. Le rappellent les 7 bénédictions qui sanctifient cet amour.

Qu’en dites vous?

                 Raphaël Draï zal, Arche Juin 2004

[1] Cf. les développements consacrés à ce sujet dans notre ouvrage, Grands problèmes politiques contemporains, Presses Universitaires d’Aix Marseille, 2001.

 

Commentaire Paracha EKEV

In Uncategorized on août 25, 2016 at 6:49

PARACHA  EKEV 

 ( Dt,   7, 12    et sq )

 45 Ekev

Le mot qui donne son titre à cette paracha appelle bien des commentaires. On se limitera  à ceux qui s’attachent au mot EKeV  lui même, au regard de sa position contextuelle  puis de son étymologie.

Ce mot cheville la présente paracha à la fin de la paracha « Vaeth’anan ». Cette dernière s’est achevée par la mention des lois et du droit d’inspiration divine mais confiés à l’humain  qui, en les observant, obtiendra la bénédiction du Législateur. La présente paracha insiste sur  la nécessité d’une application réelle de ces lois et de ce droit. Le peuple d’Israël doit en somme faire preuve d’esprit de suite, avoir le souci d’une cohérence entre ses engagements et ses conduites. Au niveau de la pensée, ÊKeV se rapporte à la consécution logique qui relie entre eux deux éléments et plus génériquement encore à la relation spécifique de « cause à effet » qui peut les unir. Il ne s’agit pas d’un enchaînement formel de séquences. Il faut au contraire bien se pénétrer de cette idée: nos actes tirent à conséquences. Ils ne sont pas neutres. La conséquence de ces conséquences, c’est que  nous sommes jugés sur ces actes là. Ils font la preuve de la qualité et de la vérité de nos serments, de nos promesses. Et par là même ils engagent le propre ekev de Dieu. Car la logique mise ainsi en évidence, une  logique pratique découle de la logique générique de l’Alliance, de la Berith. Il n’est pas possible de solliciter la Présence divine et  ne pas respecter la Loi qui lui donne hospitalité.

On aura compris que le sens du mot Ekev se trouve dans celui du mot responsabilité. Au moment de franchir le Jourdain pour transformer Erets Canaan en Erets Israël, le peuple des anciens esclaves, dont toutes les faiblesses se sont révélées à lui durant la traversée du Désert, et qui les a presque toutes surmontées, doit savoir qu’il est devenu pleinement adulte, libéré non seulement extérieurement mais intérieurement. Il doit se considérer désormais comme l’auteur principal de son avenir. La Présence divine ne lui fera pas défaut mais elle résultera toujours de sa manière d’être, en fidélité aux dix Paroles du Sinaï prolongées par leurs michpatim.

Moïse les en avertit: leur génie ne se trouve nulle part ailleurs que dans cette Loi. Leur nom s’attachera à sa compréhension et à son accomplissement. Ils n’ont pas besoin de rechercher d’autres manières de s’illustrer. Leur gloire véritable, indéfectible, se trouvera dans leur capacité à en respecter et à en réaliser les dispositions. Elle est Loi d’équilibre, celle qui ouvre au choix de la vie et dont l’un des plus grands principes est: «  Tu aimeras ton prochain comme toi: je suis l’Eternel ». Cet amour là n’est ni strictement affectif ni passionnel. Il se déduit d’un certain nombre de conduites ayant chacune force de critère et qui sont décrites dès le début de la paracha « Kédochim » (Lv,19, 1). Ces conduites ne sont pas seulement sociales et juridiquement régulées. A un niveau encore plus élevé, elle sont sanctifiantes, autrement dit elles font naître et éploient ce qui est le propre de l’Humain: son âme, sa néchama.

Leibniz a pu écrire que « si les corps s’empêchent, les esprits s’unissent ». Tel est bien le sens de ce verset axial: les corps s’individualisent mais les âmes se relient et c’est pourquoi il est dit  de Jacob que son âme était liée (kechoura) à l’âme de Benjamin ( Gn,  44, 30 ) et que celle de Jonathan était liée à celle du  futur Roi David. C’est cette attache que symbolise le nœud, le kécher, des téphilin de la tête qui s’applique à la connexion cervicale de la moelle épinière dont on  connaît les fonctions dans la neurologie des comportements.

Etymologiquement,  le mot EKeV désigne d’abord le talon. Quel rapport entre ce qui vient d’être indiqué et cette partie du corps? Le talon marque le point de tangence du corps humain et de son support terrestre. Pour marcher il faut le décoller du sol. Ce véritable décollage dessine le vecteur ascensionnel du corps humain comme il se confirme durant la prière de la âmida au moment de la triple sanctification, de la triple kédoucha, qui oblige précisément à décoller les talons du sol pour donner le sentiment de grandir, de se grandir. Le Ben Ich h’ay recommande que ces trois intervalles ne soient pas égaux, le troisième devant être le plus ample, comme si nous faisions effort pour nous rapprocher au plus prés du champ divin. C’est pourquoi la racine de EKV se retrouve dans le nom-programme de Yaâcov qui lui a été attribué parce qu’à sa naissance il « talonnait », c’est le cas de le dire, Esaü. L’image corporelle doit  s’étendre aux positions spirituelles des deux frères et aux formes de sociétés qu’ils engendreront.

On observera enfin que les lettres de EKV se retrouvent dans le radical BKÂ qui désigne, dans son acception négative, la fêlure, la faille, la déchirure. C’est dans une bikâ que la « civilisation » amnésique de Babel s’installe avec les conséquences que l’on sait  (Gn, 11, 2 ). Le peuple d’Israël doit s’en souvenir: EKeV.

Il est d’autres résonances et connotations de ce radical. A vous de les chercher.

Raphaël Draï zatsal, 25 juillet 2013

PARACHA VAETH’ANAN

In Uncategorized on août 19, 2016 at 8:48

44 Vaet'hanane

Le sens de cette paracha se condense tout entier dans son titre. Comme on l’a vu dans les commentaires précédents, Moïse se trouve aux abords de la terre de Canaan mais il lui a été interdit d’y entrer avec le peuple d’Israël. Comme son frère Aharon et sa sœur Myriam, sa sépulture se trouvera en deça du Jourdain. Pour lui, cette interdiction est une conclusion malheureuse de sa tâche. Quel en a été le motif principal? On s’en souvient: les Bnei Israël souffrent une fois encore de la soif et craignent de périr. Ils exigent de Moïse qu’il leur fournisse de l’eau. Moïse, qui n’en peut mais, en avise Dieu qui lui enjoint  de se diriger vers un rocher aquifère comme il s’en trouve dans le désert et là lui demander de fournir cette eau destinée à apaiser deux sortes de soifs, la soif physiologique mais sans doute également la soif de révolte du peuple sorti de la maison d’esclavage. Or au lieu de parler au rocher Moïse lui inflige deux frappes. Dieu considère que la transformation de son injonction initiale constitue la désécration de son Nom. La sanction tombe: Moïse comme son frère ne franchira pas le Jourdain. Sanction disproportionnée?

Les commentateurs de ce récit en ont débattu au cours des siècles et en débattent toujours. De l’endroit où il se trouve à présent, Moïse va rappeler à ce peuple – qu’il n’a cessé de rappeler à lui même – quelle fut sa propre réaction à l’annonce de la sanction divine. Moïse ne veut pas en rester là. Il implore  Dieu de revenir sur cette sanction  et il le fait dans un langage et selon une terminologie dont rend compte précisément le titre de la paracha. « Vaeth’anan » est une forme grammaticale construite sur la racine H’N qui désigne la grâce, la mansuétude, la compassion. Moïse solliciterait-il la pitié divine? En réalité Moïse use vis à vis de Dieu des termes  dont il lui a fait part lors de la seconde révélation du Sinaï, après la faute du Veau d’or et pour obtenir la pardon divin. Cette nouvelle révélation sera celle dite des 13 attributs de la présence divine. Dieu se révèlera notamment comme « rah’oum veh’anoun », compatissant et faisant grâce.

H’en désigne la grâce physique et aussi la grâce morale, la gratuité de l’altruisme. Moïse s’était empressé de consigner, si l’on peut dire, cette seconde révélation, sachant que les épreuves du peuple ne cesseraient pas et qu’en cas de récidive il lui faudrait  rappeler au Créateur ses attributs de miséricorde. Deux occasions lui en seront données. La première sera ouverte par la crise dite des explorateurs, elle aussi durement sanctionnée. C’est alors que pour la première fois, et expressément, Moïse invoque devant Dieu certains de ces attributs là, notamment celui de longanimité ( rav h’essed ) ( Nb, 14, 17 et sq ). Et Dieu lui accorde ce nouveau pardon: « J’ai pardonné ( salah’ti )  comme tu l’a demandé (kidvarekha) ».

On observera qu’à ce moment  l’attribut de h’en n’a pas été mentionné. En somme Moïse a été économe dans la remémoration des attributs divins dont d’autres ont été gardés par lui en réserve. Et c’est bien l’attribut de h’en qu’il invoque maintenant à son propre usage afin que Dieu revienne sur la décision qui l’afflige, qu’il l’autorise à franchir le fleuve – limite, qu’il le laisse pénétrer avec le peuple sur la terre qui leur est dévolue par la divine bonté et la non moins divine justice. Que Dieu se montre à son égard h’anoun, qu’il ne s’arrête pas à la faute commise dans la substitution du passage à l’acte à la parole qui seule qualifie l’Humain en tant que tel.

Cette fois, et toujours pour employer un inévitable vocabulaire anthropomorphique, Dieu ne se laisse pas fléchir. Au contraire: il assigne à Moise une nouvelle ligne à ne pas franchir, et cela par la formule: « C’en est assez pour toi (rav- lakh) ». Cette formule, Moïse la connaît bien puisque lui même en a usé face à Korah ’et à ses affidés (Nb, 16, 7). Moise doit comprendre et doit admettre que les attributs divins ne se sollicitent pas de cette façon: à usage  personnel, privativement. Moïse ne le savait –il pas? Une autre hypothèse est envisageable.

Tout se passe comme si Moïse avait sollicité une troisième révélation qui eût outrepassé la seconde: celle des 13 attributs, pour en révéler de nouveaux. Par ce «  rav- lakh » tout se passe comme si Dieu avait signifié à Moïse qu’il n’y avait pas de révélation supplémentaire en réserve  et qu’il fallait savoir user des 13 attributs de miséricorde, en eux même suffisants, à bon escient. Moïse avait sollicité la grâce divine. Dieu a estimé en ce cas que cette sollicitation n’avait pas d’objet. Moïse devait se le tenir pour dit. Dieu l’invite toutefois à monter à une tout autre hauteur que celle de ses propres états d’âme. Son corps demeurera en deçà du Jourdain. Mais son exemple le traversera pour ne plus jamais quitter l’esprit du peuple qu’il avait conduit durant de si longues années, avec une grâce inépuisable, elle aussi.

 Raphaël Draï zatsal, 18 juillet 2013

PARACHA  DEVARIM

In Uncategorized on août 12, 2016 at 7:40

 ( Dt, 1, 1 et sq)

43+Dévari..

Ce dernier livre du H’oumach, du Pentateuque, est aussi appelé « Deutéronome ». Le terme est d’origine grecque. Il signifie répétition au sens didactique, reprise, réflexion. Au moment où les Bnei Israël se préparent à franchir le Jourdain  vers la terre de Canaan, Moïse croit devoir récapituler les événements qui se sont déroulés depuis la Sortie d’Egypte et durant toute la Traversée du désert. Pour quelles raisons? Les deux parachiot  précédentes en donnent sans doute la clef.

En premier lieu, y ont été récapitulées les étapes et stations auxquelles le peuple a attaché ses pas et où il a marqué ses séjours. Le sens de cette énumération n’apparaît pas toujours du premier coup. Il convenait que Moïse, une fois ce périple rappelé sur la carte, explicite le sens de ce qui s’y était passé. Une chose est de vivre, à chaud, en son immédiateté, un événement; autre chose d’y revenir par la pensée, de manière réfléchie. D’autant que toutes ces étapes ne se succèdent pas à la queue le leu. Elles sont étroitement reliées entre elles. Chacune conduit à la suivante selon la logique profonde d’un trajet dont les péripéties imprévisibles n’effacent pas les lignes directrices. Et puis le peuple a tellement changé! La génération du désert est presque totalement éteinte. Une génération nouvelle s’apprête à prendre son relais. Elle ne saurait le faire comme si elle était née d’elle même, dans l’oubli opaque et l’amnésie qui désorientent. Moïse se préoccupe ainsi non pas d’une redite, d’un ressassement, mais d’une véritable élaboration de l’histoire qui vient de se dérouler.

On sait que dans l’univers matériel et spirituel d’Israël, l’expression de la vie commence par celle des besoins primaires, bruts, qui laissent discerner le jeu des passions et le  mouvement des pulsions. Celles-ci ne sont jamais laissées en l’état. Qu’il s’agisse de pensée ou d’alimentation, ces besoins sont repris, travaillés à nouveau, élaborés, en effet, de sorte que leur énergie initiale  s’avère non pas aveugle, décérébrée, mais créatrice, régulée  par la parole inter-humaine, celle de l’étude et de la prière, la parole de la socialité. C’est pourquoi l’alimentation casher, lorsqu’elle est carnée, autorise exclusivement la viande d’animaux herbivores et ruminants, ceux qui n’engloutissent pas d’un coup leur propre nourriture mais qui la régurgitent en vue d’une élaboration secondaire.

Au plan de la pensée discursive, celle-ci ne s’accommode pas des opinions impulsives, jaculatoires. Tout propos, surtout lorsqu’il concerne le sens de la Loi, relève d’une interprétation. On ne pense  jamais seul mais au minimun à deux, chaque cervelle « se frottant et se limant à celle d’autrui » pour paraphraser Montaigne. Ce qui conduit à une autre formulation du « Cogito » : «  Nous pensons, donc nous sommes ». Tel est pour la Loi orale le sens et la fonction de la Michna, terme bâti sur la racine CHN que l’on retrouve, entre autres, dans CheNi, le 2, et dans ChiNouy, le changement, la transformation. La lecture du Deutéronome s’éclairera par ces premières considérations. Nul besoin de s’étonner des variantes et des variations entre deux relations d’un même événement,  ou deux versions du Décalogue. Ni les unes ni les autres ne s’énoncent sur un seul et même plan. Le Deutéronome reprend les quatre livres précédents mais pour les inscrire dans la mémoire vive du peuple.S’il les remémore, c’est pour les élever à la hauteur de symboles, de sorte que non seulement leur sens apparaisse mais qu’il soit d’une si intense densité qu’il se transmette de génération en génération jusqu’à nos jours.

Une autre raison doit être prise en compte. Les deux parachiot précédentes avaient fait état d’une demande inattendue de la part de la tribu aînée de Réouven, de celle de Gad et de la moitié de la tribu de Menassé, fils de Joseph: demeurer en deçà du Jourdain, sur cette terre qu’ils qualifient de « terre à troupeaux ( erets mikné) ». Comme si cette qualité l’emportait sur celle de kedocha, de sainteté, qui qualifie, elle, Erets Israël. Et Moïse ne l’approuve pas du premier mouvement. Une demande pareille semble oublieuse du but commun. En outre, elle écorne l’unité du peuple, en lui même et à l’intérieur de ses composantes, puisque la division traverse la tribu de Ménassé. Le texte même de la Thora restitue ces fêlures de façon impressionnante (Nb, 32, 33). Le mouvement du verset 33 est interrompu par pas moins de trois «passek», par trois  tirets verticaux de séparation! Autant que le nombre des tribus séparatrices. Ne vont-elles pas constituer avant l’heure la première diaspora? Mais la terre où elles comptent s’installer n’est pas neutre. La présence mentale des peuples antérieurs reste virulente, attractive. D’autant qu’en construisant des villes présumées nouvelles sur les lieux des  précédentes, ces deux tribus et demi les reconstruiront, les réactiveront. Le mort aura saisi le vif.

De ce fait même, Moïse comprend, que d’une certaine façon, la Traversée du désert n’a pas délivré tout son sens. Et il en reprend le récit afin que  ce sens fût clairement perçu, d’içi et de là, comme s’il fallait d’ores et déjà jeter un pont entre les deux rives du Jourdain, autrement séparées  physiquement et spirituellement.

Raphaël Draï zatsal, 10 juillet 2013

Parachiot Mattot massei

In Uncategorized on août 5, 2016 at 3:01

PARACHIOT MATTOT et MASSÊI

41 Mattot.

( Nb, 30, 2 et sq )

Les Bnei Israël sont à présent tout près de franchir le Jourdain pour investir la terre occupée par les Cananéens et la restituer à sa vocation abrahamique originelle. La Traversée du désert a duré pas moins de quatre décennies, quarante années éprouvantes, tumultueuses mais aussi profondément révélatrices des dispositions intimes de ce peuple voué  au sacerdoce de l’Humain.

Moïse demeure l’unique survivant de la fratrie libératrice. Il sent la mort s’approcher et, comme tout homme, il doit faire la balance entre ce qu’il a su accomplir et ce qui lui aura échappé: il n’entrera pas en terre de Canaan pour la transformer en Erets Israël. Ses injonctions se font plus dures, ses ordres se veulent sans répliques. Son irascibilité est celle des agonisants. Certes Josué a été institué comme son légitime successeur. Moïse lui a dévolu non pas une part mais deux  parts de l’Esprit qui l’invigorait depuis le Buisson ardent. Mais l’idée même de succession est ressentie comme un avant- goût de la mort. Comment se défaire d’une vie, si remplie, tellement que la Présence divine ne s’y est pas refusée? En poursuivant son enseignement. De ce moment  jusqu’à celui du grand départ, de la vie encore s’écoulera. De la vraie vie qu’il faut savoir féconder, jusqu’à l’instant ultime. Et sur quoi porteront son enseignement et la transmission infatigable de la Loi divine? Sur le respect des vœux que l’on a cru devoir prononcer.

La loi juive n’encourage pas ces serments qui lient  celui ou celle qui les prononce pour un avenir qui, de ce fait même, n’en est plus complètement un puisqu’il se trouve préempté par les obligations issues de pareils engagements. De même, elle encadre fortement les pratiques du « naziréat » qui tendent à s’imposer des restrictions supplémentaires, des interdits surnuméraires relativement à ceux  que la Loi a prévus. Le Deutéronome le précisera: cette Loi là, il ne faut rien y ajouter, et n’en retrancher rien. Interdits et permissions s’équilibrent par leur nombre et leur valence spécifiques, comparables en cela aux deux plateaux d’une balance. Cependant, dans le cas où l’on a cru bon de se lier pour l’avenir par un serment, à prononcer des vœux afin de s’obliger à accomplir une action en surnombre, à s’interdire ce qui ne se décompte pas dans les 365 prohibitions de la Thora, il faut respecter ce que l’on a proféré. Les mots qui sortent d’une bouche humaine ne sont pas assimilables aux sons qui sortent de la gueule d’une bête. Ils engagent celui qui les prononce. Aucun mot ne saurait être prononcé à la légère. On peut trouver cette prescription exagérée, et de nature à induire des comportement obsessionnels puisque selon le traité Nédarim du Talmud il n’est jusqu’aux onomatopées qui ne recèlent un sens et celui-ci engage bel et bien  la personne qui les expectore.

Cette prescription se comprendra mieux lorsque l’on aura rappelé que le peuple qui va franchir le Jourdain est constitué d’anciens esclaves. Durant un  temps innombrable de servitude il leur a été interdit de parler, de s’exprimer. L’accès à la parole enfin libre devait alors être régulé comme le serait l’absorption d’une boisson enivrante. Depuis l’histoire de Noé nul n’en ignore les suites.

L’usage de la parole ne saurait être pulsionnel, assimilable à un de ces «keri» qui suscite la pollution séminale, qui marque la prévalence du désir inconscient sur la faculté de jugement. La réflexion doit précéder l’usage de la parole non pour l’écrêter ou pour l’affadir mais affin qu’elle demeure  inter-humaine et par suite susceptible d’engager le dialogue avec le Créateur. L’usage de la parole reste ainsi assujetti à la conciliation de ces deux facultés constituantes et incessible de la conscience humaine: la liberté et la responsabilité, de sorte que la responsabilité soit assumée en pleine liberté et que, simultanément, la liberté vécue soit une liberté responsable.

Il importait de le souligner précisément à ce moment là: juste avant  de quitter le désert. N’est- ce pas par une parole satisfaisant à ces deux critères que la notion de Berith, d’Alliance trouve sa réelle signification? L’Alliance du Sinaï n’a t’elle pas déjà pris la forme, au sens juridique et indissociablement éthique, d’un serment, culminant dans le «Nous ferons et nous écouterons»? Au futur. L’Alliance paradigmatique passée au Sinaï avec le Créateur devient effective lors des engagements ordinaires de la vie quotidienne et qui en assurent la continuité. Sinon, elle resterait un schéma abstrait, ineffectif, le nichmâ sans le naâssé.

Dans ces conditions comment comprendre ce qui semble être une différence flagrante de traitement entre les voeux prononcés par les hommes et ceux prononcés par les jeunes filles, encore  dans le ressort paternel, ou par les femmes mariées: deux versets pour les premiers, pas moins de quinze pour les autres ? Serait ce une forme «légale» de discrimination? Il ne le semble pas. Le statut de la fille et de la femme durant cette période se justifie par la nécessité de leur sécurité. Il faut se souvenir du rapt de Saraï, de l’enlèvement de Rébecca, du viol de Dinah. Encore fallait-il en concilier les  exigences avec celles précitées de la liberté des femmes comme des hommes d’Israël. N’ont-ils pas accueilli ensemble la révélation du Décalogue?

L’hypothèse qui se forme pourrait se formuler ainsi: certes la fille comme la femme se trouvent engagées par les dits statuts. Cependant les clauses de ceux-ci ne sauraient les empêcher de former librement à leur tour des engagements licites et conformes à la dignité de l’Humain. Lorsqu’il s’avère que dans l’exercice de leur liberté  le serment formulé ou le vœu décidé n’y satisfait pas, il convient de les en délier de sorte, une fois de plus, à respecter ces deux «standards», comme dirait les juristes.

La signification d’une disposition juridique et la nature d’une institution ne sont pas complètement réductibles aux conditions matérielles d’une époque. Elles en rendent compte néanmoins. Et s’il faut juger les institutions d’Israël, en ce temps là, dans ces paysages physiques et mentaux, il faut le faire selon toutes les obligations que le peuple devait assumer. Et cela reste son indéfectible mérite de n’avoir pas sacrifié les unes au nom des autres. Qui peut  en dire autant?

Raphaël Draï zatzal