danieldrai

Archive for juillet 2014|Monthly archive page

LE SENS DES MITSVOT: DEVARIM

In RELIGION on juillet 31, 2014 at 2:12

attachment

« Je donnai alors à vos juges les instructions suivantes: « Ecoutez également tous vos frères et prononcez équitablement (tsedek) entre (bein) chacun et son frère, entre chacun et l’étranger. Ne faites point en justice acception de personne; donnez audience au petit comme au grand, ne craignez qui ce soit car la justice est à Dieu ! Que si une affaire est trop difficile pour vous (ykché mikem), déférez la à moi (takriboun) et j’en prendrai connaissance » Dt, 1, 16, 17.

Traduction du Rabbinat.

Ces prescriptions concernant l’exercice de la justice sont capitales. Elles font suite à l’observation de Moïse selon lequel le peuple libéré d’Egypte est devenu un peuple nombreux, vivace mais qui doit être intiment régulé. La justice devient la forme supérieure de cette régulation vitale.

Dans un peuple libre, et du fait même de cette liberté, il est impossible que des différents ne surgissent pas, que des conflits ne se fassent pas jour. Il ne faut surtout pas en réprimer les manifestations. Une fois celles-ci produites, il importe surtout de leur trouver une issue qui non seulement ménage le principe de fraternité inhérent à ce peuple mais qui le renforce. La mise en place d’institutions spécifiques est destinée à atteindre le mieux possible cet objectif. La description de l’organisation du peuple d’Israël n’a pas pour but d’en détailler la hiérarchie externe mais au contraire de souligner sa plus grande proximité quotidienne avec chaque Bnei Israël. Les différents et les conflits, pour ne pas parler d’affrontements, sont à la fois cause et effet d’un trouble de la parole lorsqu’elle excède ce que l’on ressent, qu’elle ne trouve plus les mots pour le dire. Colère et mutisme comprimés peuvent conduire aux pires extrémités.

C’est pourquoi s’agissant de la conception même de la justice, celle-ci est formulée prioritairement en termes d’écoute. Le juge n’est pas ce magistrat armé de la loi comme d’une trique. Il est d’abord et avant tout un reconstituant de la parole interhumaine. Dans un conflit, chacun n’entend plus que soi et s’avère incapable d’écouter autrui. Par sa fonction, le juge, à la fois dayan et chophet, doit rétablir une capacité d’écoute à nouveau réciproque et bilatérale. C’est pourquoi un mot apparemment anodin, le mot « entre » (bein) est décisif puisqu’il désigne, au lieu de la mêlée confuse du conflit, le rétablissement d’un espace-temps permettant à la parole de l’un et de l’autre de s’exprimer enfin, de sorte qu’elle fût entendue.

De ce point de vue, il y va du juge comme du médecin qui devant une hémorragie – en l’occurrence une hémorragie de colère – doit avant tout la faire cesser, placer s’il le faut un garrot, en attendant que la circulation du sang reprenne son cours normal. C’est pourquoi aussi le juge ne doit faire acception de personne, ni entre le citoyen et l’étranger, ni en fonction de critère sociaux car il est possible que ces différenciations elles mêmes aient été à l’origine d’un conflit désormais infecté.

En ce sens, la notion de tsédek devient bien plus large que celle d’équité. Pour le juge, juger consiste non pas à rétablir un statu quo ante mais littéralement à recréer une relation interhumaine. On comprend mieux alors pourquoi la notion de jugement est référée non à une instance sociale, serait-elle la plus éminente, mais directement à Dieu en tant que Créateur. Rendre la justice équivaut à poursuivre l’oeuvre de la Création proprement dite. Le cours de la Création est imprévisible et débordera toujours les cadres d’une pensée prédéterminée. D’où la mention de ces « cas difficiles » qui illustrent l’une des problématiques les plus stimulantes de la théorie contemporaine du droit.

Lorsqu’un cas judiciaire s’avère d’une complexité telle qu’il semble outre-passer les ressources juridictionnelles actuellement disponibles de la collectivité humaine formée par les « sortis d’Egypte », au lieu de refuser de juger le magistrat devra en donner connaissance à Moïse, littéralement « l’approcher de lui » comme s’il s’agissait de l’accomplissement d’un sacrifice, d’un KoRBaN, d’une liturgie de renouement. Dans ce cas il appartiendra à Moïse non pas exactement « d’en prendre connaissance « (le mot daât n’est pas employé) mais de l’écouter, de l’ausculter encore plus attentivement. Car ce qui fait la difficulté d’un tel cas, c’est probablement sa teneur en passion qui déborde ce qu’un juge du rang est en mesure à son niveau d’en écouter et d’en comprendre.

Toute la formation du juge consister à affiner sa capacité d’écoute conciliatrice. C’est en ce sens qu’il se rapproche du psychanalyste, lequel en effet est capable d’entendre ce qu’une oreille ordinaire ne saurait habituellement déceler pour in fine privilégier l’expression de la pulsion de vie.

                               R. D.

OBAMA ET KERRY: LA PAIX OU LA PLAIE?

In CHRONIQUES RADIO, SUJETS D'ACTUALITE on juillet 28, 2014 at 11:46

Alors que les observateurs de bonne foi et soucieux de l’avenir des démocraties découvrent ce qu’est devenu en réalité le territoire de Gaza sous l’emprise du Hamas, et alors que celui-ci préparait rien de moins qu’une invasion du sud d’Israël pour Roch Hachana, le président américain actuel vient, ce dimanche, sur un ton particulièrement comminatoire, d’enjoindre à Israël d’observer un cessez-le feu inconditionnel. Autant dire un cessez-le feu qui préserve l’existence du Hamas et qui lui permettra de préparer le round suivant. Une pareille attitude, vis à vis d’une démocrate et d’un allié, ne peut pas ne pas profondément choquer ceux et celles qui ne considèrent pas que ces deux termes soient vides de sens.

L’Etat d’Israël n’est pas la Tchécoslovaquie dont un quatuor composé pour la moitié de lâches et l’autre de forbans décidaient de son avenir en septembre 1938. Selon les plus récents sondages, et pour la première fois sans doute depuis la première guerre du Liban, pas moins de 85% de sa population qui sait son existence même menacée voudrait que le régime de terreur et de piraterie en place depuis au moins 2007 à Gaza fût mis définitivement hors d’état de nuire. Qu’à cela ne tienne: pour des raisons dont certaines sont idéologiques et d’autres plus ambiguës, Barack Obama a décidé de sauver le Hamas en donnant le sentiment qu’Israël n’a pas réussi en 20 jours à en venir à bout. Ce qui conduit à reconsidérer toute la politique de l’actuel président des Etats Unis depuis 6 années à présent dans cette région du monde.

De l’Egypte à l’Irak en passant par l’Iran, la Syrie et à présent par Gaza, Barack Obama mène la plus grande puissance du monde d’erreurs en échecs. Déjà avec Hillary Clinton comme Secrétaire d’Etat il a cru devoir favoriser l’illusoire «printemps arabe». On sait désormais que cette expression désigne le plus court chemin pour passer du général Moubarak au Général El Sissi en transitant par les Frères musulmans. Depuis le début de l’été, l’installation sur le territoire de l’Irak d’un Etat Islamique qui fait paraître le Moyen Âge comme une source de lumière le laisse inerte. Sous la présidence d’Obama, la Libye de Khadafi est devenu en outre une réplique du chaos. Une fois Hillary Clinton remplacée par John Kerry, celui-ci s’est acharné à vouloir imposer sa vision des choses dans le conflit israélo-palestinien. Il s’y est embourbé comme personne avant lui, ce qui à présent le rend irascible et vindicatif vis à vis du gouvernement Netanyahou et l’incite à la politique du pire en compagnie du turc Erdogan et de l’émir du Qatar. Quel enseignement en retirer?

D’abord et avant tout ne pas se laisser impressionner. Lorsqu’il y va de l’existence, les pressions d’où qu’elles viennent appellent les contre-pressions et les justifient. Dans deux années, s’il tient jusque là, car l’Ukraine à son tour est entrée selon le CICR en guerre civile, Obama sera retourné à ses études et plus personne n’aura plus à subir son pacifisme inconséquent. D’ici là, il appartient au peuple d’Israël uni comme jamais de définir lui même les conditions de son existence politique et historique. En 1948 c’est contre la Grande Bretagne, puissance mandataire, que ses responsables l’avaient décidé. En 2014, ce sera contre un président des Etats Unis pacifiste en paroles mais qui ne tolère pas qu’on le contrarie. En 1948, le peuple d’Israël a combattu comme il le fallait un ennemi. Aujourd’hui, il doit savoir avec détermination s’opposer à un faux-ami.

RD

BLOC-NOTES: Semaine du 21 juillet 2014

In BLOC NOTES, SUJETS D'ACTUALITE on juillet 25, 2014 at 12:59

23 juillet.

manifestant_4976765

Ce n’est pas sans réelle appréhension que les pouvoirs publics ont finalement autorisé la manifestation pro-palestinienne et surtout anti-israélienne qui devait battre le pavé de Paris ce mercredi. Les mots d’ordre avaient été passés au crible, les services d’ordre, notamment celui de la CGT, validés. On peut d’ailleurs s’étonner que cette centrale syndicale ait été de la partie, ce qui démontre son osmose avec le PCF dont on ne répètera jamais assez qu’il ne représente plus rien ou presque, électoralement parlant, dans le pays. Quant à sa vocation syndicale, la CGT est incapable de créer un seul emploi en France ou d’empêcher la fermeture de n’importe quelle usine. Pour faire corps avec les dirigeants du Hamas, elle se retrouve en première ligne. S’assemblent ceux qui se ressemblent. Partout dans le monde, les islamistes qui y prennent le pouvoir agissent de même. Ils ne savent ni ne veulent rien construire. Ils sont spécialisés dans la destruction sans appel. Il n’est que de constater le sort réservé aux chrétiens de Mossoul sous le pouvoir sauvage d’El Baghdadi. Est-ce cela qui attend la France? Les pouvoirs publics en sont conscients même si certains démagogues renâclent et voudraient transformer la place de la Concorde en place Tah’rir avant de faire défiler les unités de Boko Haram sur les Champs Elysées. Pourtant des failles apparaissent dans ce « front » anti-israélien, lequel trouve ses avant – postes au quai d’Orsay, dans la pure tradition gaulliste et mitterrandienne. Laurent Fabius en est le porte-parole obligé, quoi qu’il en pense, in petto. Il n’est que de comparer ses déclarations officielles à celles moins sinueuses de ses collègues britanniques et allemands. Quant aux « Verts », les états d’âme y deviennent loquaces. Il n’est pas sûr que Emmanuelle Cosse et que François de Rugy soient sur la même ligne. Pour ce dernier l’antisionisme n’est que le faux-nez d’un antisémitisme indécent qui n’a pas le courage de s’avouer à la première personne. A EELV, qui compte autant d’adhérents qu’un club bouliste de moyenne importance, la mouvance verdâtre est activée notamment par une nommée Esther Benbassa, faufilée au Sénat, qui ne sait se prévaloir de son judaïsme natif et de sa nationalité israélienne que pour prendre le contre-pied systématique de la grande majorité des Juifs de France et dénoncer à la télé ceux dont la tête ne lui revient pas, lesquels le lui rendent par un mépris d’une rare compacité. Au bout du compte et au regard de l’affluence attendue, la manifestation de ce mercredi sur laquelle l’on percevait tout même quelques effluves de honte reste bien un semi-échec pour ses organisateurs. Un cortège comptant entre 15 000 et 20000 manifestants n’est pas un exploit. Reste l’accumulation des rancoeurs, des haines, des ressentiments et des menaces de représailles électorales contre François Hollande et Manuel Valls qui se sont néanmoins comportés en hommes d’Etat pendant que pas un mot n’émanait en ces heures tendues de Nicolas Sarkozy en vacances au Cap Nègre. Quant à Marine le Pen, elle devait se trouver en stage de spéléologie, au plus profond des entrailles de la terre, sans portable et sans tablette numérique …

24 juillet.

images-1

Deux avions de chasse ukrainiens abattus probablement par des missiles de séparatistes pro-russes. Pendant que John Kerry a été littéralement assigné à résidence par Obama au Moyen Orient, le reste du monde entre en éruption dans cette région où Mackinder, le père de la géopolitique, localisait le cœur battant de la planète. John Kerry voudrait bien jeter l’éponge mais il a oublié d’en emporter une dans sa mallette diplomatique. Le président égyptien El Sisi lui voue une si grande considération qu’il n’a pas hésité à le faire passer avant audience sous le portail de sécurité, comme n’importe quel livreur du Palais présidentiel. Les Etats-Unis sont entrés en campagne électorale et les Républicains sont décidés à faire avaler ce qui lui reste de chapeau à leur président actuel, lequel au bout de six années de pouvoir restera comme l’un des plus calamiteux de l’Histoire des Etats Unis, puissance présumée planétaire dont l’influence diplomatique recule et dont l’économie souffre d’un fort coup de froid. Si le Conseil de sécurité et si le Conseil onusien des droits de l’Homme sont toujours disponibles pour une bastonnade collective contre Israël, pas un mot n’y est prononcé pour la sauvegarde des chrétiens d’Irak, rançonnés, pillés, sommés de se convertir sur le champs ou de faire ce qu’il leur reste de bagages sous peine d’égorgement en famille. En leur direction Mgr Barbarin a lancé un appel de détresse qui pour l’instant semble tomber dans le silence comme la pierre au fond de l’eau. D’où cette question: pourquoi les centaines de milliers de manifestants qui ont protestés contre le mariage pour tous s’avèrent incapables de se retrouver pour cette cause? La peur? La résignation? Ou la fascination morbide du martyre? Et cet avion d’Air Algérie qui s’est écrasé au dessus du Mali où la France opère militairement. Plus de cinquante victimes françaises parmi les passagers …

25 juillet.

290px-Maison_natale_Victor_Hugo_042.JPG

Après avoir vu le film – opéra de Tom Hooper tiré des « Misérables », replongé dans ce livre-fleuve, dans ce roman-monde de Victor Hugo, admiratif comme jamais devant ses dimensions, sa densité et surtout son architecture interne, sans parler de ses personnages qui sont devenus de véritables personnes vivantes. Dans « Les Misérables », au travers des péripéties du récit, l’on voit se dessiner le paradigme: Infini (Dieu), justice, loi, droit, règle, avec son envers: le démoniaque, l’arbitraire, le déni de justice, l’anarchie destructrice, jusqu’au moment de la réduction des antinomies: la conversion de Javert, la rédemption de Jean Valjean, le mariage « inter-classes » de Marius et de Cosette. Et puis, pas une phrase qui ne soit une formule. Je retiens celle ci, valable comme jamais pour les temps actuels: « Ce n’est pas une raison de se taire parce que qu’on n’est pas écouté ». L’éthique hébraïque le formule autrement: quelle est la différence entre le « dire » et la simple parole? La parole n’a pas besoin que l’on élève la voix pour se faire entendre. Ce qui présuppose à tout le moins que votre interlocuteur ne s’avère pas dur d’oreilles ou qu’il ne pratique pas la surdité sélective.

 

RD

 

 

 

LE SENS DES MITSVOT PARACHA MASSEÎ

In RELIGION on juillet 24, 2014 at 1:15

42 Mass'é14

 

« L’Eternel parla à Moïse en ces termes: « Parle aux Enfants d’Israël et dis leur: « Comme vous allez passer le Jourdain pour gagner le pays de Canaan, vous choisirez des villes propres à vous servir de cités d’asile (âréi miklat): là se réfugiera le meurtrier homicide (rotséah’) par imprudence (bicheghagha). Ces villes servirent chez vous d’asile contre le vengeur du sang (goël) afin que le meurtrier ne meurt pas avant d’avoir comparu devant l’assemblée pour être jugé (lamichpat) »  (Nb, 35, 9 à 12).

Bible du Rabbinat.

 

Une fois libérée de l’esclavage, de l’oppression des corps et de la servitude des âmes, une collectivité humaine-pleinement humaine, ne change pas de nature magiquement. Ce changement exige un long, un continuel travail. Elle reste à la merci d’incidents et d’accidents. Lorsque ceux-ci surviennent, l’important est de les réparer afin que ce travail non seulement ne s’interrompt guère mais que le peuple concerné en retire profit sous forme d’un enseignement transmissible de génération en génération. Car un peuple c’est exclusivement dans la longue durée qu’il se forme et se transforme. Tel est l’objet des prescriptions précitées.

Dans la vie d’un peuple libre, il est donc inévitable que des incidents surviennent et que des accidents se produisent. Il faut alors distinguer entre ceux qui sont véritablement indépendants de la volonté de leurs auteurs matériels et ceux qui résulteraient d’une mal-intention délibérée, d’une préméditation. L’institution des villes dites de refuge, des ârei miklat, est destinée aux meurtriers de la première catégorie, si l’on pouvait ainsi parler ; ceux qui ont causé une mort mais sans intention de la donner. Pour éviter que le meurtrier par inadvertance ne soit lui-même exposé à l’impulsion vengeresse, impulsive, du « rédempteur » (goël) de ce sang versé-et afin d’éviter que celui-ci à son tour ne s’expose à la vengeance du goël de sa propre victime, en un cycle de représailles infinies-il lui faut avant tout pouvoir se mettre à l’abri de ces poursuites physiques. D’où, comme on vient de le voir, l’institution de ce réseau de villes, situées les unes par rapport aux autres à des distances qui permettent de les atteindre sans encombre, de sorte à échapper avant tout au premier mouvement vengeur du proche de la victime.

On soulignera le sens des réalités qui sous-tend cette prescription: ce premier mouvement n’est pas dénié, comme si les êtres humains étaient déjà arrivés à un degré qualitatif si élevé qu’ils seraient déjà de purs esprits. Les humains en général, et ceux qui ont connu l’esclavage en particulier; ceux qui ont accumulé brimades, bastonnades, injures, mépris, ont accumulé tant de ressentiment, tant de rancune mutique, que l’explosion en est possible à propos de n’importe quel aléa de la vie. Cette réalité est prise tellement à bras le corps, si l’on pouvait encore s’exprimer de cette manière imagée, que le Principe des Principes énoncé dans le Lévitique n’enjoint pas d’emblée, nous le savons: « Et tu aimeras ton prochain comme toi-même » mais: « Tu ne te vengeras pas et tu ne garderas pas rancune, et tu aimeras ton prochain comme toi même: Je suis l’Eternel (Lev 19, 18) ». Lorsque s’est produit un accident par inadvertance, la perte pour le proche de la victime risque de s’avérer tellement cruelle et insupportable que, dans son esprit, le sens et l’énoncé de ce verset pourraient d’un coup s’effacer. C’est pourquoi il importe tout autant que l’auteur du meurtre involontaire puisse se mettre à l’abri de l’impulsion vengeresse – encore que la notion même de « rédempteur du sang », de goël hadam, ne se réduise pas à l’idée de vengeance au sens commun.

Cependant, la possibilité de se réfugier dans une ville de cette sorte ne signifie aucunement que le meurtrier s’y mette à l’abri pour jouir là d’une impunité complète, le temps que la colère du goël s’apaise, et qu’il en ressorte pour reprendre la vie comme avant, au risque de récidiver. Sa présence dans la ville de refuge doit s’accomplir à de toutes autres fins et dans un autre état d’esprit. En présence des lévites de la ville il doit d’abord s’adonner à l’étude de la Loi. Car la notion d’inadvertance n’exclut pas celle de responsabilité. Il lui faudra comprendre également comment l’incident ou l’accident est survenu matériellement et en quoi il en va de sa responsabilité personnelle (défaut d’attention, vérifications insuffisantes, entretien négligé).

C’est l’un des principes essentiels du droit sinaïtique de délimiter strictement le domaine du droit civil et celui du droit pénal. Les dispositions juridiques inhérentes aux villes de refuge maintiennent sans doute le meurtrier sur le versant du droit civil. Il n’empêche que jugement doit être fait. Se mettre à l’abri de l’impulsion vengeresse ne veut pas dire déni de justice. Au contraire. Le meurtrier par inadvertance devra en fin de compte passer devant un tribunal de sorte qu’il s’interroge sur son implication personnelle dans l’occurrence du dommage fatal et surtout qu’il en répare les suites, pour autant qu’elles puissent faire l’objet d’une réparation.

Thérapeutique du temps par le temps.

 RD

AU BOUT DES TUNNELS, L’HISTOIRE

In CHRONIQUES RADIO, SUJETS D'ACTUALITE on juillet 21, 2014 at 7:28

Pour ceux qui pouvaient encore entretenir la moindre illusion sur la nature du Hamas et sur ses véritables buts, et à l’intention de ceux qui s’interrogeaient sur ce qu’est le Djihad, la guerre de Gaza vient de l’attester. Il ne s’agit ni d’un western ni d’une guerre virtuelle. Le Hamas cherche obsessionnellement la destruction de l’Etat d’Israël dans sa toute réalité, et en premier lieu en s’attaquant à sa population civile par des moyens qui dépassent l’entendement ordinaire, sans parler du droit international.

Car les fameux tunnels que l’armée d’Israël détruit à présent sur place et systématiquement ne partaient pas seulement de l’Egypte pour arriver à Gaza. Ils partaient de Gaza pour déboucher en territoire israélien afin d’y pratiquer des enlèvements, des égorgements, afin de terroriser une population laquelle, ne pratiquant pas cette sorte de guerre innommable, n’aurait plus eu d’autre choix que de capituler, le territoire d’Israël étant ensuite annexé non pas même à l’Etat de Palestine, à l’Etat-OLP, mais à l’Etat islamique qui s’est sauvagement constitué sur des lambeaux de la Syrie et de l’Irak.

Il faut imaginer, et désormais on le fera sans nulle difficulté, des tunnels analogues à ceux qui ont perfusé de mort le territoire de Gaza durant plus de deux années, partant cette fois d’habitations civiles sises à Hébron ou Bethléem et débouchant à Guilo, à Baka, à Mamilla, pour nous limiter à ce seul point cardinal, avec le Kotel pour objectif. En prendre conscience a quelque chose d’horrifique. Tel était le plan que l’assassinat commis à Hébron a mis au jour et a permis in extremis, et non sans interrogations, de déjouer. Il est vrai que dans cette sorte de guerre exterminatrice, le Hamas comptait exploiter les clivages idéologiques de la société israélienne, sur son goût de la vie, peut être sur les habitudes liées à son occidentalisation économique.

A présent, et à fronts renversés, il réalise qu’il a réussi à mobiliser un peuple entier, toutes générations confondues, un peuple qui refuse d’être plus longtemps la dupe de la fausse morale, de la morale à sens unique, et des droits de l’homme invoqués cyniquement, sans aucune obligation de réciprocité. Appelés à la grève générale ceux des Arabes d’Israël qui crachent sur leur nationalité et entendent disloquer cet Etat de l’intérieur doivent également le comprendre sans équivoque. Tocqueville, cité par Raymond Aron avait raison: les démocraties, lorsqu’elles sentent leur existence en cause, sont longues à se mettre en mouvement mais lorsqu’elles l’ont décidé elles ne s’arrêtent plus. Revenir à la situation de 2012 serait démentiel.

Je suis de ceux à qui le vocabulaire guerrier inspire une sainte horreur. J’éviterais donc d’user du mot «victoire», sauf lorsqu’il demeure associé au choix de la vie. Car c’est à présent sa vie que l’Etat d’Israël doit défendre contre une engeance à la fois mortifère et planétaire qui s’exprime aussi bien à Gaza, qu’à Londres, à Paris ou Sarcelles et à laquelle l’Egypte elle même a décidé de se confronter. Pour le peuple juif en général et pour les citoyens juifs de France en particulier ces jours sont historiques puisqu’il y va de l’avenir.

Puisse la République française, menacée à son tour dans ses fondements et sapée dans ses principes vitaux, le comprendre et, en fait d’avenir, discerner dans quelle direction s’inscrira ou s’effacera inéluctablementle sien.

Raphaël Draï – Radio J – 21 Juillet 2014

Bloc-Notes: Semaine du 14 Juillet 14

In BLOC NOTES, SUJETS D'ACTUALITE on juillet 20, 2014 at 6:28

14 juillet.

54630501882776490490no

Hier, dimanche, une bande d’énergumènes, manifestant pour la cause palestinienne et en faveur du Hamas – comme si les deux allaient de soi et surtout comme si les deux étaient automatiquement liés – s’en sont pris à la vénérable synagogue de rite judéo-portugais de la rue de la Roquette. On se demande quel eût été le sort des fidèles qui se trouvaient là s’ils avaient pu y pénétrer! Que des militants islamistes donnent cours à leur haine et à leur ressentiment est une chose. Que leur manifestation ait été soutenue par des formations politiques comme le PCF ou le NPA autre chose. Le Parti Communiste Français joue un rôle délétère dans la propagation de l’antisionisme en France. Passe encore si cette position correspondait à une conviction véritable. En réalité, pour ce parti devenu fantomatique, si l’on songe à ce qu’il était du temps de Thorez et même de Marchais, l’antisionisme est une « cause » qui lui donne l’occasion d’exister et qui finit par l’en convaincre. Il ressemble de plus en plus à ces morts des champs de bataille dont on a bourré les cadavres d’explosifs. Quant au NPA de Besancenot qu’en dire qui reste charitable? Le Nouveau Parti Anticapitaliste est mené ou inspiré par ce postier d’opérette qui joue dans son registre dérisoire les prêtres-ouvriers des années d’après-guerre. Son «service» à La Poste, aménagé en fonction de ses « responsabilités » syndicales et politiciennes, lui laisse suffisamment de temps pour engranger des points de retraite et faire l’important sur les plateaux de télé qui veulent encore filmer ce poulbot quadragénaire. Car Olivier Besancenot est tout sauf un intermittent du spectacle. Comme il est contesté à l’intérieur même de son groupuscule, et comme celui-ci n’a aucune légitimité démocratique – il faut réaliser que le score du NPA aux dernière élections européenne a été de 0,30% des suffrages exprimés, autant dire nul – il récusera le principe même de la démocratie et cherchera aveuglément des alliances amphétaminiques. D’où sa collusion avec les islamistes dont la préférence pour le vert n’est celle du vert écologiste – à quelques exceptions prés. Les salafistes-djihadistes de France doivent en faire intérieurement des gorges chaudes. Ils savent bien s’ils prenaient le Pouvoir quel sort serait réservé à des benêts de cet acabit qui prétendent parler au nom de l’avenir mais qui ne font que ressasser des idées déjà sénescentes en 1968. La haine ne va pas sans simplisme intellectuel, si ces deux mots pouvaient être accolés. Plus que jamais la pensée doit retrouver en France ses droits et ses exigences. Ce qui nous reconduit au système de la Vème République dans son délabrement présent. II faut espérer qu’entre-temps les Pouvoirs publics ne perdront pas de vue leur devoir.

 

16 juillet.

220px-Imperial_Crown_of_Austria_Globus_cruciger_Sceptre

Un avion de ligne malaisien abattu par un missile ukrainien. Prés de 300 morts. A quoi s’ajoutent pour cette seule journée les 200 morts, égorgés ou abattus d’une balle dans la nuque, en Syrie, plus les 14 militaires tunisiens et les 2 militaires algériens tués dans des coups de main djihadites. Sans compter les nouvelles victimes de Boko Haram et la menue monnaie des morts qu’on ne dénombre plus en Irak où « l’Etat Islamiste » auto-proclamé vient de rétablir le Caliphat. Les Etats-Unis soupçonnent les indépendantistes ukrainiens pro-russes d’avoir déclanché le tir et provoqué ce massacre caractérisé. Pourtant le Conseil de Sécurité ne se réunira pas pour ces broutilles tant qu’il aura Israël à se mettre sous la dent. Le conflit israélo- palestinien fait désormais l’objet d’une véritable polarisation diplomatique, pour ne pas dire d’une inquiétante fixation psychique. Quoi qu’il se passe dans le monde, tout y conduit, ou tout y ramène. Pendant ce temps, les conflits prolifèrent et la carte du monde change. La relecture du livre de Raymond Aron « Dimensions de la conscience historique » en fait justement prendre conscience. Après la chute du mur de Berlin et la liquéfaction de l’URSS, l’on pensait que la structure des relations internationales allait se modifier sensiblement; que le temps de la paix allait advenir; que celui des nationalismes impériaux ou des Empire nationalistes était révolu; que le règne modeste de l’éthique était fort proche. Raymond Aron a écrit un autre livre aussi: « Les désillusions du progrès ». Il en va du progrès économique comme du progrès en diplomatie. Sous nos yeux se constituent ou se reconstituent deux formes d’impérialismes dont la nature attend d’être plus précisément étudiée: l’impérialisme russe, à la Poutine, et l’impérialisme djihadiste. Le premier ne tient aucun compte des «équilibres» et concessions consenties après la chute de l’URSS. La captation de la Crimée en représailles contre la tentative de « sécession » ukrainienne l’atteste. Et ce n’est sans doute pas fini pour cette région du monde. Quant à l’impérialisme djihadiste, il ne se limite plus au territoire capté par l’ex-«Etat Islamique en Syrie et au Liban» devenu «Etat Islamique» tout court. Il se configure partout où cette forme d’islam peut s’exprimer, militairement ou par manifestations de masse, en Europe notamment; partout où les populations de référence islamique en forment le substrat matériel et le potentiel mobilisable. Les démocraties sauront- elles y réagir? Désillusions du progrès, progrès de la désillusion. L’anarchie augmente un peu partout. En Turquie mentalement islamisée, Erdogan ne cesse d’éructer sa haine contre Israël et l’Egypte. Il n’a plus qu’Hitler à la bouche. On imagine cette Turquie là, toujours membre de l’OTAN, à l’intérieur de l’Europe…

17 juillet.

images-4

Le livre que j’ai ouvert, en même temps que ma fenêtre: la biographie d’Anaïs Nin par Deidre Bair, en est à la même page. Par quoi en avoir été distrait? Partiellement par son objet même. Sans doute les Journaux de Nin sont-ils d’un grand intérêt pour les admirateurs de cette sorte de littérature que l’on pourrait qualifier, sans chercher à être désobligeants, d’«orificielle» tant les orifices corporels y jouent un rôle déterminant. Quant à son comparse, Henry Miller, je doute qu’il soit le grand écrivain que l’on prétend. J’ai lu Sexus il y a quelque trente ans et ai perçu la différence avec Sade, et même avec Bataille ou Guyotat. Mais c’était le temps du reflux irrépressible des corps viscéraux, jusque là ignorés ou sublimés, dans le corps même des livres imprimés. Une phase inévitable, comme celle du cinéma pornographique des années 70. Pourtant cette cause- là ne jouait pas seule. Ce jour de plein juillet me trouvait attentif à la chute des feuilles, aux platanes géants déjà roussis, aux pans du mur de l’immeuble d’en face, que l’on ne voit pas durant le printemps, qui redevenaient visibles, avec dans l’épaisseur même des feuillages d’où l’on sent que la sève se retire des trouées de ciel bleu, d’un bleu insensiblement atténué. L’automne pressé d’arriver dans les pas de l’été pressé de s’en aller? Du Vivaldi silencieux.

RD

Bloc-Notes: Semaine du 7 juillet 14

In BLOC NOTES, SUJETS D'ACTUALITE on juillet 20, 2014 at 6:07

9 juillet.

images

Dans l’effondrement au moins moral du système politique français, frappent les homologies entre UMP et PS. D’un côté, des « vieux de la vieille », politiquement parlant, comme Alain Juppé ou Jean-Pierre Raffarin, affirment qu’ils n’ont jamais été témoins d’autant de manifestations haineuses des uns contre les autres au sein de leur propre famille; de l’autre Jean-Christophe Cambadélis, « patron » du PS, et qui n’est pas tombé non plus de la dernière pluie, affirme qu’il faudra au moins un an, et à condition de commencer sans tarder, pour que le PS se relève de ses ruines. On aura assisté ainsi à la capitulation finale des députés PS qualifiés de « frondeurs » pour le vote du budget de la Sécu. Frondeurs, certes mais pas téméraires. Pour sa part, Jean-Luc Mélenchon broie du noir. On espère pour lui qu’il ne se mettra pas aux boissons fortes. Tel est le tableau, avec un Président qui a changé de lunettes mais non sa façon de voir, qui se trouve de plus en plus seul à l’Elysée mais qui laisse dire qu’il sera présent en 2017, ce qui, au regard de l’état actuel de la France, transforme ses fameuses lunettes carrées en télescope tourné vers la comète. Pour Alain Juppé le diagnostic est clair et il l’affiche: à droite et à gauche sévit le « chacun pour soi ». L’idée de « service », au sens du bien commun, disparaît des champs mentaux et quiconque représente une menace pour un intérêt personnel est déclaré ennemi public. Aucune arme ne semble trop assassine ni polluante: mise en cause de la vie privée, déballage des comptabilités, épluchages des fiches de paye et des notes de pressing. Le pire, c’est que depuis quelques décennies, en même temps que cette boulimie de pouvoir, s’est confirmé le déclin de la morale, même si le « tout-éthique » s’est répandu comme une nappe de pétrole après le naufrage du tanker. Heureusement, la coupe du Monde de foot ouvre des dérivatifs hebdomadaires et permet de recoller aux tragédies antiques. Le naufrage du Brésil face à l’Allemagne – qui avait déjà éjecté la France – a dépassé ce que les pronostiqueurs et tireuses de cartes avaient cru pouvoir en pronostiquer. Et il reste le tour de France cycliste avec ses petits drames et ses grandes tragédies transférentielles. Car il faut rester capables de rêver comme des enfants épris d’héroïsme, à condition de ne jamais perdre de vue qu’il faudra aussi se réveiller dans cinq ou six semaines. D’ici là rien n’interdit d’emporter dans ses bagages L’Ethique de Spinoza ou L’esprit des Lois de Montesquieu. A l’évidence, la lecture en sera moins haletante que le match Brésil–Allemagne mais au moins on se sera remis, comme dit l’expression populaire, les yeux en face des trous. Que chacun et chacune se pose ensuite ces deux questions cruciales, développées en ces ouvrages austères: « Où en suis je vis à vis du Principe des principes: « Tu aimeras ton prochain comme toi même », et « Quel est mon taux de vertu personnelle compatible avec la préservation d’un régime réellement républicain »?

10 juillet.

images-1

Poursuite des prétendues négociations sur le nucléaire iranien. Depuis bientôt six mois, le régime de Téhéran mène ses interlocuteurs en bateau à croire qu’ils sont tous adeptes des sports de voile. Le principal meneur de jeu: John Kerry, placé à son poste par un président des Etats-Unis qui ne comprend rien à la politique étrangère, la comprend encore moins bien que lui. Pour reprendre une image à la fois d’actualité et un peu datée, une image du temps de Chirac, Kerry ne cesse de courir d’un bout à l’autre du terrain sans se rendre compte qu’il n’a pas de balle au pied. L’Iran veut « la » bombe, « sa » bombe. Tel est l’axiome de départ car l’Iran entend demeurer à tout le moins une puissance régionale. Lorsque le Shah régnait, après le premier choc pétrolier et les milliards de dollars qu’il avait engrangé à l’occasion, celui-ci déjà voulait faire de l’Iran une puissance mondiale. On sait ce qu’il en est advenu. L’Iran prend désormais son temps – qui est le nôtre. Pendant que les démocraties palabrent, ses chefs et autres guides suprêmes renforcent leur dispositif et peu à peu le rendent inexpugnable. Lorsque l’on constate ce que le Hamas a pu faire de Gaza depuis le «cessez-le feu» de 2012, on mesure ce que coûterait une véritable intervention militaire contre la République islamique. Pourtant, il ne faut pas désespérer de nos diplomates et toujours tenir au principe de Tocqueville repris par Raymond Aron: les démocraties sont lentes à se mettre en marche mais lorsqu’elles ont pris le départ plus rien ne les arrête. Ce départ le prendront-elles un jour avec l’Iran atomique?

11 juillet

images-3

« L’attente des femmes » de Bergman. Ingmar Bergman bénéficie selon les uns, pâtit selon les autres, d’une réputation de cinéaste intellectuel, pour semi-snobs ou insomniaques déclarés. Dommage. Le film date des années 50 mais, là encore, les images en noir en blanc, images de lacs, de forêts, de visages en pleurs, d’arbres en fleurs, sont admirables. Avons- nous encore le temps et le goût de nous intéresser à ces mouvements des cœurs, à ces pulsions des corps, à ces ressacs des regards qui attestent que nous sommes bien doués d’une âme? Nous vivons de plus en plus en temps réel. Le cinéma que nous regardons est le plus souvent un dérivé de l’informatique, avec des décors tellement insubtantiels qu’ils finissent par faire plus carton-pâte que le carton pâte. Un film comme « L’attente des femmes » ou « Le Visage » nous rend de nouveau attentifs à ce que les obnubilations des effets spéciaux rendent de moins en moins perceptible: la durée intime des amours fidèles, l’érosion lente des amours imprévoyants, l’incroyable immaturité du phénomène humain mais sa non moins incroyable capacité de dépassement. Il en va du cinéma comme du piano: il ne faut pas confondre ceux qui en jouent réellement avec ceux qui savent juste pianoter. Regarder le cinéma de Bergman c’est découvrir le clavier d’un piano de concert, avec ses deux rangées de touches-images, les blanches et les noires, pour le moment rangées en parallèle mais qui ne tarderont pas à se combiner de telle manière que de nouveaux univers se créent. Car la Création est tout sauf achevée..

LE SENS DES MITSVOT: PARACHA MATTOT

In RELIGION on juillet 17, 2014 at 9:47


41 Mattot14

« Moïse parla (vaydabber) aux chefs des tribus des enfants d’Israël, en ces termes: «Voici (zé hadabar) ce qu’a ordonné (acher tsiva) l’Eternel: « Si un homme fait un vœu (néder) au Seigneur, ou s’impose par un serment (chevouâ), quelques interdiction (issar) à lui même, il ne peut violer (yah’el) sa parole: tout ce qu’a proféré (hayotsé) sa bouche il doit l’accomplir »  (Nb, 30, 2, 3). Bible du Rabbinat.

Cette paracha est l’avant-dernière du livre des Nombres et l’on peut s’étonner qu’elle commence par cette prescription. Un être qui s’engage vis à vis de lui même a t-il besoin qu’on le rappelle au sens de ses engagements? Deux termes sont ici à prendre en considération: neder, que l’on traduit par vœu, et issar ou issour que l’on traduit par interdit. Pourquoi font-il électivement l’objet de ce rappel? Nous nous trouvons là dans un cas bien particulier d’auto-législation.

En principe aussi bien ce qui est permis que ce qui est interdit d’accomplir se trouve objectivement énoncé par une Loi qui vaut pour tous, qui bien sûr prend en compte les personnes mais qui ne les considère pas le cas échéant comme des exceptions contradictoires à la règle commune. L’étude des 613 mitsvot permet à chacun de savoir à quoi s’en tenir, sans en rien retrancher et sans y rien ajouter non plus. La situation envisagée dès le début de la paracha est quelque peu différente. Sans se placer bien sûr en dehors de Loi, un individu croit devoir l’adapter à ses propres dispositions d’esprit et s’engager à faire plus que ce qu’elle prescrit.

En ce sens le mot « vœu » ne rend qu’imparfaitement compte de son homologue hébraïque: NeDeR qui se rapporte à la racine DR que l’on retrouve dans des vocables aussi chargés de significations que DiRa, la maison d’habitation, DRoR, la liberté, notamment celle qui est proclamée lors de l’année jubilaire, du Yovel ; et bien sûr DoR qui désigne la relation entre générations. Quiconque s’engage par un NeDer de cette sorte engage plus que soi même, à la fois dans l’espace et dans le temps. Et sur ce dernier plan tous les serments ou jurements ne valent en effet que pour l’avenir.

L’auteur du NeDeR donc scrupuleusement veiller et avant même que de le formuler à ajuster ce NeDer à ses facultés réelles de réalisation. Autrement il aura engagé l’avenir sur une voie fallacieuse et devra en répondre. Il n’en va as autrement pour l’interdit qui cette fois et sous cette forme ne saurait s’imposer à autrui, qui ne vaut que vis à vis de soi. Il faut également, avant que de le formuler, s’assurer que l’on est bien en mesure de l’observer. Autrement on n’aura joué que les surenchérisseurs sans pouvoir assumer l’enchère elle même le moment venu.

Une autre question se pose cependant: pourquoi ces règles sont-elles rappelées ce moment précis, alors que les enfants d’Israël s’approchent du Jourdain et de le terre de Canaan? Afin de souligner l’importance décisive de la parole pour un peuple qui a fait de la liberté l’un des deux principes génériques de son existence, avec celui de responsabilité. La liberté s’exprime et se prouve par l’échange de paroles significatives entre interlocuteurs dont aucun ne veut imposer sa volonté à l’autre. Si une collectivité d’esclaves est régie par la peur du bâton, et si l’on n’y est autorisée à porter le regard sur autrui que de bas en haut, dans un peuple libéré de cet esclavage la relation ordinaire est le face à face, et le dialogue la façon courante de s’adresser à autrui.

On aura remarqué d’ailleurs que c’est ainsi que s’exprime le début du verset précité à propos de Moïse: «Moïse parla (vaydabber) aux chefs des tribus des enfants d’Israël pour dire (lemor) ». Seul le Créateur enjoint, prescrit, légifère. Moïse se contente de transmettre prophétiquement ses prescriptions, c’est à dire en termes audibles et intelligibles.

Un verbe particulier permet de comprendre l’importance de la parole libre. Celle-ci ne peut consister dans un flux immaîtrisé de propos sans suites. La parole d’un être libre doit être avant tout régulée par lui même. C’est pourquoi le verset biblique, dans l’hypothèse contraire, emploie le verbe: YaH’eL qui signifie profaner, exclure du champs de la sainteté. C’est parce qu’elle est libre que la parole interhumaine est sainte mais réciproquement c’est parce qu’elle est sainte qu’elle reste libre. Parler pour ne rien dire, ou sans tenir les engagements auxquels on a de soi même souscrit, sans y être obligé, est comme souiller une source d’eaux vives et dissuader qu’on vienne y boire.

                                             R. D.

QUESTIONS DE MORALE (Actu J – 16 juillet 14)

In ActuJ, SUJETS D'ACTUALITE on juillet 16, 2014 at 2:05

Au moment où ces lignes sont écrites, quelques jours avant la parution d’Actu J, nul ne peut prédire les événements qui se produiront dans la confrontation mortelle entre le Hamas et l’Etat d’Israël. Pourtant des questions de fond apparaissent, liées aux « massacres » prétendument commis par l’armée israélienne, présentée néanmoins comme « l’une des plus morales du monde » et dont aucun coup de feu ne part sans l’avis préalable d’un juriste spécialiste de droit international public. Avec quel résultat? Sur LCP, chaîne du service public, face à Meyer Habib, et à côté d’Alain Gresh dont l’antisionisme passionnel va en s’aggravant, un jeune militant de l’on ne sait quelle organisation humanitaire affirmait « qu’un enfant palestinien était tué tous les trois jours par les forces de Tsahal »!  Ainsi, en 2014, il est possible pour cette nouvelle génération de perdre le sens commun au point de paraître sortir du Moyen Âge lorsque les Juifs étaient accusés de dévorer des enfançons chrétiens à Pessah. Quelle argumentation morale peut prendre sur une conscience aussi enténébrée dont la lie est formée par tout ce que l’enseignement multiséculaire du mépris, si fort dénoncé par Jules Isaac, y a accumulé d’ordures et de déchets! En va t-il autrement, à un autre endroit du monde, en Afrique du Sud, lorsque l’un des principaux leaders de l’ANC, Jessie Duarte, déclare qu’Israël ne se comporte pas autrement à Gaza qu’un régime nazi? Là encore comment ne pas déceler dans cette attitude la rémanence de cet enseignement du mépris dont le dialogue inter-religieux mondain masque la présence persistante et les insupportables transpositions politiques? Le reste à l’avenant. En fait de guerre, quiconque s’autorise à donner des conseils doit démontrer qu’il paye de sa personne. Je ne m’aventurerais pas à donner des « conseils » au gouvernement d’Israël. Il lui faut juste réaliser qu’une argumentation morale n’a de sens que pour des consciences qu’anime cette préoccupation et non pas vis à vis d’engeances qui s’en prévalent cyniquement comme une arme contre un ennemi dont elles cherchent obstinément l’extermination. Car tant du point de vue de la morale que du droit de la guerre, doit être réellement considéré comme « crime » non pas le ciblage de combattants en action mais les tirs de missiles délibérés et simultanés sur des populations entières, sur des installations civiles, sur des écoles, des usines, des aéroports. Pour le dire dans le langage de la philosophie politique, le Hamas, qui s’estime délié de toute Loi, à part la sienne, est comme retourné à l’état de nature. Considérant qu’entre deux cessez-le feu, il ne sait rien faire d’autre que reconstituer ses arsenaux, que de creuser encore et encore par centaines des tunnels de contrebande pour espérer qu’un jour il atteindra son objectif ultime: la destruction de l’Etat juif, quelle réaction morale s’impose sinon de lui en ôter cette fois définitivement le goût? Dans une récente déclaration Tony Blair a assuré qu’il n’était pas au pouvoir d’Israël d’annihiler cette organisation, qu’il appartenait à la population palestinienne elle-même de s’en charger. Déclaration réaliste ou souhait à mots couverts? Elle conduit en tous cas à répéter que ceux des habitants de Gaza qui transforment leurs habitations en entrepôts pour les artificiers du Hamas, en sont moralement et légalement les receleurs et les complices. Les porte-paroles de l’armée israélienne le rappellent à toutes fins utiles. Mais l’assertion de Tony Blair appelle une autre remarque. Après les bombardements de la côte anglaise et de Londres par la Luftwaffe en 1940, quelle promesse Churchill en personne a t-il faite au peuple anglais? Qu’il n’y aurait aucune négociation avec Hitler et que l’Allemagne nazie ne tarderait pas à comprendre ce qu’il en coûte de s’être donnée à un psychopathe de cette envergure. En 1944 et en 1945, c’est par des centaines de milliers de morts que la RAF en fit la démonstration. On perçoit aussitôt l’objection: « Ne procédez vous pas à un dangereux amalgame entre deux situations qui n’ont rien de commun? ».Tant à éviter les amalgames autant les éviter des deux côtés. Et puis, s’agissant du Hamas est ce vraiment un amalgame de cette sorte? Constatant qu’il n’est pas un seul mètre carré du territoire d’Israël, de Sdérot à Haïfa, à l’abri de ses missiles, imaginons un instant, ce qu’au Ciel ne plaise, ce qu’il adviendrait à la population civile d’Israël, hommes, femmes et enfants, si Tsahal vaincue les forces du Hamas se trouvaient en mesure de franchir ses frontières et de pénétrer rue Ben Yéhouda à Jérusalem ou rue Allenby à Tel Aviv … A ce moment, qui reprendra dans le monde le chant funèbre de la « Morale » à sens unique?

Raphaël Draï – Actu J

BERLIN 1938, PARIS 2014

In ARTICLES, SUJETS D'ACTUALITE on juillet 16, 2014 at 1:51

image0207

A la mémoire de Jacques Ellul, auteur de « La parole humiliée ».

Imaginons un seul instant que la bande d’énergumènes qui s’était lancée ce dimanche 13 juillet à l’attaque de la synagogue sise rue de la Roquette, dans le 11eme arrondissement de Paris, aux cris de « Juifs on va vous crever », et « Nous sommes tous des Mohamed Mérah » ait pu y pénétrer, comme ses membres en ont eu la volonté délibérée, pour la mettre à sac et pour lyncher les fidèles qui s’y trouvaient, et notamment le grand Rabbin de Paris, Michel Guggenheim avec Joël Mergui, le président du Consistoire? N’est-ce pas le mot de pogrom qui se serait imposé? A quelle époque mentale nous trouvons-nous? A Berlin, en 1938, où à Paris, la veille du 14 juillet? Au lieu de quoi, certains compte-rendus de presse se contentent d’évoquer des « incidents » qui auraient « terni » la grande manifestation pro-palestinienne mise en mouvement à partir du métro Barbès!

Il est aujourd’hui de bon ton d’évoquer ad nauseam la formule de Camus: mal nommer les choses c’est ajouter à la misère du monde. Quel sera le sort de ce même monde si les choses en question n’étaient même pas nommées du tout? L’agression commise contre la vénérable synagogue de tradition judéo-portugaise de la rue de la Roquette s’est masquée d’un prétexte: les bombardements de Gaza par l’armée israélienne. En réalité, elle est le signe de l’emprise croissante d’une mouvance singulière de l’Islam en France, la mouvance salafiste, non seulement sur le dit Islam (quartiers, lieux de culte, vêtures ) mais de plus en plus sur l’espace public de la République. Il n’est pour s’en convaincre que de découvrir les photos prises à l’occasion, si l’on ose dire. Mais prétexte ou raison, nul ne saurait faire l’économie de qu’il se passe véritablement à Gaza et des réalités vérifiables de ce territoire transformé en base d’attaque contre l’Etat d’Israël et sa population.

I

Pour les ennemis physiques et idéologiques de l’Etat d’Israël, Gaza a été transformé en prison à ciel ouvert si ce n’est en camp de concentration. On se souvient des propos tenus en ce sens par Eva Joly. Il faut bien se prévaloir du pire pour s’autoriser à passer à l’acte, physique ou verbal. Il faut alors rappeler que le territoire de Gaza – qui ne se limite pas à la ville de Gaza, à ce qu’il est convenu d’appeler Gaza City – a été dévolu après les accords d’Oslo à l’Autorité palestinienne, alors incarnée par Yasser Arafat avant que Mahmoud Abbas n’en devienne le titulaire, mais que celui-ci en a été chassé manu militari en 2007 par une faction dissidente: le Hamas devenu depuis le concurrent direct et acharné de l’OLP malgré des compromis purement tactiques. Là encore, un prétexte de surface en couvre un autre. En apparence la cause de la sécession devrait être cherchée dans la mollesse présumée de l’OLP face à l’obstination de l’Etat d’Israël, obstination relative puisque, l’on s’en souvient, c’est Ariel Sharon en personne qui a imposé en 1995 le retrait unilatéral de tout habitant israélien de la zone dite du Goush Katif.

En réalité il est une autre cause moins avouable qui doit être cherchée. Elle se trouve dans ce qu’est devenu ce territoire qui jouxte le territoire israélien – des villes comme Sdérot, Ashkelon, Ashdod, Netivot s’y trouvant distantes d’à peine quelques kilomètres de Gaza City: autrement dit une sorte de territoire sui generis où aucune autre loi que celle du Hamas ne prévaut, dictée par lui et imposée par ses miliciens, grassement payés. Car il faut prendre en compte ce facteur aussi. Pour décréter de manière insensée que Gaza est un camp de concentration comparable à Buchenwald ou à la Kolyma, il faut se crever les yeux et par exemple ne pas voir ce qui s’y construit et s’y aménage: immeubles de luxe, centres commerciaux sur le modèle de Dallas, plages dignes de Malibu. A chaque transaction les chefs du Hamas dont beaucoup se sont considérablement enrichis en deux ou trois ans perçoivent de mirifiques pots-de-vin. Les plus importants d’entre eux se font construire des villas à un million de dollars l’une. La fortune de leurs deux principaux leaders, Khaled Meschaal et Ismaël Hanyeh est estimée pour chacun à une dizaine de milliards de dollars virés sur des comptes égyptiens ou émiratis. On comprend mieux pourquoi la guerre contre « l’Etat sioniste » est sans cesse entretenue. Elle seule permet de proroger le système existant de corruption et de prébendes, avec ses milliers de tunnels de contrebande, ses centres de fabrication de rockets mais aussi l’embrigadement d’une population serve, macérant compulsivement dans la haine de l’ennemi juif depuis son plus jeune âge. Cette corruption, cette prévarication et ce détournement complet de l’aide internationale à ciel ouvert, y compris celle apportée par la France, se produisent au détriment d’une population maintenue dans un chômage endémique mais qui n’hésite pas pour se faire soigner à solliciter les soins des hôpitaux d’Israël où elle est naturellement reçue.

II

Et c’est bien de ce même territoire que partent pourtant depuis des jours et des nuits des centaines et des centaines de tirs de missiles contre la population civile israélienne, sans faire de distinction entre les écoles, les aéroports, les immeubles d’habitation, les hôpitaux décrétés par nature ou par destination « objectifs militaires ». Ces tirs qui sont constitutifs par le choix de leurs cibles et par leur simultanéité de véritables crimes de guerre et même de crimes contre l’humanité sont aussitôt commués en actes de «résistance» par leurs commanditaires et auteurs, et cela en usant d’une rhétorique dont toute l’efficacité provient de ceux qui l’écoutent et la valident en fonction de préjugés multiséculaires attachés à la figure maléfique des Juifs: l’armée d’Israël commettrait des massacres de femmes et d’enfants, et deviendrait ainsi une réincarnation diabolique à tout le moins de la Wehrmacht. D’où la légitimité de la « résistance » déployée à son encontre et donc des manifestations destinées à la stigmatiser partout dans le monde, des manifestations dont la violence est d’avance absoute. C’est en ce point que d’autres considérations encore doivent être soulignées. Comme les leaders du Hamas sont parfaitement conscients que leur rhétorique rencontrera la complaisance « intellectuelle » pour ne pas dire la collusion mentale de leurs relais, islamistes ou non (en France un député « Vert » vient de déclarer que les synagogues ne sont que des annexes de l’ambassade d’Israël), ils se livrent cyniquement à des pratiques pour lesquelles dans d’autres occasions la communauté internationale en Irak, en Libye ou au Kosovo, a su faire preuve d’une intransigeance justifiée: transformation d’habitations civiles en postes de commandement militaires, stockage et dissémination d’armements dans des habitations et installations civiles, transformation de mosquées en arsenaux. Etc… Toutes ces pratiques correspondent bien à cette nouvelle forme de guerre dite asymétrique mais dans un sens bien particulier: l’un des belligérants « auto-victimisé » ne respecte lui même aucune norme du droit international mais s’en prévaut à l’encontre de son protagoniste, ainsi paralysé. Il faudra bien que les démocraties en prennent acte au lieu de tomber dans le panneau comme notre ministre de la défense, Jean-Yves le Drian, lorsqu’interrogé sur l’attaque de la synagogue de la rue de la Roquette il enjoint à Israël de… respecter les règles du droit international, et cela alors que l’armée française qu’on ne soupçonnera pas de néo-colonialisme est engagée au Mali à des milliers de kilomètres du territoire national. Autant déclarer que l’Etat d’Israël n’a aucun droit à se défendre ni aucune possibilité opérationnelle de le faire et qu’il ne lui reste plus qu’à rejouer Massada.

III

Jusqu’à quand restera t-on sourds à l’expression d’une haine aussi incandescente, à une pareille falsification de la pensée? Plus aucun Juif en France ne s’y sent en sécurité. La communauté juive, pour employer ce terme dans son acception strictement sociologique, est désormais convaincue que sa parole n’est plus entendue, que les biais des médias dans ce conflit particulier est directement l’expression de tropismes mentaux incoercibles, renforçant la nouvelle sociologie religieuse et donc politique de la France, une sociologie démographiquement asymétrique à son tour qui n’est plus celle de 1905 lorsque fut votée non sans douleurs la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat. Quoi qu’elle endure, il faudra toujours imputer la responsabilité ultime des conflits du Proche-Orient avec leurs inévitables retombées «communautaristes» à « l’Occupation » israélienne, comme si ce concept allait de soi et ne servait pas surtout à interdire d’évoquer l’occupation de ces mêmes territoires par les armées mahométanes lancées hors de l’Arabie dès les VIIème et VIIIème siècle de l’ère chrétienne. Faut-il rappeler que c’est en 1453 que Constantinople, capitale de l’empire romain d’Orient fondé en 330, tombe aux mains des musulmans et que c’est en 1683, soit 35 ans après la signature du Traité de Westphalie, qu’échoue le second siège mis devant Vienne par les armées turques?

D’où, pour y revenir, les décisions d’émigrer vers Israël ou ailleurs de beaucoup d’entre eux, sachant que la vie juive est impossible en pays arabo-musulman (les mêmes salafistes viennent à nouveau de s’opposer à la réouverture d’une invisible synagogue à Alger). Les pouvoirs publics en prennent progressivement conscience mais en même temps, lorsqu’ils ne jouent pas les belles âmes à l’instar d’Alain Juppé (pourtant incapable de ramener la paix dans son propre parti!) ils apparaissent littéralement sidérés par l’ampleur du problème, comme vient de l’exprimer le député Thierry Mariani. C’est en ce sens aussi que la parole publique et démocratique apparaît profondément humiliée pour reprendre le titre du beau livre de Jacques Ellul: ne pas nommer la chose, c’est en favoriser la prolifération; la nommer, c’est s’exposer à l’accusation de racisme. Par où l’on voit comment la philosophie des droits de l’Homme peut se corrompre non seulement en idéologie mais en idéologie guerrière puisque ceux-là mêmes qui invoquent ces droits les méprisent et les violents en toute impunité.

Ainsi sont bafoués les deux principes majeurs, pour ne pas dire les deux piliers de la tradition philosophique et morale kantienne qui ont largement inspirés cette philosophie avec la culture démocratique qui en est issue: le principe de réciprocité et celui d’universalité. Les démocraties prises dans ce piège fait de mots privés de sens, d’intimidations et de mutismecontraint, y survivront elles?

Jusqu’à quand faudra t-il répéter qu’il n’en va plus seulement de l’avenir des Juifs de France mais de celui de la France entière?

                                 Raphaël Draï pour le site Magistro.fr (Juillet 14)

FRERES DANS L’EPREUVE – Radio J 14 Juillet

In ARTICLES, SUJETS D'ACTUALITE on juillet 14, 2014 at 2:50

Au moment où la confrontation armée entre les forces d’Israël et le Hamas prend le tour que l’on sait, les hôteliers d’Israël et les compagnies aériennes notent, semble t-il, un nombre significatif d’annulations. Celles–ci soulèvent un débat de conscience qu’il faut savoir engager.

Bien sûr nous vivons dans un monde où nul n’est en droit de dicter à autrui sa conduite. Mais pour faire sien ce principe, il faut être immergé dans l’univers asphyxiant du chacun pour soi, un monde dans lequel seul compte l’intérêt personnel et où la solidarité n’est qu’un principe verbal, valable uniquement lorsque tout va bien et qu’il n’est pas besoin d’en faire la démonstration concrète.

Il faut juste se demander si ce comportement, pour autant qu’il soit celui de la majorité d’un peuple, est compatible avec le fait pour ce peuple de disposer d’un Etat. A cet égard il faut lire où relire la magnifique allocution d’André Malraux pour le centenaire de l’Alliance Israélite Universelle à Paris en 1960, lorsqu’il rappelait le dialogue mémorable entre Haïm Weizmann et le grand poète Nathan Altermann.

Au successeur de Theodor Herzl qui rappelait « qu’on n’avait jamais offert à un peuple un Etat sur un plateau d’argent », le poète répond par ces mots:

«  Et alors d’en face paraîtront une jeune fille et un garçon,

Et nul ne dira s’ils sont vivants ou fusillés,

Et à pas lents ils marcheront à la rencontre d’Israël ;

Israël alors s’interrogera, baigné d’incantations et de larmes:

«  Qui êtes  vous ? »,

Et les deux, apaisés, lui répondront:

«  Nous sommes le plateau d’argent sur lequel t’est donné l’Etat juif ».

Il ne s’agit pas ici de tomber dans l’emphase poétique ni de procéder à des confusions d’époques. Il s’agit de se demander si, toutes mesures de sécurité prises, il ne faut pas assurer, quoi qu’il en coûte en termes de confort personnel ou de vacances estivales, notre présence effective dans l’épreuve actuelle auprès des membres de nos familles, de nos amis, de nos collègues. Aujourd’hui le plateau d’argent s’est transformé en dôme de fer mais est–il imaginable que tandis que les uns doivent courir aux abris les autres arpentent les promenades de la Côte d’azur ou les solariums de Deauville ?

Une autre considération vaut d’être soulignée. Jean-Jacques Rousseau a écrit quelque part: « De quelqu’un qui affirme: «  Je ne dois rien à personne », personne ne lui devra rien non plus ». Va t–il de soi, qu’après les tueries de Toulouse ou de Bruxelles par exemple, sans parler de la tentative de pogrom islamiste ce dimanche contre les fidèles réunis à la Synagogue de la Roquette, si l’on considère que la Âlya soit la solution salutaire aux risques de la vie juive en diaspora, qu’au moment du danger l’Etat d’Israël se retrouve seul ?

Heureusement, à la pire époque de la seconde Intifada le judaïsme de France par ses actions de solidarité a su provoquer l’admiration de la population israélienne. Il ne saurait en aller autrement à présent une fois, répétons le, que les mesures de sécurité indispensables ont été prises, en suivant d’ailleurs les instructions des autorités responsables en Israël. Et par exception, dans cette chronique hebdomadaire vouée à l’éclairage des grands problèmes politiques contemporains, l’on nous permettra de citer le Zohar, lorsqu’il rappelle cet adage de la Sagesse hébraïque, justement à propos de la fraternité: «  Les frères ? C’est pour les temps d’épreuves qu’ils ont été créés ».

A méditer en tant que de besoin, puisque la fraternité fait aussi partie de la devise républicaine de la France.

                                                                                   Raphaël Draï

LE SENS DES MITSVOT: PARACHA PINH’ASS

In RELIGION on juillet 9, 2014 at 9:39

 

40 Pin'has14

« Pinh’ass fils d’Eléazar, fils d’Aharon le Pontife a détourné ma colère de dessus les enfants d’Israël, en se montrant jaloux de ma cause au milieu d’eux en sorte que je n’ai pas anéanti les enfants d’Israël dans mon indignation. C’est pourquoi, tu lui annonceras que je lui accorde mon alliance amicale (eth berithi chalom) » ( Nb, 25, 11, 12). Bible du Rabbinat.

Le sens du récit biblique n’apparaît véritablement que lu en hébreu et dans la graphie de cette langue. Autrement des éléments essentiels de son interprétation se dérobent au regard optique et à l’intelligence du texte. Ainsi en va t-il lorsque l’on traduit « berithi chalom » par « alliance amicale ». Pour bien le comprendre il faut reconstituer ce qu’il est convenu d’appeler le contexte de l’affaire.

Durant la Traversée du désert, les crises n’ont pas manqué qui ont mené les Bnei Israël parfois au bord de la destruction. Chaque fois ils en ont réchappé, prenant conscience in extremis de la gravité des transgressions commises et s’engageant à ne pas les réitérer. Mais une chose est de dire, autre chose d’accomplir. D’où la récurrence de ces crises, comme si chacune d’elle mettait au jour une racine vénéneuse bien plus profonde qu’on ne l’aurait cru. Dans la paracha précédente, l’on a vu comment la malédiction commandée par le roi Balak au prophète Bilâam a été commuée en bénédiction. L’on aurait alors pensé que le peuple, rassuré par cette bénédiction d’un niveau exceptionnel, s’élève encore en spiritualité. Au lieu de quoi, une partie des Bnei Israël ne croit pas mieux faire que se livrer à la prostitution idolâtrique avec des Midianites, et cela dans la sidération complète des responsables du peuple, jusqu’au moment où Pinh’ass, brisant cette sidération, embroche le couple initiateur de l’orgie.

Dans un récit légendaire ordinaire, l’on aurait pensé également que Pinh’ass soit aussitôt érigé en héros et cité en exemple. Au lieu de quoi, la Parole divine enjoint de lui adresser un autre message: certes, le petit-fils du pontife Aharon a su prendre fait et cause pour le Dieu d’Israël et pour la loi du Sinaï. Ainsi a t-il rendu inutile une intervention directe de l’Eternel. Pourtant en agissant comme il a fait, et quelles que soient les contraintes de sa propre intervention, il n’en a pas moins porté atteinte à la vocation des Aharonides: la recherche de la paix. A n’en pas douter son infraction, car c’en est une, bénéficie de circonstances explicatives et atténuantes. Elle reste néanmoins une infraction à cette vocation native et ne saurait être érigée en norme.

Nul doute non plus que Pinh’ass en soit conscient et qu’il se retrouve taraudé par l’après- coup de son acte, comme le fut Moïse en personne après avoir tué le maître de corvée égyptien qui tourmentait un esclave hébreu dont il se sentait comme jamais le frère (Ex,2, 12). C’est pourquoi le Créateur aidera Pinh’ass a assumé ce débat de conscience en l’insérant dans une Alliance, dans une Berith, pour bien souligner qu’il ne s’agit pas d’une mesure circonstantiellemais bien d’un dispositif qui étaye la vie même du peuple tout entier.

On sait qu’il est plusieurs modalités de l’Alliance: l’Alliance du sel (Berith mélah’), l’Alliance de la circoncision – révélation ( Berith mila), le sang de l’Alliance ( dam Haberith). Cette fois il s’agit d’une Alliance de paix: Berith Chalom. Et c’est sur ce point précis que la lecture du récit en hébreu est indispensable. Car, dans le texte originel, le mot ChaLoM s’écrit d’une manière bien particulière qui ne se retrouve pas dans toutes les bibles, y compris parfois dans celles imprimées en hébreu: la vav de ChaLoM n’est pas transcrit comme il l’est ordinairement, autrement dit tel un trait continu. Il l’est de sorte à faire apparaître en son milieu une coupure, une interruption, comme s’il était constitué de deux demis vavim séparés par un blanc: ChaL:M. Comme s’il fallait également comprendre qu’à la suite de l’intervention de Pinh’ass le peuple se retrouvait lui aussi coupé en deux, la représentation pour ainsi dire graphique de cette coupure prescrivant l’obligation d’une réparation immédiate, celle précisément du chalom qui constitue la vocation originelle d’Aharon le Cohen, lequel n’est plus physiquement présent parmi le peuple qui l’a pleuré au lieu dit Hor Hahar après que le Créateur l’avait rappelé auprès de Lui.

Aucune existence, individuelle ou collective, n’est rectiligne. Elle est faite d’instants qui se suivent certes mais qui ne se ressemblent pas toujours, les uns paisibles, les autres chaotiques. Lorsque ces derniers se produisent, il ne faut pas les assigner à la fatalité, ni s’imaginer qu’ils ne se reproduiront pas. La valeur du ChaLoM ne se marchande guère. Lorsqu’elle est contrariée par l’irruption de la violence, il importe plus que jamais que celle-ci se retrouve circonscrite le plus étroitement possible et que la paix prévale à nouveau. La paix n’est pas une simple disposition affective. Elle est avec le droit et la vérité l’un des piliers de l’univers. Et de cela il est fait sans tarder leçon à Pinh’ass, encore sous le coup de son geste explicable mais qui ne doit pas faire école pour un peuple dont les institutions doivent assumer toutes leurs responsabilités.

             R. D.

Bloc-Notes: Semaine du 1er Juillet 14

In BLOC NOTES, SUJETS D'ACTUALITE on juillet 9, 2014 at 9:17

2 juillet.

220px-Estatueta_Justiça.JPG

Un homme qui s’approche de la soixantaine peut-il véritablement changer en deux années de silence médiatique, volontaire de surcroît? Telle est la question qui se posait après l’annonce que Nicolas Sarkozy, ayant passé sa nuit jusqu’au petit matin en garde à vue, allait s’adresser au pays par l’intermédiaire de TFI et d’Europe 1. Qui a t-on découvert? Aussi objectivement que possible, un homme maître de soi en dépit de sa nuit blanche, même si ses tics corporels paraissent toujours incoercibles. Là n’est pas l’essentiel. Les partisans de l’ancien président l’auront trouvé « génial », ses ennemis une caricature de Berlusconi. Le partage se percevait déjà entre les deux interviewers, l’un s’adressant ostensiblement à « Mr Sarkozy » et l’autre lui donnant obséquieusement du « Mr. le Président » si ce n’est du « Mr. le Président de la République ». Quoi qu’il en soit, l’interview pré-enregistrée dans l’après midi aura réuni près de 9 millions de téléspectateurs et de téléspectatrices. Les sondages de popularité menés au sein même de l’UMP ont beaux révéler une érosion du potentiel de sympathie dont bénéficie le prédécesseur de François Hollande, on doute qu’aucun de ses rivaux, déclarés ou déroulant leurs anneaux dans l’ombre, réunisse jamais une audience comparable. Pourtant ce n’est qu’à la rentrée qu’on saura si Nicolas Sarkozy redescendra ou non dans l’arène pour affronter, directement cette fois, ce François Hollande qui à l’entendre ne cesse – par Taubira interposée – d’ourdir sa persécution judicaire. Persécution, réelle ou supposée, à propos de laquelle des interrogations de fond se posent, notamment celle-ci en effet: peut-on être magistrat et syndiqué? L’appartenance syndicale, surtout lorsqu’elle est marquée à gauche, comme c’est le cas pour la Syndicat de la Magistrature, n’a probablement pas d’incidence lorsqu’il s’agit du droit des obligations ou d’excès de vitesse. En va t-il de même lorsque le justiciable a été fiché comme cible morale et politique? C’est sans doute pourquoi Nicolas Sarkozy a cru devoir lire en direct des extraits de la lettre guerrière reçue par lui durant la campagne de 2012 au nom du dit Syndicat auquel, si l’on a bien suivi, l’un des deux magistrats qui l’ont gardé à vue de manière tellement « humiliante » appartient. En droit administratif et en matière de libertés publiques un principe essentiel est celui dit de « l’économie des moyens ». Etait-il vraiment nécessaire d’infliger à celui qui présida la Vème République de 2007 à 2012 ce régime dégradant et excessif? Comme si, indépendamment même de ce qui lui est reproché, l’on voulait effacer rétroactivement sa victoire de 2007 et le quinquennat qui a suivi. Les réactions démesurées que suscite l’ancien président de la République apparaissent préoccupantes. S’agit-il d’une inavouable voire inconsciente xénophobie, d’une haine de l’Etranger? Ou d’une allophobie, d’une non moins inavouable haine de l’Autre? Il ne semble pas que VGE en ait autant pâti lorsqu’au début de son propre mandat il allait modifier jusqu’au rythme de la Marseillaise et abroger la commémoration du 8 mai 1945. La Hongrie est-elle si éloignée de l’Auvergne ou de Latché?

4 juillet.

boomerang-1

Les trois adolescents juifs enlevés prés de Hébron ont été retrouvés. Morts. Le gouvernement de Benjamin Netanyahou impute cette tuerie au Hamas, pour l’exécution matérielle, si l’on ose dire, mais politiquement à l’Autorité palestinienne du fait qu’elle a mis en selle l’organisation qui détient aussi le pouvoir à Gaza et un stock illimité de rockets pouvant atteindre Tel Aviv. Et chacun de redouter un nouveau cycle de vengeances et de représailles. Si partout dans le monde, il faut prévenir la radicalisation des jeunes musulmans, celle de jeunes juifs est à prendre en compte. Surtout qu’à part ces enlèvements nombre de pays, européens notamment, incitent au boycott des entreprises israéliennes situées en Cisjordanie. Ainsi le Portugal vient de se joindre à la France et à d’autres Etats membres de l’Union Européenne. Est-ce par cette voie que l’on ouvrira la voie d’une paix véritable? Quoi qu’on en pense, ces appels collectifs au boycott et au désinvestissement financier par des Etats qui ne trouvent d’ordinaire aucun autre point comme entre eux s’assimilent à de véritables actes unilatéraux de belligérance. Car quel contentieux direct oppose le Portugal et l’Etat d’Israël? Un forcené de l’antisionisme comme Noam Chomsky vient d’ailleurs de déclarer que des incitations de cette sorte sont préjudiciables surtout aux travailleurs palestiniens que l’administration de Mahmoud Abbas ne réussit pas à employer. A quoi l’on pourrait ajouter que ces mêmes incitations auront probablement les mêmes résultats que les décisions d’embargos militaires de la fin des années 60 et du début des années 70: elles contribueront à un développement supplémentaire de l’ingéniosité et de l’ingénierie d’Israël. A la veille de la Guerre des six jours, Nasser se vantait du fait que pour les fusées égyptiennes Tel Aviv n’était qu’à une heure de distance du Caire. A quoi Moshé Dayan se contenta de répliquer qu’il en était exactement de même dans l’autre sens.

6 juillet.images

Les « Mémoires » de Jean-François Revel. Un ouvrage compact, mais dont rien ou presque n’est à jeter. Un style à la fois ravageur et poinçonné ou les formules abondent, souvent assassines. Des portraits qui placent sous des angles de vue souvent inattendus des personnages politiques ou du monde universitaire et journalistique dont on pensait que plus rien n’était à découvrir. Parfois, Revel sait retenir son stylet au curare. Parfois il s’en sert comme ferait un boucher massacreur de son coutelas. Les pages concernant Mitterrand sont d’une férocité peu commune. Il est vrai qu’à l’instar de tous les affidés d’un camp qui finissent par se retourner contre lui, même la férocité est un sentiment doux, comme l’on parle de piment doux. Aux yeux de Revel, le cynisme de Mitterrand, la servilité de son entourage, son mépris des idées, n’auront pas peu contribué au déclin actuel de la France. Avec Georges Marchais, le règlement de comptes est encore plus sanglant. Que reste t-il au bout du compte de ces pages où l’amour de la littérature ne trouve pas à s’exprimer complètement dans le monde du journalisme? Le danger pour un pays à ne plus penser, à s’adonner au spectacle, à confondre le véritable événement, celui qui par définition survient, et celui que l’on fabrique. Les portraits de Jean-Jacques Servan-Schreiber ou de Françoise Giroud, ceux de Raymond Aaron et de Bertrand de Jouvenel, révèlent tout autant le danger du mélange des genres. Quant à Sartre, il serait difficile de soutenir que pour Revel il représentait autre chose qu’un bavard incontinent, capable de tout justifier, y compris le contraire de tout, fasciné par une violence qu’il ne pouvait assumer que par PCF interposé. Tableau ethnographique d’une France fascinée par les gouffres, politiques, financiers ou intellectuels.

RD

LA MORALE DE HILLEL ET CELLE DE NARCISSE – Radio J – 7 Juillet 2014

In CHRONIQUES RADIO on juillet 7, 2014 at 12:10

Quoi qu’en pensent les disciples de Machiavel, la politique, la morale et le droit ne sont pas dissociables. Il s’agit juste de s’accorder sur le sens de ces concepts. Dans une récente adresse aux membres de l’Association Internationale des Juristes Juifs, sa présidente, Mme Irit Kohn, nous en donne l’occasion douloureuse mais utile. Après l’enlèvement et le massacre des trois adolescents juifs en territoire présumé sous contrôle de l’Autorité palestinienne, et consultée sur le point de savoir quelle serait la réaction la plus adaptée moralement et légalement à la situation, elle écrit: « Nous devons considérer cette situation avec soin et ne pas nous tenir au niveau des meurtriers ». Cela pour exclure tout acte de représailles aveugles et de vengeance sanguinaire. J’ai trop de respect à l’égard de cette éminente juriste pour ne pas tâcher de comprendre la préoccupation morale qui sous-tend son avis. La vengeance est impuissante à rendre la vie aux victimes tandis qu’elle prépare quasi-mécaniquement d’autres actes de violences et d’autres deuils. Le meurtre d’un jeune arabe en « réponse » à la tuerie de Hébron l’atteste. N’en doutons pas: la résonance en est d’ores et mondialement assurée. Mais que signifie aussi: veiller à ne pas se tenir au niveau des assassins, quels qu’ils soient? Cette formule n’est-elle pas de celles qui mélangent, si nous n’y prenions pas garde, la morale de Hillel et celle de Narcisse?

La première enjoint de ne pas infliger à autrui ce que nous ne voudrions pas à notre tour subir de sa main. Comme le dit dans « Le premier homme » le père de Camus: « Un homme, ça s’empêche ». Autrement dit: il faut toujours anticiper les conséquences de nos actes parce qu’ils en ont, et parfois de très graves et même d’irréversibles. Pourtant la formule utilisée par Irit Kohn recèle un malentendu, comme si les Juifs étaient d’une autre nature, moralement supérieure par définition, que le reste des mortels; qu’ils se tenaient dans le Nirvana de la morale parfaite, faisant passer l’Autre avant soi dans un désintéressement digne des Anges et dans une absence totale d’affects et de passions. Pour une fois l’on entendra le personnage shakespearien de Shylock dans « Le Marchand de Venise », constatant qu’il a été grugé par ses débiteurs, pourtant bons chrétiens, lesquels en outre veulent enlever sa fille Jessica à la foi d’Israël, et qui entend se venger à sa manière: « Je suis Juif. Un Juif n’a t-il pas des yeux? Si vous nous piquez est ce que nous ne saignons pas? Si vous nous outragez est-ce que nous ne nous vengerons pas? Nous vous ressemblons aussi en cela ». Les Juifs font partie de la commune humanité et il faut le faire comprendre. Ils ne sont ni des sous-hommes ni des surhommes. Pour éviter qu’ils ne donnent pleine portée à la tirade tragique de Shylock, il faut précisément que les politiques et que les juristes appliquent pleinement la loi qui doit leur rendre justice lorsqu’il le faut, ce qui n’est pas le cas lorsque leurs tortionnaires et assassins sont assurés d’une quasi-impunité avant de se faire libérer le moment venu par d’autres assassinats et d’autres prises d’otages. On sait que le meurtrier du commissaire Mizrachi, la veille de Pessah’, faisait partie de la myriade de prisonniers élargis en échange du seul Guilaâd Shalit. Et l’on apprend que les trois suspects du triple meurtre de Hébron avaient eux aussi tâté des juridictions israéliennes qui les avait tenus quittes de leurs forfaits antérieurs mais sans dissuader leur récidive aggravée, incités en cela par des membres de la Knesset comme Ahmed Tibi.

En tout, et en morale particulièrement, l’outrance est nuisible. Depuis la fin de la seconde Guerre mondiale et ses horreurs, le « tout-éthique » sublime s’est subordonné la morale concrète et ne fait que refouler la violence qui s’est déchaînée. Confinant parfois au désistement de soi, cette posture ne peut que renforcer les terroristes dans l’idée que leurs vis à vis sont des marionnettes dont il faut savoir tirer les ficelles. Alors et à tout prendre, qu’est-il préférable? Entendre Shylock ou rejouer Guignol?

                       R. D.

LE SENS DES MITSVOT: PARACHA BALAK

In RELIGION on juillet 3, 2014 at 8:21

39 Balak14

« Soudain, le Seigneur dessilla ( vayaghel ) les yeux de Bilaam et il vit ( vayar) l’Ange du Seigneur debout sur la route, l’épée nue à la main; il s’inclina et se prosterna sur sa face » ( Nb, 22, 31). Bible du Rabbinat.

 Seul l’étrange incite à l’interprétation. Quelle paracha est plus étrange en ce sens que celle qui relate la tentative de malédiction du peuple d’Israël par Balak, le fils de Péôr, sollicitant à cette fin le savoir-faire présumé d’un non moins étrange prophète, nommé Balaâm, littéralement « l’engloutisseur du peuple »? Pourtant de nombreux obstacles vont contrarier cette tentative qui vise l’âme même du peuple sorti de l’esclavage égyptien. Au delà des péripéties du récit biblique, le verset précité concerne aussi la nature même de la vision prophétique.

On le constate, deux verbes en rendent compte: vaYaGheL et vAYaR. Sont-ils redondants? Il faut le comprendre aussi exactement que possible parce que la prophétie, dans l’acception biblique du terme, la nevoua, n’a que peu de rapports avec ce qu’il est convenu d’appeler la divination et avec la prédiction de l’avenir. La nevoua concerne plutôt la perception exacte de la Parole divine afin d’en transmettre non moins exactement le contenu. Dans tous les cas il y faut une disposition de l’esprit caractérisée par une complète disponibilité et par une réceptivité maximale; ce qui exige encore que l’esprit du prophète fût désencombré de ses propres préoccupations; qu’il s’avère pleinement lucide, sans taie ni tache opaque. Lorsque cette disposition de l’esprit n’est pas assurée, l’esprit du prophète ou de celui qui passe pour tel reste entaché d’un très fort coefficient de réfraction, pour ne pas dire de déformation au risque de rendre incompréhensible la Parole divine et d’en compromettre la transmission à celui ou à ceux à qui elle est destinée afin qu’ils s’en reviennent de comportements possiblement dangereux, au risque de leur vie.

C’est pourquoi, s’agissant du prophète de malédiction, de Bilaam, incité à la destruction spirituelle puis physique du peuple d’Israël, le premier verbe employé pour ce qui le concerne est le verbe VaYaGhel construit sur la racine GL qui désigne toujours le recouvrement de la vue optique et spirituelle mais par la levée préalable de l’obstacle qui l’obscurcissait, du caillot de pensée qui empêchait la pleine compréhension de la Parole divine.

Cet obstacle se manifeste en l’occurrence par la succession de passages à l’acte d’une particulière violence commis par le prophète stipendié contre sa malheureuse ânesse avec laquelle il menait pourtant une sorte de vie commune, de concubinage contre nature! Celle-ci est certes un animal mais toutefois en mesure de discerner, elle, le sens de la parole divine, celle qui l’incite instamment à dévier de la route tortueuse qui voudrait lui faire prendre son maître malédicteur et irascible.

Si Bilaam passe ainsi à l’acte, c’est qu’habité par le sentiment de sa force divinatrice, il ne supporte pas qu’on lui résiste, qu’on n’obéisse pas à sa toute puissante volonté. Mais celle-ci se heurte désormais à celle du Créateur qui ne s’en désistera guère. Il faut alors que l’obstacle obstruant chez le prophète de malédiction le sens de la véritable perception de la parole divine fût levé – l’équivalent d’une opération de la cataracte; que fût désobstrué le puits mental qui empêchait en son esprit retors la transmission de la volonté divine, parfaitement contraire à celle de son commanditaire, de Balak.

Et c’est une fois cette opération accomplie qu’il peut pleinement percevoir ce que le Créateur attend de lui, qu’il peut véritablement voir l’Envoyé divin qui s’oppose à la progression de sa marche à contre-sens de l’Histoire d’un Israël voué à la bénédiction divine ravivant celle de tout le genre humain (Gn).

L’interaction de ces deux verbes a néanmoins une portée encore plus large que celle relative à ce singulier personnage que les Pirkéi Avot considèreront comme l’antithèse d’Abraham, le premier à être qualifié de navi, de prophète, dans le récit biblique (Gn). Dans une époque marquée par les thèmes intensément discutables que sont « la mort de Dieu », ou son « éclipse » ou son « mutisme », il importe de s’interroger, chacun à part soi et collectivement, sur la présence éventuelle en l’esprit humain d’obstacles comparables à ceux qui obstruaient l’esprit de Bilaam, et cela afin d’en opérer la levée comme il faut libérer un bien de l’hypothèque qui l’immobilise et qui le rend indisponible pour d’autres transactions.

Ces obstacles sont de plusieurs sortes et se renforcent mutuellement: les préjugés tenaces, l’ignorance voulue, l’étroitesse des conceptions, l’avarice intellectuelle, tout ce qui rabat l’esprit sur lui même et l’enferme dans un cercle de fer. Il ne faut jamais oublier que le Créateur est qualifié de « Prochain » dans le Lévitique (19, 18). Que serait un Prochain que l’on se refuserait d’accueillir, de voir et d’entendre en prétextant qu’il n’existe pas?

                                                          R.D.

LE SENS DES MITSVOT: PARACHA BALAK

In RELIGION on juillet 3, 2014 at 8:19

39 Balak14

« Soudain, le Seigneur dessilla ( vayaghel ) les yeux de Balaam et il vit ( vayar) l’Ange du Seigneur debout sur la route, l’épée nue à la main; il s’inclina et se prosterna sur sa face » ( Nb, 22, 31). Bible du Rabbinat.

Seul l’étrange incite à l’interprétation. Quelle paracha est plus étrange en ce sens que celle qui relate la tentative de malédiction du peuple d’Israël par Balak, le fils de Péôr, sollicitant à cette fin le savoir-faire présumé d’un non moins étrange prophète, nommé Balaâm, littéralement « l’engloutisseur du peuple »? Pourtant de nombreux obstacles vont contrarier cette tentative qui vise l’âme même du peuple sorti de l’esclavage égyptien. Au delà des péripéties du récit biblique, le verset précité concerne aussi la nature même de la vision prophétique.

On le constate, deux verbes en rendent compte: vaYaGheL et vAYaR. Sont-ils redondants? Il faut le comprendre aussi exactement que possible parce que la prophétie, dans l’acception biblique du terme, la nevoua, n’a que peu de rapports avec ce qu’il est convenu d’appeler la divination et avec la prédiction de l’avenir. La nevoua concerne plutôt la perception exacte de la Parole divine afin d’en transmettre non moins exactement le contenu. Dans tous les cas il y faut une disposition de l’esprit caractérisée par une complète disponibilité et par une réceptivité maximale; ce qui exige encore que l’esprit du prophète fût désencombré de ses propres préoccupations; qu’il s’avère pleinement lucide, sans taie ni tache opaque. Lorsque cette disposition de l’esprit n’est pas assurée, l’esprit du prophète ou de celui qui passe pour tel reste entaché d’un très fort coefficient de réfraction, pour ne pas dire de déformation au risque de rendre incompréhensible la Parole divine et d’en compromettre la transmission à celui ou à ceux à qui elle est destinée afin qu’ils s’en reviennent de comportements possiblement dangereux, au risque de leur vie.

C’est pourquoi, s’agissant du prophète de malédiction, de Balaam, incité à la destruction spirituelle puis physique du peuple d’Israël, le premier verbe employé pour ce qui le concerne est le verbe VaYaGhel construit sur la racine GL qui désigne toujours le recouvrement de la vue optique et spirituelle mais par la levée préalable de l’obstacle qui l’obscurcissait, du caillot de pensée qui empêchait la pleine compréhension de la Parole divine.

Cet obstacle se manifeste en l’occurrence par la succession de passages à l’acte d’une particulière violence commis par le prophète stipendié contre sa malheureuse ânesse avec laquelle il menait pourtant une sorte de vie commune, de concubinage contre nature! Celle-ci est certes un animal mais toutefois en mesure de discerner, elle, le sens de la parole divine, celle qui l’incite instamment à dévier de la route tortueuse qui voudrait lui faire prendre son maître malédicteur et irascible.

Si Balaam passe ainsi à l’acte, c’est qu’habité par le sentiment de sa force divinatrice, il ne supporte pas qu’on lui résiste, qu’on n’obéisse pas à sa toute puissante volonté. Mais celle-ci se heurte désormais à celle du Créateur qui ne s’en désistera guère. Il faut alors que l’obstacle obstruant chez le prophète de malédiction le sens de la véritable perception de la parole divine fût levé – l’équivalent d’une opération de la cataracte; que fût désobstrué le puits mental qui empêchait en son esprit retors la transmission de la volonté divine, parfaitement contraire à celle de son commanditaire, de Balak.

Et c’est une fois cette opération accomplie qu’il peut pleinement percevoir ce que le Créateur attend de lui, qu’il peut véritablement voir l’Envoyé divin qui s’oppose à la progression de sa marche à contre-sens de l’Histoire d’un Israël voué à la bénédiction divine ravivant celle de tout le genre humain (Gn).

L’interaction de ces deux verbes a néanmoins une portée encore plus large que celle relative à ce singulier personnage que les Pirkéi Avot considèreront comme l’antithèse d’Abraham, le premier à être qualifié de navi, de prophète, dans le récit biblique (Gn). Dans une époque marquée par les thèmes intensément discutables que sont « la mort de Dieu », ou son « éclipse » ou son « mutisme », il importe de s’interroger, chacun à part soi et collectivement, sur la présence éventuelle en l’esprit humain d’obstacles comparables à ceux qui obstruaient l’esprit de Balaam, et cela afin d’en opérer la levée comme il faut libérer un bien de l’hypothèque qui l’immobilise et qui le rend indisponible pour d’autres transactions.

Ces obstacles sont de plusieurs sortes et se renforcent mutuellement: les préjugés tenaces, l’ignorance voulue, l’étroitesse des conceptions, l’avarice intellectuelle, tout ce qui rabat l’esprit sur lui même et l’enferme dans un cercle de fer. Il ne faut jamais oublier que le Créateur est qualifié de « Prochain » dans le Lévitique (19, 18). Que serait un Prochain que l’on se refuserait d’accueillir, de voir et d’entendre en prétextant qu’il n’existe pas?

                                                          R.D.

Bloc-Notes: Semaine du 23 Juin 2014

In BLOC NOTES, SUJETS D'ACTUALITE on juillet 2, 2014 at 11:50

24 juin.

images

Au hasard des relectures, je retrouve ce texte d’Henri de Montherlant intitulé « Duces », une charge d’une extrême férocité contre les drogués du Pouvoir, de la Potestas, à commencer par Jules César. Ils tueraient parents et enfants, voisins et étrangers de passage pour conquérir la « Chose » fascinante ou pour la préserver. Car aux yeux de Montherlant, la recherche du Pouvoir ne va pas sans la bassesse par laquelle l’esprit humain devient chaos puis néant. La charge n’est-elle pas excessive? Pourquoi le Pouvoir, surtout dans la vie politique, rebute t-il moralement à ce point? Oscar Wilde ira jusqu’à écrire: « L’ambition est le dernier refuge des ratés » ! Le spectacle actuel de la vie politique française conforterait ces vues acerbes. Depuis quelques semaines la planète entière s’adonne à la Coupe du monde de football qui se déroule au Brésil. Vibrer au spectacle d’une équipe d’artistes du ballon rond est une chose. Pirater, médiatiquement parlant, ses vedettes en espérant tirer l’on ne sait quel parti de leur victoire, autre chose. La posture est pitoyable et ne trompe personne, à commencer par les joueurs qui se demandent ce qui peut justifier qu’un Président de la république en personne croie devoir en rajouter à ce point et respecter si mal son rang et sa fonction. La volonté de proroger un Pouvoir durement conquis fait chasser ces pensées agaçantes, comme l’on chasse les mouches de la face du Sultan. Tout aussi féroces sont les pages consacrées, si l’on ose dire, par feu Jean-François Revel à François Mitterrand dans ses Mémoires « Le voleur dans la maison vide ». François Mitterrand selon lui n’avait même pas lu le fameux programme commun de la Gauche. Il se moquait des intellectuels et écrivains qu’il « draguait » pour en orner sa coiffe offensive de plumes rutilantes. La jouissance du Pouvoir pour le Pouvoir l’emportait sur tout le reste: doctrines économiques, cohérence morale, souci de la vérité. A n’en pas douter il est une corrélation entre cette goinfrerie et le sentiment d’une profonde incomplétude personnelle dont la volonté de pouvoir, portée à de degré d’incandescence et d’indécence, serait le déni massif. Il n’est que de voir comment se comportent aujourd’hui tant d’anciens ministres de Nicolas Sarkozy qui ne trouvent pas de mots assez durs contre celui qu’ils avaient pourtant servi avec un zèle dont la désintéressement n’apparaît pas, rétroactivement, comme la caractéristique principale, jusqu’à Bernard Debré qui le qualifie de « branche morte » et qui voudrait pouvoir l’achever d’un coup de bistouri fatal. Ces retournements de veste, de pareils reniements contribuent autant que les mensonges et les fraudes d’ex-ministres acculés à démissionner au discrédit de la « classe » politique. On verra si Nicolas Sarkozy tient bon ou s’il finit par mourir sous les crocs de la meute qu’il a pourtant nourrie de viande rouge pendant cinq ans. Il est un point cependant propre à rassurer la France sur la capacité de changement de son successeur. François Hollande a finalement honoré son slogan de campagne présidentielle. Il vient en effet de changer la monture de ses lunettes.

26 juin.

images-1

L’Union Européenne va se doter d’un nouveau Président de sa Commission en la personne du luxembourgeois Jean-Claude Juncker. Angela Merkel était pour, David Cameron contre et ne l’a pas laissé dire. Là encore, la dite instance est sans doute destinée à faire progresser l’entité européenne. Elle sert aussi de bureau de placement pour des éminences non reconduites et qui estimeraient que leur vie serait privée de sens sans titulature ronflante ni voiture de fonction. A cet égard, les démarches, états d’âme, offres de service et auto- panégyrique d’anciens premiers ministres ou ministres fendent le cœur… Depuis le début des années 70 et durant les décennies de crise qui ont suivi, économistes, sociologues, philosophes et psychanalystes n’ont cessé de mettre en évidence la peur corporelle et psychique du déclassement, de la rétrogression sociale, de la marche à reculons des juniors relativement à leurs parents. Mais cette peur n’affecte pas seulement les ouvriers de chez Peugeot ou de Veolia. Dans les plus hautes sphères du pouvoir politique, économique ou médiatique quiconque a été narcissiquement quelque chose ne supporte pas l’idée de ne l’être plus, au point d’en oublier d’être ou de devenir quelqu’un, doté d’une personnalité générique, non gagée sur ses fonctions par définition circonstancielles et transitoires. « Corps sans âmes » diraient les mystiques du Moyen Âge. « Gastéropodes » diraient les jardiniers.

30 juin.

images-3

Le fil conducteur mérite son nom. La biographie « Condé ou le héros fourvoyé » signée par Simone Bertière, se lit d’une traite et ramène aux préoccupations de notre époque après nous avoir dépaysé dans la France de Louis XIV. Le prince de Condé rêvait d’être Roi mais se trouva si durement frustré du trône qu’il en vint à trahir la France et à servir la monarchie espagnole. Un prince, au sens absolu du terme, qui s’estimait né de la cuisse de Jupiter, qui ne craignait ni la peur ni la mort et qui excellait dans les charges à épée nue évoquant Alexandre le Grand. Il faut relire là encore l’oraison funèbre mais non obséquieuse que lui dédia Bossuet. Pourtant cette oraison à l’orgue vocale ne rend pas pleine justice au personnage lequel, une fois compris que le trône de France ne lui reviendrait jamais, au lieu de remâcher sa bile et d’aigrir ses ressentiments, s’adonna au château de Chantilly, avec une clarté d’âme sans égale, à l’une des plus belles entreprises artistiques de l’Histoire de France, y réunissant de vrais penseurs et écrivains dont il ne déparait pas les entretiens, avec une collection de manuscrits et de peintures dignes des plus grands musées mondiaux et parfois les surpassant. Signe que cet homme hors du commun avait bien une âme dont il comprit très vite qu’elle est, en chaque être humain, la preuve que la Création est issue du chaos de l’égocentrisme, bien au dessus de la vanité aux jambes de héron enfoncés dans la vase.

RD