Chacun sait que l’Etat d’Israël doit faire face à une guerre multiforme dont le champ d’action médiatique est particulièrement virulent. On a beau se croire paré contre toute nouvelle outrance, la réalité risque toujours de vous démentir sur un plateau de télévision ou dans un studio de radio. Lorsqu’au surplus votre formation universitaire et scientifique vous dispose au décentrement, à la prise en compte des arguments d’autrui, le choc est rude face à des protagonistes qui ne sont pas là pour un échange mais pour taper sur le même clou, comme si l’antisionisme était non plus une idéologie, laissant place à une argumentation minimale, mais une passion identitaire qui ne veut plus lâcher son os. J’en ai fait une nouvelle fois l’expérience au cours de deux débats récents, l’un télévisé, l’autre à la radio. Dans les deux cas, le thème de départ du débat portait sur le voyage de François Hollande en Israël, visite d’Etat que les services responsables des deux Etats concernés ont calibrée au millimètre. On gardera sans doute en mémoire la déclaration d’amitié qui se voulait chaleureuse et communicative du président de la République dès sa descente d’avion, avec l’annonce des trois volets de sa visite: la bombe iranienne, les négociations israélo-palestinienne, la coopération économique et scientifique entre les deux pays. Ce qui n’a pas empêché des déclarations dans l’autre sens le deuxième jour et la reculade de dimanche à Genève, débordante d’embrassades. Durant le débat télévisé surtout, seul le second volet a été abordé, sous l’angle exclusif de la «colonisation». Sur le plateau je me suis trouvé flanqué d’un journaliste du Monde et d’une historienne israélienne pour laquelle même le «Meretz» doit faire partie de l’extrême-droite. Chacun a le droit de défendre ses idées. Alors, passe encore que le journaliste en question ait accompli sa besogne. A ses yeux, la «colonisation» – un mot de «la langue de bois» utilisé comme s’il allait de soi – était une tare rédhibitoire; le mur de sécurité une manoeuvre odieuse pour imposer aux palestiniens un tracé de frontières inique; l’implantation des «colonies», cartes à l’appui, une stratégie machiavélique pour vider la notion d’Etat palestinien de sa substance. Et Natanyahou, un loubard. Je croyais participer à un débat informatif où la géopolitique aurait eu sa part, où les décisions d’Israël auraient également été rapportées à leurs causes réelles sur un terrain effroyablement complexe, où l’on aurait pris en compte notamment la protection de sa population civile contre des attaques meurtrières, d’intention génocidaire. La science politique avait été congédiée pour la démonologie éclairée par Léon Poliakov dans «La causalité diabolique». La même mécanique mentale était à l’oeuvre dans cette tentative de déchiquetage politique et moral d’un Etat d’Israël congénitalement malfaisant. Une hargne, sinon une haine aussi froide, tellement systématique, si méthodique dans le dévidage de ces accusations, selon une liste-type, est devenue aussi insensée et aussi dangereuse que celle ayant engendré le crime de déicide, cette horreur mentale. Là n’était pas le plus douloureux. Il le devint en voyant l’historienne israélienne, ointe de sa propre vérité, s’en prendre à son tour aux «colonies» et au «mur de séparation», en usant d’un vocabulaire d’où toute mesure, tout respect du «principe de raison suffisante» et des exigences de sa discipline était aboli. La causalité diabolique ne trouvait plus ses termes pour s’exprimer à ce degré d’incandescence. Le mur de sécurité? Un monstre dévorant. Pas un mot sur la jurisprudence rigoureuse de la Cour suprême d’Israël en ce domaine. Les colonies? La manifestation d’un nationalisme racial expliquant finalement pourquoi l’Iran voulait se doter de l’arme nucléaire. Comment répondre à cette femme juive et se réclamant de la nationalité israélienne qui s’acharnait à sataniser un Etat dont elle est encore ressortissante et dont elle semblait chercher à s’exclure en le souillant moralement? C’est lorsqu’il fallait lui répliquer que se profila l’ombre de Caïn avec la crainte du fratricide. Cette universitaire qui parlait d’Israël comme s’il lui était étranger, fallait-il lui répliquer en la traitant publiquement de la même manière? Comment répondre raisonnablement et avec mesure à une argumentation tellement fanatisée? Le même jour, j’avais préparé une conférence sur le sionisme dans la pensée du rav Kook et son image m’est revenue instantanément à l’esprit. La résurrection du peuple juif, enseigne t–il, est une longue patience. J’ai pris le parti d’en user. Ai-je eu raison? Ai je ou tort? Comment ne pas prendre «l’avenir en otage»?
Raphaël Draï – Actu J 24 Novembre