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DE GENERATION EN GENERATION – Arche Fevrier 2010

In Uncategorized on février 29, 2016 at 5:08

Au commencement de l’hiver – et l’hiver cette année malmène les théories relatives au réchauffement climatique – reprend dans les synagogues la lecture du livre de l’Exode qui relate, en ses tous premiers chapitres, la réduction à l’état d’esclaves des Bnei Israël puis leur libération par « une main puissante ». Ce récit fournira l’exposé des motifs de la Haggada de Pessah’ par laquelle il est enjoint de nous considérer comme ayant été personnellement libérés de l’esclavage pharaonique, et cela de génération en génération: lédor vador. Or un tel esclavage a été autant physique, brisant les corps – non plus même considérés comme des outils animés – que les esprits. Comment un esprit est-il brisé sinon par la désespérance? Et quelle plus sombre source de la désespérance que la tristesse et le découragement? Face à l’adversité ainsi envisagée, l’être humain n’a plus la consistance éphémère du fétu de paille. Sa situation aléatoire dans le monde lui paraît plus absurde que l’absurde dont il est possible de s’entretenir philosophiquement. La notion d’avenir en devient insensée. Puisque demain n’a plus de sens pourquoi survivrait-on aujourd’hui encore? Il est possible de s’interroger à n’en plus finir sur les causes de la survie du peuple juif tout au long d’une Histoire où les trous noirs ont succédé aux trous noirs. Sans doute faut-il reconnaître cette cause déconcertante dans sa formidable propension au non-découragement, à sa conviction qu’il ne relève en rien du fameux Tribunal de l’Histoire où les vaincus d’un moment ne sont pas entendus, comme si une défaite équivalait à une condamnation et comme si avoir perdu une bataille signifiait que l’on a perdu la guerre. Lorsque le légionnaire sous les ordres de Titus jeta sa première torche incendiaire dans le Saint des Saints pouvait-il imaginer qu’un jour des touristes israéliens viendraient photographier ce qu’il reste des vestiges croulants de la Rome impériale? Si le secret de cette survie peut être imputé à l’on ne sait quelle causalité mystérieuse il est possible d’en comprendre les cheminements plus manifestes. Trois exemples, des plus récents, l’illustreraient. En premier lieu « Le concert », le film de Radu Mihaileanu. Pour des raisons relatées ailleurs, et particulièrement depuis le décès de mon père, je ne vais pratiquement plus au cinéma parce que je ne peux plus lire le mot « Fin » au terme du film. Cette fois je me suis laissé convaincre d’y retourner, fût-ce pour entendre en volumétrie maximale le Concerto pour violon de Tchaïkovski. Au fur et à mesure que ce film se déroulait, je me rendais compte qu’il déroulait aussi un fervent hommage à la vie, à la ténacité de vivre, afin de ne jamais en lâcher le fil, de faire fond sur ce qui en détermine la valeur et donc le prix. Bien sûr « Le concert » n’est ni « L’année dernière à Marienbad » de Resnais ni « Pierrot le fou » de Godard. Cependant, pourquoi tant d’applaudissements aux dernières images, surtout de la part du public le plus jeune, celui plus âgé frottant ses yeux humides… Le film raconte l’histoire de l’orchestre du Bolchoï qui fut disloqué par le KGB, au temps où les Juifs d’URSS étaient condamnés au silence ou à l’émigration clandestine, et la déportation de sa violoniste – phare en Sibérie. Privée de son instrument celle-ci persiste à jouer dans l’air glacial le fameux Concerto, sur un violon imaginaire, sollicitant ses sonorités comme Beethoven sollicitait la musique de son esprit malgré sa surdité. Le scénario est romanesque? Qu’importe si le romanesque n’est pas morbide! Car le plus attachant est bien le récit de cette confrontation de plusieurs décennies avec le découragement, malgré la toute- puissance du Parti stalinien. La violoniste juive ne reviendra pas de déportation mais qui a jamais soutenu que notre vie s’arrêtait avec notre mort, pour peu que nous ayons songé à ménager les relais et les successions de l’Histoire à venir… Et comment vaincre le totalitarisme et sa toute-puissance du moment, sinon en refusant de se laisser sidérer par Béhémot, en passant le relais de la lutte pour la survie d’aujourd’hui à la génération qui vient, celle qui poursuivra le combat, inlassablement, jusqu’au moment où l’Etat omnipotent, épuisé par ses luttes et saigné par ses échecs, réclamera à son tour une trêve, un armistice, ses jours étant à présent comptés. Au terme de ce film, autant que la transmission du violon et de ce Concerto passé comme un témoin de la mère – courage à sa fille – virtuose – et qui découvre par cette voie sa propre histoire – m’aura retenu la baguette du chef – non juif – Andrei Filipov, une baguette que le sbire du KGB avait brisée en plein Bolchoï, au temps de Brejnev, mais que cet être spirituellement fidèle, réduit trente années durant à l’état d’homme de ménage, aura enfin reboutée pour diriger son orchestre ressuscité composé de juifs, de russes et de tsiganes sur la scène miraculeuse du Châtelet à Paris… L’autre exemple a pour cadre la salle d’études de la synagogue Ahavat Chalom dans le XVI arrondissement. Le jeune rabbin Ariel Messas, bravant la neige durcie et le froid crépusculaire, tient à me montrer le film qu’il a réalisé lors du pèlerinage de son père, le grand rabbin de Paris, David Messas, au Maroc en juin 2008. Cette fois nous nous retrouvons loin de Moscou et d’Arkhangelsk. Nous cheminons dans les cimetières de Mekhnès, l’ancien et le nouveau, où gisent sous des pierre tombales chaulées, brûlées par le soleil, des cohortes de noms, plongés dans le silence, ayant illustré l’étude du Talmud, l’approfondissement de la Kabbale… Ariel Messas interroge: ce périple n’est-elle pas trop singulier, familial? Conserve t-il sa dimension d’universalité pour quelque juif que ce soit? Afin de le conforter, je lui dis mon émotion de déambuler par ce biais dans ces cimetières du Maroc alors que je n’ai toujours pas la possibilité d’aller réciter un kaddich sur la tombe de mes grands parents et sur celle du Grand rabbin Sidi Fredj Halimi au cimetière de Constantine. Toutefois, tout comme dans « Le Concert », la musique est à la fois le but et le moyen de la résurrection, dans les synagogues de Paris et de France, l’étude infatigable des œuvres laissées comme autant de relais par ces grandes existences permettra de contourner les sens interdits de la géo-politque puisque nous pourrons citer ces noms là en conclusion de notre étude et réciter un Kaddich pour l’élévation de l’âme qu’ils désignent. Jusqu’au moment où ce qui se sera dénoué dans le monde d’en Haut contribuera à dénouer les noeuds, autrement inextricables, du monde d’en Bas…Le troisième exemple se trouve dans un témoignage dont la ferveur console des déconvenues vaticanes concernant la possible canonisation de Pie XII. Lisez à cet effet le témoignage de Bernard Fauvarques: « Le salut vient des Juifs. Parole d’Evangile »[1].Vous comprendrez ce que signifie l’amour d’Israël venant d’un prêtre dans la Compagnie de Jésus, dont le Christ habite le cœur, un Christ qui ne soit pas frappé d’amnésie ou dont la mention de son origine n’aura été effacée. Si le peuple juif a pu traverser sans plus d’encombres la Vallée de la mort, il le doit aussi à ces hommes et à ces femmes de courage – comment oublier Gisèle Clain – qui ont repris à leur manière les paroles que Dieu dit par l’entremise de Jérémie aux oreilles de Jérusalem guettée par les flammes: « Je me souviendrai toujours du temps de ta jeunesse, de tes fiançailles, lorsque tu m’as suivi au désert, dans une terre non ensemencée ». Chaque génération se doit d’ensemencer cette semence de vie durant son passage sur la terre qu’il lui est donné de fouler, de sorte que la génération qui vient y recueille sa récolte et trouve à son tour le courage d’ensemencer pour la génération suivante. C’est un tel relais, infatigable, ne cédant rien à aucune tristesse corrosive, qui donne substance et sens à ce que l’on nommera, une fois encore, l’Eternité d’Israël.

                               Raphaël Draï zal 12 Janvier 2010

[1] Bayard Service editions, 2009.

Commentaire de PARACHAT KI TISSA

In Uncategorized on février 26, 2016 at 2:04

21 Ki Tissa

Comme on le sait, toutes les parachiot sont importantes et il n’est pas un mot, pas une lettre, d’aucune d’entre elles, qui ne soit un fleuron de sens. Pourtant, l’on sait aussi que certaines d’entre elles sont d’une importance vraiment capitale au point d’être reprise dans le siddour, dans le livre des prières d’Israël, pour accompagner sa vie de tous les instants. Il en va ainsi de la paracha Ki Tissa qui relate la régression du Veau d’or, survenue après le don de la Thora, mais qui relate aussi le plaidoyer de Moïse, le pardon divin et les 13 attributs par lesquels ce pardon se manifeste et est mémorisé en cas de nouvelle passe difficile. Pourtant le début de la paracha ne laisse pas entrevoir, au moins directement, que de pareils événements vont se produire. Il a trait à une série de règles dont le sens n’apparaît pas au premier abord et dont la thématique essentielle est celle-ci.

Au cas où une évaluation du nombre des Bnei Israël deviendrait indispensable, il ne faudrait pas opérer un décompte par tête mais transférer ce décompte sur une pièce de monnaie: non pas un demi chékel, mais un chékel préalablement scindé – ce qui ne revient pas au même. Quel peut être le sens de cette procédure, si ce n’est de ce rituel? Eviter précisément de constituer le peuple d’Israël en une totalité, en une masse, par soi même, pesante, gravitationnelle, portée à l’inertie. C’est pourquoi, indépendamment des règles qui régissent cette procédure et que l’on trouvera explicitées dans le Traité Chékalim du Talmud, il est indispensable de revenir au geste même que la Thora prescrit.

Il porte d’abord sur une monnaie, ou son équivalent, nommée, on l’a dit, chékel, qui comporte son sens propre, lequel se relie sans doute à la racine Ch KL qui désigne ce qui a été pesé, ce qui a désormais une valeur définitive, certes certifiée mais également arrêtée, qui ne suit plus son cours. On relèvera alors l’assonance avec le mot cycle, qui désigne bien un mouvement refermé sur lui même. Cycle vient du grec kuklos qui désigne le cercle. C’est pourquoi la mitsva ici prescrite ne consiste pas à donner un demi-chékel, un h’etsi chékel, mais à scinder un chékel en deux parties. En hébreu le mot moitié: h’étsi n’a pas exactement les mêmes connotations que dans d’autres langues. Ce mot est construit sur la racine H’Ts que l’on retrouve dans le mot H’éTs: la flèche, image de ce qu’est dynamiquement un vecteur. Répétons le: la mitsva ne porte pas exactement sur un h’étsi chékel mais sur le mah’atsit hachekel, celui de l’ouverture du cercle refermé sur lui même au bénéfice du vecteur projeté selon une visée, vers un ailleurs et un après.

L’on comprend mieux à présent le lien d’abord inapparent entre cette introduction et les événements qui vont suivre relativement au Veau d’or, à cette masse opaque, à la boule d’or, compacte, informe et réfractaire qui tire vers le plus bas de la Création en l’enfermant dans un cercle qui, pour être d’un tel métal, n’en est pas moins mortel. Le êgel hazahav et le mah’atsit hachékel se font face comme deux productions antagonistes de l’esprit humain. C’est pourquoi Moïse redescendu du Sinaï et reprenant si l’on peut dire « les choses en main » se saisit du Veau de métal pour avant tout le réduire en poudre, lui ôter sa masse et le mélanger à de l’eau qu’il faudra faire boire aux adorateurs en état d’ébriété idolâtrique pour en vérifier les effets.

Cette même eau qui se trouve mentionnée à propos du khior, du bassin d’ablutions par lequel Aharon et ses enfants – assistants devront passer avant de se livrer aux actes de leur sacerdoce. Il ne s’agit pas ici non plus d’ablutions rituelles ni d’ablutions hygiéniques, lesquelles doivent s’opérer en d’autres lieux. Pour comprendre ce nouveau geste et le relier au précédent, l’on fera observer que le verbe qui le désigne, la rah’tsa – que l’on doit pratiquer d’ailleurs au commencement du séder de Pessah’, est composé des mêmes lettres que le mot ReTsaH’: le meurtre, et sans doute le meurtre collectif, celui qui est prohibé par la 6eme Parole du décalogue: lo tirtsah’. De même que la division projective, vectorielle du chékel – symbole de tout système politique, économique et financier, replace Israël dans l’élan de son histoire, cette forme là d’ablution indique, littéralement, que tout geste sacerdotale digne de ce nom s’accomplira désormais dans la fluence du vivant, une fluence dont l’inversion se passe de commentaires.

                                       Raphaël Draï zal, 26 février 2013

 PARACHAT  TETSAVE par Raphaël Draï zal

In Uncategorized on février 18, 2016 at 9:21

à la mémoire de Guy – Moché ben Simh’a Draï zal

20 Tetsavé

illustration de G. Darmon

(Ex,   27, 20 et sq.)

Si la parachat Michpatim était dévolue à la reconstitution de l’espace extérieur des Bnei Israël, et la parachat Térouma à celle de leur espace intérieur, de leur pnimiout, la parachat Tétsavé l’est à celle de la dimension de hauteur qui les conduit vers le Monde d’en haut. C’est pourquoi elle commence par une injonction: Tetsavé qui reprend le langage de la mitsva. C’est déjà ce qui la différencie de Michpatim où il est dit « Voici les règles de droit que tu disposeras devant eux », sans même l’emploi du verbe dire ou parler, et de la parachat Térouma qui commence par le simple verbe « dire ». Ici il est commandé aux Bnei Israël par la voie de Moïse: « Et ils prendront à ton intention de l’huile d’olivier pure, concassée pour le luminaire afin d’élever une lumière perpétuelle (ner tamid) ». Ce qui signifie, d’une part, que l’Humain ne peut plus se désister de sa dimension de hauteur; que la construire, individuellement et collectivement, est bel et bien une mitsva; et d’autre part que cette dimension là n’est plus géométrique ou spatiale, qu’elle s’inscrit dans un rayon de lumière ascendant qui ne doit plus souffrir d’interruption.

Pourtant comment concevoir, au degré qui reste celui de l’Humain, avec ses limites et ses bornes, cette perpétuité qui est la dimension du temps continu, sans intermittence? Il appartiendra à Aharon, le frère de Moïse, et à ses fils avec lui, d’en faire les préparatifs de la manière suivante: « du soir jusqu’au matin, en principe constant (h’oukat ôlam) selon leurs générations, du sein des Bnei Israël ». Ces indications ne sont pas redondantes. Elles désignent les échelles différentes et complémentaires qui constituent justement celle de la perpétuité vivante, du tamid. Celle-ci ne fait pas l’impasse sur le temps quotidien, celui qui commence le soir et se parachève le matin; le temps de l’au-jour le jour qui est celui de notre vie personnelle, individualisée. Cette dimension ne suffit pas parce qu’une vie individuelle est limitée. Elle se prolonge dans la durée potentiellement infinie qui se constitue d’une génération à l’autre, celle qui constitue le temps collectif d’un peuple doué d’histoire, d’un peuple créateur qui, lui, ne vive pas au jour le jour, à la merci des vents et des courants, comme amas de poussière ou tas de paille. Et cette durée inter-générationelle trouve sa source dans la famille même d’Aharon puisque, ainsi qu’on l’a vu, pour assurer son sacerdoce il doit être assisté de ses propres enfants.

La Présence divine se trouve alors à l’intersection de toutes ces durées pour autant qu’elles soient profondément vécues et ductiles, comme cette huile sans déchets, ni grumeaux, par laquelle la lumière non seulement se transmet mais ne s’éteint pas en un instant, dure à son tour. Et l’on soulignera qu’à cette fin tout doit provenir du peuple des Bnei Israël sans réserve, ni non plus aucun déchet ou grumeau.

C’est de cette même huile que devront être oints les vêtements du Cohen et c’est Moïse qui devra en revêtir son propre frère. Avec l’abscisse, l’ordonnée. Les implications de ce geste sont considérables. Elles éclairent au plus haut degré la signification de la fraternité. La fraternité vécue elle aussi se reconnaît au fait d’avoir ensemble surmonté bien des épreuves mais également par le fait qu’un véritable frère est celui qui habille, en cas de besoin, celui qui est appelé du même nom, qui le protège, qui traverse avec lui les mauvaises passes, et ouvre avec lui les chemins du ciel.

Et c’est pourquoi lorsqu’il s’est agi de la confection des panneaux de bois du Sanctuaire et de ses tentures, puis de leur assemblage, c’est le langage de la fraternité; ah’dans un cas, ah’ot dans l’autre, auquel le texte recourt, sans besoin d’aucune autre image ni symbole.

                   Raphaël Draï zal, 17 Février 2013

Commentaire de la PARACHA TEROUMA

In Uncategorized on février 11, 2016 at 10:07

 19Térouma

Comment se forme et comment se constitue un peuple qui se veuille à la fois libre et responsable? Il ne faut jamais croire que cette construction s’opère d’un coup, en ne privilégiant qu’une  seule de ses dimensions, au détriment d’une autre. C’est une leçon de cohérence que nous propose cette  nouvelle paracha.

La précédente, consacrée aux michpatim, concernait surtout les régulations externes du comportement, encore que dans la condition humaine l’extérieur et l’intérieur ne se dissocient jamais sans mutilation ou à tout le moins sans appauvrissement de l’être. Il s’agit surtout de mettre l’accent plus fortement sur l’une ou sur l’autre. L’on peut alors penser que la parachat Térouma concerne électivement l’intériorité humaine, celle de la profondeur de l’esprit et des perspectives de l’âme.

C’est pourquoi l’invitation divine initiale porte effectivement sur l’intériorité, le tokh, du peuple en général et de chaque Bnei Israël en particulier. Cette invitation à construire un Sanctuaire n’est pas relative à celle d’un temple dans lequel le Créateur serait pour ainsi dire assigné à résidence. Elle porte sur ce qui, en chacun et en chacune,  se désigne comme sa plus grande profondeur vitale. La vie d’un esclave est privée de cette  dimension là. Un esclave ne s’appartient pas. Il doit s’exécuter sur le champ et dans l’instant. Peu à peu, il désapprend à parler et son esprit est comme s’il n’était pas. Pour  que sa libération soit effective, il doit reconstituer cette profondeur particulière, qui est celle de la pensée vivace et celle de la réflexion.

D’ordinaire plus la profondeur augmente, plus l’obscurité augmente aussi. Pour l’esprit et pour l’âme c’est exactement l’inverse. Plus grande est sa profondeur, plus intense sa luminosité. Si le Créateur invite à une édification ainsi conçue, c’est afin que le cœur de chacun et de chacune soit sollicité et en l’étant, qu’il se prouve à lui même sa réalité et qu’il se développe.

A partir de quoi, de même que dans le Gan Eden l’Humain (Haadam) était convié à se nourrir de tout arbre qui y avait été implanté, avec l’exception de l’arbre toxique, la construction du Sanctuaire devra se faire avec pratiquement tous les éléments de la Création, en partant du coeur volontaire et disponible, et en passant méthodiquement, du règne minéral, au règne végétal et au règne animal. Avec l’exception du fer, commis à d’autres usages, le plus souvent contraires à la construction et au lien. L’homme libre dispose ainsi d’une série de matériaux qu’il devra ordonner  et combiner selon un plan, un tavnit, de pensée pure, de mah’achava; non pas seulement de pensée analytique mais de cette autre forme de pensée,d’un ordre supérieur, que le texte nommera « la sagesse du cœur (h’okhmat lev) ».

Cette approche conduit à une autre considération d’ordre méthodologique. Toutes les parachiot qui vont suivre comportent des énumération parfois fort longue d’actes, de gestes, d’assemblages, de matériaux aussi, dont l’on ne comprend pas toujours l’ordre interne. Cet ordre existe. Il faut savoir le discerner à partir de cet éclairage premier et se demander chaque fois: « Quelle est la logique interne de cette énumération? Où se trouve la structure latente de cette série de prescriptions?». C’est cette façon de faire et de voir que le texte qualifiera  non pas de pensée, à une seule dimension, mais littéralement de «pensée de pensée»  (lah’chov mahachavot) ». On doit relever que dans sa Métaphysique (Livre L), et dans son contexte propre, Aristote désigne de la sorte la plus haute aptitude l’intellect. Chaque être se sachant doué d’un corps, d’un esprit et d’une âme doit y tendre, dans sa dimension interne et dans sa dimension externe qui devient électivement une dimension de hauteur.

Raphaël Draï  zal, 11 Fevrier 2013