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Paracha Tsav

In Uncategorized on mars 21, 2019 at 10:48

(Lv, 6, et sq)

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Cette paracha est doublement importante, par son contenu propre et par son lien avec le  Chabbat Hagadol qui précède Pessah’, et d’ailleurs il y est aussi question ici de matsot, de pain azymes, à pétrir et à consommer par les cohanim, et plus particulièrement par les fils d’ Aharon, le Cohen gadol.

Mais elle commence par une prescription fort importante qui concerne la ôla, la liturgie ascensionnelle, qui doit se poursuivre toute la nuit, tandis que le feu de l’autel doit brûler sans intermittence, et être alimenté chaque matin. Cette prescription s’énonce en ces termes : «Un feu perpétuel (ech tamid) sera entretenu (toukad) sur l’autel, il ne devra point s’éteindre (lo tichbé) (Lv, 6, 6)».

Le sens de pareilles prescriptions pourrait paraître anthropologique et concerner l’état  actuel d’un peuple à peine sorti de l’esclavage, accédant non sans mal à la liberté des corps et à celle de l’esprit. Ces rituels là seraient alors strictement didactiques, sans transcender le temps où ils furent institués. Une  telle vue serait superficielle. Le terme même de ôla, formé sur le radical ÂL, élever, indique au contraire qu’au delà de tous les korbanot individuels ou même collectifs, se plaçait  cette liturgie d’élévation, d’ascension et de transcendance qui devait commencer le soir, lorsque la lumière du jour reflue et laisse place à l’obscurité, jusqu’au matin. Comme si la ôla devenait l’équivalent d’un  maor, d’un luminaire.

En quoi plus précisément une telle intention transcendante se discerne t-elle? En ce qu’elle ne s’accommode pas des temps où la lumière ne brille pas d’elle-même. Il faut rappeler, justement en termes d’anthropologie religieuse, que dans la religion égyptienne, s’il faut ainsi la dénommer, d’où le peuple des Bnei Israël est sorti, la nuit était particulièrement angoissante où refluaient tous les monstres du sous–monde. La liturgie de la ôla surmonte cette disparition de la lumière du jour en instituant une lumière spécifique, de nuit, la nuit de la conscience. Et s’il faut insister sur une telle continuité, c’est que la liturgie nocturne de la ôla doit s’opérer à partir d’un feu allumé dès le matin (baboker), et qualifié en tant que tel de perpétuel, tamid, pour bien souligner que les différentes phases du temps cosmiques ne provoquent pas l’hétérogénéité du temps de la Création divine ; que toutes les temporalités particulières et locales retrouvent leur cohérence d’ensemble dans la volonté de perpétuer une clarté inextinguible, pour peu qu’on l’entretienne.

Et c’est pourquoi deux verbes sont employés  à son propos : d’abord  ce feu devra être entretenu : toukad, positivement. La traduction en langue française ne rend pas tout à fait compte des connotations de ce verbe en hébreu puisqu’il est construit sur le  radical KD que l’on retrouve dans KoDeCh ; comme si ce feu devait être non pas dévorant mais sanctificateur. Ce premier verbe se rapporte à la qualité intrinsèque d’une  telle source de lumière et d’énergie.

L’autre verbe sous sa forme négative se rapporte cette fois à l’attention humaine, au sens de la responsabilité par laquelle la notion de garde, de chemira,  trouve toute sa résonance. L’on devra donc se garder de laisser ce feu – référence de l’esprit et de l’âme – s’éteindre. Et cela non par à coups mais perpétuellement. La vie de l’esprit comme l’histoire du peuple d’Israël s’inscrivent ainsi dans la longue durée, vers l’éternité, le tamid se profilant vers le netsah’.

Les fils d’Aharon devront de leur côté confectionner avec de la farine issue d’offrandes des matsot, des pains non levés, le h’ametz, le levain, désignant l’effervescence, le gonflage sans augmentation de substance, l’équivalent de l’alcool dans le vin, l’alcool dont il devront se garder à leur tour avant de procéder aux actes qui relèvent du service divin. Par suite, si pour l’ensemble du peuple la consommation exclusive de telles matsot, avec ce qu’elles symbolisent et qui est rappelé lors du séder de Pessah, n’est prescrite que durant huit jours, elle l’est à titre quotidien et en somme perpétuel pour les cohanim, sachant que tout le peuple est lui même qualifié de mamlekhet cohanim, de souveraineté pontificale, le mot pontife prenant à son tour son sens du mot pont, de cette construction humaine  qui relie l’ici  et le là-bas, l’homme et son prochain, l’homme et le Créateur.

Raphaël Draï zal 21 mars 2013

PAR TEMPS D’ÉPREUVE : L’ESPRIT DE POURIM

In Uncategorized on mars 19, 2019 at 10:39

Alors que la communauté juive de France s’interroge sur son avenir, il importe de garder à l’esprit des repères essentiels, et cela sans s’adonner au mélange des genres, celui qui mène à substituer la théologie à la politique. La célébration de Pourim en donne l’occasion. Elle marque en premier lieu la conversion sensible et palpable de l’hiver au printemps. Cette conversion là n’est pas seulement climatique. Elle souligne en effet un état d’esprit, celui qui inspire une forme aiguë et intense de résistance morale face aux multiples visages et langages de l’antisémitisme. Il faut bien comprendre que ce fléau n’est ni circonstanciel, ni accessible à la raison. Il est inhérent à la manière aberrante dont s’est constituée l’identité occidentale durant plus deux millénaires. Lutter contre l’antisémitisme exige que l’on ait le souffle long et qu’on ne s’étonne pas, après chaque victoire contre ses sbires, qu’il reprenne sans cesse, si l’on peut dire, du poil de la bête, et quelle bête puisque le livre de Job laisse le choix entre Léviathan et Béhémoth! Pourtant nous ne vivons plus au temps de Pharaon ou de Haman. Nous vivons au temps de l’Etat d’Israël ressuscité après vingt siècles d’exil et de dispersion. Déjà, lorsque le peuple juif s’est retrouvé pulvérisé parmi les nations et exposé aux lubies de potentats divinisés, il s’est trouvé des êtres à la fois inflexibles et capables de prier, comme Mardochée et Esther lorsqu’ils surent faire face à une adversité qui s’annonçait fatale. Rien ne les fit plier, pas même le sentiment de peur sans lequel un être de sang et de chair ne saurait pas vraiment ce qu’est la condition humaine. Cette capacité de résistance morale procédait également et indissociablement d’une intelligence vive de la situation du peuple juif et de son environnement mortel. Car cet environnement là était simultanément traversé par des contradictions majeures entre intérêts personnels, statuts politiques, ambitions forcenées, qui ne tarderaient pas à se manifester férocement. En ce sens, Mardochée comme Esther furent des personnalités prophétiques si le prophète se définit aussi par la capacité de percevoir l’instant décisif, celui à partir duquel une époque bascule, une situation se renverse et que les juges du trop fameux tribunal de l’Histoire réalisent qu’ils vont à leur tour être jugés. Aujourd’hui en France, la communauté juive vit pratiquement en état de siège. Nul ne peut prédire l’impact de cette « bunkérisation » insensée en plein XXIème siècle sur le psychisme d’enfants qui doivent de toutes façons ne pas manquer la classe. La stratégie des antisémites de tous acabit est de leur mettre la vie à charge. C’est justement dans ces circonstances que sa propre histoire spirituelle lui procure les ressources d’une résistance exemplaire. Car statistiquement parlant tous ceux qui au long des siècles ont tenté de l’exterminer ont fini pendus ou carbonisés. En attendant, il faut discerner les deux affects essentiels de Pourim et s’y tenir fortement: le courage et la joie. Car comme y insistent les Sages d’Israël: si la peur est contagieuse, la joie est communicative.

Raphaël Draï zal, Radio J, 2 mars 2015.

LE SENS DES MITSVOT: Vayikra

In Uncategorized on mars 15, 2019 at 12:32

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« … si quelqu’un d’entre vous veut offrir au Seigneur une offrande de bétail (…) il appuiera sa main sur la tête de la victime et elle sera agréée en sa faveur pour lui obtenir propitiation ». (Lv, 2, 4).

«Quelque oblation que vous offriez à l’Eternel, qu’elle ne soit pas fermentée car nulle espèce de levain ni de miel ne doit fumer, comme combustion en l’honneur de l’Eternel». (Lv, 2, 11).

Traduction de la Bible du Rabbinat.

Comme bien des prescriptions contenues dans le Lévitique, le sens de celles-ci pourrait paraître abscons et ésotérique, se rapportant aux fameuses « lois cérémonielles » qui ont suscitées les critiques et parfois les sarcasmes des spinozistes notamment. Ce qui définit une exigence spirituelle et pédagogique supplémentaire pour en faire comprendre le sens. En l’occurrence ces versets qui peuvent paraître on ne peut plus « ritualistes » comportent des significations d’une exceptionnelle importance par elles-mêmes et par leur complémentarité. Qu’en est-il des premiers?

Ils situent avant tout la polarité fondamentale d’une responsabilité essentiellement personnelle. Bien sûr, l’édification du Sanctuaire a doté le peuple d’un lieu de rencontre électif avec la Présence divine. Grâce au Sanctuaire, l’approche, la hitkarbout de cette Présence devient effective et praticable. Il n’empêche que, quels que soient les préparatifs et l’assistance des Cohanim, le korban proprement dit relève de la responsabilité singulière de qui doit l’accomplir en s’acquittant des obligations qui y sont liées. C’est pourquoi il devra assurer de ses propres mains le contact avec l’animal dévolu à cet effet, pour bien marquer la continuité à la fois matérielle et symbolique entre cet animal et lui.

Ainsi sont intégrés les différents niveaux du vivant appelé à la sanctification, à la kedoucha. Cependant, et dans tous les cas, il faut conserver le sens de la mesure, éviter toute forme d’exaltation ou d’excitation qui altérerait ce processus d’approche graduelle, lequel se rapporte à un développement temporalisé de l’esprit et à un contrôle corrélatif des pulsions. Car l’esprit lui-même a ses propres troubles qui interfèrent avec ceux de la vie qualifiée de matérielle.

De ce point de vue, le texte du Lévitique, s’il incite à se libérer des enchaînements pulsionnels et des gravitations de la matérialité, nous met en garde contre les tentations de ce que l’on pourrait appeler le « quintessentiel ». A cet égard, le levain et le miel doivent être exactement dosés car ils indiquent comment les substances changent d’aspect mais sans se transformer et pourquoi les produits purs qui résultent déjà d’une extrême élaboration préalable ne doivent pas en outre servir à une « hyper- purification ».

Une sublimation outrancière confinerait à l’ébriété et conduirait si l’on n’y prenait garde à chuter d’aussi haut que l’on avait cru s’élever. Le miel en soi est déjà un produit pour ainsi dire sublime, du goût à l’état pur. Faute d’un dosage exactement mesuré il peut s’avérer vomitoire. Point besoin de le sur-sublimer.

On aura noté enfin l’articulation interne de ces différentes mitsvot. En appuyant ses mains sur la tête de l’animal voué au korban, puis en dosant exactement le levain et le miel, c’est toute l’échelle du vivant et de l’esprit qui l’anime qui se trouve ainsi parcourue. Ce qui explique l’agencement structural des versets correspondants. En commençant par appuyer ses mains sur la tête de l’animal l’on se situe au point de départ d’un travail qui devrait mener jusqu’aux expressions les plus hautes de la spiritualité. Mais attention à ce que les spécialistes de la montagne qualifient « d’ivresse des sommets ». Noé en personne n’a pas su s’en garder et l’on sait ce qui a suivi (Gn, 9, 21).

Ce n’est pas pour autant que la première étape soit « primitive » ou triviale. Car c’est bien sur la tête de l’animal que les mains doivent en premier se poser et l’on sait que dans l’univers biblique, aux initiaux degrés du vivant, l’humain et l’animal sont strictement solidaires et requièrent conjointement la sollicitude divine.

 Raphaël Draï zatsal, 6 mars 2014

Le sens des mitsvot : Pekoudé

In Uncategorized on mars 7, 2019 at 8:33

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«Quant aux mille sept cents soixante quinze sicles, on en fit les crochets (vavim) des piliers, la garniture de leurs chapiteaux et leurs tringles» (Ex, 38, 28). Traduction de la Bible du Rabbinat.

La traduction précitée est un bon exemple de ce qui se perd du texte biblique lorsqu’il n’est pas abordé directement en langue hébraïque, dans la sûre intelligence des notions et concepts qu’il utilise. De quoi est-il question? Non plus de la conception du Sanctuaire mais de la confection de ses divers composants puis de leur assemblage, avant leur montage conclusif. A première vue nombreuses sont les répétitions qui alentissent ce récit, depuis la première paracha consacrée à ce sujet: la paracha Térouma. Nous sommes incités à une attention plus soutenue une fois éclairée sa logique d’exposition car il ne s’agit pas des mêmes niveaux narratifs et explicatifs. C’est pourquoi la paracha Pekoudéi commence par rappeler qui furent les maîtres d’oeuvre de toute cette affaire concernant le Monde d’en-haut et le Monde d’en-bas: Betsalel fils de H’our et Oholiav fils d’Akisamakh, assistés de quiconque au sein du peuple était «savant de cœur». Autrement dit, toutes les opérations intellectuelles et techniques entrant dans la construction du Sanctuaire devaient réaliser chacune à part soi, puis toutes ensemble une oeuvre de pensée, de mah’achava, l’opposé du Veau d’or coulé d’un seul métal, une effigie d’une seule pièce, matérialisation non d’une réflexion mais d’un passage à l’acte. On comprend mieux aussi pourquoi le Sanctuaire résulte à son tour d’un assemblage, qu’il ait fallu coudre ensemble des tentures, ajointer des panneaux, réunir des pièces confectionnées d’abord chacune pour elle même. Aussi, et dans le même ordre d’idée, le mot «crochets», utilisé dans cette traduction, abrase-t-il le sens du terme hébraïque originel: vavim. Bien sûr par définition et par destination un crochet est destiné à conjoindre deux éléments distincts, à les mettre en contact de sorte à former par leur conjonction un élément nouveau. Mais précisément pourquoi cette pièce particulière se nomme t-elle en hébreu vavim?

On aura immédiatement observé que ce mot est le pluriel de vav, de la lettre ainsi nommée dans l’alphabet hébraïque. Où cela conduit-il? Aux différents réseaux de sens que cette lettre engage. La lettre vav est la sixième de l’alphabet et correspond aux six premières phases de la Création, les phases actives, lesquelles de ce fait ne constituent pas une simple succession d’opérations surajoutées les unes aux autres mais ce qu’il est convenu d’appeler une séquence, dotée d’une logique et d’une cohérence internes. La lettre vav est bien, en ce sens, la lettre de la conjonction, celle qui rapporte l’un à l’autre en les articulant des éléments autrement disparates et inopérants. L’articulation est l’un des signes les plus visibles et les plus tangibles de la vie. Sans articulation pas de voix, pas de langage, pas de gestes coordonnés, pas de conduite adaptative, pas de combinatoire mentale, etc. Toute la Genèse est placée sous ce signe: «Au commencement l’Eternel créa les cieux ET la terre» (Gn, 1, 1).

Si, dans la confection du Sanctuaire, des éléments particuliers de celui-ci sont nommés vavim, c’est bien pour l’insérer dans la symbolique créatrice que l’on vient de souligner. Symbolique de pensée mais qui éclaire aussi, et de l’intérieur, la symbolique sociale du peuple d’Israël. Car on aura également observé que la lettre VaV s’écrit elle- même avec deux VaViM. Répétition? Redondance? Certes non, mais indication particulièrement parlante selon laquelle, à la différence de l’image induite par le «crochet», une véritable conjonction et une réelle articulation s’obtiennent non par l’assujettissement d’une pièce principale à une pièce secondaire mais par le chevillage de deux pièces d’égale importance, placées l’une en regard de l’autre, en position de réciprocité.

Une réciprocité qui ajoute une valeur supplémentaire à ces deux pièces-là et les exhausse à un niveau de signification et d’efficacité plus élevé encore puisque l’addition des deux lettres vav forme le chiffre 12, celui des composantes du peuple d’Israël, du nombre de ses «rameaux», des douze chevatim, ce terme étant préférable à celui de tribu, mot d’origine romaine et qui se rapporte, comme son nom l’indique, au chiffre 3.

D’autres niveaux de signification sont encore discernables lorsqu’on aura rappelé que la lettre VaV est la lettre pivot du nom de Lévi, un nom qui sera donné au «rameau» sacerdotal par excellence d’où sont issus les cohanim. Or cette même lettre se retrouve dans toute la terminologie hébraïque de l’éthique, du soutien à autrui et des son accompagnement durant toutes les phases de sa vie, surtout lorsqu’elles sont semées de difficultés et d’obstacles (alVaa, leVaya, etc..)

Ce qui culmine à une dernière remarque conclusive dans le cadre de cette analyse: dans l’alphabet hébraïque la lettre vav suit immédiatement la lettre hei, symbolique de la Présence divine et ces deux lettres se succèdent tout aussi immédiatement dans le Tétragramme.

Toutes ces indications ne constituent pas les degrés ascendants d’on ne sait quel ésotérisme mais les degrés successifs d’une autre échelle: celle de la responsabilité interhumaine dans une Création ouverte et vivace.

Raphaël Draï zal, 26 février 2014

POUR LA REPUBLIQUE, BIEN ENTENDU (E) – Arche Novembre 2003

In Uncategorized on mars 4, 2019 at 10:17

« La vérité en marche », tel est, l’on s’en souvient, l’un des articles les plus célèbres de Zola, écrit durant l’affaire Dreyfus. D’où vient la force de la vérité, et son endurance marchante, sinon de son lien intrinsèque avec la réalité qu’elle proclame ? Si Dreyfus n’avait pas été réellement innocent, la vérité attachée à sa cause se fût dissipée comme un nuage inconsistant. Autres temps mais attitude identique, à plus d’un siècle de distance. Lorsque, au début de l’automne 2000, après le déclanchement de l’Intifada à la française, l’alerte à un antisémitisme nouveau fut lancée, et cela sans aucune concertation entre ceux et celles qui ne crurent pas devoir garder le silence à son sujet, ce signal, anxieux et insistant, n’eut pas, ou eut peu, d’effets immédiats. Contre l’évidence : personnes agressées à raison de leur apparence physique, tentatives de déprédation et incendies criminels d’écoles juives et de synagogues, climat de haine grandissante, la réalité de cet antisémitisme fut minorée lorsqu’elle ne fut pas carrément ignorée. Pourquoi crier ainsi au loup alors qu’il fallait seulement déplorer quelques « incivilités », explicables, sinon toujours excusables, par la déréliction des Cités, et forcément passagères ?  Depuis le changement de gouvernement, en avril dernier, le ton des pouvoirs publics s’est quelque peu modifié avec sans doute l’analyse de l’état effectif des lieux. Qu’en est –il réellement de la République ? Celle-ci peut –elle s’accoutumer à voir une partie de ses membres vivre dans le tourment et dans l’incertitude ? Dans ce cas la République ne mériterait plus son nom puisqu’elle ne serait plus « la chose de tous ». L’antisémitisme nouveau n’est donc plus dénié. Les explications qui en sont données ne relèvent plus d’une sociologie de bazar. L’accusation de « communautarisme »  proférée pour tenter de faire taire les sentinelles n’est plus complètement de mise. Et pourtant, si l’antisémitisme a mis la sourdine, l’antisionisme qui le relaye fait toujours rage, reproduisant les formes mentales et les rationalisations de l’antisémitisme habituel. Lors de son intervention au dîner du CRIF, le nouveau premier Ministre J.P. Raffarin a parlé net. Apparemment édifié, il a condamné sans circonlocutions ce nouvel antisémitisme qui trouverait désormais face à lui la détermination sans faille des autorités en charge de la République. La République, certes ! Qui a pu douter que dès les agressions de l’automne 2001, c’est bien de son sort qu’il a été question et non pas de la défense égocentrée de la communauté juive, en mal de ghetto ? Et d’ailleurs, quoi ? Dans une République digne de son nom, où le phénomène associatif est aux fondements de la société civile, est-il exorbitant qu’une communauté, envisagée dans son sens légal, défende son existence lorsqu’elle est menacée et se soucie de son devenir, surtout lorsqu’elle sent revenir des temps de solitude et d’abandon ? Dans ces mêmes colonnes de L’Arche n’a-t-on pas maintes fois rappelé que la communauté juive de France, pour l’essentiel, était organisée selon les grandes lois de 1901 et de 1905, vitales pour nos libertés publiques ? Faudrait-il abroger ces lois sous prétexte que la définition de leur objet est dénaturée par les ennemis de cette communauté alors que la transparence de celle-ci est exemplaire, que sa réussite associative est si avérée qu’elle sert de repère et parfois de modèle pour l’organisation de la population musulmane dont le nombre est dix fois plus important que le sien ? En vérité et en réalité si le nouvel antisémitisme a été immédiatement identifié et analysé en tant que tel, avant d’être dénoncé ; s’il fait l’objet d’une vigilance sans intermittence, ce n’est pas seulement, répétons-le, parce qu’il afflige les citoyens français de la seule religion juive .C’est aussi, et de manière indissociable, parce qu’il est le symptôme putrescent d’une mise en cause des principes républicains eux-mêmes, en ces temps de trouble où ils doivent être sauvegardés avec les valeurs qui les confortent . De ce point de vue, minimiser les attaques, physiques ou verbales, dirigées contre la communauté juive, ou qui tentent de l’atteindre dans ses attaches viscérales n’aboutira qu’à la ruine du régime de bien commun qui fonde une citoyenneté réelle dans une République qui ne soit pas d’apparence. Pour bien le comprendre, commençons par les manifestations de violence physique. A quel titre sous-qualifier en « incivilités » de dangereux passages à l’acte? Au-delà de leurs cibles premières, ne révèlent-ils pas, chez leurs auteurs, le peu de respect des lois de la République et le retour du règne de la force brute ? Par cécité idéologique ? Par préjugé d’une autre nature encore plus trouble envers la communauté juive ? Si celle –ci est identifiée à un « lobby », il va de soi que les propos et que les gestes qui en proviennent seront suspects par définition. Mais au nom de quoi ferait –on prédominer une identification de cette sorte, aussi malveillante ? Quoi qu’il en soit, ces passages à l’acte furent trop longtemps attribués à d’autres causes que les leurs, et fortement lénifiantes. Par suite, comme il était à redouter, ils se reproduisirent à grande échelle en mars 2002, provoquant cette fois l’immense protestation publique des Juifs de France. On se souvient d’un des principaux slogans des manifestation du 7 avril 2002 : « Synagogues brûlées, République en danger ». Pourtant ces manifestations considérables firent à leur tour apparaître les failles de la République en péril. Ni le Président de la République, ni le premier Ministre d’alors n’y avaient participé prétextant qu’elle n’était pas « exclusivement » dirigée contre l’antisémitisme mais qu’elle se proposait également de dire la solidarité de la France pour le peuple israélien, frappé par des attentats -suicides si aveugles et sanglants qu’ils contraignent à redéfinir la barbarie. De cette façon aussi la République était, en effet, de nouveau mise en cause. En somme, les plus hautes autorités de l’Etat conditionnaient leur propre sollicitude à l’endroit de la communauté juive par des conditions expressément politiciennes. Plus grave encore : elles tentèrent de déjuger les responsables de cette communauté en donnant un écho démesuré aux déclarations de personnalités excipant de leur qualité de « juifs » mais pour se démarquer outrancièrement de la communauté instituée par les lois de la République, cela au motif stupéfiant que ces personnalités étaient, elles aussi « juives ». En d’autres termes, et dans ce seul cas, une opinion n’était pas défendue pour sa pertinence propre mais en raison de l’origine de son auteur, origine que l’on ne saurait qualifier autrement que de raciale puisque nombre de ces personnalités dénient à la cantonade tout lien identitaire avec la religion juive et ses pratiques, ou avec la communauté juive et ses institutions légales. Sous le regard de l’Islam. De la sorte, d’une même pierre plusieurs mauvais coups étaient perpétrés. Il suffisait de se proclamer à son de trompe « non jewish Jew « comme aurait dit Isaac Deutscher, pour être érigé sur le pavois des héros. En contre- champ, la communauté juive était représentée sous les aspects d’une entité totalitaires, au sens de E. Goffman, interdisant tout dissentiment dans ses rangs, raréfiant la pensée libre. Ce dispositif idéologique faisait ainsi apparaître en pleine République le nouveau « bon juif », bien en cour médiatique, et digne d’être présenté aux dieux de l’opinion publique : agnostique, apraxique, nihiliste et décirconcis. La Grèce syriaque d’Antiochus Epiphane avait en son temps instauré des pratiques de ce genre. Elle ne se prétendait pas républicaine. On mesurera un jour combien cet « anti-communautarisme » de horde a couvert d’ignorances retorses, de fantasmes destructeurs ; à quel point la hargne ratiocinante y a pris les relais d’une haine immémoriale ; et à quel point aussi des juifs, en phase d’extinction identitaire, ont tenté, comme l’a écrit Eluard à propos d’autres désespérances prédatrices, de se suicider en autrui.

Cependant, l’autre danger mortel pour la République a pris les traits de la tentation démagogique. La démagogie se définit comme la perversion de la vérité au profit du grand nombre, instaurant de la sorte le règne régressif de « la quantité ». Tel a été le sens du fameux rapport de Pascal Boniface aux dirigeants du P.S. Ses intentions profondes y apparaissait dans un clarté d’arc électrique : une fois encore stigmatiser la communauté juive à cause de sa solidarité pour Israël ; puis attribuer cette solidarité à des mobiles inavouables, enfin annoncer la sanction inévitable mais non pas imméritée : sa marginalisation dans la République. Dès lors la ligne semblait fixée à l’attention les stratèges du P.S : reléguer cette population d’irresponsables dans le passé politique et ne pas risquer de s’aliéner les faveurs électorales des musulmans de France. Là encore : charger la communauté juive du péché de « communautarisme » aboutissait, à fronts renversés, à la cynique promotion d’une politique que l’on ne saurait qualifier autrement que d’ethnique puisque flattant une partie de la population au détriment d’une autre sur des critères exclusifs d’appartenance confessionnelle. Dans tous les cas, en cette logorrhée, frappe le défaut de pensée qui n’est jamais bon signe pour la santé du régime républicain. Les jugements n’y sont pas formés par informations et analyses contradictoires mais en réaction primaire à des stimuli télévisuels et par réactivation bienvenue de préjugés ancestraux. L’antisionisme y apparaît de plus en plus nettement comme un déplacement, au sens psychanalytique, d’un antisémitisme obsessionnel, qui ne supporte plus ses interdictions de séjour à l’air libre. La bonne conscience, liée avec la mauvaise foi, engendre là un véritable terrorisme « intellectuel ». Que vaut une République où la liberté de penser et de parole n’ont plus court ? Où, pour être seulement autorisé à parler, il faut commencer par montrer patte blanche et l’équivalent d’un certificat de baptême intellectuel ? Où, quoi que l’on ait à dire, il faut obligatoirement commencer par décliner un axiome raboté en langue de bois, obligatoirement dirigé contre la communauté juive et contre l’Etat d’Israël ? Exemple de ces échanges sous censure préalable : question « Quel temps fait-il aujourd’hui ? » Réponse : « Légèrement couvert mais, vous savez, je suis contre le communautarisme juif ! ». Ou encore : question « Que pensez-vous des commentaires de Charles du Bos sur Henry James? » Réponse : « Un peu court mais, vous savez, je suis pour un Etat palestinien ». Ce qui passe pour grandeur d’âme ou lucidité trahit en réalité la pire des aliénations puisqu’il faut maintenant se placer par principe dans les vues du procureur pour être admis à lui donner … raison.  De septembre 2000 au printemps 2002, lentement le statut des Juifs de France se sera ainsi érodé au sein de la République française qui a eu de longs mois l’oreille ailleurs. Est-il en voie de réparation ? L’on imaginait que le changement de gouvernement allait en donner l’assurance et les moyens. Fragile espoir puisque des professeurs de faculté ont pris la relève des casseurs palestinophiles. Depuis mai 2002 et le vote inaugural de l’Université Lille I, l’on aura donc vu des universitaires français se réclamant de la gauche et de la laïcité tenter d’exclure globalement leurs homologues israéliens de l’espace d’enseignement et de recherche européen. Paris VI a suivi Lille I. Paris VII a résisté mais Grenoble et Montpellier n’ont pas failli. Là encore point n’est besoin de rechercher des causes rationnelles à de telles conduites. Celles-ci ne sont que des formes modernes d’excommunication, avec de faux- airs de vrai pogrom. Pourquoi y a-t-il danger pour la République ? Des enseignants et des chercheurs, placés sous l’égide scientifique et spirituelle de Pierre et Marie Curie, de Pierre Mendès France et de Paul Valéry, mais auto – constitués en tribunal sans défenseurs s’autorisent à « sommer » leurs collègues d’Israël de prendre position « clairement » sur le problème palestinien. Au Moyen Âges les frères prêcheurs et les officiers de la sainte Inquisition mettaient déjà en demeure les maîtres du Talmud de reconnaître la divinité du Fils de Dieu sous peine de brûlement et de bannissement. Pour une extrême gauche en pleine Bérézina idéologique, la cause palestinienne est devenue l’équivalent de ces « voitures béliers » utilisées dans les « casses » de zônards. Passe encore, si l’on pouvait être sûrs que c’est bien le sort des palestiniens dont elle se soucie.  Le sentiment prévaut plutôt que l’Islam comme la « palestinophilie » servent à ne pas perdre complètement pied sur une scène politique qui n’a pas fini de liquider les faillites de 1989 et de 1991. Une fois Marx réduit en cendres, Mao et Guévara réduits à l’usage d’icônes pour T-shirts jetables, au lieu de procéder à un effort de conscience, il vaut mieux s’adonner à d’autres mythologies. Au risque d’ouvrir la boite de Pandore des extrémismes engrenés. Mais la république est-elle encore le moindre souci de ces nouveaux croisés de l’antisionisme qui sont en train de transformer les campus en nouvelles ZEP et l’Etat d’Israël en Ante-Christ? Quels qu’en soient les slogans et les expédients, la démagogie est mortelle pour la démocratie. L’Intifada II a révélé combien les images fabriquées, parfois trafiquées, par des journalistes en mal de mise en scène pouvaient tenir lieu de réalité. La croyance, ou plutôt l’auto- persuasion, qui en est une forme dégradée, est en train de se substituer à tout examen et à toute vérification y compris dans les lieux supposés dispenser les savoirs validés. Néanmoins, et serait-elle falsifiée, la réalité ne disparaît pas pour autant. Pour bien le mesurer il faut revenir aux dernières élections présidentielles. A-t-on déjà oublié le score obtenu par le candidat du FN au premier tour de ce scrutin ? Feint-on de croire que les cohortes d’électeurs qui ont décidé de faire le pas vers le leader d’extrême droite aient disparu par enchantement démocratique ? Que Jacques Chirac ait obtenu sur son seul nom et sur son bilan politique près de 80% des suffrages ? A-t-on déjà oublié aussi que J.M. Le Pen a devancé Lionel Jospin dans les intentions de vote des Français la semaine même de la seconde vague d’attentats contre la communauté juive, attentats dont cette fois les médias n’avaient pas pu ne pas rendre compte ? Il faut y être particulièrement attentifs : en raison de son importance numérique la population musulmane est entrain de susciter auprès des petits maîtres de la calculette politico-médiatique des « effets d’aubaine » particulièrement pervers. Pourquoi pervers ? Si le grand nombre fascine il inquiète du même coup. Autrement, pourquoi plus que jamais les pouvoirs publics incitent-ils l’Islam de France à s’organiser, à se donner de véritables représentants qui soient ses interlocuteurs responsables dans cette entreprise vitale qu’est son intégration dans la République ? Et quelle peut être la base légale de cette organisation sinon celle que résulté de l’application des lois de 1901 et de 1905 ? La République semble décidée à ne plus perdre, ni même concéder, aucun de ses territoires. Les signaux en ce sens se font insistants. En 1989, le Conseil d’Etat avait rendu un avis mesuré sur le port du voile islamique. Aujourd’hui sa jurisprudence est plus contraignante. Porter le voile n’est plus compatible avec un emploi public. De plus en plus l’imputation de communautarisme, se déplace. Jusqu’à présent, il a été plus facile et plus expédient de se défausser des troubles de la République sur la seule communauté juive alors que celle-ci n’a eu de cesse que de donner des gages de son attachement à la République. Il n’est pas exclu que certains islamistes radicaux ne perçoivent l’actuelle islamophilie des ennemis d’Israël et les arabesques de la diplomatie française moins comme un signe de respect que comme un signe de faiblesse. Une faiblesse qui les incitera non pas à intégrer la République mais pour le coup à la désintégrer. Depuis l’automne 2001 les avertissements n’auront pas manqué.

 Raphaël Draï, Novembre 2003