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LE SENS DES MITSVOT: PARACHA VAYICHLA’H

In Uncategorized on novembre 30, 2023 at 6:19
8 Vayichla'h 14Texre

« Il donna aussi un ordre au deuxième, ainsi qu’au troisième, ainsi qu’à tous ceux qui suivaient les troupeaux, en disant: « C’est de cette façon que vous parlerez à Esaü quand vous le rencontrerez. Et vous direz: «Voici ton serviteur (âvdékha) Jacob est aussi derrière nous ». Car Il disait: « Je veux l’apaiser (akapéra panaiv) par le présent (béminh’a) qui me précède et ensuite je me présenterai à lui, peut être me pardonnera t-il (oulay yssa panay) » (Gn, 32, 20, 21).

« Jacob resta seul et un homme lutta avec lui jusqu’au lever du jour » ( Gn, 32, 25). 

Dans la Tradition juive et dans la symbolique d’Israël, le troisième des Patriarches est associé à deux valeurs suprêmes: la vérité et la paix. C’est surtout à la paix (émeth) et au chalom que s’attachent les versets précités car toute valeur a son envers, si ce n’est sa caricature.

A l’évidence, sachant que son frère aux intentions fratricides s’approche de lui et de son camp, Jacob choisit une stratégie: celle de l’apaisement. Il s’agit de savoir si celle-ci ne confine pas au désistement, à la négation de soi. Cette attitude là résulte d’une analyse psychologique et de l’évaluation d’un rapport de forces. Pour Jacob, il est compréhensible qu’Esaü nourrisse à son encontre ressentiment et haine puisque ce frère unique se sent dépossédé du droit d’aînesse et qu’il se montre inconsolable.

Certes, la rétrogradation qui s’en est suivie dans l’ordre de la bénédiction abrahamique n’a pas empêché Esaü de prospérer matériellement et de devenir une sorte de superpuissance. Jacob ne peut pas ne pas en tenir compte. Lui, est resté homme d’études, pasteur de troupeaux et ne dispose d’aucune force armée, à moins de considérer que ses fils pourraient en tenir lieu. D’où, après avoir opté pour la stratégie de l’apaisement, la tactique à laquelle il se résout: séduire, si ce n’est circonvenir son frère en adoptant une attitude de soumission et en le subornant par une série de présents successifs censés le faire revenir à de meilleurs sentiments. Jacob entend préserver sa vie et surtout celle des siens. Mais ne tombe t-il pas d’un excès dans l’autre au point d’aboutir à l’inverse de l’objectif qu’il se proposait d’atteindre?

D’abord comment peut-il imaginer qu’Esaü, chef de guerre, se fasse dupe de ce stratagème, qu’il ne se tienne pas sur ses gardes, sachant comment Jacob, de son point de vue, a déjà abusé de son état de faiblesse? Cependant, et avant même que de rencontrer son frère, Jacob va devoir faire face à une nouvelle épreuve. Une fois son dispositif de survie mis en place, et alors qu’en pleine nuit il s’apprêtait à franchir le gué du Yabbok, une créature innommée se saisit de lui, le contraint au combat, et cela jusqu’à l’aube. Le dénouement de cet affrontement énigmatique consistera dans le changement de nom du patriarche qui désormais sera nommé Israël. D’où cette interrogation: pourquoi ces deux événement sont –ils juxtaposés comme si le second avait été causé par le premier?

Une des réponses possibles tient dans le mot âvdekha: « ton serviteur » initialement employé par Jacob pour s’adresser à son frère et tenter de se le concilier. Ce mot a été jugé excessif tant sur le plan relationnel que sur le plan spirituel. Sur le plan relationnel, il semble déjuger la position de Jacob en tant que frère aîné de droit depuis que Esaü s’est désisté de cette aînesse et des obligations qui lui sont attachées dans les conditions que l’on sait. Une chose est l’humilité, la ânava, autre chose la négation de soi, l’abaissement, l’auto-humiliation, à la limite du masochisme lequel ne peut que provoquer le sadisme du protagoniste. Tout se passe donc à cet instant comme si Jacob doutait rétrospectivement de sa légitimité et reconnaissait Esaü de facto comme l’aîné véritable. De ce fait même, déroger à ce niveau conduit à déroger au niveau spirituel. Jacob qui se déclare serviteur d’Esaü est-il encore le serviteur de l’Eternel, dispensateur de la bénédiction générique dévolue à l’Humain (Haadam) et qu’Abraham doit relever?

C’est sans doute pourquoi, en cette phase de doute, le combat qui s’ensuit et qui contraint Jacob à se dépasser constitue t-il la preuve que la peur n’est pas le mobile de son attitude; qu’il ne redoute aucun affrontement. Quiconque l’y engage – être humain ou créature autre – n’est pas maître d’en déterminer l’issue. C’est en ce sens que Jacob est nommé Israël. Au terme de ce combat, ce n’est plus Jacob mais bel et bien Israël, l’aîné confirmé en son aînesse, que rencontrera Esaü, qui désormais doit se le tenir pour dit.

                         Raphaël Draï zal, 4 décembre 2014

LE SENS DES MITSVOT: PARACHA VAYETSE

In Uncategorized on novembre 23, 2023 at 5:54
7 VayétséTexteNov14

« Il fit un rêve (h’alom) et voici qu’une échelle (soulam) était dressée (moutsav) vers la terre et son sommet conduisant vers les cieux (hachamaïma) ; et voici que des Envoyés de Dieu (malakhim) y montaient et en descendaient (bo). Et voici que l’Eternel (Tétragramme) se tenait au dessus de lui (nitsav) et lui dit: «Je suis l’Eternel, Dieu d’Abraham ton père, et Dieu d’Isaac; la terre sur laquelle tu es couché c’est à toi que je la donnerai ainsi qu’à ta postérité» (Gn, 28, 12, 13). 

Le livre de la Genèse relate un rêve de Jacob, une manifestation de son imaginaire, une production de son inconscient, mais fortement structurée et orientée dans le sens de la vie alors qu’il est poursuivi à mort par la vindicte d’Esaü. Sur quoi s’ouvre cette vision car il s’agit bien d’une ouverture et l’on relèvera à ce propos la proximité phonétique et alphabétique des mots: h’alom, rêve et h’alon, fenêtre?

Tandis que Jacob tente de fuir la colère possiblement fratricide d’Esaü, ce rêve lui commande de faire halte et de considérer les événements en cours du point de vue le plus haut qui soit, sans pour autant que l’hallucination l’emporte. D’où la symbolique centrale de l’échelle, du soulam, qui est aussi symbolique de l’activité intellectuelle et spirituelle conduisant jusqu’à la Présence divine.

Comme nombre de commentateurs l’ont souligné, notamment le Ben Ich H’ay, une échelle sert à s’élever mais à le faire graduellement avec des échelons séparés de manière égale pour éviter les chutes. On retrouvera l’exigence de cette gradualité à propos du Sanctuaire auquel on accédera par une rampe en pente douce. Par ailleurs l’échelle symbolise la constance. Elle ne se déforme pas lors de son utilisation et, lorsqu’elle est renversée, elle conserve la même forme et, en général, peut s’utiliser comme auparavant. Ajoutons qu’une échelle, au sens du soulam biblique peut être considérée comme un vecteur puisque, ainsi que le texte le précise, elle conduit vers les hauteurs célestes, ce qui est à la fois une direction physique mais aussi, on l’a dit, intellectuelle et spirituelle. En somme, à ce moment du parcours des Patriarches – dont il ne faut jamais oublier que le but est de rétablir la bénédiction divine pour toutes les familles de la Terre, la vision du soulam est exactement opposée à celle de la tour de Babel dont les constructeurs se proposaient de monter à l’assaut du ciel et d’en déloger, si l’on ose ainsi parler, le Créateur, avec les suites catastrophiques relatées au chapitre 11 de Beréchit.

Ainsi la Présence divine n’est pas hors de portée de l’esprit humain mais elle s’approche de manière asymptotique à condition de relier le monde d’en Haut et le monde d’en Bas, comme il est précisé à propos des Envoyés divins dont il est précisé qu’ils y montaient et qu’ils en descendaient. Aucune de ces deux dimensions ne doit être oubliée. Un rêve véritablement prophétique n’incite pas à fuir la réalité. Au contraire c’est lorsqu’il est tenté par cette évasion qu’un rêve de cette sorte l’y reconduit.

A partir de quoi, il faut savoir ne pas se prendre à l’imagerie du rêve. Ce qui se déduit de la terminologie employée à ce sujet lorsqu’il est précisé cette fois que la dite échelle « était dressée (moutsav) vers la terre ». Que laisse entendre le récit biblique? Non pas que l’échelle était fixée au sol – disposition physique, qui tombe sous le sens et qui serait donc superflue. MouTsaV est construit sur la racine TsV qui désigne le commandement légal et l’obligation morale. Si le soulam symbolise la structure de l’esprit orienté vers la Présence divine, celle ci ne s’approche que par l’accomplissement des MiTsVot dont on comprend au passage qu’elles ne se réduisent pas à des rituels sans signification interne et sans finalité. Par cette voie l’on serait conduit à voir dans l’image du soulam une représentation de l’Alliance, de la Berith puisque sans désemparer mais par une logique qui est certes celle du lien d’Alliance il est indiqué à présent et par suite que l’Eternel se tenait (NitSaV) au dessus du soulam, autrement dit que sa position était elle même déterminée par l’univers des MiTsVot dont on mesure alors l’importance.

Un autre élément doit être encore souligné: lorsque l’Eternel se révèle par cette voie, il respecte la généalogie du rêveur-prophète et cela non pas à titre formel mais afin de récapituler tout le chemin parcouru par ses devanciers pour que soit rétablie la bénédiction générique dont il a déjà été fait état.

                                         Raphaël Draï zal, 27 novembre 2014

LE SENS DES MITSVOT: PARACHA TOLEDOT

In Uncategorized on novembre 17, 2023 at 12:16
6Tolédoth2014

« Les jeunes gens grandirent et Esaü devint un homme sachant chasser, un homme des champs et Jacob était un homme intègre, demeurant dans les tentes (ohalim). » (Gn, 25, 27) …

« Jacob fit cuire un mets et Esaü revint des champs et il était fatigué (âyeph). Esaü dit à Jacob: « Fais moi donc avaler de ce rouge car je suis fatigué. C’est pourquoi on l’appela Edom. Jacob dit: « Vends moi de ce jour ton droit d’aînesse (bekhoratekha) ». 

Esaü dit: « Voici, je vais mourir et de quel avantage (lamah zé li) m’est un droit d’aînesse »

« Et Esaü dédaigna le droit d’aînesse « (Gn, 26, 27 à 34) » 

Après une phase de préoccupante stérilité, et après que son époux Isaac a intensément prié pour elle, Rebecca conçoit et enfante deux jumeaux dont la venue au monde se fera dans cet ordre – la notion d’ordre est ici essentielle – : le premier, tout roux, sera nommé Esaü, le second sans autre signe particulier que de tenir le talon de celui-là, sera nommé, de ce fait, Jacob (de êkev: le talon). Autant dire qu’il talonne son frère aîné dans l’ordre de la primogéniture biologique. Les deux enfants grandissent, chacun selon sa voie, et le Midrach éclaire ces deux cheminements parallèles. Esaü se fait chasseur, vivant dans les champs et retrouve ainsi les traces de Nemrod et aussi de Caïn. Jacob devient homme d’étude et de prière.

Il advint qu’un jour, tandis que le cadet faisait cuire son plat – la Tradition évoque un plat de couleur rouge – Esaü s’en retourne de sa chasse qui devait avoir été maigre puisqu’exténué il se précipite vers son frère. Sans même savoir quelle est la consistance du plat que celui-ci fait cuire, il lui demande littéralement, au seul vu de cette couleur, de son apparence, de l’en gaver car dit-il, « il est fatigué ». Jacob, en contrepartie, lui demande aussitôt de lui vendre son droit d’aînesse. D’où ces deux questions emboîtées : Jacob a t-il abusé d’une situation de détresse pour usurper un rang qui ne pouvait être le sien – par où se reconstitue si l’on n’y prend garde le conflit ayant opposé Caïn et Abel? Et sur quoi portait ce droit d’aînesse que Jacob, le cadet selon la « nature », ait voulu sur le champ l’acquérir et en disposer?

Dans l’ordre des versets qui relatent cet épisode aux conséquences considérables, à la proposition de son frère Jacob Esaü répond déjà par un calcul, par une supputation: il est tellement exténué qu’il ne perçoit plus non pas même l’avantage de l’aînesse mais en quoi cette chose () le concerne encore, personnellement (li). Autrement dit, Esaü devant son frère érigé en témoin, déclare que son existence immédiate est hautement et sans tergiversation préférable à sa vocation spirituelle. Quelle raison déterminante en donne t-il pour se justifier? Il se dit « fatigué (âyeph) ». Mais, de nouveau, à quel facteur imputer cette fatigue? Est-elle simplement physique, Esaü ayant présumé de ses forces et par trop prolongé sa chasse? Cette cause là semble secondaire puisque le récit biblique a cru devoir préciser au préalable qu’Esaü était « homme des champs », que cette situation non seulement correspondait à son être profond mais qu’il trouvait dans l’activité d’homme de proie d’incessantes forces reconstitutrices.

La raison déterminante est donc autre: ce dont Esaü se dit « fatigué », c’est du droit d’aînesse proprement dit, de la bekhora spirituelle qui le contraint à contrarier sans cesse son activité préférentielle. Sans doute était-il particulièrement exténué à ce moment parce que, si l’on ose dire, aîné d’Isaac et de Rébecca, petit-fils d’Abraham, il se trouvait dans la nécessité de courir deux lièvres à la fois, tandis que Jacob, lui, se trouvait en pleine possession de ses moyens et parfaitement disponible. Malgré tout, devant le plat dont Esaü ne perçoit que l’aspect externe, Jacob n’exerce sur son frère aucune emprise puisqu’il lui propose de lui acheter cette aînesse. Transaction qu’Esaü accepte pour le mobile qu’on a précisé. Après avoir fait son propre calcul « coût – avantage » il préfère l’instant présent à la construction de l’avenir promis à Abraham puis à Isaac. Car il faut maintenant s’interroger sur ce qu’est le propre de l’aînesse, au sens biblique en général et abrahamique en particulier.

On l’a vu, l’aînesse se dit en hébreu BeKhoRa, terme construit sur la racine BRKh dont les recombinaisons aboutissent, entre autres, à ces deux nouveaux radicaux, capitaux: BRKH, et RKhBBeReKh se retrouve dans BeRaKha, la bénédiction, dont on sait, d’une part, que c’est le viatique initial donné par le Créateur à l’Humain une fois celui-ci créé, de sorte qu’il puisse assumer sa vocation native (Gn, 1, 28) et, d’autre part, après la faillite des générations du Déluge et de Babel, qu’il reviendra personnellement à Abraham de la rétablir au bénéfice des familles de la Terre (Gn, 12, 2). Cette bénédiction originelle dont Esaü vient à son tour de se désister, Jacob ne la laissera pas un seul instant en déshérence, quelles que puissent en être les conséquences, telles que les relatera la suite du livre de la Genèse.

Quant au radical ReKhEb, on le discerne dans le concept en effet capital de MeRKaBa, centrale dans la vision du prophète Ezéchiel, qui désigne lastructure, le soutènementce qui assure la stabilité d’une construction et sa pérennité, et c’est de cela dont Esaü se sera également désisté, lui qui en donnait à ce moment précis par sa « fatigue » mortelle l’image exactement inverse. Les deux frères cependant n’en resteront pas là…

Raphaël Draï zal, 20 Novembre 2014

ETHIQUE JUIVE ET EXTREMISMES, QUEL « FRONT NATIONAL »?

In Uncategorized on novembre 9, 2023 at 9:06

Alors que la République française perd un à un ses points de repère, avec la confusion des esprits que cette extinction engendre, il importe de rappeler l’axiome essentiel de l’éthique politique juive: « Prie pour la paix de l’Etat; n’était le respect qu’il inspire chacun avalerait son voisin tout vif ». Quelles leçons en tirer pour la situation politique actuelle, au regard notamment de la victoire du Front national à l’élection cantonale de Vitrolles, ce qui n’eût été qu’un épiphénomène si des sondages récurrents et convergents ne plaçaient invariablement Marine Le Pen en tête des personnalités les plus populaires en France et son – nouveau? – parti en tête des prochaines Européennes? La science politique ne s’accommode ni de la démonologie ni de l’apologie aveugle. Marine le Pen est la fille de Jean-Marie le Pen. Il s’agit de savoir si l’affiliation idéologique suit l’affiliation à l’état civil. Héritière politique de son père en assume t-elle l’héritage anti-juif? Car, si Marine Le Pen ne cesse de déclarer ou de faire dire qu’elle n’est pas antisémite, et que ce n’est pas de son fait si elle n’est pas entrée officiellement en contact avec des représentants de l’Etat d’Israël, elle marchera longtemps dans l’ombre d’un père dont les mots d’esprit répugnants et l’apologie du pétainisme l’ont érigé en figure répulsive pour la communauté juive de France. Pendant longtemps la fille a ainsi subi la stigmatisation du père dont le parti était rejeté au marges extrêmes de la vie politique, ce qui n’empêchait que l’on s’en servît à des fins de manipulation électorale. Le reproche acerbe en a été adressé à François Mitterrand. Si le Front National ne compte aujourd’hui que deux députés à l’Assemblée Nationale, au temps du mittterandisme il en comptait un bien plus grand nombre sans que la République ait sombré. Marine le Pen l’a compris. Son élection à la tête du Front National l’obligeait à ménager son père avec les affidés de celui-ci et à ouvrir grand les portes et fenêtres du parti, d’abord en se faisant admettre comme l’une des figures incontournables du PAF puis en faisant habiliter le Front National comme une formation politique « normale » et légale, se réclamant à corps et à cris de la morale républicaine. Elle y a réussi. Cependant, pour aussi intelligent qu’ait pu être son « reloookage » et l’accession aux affaires d’une nouvelle génération, elle n’y serait guère parvenue si les partis républicains patentés n’avaient entrepris de s’auto-démolir et de s’entre-tuer. Extrémisme de l’irresponsabilité. Après vingt années d’opposition, la Gauche est revenue au pouvoir en 2012, promettant monts et merveilles. Depuis, pas un seul véritable emploi n’a été créé. La fiscalité prend des allures de racket et nul jour ne se passe sans que des ministres du gouvernement Ayrault ne se déchirent à belles dents. Le président de la République, lui, reste rivé à sa lorgnette, guettant le retour du beau temps. A droite, le tableau est non moins lamentable. D’abord privée de chef après la défaite de Nicolas Sarkozy, l’UMP s’en est donné un: Jean- François Copé, avant qu’un deuxième ne surgisse: François Fillon, tandis qu’un troisième se prépare à remonter en selle. C’est dans l’hiver 2013, au pire moment de l’étripage entre les deux premiers, que le tocsin a sonné. Aucun régime politique ne dure lorsque majorité et opposition se trouvent simultanément en crise majeure. Dans l’opinion publique, la déception dépressive s’ajoute à la désillusion féroce. Telle est la raison non pas exclusive mais prépondérante de l’irrésistible montée sondagière de Marine le Pen: dans la déliquescence de la Vème république elle a fini par incarner l’espoir d’une alternative. Les réactions affectives n’y feront rien. On s’écriera que le programme économique du FN est délirant et inapplicable. Celui de la Gauche s’est-il avéré plus opératoire? Et la Gauche des bons sentiments a t-elle mieux réussi dans l’intégration à la République de l’Islam? Manuel Vals y est diabolisé. Le grand philosophe anglais Hobbes l’avait souligné: le Léviathan apparaît lorsque les régimes se décomposent. C’est pourquoi l’année électorale 2014, sauf miracle économique urgent, risque d’être sismologique en consacrant la primauté du Front national dans l’opinion publique. En cette perspective, il importe que le leadership de la communauté juive soit plus uni que jamais, surtout en considération de son propre agenda électoral qui s’annonce houleux. Si les temps à venir sont incertains, l’on n’aura pas manqué d’avertissements.

Raphael Draï z »l, ActuJ 18 Octobre 2013

LE SENS DES MITSVOT: PARACHA H’AYE SARAH

In Uncategorized on novembre 9, 2023 at 8:38
Haye Sara

« Sarah mourut à Kiriat Arabâ qui est Hébron dans le pays de Canaan ; et Abraham vint faire l’éloge funèbre (lispod) de Sarah et la pleurer (velibcotah) » ( Gn, 23, 2) 

Pour la première fois dans le livre de Beréchit nous est fait un récit de funérailles et celles ci concernent Sarah, l’épouse d’Abraham, sans laquelle il ne serait sans doute pas devenu «l’inventeur de l’Histoire» comme on a pu parfois le caractériser.

Sarah sera donc inhumée en un lieu qui comporte deux dimensions. La première est à la fois géographique et topographique. Sa sépulture sera située dans un lieu dit la « Ville des quatre » qui est simultanément nommé H’ébron. Ce dernier terme retient l’attention puisqu’il est construit sur la racine H’BR qui désigne le lien et le compagnonnage. La sépulture de Sarah sera donc symbolique de son existence qui aura consisté à relier – seconde dimension – l’en-bas avec l’en-haut, ce monde-ci et le monde qui vient, non sans difficultés et non sans avoir elle aussi traversé de nombreuses épreuves dont la dernière, la Akedat Itsh’ak, aura eu raison d’elle.

Cependant une vie ne s’anéantit pas avec le départ de ce monde et c’est sans doute pourquoi le récit biblique relate, sans en rien omettre, comment Abraham veuf, reconduit son épouse, la compagne et la partenaire de sa propre existence, jusqu’à sa dernière demeure, pour reprendre l’expression consacrée, sans oublier que cette demeure là n’est dernière que dans le monde d’en-bas mais qu’elle est le lieu de passage vers le monde d’en-haut. Et c’est pourquoi Abraham défère à deux obligations elle aussi corrélées.

D’une part il s’acquitte de l’éloge funèbre, du hesped, de Sarah. Quelle en est la signification? Celle-ci donne l’exemple même de l’amour du prochain car à quel moment cette qualité risque t-elle d’être perdue de vue et même d’être abrogée sans rémission, sinon après le décès de la personne concernée, après qu’elle a été réduite, au moins en apparence, à un corps inerte, privé de parole, une « dépouille » que l’on serait tenté de considérer comme un déchet sans plus aucune valeur? Au contraire c’est à ce moment là que le défunt ou que la défunte voit consacrer son statut si l’on peut dire de prochain, un statut qui s’atteste par cet éloge, ce hesped, qui relatera et qui mettra en valeur tout ce qui a valu que cette vie, à présent absente, a valu d’être vécue.

Il ne s’agit pas ici d’un rituel d’apparence, de ce que l’on appelle parfois « l’expression obligatoire des sentiments », mais bel et bien de maîtriser une propension: celle qui assimile la mort à une dévaluation de la vie puisque tous les signes de celle-ci ont disparu. C’est à ce moment précis qu’à l’inverse d’une autre formule consacrée « le vif saisit le mort » et le projette dans le temps de la survie. Car qu’est ce qui mérite de survivre d’une existence sinon ce qui la hausse au dessus d’elle-même par tout ce que le défunt ou la défunte de son vivant a su accomplir et dont désormais il lui est fait inoubliable mérite…

Ce qui n’empêche pas la douleur de s’exprimer aussi. Abraham pleure son épouse ce qui témoigne à quel point ils furent attachés l’un à l’autre. Sans attachement il n’est pas d’arrachement. Les pleurs ici ne sont pas non plus de convenance. Ils marquent la réaction du corps face à ce qui désormais l’ampute d’une partie de lui-même. Une vie dite « commune » n’est pas constituée par la juxtaposition de deux vies parcellaires mais par leur symbiose au point de ne plus former qu’un seul être.

Et pourtant, au delà de cet arrachement pleinement exprimé et qui ne se limite pas à la durée « légale » du deuil, la vie doit à nouveau l’emporter, sachant qu’elle sera désormais, et plus que jamais, constituée par un avant et un après. La mémoire la plus inaltérable ne doit pas se confondre avec le deuil pathologique ni un décès avec une incurable blessure narcissique. Cette différence vitale est indiquée par une particularité de la transcription du récit de Beréchit puisque dans le mot « velibcotah » la lettre caph apparaît de moindre dimension que les autres. Ce n’est pas l’indication d’une consolation prématurée mais d’ores et déjà l’injonction discrète d’avoir à continuer de vivre afin de poursuivre l’oeuvre voulue par le Créateur, le Consolateur par excellence lorsque le temps est venu de comprendre vraiment que le règne de la mort est circonscrit et temporaire, qu’une âme ne meurt jamais pour peu que les vivants acceptent d’en préserver la lumière.

Raphaël Draï zal, 13 novembre 2014

LE SENS DES MITSVOT: PARACHA VAYERA

In Uncategorized on novembre 2, 2023 at 11:50

« Il dit « Ne porte pas ( al tichlah’) ta main sur le jeune homme (hanaâr) et ne lui fais rien (méoumah) car maintenant Je sais que tu es craignant- Dieu et tu ne m’a pas refusé ton fils, ton unique » (Gn, 22, 12).

4VayéraEtTexte15

L’entreprise abrahamique est dirigée vers la reconstitution d’une humanité créatrice, bénie en tant que telle. Puisque l’homme est mortel, la création dont il doit être l’auteur ne peut s’inscrire que dans le fil des générations, des toldot, comparables aux générations, aux toldot, du Ciel et de la Terre. Encore faut-il qu’il accepte consciemment – et inconsciemment cette perspective et qu’il n’estime pas que si Histoire il doit y avoir elle se limitera à son existence personnelle. D’où l’importance décisive de la 10ème épreuve d’Abraham, de la Âkédat Itsh’ak, de la ligature d’Isaac qui a donné lieu à de multiples commentaires qu’il faut également savoir découvrir.

Jusqu’à présent, le récit biblique s’est attaché à la construction individuelle d’Abram, homme resté longtemps sans progéniture et sans descendance. On le sait, Abram est devenu Abraham par intégration de la lettre héi, celle de l’interlocution, dans la reconnaissance d’autrui par soi-même et de soi-même par autrui. Puis Abram, Abraham devenu, est appelé à devenir enfin père. Pourtant l’interrogation demeure: cet enfant, le père est-il porté à l’inscrire précisément dans la suite des générations, en l’érigeant en auteur d’une histoire vivante, ou bien n’est-il entre ses mains que chose parmi les choses, dont il peut disposer à sa seule convenance? On sait également que dans cette période de l’aventure humaine qualifiée à tort d’Antiquité, tant elle demeure prégnante psychiquement, les géniteurs avaient droit de vie et de mort sur leur progéniture. C’est ce butoir là dont le récit biblique décrit le dépassement.

Tout commence par une injonction « classique » du point de vue que l’on vient de rappeler. Une divinité anonyme (expression de l’instinct plus que voix de la conscience) enjoint à un individu de sacrifier son fils, de le vouer à un holocauste. L’individu en question s’exécute, cédant sans objection audible à la poussée de ses instincts infanticides. Et le processus sacrificiel se déroule sans que rien ne nous en soit épargné. Jusqu’au moment fatidique où Abraham en personne se saisit du coutelas pour procéder à la phase ultime du sacrifice rituel et infanticide. C’est à ce moment même qu’une toute autre voix se fait entendre de lui pour lui enjoindre au contraire de ne pas porter la main sur cet être issu de son être et qui s’est complètement rendu à sa merci, de ne pas lui causer de dommage physique, et aussi de ne lui causer aucun autre préjudice, d’aucune sorte; et c’est de la sorte qu’Abraham se révélera « craignant Dieu », le Dieu non des pulsions instinctuelles et sacrificielles qui interdisent le déploiement intergénérationnel de l’Histoire mais le Dieu des générations liées entre elles, dirigées vers un avenir aussi ouvert et fécond qu’elles seront nombreuses et vivaces.

Car c’est sans doute ainsi que peut se comprendre la conclusion de l’injonction divine: Abraham n’a pas considéré qu’il disposait d’un pouvoir absolu sur son fils, au point de ne plus entendre la Parole divine et la Loi qu’elle proclame et promulgue à cet instant. Car le verset générique ici commenté doit être entendu et compris comme la proclamation et la promulgation des droits de l’enfant, et du premier d’entre ces droits: celui d’être considéré et reconnu dans sa généalogie, certes, mais aussi comme source spécifique de l’Histoire, comme génération (dor) créatrice. Autrement on ne comprendrait pas une autre loi, celle qui sera proclamée et promulguée cette fois au Sinaï: « Honore ton père et ta mère ». Comment la cinquième parole pourrait elle être acceptée par des enfants non reconnus personnellement, placés sous la menace de mort d’un père et parfois d’une mère nominaux, sans aucun lien affectif et qui ne désirent aucun prolongement de leur être… D’un point de vue pédagogique, d’une pédagogie du vivant, le verser 12 du chapitre 22 de la Genèse et le verset 12 du chapitre 20 de l’Exode sont intiment corrélés et forment le chenal par lequel les toldot de l’Humain et celles de l’Univers se corrèlent à leur tour.

 Raphaël Draï zal, 6 Novembre 2014