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Paracha Korah par Raphaël Draï

In Uncategorized on juin 30, 2022 at 11:03
37 Kora'h.

( Nb, 16 et sq )

Qu’il ne suffise pas de se réclamer de la Thora, de la Loi, pour en devenir un exemple probant est illustré ad nauseam par la présente paracha puisqu’elle met aux prises non pas des membres de tribus différentes mais des membres de la même tribu, et quelle! la tribu de Lévi.

Le déclenchement  de la révolte dont Korah’ et sa clique vont prendre l’initiative n’en est pas moins décrit de manière surprenante; «  Et Korah’ prit, fils de Kéhat, fils de Lévi.. ». Surprenante, à coup sûr, d’abord au plan grammatical puisque le verbe « prendre », utilisé ici, n’a pas de complément d’objet comme le voudrait la grammaire habituelle. Faute de copiste? Erreur de transcription?  Si tel avait été le cas, cette faute ou cette erreur eût été mentionnée en marge du texte, selon la règle dite du kétiv-kéri, littéralement: «  C’est écrit comme ceci, mais il faut lire comme cela.. ». Ce n’est pas le cas. Dès lors comment entendre cette formulation?

Plusieurs commentaires en ont été proposés au cours des siècles, portant notamment sur le fait que Korah’ et ses affidés avaient « pris » leurs comparses au piège de leurs paroles captieuses pour les dresser contre Moïse et Aharon  son frère. Une autre hypothèse est envisageable toutefois qui se rapporterait à la force de la pulsion à l’œuvre en cet affrontement mais également à sa cécité. Tout se passe comme si Korah’ avait été mu par ce que les psychanalystes nomment une pulsion d’emprise dont l’objet qui la soutient initialement importe peu. Dans une situation de ce type, l’on prend pour prendre puis l’on est pris soi même par ce même mouvement. Telle semble être la pulsion particulière qui investit notamment la volonté de Pouvoir. Tous les prétextes lui sont bons. Et comme aucun objet déterminé n’est véritablement de nature à la satisfaire, nul n’est besoin d’en préciser la nature. L’intelligence elle même lui est asservie et la fournit en «bonnes raisons» et en sophismes de mauvaise foi.

C’est sans doute pourquoi le texte des Nombres précise également la généalogie de Korah’, lévite certes mais de la famille en charge, l’on s’en souvient, du service divin au Sanctuaire. Si tant est que l’honneur soit le motif déterminant d’une conduite, quel honneur serait plus grand que celui là!  Et pourtant  Korah’ et sa bande ne s’en satisfont pas. Ce qu’ils visent n’est rien de moins que la place de Moise et d’Aharon, non pas telle qu’elle est mais telle qu’ils l’imaginent: conférant honneurs suprêmes, prébendes et sans  doute, pourquoi pas droit de cuissage. N’est-ce pas cette rumeur qui avait couru à propos de Moïse et de la « femme couchite », racontars dont, hélas, Myriam et Aharon avaient été les relais? Cependant, pour  justifier leur coup de force, Korah’ et les siens vont commettre deux erreurs qui leur seront fatales.

D’une part, ils vont imputer à Moïse et à Aharon des visées monarchiques qui n’étaient pas les leurs. Ce qui s’attestera dans le jugement de Dieu auquel chaque protagoniste sera convié sans tarder.

D’autre part, ils vont prétendre que la tâche de Moise et d’Aharon est achevée puisque le peuple d’Israël serait tout entier parvenu à la sainteté, qu’il serait devenu un peuple de «parfaits», ne justifiant plus aucune tutelle. Or, et à moins que, d’eux mêmes, ils ne se soient exclus de ce peuple, leur tentative, par le mauvais esprit dont elle témoigne, en apporte la démonstration exactement inverse. Le mécanisme mental à l’œuvre dans  ce procès d’intentions n’est rien d’autre que celui de la projection. Autrement dit, Korah’ et sa bande imputent à Moise et à son frère de bas motifs qui sont surtout les leurs. D’où la réaction que l’on pourrait qualifier de «contre-projective» de Moïse retournant à  leur véritable source ces motifs séditieux. Le texte de la paracha en rend compte de façon littérale.

Pour signifier à Moise et à Aharon que c’en était assez de leur «  Pouvoir », Korah’ avait dit:

a) «  C’en est trop de votre part (rav lakhem )( Nb, 16, 3) ;

à quoi Moïse répliquera, terme à terme, et symétriquement, après avoir essuyé cette salve de griefs et avoir souligné les hautes prérogatives des kéhatites:

 b) « C’en est trop de votre part, fils de Lévi ( rav lakhem Bnei Lévi  » ( Nb, 16, 7).

Et puisqu’il faut trancher, le jugement de Dieu sera sollicité. Ce qui ne peut manquer de  provoquer notre étonnement. Comment Moise et Aharon ont-ils pu solliciter un tel jugement, en impliquant le Créateur dans une querelle où, en somme, ils étaient juges et parties? Deux raisons ici aussi l’expliqueraient.

La querelle ne porte pas sur un objet matériel, ni même sur une question de préséance protocolaire. Elle s’est portée sur un terrain capital: celui de la sainteté, de la kedoucha, celui là même où le Créateur affirme que l’on peut s’approcher de Lui selon la prescription du Lévitique: «Vous serez saints car je suis Saint, l’Eternel votre Dieu» (Lv, 19, 2).

Or quel autre juge sinon le Saint par excellence pourrait trancher une pareille contestation! Mais surtout, en acceptant, comme s’il allait de soi, un jugement de cette sorte, Korah’ et sa bande savaient qu’ils prenaient un risque mortel. Membres de la tribu de Lévi, comme on y a fortement insisté, ils ne pouvaient ignorer le sort qui fut celui de Nadav et Avihou, les deux premiers fils d’ Aharon, foudroyés aux abords du Saint des Saints pour en avoir approché un feu «autre» qui ne leur avait pas été commandé dans l’exercice de leur sacerdoce. Korah’ et les siens ne tarderont pas à le vérifier par leur propre chute dans l’abîme qui s’ouvrira de ce fait sous leur pas.

Cependant, comme le Tanakh est d’un seul tenant, les Psaumes nous apprendront que les descendants de Korah’ n’en ont pas été stigmatisés, qu’ils deviendront même des psalmistes de premier rang. Pour bien faire comprendre, s’il en était besoin, que pour quiconque s’y attache parce qu’il le doit, rien n’est irréparable.

Raphaël Draï zal, 4 juin 2013

PARACHA CHELAH’ LEKHA

In Uncategorized on juin 24, 2022 at 10:07

( Nb, 13 et sq )

36 Chala'HLeHa.

Cette paracha inaugure une série de quatre parachiot parmi les plus dures de tout le Tanakh concernant le peuple d’Israël et l’on doit immédiatement relever à ce propos que le récit biblique n’en cache et n’en atténue rien. Jusqu’à présent a été décrite l’organisation pour ainsi dire idéale de ce peuple. Désormais, le voici à l’épreuve. Pour bien comprendre ce qui va suivre, il faut en effet revenir sur un des épisodes les plus marquants relatés dans la paracha précédente, celui au terme duquel le peuple ayant exigé d’être nourri de viande Moïse éclate de chagrin, allant jusqu’à requérir de Dieu la fin de ses jours.

Moïse sent que sa fin approche, que le plus difficile de l’histoire de son peuple commence. Aux abords de la terre de Canaan, le Créateur lui demande d’y envoyer un groupe d’explorateurs afin d’investiguer dans toute la contrée pour savoir quelle est sa conformation, sa fécondité, la disposition physique et mentale de ses habitants actuels, la forme de ses villes et leurs défenses, et s’il s’y trouve « de l’arbre ou rien (êts in ayn ) », formule sur laquelle on reviendra.

Première interrogation: pourquoi Moïse n’est-il pas invité à conduire lui même cette exploration pionnière? Pourquoi la confier à un échantillon symbolique du peuple? On l’a pressenti: parce que sa propre fin approche et qu’il lui faut passer le relais. Cette transition a commencé dès la paracha précédente avec la constitution de l’assemblée des 70 sages, dotés d’un esprit prophétique allumé à celui de Moïse mais irradiant désormais dans l’ensemble du peuple. En somme, le peuple s’autonomise progressivement en endossant les responsabilités qui jusqu’à présent ont été assumées par le seul Moïse, assisté d’Aharon et de Myriam.

Parmi les multiples enseignements de la paracha Chelakh’ Lekha, l’on retiendra donc pour commencer celui-ci: assumer une responsabilité ne va pas de soi. Cette prétention exige force, endurance, esprit de suite. Au départ, quoi de plus élitiste que cette délégation! Chacun des noms qui la constituent peut être lu comme un brevet de prestige. Certes, mais le prestige doit être honoré et « noblesse oblige », sans intermittence. Les explorateurs vont ainsi pénétrer en terre de Canaan, sans que personne n’y perçoive leur présence. Ils en « auront plein les yeux », suivant l’expression populaire. Cette contrée apparaît comme un mélange de cocagne et de cité anté-diluvienne. A preuve: l’énorme grappe de raisins qu’il devront charrier sur leurs épaules.

Ce que Moïse leur a demandé surtout est de vérifier si ce pays comporte de « l’arbre ou non ». On l’a relevé, cette formule appelle le commentaire puisqu’il suffisait d’un simple coup d’œil, fût-ce de loin, pour constater qu’elle était boisée et fructifère. Cette formule recèle alors un autre sens, plus condensé.

Si, dans la langue hébraïque, le mot ÊTs désigne l’arbre, il le désigne ainsi parce que, au delà de l’image même de cet arbre singulier, le mouvement générique de larborescence se donne à discerner et à comprendre. Qu’est-ce qu’une arborescence?  A partir d’une ligne unique, une bifurcation première donnant naissance à des arborescences secondaires de plus en plus fines. Les psychologues le savent précisément avec le «test de l’arbre». Cette figure-là est signe de liberté, celle qui découle de la possibilité de choisir, entre plusieurs directions, entre plusieurs options. A condition que la fibrillation en cours ne se conclue pas en cassure, en séparation et en dispersion. D’où la nécessité correspondante d’une forte attache des branches entre elles et de toutes au tronc commun, lui même solidement enraciné. On l’a vu avec la Ménora.

Aussi, la racine Êts qui s’écrit en hébreu avec deux lettres elles-mêmes bifurcantes, le âyn et le tsadé, se retrouve dans le mot ÊTsA qui désigne le conseil. On comprend mieux à présent la formule utilisée par Moïse: « Hayech bah êts im-ayn »: s’il y a en elle de l’arborescence – entendue en ce sens – ou «  rien ». La résonance de cette formule est considérable. Elle semble faire écho à celle des Bnei Israël, au lieu-dit Massa et Mériba, avant l’agression de Âmalek, elle même sanctionnant ce questionnement  dubitatif: « Hayech Hachem békirbénou im- ayn »: « Si Le Créateur est parmi nous ou rien » (Ex, 17, 7)… Comme s’il fallait, au moment de franchir la ligne d’arrivée, à nouveau vérifier que les représentants du peuple avaient bien intégré la signification de leur responsabilité. Aussi riche soit elle, une terre n’est que désolation si l’esprit de – bon – conseil ne s’y trouve pas, car c’est en ce conseil et par lui que la Présence divine s’atteste.

Il ne faudra pas attendre longtemps pour constater à quel point l’enseignement n’a pas été compris. Au retour de leur expédition, les envoyés de Moïse se montreront de très mauvais conseil, provoquant la désespérance du peuple, une désespérance dont les effets différés se manifesteront jusque dans la destruction des deux Temples de Jérusalem. Heureusement, Josué, fils de Noun, dont le  nom avait été opportunément changé et bonifié par Moïse avant le départ du groupe, et Caleb, fils de Yéphouné, échapperont au concours de médisance.

Cependant la question demeure: pourquoi Moïse n’a t-il pas également changé et bonifié le nom des autres explorateurs ?

A chacun et à chacune d’y réfléchir.

Raphaël Draï zal, 27 Mai 2013

PARACHA BEHAÂLOTHEKHA

In Uncategorized on juin 17, 2022 at 11:45
35 Beha'alotra

( Nb, 8, 1 et sq )

Tandis que les parachiot précédentes étaient consacrées à la configuration du camp d’Israël, ainsi qu’à la définition des tâches et des missions incombant à toutes les composantes du peuple, celle-ci commence par une adresse particulière aux cohanim, aux prêtres et grands prêtres, en ces termes:  « C’est vis à vis de la face du Candélabre (el moul pnei Haménora) que les sept lampes doivent projeter la lumière». Suivent des précisions que l’on pourrait juger redondantes sur la forme du Candélabre et notamment sur l’obligation qu’il  soit  façonné d’une seul tenant. Cette traduction, celle de la « Bible du Rabbinat », doit servir de point de départ.

Ce n’est pas la première fois qu’il est question de la Ménora dans la Thora. Le livre de Chemot a traité abondamment des modalités de sa confection. Comme il n’est pas de répétition dans le récit biblique, il faut tenter de comprendre cette nouvelle disposition scripturaire. Jusqu’à présent, en effet, c’est surtout l’anatomie du camp d’Israël dont il a été question. A présent, le livre de Bémidbar, des Nombres, évoque l’influx qui doit l’invigorer: la lumière. Celle-ci n’est pas celle, naturelle,  qui provient du soleil et de la lune. Il s’agit d’une lumière faite pour ainsi dire de main d’homme, à partir d’une huile particulièrement pure et qui devra être disposée dans les sept branches du Candélabre. Car si celui-ci doit bien être d’un seul tenant, il prend ensuite la forme d’une arborescence, toujours symbole de pluralité et donc de liberté. Cet Arbre de lumière est lui même disposé de manière particulière, ce que donne à entendre finement le texte hébraïque.

Les cohanim devront en faire «monter» les lumières, les nérot, très précisément «en face de la Menora». Ce qui ne signifie pas qu’eux mêmes aient à se trouver  physiquement, en face du Candélabre mais que les lumières de celui-ci correspondent, face à face, aux lumières d’un autre Candélabre: de la Ménora  céleste. Il n’y a, en l’occurrence, aucun risque de fétichisation de la Ménora se trouvant dans le Sanctuaire. Le sens de celle-ci ne se renferme pas en elle même. Il se rapporte à un autre élément qui le constitue effectivement. Il faut se représenter le dispositif mis en place de la manière suivante: les cohanim face à la Ménora du Sanctuaire, elle même faisant face à la Ménora céleste.

Dès lors en quoi celle-ci consiste t-elle? Il ne s’agit justement pas d’une Ménora où se retrouveraient le soleil et la lune, avec d’autres étoiles ou planètes mais d’une Ménora cognitive et spirituelle, celle qui est évoquée notamment par le prophète Esaïe d’abord dans cette parole d’espérance: « Le peuple qui marchait dans la ténèbre voit une lumière grande (or gadol),  ceux qui habitaient dans une terre mortifère une lumière  irradiante (or naggah) (sera) sur eux  » ( Es, 9, 1);  et ensuite dans cette vision d’avenir: «Or un rameau sortira de la souche de Jessé, un rejeton poussera ses racines. Et sur lui reposera l’esprit du Seigneur, esprit de sagesse et d’intelligence, esprit de conseil et de force, esprit de science et de crainte  de Dieu» ( Es, 11, 1, 2).

A chacune des lumières, des orot, de la Ménorah d’en bas, mais à la direction ascensionnelle, correspond une des facultés éminentes de l’esprit humain liée à l’esprit divin. Par là même l’on est amené à comprendre que la liturgie sacerdotale décrite dans  la présente paracha n’est pas relative à l’éclairage optique du Sanctuaire, et plus tard du Temple, mais à la mise en lumière des dimensions et facultés de l’esprit humain en tant qu’il est corrélé à l’esprit divin, conformément à ce qui est qualifié dans le livre de la Genèse, dans le sépher Beréchit, de tsélem Elohim, expression littéralement intraduisible que l’on peut rendre par la  formule: « corrélation divine».

Ces mêmes dimensions spirituelles et facultés cognitives ne sont pas vouées à demeurer théoriques ou purement conceptuelles. Elles sont activées par les conduites et le comportements qui leur correspondent, et cela par le biais de l’accomplissement des mitsvot. Dans la symbolique hébraïque, le mot ner se rapporte à celui de mitsva  et celui de or à Thora, selon le verset: «Car la chandelle ( ner) est la mitsva et la Thora, lumière (or) ». On sait qu’il est 613 mitsvot. Plusieurs classifications en ont été proposées au cours des siècles. Une autre, fondée sur la présente paracha, deviendrait concevable regroupant ces 613 mitsvot au regard cette fois de chacune  des dimensions évoquées dans la vision d’Esaïe.

Pourquoi insister enfin sur le fait que la Menora doit être confectionnée d’un seul tenant, alors que nous le savons déjà? Le contexte est différent et l’enseignement aussi. Certes, il est question ici d’arborescence, de 613 mitsvot, de sept nérot, de sept dimensions de l’esprit. Cependant, la pluralité ne doit pas se transformer en dispersion puis en inévitable extinction. Les branches ne méritent ce nom que reliées solidement à un tronc, lui même figure et symbole de l’unité vivante. Utile rappel avant la description qui ne va guère tarder des crises qui secoueront le peuple des Bnei Israël en mettant  précisément à l’épreuve son unité et la configuration de son camp, de son mahané, réceptacle de la Présence divine.

Raphaël Draï zal 22 mai 2013

Paracha Nasso – Raphael Draï

In Uncategorized on juin 9, 2022 at 5:35
34 Nasso.

(Nb, 4, 21 et sq)

L’entame de cette paracha qui suit celle de Bémidbar – selon l’épellation effective – peut donner l’impression d’une simple nomenclature de familles et d’une description purement linéaire de tâches et de fonctions, affectées d’abord aux Kéhatites puis aux Guirchounites ou à la famille de Mérari. Il faut aller au delà de cette impression et comprendre, une fois encore, la logique interne de ce mode d’exposition.

La paracha précédente avait pour objet la disposition dans l’espace des diverses composantes du peuple d’Israël, selon les quatre points cardinaux habituels mais aussi en regard de l’En-haut et au regard d’une projection vers l’en-suite de l’Histoire à venir, les lévites ayant, eux, vocation à être dispersés dans le reste du peuple. Cette fois, il est question des missions dévolues aux principales familles de ce peuple compte tenu de leurs propres dispositions d’esprit et de leur insertion dans ce plan d’ensemble, sachant que le Sanctuaire en constitue le pôle et le moyeu, pour prendre ces images.

Ces fonctions ne sont d’ailleurs pas dévolues indistinctement à l’intégralité des membres des dites familles Une chaîne généalogique sûre et seuil d’âge sont requis – de 30 à 50 ans – avec une aptitude supplémentaire: il faut à chacun des membres concernés être «sortant à l’armée» (yotsé la tsava). Cette traduction prête d’ailleurs à confusion, elle même procédant d’un solide stéréotype: l’aptitude à servir au Sanctuaire serait liée à une aptitude militaire corrélative. Le stéréotype ainsi réactivé, on l’aura compris, est celui du « Dieu des armées de l’Ancien Testament », lui même surgeon de l’autre stéréotype, non moins générique, celui du «Dieu vengeur» du même Ancien Testament.

Il est sûr que tsava désigne aussi en hébreu une armée mais parce qu’une armée est un corps organisé, doté d’une cohérence interne et d’un commandement unifié. L’accent n’est pas mis prioritairement sur les armes dont elle dispose ni sur la violence qu’elle peut exercer. C’est pourquoi également dans les textes bibliques ou dans les prières juives il est fait invocation à «l’armée des cieux» (tsva hachamaïm), et que le Créateur est lui même nommé, pour autant qu’il puisse l’être: Hachem tsévaot. La consultation de l’ensemble du lexique hébraïque biblique le confirmerait en cas de besoin.

Pour prendre une autre image, tout se passe comme si le récit biblique décrivait la structure d’un navire et la disposition de l’équipage ainsi que les instruments devant servir à discerner son itinéraire avant qu’il ne gagne la haute mer, avec ses tempêtes, mais aussi ses calme-plats, ses pêches fructueuses mais aussi avec ses filets vides ou déchirés, toutes métaphores des révélations d’une Histoire se faisant et non pas figée.

Aussi le début de la paracha concerne t-il les tâches que les différentes familles précitées doivent accomplir dans le montage et le démontage du Sanctuaire lors de la Traversée d’un désert aussi propices en crises que la haute mer en tempêtes. Aucune de ces familles n’est affectée exclusivement à l’intégralité ce service, ce qui l’eût dotée d’un privilège exorbitant, lui même générateur de tensions et de confrontations. On le verra lors du commentaire de la parachat Korah’. Pourtant cette réparation de tâches, sinon cette division des fonctions, n’est que le verso, si l’on peut dire, d’un dispositif dont il faut considérer aussi le recto: à savoir que le remontage du Sanctuaire, après qu’ont été démontés, puis transportées ses différents éléments, d’étape en étape, nécessitera, à nouveau, la coopération et le concours des familles concernées. Ainsi se retrouveront les gestes et se reconstituera l’esprit qui furent ceux du tout premier montage du Sanctuaire et notamment de la Tente d’Assignation, du Ohel moêd, du lieu de la convergence vécue et de la réunification effective du peuple porteur de la Thora.

Ce qui exige cette fois une disposition d’esprit bien particulière qu’on pourrait qualifier d’esprit de suite. Il se caractérise par les deux traits suivants. Un être humain est une existence mouvante. Un être humain se déplace. Mais ce déplacement, ne doit pas se transformer en errance ni en fuite. D’où l’ambivalence de l’adjectif «déplacée» appliqué à la personne. Lorsqu’il passe d’un point à un autre, un être humain ne doit pas se trouver dans la nécessité de se délester de ce qui lui appartient, des acquis de son travail, des fruits de son oeuvre. Encore faut-il que ce transport lui même n’alourdisse pas ou ne complique pas ce trajet. D’où la parfois nécessité d’un démontage méthodique lequel ne doit pas se transformer non plus en démembrement et en dislocation.

Il s’ensuit que toute opération de démontage doit s’effectuer en sachant qu’elle sera suivie inéluctablement par une opération de remontage, une opération décisive qu’elle doit faciliter et non pas décourager ou rendre impossible. Telle était la « didactique » qui inspirait le démontage, le transport puis le remontage du Sanctuaire, de sorte qu’à la fin du parcours, d’une part le trajet envisagé avait bel et bien été effectué, mais aussi que chacun et que chacune, au terme de celui ci, n’eût pas été rendu étranger, à lui même et à autrui.

D’autres commentaires sont encore possible, ce qui nous conduira en conclusion provisoire, et en prévision de la célébration de Chavouôt, à rappeler une observation du Rav Kook relative au début des Pirké Avot: « Moïse reçut (la) Thora du Sinaï.. » Si l’on a mis l’article « la » entre parenthèses c’est que la phrase originale n’en use pas et devrait être lue : « Moïse reçut Thora du Sinaï ». LA Thora, avec l’article défini, se révèlera, précisément dans la chaîne de transmission qui s’ensuit. Révélations futures pour la suite des générations qu’engendre le perpétuel, l’incessible choix de la vie.

                                                Raphaël Draï zal, 17 mai 2013

PARACHA BAMIDBAR

In Uncategorized on juin 3, 2022 at 12:26
33 Bamidbar.

Cette paracha  inaugure le livre du même nom dans le Pentateuque et présente plusieurs caractéristiques.

Elle inaugure en effet un livre remarquable par le nombre et par la densité des événements qui ne vont pas tarder à se produire : médisance des explorateurs, révolte  de Korah, guerre «contre-prophétique» menée par Bilaâm, et tant et tant d’autres épisodes appelant l’analyse, la réflexion, le commentaire et le commentaire du commentaire, à plusieurs voix, au long  des siècles.

Ce même livre présente néanmoins quatre caractéristiques. D’abord son articulation, de ce fait même, avec au moins les deux livres précédents. Pourquoi? L’on pourrait dire que la dominante du livre de Chemot est celle de la loi et du droit ; que celle de Vaykra est celle de la sanctification et de la purification. Le lien entre Chemot et Vaykra  devient ainsi et ensuite manifeste puisque dans la conception juive de la vie le droit régule son niveau social, tandis que la sainteté se rapporte à son niveau éthique, chacun, en relation de réciprocité, faisant preuve de l’autre. Cette articulation se retrouvera d’ailleurs dans l’organisation des matières et des titres de la Michna et du Talmud.

Et Bamidbar? Bamidbar constitue rien de moins que la mise à l’épreuve du réel de ces deux dimensions corrélées suivant le paradigme énoncé dans le livre de Chemot «Nous accomplirions – et- nous- écouterons». Cette sentence est, ne l’oublions pas, d’un seul tenant.

Telle est alors la troisième de ces caractéristiques: la Loi d’Israël ne se réduit pas à ses énoncés verbaux, à ses expressions rhétoriques. Elle doit s’inscrire, on ne le répètera jamais assez, non seulement dans l’épure des modèles institutionnels, somme toute idéaux, mais aussi et surtout dans les manières d’être, dans les façons de se conduire, dans la mise en œuvre de la Loi et dans la réalisation des objectifs éthiques. Sous ce seul point de vue le livre de Bamidbar devrait être considéré comme un classique de la science politique en ce qu’il relate précisément, par des épisodes-types, des mises à l’épreuve quasiment modélisées, combien il est difficile justement de passer d’une Loi céleste, d’une éthique idéale, aux conduites et aux comportements qui les valident réellement.

L’on définit souvent les régimes démocratiques, négativement, par opposition aux régimes dictatoriaux, ceux qui interdisent l’usage de la pensée et de la parole libres, et, positivement, comme se fondant sur la délibération, le dialogue. Ce qu’enseigne le livre de Bamidbar c’est à quel point l’usage collectif de la parole ne va pas de soi s’il s’agit d’ajuster entre elles des aspirations libres, de concilier des désirs subjectifs, de cohérer des volontés souveraines. Si « parler c’est dire », les explorateurs médiront, Korah’ contredira, Bilâam maudira. Jusqu’au moment quasiment céleste où confrontées au contentieux non encore résolu relatif à l’héritage de leur père, les filles de Tséloph’ad se contenteront d’en parler, raisonnablement,  à Moïse, de sorte que cette fois leur question appelle une réponse au lieu de la rebuter ou de la dévoyer.

On doit toutefois s’interroger sur l’entame de cette paracha qui énumère dans le détail de leur nom l’investiture officielle des responsables du peuple d’Israël et la constitution de ceux-ci en tsévaot, terme traduit à contre-sens par armée, au sens militaire, alors que ce terme désigne génériquement l’organisation cohérente de groupements en fonction de leurs objectifs, de leurs compétences, de leur expérience. Dès lors, il est possible de lire cette entame sur le plan strictement institutionnel, comme un chapitre de l’histoire du droit et des institutions de l’Antiquité.

Une autre lecture est cependant possible car dés lors aussi que des vocables comme tsava, ou lispor apparaissent, et qu’ils sont également utilisés pour désigner des entités ou des réalités d’un autre ordre, qui se rapportent au Créateur ( Hachem Tsevaot ) ou à la structure et au fonctionnement de l’Univers ( ôlam hasephirot ), il faut comprendre que le champ d’Israël ( Mah’ané Israêl ) et que le champ divin se correspondent, sont homothétiques. Ce qui se déroule dans le monde d’en-bas affecte donc nécessairement le monde d’en-haut. Chaque événement ne notre vie concrète se réverbère selon une tout autre dimension, celle de hauteur, par laquelle se révèle son impact réel. D’où l’appel constant à ne jamais s’installer dans l’indifférence ou à imaginer que nos actes s’inscrivent dans notre aire existentielle exclusive; qu’ils ne tirent pas à conséquences; qu’ils n’engagent pas notre responsabilité « outre-mesure», comme le dit si bien cette expression courante. Il faut alors être soucieux de ce qui, là encore et justement, outre-passe, par la force des choses, ce qui nous semble juste et à droit mais « à nos yeux ».

Tel est alors le point commun de tous les épisodes, heureux ou malheureux, qu’agencent entre eux le livre de Bamidbar : au delà de leur occurrence, ils engagent l’avenir d’Israël pour longtemps, jusqu’à nos jours. D’où la nécessité de les aborder avec attention et de les scruter jusque dans leur téâmim.

Raphaël Draï zal 9 Mai 2013