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Commentaire de la Paracha Vayikra

In Uncategorized on mars 27, 2020 at 3:01

Vayikra

(Lévitique, 1 et sq)

Le livre de L’Exode, le Sepher Chemot, s’est achevé avec la récapitulation minutieuse des éléments entrant dans la constitution du Sanctuaire et avec celle de son montage méthodique, tel que Dieu l’avait prescrit, de sorte qu’en en reprenant le récit, c’est comme si le lecteur participait à son tour et à sa manière à ce montage et qu’il en devenait l’artisan actuel.

Et une fois cette oeuvre accomplie, une oeuvre digne du Maassé Beréchit, de l’oeuvre de la Création du monde, la Présence divine l’investit toute, au point de ne sembler laisser aucune place à Moïse lui même. Comme pour signifier que le Sanctuaire devait se prolonger par un autre espace-temps dont il serait la structure d’accueil. Et c’est pourquoi la Thora enchaîne sans désemparer par ce verset: « Et Dieu appela ( vaykra ) Moïse du sein de la Tente d’Assignation ( Ohel Moêd )..» et qu’elle se prolonge par une première série de prescriptions concernant les korbanot. Ces deux premiers points méritent une profonde attention.

Que signifie « appeler »? Ce verbe est bâtit sur la racine KRA qui signifie certes appeler, au sens phonique, mais aussi advenir au sens événementiel. Ces deux significations sont liées: un événement, par définition imprévisible, n’advient qu’au regard et à l’esprit de qui le souhaite, de qui l’attend ou l’espère. La Présence divine ne se convoque pas. Elle ne s’invoque pas non plus comme les esprits de la Forêt enchantée. Le Dieu de la Thora est un Dieu vivant et personnel, qui « s’en vient » et qui peut aussi s’en aller, parce qu’il est libre. Libre même s’il se lie dans et par une Alliance. Moïse était en attente de Dieu comme Abraham était attentif au pas du passant s’inscrivant dans son regard, au plus loin de sa tente hospitalière. Pourtant, le degré de prophétie et de sainteté atteint par Moïse fait de lui le prophète incomparable à qui « Dieu parlait face à face, comme l’on s’entretient avec un ami ». Qu’en sera t-il de tout autre être qui veuille à son tour s’approcher de la Présence divine ou s’en rapprocher s’il s’en était éloigné, à moins qu’Elle se fût éloignée de lui?

Aucune incantation, aucun rituel magique ou prétendu magique ne l’y aidera. Dans ce but il devra procéder à un korban, terme improprement traduit par sacrifice. Le sacrifice, au sens ordinaire, est négativement connoté par les idées de diminution, si ce n’est d’amputation, parfois à notre corps défendant. Le mot korban comporte de tout autres significations. Il est bâtit sur la racine KRB qui désigne le rapprochement mais sans confusion, la réduction des distances mais sans dissolution de la personnalité. Tout le contraire, une fois de plus, de la régression du Veau d’or, idole fusionnelle et confusionnelle, compacte, opaque, réfractaire. L’accomplissement des korbanot ne prend son sens que par l’intégration inéluctable de ce premier niveau animal, non pour s’y mélanger mais pour y prendre appui et le dépasser. C’est pourquoi le texte insiste tant sur le découpage de l’animal apte au korban, de sorte que quiconque y assiste découvre un organisme articulé, avec un intérieur et un extérieur. Platon fera de cette sorte de découpage, lui aussi méthodique et respectant l’intégrité de l’organisme, une des fonctions de la pensée proprement humaine. Aussi, peut on dire que les korbanot dont on découvrira la nomenclature et même la théorie notamment chez Maïmonide, étaient des fins en eux mêmes pour quiconque devait recouvrer le sens physique, corporel, presque kinésithérapique du rapprochement, pour les raisons que l’on a dites.

Mais leur portée était plus élevée. Ils impliquaient l’acceptation de la hauteur d’âme propre à l’être humain qui sache user de la parole non pour empêcher, pour obstruer, pour abolir mais au contraire pour donner naissance, solliciter, inviter. Car appeler, au sens du vaykra, c’est faire accomplir à l’appelé ou à l’invité un mouvement confiant, allant justement de l’extérieur vers l’intérieur, au plus prés de soi. C’est pourquoi également l’entame du Lévitique insiste sur la dimension humaine des korbanot accomplis par le biais d’animaux «.. parle aux Bnei Israël et tu leur diras: « a) Un homme lorsqu’il rapprochera (yakriv) b) à partir de vous mêmes (mikhem) un acte de rapprochement c) pour Dieu (korban laChem)..» Les trois dimensions complémentaires du korban sont ici clairement mentionnées: la dimension humaine (adam) n’est pas dissociée du peuple (lakhem). Elle en procède. Et c’est à cette double condition que le rapprochement divin proprement dit (korban laChem) aura sa pleine portée.

Ce qui s’ensuit demande également à être examiné méthodiquement, korban après korban, comme la cartographie de l’espace spirituel et de l’espace social par laquelle la Présence divine trouve ses propres voies et chenaux, à la rencontre de la Présence humaine. Liturgie qui s’inscrit également dans une histoire. Isaac Breuer le rappelle: sans la présence du bélier, le dénouement vital de la ligature d’Isaac, fils d’Abraham, n’eût pas été possible. Solidarité non seulement écologique mais spirituelle. Le Psalmiste le rappelle dans ce passage lu à Minh’a de chabbat: « L’homme et l’animal, tu les sauves, Eternel ». Ensemble.

Raphaël Draï zal, 11 mars 2013

 

PRIERE JUIVE, ROSES DES VENTS

In Uncategorized on mars 26, 2020 at 5:15

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Au temps où le Temple de Jérusalem était édifié sur des bases fortes, les trois h’agim, les trois grandes solennités de Pessah’, de Chavouôt et de Souccot incitaient le peuple d’Israël à se retrouver au cœur de la ville, et au cœur du cœur de celle-ci: dans l’enceinte même de la Maison consacrée à la Présence divine et appelée également « Bet Habéh’ira », la Maison du choix, puisque le Dieu du Sinaï est le Dieu d’un peuple libre. A ces trois occasions le peuple d’Israël était convié à se « montrer » auprès du Créateur, dans son nombre certes mais surtout dans sa joie. Sans la joie des hommes la Présence divine se sent de trop. Aujourd’hui le Temple matériel n’est plus mais, partout dans le monde, les lieux de prière l’ont relayé, en attendant qu’il retrouve sa configuration première après avoir recouvré sa raison d’être à laquelle il faut rester attentif.

Depuis plus de quinze ans, maintenant, je vais prier à l’oratoire de la Fondation Rothschild, placé sous la responsabilité de Jacques Arnold. C’est un lieu de culte sans Président, confié à la sollicitude d’un groupe de fidèles désireux ne pas laisser les personnes âgées, souvent fort handicapées, pensionnaires de cette Fondation précisément hors de la Présence divine et de la joie partagée qu’elle inspire. On peut alors imaginer celle qui nous a submergé lorsque, pour Simh’at Thora, Mr Cohen a été ainsi hissé dans son fauteuil roulant jusqu’aux Rouleaux de la Loi pour en reprendre la lecture depuis son commencement. Il faut savoir que Mr Cohen est âgé de 104 ans, que son audition a faibli mais que sa conscience est intacte et qu’il a été parfaitement en mesure de réciter les bénédictions de circonstances. Comme Mr Cohen est originaire de Constantine, j’ai respecté un usage de cette ville, du temps où les Juifs y vivaient, et suis allé lui baiser la main. Ayant parfaitement compris mon geste, il m’a alors serré sur sa poitrine, comme si tout à coup, le temps n’avait plus de prise sur nous justement parce que nous en soulignions les surprenantes échelles. Voyant cela, un autre fidèle de cet oratoire, Michel Lévy, originaire d’Alger, s’est dirigé vers notre banc en nous tendant un livre de prières à la couverture de carton très usagée, rafistolée tant bien que mal. En l’ouvrant je découvris le nom de celui à qui il avait sans doute préalablement appartenu: Mr Elbaz Louis. Une autre mention – concernait elle son état? –, au tampon encré mais effacée en grande partie, portait l’indication : «..tailleur … d’habits … rue Combes … Consta …ine ». Sans avoir eu besoin de fermer les yeux comme dans les contes de fées, je me retrouvai transporté de la synagogue du 12eme arrondissement de Paris vers ma ville natale où Simh’at Thora était fêtée avec ferveur, les rouleaux de la Thora étant portés jusque dans les rues du quartier juif, accompagnés de chants et de danses … Ce n’est pas tout. Mon attention s’est ensuite trouvée attirée par les deux pages du garde du même livre.. Cette fois le voyage conduisait plus lointainement encore. En réalité ces deux pages avaient été renforcées par l’encollage des deux moitiés d’un prospectus de « réclame » destiné à faire connaître à la population juive constantinoise que : « Moussié » Pinhas Attali, ancien commis greffier et ancien clerc principal de notaire, savant en toutes matières juridiques, responsable d’un cabinet de contentieux établi depuis 1878, se chargeait de toutes procédures et commissions tant en France qu’à l’étranger ». Ainsi ce document d’archive quotidienne qui ne connaissait pas sa dignité renouait les fils et les plans de l’histoire juive en ses multiples visages et langages. Car il faut préciser que le dit document sur chacune de ces pages de garde présente deux versions: l’une imprimée en lettres carrées et en judéo-arabe constantinois, dont il est difficile de restituer toute la saveur, et l’autre, en arabe dialectal, dont il est tout aussi difficile de restituer pleinement les hyperboles, et cela dans un livre de prières consacrées aux immémoriales h’agim. Non loin de notre banc, un autre fidèle, Franklin Rausky, qui avait assisté à ce petit échange y apporta du sien. Il nous tendit alors un autre livre de prières, celles de « Shébuôt », reliquat sans doute encore de la présence d’un ancien pensionnaire de la fondation. A la page indiquée s’ouvrait une autre route mémorielle puisqu’il s’agissait cette fois de la prière intitulée « Gebet für den Landesherrn » et appelant, toujours en lettres hébraïques « le Roi de l’Univers, qui établit David sur son trône en lui épargnant toute épée hostile et qui le conduisit en sûreté jusque dans la tempête, à bénir, sauvegarder, sustenter, soutenir, exalter, grandir et porter au plus haut notre maître, le Roi et César Guillaume II ( Wilêlm hachéni) et la reine et Césarine, la Dame Augusta Victoria ainsi que la Césarine Frédérica ». En face de cette page, une autre page est composée en caractère gothique. Elle s’avère d’un ton plus martial et comporte une terminologie ayant d’autres résonances, plus métalliques, que sa consœur hébraïque, quand bien même celle-ci, par la mention de César, aboucherait l’histoire de l’Empire allemand et celui de la Rome impériale. Ainsi donc, au moment où nous commémorions à Paris la joie de la Création divine et celle qui s’attache au rassemblement du peuple d’Israël, celui ci, en quelques sorte, s’invitait en cette enceinte et faisait de nous, par ces fragments de souvenance échappés par miracle à une dissolution certaine, et à leur tour réunis, le confluent de toutes les histoires – car il en eut plusieurs, qui parfois se déroulaient en parallèle – de ce peuple là. Et nous tenions en main, non pas quelques feuilles jaunies de livres sénescents, s’émiettant presque lorsqu’on les tournait, mais une véritable rose des vents, vivace et pleine de couleurs, rappelant les prières, les sollicitations et bonnes annonces d’une collectivité humaine que l’exil avait dispersée non pas dans les quatre directions disloquées de l’espace mais dans les quatre directions de l’Esprit ( Rouah’), un Esprit qui la semait à plein vent dans le désert des peuples dont certains furent plus hospitaliers que d’autres, comme l’explique Rachi dans un de ses commentaires du Talmud. En octobre de l’année 5768- 2008, notre présence rue Picpus s’élargissait elle aussi selon ces quatre directions spirituelles à quoi s’ajoute celle des Hauteurs célestes où elles se coordonnent. Et tout cela sous le regard d’un homme qui avait dépassé de trois ans la ligne du siècle, à qui nous souhaitions tous d’arriver jusqu’à sa cent -vingtième année, et au delà, d’un centenaire né à Constantine, mais ayant vécu la déportation nazie en France, et arborant sa Légion d’honneur moins comme une distinction exceptionnelle que comme une surprise du Sort, tant l’histoire juive est imprévisible et s’élance toujours vers ses multiples avenirs. Car si l’Être d’Israël, s’atteste hautement dans ses penseurs et dans ses savants, il se prouve aussi dans cette joie discrète qui naît de la rencontre inattendue d’un prospectus rédigé en judéo-arabe dans les années 1880, et qu’on croirait sorti du groupe de Valeureux magnifiés par Albert Cohen, avec une prière imprimée en 1899 et en caractères wilhelmiens par les presses Berlag de Breslau.

             Raphaël Draï zal, L’Arche Novembre 2007

LA MORT, LA VIE, LE CHOIX (Arche Nov 90)

In Uncategorized on mars 25, 2020 at 12:18

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Qu’il s’agisse de répondre au « stress éthique » des médecins et des biologistes qui doivent décider d’un traitement médical ou d’une intervention chirurgicale à haut risque et à résultat incertain, du chef d’Etat se préparant a la décision de guerre; de l’individu désespéré qui se demande pourquoi continuer de souffrir, souffrance physique ou souffrance morale; ou du couple qui ne sait si l’enfant conçu sera conduit jusqu’aux rives de la naissance; dans d’autres situations encore lorsque l’intelligence humaine est sur le point d’avouer sa limite et de déclarer son impuissance, l’éthique juive rappelle ce principe : « et tu choisiras la vie (Deutéronome 30)», ajoutant : « afin que tu vives toi et ta postérité féconde ». En quoi ce principe peut-il etre éclairant pour le regard enténébré d’anxiété, celle qu’éprouve le médecin au bout de sa science, du malade au bout de son courage, du diplomate dans l’impasse ?

Il s’agit d’abord de choisir la vie, en tant que telle si l’on peut dire. Car un choix inverse est en effet possible : au carrefour des chemins de la vie et de la mort, il arrive que l’on décide, l’esprit froid, d’aller vers la mort. La liberté humaine dissociée du sens de la responsabilité et prenant alors la forme mentale de la recherche du pouvoir, politique, technologique, idéologique, n’exclut pas de tels choix. Il faut relire à ce propos l’analyse par Elias Canetti de la fascination d’Hitler pour les ruines[i] La construction d’un monument n’était décidée par lui qu’apres avoir imaginé son apparence, une fois accomplie l’action destructrice du temps… L’éthique juive incite a cette prise de conscience : la mort n’est pas toujours dictée par le désespoir ou par l’aveuglement. Elle résulte également d’un désengagement délibéré vis-à-vis d’autrui et de |’avenir, une fois l’un et l’autre jugés et condamnés (insignifiant, absurde, sans valeur !) par qui s’est enivré de sa propre importance, oubliant seulement que la mort est le seul « don » qui ne puisse, d’aucune façon, être humainement repris.

En fait la compréhension du principe énoncé par le Deutéronome commande traduction exacte : non pas tu choisiras la vie mais tu choisiras dans la vie (bah’aim). L’exactitude de la traduction claire la nature d’un choix véritable ; son effectivité. Car quand bien même l’on a refusé le principe de mort comment continuer de vivre ? La fin de la route praticable incite à ne pas aller plus avant. Comment choisir la vie lorsque par exemple la médecine ne peut plus explorer l’arborescence infinie de l’Arbre de vie (êts haim), redoutant que le juriste ne sache plus faire la difference entre la culpabilité, qui n’engendre que l’inhibition ou la transgression, et la responsabilité qui est respect des seuils et des rythmes ; lorsque le moraliste proclame l’obligation mais sans dire comment lui-même la respecte? Le choix de la vie doit etre choix dans la vie, exercice possible de la responsabilité grâce à la réalité des alternatives préalablement élaborées. Behira en hébreu désigne le choix mais aussi l’élection, c’est-à-dire l’exclusion de la voie unique. Ce n’est pas que l’on ait toujours plusieurs options, médicales ou politiques, devant soi. Cela veut dire qu’il serait infiniment grave d’exclure celles qui simplement ne nous conviendraient pas. Ainsi lors de la Sortie d’Egypte lorsqu’il apparait que Moïse met trop d’obstacles à la mission de délivrance que Dieu lui assigné auprès du peuple d’Israël en esclavage, donc privé de tout choix, alors Dieu l’en avertit « Voici Aaron ton frère, le Lévite, je sais que lui parlera et le voici qui sort à ta rencontre ». Le Lévite : l’homme voué à Dieu parce que dévoué au prochain. Le choix de la vie pour soi et autrui résulte de cette sortie de soi – certitudes emmurées, narcissisme prédateur, schématisme lapidaire – pour aller à la rencontre de qui voit, pense, parle, soigne, autrement. Parce qu’un visage est fait de soixante-dix visages, que la maladie s’en est venue par soixante-dix sentiers, que l’intelligence est plus nombreuse que les étoiles du ciel et que le miracle de la guérison commence avec toutes les raisons de lutter.

Raphaël Draï zal Nov 90

[i] La conscience des mots, Albin Michel

HAFTARA VAYAKHEL PEKOUDEI

In Uncategorized on mars 19, 2020 at 10:39

 

22 Vayakhel15.

Les haphtarot « chronologiques » pour ces deux parachiot – reliées entre elles (méh’oubarot) – devraient être tirée successivement du livre des Rois (I, VII, 13 à 51 et VIII, 1 à 21). Mais celle de cette semaine se trouve cette fois corrélée à la paracha « Para » (Nb, 19) qui traite de la liturgie dite de « la vache rousse (para adouma) et qui concerne les modes de purification (tahara) des Bnei Israël qui se sont exposés à une pollution pulsionnelle ou mortifère (toum’a).

La présente haphtara est tirée du livre d’Ezéchiel en son chapitre 36 (versets 16 à 38). Il s’agit avant tout d’en comprendre le mouvement interne car trop souvent, au titre de la théologie polémique et disqualificatrice qui a sévi contre le peuple juif durant des siècles, les prophètes d’Israël sont invoquées surtout comme réprobateurs et annonciateurs de châtiments; rarement comme consolateurs et dispensateurs d’encouragements pour reprendre le cours d’une Histoire torrentueuse. Aussi ce passage commence t-il incontestablement et expressément par de dures paroles de réprobation, qui confinent à un réquisitoire.

Le prophète, qualifié en l’occurrence de « Ben Adam (fils de l’Homme) », doit attirer l’attention de son auditoire, pour aussi rétif qu’il lui paraisse, sur les points suivants. L’Eternel a bien fait dévolution aux Bnei Israël d’une terre qui fût la leur avec pour contre-partie qu’ils y observent la Loi du Sinaï, non seulement en apparence et verbalement mais par leurs conduites et par leurs oeuvres. Le contraire s’est produit. Au point d’avoir mené cette terre à rebours de sa vocation, une terre assimilée à une « femme menstruée », autrement dit qui ne peut concevoir la vie durant cette période au cours de laquelle son époux ne saurait non plus l’approcher, conjugalement parlant.

Il en est résulté un châtiment: l’exil et la dispersion de ce peuple, retourné à l’idolâtrie, parmi des nations étrangères afin qu’il y réalise ce que signifie perdre sa liberté de choix, être à nouveau traité en objet et en déchet. Cependant à l’expérience, le remède présumé s’est révélé pire que le mal qu’il fallait guérir. Cette fois c’est au sein même des nations étrangères, elles mêmes idolâtres, que les exilés ont profané (yéh’allélou) le Nom de la sainteté divine (eth Chem kodchi). Il faut s’arrêter à cette dénomination qui reviendra plusieurs fois dans la suite du texte. Que signifie t-elle exactement d’autant que le prochain remède annoncé aura prioritairement pour but non pas de rétablir la souveraineté d’Israël par le propre mérite de ce peuple mais bel et bien de reconstituer la sainteté du Nom de Dieu ((36, 22) ?

Selon la pensée juive, l’Être divin ( êtsem ) est en soi inconnaissable. Dieu se fait connaître par son Nom ( Chemo ) c’est à dire par ce qui l’appelle et qui le personnalise. En ce sens la Thora tout entière est considérée comme « Nom de Dieu » parce qu’elle en appelle personnellement à sa Présence, comme lors de la construction du Sanctuaire, du Michkane, au désert, ou au retour de celle-ci lorsqu’elle s’est éloignée du peuple ou retirée de lui ( Esther Panim ). Or selon la Loi du Sinaï le Nom de Dieu ne peut être « appelé » qu’en vue précisément de sa sanctification: pour être corrélé exclusivement au choix de la vie. La profanation du Nom de Dieu advient lorsqu’il est clamé et proclamé, on l’a dit, à rebours de cette orientation, lorsque la bénédiction ( berakha ) s’inverse en malédiction ( kelala ); lorsque les comportements et les conduites dénaturent et déjugent les normes et les valeurs que l’on prétend incarner.

Or c’est bien de ce clivage qui se trouve à présent mis en cause. Les conduites et les comportements des exilés semblent avoir empiré à cause de cet exil lui-même. En réalité les nations concernées en tirent prétexte et argument pour discréditer l’Alliance du Sinaï et profaner encore plus le nom de Dieu. C’est pourquoi, le prophète doit annoncer à Israël la décision divine: le retour du peuple sur sa terre, de sorte que cette « dés-exilation », si l’on pouvait ainsi la qualifier, devienne un enseignement pour ces peuples imbus d’eux mêmes qui n’ont pas compris quel était leur véritable rôle dans l’Histoire de Dieu et de l’Humain. Un enseignement universel se déploie en cette annonce et, comme on l’a souligné, c’est la raison pour laquelle Ezéchiel est appelé, lui, « Fils de l’Homme ».

Cependant cette nouvelle sortie d’exil ne sera que le prélude à une réelle prise de conscience de la part du peuple d’Israël qui retrouvera la confiance divine et la surabondance de ses bienfaits, ce qui entraînera, en identification bénéfique également, la reconnaissance de la Sainteté divine par ces mêmes nations qui avaient cru antérieurement la dénier.

Cette haphtara prend son plein sens lorsqu’elle est éclairée par le commentaire suivant d’Isaac Abravanel (ad. loc). Ces nations là, et en particulier celles qui descendent de Rome et d’Ichmaël, avaient connaissance de la prophétie d’Ezéchiel et donc de l’annonce par la Parole divine du retour d’Israël sur la terre que Dieu lui a confiée. De quel droit alors ont elles prétendu se l’approprier, tour à tour ou en se la partageant, au risque de perpétuer la profanation du Saint Nom divin et de s’en éloigner beaucoup plus loin qu’elles ne le réalisent?

Raphaël Draï zal, 11 mars 2015

Incertain Messie – L’Arche Mai 92

In Uncategorized on mars 18, 2020 at 11:55

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Selon la rumeur, par définition incontrôlable, il y aurait du messianisme dans l’air.

Cela vaut qu’on y prête l’oreille. Dans l’histoire du peuple juif, et, à partir de lui dans l’histoire de l’humanité tout entière, le messianisme a drainé les espoirs les plus lumineux et souvent aussi collecté ce qu’il se trouve de plus destructeur au cœur de l’homme. A propos de l’avènement du Messie les doctrines les plus diverses s’opposent. Viendra-t-il dans un temps d’accomplissement de la justice et de réalisation de l’éthique économique ?

Mais dans ce cas quelle serait l’utilité d’une telle venue ? Parachever une réussite accomplie pat les hommes « ordinaires », seuls ? Ou officialiser cet achèvement ? Ou bien encore : sa venue est-elle conditionnée par une dégradation maximale du genre humain ? Le Messie interviendrait alors véritablement comme sauveur in extremis. Et dans ce cas l’on ne sait au juste en quoi consisterait la salvation : sacrifice de sa personne, agneau offert en compensation des turpitudes et des iniquités d’hommes et de femmes juges aveugles et sourds a la parole divine ? Cette version sacrificielle a marqué, on le sait, la doctrine chrétienne du messianisme ou elle cherche à s’équilibrer par l’affirmation de la résurrection de l’Agneau sacrifié. Mais en quoi la version sacrificielle se distingue-t-elle de ce contre quoi la pensée juive a toujours tenté de se prémunir : la mentalité apocalyptique selon laquelle le meilleur est présumé sortir du pire ? Le pire présente cette particularité : une fois produit il s’avère irréparable. C’est pourquoi le récit de l’Exode ne mentionne pas la résurrection des premiers nés égyptiens, morts à cause de l’aveuglement acharné d’un Pharaon qui s’imaginait détenir les clefs de la vie et de la mort, et ainsi s’érigeait en divinité.

C’est précisément dans les temps de grande inquiétude, de « sape » sociale que le messianisme apocalyptique se fait jour. A ce titre le pire n’est plus subi : il est souhaité. La destruction n’est plus redoutée : elle devient condition des temps nouveaux. L’angoisse n’est plus insupportée, elle devient jouissance. Et se met en place la plus terrible des inversions de l’esprit qui le conduit à formuler le Cogito en ces termes : « Nous tombons donc je suis ». Ce messianisme-là a conduit le peuple juif à ses plus graves fractures internes, à ses plus amères déceptions depuis ceux des Bnei Israel qui avaient tenté de sortir d’Egypte prématurément jusqu’à la fin pitoyable de Sabbatai Tsevi, en passant par le mouvement frankiste ou tel avatar du marxisme. Il apparait donc indispensable de rappeler au moins deux idées simples à propos du messianisme de vie tel que le comprend l’éthique d’Israel. En premier lieu, et au plan individuel, il n’exige pas l’abandon de l’esprit d’analyse, la noyade identificatoire dans l’on ne sait quelle personnalité prétendument charismatique : « Un rameau sortira de la souche d’Ichaï, sur lui reposera l’esprit de l’Eternel… esprit de sagesse et de discernement (Esaïe, XI). » Rien à voir avec le cogito de la chute dont on vient de parler. Au contraire : les qualités de l’esprit vigile sont requises au nom même de ce Dieu dont la révélation est accueillie dans des conditions de clarté optimale. Le messianisme requiert la foi, c’est-à-dire l’ouverture sur le sens de l’avenir et non la crédulité qui est affirmation aveugle, laquelle ne supporte ni la contradiction ni l’esprit d’examen. Et au plan collectif le messianisme de vie doit etre compris hors du dilemme que l’on a indiqué au commencement. Le messianisme d’Israel n’est ni condition ni conclusion de l’Histoire mais esprit d’accompagnement de celle-ci. Il ne se substitue pas au respect de l’Etat de Droit, ni à la réalisation véritable de la justice économique. Il ne permet pas de faire l’économie de la médisance. Il exige le déploiement de l’intelligence. Il est plutôt cette espérance qui accompagne l’être humain relié à son prochain lorsque chacune de ces réalisations lui parait trop immense, qu’elle lui semble devoir excéder ses forces. La pensée messianique juive, telle qu’elle a été comprise depuis les sages de la Haggada jusqu’à Ernst Bloch en passant par Maïmonide et le Maharal c’est cette incitation et ce réconfort du courage. Ce n’est pas le court-circuit de l’Histoire, l’hallucination de son accomplissement mais la source qui se creuse encore plus profondément pour puiser en soi la force persistante, l’endurance lorsque cette Histoire est à l’indice du plomb.

En ces temps incertains ou la complexité du monde défie l’aptitude de l’esprit à en rendre compte, l’idée messianique ne saurait etre invoquée comme l’Esprit d’Aladin dans sa lampe magique. Elle ne saurait etre imputée a un individu unique dont on rechercherait les amulettes et les talismans. L’idée messianique doit etre comprise comme devoir d’espérer. Espoir non illusoire tant que le chantier n’est pas abandonné. C’est cela qu’il devient nécessaire de souligner : quelles qu’en seront l’apparence et la démarche, le Messie est d’ores et déjà astreint à une obligation : celle de ne pas détourner de son travail celui qui ne l’aura pas achevé en plénitude de forme et de sens. Sans quoi son visage ne serait que distraction au bord du gouffre.

Raphaël Draï zal, l’Arche Mai 1992

LES FLEAUX ET LES SIGNES – L’Arche Septembre 1996

In Uncategorized on mars 13, 2020 at 12:04

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L’épidémie dite de la vache folle suscite des peurs et des phobies qui s’ajoutent à celles que provoque le sida.

Comment combattre un fléau quand on ignore sa nature réelle mais aussi l’ampleur de sa diffusion effective et les voies de sa propagation ? Dans toutes ces situations, les pouvoirs publics semblent mis devant le fait accompli du cataclysme et pris au dépourvu s’agissant des contre-mesures qui s’imposeraient. A quoi il faut ajouter encore que ces épidémies ne se réduisent pas à leur aspect médical et biologique, qu’elles mettent en question des intérêts économiques, commerciaux et financiers gigantesques au point que les mêmes pouvoirs publics se trouvent paralysés devant l’enchevêtrement des dilemmes qu’ils doivent trancher : par exemple, santé publique contre dépôts de bilans.

De pareilles situations d’extrême crise l’on retire le sentiment que gouvernants et savants ont alors manque de clair voyance et de prévoyance. Qu’en somme, une fois de plus, le tragique les a pris au filet, si l’on définit le tragique comme cette impotence de l’esprit qui peut contempler ce qui le détruit sans pouvoir y parer. Et si dans l’éducation et la formation de nos « élites » manquait justement cette préparation-là : apprendre à discerner ce qui s’annonce sans éclats, à distinguer les premières manifestations de ce qui se révèlera ensuite dans le trauma et parfois l’épouvante ?

Que peuvent nous enseigner nos différentes mémoires culturelles à ce propos ? Dans la Grece antique, lorsque la peste éclatait, les Athéniens ou les Thébains y voyaient les signes de la désapprobation des Dieux et de leur colère. Autant dire qu’ils n’en avaient pas une conception réductrice et tranquillisante. La survenue du fléau devenait l’occasion d’un débat de conscience et d’une mise en question du gouvernement de la cité. Mais, comme l’a fortement souligné Kierkegaard, le monde qualifié de moderne aurait perdu le sens de ce tragique d’ensemble, pour se rassurer par des explications scientistes ou technologiques.

Lorsqu’un fléau se déclare, c’est le seul « complexe » scientifico-étatique qui est montré du doigt avant la recherche éventuelle de boucs émissaires.

Avec les enseignements de la Grèce ou de Rome — signes précurseurs d’Héraclite ou augures de Cicéron — la tradition juive a également fortement insisté sur les signes annonciateurs des fléaux et des catastrophes. L’esprit humain ne fonctionne pas de façon binaire : jour-nuit, maladie-santé. Il doit etre attentif à ce qui commence par apparaître, à ce qui s’indique, presqu’indiscernable, de sorte que le peuple ait encore le temps de réagir, de ne pas se laisser sidérer par l’irruption d’un mal derrière lequel il s’épuisera ensuite à courir sans cesse.

La création ne s’est pas faite d’une seule pièce. L’univers n’est pas un monolithe mais un véritable système interactif, constitué d’éléments à la fois différenciés et coordonnes entre eux. Par suite, l’intelligence humaine doit être attentive simultanément au possible — et dangereux — effacement de ces différences (par exemple, entre les domaines minéral, végétal, animal et humain) et au renforcement permanent de leurs liaisons et conjonctions.

Dans la tradition juive, des fléaux comme la lèpre (metsora) ou la peste (maguepha) ont évidemment été expliqués par des causes médicales. Mais simultanément — comme en Grèce, même si les références culturelles et religieuses des deux civilisations ne sauraient etre amalgamées —, ils ont toujours été éprouvés comme autant de signes du délabrement constitutionnel du peuple, de sa cohésion intime, comme sanction de la méconnaissance de l’Alliance. Quels qu’en soient les vecteurs spécifiques, le mal et la mort ne sévissent finalement qu’apres s’etre insinués dans le cœur du peuple ou dans son esprit par les failles puis les cassures qui s’y sont préalablement produites.

Est-il possible d’aller au-delà de ces affirmations de principe ? Par ces temps de sida et de vache folle, il serait éclairant de relire par exemple quelques pages du traite Taânit du Talmud de Babylone (21 a et sq). On découvrira comment les Sages d’Israel étaient attentifs aux signes annonciateurs des fléaux autrement imprévisibles, afin d’y parer en temps utile sur les deux plans qu’on a soulignés : le plan médical et celui de la réflexion, de la prise de conscience collective.

Reproduisons cursivement quelques-unes de leurs observations.

Il convient en premier lieu d’etre particulièrement attentifs à l’inhabituel, a ce qui doit déconcerter nos schémas perceptifs et mentaux. Lorsqu’une bête de proie pénètre de nuit dans une ville, c’est dans l’ordre des choses. De jour, ce ne l’est plus et l’on doit s’interroger sur les divers niveaux de désordres qui ont pu permettre cette pénétration, laquelle pourrait se transformer en véritable invasion, à l’instar de la plaie du âroub dont l’Egypte fut frappée.

Autres signes, autres interrogations. Lorsque dans une agglomération d’environ cinq cents personnes valides il arrive que trois personnes décèdent trois jours de suite, il importe de décréter les liturgies de taânit. La régularité et la fréquence de ces décès les constituent en signe, ce que n’eut pas été la mort de neuf personnes en un seul jour.

De même, lorsqu’un vol de sauterelles s’abat sur une localité et qu’il semble que les insectes ne s’attaquent pas à la végétation : taânit ou pas ? La réponse du Talmud n’est pas dépourvue d’humour: pourquoi tergiverser ? où et quand a-t-on vu des sauterelles voyager avec leurs stocks de provision ? Le fléau a leur propos ne s’est peut-être pas encore declaré mais il est naturellement imminent et c’est bien à cette imminence qu’il faut réagir sans tarder.

Autre cas : une épidémie se déclare dans des élevages de porcs. Pourquoi déclarer taânit, puisque les Juifs sont censés ne pas consommer de cette viande ? Pourtant, il le faut car entre cet animal et, l’homme existent d’autres connexions que la seule connexion alimentaire. Par suite, pareille épidémie doit être considérée comme le signe annonciateur que ce qui a attaqué l’élevage porcin ne tardera pas à s’attaquer à la physiologie humaine. Une fois de plus, l’esprit de responsabilité doit prévaloir et il serait désastreux d’euphémiser les signes patents d’une destruction qui, laissée à son propre mouvement, éclaterait à grande échelle. L’aveuglement ne se manifeste pas uniquement dans la mauvaise appréciation de la dimension individuelle des phénomènes mais aussi dans celle des rapports qui s’établissent entre eux et qui parfois laissent abasourdi l’observateur inattentif ou impréparé.

Derniere situation : un fléau s’est déclaré dans une localité étrangère, située loin de la localité qui vient de l’apprendre. Celle-ci doit toutefois déclarer taânit si entre elle et la localité directement affligée aucune rivière ne coule, aucune défense naturelle ne se trouve. Les distances n’ont pas de réalité en soi et elles s’annulent, d’une part a cause de la vitesse de propagation de l’épidémie, et d’autre part lorsque celle-ci a pour ainsi dire le champ libre.

Enfin, toute cité qui sait ne pas comporter en son sein de tsadik (Juste) doit se mettre en état de taânit perpétuel. En l’occurrence, le tsadik n’est ni sorcier, ni porteur de gris-gris conjuratoire. Il est lui-même signe que le peuple est uni, enté sur le choix de la vie et que la mort aura beau roder aux abords de la ville, elle trouvera toujours porte close avant de s’en aller vers d’autres cités, peut-être moins bien défendues.

Raphaël Draï zal, l’Arche Septembre 1996

HAPHTARA KI TISSA – Rois 18, 20 à 39

In Uncategorized on mars 12, 2020 at 9:19

21Ki-Tissa15

La paracha Ki Tissa relate les circonstances et les conséquences de la transgression du Veau d’or, tout juste après que les Bnei Israël ont accepté les dix Paroles du Sinaï. Pour bien faire comprendre qu’il ne suffit pas d’accepter un idéal, formellement. Qu’ensuite tout dépend de sa réalisation et celle-ci – à moins de supposer le problème résolu de la discordance entre l’idéal et le réel – ne va jamais de soi.

A des siècles de distance c’est à une discordance analogue que se heurte le prophète Elie, sous le règne du couple royal et idolâtre formé par Achab et Jézébel. En ce temps là les prophètes fidèles à l’Alliance du Sinaï sont impitoyablement persécutés. Lorsque l’on parvient à les capturer ils sont exterminés en masse. Dans son ensemble, le peuple fait montre de passivité laquelle encourage le couple royal et scélérat à persister dans ses agissements. C’est pourquoi le prophète Elie le convoque maintenant à une inéluctable épreuve de vérité. Il est temps que le peuple cesse « de boiter sur ses deux jambes », qu’il cesse de tergiverser, s’imaginant que le Dieu du Sinaï et que les idoles de Canaan sont des choix alternatifs. Le prophète Elie, lequel en attendant a bloqué toutes les sources d’eau sur la terre en litige divin, défie les 450 « prophètes » de Baâl face à ce peuple moralement claudiquant. Que l’on prépare un autel et qu’on y apprête symétriquement deux taureaux mais sans y mettre le feu avant l’heure convenue. Après quoi chacun invoquera son dieu. Le premier qui consumera le sacrifice, sera reconnu pour l’unique et vrai Dieu. Le peuple acquiesce.

Les premiers, dès le matin, les prophètes de Baâl, apprêtèrent leur sacrifice et se mirent à invoquer leur divinité tutélaire. Leurs implorations durèrent jusqu’à midi. En vain. Point de réponse. Et les voici qui s’agitent et se démènent au dessus de l’autel qu’ils avaient eux même confectionné, comme s’ils y cherchaient un défaut de conception et de fabrication qu’ils n’y avaient pas immédiatement perçu. A midi, Elie les interpelle sur un ton qui passerait pour ironique s’il ne correspondait exactement à la réalité de la croyance idolâtre et à ses liturgies illusoires: « Appelez à haute voix (bekol gadol) car c’est un dieu ! » Sans doute ce dieu est –il occupé à des affaires plus importantes ! A moins qu’il ne se soit accordé, qui sait, un petit somme dont il finira bien par s’éveiller ! Face à ce défi les prophètes de Baâl s’adonnent à une liturgie encore plus violente et sanglante, paroxysmique. Ils tailladent le corps d’où leur sang ruisselle, sans cesser d’invoquer leur divinité, et cela jusqu’au milieu de l’après midi. Cependant, toujours point de réponse ni aucune marque d’attention. C’est le moment décisif. Elie demande au peuple, à tout le peuple (col haâm) de bien vouloir s’approcher de lui (guéchou élay). Et le peuple dans son entier s’approche de lui.

Elie commence par rétablir symboliquement et matériellement l’autel de Dieu, jusqu’alors démantelé. Ensuite il réunit un ensemble de douze pierres représentant également les douze fils de Jacob, nommé à présent Israël, de ce nom transcendant que chaque Bnei Israël doit assumer personnellement. Après quoi, il dispose les éléments du sacrifice proprement dit et fait entourer l’autel d’une tranchée. Sur le taureau sacrificiel il fait verser par trois fois quatre cruches d’eau, par quoi se retrouve la symbolique du douze. Cette eau est versée en abondance au point d’emplir la tranchée.

Et c’est au moment précis de la prière de minh’a, qu’Elie en appelle au Dieu d’Israël «Réponds moi, Seigneur ! Réponds moi et que le peuple sache que tu es l’Eternel Dieu (Hachem Haélohim) et toi tu les ramèneras leur cœur à son origine (ah’oranit) ». Et cette fois la réponse de Dieu survient sous la forme d’un feu qui consume le taureau sacrificiel, le bois, les pierres et la terre avant d’assécher toute l’eau de la tranchée. Enthousiasmé, le peuple exulte et proclame son adhésion élective en en redoublant l’expression: « L’Eternel est Dieu, l’Eternel est Dieu ».

Peut on affirmer alors qu’Elie a « gagné », qu’il est sorti vainqueur de cette épreuve divine, de cette ordalie? La réponse est moins évidente qu’il ne le semble. Pourquoi? Précisément parce que nous ne sommes plus immédiatement après la Sortie d’Egypte, alors que le peuple était encore tout imbibé, si l’on peut dire, de mentalité et d’habitudes idolâtres. Des siècles et des siècles se sont écoulés et il semble que le travail spirituel soit sans cesse à reprendre depuis le début (ah’oranit), tant s’avèrent lourdes les propensions idolâtriques.

Version biblique du mythe de Sisyphe? En partie mais surtout enseignement profond sur ce que signifie cheminer dans l’Histoire avec ce que celle-ci exige de patience, de lucidité, d’endurance et de fermeté spirituelle.

                       Raphaël Draï zal 6 mars 2015

PAR TEMPS D’EPREUVE: L’ESPRIT DE POURIM

In Uncategorized on mars 9, 2020 at 5:12

Alors que la communauté juive de France s’interroge sur son avenir, il importe de garder à l’esprit des repères essentiels, et cela sans s’adonner au mélange des genres, celui qui mène à substituer la théologie à la politique. La célébration de Pourim en donne l’occasion. Elle marque en premier lieu la conversion sensible et palpable de l’hiver au printemps. Cette conversion là n’est pas seulement climatique. Elle souligne en effet un état d’esprit, celui qui inspire une forme aiguë et intense de résistance morale face aux multiples visages et langages de l’antisémitisme. Il faut bien comprendre que ce fléau n’est ni circonstanciel, ni accessible à la raison. Il est inhérent à la manière aberrante dont s’est constituée l’identité occidentale durant plus deux millénaires. Lutter contre l’antisémitisme exige que l’on ait le souffle long et qu’on ne s’étonne pas, après chaque victoire contre ses sbires, qu’il reprenne sans cesse, si l’on peut dire, du poil de la bête, et quelle bête puisque le livre de Job laisse le choix entre Léviathan et Béhémoth! Pourtant nous ne vivons plus au temps de Pharaon ou de Haman. Nous vivons au temps de l’Etat d’Israël ressuscité après vingt siècles d’exil et de dispersion. Déjà, lorsque le peuple juif s’est retrouvé pulvérisé parmi les nations et exposé aux lubies de potentats divinisés, il s’est trouvé des êtres à la fois inflexibles et capables de prier, comme Mardochée et Esther lorsqu’ils surent faire face à une adversité qui s’annonçait fatale. Rien ne les fit plier, pas même le sentiment de peur sans lequel un être de sang et de chair ne saurait pas vraiment ce qu’est la condition humaine. Cette capacité de résistance morale procédait également et indissociablement d’une intelligence vive de la situation du peuple juif et de son environnement mortel. Car cet environnement là était simultanément traversé par des contradictions majeures entre intérêts personnels, statuts politiques, ambitions forcenées, qui ne tarderaient pas à se manifester férocement. En ce sens, Mardochée comme Esther furent des personnalités prophétiques si le prophète se définit aussi par la capacité de percevoir l’instant décisif, celui à partir duquel une époque bascule, une situation se renverse et que les juges du trop fameux tribunal de l’Histoire réalisent qu’ils vont à leur tour être jugés. Aujourd’hui en France, la communauté juive vit pratiquement en état de siège. Nul ne peut prédire l’impact de cette « bunkérisation » insensée en plein XXIème siècle sur le psychisme d’enfants qui doivent de toutes façons ne pas manquer la classe. La stratégie des antisémites de tous acabit est de leur mettre la vie à charge. C’est justement dans ces circonstances que sa propre histoire spirituelle lui procure les ressources d’une résistance exemplaire. Car statistiquement parlant tous ceux qui au long des siècles ont tenté de l’exterminer ont fini pendus ou carbonisés. En attendant, il faut discerner les deux affects essentiels de Pourim et s’y tenir fortement: le courage et la joie. Car comme y insistent les Sages d’Israël: si la peur est contagieuse, la joie est communicative.

Raphaël Draï zal, Radio J, 2 mars 2015.

Commentaire de la Haptara Testave (Ezequiel, 43, 10 et sq.)

In Uncategorized on mars 5, 2020 at 8:26

 

20Tetsavé15

En résonance avec la paracha Tétsavé, par laquelle se poursuit la description de l’édification du Sanctuaire au Désert, du Michkane, comme toujours, à des siècles de distance, et comme si le temps prophétique n’était pas sous la juridiction du temps chronologique, ce passage du prophète Ezéchiel vient à la fois marquer la continuité de l’histoire chronologique d’Israël et déployer cette histoire dans un espace-temps différent, celui de la vision prophétique, de la névoua. Ce qui conduit aux observations suivantes.

La prophétie d’Ezéchiel est sans doute la plus incandescente, la plus énigmatique, celle qui déploie l’esprit prophétique jusqu’à des limites jamais atteintes jusqu’alors – que l’on songe aux visions concernant Gog et Magog et celle relative à la résurrection des morts. Et pourtant le prophète y est désigne par la parole divine comme « Fils de l’Homme » (ben Adam). Ce qui tend à établir la dimension universelle de cette prophétie puisqu’il y est question de rétablir le peuple d’Israël en ses véritables assises mais également l’Humain sur les siennes. D’où l’attention que l’on doit porter au contenu de cette prophétie.

Par ailleurs, et c’est en cela qu’elle concerne directement la paracha homologue, il y est question de la construction d’un nouveau Temple dont on se demandera, au regard de la période où Ezéchiel intervient: après la conquête de Jérusalem par Nabuchodonosor et la déportation d’une très grande partie de sa population, s’il s’agit du second Temple, du Baït cheni, ou d’ores et déjà du troisième Temple. Dans tous les cas, il est donné à comprendre que cette succession n’est pas strictement linéaire mais, une nouvelle fois prophétique. Dans la pensée prophétique – et le moment venu la pensée talmudique en prendra le relais – le 2 ne succède pas mécaniquement au 1 tout en précédant le 3 et les chiffres qui s’ensuivent. En réalité cette succession souligne une élaboration, une décantation, un affinement.

Le 1 marque le commencement du processus.

Le 2 sa modification.

Le 3 sa phase synthétique.

Encore faut-il déployer les efforts personnels et collectifs, matériels et spirituels, qui permettent à ce processus de se développer au lieu de se trouver bloqué sur une des phases antérieures.

Le premier Temple, bâti par Salomon, comme on l’a vu dans la précédente haphtara, a été détruit par les armées venues du Nord. Un autre temple sera reconstruit après le retour de l’exil babylonien et ce Temple sera détruit à son tour par les légions romaines. La prophétie d’Ezéchiel saute t-elle, si l’on ose dire, cette étape pour décrire les caractéristiques non pas d’un autre Temple mais d’un Temple autre dont nombre de ses caractéristiques, dimensions et aménagements font justement l’objet d’une grande partie du livre d’Ezéchiel, jusqu’à sa vision conclusive? Faut-il en déduire que les temples, une fois détruits, se remplacent et se rebâtissent comme des bâtiments ordinaires et qu’il n’y faut pas chercher d’autres enseignements qu’architectoniques?

On serait tenté de le penser par une lecture rapide et superficielle des versets constituant cette haphtara où il sera question, certes, de la construction physique de l’édifice mais de telle sorte qu’il devienne ou redevienne apte à recevoir les purs sacrifices, les korbanot, des Prêtres, des Cohanim, assistés des Lévites; les uns et les autres reconnus dignes d’assumer cette responsabilité sacerdotale, celle par laquelle un double rapprochement est opéré entre les Créateur et ses créatures, et entres les êtres humains, es qualités.

On ne saurait s’y méprendre: la présente haphtara prolonge effectivement la précédente dans sa lettre et dans son esprit tout comme la paracha Tétsavé prolonge la paracha Térouma. Ce qui se déduit des termes mêmes employés par le prophète Ezéchiel dès le verset 11 lorsqu’au nom du Créateur il précise l’état d’esprit dans lequel sera conduite la nouvelle entreprise: « Et s’ils ont vergogne de tout ce qu’ils ont fait, donne leur intelligence de la Forme primordiale (Tsoura) de la Maison, de ses installations, de ses voies d’accès et de ses issues et de toutes ses autres formes et de toutes mes principes légaux (h’oukotaiv) et de toute ma Loi générique (Torotaiv); donne leur connaissance et écris les à leurs yeux et ils observeront toutes ces formes et tous ces principes légaux et ils les accompliront » (Ez, 43, 11).

Selon les termes de ce verset particulièrement significatif, le vocabulaire proprement architectural avec le vocabulaire juridique et spirituel s’entremêlent comme si l’on avait voulu former par leur mixage un matériau d’un genre nouveau, particulièrement solide et inaltérable.

L’architecture matérielle n’a pas d’avenir tant qu’elle ne bénéficie pas de cette armature légale et spirituelle.

                         Raphaël Draï zal, 26 février 2015