danieldrai

Archive for décembre 2016|Monthly archive page

Le sens des mitsvot: Paracha Mikets

In Uncategorized on décembre 30, 2016 at 1:23

10 MiketsDéc14

« Pharaon envoya quérir Joseph et on le pressa hors du cachot (…) et Pharaon dit à Joseph: « J’ai fait un rêve mais nul ne peut l’interpréter; j’ai ouï dire de toi que tu comprends un rêve pour l’interpréter ». 

Joseph répondit à Pharaon: « C’est au dessus de moi: c’est Dieu qui répondra du bien être de Pharaon » » 

(Gn, 41, 14 à 16). 

Les deux rêves de Pharaon concluent et parachèvent tous ceux que relate le livre de la Genèse. On n’en retrouvera d’aussi intenses et chargés de sens – mais toujours à interpréter – que dans le Livre de Daniel. La réponse de Joseph atteste en tous cas de sa maturité. Tandis qu’auparavant, et vis à vis de ses frères, il s’autorisait à raconter ses rêves de prééminence et à les interpréter de son cru, cette fois il sait se mettre en retrait et attribuer l’élucidation éventuelle des rêves de Pharaon au seul Créateur qu’il situe clairement au dessus de lui. Hormis cette humilité nouvellement acquise – et après combien d’épreuves! – il faut aussi se demander pourquoi et en quoi la réponse de Joseph était adéquate à la demande de Pharaon. Bien sûr, il ne s’agit pas d’affirmer que l’inconscient pharaonique est, par nature au dessus de l’inconscient de n’importe quel autre individu. Il n’empêche que les rêves d’un être doté d’un tel pouvoir matériel, régnant à ce moment sur l’un des pays les plus puissants du monde habité, n’a pas les mêmes causes ni les mêmes conséquences que ceux d’un simple passant. Joseph est conscient de cette typologie. Devant l’impuissance affichée du maître de l’Egypte et de ses chiromanciens, il prend garde à ne pas se situer comme le détenteur d’une puissance interprétative qui lui ferait retrouver, fût ce à son corps défendant, la position périlleuse qu’il s’était attribuée initialement à l’encontre de ses frères et même à l’encontre de ses parents. Pourtant Joseph ne cède à aucune courtisanerie puisque c’est Dieu (Elohim) qu’il situe au dessus de lui même et par suite, sans forcer le trait, au dessus de Pharaon, lequel dispose d’assez de ressources spirituelles pour ne pas s’en offusquer.

C’est une fois ces précautions prises que Joseph, qui en avait déjà entendu une version externe, se fait raconter par Pharaon en personne les rêves fameux des vaches grasses et des vaches maigres, des épis replets et des épis secs. On n’insistera pas ici sur la « technique » de Joseph pour mettre de la lumière dans ces rêves énigmatiques. Sans rien enlever aux apports de Freud dans la « Traumdeutung », dans « L’interprétation des rêves », il est clair que cette technique comportait des éléments parlants pour comprendre les rêves de son temps. A coup sûr il est possible de voir dans la séquence binaire des rêves de Pharaon, comme pour tout un chacun, des références à ses images parentales. Faut –il rappeler que la symbolique des épis apparaît déjà dans les rêves du jeune Joseph et que ceux-ci sont immédiatement suivis par un rêve faisant manifestement allusion à Jacob et à Rachel? Pourtant, Joseph, lorsqu’il se livre à sa propre et décisive interprétation ne s’arrête pas au degré primaire de cette symbolique. Ce dont il a l’intuition, c’est que la séquence binaire que l’on a relevée trace en réalité une perspective dans le temps. Nul ne sait quels sont les matériaux de la veille ou de l’avant – veille qui auront induit le rêve en partie – double du maître de l’Egypte. Ce qui importe est la position que Pharaon finit par occuper: sur les rives de l’artère nourricière de son pays, ce qui atteste que c’est elle qui sera affectée par ce qui s’ensuit. Le contraste apparaît alors maximal entre les deux- sous parties de chaque partie du rêve. Surtout Pharaon s’avère dans l’incapacité d’empêcher l’émergence des vaches maigres et des épis secs. D’où la nature de cauchemars de ces rêves-là qui l’empêchent de retrouver un sommeil réparateur et la sérénité de l’esprit. Pour Joseph, il est clair à présent que ces deux sous-parties correspondront à deux périodes complètement contrastées des temps à venir. Toutefois, loin de rester passif devant la calamité qui s’annonce Joseph incite Pharaon à prendre les devants sans attendre. Leurs intuitions respectives sont corroborées. On ne choisit pas le chenal d’une information, d’où qu’elle vienne, mais une fois quelle est advenue au lieu d’en faire l’énigme du pire, il faut l’ouvrir sur l’avenir. Et Pharaon, ce Pharaon là, écoutera Joseph.

Raphaël Draï zatsal, 17 décembre 2014

                            H’anoukiot

In Uncategorized on décembre 24, 2016 at 11:19

hanukkah-2015-hero-e

 

Au temps de H’annouca, les ciels diamantifères

Brillaient d’un bleu mordant sur le quartier Welvert.

Et dans les bars l’anisette avec la morue frite

Jetait de la blancheur jusqu’au fond des guérites.

**********************************

Une à une les lumières montaient la nuit

Inscrivant dans les yeux le bel exemple qui luit,

Celui de Juda Maccabée contre Epiphane

Et celui de H’anna contre le roi profane.

**********************************

Et lorsque la neige ensevelissait la Ville

Nous allions à l’école au pas des serre -files,

Raclant de nos galoches les trottoirs glissants,

Le cartable  fixé  à nos dos de dix ans.

**********************************

Nos mères attendaient le repas de midi

Priant pour nos santés, Ah yah Rebbé Sidi;

Sur la table les plats de fèves au cumin

Allaient nous réchauffer des rigueurs du chemin.

**********************************

Au bout de ces huit jours la lumière plénière

Nous promettait proches floraisons printanières,

Les Psaumes se chantaient accompagnés au luth,

Les plus beaux piyoutim au son vif de la flûte.

**********************************

Ces huit Lumières ne se sont plus éteintes,

Elles nous protègent comme des murs d’enceinte;

Avec celles de Paris, celles d’Israël

S’en vont éclairer jusqu’aux étoiles du ciel.

**********************************

H’ag saméah

Raphaël Draï zatsal 23 décembre 2011

 

Vayechev – L’aventure de Joseph (Video Akadem 2007)

In Uncategorized on décembre 22, 2016 at 10:29

Cliquer sur le lien ci-dessous pour lancer la vidéo:

http://www.akadem.org//sommaire/paracha/5768/parachat-hachavoua-5768/vayechev-l-aventure-de-joseph-15-10-2007-7067_4311.php

LE SENS DES MITSVOT: PARACHA VAYECHEV

In Uncategorized on décembre 22, 2016 at 10:23

9 Vayéchev

« Voici l’histoire des générations de Jacob: Joseph.. » « Or Israël aimait Joseph plus que tous ses fils… » « Ses frères virent que c’était lui que leur père aimait plus que tous ses frères. Ils le prirent en haine et ils ne purent lui parler en paix » « Joseph fit un rêve qu’il raconta à ses frères… « Et voici que vos gerbes se sont prosternées devant ma gerbe… » (Gn, 37, 2 à 6) 

La Thora ne se réduit pas à un récit édifiant, mettant en scène des héros surhumains, dénués de passions et sans aucune faiblesse. Au contraire, chaque fois, elle souligne leur vulnérabilité, leurs passions immaîtrisées, leurs contradictions intimes. Ainsi en va t-il de Jacob-Israël. Sa contradiction la plus intime est indiquée par le verset précité qui s’engage sur le récit des générations (Toldot) – au pluriel – de Jacob et qui ne mentionne en réalité que le seul Joseph. Ses autres frères seraient-ils exclus de la généalogie des Patriarches et en tous cas de la filiation spirituelle avec leur propre père?

Le même récit livre l’explication de cette exclusivité: l’amour que Jacob porte à Joseph et qui le distingue parmi tous les autres membres de la fratrie, un amour lui même causé par ce que Joseph représente pour leur père commun: il est « fils de son grand âge », autrement dit, il le rassure. Cette vieillesse là n’est pas sénescente mais créatrice. Qu’en résulte t-il? Une fois de plus le récit biblique ne procède nullement par effets de sourdine et par périphrases: les frères de Joseph en éprouvent rien de moins que de la haine (sin’a) à son encontre, une haine tellement virulente qu’elle les empêche désormais non pas de lui parler mais de lui parler en paix. Leurs échanges ne sont plus que diatribes. Ils ne savent plus s’adresser à lui que sur le mode périlleux de la dispute et de la querelle. Tout ce récit est une invite à une lecture psychanalytique. Quel rapport en effet entre cette dilection paternelle et la haine collective des frères lesquels s’approchent dangereusement de l’abîme du fratricide?

L’amour, surtout dans sa modalité passionnelle, n’est pas un affect comme les autres. Cet affect là est un signe suprême de reconnaissance. L’être qui en est privé se sent rejeté au néant, devient l’équivalent d’un mort vivant. Comme l’amour doit répondre à l’amour, lorsque cette réciprocité n’est plus opérante l’amour récusé se convertit en son contraire et mute en affect haineux. Et c’est bien ce qui advient entre Joseph et ses frères lesquels se sentent non-aimés de celui qui demeure leur géniteur et dont ils ne comprennent pas la passion exclusive pour ce frère tard venu.On observera d’ailleurs à quel point la relation ici décrite est complexuelle car à aucun moment le récit biblique n’évoque un affect de haine des fils non-aimés ou moins aimés pour leur père qui pourtant apparaît comme le principal responsable d’une pareille situation. Toute la haine suscitée dans un tel contexte est reportée par eux sur le seul Joseph. Commet celui-ci y réagira t-il?

Étonnamment par un rêve sans ambiguïté, un rêve de prééminence, de domination dont, là encore, la symbolique, parle d’elle même. Comme toutes les productions oniriques, cette dernière est susceptible de nombreux commentaires et l’on ne peut que relever l’homologie de la technique talmudique d’interprétation des rêves et celle de la « Traumdeutung » freudienne. Certes, le rêve de Joseph est avant tout l’expression de son propre désir, celui que son inconscient doit mettre en scène puisqu’il ne peut s’exprimer dans la vie diurne pour la raison qui a été indiquée: par le blocage de toute parole pacifiante entre les protagonistes de ce véritable rapport de forces. Mais une fois de plus qu’en résulte t-il? Un redoublement, un surcroît de la haine fraternaire. Comment l’expliquer elle aussi? Une hypothèse se forme: tout se passe comme si pour les frères de Joseph le rêve qu’il vient de leur divulguer et qu’ils ressentent comme une provocation cynique exprimait non pas son désir personnel mais celui de Jacob-Israël. Selon une interprétation strictement psychanalytique ce «second tour» de haine réactionnelle peut être compris comme visant indirectement mais cette fois personnellement le père dont la dilection discriminatoire va conduire au drame que la suite du récit biblique relatera.

On l’a souvent dit, lorsque le récit biblique met en évidence des lacunes, des carences, des syncopes de l’intelligence, il décrit aussi comment on y supplée. Et c’est sans doute pourquoi, comme on le verra, une fois que le drame potentiellement fratricide se sera dénoué, Jacob-Israël délivrera à l’attention de ses fils une bénédiction à la fois commune et individuelle, attestant de son indéfectible amour pour chacun d’eux.

Raphaël Draï zatsal, 11 décembre 2014

LE SENS DES MITSVOT: PARACHA VAYICHLA’H

In Uncategorized on décembre 16, 2016 at 9:51

8 Vayichla'h 14Texre

« Il donna aussi un ordre au deuxième, ainsi qu’au troisième, ainsi qu’à tous ceux qui suivaient les troupeaux, en disant: « C’est de cette façon que vous parlerez à Esaü quand vous le rencontrerez. Et vous direz: «Voici ton serviteur (âvdékha) Jacob est aussi derrière nous ». Car Il disait: « Je veux l’apaiser (akapéra panaiv) par le présent (béminh’a) qui me précède et ensuite je me présenterai à lui, peut être me pardonnera t-il (oulay yssa panay) » (Gn, 32, 20, 21).

« Jacob resta seul et un homme lutta avec lui jusqu’au lever du jour » ( Gn, 32, 25). 

Dans la Tradition juive et dans la symbolique d’Israël, le troisième des Patriarches est associé à deux valeurs suprêmes: la vérité et la paix. C’est surtout à la paix (émeth) et au chalom que s’attachent les versets précités car toute valeur a son envers, si ce n’est sa caricature.

A l’évidence, sachant que son frère aux intentions fratricides s’approche de lui et de son camp, Jacob choisit une stratégie: celle de l’apaisement. Il s’agit de savoir si celle-ci ne confine pas au désistement, à la négation de soi. Cette attitude là résulte d’une analyse psychologique et de l’évaluation d’un rapport de forces. Pour Jacob, il est compréhensible qu’Esaü nourrisse à son encontre ressentiment et haine puisque ce frère unique se sent dépossédé du droit d’aînesse et qu’il se montre inconsolable.

Certes, la rétrogradation qui s’en est suivie dans l’ordre de la bénédiction abrahamique n’a pas empêché Esaü de prospérer matériellement et de devenir une sorte de superpuissance. Jacob ne peut pas ne pas en tenir compte. Lui, est resté homme d’études, pasteur de troupeaux et ne dispose d’aucune force armée, à moins de considérer que ses fils pourraient en tenir lieu. D’où, après avoir opté pour la stratégie de l’apaisement, la tactique à laquelle il se résout: séduire, si ce n’est circonvenir son frère en adoptant une attitude de soumission et en le subornant par une série de présents successifs censés le faire revenir à de meilleurs sentiments. Jacob entend préserver sa vie et surtout celle des siens. Mais ne tombe t-il pas d’un excès dans l’autre au point d’aboutir à l’inverse de l’objectif qu’il se proposait d’atteindre?

D’abord comment peut-il imaginer qu’Esaü, chef de guerre, se fasse dupe de ce stratagème, qu’il ne se tienne pas sur ses gardes, sachant comment Jacob, de son point de vue, a déjà abusé de son état de faiblesse? Cependant, et avant même que de rencontrer son frère, Jacob va devoir faire face à une nouvelle épreuve. Une fois son dispositif de survie mis en place, et alors qu’en pleine nuit il s’apprêtait à franchir le gué du Yabbok, une créature innommée se saisit de lui, le contraint au combat, et cela jusqu’à l’aube. Le dénouement de cet affrontement énigmatique consistera dans le changement de nom du patriarche qui désormais sera nommé Israël. D’où cette interrogation: pourquoi ces deux événement sont –ils juxtaposés comme si le second avait été causé par le premier?

Une des réponses possibles tient dans le mot âvdekha: « ton serviteur » initialement employé par Jacob pour s’adresser à son frère et tenter de se le concilier. Ce mot a été jugé excessif tant sur le plan relationnel que sur le plan spirituel. Sur le plan relationnel, il semble déjuger la position de Jacob en tant que frère aîné de droit depuis que Esaü s’est désisté de cette aînesse et des obligations qui lui sont attachées dans les conditions que l’on sait. Une chose est l’humilité, la ânava, autre chose la négation de soi, l’abaissement, l’auto-humiliation, à la limite du masochisme lequel ne peut que provoquer le sadisme du protagoniste. Tout se passe donc à cet instant comme si Jacob doutait rétrospectivement de sa légitimité et reconnaissait Esaü de facto comme l’aîné véritable. De ce fait même, déroger à ce niveau conduit à déroger au niveau spirituel. Jacob qui se déclare serviteur d’Esaü est-il encore le serviteur de l’Eternel, dispensateur de la bénédiction générique dévolue à l’Humain (Haadam) et qu’Abraham doit relever?

C’est sans doute pourquoi, en cette phase de doute, le combat qui s’ensuit et qui contraint Jacob à se dépasser constitue t-il la preuve que la peur n’est pas le mobile de son attitude; qu’il ne redoute aucun affrontement. Quiconque l’y engage – être humain ou créature autre – n’est pas maître d’en déterminer l’issue. C’est en ce sens que Jacob est nommé Israël. Au terme de ce combat, ce n’est plus Jacob mais bel et bien Israël, l’aîné confirmé en son aînesse, que rencontrera Esaü, qui désormais doit se le tenir pour dit.

                         Raphaël Draï zatsal, 4 décembre 2014

AU DELÀ DES TEMPÊTES, L’Arche Janvier 2007

In Uncategorized on décembre 8, 2016 at 10:00

Depuis des décennies, il n’est pas de jour où il ne soit question des guerres que doit mener l’Etat d’Israël pour défendre son existence. La pression des événements, l’angoisse qui en résulte, la nécessité de prendre des décisions au jour le jour quand ce n’est pas d’une minute à l’autre, et puis aussi la virulence des passions, empêchent parfois de comprendre ce qui, de la vie de ce même Etat, et avec lui du peuple juif, se construit à des niveaux plus profonds qui engagent à leur égard ce que l’on se permettra de nommer: une civilisation. Pour chacun de nous il faut alors apprendre à vivre selon deux échelles de temps: le temps court, haletant, celui des réactions immédiates, et le temps correspondant à de plus longues ondes, un temps qui fore dans les profondeurs d’Israël et engage son avenir. C’est pourquoi il importe d’accorder une attention particulière autant qu’à la littérature d’Israël à l’évolution du droit israélien. Inscrit-il cet Etat dans une démocratie « standard », au risque de lui faire perdre ce qu’il est convenu d’appeler son identité ? C’est cette exigence de préservation que rappellent d’éminentes personnalités religieuses qui doivent se souvenir, à leur tour, que construire un Etat, contre vents et marées, vents de haine et parfois marées de sang, ne se fait pas d’un coup de bâton magique, serait-il celui de Moïse. D’un côté comme de l’autre de nombreux témoignages paraissent. Et d’abord les autobiographies sinon personnelles en tous cas professionnelles de deux des plus grands juristes israéliens contemporains, l’ancien président de la Cour suprême: Aharon Barak et l’ancien juge à cette même cour H’aym Cohn. Deux personnalités éminentes qui, avec leurs collègues, et notamment le professeur Ménahem Elon, l’auteur du monumental Michapt Îvri, ont placé le droit confié à leur jugement et considéré dans ses fondements, ses procédures mais aussi dans ses débats et ses dilemmes, quasiment au cœur de la civilisation israélienne. Pour Aharon Barak[1], l’élaboration du droit israélien doit inscrire l’Etat d’Israël de manière irréversible dans l’univers démocratique. D’où l’obligation de fonder un incontestable Etat de droit qui mette en œuvre sans réserves ni faux-semblants les clauses de la déclaration d’Indépendance de 1948 laquelle se rapporte à la fois aux normes des démocraties d’après-guerre, ayant vaincu militairement le nazisme, et aux valeurs immémoriales des prophètes d’Israël. A cette fin la Cour suprême doit contrôler le complet respect de ces normes là mais elle doit également veiller à la construction d’un ordre juridique dynamique engageant délibérément Israël dans le monde contemporain. Un débat célèbre l’a opposé sur ce point avec le Professeur Elon concernant le recours à la Tradition d’Israël en cas de silence prétendu ou de lacune présumée de la loi votée par la Knesset. Pour Aharon Barak, un tel débat n’a pas lieu d’être. S’il apparaît que la loi soit silencieuse où qu’elle n’offre pas les ressources indispensables à un véritable jugement, le juge doit, de soi-même, en quasi- législateur, créer ces ressources par son pouvoir quasiment illimité d’interprétation et de construction. C’est pourquoi Aron Barak, plutôt adepte de Hart et de Dworkin que de Maïmonide ou du Gaon de Vilna, a parfois été taxé de laïcisme, relativisant l’identité juive au profit de la seule citoyenneté israélienne qui ne fait acception ni de religion, ni de sexe, ni d’origine. De tels débats sont fortement éclairés par l’autobiographie de H’aym Cohn[2] auquel l’on doit une étude encore indépassée sur le procès de Jésus du point de vue du droit hébraïque. Pour H’aym Cohn, les oppositions tranchées et lapidaires : religieux – laïc, identité – citoyenneté, sécurité – respect des procédures, droit des particuliers-intérêt général, ne traduisent pas des contradictions ou des inconséquences du peuple israëlien. Elles manifestent plutôt son insertion décisive dans un monde lui-même traversé par de telles antinomies et qui souvent peine à les résoudre. A ses yeux, il ne faut pas craindre de s’y affronter. De leur solution résulte la vitalité immédiate puis la survie véritable d’Israël. En de telles vues, il rejoint alors le professeur Elon pour qui la Tradition d’Israël, loin d’être archaïque ou surannée s’avère, pour qui sait y accéder et la mettre en résonance avec les grandes théories du droit contemporains et les jurisprudences dignes de ce nom des Cours suprêmes d’autres Etats, un gisement d’une exceptionnelle richesse. Qui voudrait s’en convaincre devrait prendre connaissance d’une autre somme de Menah’em Elon, celle qu’il vient de consacrer au sujet capital, et parfois fort controversé, du statut juridique de la femme en droit israélien et en Halakha, pour substituer l’information au fantasme dans ce domaine mais aussi pour mettre en évidence, plutôt que l’incompatibilité de ces deux systèmes juridiques, leurs convergences et leurs harmoniques[3]. Il serait désastreux de croire que ces discussions ne concernent que la corporation des juristes spécialisés. Ils concernent tous les citoyens israéliens et plus largement encore tous les membres du peuple juif – que l’on songe par exemple à la question des conversions. Comment un droit divisé, polémique, en état de quasi sécession avec ses sources premières, ou bien qui se complairait dans le miroir de sa propre histoire, contribuerait à réduire les tensions, confinant parfois à la rupture, de la société israélienne ou bien à réguler ses évolutions, erratiques selon les uns, modernisatrices selon les autres – que l’on songe aux débats suscités par l’organisation de la Gay Pride à Jérusalem ? Le droit israélien fait partie de la culture juive la plus créatrice et contribue à forger, en effet, une civilisation pérenne. L’essentiel reste de maintenir les débats qui en résultent à une hauteur suffisante pour qu’ils sollicitent l’élévation de la pensée. Tel est le cas avec les points de vue réunis par Yaâcov Malkhin sur « La culture du judaïsme laïc »[4]. Il ne s’agit pas d’y réagir impulsivement ou de manière militante, autrement dit prévenue. On y découvrira que la question centrale n’est pas des moindres puisqu’il s’agit de l’existence de Dieu et, si son existence est admise, de ses interférences dans les affaires humaines par l’entremise d’un corps de « sacerdotes » qui prétendraient seuls parler en son nom exclusif. Pour qui est attentif à la pratiques des passerelles et qui ne confond pas la parole et la diatribe, de pareilles interrogations se retrouvent chez deux autres références majeures de la pensée religieuse d’un Israël en pleine renaissance: le rav Kook et le rav Ashlag, l’auteur d’un immense commentaire du Zohar: le Soulam. Loin de s’abstraire dans les hauteurs sidérantes de la mystique, toute leur vie ils se sont confrontés à la construction sociale et économique du peuple d’Israël en prenant en compte le socialisme et le marxisme, en débattant du concept de liberté face à celui de responsabilité ou bien de l’interaction entre l’individu et la collectivité de sorte qu’ils se veuillent plus complémentaires qu’antagonistes[5]. Une fois que l’on a pris connaissance de ces de ces histoires de vie, de ces témoignages et de ces études si riches en information, l’on en ressort avec plus de détermination face à l’avenir. Il ne s’agit pour personne de rechercher des consensus plats dans lesquels chacun abdiquerait sa conviction ou ferait rentrer dans le rang sa pensée singulière. Il faut plutôt se convaincre qu’un peuple parcouru de tels courants est un peuple bien vivant et qu’il n’est pas grave que deux pierres s’entrechoquent s’il en jaillit une étincelle.

                                           Raphaël Draï zal, 8 décembre 2006 pour L’Arche

[1] Aron Barak, Chophet beh’évra démocratit, Keter, 2004.
[2] H’aym Cohn, Mavo ichi, Autobiografia, Dvir, 2005
[3] Menah’em Elon, Maâmad haicha, Kibbouts haméyouh’ad, 2005.
[4] Tarbout heyahadout hah’ilonit, Keter, 2006.
[5] Harav Michael Leytman, Chnei hameorot haguedolim, Ashlag Research Institute, 2006.

Le sens des mitsvot – Paracha Vayetsé

In Uncategorized on décembre 8, 2016 at 9:32

7 VayétséTexteNov14

 

« Il fit un rêve (h’alom) et voici qu’une échelle (soulam) était dressée (moutsav) vers la terre et son sommet conduisant vers les cieux (hachamaïma) ; et voici que des Envoyés de Dieu (malakhim) y montaient et en descendaient (bo). Et voici que l’Eternel (Tétragramme) se tenait au dessus de lui (nitsav) et lui dit: «Je suis l’Eternel, Dieu d’Abraham ton père, et Dieu d’Isaac; la terre sur laquelle tu es couché c’est à toi que je la donnerai ainsi qu’à ta postérité» (Gn, 28, 12, 13). 

Le livre de la Genèse relate un rêve de Jacob, une manifestation de son imaginaire, une production de son inconscient, mais fortement structurée et orientée dans le sens de la vie alors qu’il est poursuivi à mort par la vindicte d’Esaü. Sur quoi s’ouvre cette vision car il s’agit bien d’une ouverture et l’on relèvera à ce propos la proximité phonétique et alphabétique des mots: h’alom, rêve et h’alon, fenêtre?

Tandis que Jacob tente de fuir la colère possiblement fratricide d’Esaü, ce rêve lui commande de faire halte et de considérer les événements en cours du point de vue le plus haut qui soit, sans pour autant que l’hallucination l’emporte. D’où la symbolique centrale de l’échelle, du soulam, qui est aussi symbolique de l’activité intellectuelle et spirituelle conduisant jusqu’à la Présence divine.

Comme nombre de commentateurs l’ont souligné, notamment le Ben Ich H’ay, une échelle sert à s’élever mais à le faire graduellement avec des échelons séparés de manière égale pour éviter les chutes. On retrouvera l’exigence de cette gradualité à propos du Sanctuaire auquel on accédera par une rampe en pente douce. Par ailleurs l’échelle symbolise la constance. Elle ne se déforme pas lors de son utilisation et, lorsqu’elle est renversée, elle conserve la même forme et, en général, peut s’utiliser comme auparavant. Ajoutons qu’une échelle, au sens du soulam biblique peut être considérée comme un vecteur puisque, ainsi que le texte le précise, elle conduit vers les hauteurs célestes, ce qui est à la fois une direction physique mais aussi, on l’a dit, intellectuelle et spirituelle. En somme, à ce moment du parcours des Patriarches – dont il ne faut jamais oublier que le but est de rétablir la bénédiction divine pour toutes les familles de la Terre, la vision du soulam est exactement opposée à celle de la tour de Babel dont les constructeurs se proposaient de monter à l’assaut du ciel et d’en déloger, si l’on ose ainsi parler, le Créateur, avec les suites catastrophiques relatées au chapitre 11 de Beréchit.

Ainsi la Présence divine n’est pas hors de portée de l’esprit humain mais elle s’approche de manière asymptotique à condition de relier le monde d’en Haut et le monde d’En bas, comme il est précisé à propos des Envoyés divins dont il est précisé qu’ils y montaient et qu’ils en descendaient. Aucune de ces deux dimensions ne doit être oubliée. Un rêve véritablement prophétique n’incite pas à fuir la réalité. Au contraire c’est lorsqu’il est tenté par cette évasion qu’un rêve de cette sorte l’y reconduit.

A partir de quoi, il faut savoir ne pas se prendre à l’imagerie du rêve. Ce qui se déduit de la terminologie employée à ce sujet lorsqu’il est précisé cette fois que la dite échelle « était dressée (moutsav) vers la terre ». Que laisse entendre le récit biblique? Non pas que l’échelle était fixée au sol – disposition physique, qui tombe sous le sens et qui serait donc superflue. MouTsaV est construit sur la racine TsV qui désigne le commandement légal et l’obligation morale. Si le soulam symbolise la structure de l’esprit orienté vers la Présence divine, celle ci ne s’approche que par l’accomplissement des MiTsVot dont on comprend au passage qu’elles ne se réduisent pas à des rituels sans signification interne et sans finalité. Par cette voie l’on serait conduit à voir dans l’image du soulam une représentation de l’Alliance, de la Berith puisque sans désemparer mais par une logique qui est certes celle du lien d’Alliance il est indiqué à présent et par suite que l’Eternel se tenait (NitSaV) au dessus du soulam, autrement dit que sa position était elle même déterminée par l’univers des MiTsVot dont on mesure alors l’importance.

Un autre élément doit être encore souligné: lorsque l’Eternel se révèle par cette voie, il respecte la généalogie du rêveur-prophète et cela non pas à titre formel mais afin de récapituler tout le chemin parcouru par ces devanciers pour que soit rétablie la bénédiction générique dont il a déjà été fait état.

                                         Raphaël Draï zatsal, 27 novembre 2014

LE SENS DES MITSVOT: PARACHA TOLEDOT

In Uncategorized on décembre 1, 2016 at 11:56

6Tolédoth2014

« Les jeunes gens grandirent et Esaü devint un homme sachant chasser, un homme des champs et Jacob était un homme intègre, demeurant dans les tentes (ohalim). » (Gn, 25, 27) …

« Jacob fit cuire un mets et Esaü revint des champs et il était fatigué (âyeph). Esaü dit à Jacob: « Fais moi donc avaler de ce rouge car je suis fatigué. C’est pourquoi on l’appela Edom. Jacob dit: « Vends moi de ce jour ton droit d’aînesse (bekhoratekha) ». 

Esaü dit: « Voici, je vais mourir et de quel avantage (lamah zé li) m’est un droit d’aînesse »

« Et Esaü dédaigna le droit d’aînesse « (Gn, 26, 27 à 34) » 

Après une phase de préoccupante stérilité, et après que son époux Isaac a intensément prié pour elle, Rebecca conçoit et enfante deux jumeaux dont la venue au monde se fera dans cet ordre –la notion d’ordre est ici essentielle -: le premier, tout roux, sera nommé Esaü; le second sans autre signe particulier que de tenir le talon de celui-là, sera nommé, de ce fait, Jacob (de êkev: le talon). Autant dire qu’il talonne son frère aîné dans l’ordre de la primogéniture biologique. Les deux enfants grandissent, chacun selon sa voie, et le Midrach éclaire ces deux cheminements parallèles. Esaü se fait chasseur, vivant dans les champs et retrouve ainsi les traces de Nemrod et aussi de Caïn. Jacob devient homme d’étude et de prière.

Il advint qu’un jour, tandis que le cadet faisait cuire son plat – la Tradition évoque un plat de couleur rouge – Esaü s’en retourne de sa chasse qui devait avoir été maigre puisqu’exténué il se précipite vers son frère. Sans même savoir quelle est la consistance du plat que celui-ci fait cuire, il lui demande littéralement, au seul vu de cette couleur, de son apparence, de l’en gaver car dit-il, « il est fatigué ». Jacob, en contrepartie, lui demande aussitôt de lui vendre son droit d’aînesse. D’où ces deux questions emboîtées: Jacob a t-il abusé d’une situation de détresse pour usurper un rang qui ne pouvait être le sien – par où se reconstitue si l’on n’y prend garde le conflit ayant opposé Caïn et Abel? Et sur quoi portait ce droit d’aînesse que Jacob, le cadet selon la « nature », ait voulu sur le champ l’acquérir et en disposer?

Dans l’ordre des versets qui relatent cet épisode aux conséquences considérables, à la proposition de son frère Jacob Esaü répond déjà par un calcul, par une supputation: il est tellement exténué qu’il ne perçoit plus non pas même l’avantage de l’aînesse mais en quoi cette chose () le concerne encore, personnellement(li). Autrement dit, Esaü devant son frère érigé en témoin, déclare que son existence immédiate est hautement et sans tergiversation préférable à sa vocation spirituelle. Quelle raison déterminante en donne t-il pour se justifier? Il se dit « fatigué (âyeph) ». Mais, de nouveau, à quel facteur imputer cette fatigue? Est-elle simplement physique, Esaü ayant présumé de ses forces et par trop prolongé sa chasse? Cette cause là semble secondaire puisque le récit biblique a cru devoir préciser au préalable qu’Esaü était « homme des champs », que cette situation non seulement correspondait à son être profond mais qu’il trouvait dans l’activité d’homme de proie d’incessantes forces reconstitutrices.

La raison déterminante est donc autre: ce dont Esaü se dit « fatigué », c’est du droit d’aînesse proprement dit, de la bekhora spirituelle qui le contraint à contrarier sans cesse son activité préférentielle. Sans doute était-il particulièrement exténué à ce moment parce que, si l’on ose dire, aîné d’Isaac et de Rébecca, petit-fils d’Abraham, il se trouvait dans la nécessité de courir deux lièvres à la fois, tandis que Jacob, lui, se trouvait en pleine possession de ses moyens et parfaitement disponible. Malgré tout, devant le plat dont Esaü ne perçoit que l’aspect externe, Jacob n’exerce sur son frère aucune emprise puisqu’il lui propose de lui acheter cette aînesse. Transaction qu’Esaü accepte pour le mobile qu’on a précisé. Après avoir fait son propre calcul « coût – avantage » il préfère l’instant présent à la construction de l’avenir promis à Abraham puis à Isaac. Car il faut maintenant s’interroger sur ce qu’est le propre de l’aînesse, au sens biblique en général et abrahamique en particulier.

On l’a vu, l’aînesse se dit en hébreu BeKhoRa, terme construit sur la racine BRKh dont les recombinaisons aboutissent, entre autres, à ces deux nouveaux radicaux, capitaux: BRKH, et RKhBBeReKh se retrouve dans BeRaKha, la bénédiction, dont on sait, d’une part, que c’est le viatique initial donné par le Créateur à l’Humain une fois celui –ci créé, de sorte qu’il puisse assumer sa vocation native (Gn, 1, 28) et, d’autre part, après la faillite des générations du Déluge et de Babel, qu’il reviendra personnellement à Abraham de la rétablir au bénéfice des familles de la Terre (Gn, 12, 2). Cette bénédiction originelle dont Esaü vient à son tour de se désister, Jacob ne la laissera pas un seul instant en déshérence, quelles que puissent en être les conséquences, telles que les relatera la suite du livre de la Genèse.

Quant au radical ReKhEb, on le discerne dans le concept en effet capital de MeRKaBa, centrale dans la vision du prophète Ezéchiel, qui désigne la structure, le soutènement, ce qui assure la stabilité d’une construction et sa pérennité, et c’est de cela dont Esaü se sera également désisté, lui qui en donnait à ce moment précis par sa « fatigue » mortelle l’image exactement inverse. Les deux frères cependant n’en resteront pas là …

Raphaël Draï zatsal, 20 Novembre 2014