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PARACHA BEHAÂLOTEKHA

In Uncategorized on Mai 31, 2018 at 5:49


35 Beha'alotra

 ( Nb, 8, 1 et sq )

Tandis que les parachiot précédentes étaient consacrées à la configuration du camp d’Israël, ainsi qu’à la définition des tâches et des missions incombant à toutes les composantes du peuple, celle-ci commence par une adresse particulière aux cohanim, aux prêtres et grands prêtres, en ces termes:  « C’est vis à vis de la face du Candélabre (el moul pnei Haménora) que les sept lampes doivent projeter la lumière». Suivent des précisions que l’on pourrait juger redondantes sur la forme du Candélabre et notamment sur l’obligation qu’il  soit  façonné d’une seul tenant. Cette traduction, celle de la « Bible du Rabbinat », doit servir de point de départ.

Ce n’est pas la première fois qu’il est question de la Ménora dans la Thora. Le livre de Chemot a traité abondamment des modalités de sa confection. Comme il n’est pas de répétition dans le récit biblique, il faut tenter de comprendre cette nouvelle disposition scripturaire. Jusqu’à présent, en effet, c’est surtout l’anatomie du camp d’Israël dont il a été question. A présent, le livre de Bémidbar, des Nombres, évoque l’influx qui doit l’invigorer: la lumière. Celle-ci n’est pas celle, naturelle,  qui provient du soleil et de la lune. Il s’agit d’une lumière faite pour ainsi dire de main d’homme, à partir d’une huile particulièrement pure et qui devra être disposée dans les sept branches du Candélabre. Car si celui-ci doit bien être d’un seul tenant, il prend ensuite la forme d’une arborescence, toujours symbole de pluralité et donc de liberté. Cet Arbre de lumière est lui même disposé de manière particulière,ce que donne à entendre finement le texte hébraïque.

Les cohanim devront en faire «monter» les lumières, les nérot, très précisément «en face de la Menora». Ce qui ne signifie pas qu’eux mêmes aient à se trouver  physiquement, en face du Candélabre mais que les lumières de celui-ci correspondent, face à face, aux lumières d’un autre Candélabre: de la Ménora  céleste. Il n’y a, en l’occurrence, aucun risque de fétichisation de la Ménora se trouvant dans le Sanctuaire. Le sens de celle-ci ne se renferme pas en elle même. Il se rapporte à un autre élément qui le constitue effectivement. Il faut se représenter le dispositif mis en place de la manière suivante: les cohanim face à la Ménora du Sanctuaire, elle même faisant face à la Ménora céleste.

Dès lors en quoi celle-ci consiste t-elle? Il ne s’agit justement pas d’une Ménora où se retrouveraient le soleil et la lune, avec d’autres étoiles ou planètes mais d’une Ménora cognitive et spirituelle, celle qui est évoquée notamment par le prophète Esaïe d’abord dans cette parole d’espérance: « Le peuple qui marchait dans la ténèbre voit une lumière grande (or gadol),  ceux qui habitaient dans une terre mortifère une lumière  irradiante (or naggah) (sera) sur eux  » ( Es, 9, 1);  et ensuite dans cette vision d’avenir: «Or un rameau sortira de la souche de Jessé, un rejeton poussera ses racines. Et sur lui reposera l’esprit du Seigneur, esprit de sagesse et d’intelligence, esprit de conseil et de force, esprit de science et de crainte  de Dieu» ( Es, 11, 1, 2).

A chacune des lumières, des orot, de la Ménorah d’en bas, mais à la direction ascensionnelle, correspond une des facultés éminentes de l’esprit humain liée à l’esprit divin. Par là même l’on est amené à comprendre que la liturgie sacerdotale décrite dans  la présente paracha n’est pas relative à l’éclairage optique du Sanctuaire, et plus tard du Temple, mais à la mise en lumière des dimensions et facultés de l’esprit humain en tant qu’il est corrélé à l’esprit divin, conformément à ce qui est qualifié dans le livre de la Genèse, dans le sépher Beréchit, de tsélem Elohim, expression littéralement intraduisible que l’on peut rendre par la  formule: « corrélation divine».

Ces mêmes dimensions spirituelles et facultés cognitives ne sont pas vouées à demeurer théoriques ou purement conceptuelles. Elles sont activées par les conduites et le comportements qui leur correspondent, et cela par le biais de l’accomplissement des mitsvot. Dans la symbolique hébraïque, le mot ner se rapporte à celui de mitsva  et celui de or à Thora, selon le verset: «Car la chandelle ( ner) est la mitsva et la Thora, lumière (or) ». On sait qu’il est 613 mitsvot. Plusieurs classifications en ont été proposées au cours des siècles. Une autre, fondée sur la présente paracha, deviendrait concevable regroupant ces 613 mitsvot au regard cette fois de chacune  des dimensions évoquées dans la vision d’Esaïe.

Pourquoi insister enfin sur le fait que la Menora doit être confectionnée d’un seul tenant, alors que nous le savons déjà?  Le contexte est différent  et l’enseignement aussi. Certes,  il est question ici d’arborescence, de 613 mitsvot, de sept nérot, de sept dimensions de l’esprit. Cependant, la pluralité ne doit pas se transformer en dispersion puis en inévitable extinction. Les branches ne méritent ce nom que reliées solidement à un tronc, lui même figure et symbole de l’unité vivante. Utile rappel avant la description qui ne va guère tarder des crises qui secoueront le peuple des Bnei Israël en mettant  précisément à l’épreuve son unité et la configuration de son camp, de son mahané, réceptacle de la Présence divine.

Raphaël Draï zatsal 22 mai 2013

NOUVELLE PARUTION : « Freud et Moïse – Psychanalyse, Loi Juive et Pouvoir »

In Uncategorized on Mai 30, 2018 at 1:26

9782705697617

Présentation:

Si la psychanalyse, selon une formule célèbre est peut-être une « affaire juive », la réalité juive n’en relève pas moins de l’approche psychanalytique. Mieux qu’une démonstration externe, le démontrent les situations analysées par la Loi juive elle-même : violence pulsionnelle, mots d’esprit, oublis, crises généalogiques, stérilité, place de l’Etranger, aspiration vers l’Autre, etc.

Dans cet ouvrage sont réunies des études qui forment un lien entre clinique psychanalytique et métapsychologie d’une part, Torah et droit hébraïque d’autre part. Ainsi se développe en continuité avec l’ouvrage sur Le mythe de la Loi du Talion, le dialogue épistémologique et méthodologique qu’ont eût souhaité dans un véritable face à face entre Freud et Moïse. Par là même, les questions de l’inconscient, du droit et de l’éthique se trouvent à la fois élargies et rendues encore plus énigmatiques puisque la Loi selon Freud et la Torah selon Moïse conduisent à s’interroger sur l’accueil possible, individuel et politique, de la Présence divine dans le psychisme humain sans l’exposer au fanatisme et à la folie.

 

Pour commander le livre:

Paracha Nasso

In Uncategorized on Mai 24, 2018 at 7:18

(Nb, 4, 21 et sq)

34 Nasso.

L’entame de cette paracha qui suit celle de Bémidbar – selon l’épellation effective – peut donner l’impression d’une simple nomenclature de familles et d’une description purement linéaire de tâches et de fonctions, affectées d’abord aux Kéhatites puis auxGuirchounites ou à la famille de Mérari. Il faut aller au delà de cette impression et comprendre, une fois encore, la logique interne de ce mode d’exposition.

La paracha précédente avait pour objet la disposition dans l’espace des diverses composantes du peuple d’Israël, selon les quatre points cardinaux habituels mais aussi en regard de l’En-haut et au regard d’une projection vers l’en-suite de l’Histoire à venir, les lévites ayant, eux, vocation à être dispersés dans le reste du peuple. Cette fois, il est question des missions dévolues aux principales familles de ce peuple compte tenu de leurs propres dispositions d’esprit et de leur insertion dans ce plan d’ensemble, sachant que le Sanctuaire en constitue le pôle et le moyeu, pour prendre ces images.

Ces fonctions ne sont d’ailleurs pas dévolues indistinctement à l’intégralité des membres des dites familles Une chaîne généalogique sûre et seuil d’âge sont requis – de 30 à 50 ans – avec une aptitude supplémentaire: il faut à chacun des membres concernés être «sortant à l’armée» (yotsé la tsava). Cette traduction prête d’ailleurs à confusion, elle même procédant d’un solide stéréotype: l’aptitude à servir au Sanctuaire serait liée à une aptitude militaire corrélative. Le stéréotype ainsi réactivé, on l’aura compris, est celui du « Dieu des armées de l’Ancien Testament », lui même surgeon de l’autre stéréotype, non moins générique, celui du «Dieu vengeur» du même Ancien Testament.

Il est sûr que tsava désigne aussi en hébreu une armée mais parce qu’une armée est un corps organisé, doté d’une cohérence interne et d’un commandement unifié. L’accent n’est pas mis prioritairement sur les armes dont elle dispose ni sur la violence qu’elle peut exercer. C’est pourquoi également dans les textes bibliques ou dans les prières juives il est fait invocation à «l’armée des cieux» (tsva hachamaïm), et que le Créateur est lui même nommé, pour autant qu’il puisse l’être: Hachem tsévaot. La consultation de l’ensemble du lexique hébraïque biblique le confirmerait en cas de besoin.

Pour prendre une autre image, tout se passe comme si le récit biblique décrivait la structure d’un navire et la disposition de l’équipage ainsi que les instruments devant servir à discerner son itinéraire avant qu’il ne gagne la haute mer, avec ses tempêtes, mais aussi ses calme-plats, ses pêches fructueuses mais aussi avec ses filets vides ou déchirés, toutes métaphores des révélations d’une Histoire se faisant et non pas figée.

Aussi le début de la paracha concerne t-il les tâches que les différentes familles précitées doivent accomplir dans le montage et le démontage du Sanctuaire lors de la Traversée d’un désert aussi propices en crises que la haute mer en tempêtes. Aucune de ces familles n’est affectée exclusivement à l’intégralité ce service, ce qui l’eût dotée d’un privilège exorbitant, lui même générateur de tensions et de confrontations. On le verra lors du commentaire de la parachat Korah’. Pourtant cette réparation de tâches, sinon cette division des fonctions, n’est que le verso, si l’on peut dire, d’un dispositif dont il faut considérer aussi le recto: à savoir que le remontage du Sanctuaire, après qu’ont été démontés, puis transportées ses différents éléments, d’étape en étape, nécessitera, à nouveau, la coopération et le concours des familles concernées. Ainsi se retrouveront les gestes et se reconstituera l’esprit qui furent ceux du tout premier montage du Sanctuaire et notamment de la Tente d’Assignation, du Ohel moêd, du lieu de la convergence vécue et de la réunification effective du peuple porteur de la Thora.

Ce qui exige cette fois une disposition d’esprit bien particulière qu’on pourrait qualifier d’esprit de suite. Il se caractérise par les deux traits suivants. Un être humain est une existence mouvante. Un être humain se déplace. Mais ce déplacement, ne doit pas se transformer en errance ni en fuite. D’où l’ambivalence de l’adjectif «déplacée» appliqué à la personne. Lorsqu’il passe d’un point à un autre, un être humain ne doit pas se trouver dans la nécessité de se délester de ce qui lui appartient, des acquis de son travail, des fruits de son oeuvre. Encore faut-il que ce transport lui même n’alourdisse pas ou ne complique pas ce trajet. D’où la parfois nécessité d’un démontage méthodique lequel ne doit pas se transformer non plus en démembrement et en dislocation.

Il s’ensuit que toute opération de démontage doit s’effectuer en sachant qu’elle sera suivie inéluctablement par une opération de remontage, une opération décisive qu’elle doit faciliter et non pas décourager ou rendre impossible. Telle était la « didactique » qui inspirait le démontage, le transport puis le remontage du Sanctuaire, de sorte qu’à la fin du parcours, d’une part le trajet envisagé avait bel et bien été effectué, mais aussi que chacun et que chacune, au terme de celui ci, n’eût pas été rendu étranger, à lui même et à autrui.

D’autres commentaires sont encore possible, ce qui nous conduira en conclusion provisoire, et en prévision de la célébration de Chavouôt, à rappeler une observation du Rav Kook relative au début des Pirké Avot: « Moïse reçut (la) Thora du Sinaï.. » Si l’on a mis l’article « la » entre parenthèses c’est que la phrase originale n’en use pas et devrait être lue : « Moïse reçut Thora du Sinaï ». LA Thora, avec l’article défini, se révèlera, précisément dans la chaîne de transmission qui s’ensuit. Révélations futures pour la suite des générations qu’engendre le perpétuel, l’incessible choix de la vie.

Raphaël Draï zatsal, 17 mai 2013

EVENENEMENT 14 Juin 2018 Colloque Raphaël Draï : « Freud et Moïse : deux versants du Sinaï ? » Aix En Provence

In Uncategorized on Mai 18, 2018 at 1:32

PARACHA BAMIDBAR

In Uncategorized on Mai 18, 2018 at 10:15

 (   Nb, 1, 1 et sq   )

 33 Bamidbar.

Cette paracha  inaugure le livre du même nom dans le Pentateuque et présente plusieurs caractéristiques.

 Elle inaugure en effet un livre remarquable par le nombre et par la densité des événements qui ne vont pas tarder à se produire : médisance des explorateurs, révolte  de Korah, guerre «contre-prophétique» menée par Bilaâm, et tant et tant d’autres épisodes appelant l’analyse, la réflexion, le commentaire et le commentaire  du commentaire, à plusieurs voix, au long  des siècles.

Ce même livre présente néanmoins quatre caractéristiques. D’abord son articulation, de ce fait même, avec au moins les deux livres précédents. Pourquoi? L’on pourrait dire que la dominante du livre de Chemot est celle de la loi et du droit ; que celle de Vaykra est celle de la sanctification et de la purification. Le lien entre Chemot et Vaykra  devient ainsi et ensuite manifeste puisque dans la conception juive de la vie le droit régule son niveau social, tandis que la sainteté se rapporte à son niveau éthique, chacun, en relation de réciprocité, faisant preuve de l’autre. Cette articulation se retrouvera d’ailleurs dans l’organisation des matières  et des titres de la Michna et du Talmud.

Et Bamidbar? Bamidbar constitue rien de moins que la mise à l’épreuve du réel de ces deux dimensions corrélées suivant le  paradigme énoncé dans le livre de Chemot «Nous accomplirions – et- nous- écouterons». Cette sentence est, ne l’oublions pas, d’un seul tenant.

Telle est alors la troisième de ces caractéristiques: la Loi d’Israël ne se réduit pas à ses énoncés verbaux, à ses expressions rhétoriques. Elle doit s’inscrire, on ne le répètera jamais assez, non seulement dans l’épure des modèles institutionnels, somme toute idéaux, mais aussi et surtout dans les manières d’être, dans les façons de se conduire, dans la mise en oeuvre de la Loi et dans la réalisation des objectifs éthiques. Sous ce seul point de vue le livre de Bamidbar devrait être considéré comme un classique de la science politique en ce qu’il relate précisément, par des épisodes-types, des mises à l’épreuve quasiment modélisées, combien il est difficile justement de passer d’une Loi céleste, d’une éthique idéale, aux conduites et aux comportements qui les valident réellement.

L’on définit souvent les régimes démocratiques, négativement, par opposition aux régimes dictatoriaux, ceux qui interdisent l’usage de la pensée et de la parole libres, et, positivement,  comme se fondant sur la délibération, le dialogue. Ce qu’enseigne le livre de Bamidbar c’est à quel point l’usage collectif de la parole ne va pas de soi s’il s’agit d’ajuster entre elles des aspirations libres, de concilier des désirs subjectifs, de cohérer des volontés souveraines. Si « parler c’est dire », les explorateurs médiront, Korah’ contredira, Bilâam maudira. Jusqu’au moment quasiment céleste où confrontées au contentieux non encore résolu relatif à l’héritage de leur père, les filles de Tséloph’ad se contenteront d’en parler, raisonnablement,  à Moïse, de sorte que cette fois leur question appelle une réponse au lieu de la rebuter ou de la dévoyer.

On doit toutefois s’interroger sur l’entame de cette paracha qui énumère dans le détail de leur nom l’investiture officielle des responsables du peuple d’Israël et la constitution de ceux-ci en tsévaot, terme traduit à  contre-sens par armée, au sens militaire, alors que ce terme désigne génériquement l’organisation cohérente de groupements en fonction de leurs objectifs, de leurs compétences, de leur expérience. Dès lors, il est possible de lire cette entame sur le plan strictement institutionnel, comme un chapitre de l’histoire du droit et des institutions de l’Antiquité.

Une autre lecture est cependant possible car dés lors aussi que des vocables comme tsava, ou lispor apparaissent, et qu’ils sont également utilisés pour désigner des entités ou des réalités d’un autre ordre, qui se rapportent au Créateur ( Hachem Tsevaot ) ou à la structure et au fonctionnement de l’Univers (ôlam hasephirot),  il faut comprendre que le champ d’Israël ( Mah’ané Israêl ) et que le champ divin se correspondent, sont homothétiques. Ce qui se  déroule dans le monde d’en- bas affecte donc nécessairement le monde d’en-  haut. Chaque événement ne notre vie concrète se réverbère selon une tout autre dimension, celle de hauteur, par laquelle  se révèle son impact réel. D’où l’appel constant à ne jamais s’installer dans l’indifférence ou à imaginer que nos actes s’inscrivent dans notre aire existentielle exclusive; qu’ils ne tirent pas à conséquences; qu’ils n’engagent pas notre responsabilité « outre-mesure», comme le dit si bien cette expression courante. Il faut alors être soucieux de ce qui, là encore et justement, outre- passe, par la force des choses, ce qui nous semble juste et à droit mais «à nos yeux».

Tel est alors le point commun de tous les épisodes, heureux ou malheureux, qu’agencent entre eux le livre de Bamidbar : au delà de leur occurrence, ils engagent l’avenir d’Israël pour longtemps, jusqu’à nos jours. D’où la nécessité de les aborder avec attention et de les scruter jusque dans leur téâmim.

Raphaël Draï zal, 9 mai 2013

JERUSALEM et le droit international. Quel droit international ? (Revue Controverses, Mars 2011)

In Uncategorized on Mai 15, 2018 at 9:30

histo-jerusalem

L’on ne saurait prendre à la légère les discordances d’une situation donnée au regard du droit qui est censé la régir. Du point de vue du droit international public contemporain, la position de l’ Etat d’Israël proclamant que Jérusalem est sa « capitale éternelle, « une et indivisible », est loin de satisfaire aux normes et aux procédures de ce droit, en son état actuel. Celui-ci, comme on le verra, controuve cette position et même il la dénie. Cependant, avant d’examiner les thèses en présence, quelques remarques préjudicielles sont indispensables. Elles ne seront pas de pure forme.

Remarques préjudicielles

L’importance du droit international ne peut être minimisée ni à son tour déniée au motif que ce droit là n’est régi par aucune autorité supérieure incontestée, qu’il ne serait que l’expression de purs rapports de force, aléatoire comme eux. Dans sa configuration actuelle, l’Assemblée générale de l’ONU est formée par des agrégats d’Etats, tels ceux réunis dans la Ligue Arabe ou dans la Conférence islamique mondiale qui pour des motifs confessionnels ou idéologiques se coalisent mécaniquement et votent en bloc contre l’Etat d’Israël, sans se donner jamais la peine d’examiner la validité éventuelle de ses arguments. L’Egypte et la Jordanie qui ont signé un traité de paix avec lui font rarement exception à cette règle et il arrive souvent que l’Union Européenne agisse de même. En irait-il de la sorte si un équivalent juif de ces ligues, conférences ou unions existait? L’Etat d’ Israël est le seul Etat juif existant dans ce qu’il est convenu d’appeler la communauté internationale, cette entité plus ou moins fictive mais sans cesse invoquée et mobilisée à son encontre pour tenter de parachever son isolement complet et de le reléguer au ban des nations. Une situation dont on sait ce qu’elle évoque dans l’histoire du peuple juif et qui soulignerait en cas de besoin à quel point ce dernier qualificatif se justifie pour l’Etat d’Israël affronté à une si multiforme adversité.

Il n’en demeure pas moins que la conformité aux règles du droit international soit décisive puisqu’elle est source de légitimation ou cause de dé-légitimation. C’est en son nom que se passent les Traités durables. Quoi qu’on en ait, le Traité de paix passé par exemple entre l’Etat d’Israël et l’Egypte est en vigueur depuis plus de trente ans à présent. A l’opposé, les entreprises actuelles de disqualification idéologique et éthique de l’Etat d’Israël avancent notamment cet inlassable argument: l’Etat créé en 1948 ne respecte pas les obligations qui lui incombent au terme de la légalité internationale. Par suite, il ne saurait se prévaloir de celle –ci pour justifier de ses actes, si ce n’est de son existence. Malgré le vote de l’ONU intervenu en 1948, l’Etat d’ Israël demeurerait un pur fait accompli et il faut se demander ce qu’il serait d’ores et déjà advenu de lui si au Conseil de sécurité les Etats Unis ne menaçaient pas d’opposer leur veto à tout projet de résolution mettant en danger ses intérêts vitaux, si ce n’est son existence. Cependant, aux yeux de ses ennemis, le veto américain n’est imputable à aucune autre cause qu’à la puissance occulte du lobby juif aux Etats-Unis, ce qui conduit à souligner, au passage, que l’évocation des « Protocoles des Sages de Sion » conduit surtout à mettre en évidence une structure mentale plus universelle qu’on ne le pense. La force du droit procède de son incontestable opposabilité à tel sujet juridique, individuel ou collectif, au nom de sa transcendance supposée mais surtout du fait que ce même sujet ait participé à son élaboration1. Est–il sûr que tel soit le cas pour le droit international contemporain lorsque l’on constate à quel degré l’Etat d’Israël est marginalisé et parfois absent des instances qui l’élaborent? La Commission des droits de l’homme de l’ONU dont sont membres des Etats pour lesquels la démocratie est un vain mot et où il fait régulièrement l’objet de tentatives de lynchage en est un exemple flagrant, confinant à la bouffonnerie. Lorsqu’il y est mentionné c’est le plus souvent comme accusé, face à des « juges » massivement parties en leur propre cause.

Remettre en cause le droit international

C’est pourquoi le droit international, tel qu’il est élaboré actuellement, ne saurait faire autorité de soi. Lui même doit être mis en question face à l’Etat d’Israël et démontrer sa légitimité spécifique vis à vis de cet Etat dont la solitude forcée suffirait à fonder l’intransigeance. Si l’Etat d’Israël n’était pas réellement considéré comme un co–auteur du droit international contemporain, celui-ci peut–il prévaloir contre la légalité interne de cet Etat souverain? Il faut avant tout prendre acte d’un pareil conflit de normes avant de s’interroger sur le principe de la non-acquisition légitime de territoires par la force – un principe sans doute majeur qui lui est systématiquement opposé mais de façon discriminatoire – et avant de faire apparaître les présupposés théologiques d’un droit international public qui ne semble pas complètement dégagé de la calamiteuse « théologie de la substitution », une théologie régressive, qui peine décidément à disparaître et qui se reconstitue selon ces voies juridiques inattendues.

Y a t-il un statut juridique international incontesté de Jérusalem ?

Le conflit des normes L’on n’envisagera pas la question du statut juridique de Jérusalem depuis l’Antiquité mais à partir de la « Guerre des six jours » de juin 1967, même s’il faudra inévitablement procéder à quelques récursions dans l’Histoire et à quelques « flash-backs » politiques. La situation juridique actuelle de Jérusalem est régie par deux séries de dispositions en opposition complète, du moins au premier regard.

Du point de vue singulier de l’Etat d’Israël, cette situation relève de la Loi fondamentale votée par la Knesset le 30 juillet 1980. Il est indispensable d’en rappeler les principales dispositions.

Suivant les termes de cette loi, Jérusalem est proclamée capitale unifiée et indivise de l’Etat d’Israël, ce qui implique aussi le secteur oriental de la ville. De ce fait, elle est désignée comme siège de toutes les institutions essentielles de l’Etat (Knesset, Présidence, Gouvernement, Cour suprême). La protection des lieux saints de toutes les croyances y est garantie.

Il en résulte d’autres dispositions dont l’impact politique doit être pris en compte. La souveraineté proclamée de la sorte ne saurait être transférée à aucune entité étrangère, étatique ou de quelque forme que ce soit, ni définitivement ni même provisoirement. Aucune forme d’autorité ne saurait s’y exercer qui ne serait pas conférée par l’Etat d’Israël ou par délégation de la municipalité de Jérusalem habilitée en ce domaine. Pour faire face à toute éventualité, la loi du 30 juillet 1980 dispose encore que les dispositions précédentes ne sauraient être mises en cause, sinon par une nouvelle loi fondamentale et à la majorité qualifiée. Autant dire qu’aucun gouvernement, de droite ou de gauche, ne saurait modifier de son propre chef le statut juridique de la capitale. Cette même loi fondamentale interdit une nouvelle division de la ville afin que Jérusalem-Est fût éventuellement cédée à l’Autorité palestinienne pour qu’elle en fasse sa capitale.

La légalité internationale que l’on qualifiera d’extra–israélienne, si ce n’est d’anti– israélienne pour les raisons précisées en introduction, tient cette loi pour nulle et de nul effet. En ce sens, les résolutions du Conseil de sécurité sont claires et se confirment les unes les autres, surtout depuis 1967. Il suffira de citer la résolution 252  déclarant que toutes les mesures et dispositions législatives et administratives prises par l’Etat d’Israël, y compris l’expropriation des terres et de biens immobiliers, qui tendent à modifier le statut juridique de Jérusalem sont non valides et ne peuvent altérer ce statut. Il est demandé en outre à Israël de rapporter en urgence les mesures de cette nature déjà prises et de s’abstenir de nouvelles actions tendant au même but. Mais un tel statut, au sens juridique, existe-t-il vraiment? N’érige t-on pas en norme incontestable ce qui n’est en réalité qu’un indécis et précaire statu-quo ?

Ces dispositions sont confirmées par la résolution 478 du même Conseil de sécurité. Les mesures prises par Israël pour modifier le statut de la ville par la loi fondamentale précitée y sont invariablement considérées comme nulles et non avenues. Les Etats qui auraient établi des missions diplomatiques à Jérusalem sont incités à les en retirer. L’Assemblée générale, quant à elle, déclarera que les mesures ainsi prises constituent bien une violation du droit international et qu’elles n’affectent pas le maintien et l’application de la 4eme convention de Genève. Il n’en ira pas autrement dans la résolution 672 de 1990 où l’on notera que le Mont du Temple est unilatéralement qualifié de « H’aram el Sharif ». La définition juive du lieu comme « Har Habayt » (2) bien antérieure à la conquête islamique en 638 y est occultée (3). On y reviendra. Ce rejet a des conséquences en droit interne de la nationalité. Ainsi les tribunaux américains se refusent–ils à faire droit à la demande d’un citoyen des Etats Unis afin que figure sur le passeport de son fils né à Jérusalem la mention: Jérusalem –Israël”. Pour le juge américain, cette mention ne serait pas conforme à la position de l’Exécutif qui jusqu’à présent, et malgré son soutien à l’Etat d’Israël, n’a toujours pas entériné la loi fondamentale précitée (4).

Le conflit des normes en présence apparaît patent et flagrant. Il ne saurait être éludé par l’affirmation, là encore unilatérale, selon laquelle l’Etat d’Israël transgresserait les dispositions du droit international qui ne lui conviendraient pas. L’accusation se renouvellera en 2004 devant la Cour internationale de Justice à propos de la barrière de sécurité. Pour la Cou, en érigeant cette barrière l’Etat d’Israël violerait les résolutions du Conseil de sécurité et les conventions de Genève sus-mentionnées. Il doit donc y mettre un terme et ne pas préempter le futur tracé de frontières, lequel ne peut résulter de sa seule occupation. Pour leur part, les magistrats de la Cour suprême d’Israël en décideront différemment. Sans méconnaître les dispositions du droit international en vigueur, ni récuser l’avis consultatif de la Cour, ils prennent également en compte les obligations découlant pour l’Etat d’Israël de sa légalité interne, et cela non pour la considérer comme la rationalisation juridique de faits accomplis mais comme légalité légitime aux regard des obligations qui incombent à cet Etat en tant qu’Etat de protéger sa population contre les attentats aveugles et sanglants qui la visent sans cesse et dont la Cour siégeant à la Haye ne tient, elle, aucun compte (5). L’on s’étonnera en effet que la dite Cour n’ait pas cru devoir faire droit à cette exigence, comme si celle–ci était dépourvue de fondement politique et éthique et de toute base légale, et comme si il fallait obliquement justifier les actions terroristes en cause. Une attitude tellement unilatérale ne risque t-elle pas de porter atteinte à sa fonction proprement juridictionnelle, au sens de Kojève, pour qui, on le sait, un juge ne mérite ce qualificatif que d’être effectivement tiers, autrement dit impartial et désintéressé ? La question vaut d’être posée en termes plus généraux : une juridiction internationale peut-elle considérer comme inexistante, sans cause valide et de nul effet, la législation d’une nation membre des Nations Unies ? En procédant de la sorte ne jette t-elle pas elle même la suspicion sur sa véritable nature ? Ce débat ne se limite pas à la CIJ. Il affecte les résolutions précités du Conseil de sécurité lorsqu’elles postulent que la légalité interne d’Israël est par nature nulle et non avenue; qu’il n’est même pas question d’en considérer les mobiles et donc d’en valider la moindre parcelle. Une telle position pourrait s’expliquer si le droit international en question satisfaisait à sa propre définition laquelle, répétons-le, ne serait vraiment opposable à l’Etat d’Israël que si celui ci était vraiment considéré comme un acteur à part entière dans son élaboration et non pas comme sa cible élective.

Car il faut à présent s’interroger sur les fondements recevables de la Loi fondamentale votée par la Knesset en 1980. Opposer à l’Etat d’Israël l’existence d’un statut juridique de Jérusalem déjà constitué, formalisé et entériné, serait supposer le problème résolu. Il semble que l’on soit loin de compte. Sans remonter au Roi David et à Abraham, l’on se reportera à une résolution du Conseil de sécurité antérieure à la « Guerre des six jours »: la résolution 181 du 29 novembre 1947 concernant ce qu’il est convenu d’appeler « le plan de partage » de la Palestine entre deux Etats, l’un Juif l’autre arabe. S’agissant particulièrement du statut de Jérusalem, ce plan prévoyait la création d’un secteur démilitarisé constituant une entité parfois qualifiée de « corpus separatum »; une entité distincte, placée sous l’égide du Conseil des tutelles de l’ONU. Ce conseil était chargé d’élaborer un statut définitif pour « la Ville sainte » et de lui désigner un gouverneur. Une assemblée devait également être élue au suffrage universel par la population adulte et demeurer en vigueur pour une durée d’essai dix ans. Après cette période de transition la situation devait être examinée par le dit Conseil et la population consultée par référendum en vue d’un statut définitif (6).

Pourquoi ce projet apparemment équilibré est-il resté sans suites ? Les documents officiels de l’ONU (7) en donnent une explication dans les termes suivants mais sans en désigner les véritables responsables : « Les hostilités qui ont suivi ont empêché l’application de la dite résolution ». Et d’ajouter : «Israël a occupé le secteur occidental de Jérusalem et la Jordanie le secteur oriental, y compris la vieille Ville et son enceinte. C’est ainsi qu’est intervenu le partage de facto (8) de Jérusalem ». Cette formulation euphémique et faussement équilibrée doit être corrigée par le rappel des faits historiques et des causalités réelles de pareilles « violences », anonymement mentionnées (9). Aussitôt voté par les instances de l’ONU, le plan de partage a été rejeté par la partie arabe, sans que l’on puisse démêler nettement qui a été le moteur décisif de ce refus : si ce sont les Arabes de Palestine – selon la dénomination à la fois « juive » et « arabe » alors conférée à cette partie du Moyen Orient – qui ont entraîné les Etats congénères alentour, ou l’inverse. Quoi qu’il en soit c’est à une agression caractérisée que le nouvel Etat d’Israël a fait face. Il en est résulté une guerre dont il ne lui a pas appartenu de décider des péripéties ni des issues territoriales mais qui s’est soldée par la défaite des armées d’agression et par l’exode des populations qui s’en étaient remises à elles pour décider de leur avenir dans une Palestine voulue « non juive ». Il n’est donc pas équitable d’incriminer à ce propos l’action des seules forces armées d’Israël. Déférant à la terminologie précédente, si l’on peut considérer qu’Israël a effectivement pris possession de Jérusalem-Ouest et y a proclamé sa souveraineté, il n’en demeure pas moins que, s’agissant de Jérusalem-Est mais aussi de la Cisjordanie, le royaume jordanien doit être considéré tout autant comme puissance occupante en violation de la résolution 181 qui ne peut être escamotée au regard des résolutions 247 et 338 ultérieures. D’autant que par sa résolution 194 du 11 décembre1948 l’Assemblée générale de l’ONU avait réaffirmé le principe de l’internationalisation de Jérusalem avec la préservation des droits existants, ce qui implique nécessairement ceux de l’Etat d’Israël. Cette résolution est restée sans effet. Par suite, le 23 janvier 1950, Jérusalem a été proclamée capitale de l’Etat d’Israël. Les services du gouvernement et le siège de la Knesset seront installés dans la partie Ouest de la ville, la partie Est étant toujours occupée par la Jordanie qui y empêchera l’accès aux lieux saints juifs et y restreindra l’accès aux lieux saints chrétiens. Si cette proclamation n’a pas été entérinée par nombre d’Etats, au titre de l’unilatéralisme de cette proclamation et des actes qui l’ont mise en oeuvre, l’on ne saurait méconnaître non plus l’unilatéralisme des décisions de la Jordanie dont on s’étonnera que son agression contre un Etat désormais membre de l’ONU n’eût fait l’objet d’aucune résolution ni sanction du Conseil de sécurité dans l’exercice de ses attributions. Ce silence, consacrant rien de moins qu’un fait impunément accompli, s’explique sans doute, au moins en partie, par le Traité spécifique passé entre la Jordanie et la Grande-Bretagne. Ce ne sera pas la première fois qu’un Etat membre permanent du Conseil de sécurité, loin d’y remplir prioritairement les obligations prévues par la Charte, y aura défendu ses intérêts régionaux et internationaux. On rappellera à propos du plan de partage de 1947 que la France – celle de la IVème république – s’était trouvée à deux doigts de voter contre ce plan, afin de ne pas mécontenter le monde arabe où se trouvaient maintes de ses colonies pourtant qualifiées de françaises (10). De ce point de vue, l’on a sans doute tort d’imputer la paternité de « la politique arabe de la France » au général de Gaulle exclusivement. Elle lui est antérieure et a préfiguré maints de ses revirements. Pour certains des plus hauts responsables de ce régime – dont le président Vincent Auriol – la France s’est résolue à voter ce plan in extremis afin de ne pas incommoder cette fois l’allié américain auquel elle était infiniment redevable pour sa libération et pour son relèvement, un allié toutefois suspecté d’être sous la coupe de ses « éléments judaïques » (11). En tout état de cause, la Jordanie va commencer à disposer comme elle l’entend, dans l’illégalité et en toute permanente impunité, de Jérusalem-Est et de la Cisjordanie occupées par son armée. L’ONU, quant à elle, échouera à ériger les lignes d’armistice de 1948 en véritables frontières reconnues conventionnellement, d’abord entre les belligérants puis internationalement. Ses instances s’engageront néanmoins par la Déclaration tripratite du 29 mai 1950 à faire respecter ces lignes là, faute de mieux, ce qui n’empêchera pas la Jordanie de les méconnaître et d’empêcher les Juifs de toute nationalité d’accéder à leurs Lieux saints, pour user de cette terminologie, ni de commettre déprédations et saccages des monuments et sites (cimetières compris) évoquant l’immémoriale présence juive dans le secteur oriental. La «  communauté internationale » ne réagira guère plus fortement lorsque la Chambre des députés jordanienne votera le 24 avril 1950 l’annexion pure et simple de Jérusalem-Est et de la Cisjordanie.

A propos du principe de non-acquisition légitime de territoire par la force

Il faut insister sur la gravité de ces décisions consécutives à cette agression et rappeler que la création de la Jordanie résultait elle même, après la première Guerre mondiale et la défaite des forces turques, d’un partage unilatéral décidé et opéré par la puissance britannique de territoires qui furent sous contrôle ottoman. Rappelons à ce sujet la réponse indignée de Churchill à l’un de ses opposants à la Chambre des Communes relativement à « la conquête rampante de la Palestine de la part des Juifs » (12) : à ses yeux aucune conquête de ce type ou de tout autre ne pouvait être relevée à leur encontre. Pourquoi chercher à s’en défausser : par la Déclaration Balfour du 2 novembre 1917, la Grande Bretagne s’était engagée en vue de la création en Palestine, alors sous contrôle ottoman, d’un foyer national Juif ayant vocation naturelle à devenir graduellement mais irréversiblement le véritable Etat d’un peuple ayant recouvré ses droits historiques sur une terre où sa présence se dénote sous chaque pierre. Et Churchill ajoutait, dans une formulation ne souffrant aucune équivoque et qui ne s’embarrassait guère de circonlocutions, qu’en 1918 : « les Arabes étaient complètement défaits, rendus à la merci des Alliés, sans qu’aucun chien n’eût osé aboyer ». Consécutivement à un premier partage, les Arabes avaient obtenu équitablement leur lot. La Jordanie leur avait été attribuée. La Palestine devait revenir aux Juifs. Et c’est pourquoi Churchill s’opposera à tout autre partage de la dite Palestine. Les Arabes se trouvant en territoire juif où leur nombre avait fortement augmenté aussi devaient y être intégrés et en devenir les citoyens loyaux, continuant à y bénéficier d’un indiscutable développement (13). Mettre en question la validité de la Déclaration Balfour au motif que la Grande Bretagne disposait à sa guise d’un territoire qui n’était pas sien conduit à récuser la validité de toutes les autres dévolutions territoriales auxquelles elle a procédées, à commencer par celles ayant mené à la création de la Jordanie et de l’ Irak. Il conviendrait en outre de récuser les accords Sykes-Picot de 1916 par lequel la Grande Bretagne et la France lotissaient entre elles le Moyen Orient, sans tenir compte de la présence juive (14), et ensuite le mandat confié par la SDN aux deux puissances européennes dans cette région du monde. Sur cette voie, il faudrait inventer un autre droit international que celui prévalant à cette époque (15).

La politique de La Jordanie ne variera plus : perpétuer ces faits accomplis en profitant de la passivité internationale tout en se prévalant de la défense bien entendue et de la préservation des intérêts palestiniens. On le constatera des décennies plus tard, en 1975, après les guerres de 1967 et de 1973, lorsque la partie palestinienne se sera structurée et cherchera sa reconnaissance internationale sous la direction de l’OLP présentée comme seule représentant du peuple palestinien (16). En 1975, la Ligue Arabe siégeant au Maroc ayant accordé cette reconnaissance et cette exclusive légitimité à l’OLP, la Jordanie protestera vivement, estimant que la dite Ligue portait indûment atteinte à sa souveraineté. Il faudra attendre le 31 juillet 1988 pour que le Roi Hussein, faisant la part du feu et prenant acte du nouveau rapport de forces depuis les massacres du «  septembre noir » commis par ses troupes en 1970, déclare à la télévision l’abandon de ses revendications sur la Cisjordanie et sur Jérusalem-Est au bénéfice de l’ OLP. Dans tous les cas, que ce fût dans un sens ou dans l’autre, la monarchie jordanienne continuait à disposer à sa seule convenance de territoires illégalement acquis, ces territoires fussent–ils passés depuis 1967 sous le contrôle de l’ Etat d’Israël. Il importe de rappeler dans quelles circonstances et avec quelles conséquences.

En mai 1967, après des années d’actions terroristes et de représailles, la tension monte brusquement et globalement au Moyen Orient. Jour après jour, et parfois d’une heure à l’autre, le Président Egyptien Gamal Abdel Nasser s’engage de plus en plus dans une belligérance directe contre l’Etat d’Israël qu’une nouvelle fois il voue urbi et orbi à une destruction fatale. L’OLP d’Ahmed Choukeiri lui emboîte le pas et surenchérit sur ces menaces politicides. De nombreux Etats arabes décident de rejoindre l’Egypte nassérienne, encouragés par la passivité des instances de l’ ONU et par l’aboulie de son secrétaire général, U– Thant. Le retournement d’alliance opéré par la France et le sentiment fallacieux que cette fois la revanche des guerres de 1948 et de 1956 serait victorieuse les confortent dans cette espérance. A son tour, le jeune Roi Hussein croit devoir se coaliser avec le Raïs égyptien et ainsi préserver la monarchie hachémite. Le gouvernement israélien l’incite néanmoins fortement et de manière réitérée à se tenir à l’égard d’une guerre. Le Roi Hussein n’en a cure et choisit le camp qu’il estime voué à vaincre. Le 7 juin, après de durs combats et démentant les calculs du roi de Jordanie dont le grand-père avait déclaré que l’internationalisation de Jérusalem se ferait sur son cadavre, les forces armées de l’Etat d’Israël pénètrent dans Jérusalem-Est, parviennent jusqu’au Mur occidental du Temple et prennent le contrôle de la Cisjordanie qu’ils ne croient pas devoir annexer purement et simplement comme la Jordanie s’y était autorisée avant eux.

A partir de quoi, et sans désemparer, une nouvelle guerre se déclenche au plan international contre l’Etat d’Israël, une guerre à la fois idéologique, sémantique et juridique, visant à délégitimer et à délégaliser sa présence à Jérusalem-Est et en Cisjordanie notamment, avec effet induit sur sa propre création en 1948. Dans cette guerre, la diplomatie française se montrera souvent en première ligne affinant sinon inaugurant la thématique des « territoires occupés », locution déloyale évoquant immédiatement l’occupation hitlérienne, de la Pologne entre autres. Les bas–fonds de cette thématique seront explicités lors de la fameuse conférence de presse du général de Gaulle de décembre 1967. Pour rendre compte de l’après– Guerre des six jours  et d’une manière générale de la confrontation israélo-arabe le président de la République française croira devoir avancer une postulation anthropologique et décrire le peuple juif comme « peuple d’élite sûr de lui même et dominateur ». En fait de « domination», la diplomatie française considèrera toujours comme allant de soi sa présence active et «  protectrice » dans la région, notamment au Liban et en Syrie, consécutivement au mandat qui lui avait été confié par la SDN, lui même résultant, on l’a dit, des accords Sykes– Picot de 1916, coloniaux s’il en fut. Il est vrai que, suivant en cela les pas de Vincent Auriol, de Gaulle considèrera que l’intérêt supérieur de la France devait conduire à se concilier en priorité le monde arabe. En ce domaine il avait profondément modifié les vues du jeune officier qui écrivait au cours de la première Guerre mondiale qu’il était suicidaire pour l’Occident chrétien de laisser la voie libre à l’hégémonie arabo-musulmane (17)… D’où l’importance des positions opposées d’un Churchill qui ne cèdera jamais à cet opportunisme drapé dans la toge de la « grandeur », et cela au moments les plus durs et les plus éprouvants de l’affrontement entre l’armée britannique et les éléments de l’Irgoun. C’était faire peu de cas également des positions de principe adoptées par le monde arabe, de manière on ne peut plus grégaire, à Khartoum le 29 septembre 1967. Cette réunion s’était conclue à l’encontre des propositions d’Israël par un triple « non » dont il faut peser chacun à son poids spécifique et au regard des obligations inhérentes à la Charte des Nations Unies: « non » à des négociations, «  non » à la reconnaissance de l’ Etat d’ Israël, et surtout « non » à la paix..

Tant qu’à relever la résolution 242, l’une de celles qui sont le plus souvent invoquées pour tenter de rejeter Israël dans l’illégalité internationale au titre, notamment, du caractère inacceptable de l’acquisition de territoires par la force, il convient d’en souligner d’une part la date d’autre part quelques unes des dispositions explicites. Cette résolution a été adoptée le 22 novembre 1967, prés de deux mois après le triple « non » de Khartoum qu’à sa manière elle déjuge et désapprouve, une désapprobation d’autant plus significative que siègent au Conseil de Sécurité, comme membres permanents, l’URSS, allié indéfectible du monde arabe, et la France dont la neutralité s’avère de plus en plus malveillante vis à vis de l’Etat d’Israël. Dans ces conditions, la dite Résolution commence en effet par rappeler le caractère inadmissible de l’acquisition de territoires par la force – principe que nous aurons à reconsidérer sous l’angle de l’histoire des Relations internationales. Il s’ensuit que les forces armées israéliennes devraient se retirer de territoires (et non pas des territoires) placées sous leur contrôle depuis le plus récent conflit. On a beaucoup discuté cette formulation que les uns interprètent de manière minimaliste et les autres de manière maximaliste. La première interprétation semble la plus plausible non pour des raisons exégétiques mais parce que c’est elle qui permet d’étayer l’autre disposition de la résolution 247 demandant «  la fin de l’état de belligérance et le droit pour chaque Etat de vivre en sécurité dans des frontières sûres et reconnues, hors de toute menace et de toute action violente » (18). Cette dernière disposition qui ne prend son sens que d’inciter à des négociations entre les parties concernées et en interdisant les actions terroristes. Suivant cette déclaration et pour en respecter l’économie interne, le principe de la non admissibilité de l’acquisition de territoires par la force qui y est rappelé procède d’un principe encore plus générique auquel chaque partie doit faire droit : celui de remplir les obligations de la Charte pour une paix juste et pérenne entre les Etats du Moyen Orient.

Le droit international public et la théologie de la substitution

Un principe – et plus particulièrement un principe juridique – ne vaut qu’à deux conditions: n’être pas arbitraire, autrement dit pouvoir rendre compte des conditions de son apparition, et d’autre part de s’appliquer à tous. Est-il sûr que le principe de non-acquisition légitime de territoires par la force satisfasse à ces deux conditions lorsqu’il est appliqué à Israël de manière systématique et à sens unique pour délégaliser et délégitimer la prise de contrôle de Jérusalem – Est et de la Cisjordanie par cet Etat ? Dans ce cas, on l’a vu, comment justifier la conquête préalable de ce même territoire par le royaume hachémite en 1948 et sa main-mise sur Jérusalem-Est en violation délibérée et flagrante d’une décision de l’ONU? L’anamnèse ne doit pas rester en si bon chemin même s’il ne faut pas méconnaître l’avertissement de Kant concernant le caractère hasardeux des investigations sur l’origine des êtres et des choses. Le plan de partage rejeté par les Etats arabes faisait suite au mandat confié par la SDN à la Grande Bretagne après la défaite et le démantèlement de l’Empire turc. Or – et l’on a déjà posé la question : comment justifier la présence britannique au Moyen Orient mais aussi en Inde et sur une grande partie de la planète sinon par des faits de conquête militaire et d’occupation coloniale ? – au vrai sens du terme – accomplis à des milliers de kilomètres de ses côtes (19)? Il n’en va pas autrement pour la présence française dans la région conformément aux accords Sykes-Picot. Une fois que l’on a commencé à tirer ce fil, il faut voir où il mène. Que dire de la conquête des deux hémisphères du continent américain par des troupes venues d’Europe pour y propager au nord comme au sud la foi chrétienne en ses multiples obédiences? Comment justifier la présence turque en Arabie et en Palestine de l’époque sinon, là encore, par des faits de conquête militaire et d’occupation par vive force ? Le fil tiré mènerait jusqu’aux Croisades et aux décennies sinon aux siècles de guerre qui ont opposé la chrétienté et l’Islam pour la possession de la Terre Sainte et plus particulièrement de Jérusalem (20). Mais à quel titre le pouvoir de l’ Islam s’est– il exercé en cette région du monde, bien au delà de l’ Arabie, jusqu’à l’Inde et jusqu’à l’Espagne, sinon, une fois de plus, par des faits de conquête militaire, d’occupation par vive force et sous contrainte confessionnelle (21)? Avant d’être conquise par les armées de l’islam, la Palestine – comme le Maghreb – avait été terre chrétienne, et avant d’être chrétienne elle avait été terre juive, nommée selon ces dénominations hébraïques: Judée, Galilée, Samarie. Jérusalem, comme Bethléhem et Hébron sont des noms hébreux. Qu’ils aient été débaptisés et renommés en langue arabe ne suffit pas à les amnésier, d’autant que le peuple qui les a initialement nommés est toujours vivant, contrairement aux allégations décrétant son exclusion de l’Histoire si ce n’est du genre humain. La Judée a été nommée « Palestine » à la suite de la conquête et de l’occupation romaine puis de la destruction du 2eme Temple et de l’abrogation de la souveraineté juive en ces lieux. A aucun moment le peuple juif n’a entériné ces conquêtes et ces actions de force brute. A aucun moment il n’a prononcé l’auto-abrogation de sa souveraineté ni n’a renoncé à ses droits sur ce territoire qu’il a au contraire immédiatement voué à son retour et au rétablissement de sa souveraineté. Toute conquête et occupation ayant pris la succession de l’Empire romain était par là même précaire et assujettie à cette clause de retour. Pour la récuser, il faudrait porter atteinte à un autre principe fondamental : celui pour un peuple opprimé de se libérer et de recouvrer son indépendance. Pourquoi l’application d’un tel principe serait –elle refusée au seul peuple juif, en tant que tel, disposant comme tout peuple du droit à l’auto-détermination et à la préservation de son identité, laquelle implique la préservation de son histoire et du territoire originel où elle s’est constituée et développée ? Si tel ne devait pas être le cas comment justifier, entre autres, la reconquête de l’ Espagne islamisée par les Rois Catholiques au XVe siècle ? Comment justifier ensuite les guerres d’indépendance menées par les peuples arabes contre des nations venues de l’Occident chrétien pour leur imposer leur loi, leur langue, leur culture ? Aucune occupation ne fait loi de soi dans de pareilles conditions. Il n’en va pas autrement pour le peuple juif qui a préservé avec cette terre un rapport constant, direct, immédiat, que l’on ne peut qualifier autrement que d’inhérence. Quant à l’objection selon laquelle l’étendue des territoires que l’Etat d’(Israël contrôle au nom de son Histoire seraient disproportionnés au regard de sa population de confession juive, l’argument strictement «superficialiste » vaudrait s’il valait aussi pour les immensités inhabitées du Canada, de la Russie, de l’ Algérie ou de l’Arabie même, pour nous y limiter.

S’il doit être qualifié de «  moderne » ou de «  contemporain » le droit international public ne saurait sans risquer de perdre sa propre légitimité se forger un acte de naissance qui compterait pour rien ces fidélités immémoriales et l’imprescriptibilité qui leur est attachée. Pour donner corps et force à un droit aussi amnésique, il importe de participer à d’autres entreprises, fort équivoques, menées sous le couvert de l’Histoire et qui tentent d’ôter toute fondement aux revendications du peuple juif sur cette terre non à raison de la péremption de ces revendications mais par un acte confinant à l’ethnocide culturel et intellectuel : en affirmant que le peuple juif est une pure invention, qu’il n’ a jamais existé comme existent les autres peuples, et cela dans le déni de sa langue, de sa culture, de ses rites et de ses liturgies, de ses documents les plus antiques et de ses monuments les mieux préservés (22). A cette fin toute trace découverte ou redécouverte est aussitôt recouverte ou effacée. De ce fait l’archéologie n’ouvre plus seulement des terrains de fouilles: elle même est devenue champ de bataille et lorsque l’effacement physique échoue intervient la tentative de déclassement moral. Le terme de « judaïsation » passera pour insultant, polluant (23). N’est ce pas Kant déjà qui avait prôné en son temps l’euthanasie du peuple Juif ? Comment s’étonner que ce peuple, affronté à ces stratégies de la souillure, ne l’entende pas de cette oreille et vérifie l’exemplarité de ses accusateurs ?

Le retour du peuple juif dans l’histoire contemporaine engendre des réactions aussi erratiques non seulement parce qu’il met en cause des occupations indues avec les violences qui les ont engendrées et dont il a été victime mais aussi parce qu’il ébranle la véritable structure à la fois théologique et psychique qui l’a réputé pour mort durant presque deux millénaires. La démonstration en a été faite maintes fois sur le terrain de la théologie comme sur celui de l’histoire des religions et l’on ne peut que se féliciter des avancées notables intervenues en ce domaine entre le peuple juif et l’Eglise catholique. Bien sûr, « l’Accord fondamental » intervenu en 1993 entre le Vatican et l’Etat d’ Israël n’obéit pas qu’à des considérations exclusivement religieuses mais qui doutera qu’il a résulté également de l’intense dialogue inter–confessionnel engagé après la deuxième Guerre mondiale et la révélation des horreurs de la Solution finale ?

De manière étonnante c’est sur le terrain du droit, d’une discipline et d’une forme de pensée présumées « laïques » et neutres, que les résistances s’avèrent des plus tenaces. On peut y reconnaître deux causes principales et non exclusives. La première tient à l’usage dirigé contre l’Etat d’Israël du corpus des droits de l’Homme. Cet usage obéit à des objectifs strictement belligènes: dégrader cet Etat en rebut de l’ONU afin de justifier par avance tout « Etacide », si l’on pouvait parler en ces termes, contre lui. Le procédé est strictement homologue à celui qui a conduit précisément à la Solution finale: ôter à la future victime toute caractéristique et toute valeur humaines de sorte à absoudre par avance et à dépénaliser l’assassinat fomenté contre elle. Cela implique, assurément, la distorsion de quelques concepts non secondaires du droit public mais aussi de la science politique, tel celui d’ « apartheid ». Les protestations du réel n’y peuvent rien. Le but de l’exercice n’est pas la qualification juridique exacte – et exacte parce que contradictoire – de la situation en cause mais la disqualification a priori et à des fins de belligérance de l’Etat stigmatisé et coiffé de l’équivalent du « san benito » de l’Inquisition. D’où ces deux conséquences désastreuses: d’une part l’extrême méfiance de l’Etat d’Israël au regard des suppôts de ce droit armé et des institutions où ses promoteurs sont à la manoeuvre contre lui, mais d’autre part ce que l’on pourrait appeler la dé-signification des concepts juridiques ainsi dévoyés. On relèvera d’ailleurs que ce dévoiement juridique est souvent le fait des historiens qui entreprennent d’ôter tout fondement à l’existence du peuple juif et toute base légale à l’existence de l’Etat d’Israël, ou à ceux qui les prennent pour paravents ou qui les utilisent comme alibis. Dés lors la prédation juridique et le déni historique s’appuient l’un sur l’autre comme « le crime s’appuie sur le vice », pour paraphraser Chateaubriand. Les vicissitudes du « rapport Goldstone » en seraient la triste illustration (24) de même que les campagne acharnées de boycott dirigés contre cet Etat, des campagnes illégales dans la plupart des pays d’Etat de droit où elles sont menées mais qui tentent de se justifier par l’invocation d’une moralité supérieure à cette légalité positive. Ainsi désorbité, le droit est déclaré légitime lorsqu’il sert à combattre l’Etat d’Israël mais il ne l’est plus dés qu’il ne le permet pas. A ce compte, il n’est pas sûr que le droit lui même n’en sorte pas amoché au regard de ses finalités : prévenir les passages à l’acte, donner force au principe du contradictoire sous le postulat de l’indépendance et de l’impartialité des juges.

Jusqu’à Grotius

Il faut probablement aller plus loin encore, forer plus profondément. Il y a déjà longtemps que l’on a démontré, à la suite de Léon Brunschvicg, à quel point la philosophie occidentale avait vécu sur les subsides de la théologie chrétienne. Quant à lui, le grand juriste que fut Jacques Ellul a montré que le droit le plus sécularisé ne pouvait se détacher de ses origines théologiques. Le droit international public, serait –il adorné du qualificatif de «  moderne » ou de « contemporain », s’expose aux mêmes analyses et c’est la raison pour laquelle Kelsen s’est évertué à construire une théorie du droit émancipée de ces gestalten théologiques inavouées ou devenues inconscientes. S’agissant du peuple juif et de l’Etat d’Israël, il est patent que le droit international soit souvent l’héritier, plus ou moins complaisant et complice, de cette « théologie de la substitution » suivant laquelle le « Nouvel Israël » en tous ses avatars, a pris la place du peuple Juif dans le projet divin et s’est subrogé à son Alliance. Le Traité mémorable de Grotius : Le droit de la guerre et de la paix  en donne un exemple qui devrait faire méditer les internationalistes « laïcs » les plus positivistes. Dans la première partie de cet ouvrage considérable, Grotius se livre à l’inventaire des différentes civilisations antiques relativement au droit de la paix et de la guerre pour son époque – la plus contemporaine, et pour cause, à ses yeux. Sitôt arrivé à l’apport du peuple Juif, ses assertions se départissent de toute objectivité et se coulent dans les présupposés de la théologie de la substitution la plus sophistique – et la plus prédatrice. Sans dissimuler son estime pour les penseurs juifs de toutes les époques, à commencer par Isaac Abravanel, ce qui atteste bien de la force des tropismes théologiques à l’oeuvre, il affirme notamment à ce sujet : «  Pour nous qui sommes étrangers à la Nation juive, ce que nous avons gagné à la venue du Christ, ce n’est point d’avoir été affranchis de la loi de Moïse mais de pouvoir d’une part nous appuyer sur une Alliance formelle tandis que nous n’avions auparavant qu’une espérance confuse en la bonté de Dieu, et d’autre part de former une même Eglise avec les Hébreux fils des patriarches, depuis que leur loi qui nous séparait d’eux comme par un retranchement a été abolie» (25). La filiation de ces assertions avec la théologie du « Verus Israël » est si flagrante qu’elle doit simplement se constater. Il n’en demeure pas moins qu’elle soulève deux questions plus spécifiquement juridiques. La première concerne la notion d’ « affranchissement » et de libération au regard de la Loi de Moïse. L’on ne sait ce que Grotius entend exactement par cette déclaration. S’agit –il de s’affranchir du … Décalogue ?

Si Grotius l’a entendu de cette façon, il se retrouverait en bien triste compagnie. S’il s’agit de s’affranchir du droit positif hébraïque découlant de la Michna et du Talmud, tel qu’il est perçu par les ignares ou les inquisiteurs et tel qu’il est réputé par eux, à savoir d’être littéraliste, desséchant, ethnocentrique, il faut espérer que le droit romain, que le droit grec, que le droit canon ou n’importe quel autre corpus juridique ne subisse pas un traitement identique dans nos facultés. L’autre question concerne la déclaration d’abrogation de cette Loi. De quel droit Grotius prononce t-il cette abrogation  ou la reprend–il à son compte? Quelle autorité reconnue a telle compétence à cette fin ? Proclamer que le droit d’un peuple est abrogé par un autre peuple ou par une quelconque entité est une pure voie de fait, à la frontière du délire, en tous cas un abus de situation dominante. Toutes les fois où, d’une manière ou d’une autre,, en terre de domination chrétienne ou de domination islamique, un tel décret a été prononcé, le peuple juif a élaboré et construit en réponse, hormis ses répliques proprement théologiques, un nouveau monument de son propre droit, qu’il s’agisse des deux Talmud, du « Michné Thora » de Maïmonide ou du « Choulh’ane Aroukh » de Joseph Karo. Ces interrogations en entraînent une autre par laquelle on conclura puisqu’elle concerne très directement Jérusalem. Si le grand juriste qu’est Grotius a compris qu’il devait devancer l’objection portant sur l’autorité compétente pour abroger la législation du peuple juif, l’argument qu’il croit devoir avancer à ce propos n’y contribue guère. Il s’en explique ainsi : « Elle fut abrogée après que le peuple juif par la ruine et la destruction complète de sa ville a cessé de former un peuple, sans espérance d’être reconstitué à l’état de nation ». En considération du statut accordé à Grotius dans la généalogie du droit international contemporain, l’on ne peut que relever le manque de jugement dont il fait preuve même si, volontairement ou non, il reconnaît que Jérusalem est bel est bien la Ville du peuple qu’il voue à une existence spectrale Un peuple cesse-t-iil d’exister en raison des épreuves qui l’affligent ? En 1940 la France s’est elle auto– dissoute après que la Wehrmacht avait défilé sur les Champs Elysées et après qu’Hitler en personne se ût fait conduire à l’esplanade du Trocadéro pour y admirer la Tour Eiffel au lever du soleil ? Plus grave: de quel droit, un juriste quelconque peut –il disposer de l’avenir d’un peuple en croyant pouvoir le priver de toute espérance ? On mesure mieux ce que signifie l’intitulé de l’hymne national de l’Etat d’Israël : la « Hatikva », « L’espérance », précisément.

L’histoire contemporaine du peuple juif a déjugé Grotius dont l’oeuvre heureusement ne se réduit pas à ces pronostics peu clairvoyants. Le peuple juif ne s’est pas « reconstitué » en Nation depuis le congrès de Bâle de 1897, sous la houlette de Théodore Herzl. A vrai dire, il n’a jamais cessé d’en être une ni d’espérer qu’il se doterait le moment venu d’un Etat tel que celui–ci serait envisageable à l’époque de son rétablissement et selon le droit qui y serait en vigueur. Il est vrai aussi qu’il est plus facile de désespérer que d’espérer. Il ne faut pas désespérer du temps où l’Etat d’Israël, le seul Etat juif de l’humanité, devienne un acteur à part entière dans l’élaboration d’un droit international qui lui ferait honneur d’avoir persisté contre de si sombres prédiction ; ni désespérer qu’arrivera un temps où Jérusalem indivise, telle qu’il l’a nommée pour la première fois et sans cesse appelée de son nom propre dans sa traversée du désert des peuples, sera reconnue pour sa capitale mémorable dont on ne chercherait plus à le décapiter dans le seul but d’imposer la parole d’oracles insanes. Autrement, serré entre la politique des successeurs de Titus et une théologie adverse, de seconde main, pire encore dans l’ordre de l’esprit, comment un droit international digne de ce nom élargirait –il les voies de la paix ?

Raphael Drai Zal, Revue CONTROVERSES, 23 mars 2011

Notes

1. Barry Buzan and Richard Little, International Systems in World History, Oxford University Press, 2000. 2.Harav Shlomo Goren, Har Habayt, Massorat Haâm, Jérusalem, 2004. 3. André Bonnery et alii, Jérusalem, Symboles et représentations dans l’ Occident médiéval, Grancher, 1998. 4. Actualité juive, no 1163, jeudi 12 mai 2011. 5. Cf. Alexis Haccoun, «  L’action de la Cour suprême d’Israël dans la mise en balance des impératifs de sécurité et de respect des droits de l’ Homme dans la lutte anti–terroriste », thèse pour le doctorat de science politique, Aix Marseille III, 2010. 6. Howard M. Sachar, A History of Israël, Knopf, 1989, p. 431 et sq. 7. Tous consultables sur le Net. 8. C’est nous qui soulignons. 9. Mêmes observations pour les pogroms arabes de 1929 tels qu’ils ne sont pas expressément qualifiés par Henry Laurens, in Orientales, III, Editions du CNRS, 2007, p.342. 10. Laurens, op.cit. II. p. 360. 11. Id. pp. 364 et 365. 12. Martin Gilbert, Churchill and the Jews, Pocket Books, 2007, p. 115. 13. Cf Albert Hourani, A History of The Arab Peoples, Faber and Faber, 2005, qui minimise ce fait. 14. David Fromkin, A Peace To End All Peace, Holt Paper back, 2009. 15. John Keay, Sowing The Wind, The Mismanagement of the Middle East, 1900 – 1960, John Murray, 2004. 16. Bernard Lewis, « Les Palestiniens et l’ OLP. Approche historique », in Islam, Gallimard– Quarto, 2005, p.278. 17. Charles de Gaulle, Lettres, notes, carnet, Tome I, Robert Laffont – Bouquins, 2010. 18. Howard M. Sachar, op.cit. p. 664. 19. John Laughland, The Tainted Source, The Undemocratic Origins of The European Idea, Warner Books, 1998. 20. Bruno Lagrange, Islam et chrétienté, deux siècles de guerre ( 1095– 1270), EDL, 2006. 21. Eugen Rogan, The Arabs, A History, Penguin Books, 2010. 22. D’où la réception des thèses de Shlomo Sand sur ce thème. 23. Cf.A.M. Goichon, Jérusalem, fin de la Ville universelle ?, Maisonneuve et Larose, 1976. 24. Revue « Controverses » . no 13. 25. Hugo Grotius, Droit de la paix et de la guerre, PUF– Léviathan, 1999, pp. 46 et 47.

 

NOUVELLE PUBLICATION: Tu Choisiras la Vie – Commentaires bibliques du Sefer VayiKrah (le Lévitique)

In Uncategorized on Mai 15, 2018 at 12:23

VayikraCouv

VaykraDos

Merci à Yossef Azoulay, Directeur des Editions Lichma pour ce travail admirable, Gérard Darmon pour ses magnifiques illustrations, et Rav Ariel Messas pour son émouvante préface.

Pour le commander cliquer sur le lien suivant:

http://editionslichma.com/fr/221-tu-choisiras-la-vie-la-genèse.html

PARACHIOT BEHAR- BEHOUKOTAI

In Uncategorized on Mai 10, 2018 at 10:18

 31 Béhar.

Sous ses apparences ritualistes, le livre de Vaykra, du Lévitique, qui à présent s’achève, dessine en réalité les chemins  praticables d’une sainteté concrète. La théorie des korbanot  se comprend par la nécessité de rapprocher l’homme et son prochain,  et l’un et l’autre avec le Créateur lorsque leur relation s’est distendue ou même rompue, au risque d’une pulvérisation de l’Alliance. L’on aura compris également que cette sanctification ne se réduit pas à des concepts inatteignables pour le commun des mortels, ni à des formes d’excursions mystiques; qu’elle se rapporte à la définition de pratiques, de conduites, de comportements, de démarches, visibles et vérifiables, et à des formes d’institution par lesquelles la notion de peuple, de âm, trouve son plein sens. C’est la raison pour laquelle ce livre médian  se conclue progressivement en une paracha pénultième désignée par ce titre « Behar» que l’on peut traduire par « sur la montagne » ou « par la montagne ». Ce qui conduit à écarter une première interprétation par trop géologique. A l’évidence, le mot har désigne un mont, une montagne, et plus généralement tout  lieu situé en hauteur. L’image est déjà parlante puisque, de l’avoir suivi pas à pas, le trajet désigné par le Lévitique conduit à cette altitude d’où un autre paysage de pensée va s’apercevoir.

Cependant, le mot HaR comporte d’autres significations dont on relèvera les deux principales qui correspondent à la suite de des versets constituant cette  péricope. La racine HR se retrouve en effet dans le verbe HaRah qui désigne la conception biologique mais aussi la conceptualisation intellectuelle. A la manière de Chimchon Raphaël Hirsch on notera que la racine HR est connexe à la racine ÊR qui désigne l’éveil, la stimulation de conscience, d’où la sonnerie du chophar nommée TéRouÂ. De  quoi est-il question à propos de HaR? De l’institution chabbatique selon ses trois modalités : hebdomadaire, septennale et jubilaire. La série des parachiot précédentes semble  orientée  méthodiquement vers celle-ci, même si, bien sûr, explicitement ou implicitement, la présence du chabbat a été constante tout au long de ce livre. Pourquoi cette insistance?

Elle se rapporte au paradigme suivant : selon la séquence vitale constituée par les sept jours de la semaine, les six premiers jours doivent être oeuvrés  et le septième doit être non pas désoeuvré, au sens d’un chômage banal, dont on sait la plaie qu’il représente dans les société contemporaines, mais au sens d’un temps de réflexion, de reprise quasiment analytique du sens de l’oeuvre précédemment accomplie. Le septième jour n’est pas un jour vide mais un jour de pensée qui présuppose la plénitude des précédents.Comme y insistent quelques uns des plus grands penseurs contemporains, il n’est pas de pensée sans conscience et pas de conscience sans objet. Objet non pas au sens de la chose inerte mais de matière primaire à travailler. A  cette condition l’objet ainsi oeuvré devient «  oeuvre de pensée », vivace et durable, « maâssé h’ochev »  comme il est dit à propos de la confection du Sanctuaire.

L’institution chabbatique est structurée en trois temps, en trois longueurs d’ondes. La première est à l’échelle individuelle – encore que dans la pensée d’Israël cette échelle là ne se dissocie jamais de l’échelle collective, selon l’articulation du perat et du clal. Elle implique l’abstention de tout  travail en apparence créateur mais qui serait surtout emporté par son propre élan dans le ressort de la propriété individuelle, même si celle –ci s’articule aux autres «  champs » physiques et intellectuels   personnels.

La seconde sollicite un autre coefficient : il s’agit d’un chabbat « au carré » puisque durant la septième année  toute la terre cette fois devra bénéficier d’une relâche, laquelle n’en fait pas une res nulius mais la rend disponible pour  les catégories de la population qui précisément ne disposent pas des facilités et des bénéfices de la propriété personnelle; les nécessiteux, les étrangers, mais aussi dans un autre ordre du vivant : les animaux, y compris – belle leçon d’écologie pérenne –  les bêtes dites sauvages qui ne le sont qu’au regard de la possible sauvagerie humaine.

Enfin à la fin de la 49eme année, est proclamé le Yovel, le Jubilé, l’année  non pas de la dépossession mais de la dé-propritation, si l’on pouvait aussi user de ce néologisme ; une cinquantième année durant laquelle prennent fin toutes les formes d’aliénation des patrimoines et des personnes ; l’année de la restitution de chacun et de chacune à la part qui lui revient par nature dans le  champ de la création divine, confiée à la responsabilité humaine. L’année du dror, de la liberté effective.

Si jusqu’à présent le peuple d’Israël a pu accéder aux deux premiers étages de l’institution chabbatique,  le troisième requiert  toujours de sa part d’autres efforts. Mais qui a jamais prétendu que son histoire était terminée?  C’est donc à partir des  disposition contenues dans la paracha Behar que l’on peur comprendre un verset antécédent contenu dans la parachat Ytro, celle qui relate la don de la Thora : «  Dans la  sonnerie du chophar ( bimchokh hayovel) eux monteront sur la montagne( yaâlou bahar ) ( Ex,19, 30 ).»

Ce verset peut se comprendre d’une autre manière à présent : « Par la réalisation de l’année jubilaire, ils s’élèveront dans la pensée vive ». Forme de pensée supérieure qui met en relation surgénératrice  les niveaux de l’être en sa plénitude : le corps, la pensée discursive, la conscience de notre divine origine. Et c’est en ce sens que l’institution chabbatique constitue un h’ok, un principe générique, au sens des h’oukim dont traite précisément la paracha qui suit, textuellement et logiquement, celle-là.

Raphaël Draï zal, 1er mai 2013

PARACHAT EMOR ( Lv, 21 et sq )

In Uncategorized on Mai 3, 2018 at 4:37

ILL  Emor.

De nombreux malentendus et contre-sens peuvent être commis à propos du cohénat dans la Tradition d’Israël. A commencer par la confusion entre ce groupe humain et une caste séparée de l’ensemble du peuple, jouissant de privilèges exorbitants dont les «exclusivités» sexuelles ne seraient pas les moins choquantes. Pour éviter ces écueils il importe de se replacer dans l’esprit et la lettre des prescriptions qui concernent les grands prêtres, les cohanim.

Ces prescriptions ne se dissocient pas de celles relatives à la sanctification du peuple dans son ensemble et qui font la matière de la paracha précédente, de Kedochim. Les cohanim sont d’abord et avant tout des Bnei Israël. Cependant, le concept de sanctification n’est pas simple et peut, lui aussi, nourrir bien des malentendus. Être saint, ce n’est pas participer d’une essence différente de celle des autres être humains. C’est la porter au plus haut niveau qui se puisse concevoir. En ce sens il est possible de parler d’effort spirituel comme Bergson parlait d’effort intellectuel, lequel résulte d’une attention soutenue et d’un exercice sans temps morts. De ce point de vue, seul Dieu est véritablement saint, Kadoch. Les êtres qu’il a créés sont, eux, portés à une perpétuelle sanctification. Celle-ci se décline en une série d’attitudes, de conduites, de comportements qui font par eux même la preuve des valeurs qui les inspirent. Autrement celles-ci resteraient abstraites et illusoires. Cet ensemble de conduites culmine dans l’invite à «aimer son prochain comme soi même» (Lv,19,18), encore que ce verset qui se relie à tous ceux concernant l’interdit de l’inceste (Lv,18) soit susceptible de nombreuses autres traductions et interprétations.

Les cohanim doivent donc d’abord et avant tout donner l’exemple de l’observance concrète et probante de ces premières conduites et comportements par lesquels la sainteté divine s’infuse déjà dans tout le peuple. Ils sont en outre astreints à l’observance de prescriptions supplémentaires donnant sens à leur fonction, autrement dit à leur responsabilité particulière au sein des Bnei Israël. On en découvrira le détail précisément dans cette paracha. Ici l’on mettra en évidence leur logique interne qui se discerne dans le verset: «Et je le sanctifierai car, lui, doit faire approche du pain de ton Dieu; il sera saint pour toi car je suis saint, Eternel qui vous sanctifie (Lv, 21, 8) ». Ce verset met clairement en évidence le mouvement circulatoire de la sanctification à laquelle les cohanim sont affectés. S’ils doivent en assumer le double degré, c’est parce qu’ils sont voués à approcher le «pain de Dieu», ce que l’on n’oserait appeler sa substance, en tous cas ce qui nourrit, sustente et conforte l’idée qui s’y attache et la Présence à laquelle cette idée conduit. C’est parce que toute sanctification procède directement de la sainteté divine que les cohanim qui en sont actuellement le relais doivent veiller ce que rien en eux, corporellement, psychiquement et spirituellement, ne viennent y faire obstacle et s’y interposer en écran réfractaire ou déformant.

C’est selon cette logique profonde que se comprennent ensuite les deux groupes de prescriptions axiales qui s’imposent à eux. Les premières sont relatives aux règles du deuil. Quant l’un de leurs plus proches parents vient à décéder, et à condition d’être assurés que celui-ci sera inhumé conformément à sa dignité de créature de divine origine, ils prendront soin de ne pas entrer en contact avec le corps du défunt. A la place qui est la sienne, la position ontologique du cohen le place tout entier, sans réserve ni exception, du côté de la vie. Il doit en être l’incarnation perpétuelle, y compris et surtout dans les circonstances où cette vie semble déjugée par l’événement le plus irrémissible qui soit. Rémanence de la mentalité du tabou? Séquelle de conduite phobique? Le choc produit sur Aharon par la mort de ses enfants Nadav et Avihou atteste qu’un événement de cette sorte ne l’a trouvé ni insensible ni indifférent. La maîtrise de soi dont il su faire preuve témoigne au contraire que nul mieux que lui n’était à même d’exercer les fonctions continûment orientées vers autrui qui lui étaient dévolues.

Les autres règles sont relatives aux femmes qu’un cohen ne saurait épouser et plus particulièrement celles dont la fidélité reste improbable ou celles ou qui ont déjà connu la rupture d’un lien conjugal. Il faut garder présent à l’esprit que le Décalogue est considéré comme un authentique contrat de mariage (kétouva) entre le Créateur et le peuple d’Israël, représentant de l’humaine condition. Pour justifier sa dénomination, le propre d’une alliance est de ne souffrir ni exception ni violation d’aucune sorte. Pas plus que la vérité, la fidélité et la constance ne sauraient s’accommoder de mises entre parenthèses. Un cohen se doit d’épouser une jeune femme vierge au sens hébraïque, en tant qu’elle est qualifiée de béthoula. La dimension proprement physiologique d’une telle virginité n’est pas l’essentiel. Celui-ci se trouve indiqué par l’étymologie hébraïque de BeThouLa que l’on peut lire également comme : La Beth El: vers la Maison de Dieu.

Le Dieu d’Israël, celui du Beréchit originel, est bien un Dieu exclusif, comme l’est tout véritable amour. L’amour «non exclusif», s’il pouvait se concevoir, se distinguerait mal de la prostitution (zenout), que celle ci fût triviale ou «sacrée».

Raphaël Draï zatsal ,22 avril 2013