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PARACHA NOAH’

In Uncategorized on octobre 27, 2022 at 5:13
2.Noah

                                                     (Gn, 6, 9 et sq)

L’histoire humaine se poursuit, sur le fil, parce qu’au sein d’une humanité dépravée, ayant dégradé la nature qui lui avait été confiée, un homme, et un homme juste, un tsadik, se sera trouvé présent. In extremis.

La formule de Paul Valéry a été ressassée: « Civilisations nous savons que nous sommes mortelles». Il n’aura pas fallu attendre les horreurs de la première Guerre mondiale pour conforter une telle déduction. Cette auto-mortalité, si l’on pouvait ainsi la qualifier, a été le fait du genre humain lui même, dès ses commencements. De quoi ne nourrir aucune illusion, au sens de Freud, à son propos. Pourquoi en était il arrivé à ce degré thanatologique? Parce que, selon la formulation même du livre de la Genèse, chaque être vivant avait méthodiquement dénaturé sa voie. Les espèces végétales étaient greffées, sans aucun respect de leur origine et de leurs compatibilités mutuelles, pour produire des mixtes végétaux qui n’étaient que des monstres botaniques; les espèces végétales et animales faisaient l’objet des mêmes expériences confusionnelles et l’Humain ne s’en exceptait pas, déniant qu’il fût créé masculin et féminin. La liberté de l’Humain avait dégénéré dans un sentiment de toute-puissance lui donnant à croire qu’il était issu de lui même, maître absolu de ses métamorphoses. En ce sens le Déluge, le Maboul, si bien nommé, qui va s’ensuivre ne doit pas être considéré comme une catastrophe météorologique, au sens strictement climatique, mais comme une catastrophe écologique, au sens le plus contemporain. La «civilisation» détruit la nature qui le lui rend au centuple, au point que le genre humain se trouve menacé d’une totale extinction par inondations convergentes venues du plus profond des cieux et des bas-fonds de la terre. Un homme en réchappa et, avec lui, un échantillon du vivant, humain et animal. Pourquoi a-t-il été sauvé et quelles seront les particularité d’un pareil sauvetage?

On l’a dit, l’homme nommé Noé (Noah) mérita d’être sauvé avec les siens parce qu’au sein de cette civilisation de la confusion, de la démesure, de l’hubris auraient dit les Tragiques grecs qui s’y connaissaient, il incarnait les deux dimensions corrélatives, mais jugées grotesques et dérisoires par l’humanité d’alors: le tsedek, l’esprit de justice au sens légal, et la tsedaka, l’esprit de compassion et de solidarité. Noé avait mérité le qualificatif de tsadik, de Juste, ainsi compris. Cependant aucune vertu, nulle qualité ne mérite vraiment ce nom si elle ne bénéficie pas au plus grand nombre. L’on ne saurait être juste ou vertueux pour soi seul et à nos propres yeux.

Doté de cette aptitude, Noé se voit enjoindre de construire l’habitacle flottant qui permettra le sauvetage d’une partie du vivant et qui en permettra la reviviscence lorsque la catastrophe aura pris fin. Cet habitacle est nommé en hébreu: théva, que l’on traduit généralement par « arche ». Quelle est la signification probable de ce terme? Il se conjecture à partir de sa lettre initiale, le thav, que l’on peut lire thab, et qui correspond à la dernière lettre de l’alphabet. En l’occurrence la symbolique de sa position est on ne peut plus claire. Seulement cette ultime lettre présente une particularité graphique. Le thav est formé un peu comme le Pi majuscule en grec, sous la forme d’un portique ouvert à sa base, sauf que le pied de la barre de gauche du thav se prolonge légèrement dans cette direction, celle dans laquelle se lit l’alphabet hébraïque, comme pour indiquer que son tracé n’est pas arrêté, qu’il se poursuit, et que l’histoire dont ce trait est la trace se poursuit avec lui.

Par suite, les dimensions qui seront celle de l’arche salvatrice revêtent sans doute des sens «cachés» au premier regard ( Gn, ). Le plus important les concernant est qu’elles fussent bien des dimensions, des mesures, pour une humanité qui avait perdu jusqu’à la perception. C’est parce que cet habitacle était doté de dimensions mesurables et compatibles entre elles qu’il pouvait flotter et survivre au Déluge dont il semble que toutes les cultures humaines identifiables, sur les cinq continents, aient conservé des vestiges. Une arche dans laquelle humains et animaux seront sauvés solidairement, selon la corrélation des deux bénédictions dont ils ont été dotés dès les commencements de la Création, comme on l’a vu dans la paracha  précédente.

Le sens de la mesure accompagnera Noé et les siens qui auront mérité le nom de « familles » (michpéh’ot) au sortir de l’arche  diluvienne. Sur une terre dévastée, Noé renouvellera son Alliance avec le Créateur et la formulera ce qu’il est convenu d’appeler les sept lois noachides, parmi lesquelles l’obligation de ne pas se faire justice à soi même. Elie Benamozegh aura attaché son nom à leur explication. Dans ces sept lois génériques, l’on sera libre de voir la genèse de l’Etat de droit contemporain sans le respect duquel aucune société digne d’être qualifiée d’humaine ne saurait survivre longtemps. Car il ne faut plus jamais perdre de vue que, selon le récit contenu dans cette paracha, toute l’humanité actuelle est issue de ce sauvetage in extremis. En foi de quoi chaque être humain d’aujourd’hui doit se considérer comme un rescapé et y ajuster ses conduites.

Pourtant Noé lui même succombera à la démesure. A son tour il s’enivrera et se dénudera au regard des siens. Nouvel échec flagrant? A n’en pas douter. Sauf qu’une fois de plus le fil du vivant ne se casse pas définitivement.

Deux des fils de Noé, Chem et Yaphet, sauront le reprendre et le renouer jusqu’à ce que, des générations plus tard,  dans la cité d’Our Casdim, un homme nommé Abram, le saisisse à son tour.

Raphaël Draï zal, 1er Octobre 2013

LE SENS DES MITSVOT: PARACHA BERECHIT

In Uncategorized on octobre 20, 2022 at 9:33
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« L’Eternel dit: « Que soit (yehi) la lumière (or) ».Et la lumière fut. L’Eternel vit que la lumière était bonne (tov) » ….

L’Eternel dit: « Qu’il y ait des luminaires (meorot) dans le firmament du ciel pour faire distinction (lehabdil) entre le jour et la nuit et ils serviront de signes (othot) pour les périodes, les mois et les années » (Gn, 1, 3 et 1, 14).

Les premiers chapitres du livre de la Genèse, du Sépher Beréchit, sont à n’en pas douter les plus difficiles à traduire et à interpréter de toute la Thora. Et pourtant, à n’en pas douter non plus, leur intelligibilité commande celle de la suite du récit biblique. Bien des mots et des concepts, nombre d’idées y apparaissent par la force des choses textuellement pour la première fois, à titre générique. Ils n’ont pas de précédents qui permettraient d’en comprendre sur le champ le sens. Il faut donc s’avancer à la fois avec circonspection mais avec détermination. Ainsi en va t-il des deux versets précités.

La Création peut elle se concevoir sans lumière? Le récit biblique nous indique comment la lumière a été en somme le premier acte dans l’ordre de la Création. Premier non pas au sens chronologique (le Temps lui même n’a pas été encore créé) mais au sens méthodologique. Par ce premier acte générique l’Eternel met pour ainsi dire la Création en lumière, en la faisant décidément sortir d’un état d’obscurité, d’opacité, d’inintelligibilité archaïques. Car il faut s’entendre sur ce que signifie le mot hébreu OR. Il ne désigne pas uniquement la lumière optique, celle que perçoit l’œil humain, pour la bonne raison que l’Humain lui non plus n’a pas encore été créé. Ce que le mot OR signifie c’est que désormais La Création devient révélation. Bien sûr les intentions profondes du Créateur ne sont pas élucidables à leur source mais le sens de ses opérations créatrices (péôulot) le devient. La Création de la lumière s’apparente de la sorte à un lever de rideau qui permettra de découvrir la scène avant que la pièce ne commence. Il ne s’agit que d’une image mais précisément les tous débuts du livre de la Genèse autorisent cette pédagogie, à condition qu’elle ne se prenne pas pour une fin en soi.

Reprenons la question: à ce stade de la Création de quelle lumière est-il fait mention? Essentiellement d’une lumière de l’esprit. La mise en lumière des commencements de l’Univers permettra d’en suivre les étapes à venir. Les kabbalistes différencient en effet ce qu’ils nomment la lumière matérielle, le OR Gachmi, et la lumière intellectuelle, le OR Sikhli. Même si la première est quasiment insubstantielle, elle n’en comporte pas moins une dimension matérielle et une vitesse de propagation. La lumière intellectuelle est esprit et seulement esprit. Elle advient aussitôt que désirée. C’est ce qui rend particulièrement difficile la traduction de la formule « Yehi or – vayehi or ». Aucun espace, aucun instant, même infinitésimal ne sépare l’expression du désir émanant de l’Eternel et son aboutissement. Grammaticalement parlant, nous sommes en présence d’un temps bien particulier de la conjugaison non pas même « le présent » mais si l’on peut dire « l’immédiat ». Que faut-il justement en comprendre?

Le premier élément créé correspond intimement avec la dilection du Créateur. En lui et par lui ne se manifeste aucun autre élément réfractaire, retardant. La Parole divine est réalisée aussitôt qu’énoncée et par là même la Création fait Un avec le Créateur sans jamais se confondre avec Lui puisqu’elle est dotée d’un nom propre. Les autres dimensions et fonctions de la lumière apparaîtront essentiellement au quatrième jour – le mot « jour (yom) » étant à entendre comme « phase ». Ce sera d’abord la lumière optique, physique, réfractée (méorot) qui permet de discerner les objets en plein jour et d’en percevoir au moins la présence la nuit. Au demeurant cette lumière là n’est pas qu’optique. Elle est également intellectuelle (sikhli) puisqu’elle permet l’acte du discernement et de la conceptualisation (havdalaothot)). Elle permet de se dégager de la confusion originelle que le récit biblique nomme tohou vavohou qui n’est pas à proprement parler un état chaotique mais un état où « tout est dans tout » sans que rien ne parvienne à y prendre forme et signification (tsoura). C’est par le moyen de cette lumière là que la morphogenèse de la Création pourra se poursuivre jusqu’à celle de l’Humain (Haadam), le sixième jour.

                               Raphaël Draï zal, 15 octobre 2014

PARACHA VE ZOTH HABERAKHA

In Uncategorized on octobre 16, 2022 at 3:06
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( Dt, 33 et sq )

Formellement, cette paracha est la dernière de la Thora. Substantiellement, elle forme charnière entre celle qui la précède et celle qui la suit: la parachat Beréchit, laquelle constitue la première, toujours au sens formel, du Pentateuque. Cette charnière se reconnaît à la conjonction « et »  rendue par la lettre vav qui préfixe l’expression Habérakha: la bénédiction. L’entame de la Thora doit donc se lire « Et voici la bénédiction ». Si, sur le plan de l’énonciation, cette bénédiction commence dans et par la parole actuelle de Moïse, son origine et sa cause se trouvent dans les événements et les enseignements qui la précèdent, non seulement depuis Moïse mais depuis le Beréchit initial. L’entame de la paracha doit alors se comprendre ainsi « De ce fait, voici la bénédiction … et voici vers où elle mène …».

Pourquoi ne s’agit-il pas de simple stylistique? Parce qu’une bénédiction ne se réduit pas à son énoncé immédiat. Elle s’adosse à une expérience déjà constituée en patrimoine intellectuel et spirituel, en expériences multiples, en épreuves cumulées. Pour les plus difficiles, elle en évite la récidive. Surtout elle ouvre sur un futur justifiant les termes de la prière relative à la bonté du Créateur « qui renouvelle chaque jour l’œuvre de la Création ». Avant de quitter le peuple d’Israël, Moïse parachèvera son viatique par une bénédiction de cette sorte. Bien sûr elle n’est pas la première du genre. Celle dispensée par Jacob à ses fils la précède (Gn, 49, 2 et sq). Ce qui n’empêche pas  l’originalité de la bénédiction nouvelle.

Pour bien discerner le signification et l’impact de la bénédiction spécifique délivrée par Moise, il faut en rapporter chaque à élément à celle dispensée par Jacob. Cependant, si dans les deux cas, il s’agit en effet d’une bérakha au sens biblique, autrement dit de la reconnaissance par l’Humain de la Présence divine à travers ses manifestations concrètes en ce monde-ci, la bénédiction délivrée par Moïse est bien deutéronomique, au sens global du « Sépher Dévarim » qu’elle conclut. Elle « secondarise » la bénédiction prononcée par Jacob à destination de sa descendance. Avec deux différences.

La première  est, si l’on peut dire, d’échelle. Jacob a béni une famille. C’est vers un peuple qu’est dirigée la bénédiction de Moïse. Ensuite, Jacob a béni ses enfants dans la situation qui était la leur à ce moment. Depuis, cette situation, en toutes ses dimensions, a évolué. Pour le comprendre il n’est que de se reporter à la bénédiction concernant Chimôn et Lévi. En reprenant les mots de Jacob  à ce sujet, il faut vraiment se convaincre qu’ils participent d’une bénédiction: « Chimôn et Lévi.. digne couple de frères: leurs armes sont des instruments de violence. Ne t’associe pas leurs desseins, ô mon âme.. » (Bible du Rabbinat ). Considérons le chemin parcouru que souligne la bénédiction de Moïse: « … uniquement fidèle à ta Parole ils enseignent tes lois, gardiens de ton Alliance, ils enseignent tes lois à Jacob et ta doctrine à Israël.. ». La comparaison de ces deux formulations atteste qu’il est une progression possible dans l’ordre du sacerdoce spirituel, qu’aucun élargissement des aires de la conscience n’est interdit à quiconque y œuvre. En ce sens, la bénédiction délivrée par Moïse n’est pas à proprement parler un testament mais un nouveau programme à l’intention d’un peuple qui doit désormais inscrire cet idéal sinaïtique dans la réalité, démontrer que ce n’est pas une utopie, au sens dégradé du terme.

Mais Moïse doit déférer à la Parole divine qui lui a enjoint de mourir, sans que nous sachions très bien la portée de ce terme pour un être ayant accédé à un si haut degré de spiritualité. Le Créateur lui-même confirme qu’ils se parlaient « face à face ». Lorsqu’un être humain pleinement et simplement humain accède à de degré, qu’est ce qui véritablement meurt en lui qui ne lui survivrait d’aucune manière? Ce qui survit à Moïse n’est rien d’autre que son exemple puisque nul ne sait où son corps est inhumé. Cet exemple se résume en un mot: l’homme était humble (ânav), et le texte hébraïque avait ajouté cette précision «très humble». Comme si l’humilité pouvait souffrir des degrés! Pourtant il faut bien en accepter l’idée tant il est des humilités contraintes ou pire, feintes. Elles ne sont que des narcissismes inversés. L’humilité n’est pas l’effacement de soi, au contraire. Elle désigne la capacité pour l’être capable d’un face à face avec l’Eternel de se mettre également en retrait lorsque les circonstances l’exigent, sans en ressentir la moindre diminution à compenser aussitôt. La lumière à laquelle s’allume une autre lumière ne diminue pas. Elle continue d’illuminer et d’étendre la zone de visibilité d’un univers physique et  spirituel.

S’agissant de la sépulture de Moïse, nous ne  disposerons désormais que de ces seules indications: elle se trouve quelque part dans la vallée de Moab, face à Beth Péôr. Ces indications ne sont pas seulement géographiques. Elles signifient que l’exemple de Moïse interdit la répétition des événements tragiques auxquels sont associées les deux  indications topographiques précédentes, à quoi correspondent les deux voies toujours frayées de la régression humaine à quoi elles se contentent de faire allusion. Et ce n’est pas pour rien que les deux mots qui concluent la Thora sont « Col-Israël »: tout Israël, l’«ensemble-Israël», sans que personne n’y soit oublié,  qu’il fût vivant ou simplement souvenir  dans la continuité de la Vie. Et c’est dans un même souffle, en liant la paracha «Vézoth Habérakha» à celle qui recommence la Thora qu’il faut lire «  Col- Israël – Beréchit »: tout Israël est pour la Création.

                                            Raphaël Draï zal, 17 Septembre 2013

LUMIERE DE SOUCCOT

In Uncategorized on octobre 9, 2022 at 3:38
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Le pas alenti, pesant de son âge, j’arpente

A Paris en octobre le pont Mirabeau

Et ainsi, à contre histoire, je remonte la pente

Où se dévisagent yaouleds et poulbots

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Sous le pont Mirabeau coule la Seine

Mais ne sais en quelle direction

Le regard appelé toujours vers l’autre scène

Où se mêlent Cirta, Lutèce et Sion

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Pourtant en cette incertitude là

Je discerne mon étoile polaire

Et si le pas est lent et l’esprit presque las

J’allume ton poème, cher Apollinaire

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Sous le pont Mirabeau coule la Seine

Et nos amours et nos tourments

Avec tes mots autant qu’il m’en souvienne

Puis mes chers visages de la rue Caraman

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Et où la dure cassure saignait

Me laissant vacant de moi même

Vient prendre vie mon poème à signer

Et la leçon de ce Dieu qui nous aime

Raphaël Draï zal Paris le 5 octobre 09

Paracha Haazinou

In Uncategorized on octobre 6, 2022 at 5:27
Darmon Haazinou

( Dt, 32, 1 et sq )

Avant de quitter le peuple d’Israël et ce monde, Moïse entend parfaire le viatique dont il les dote. Jusqu’à présent, il avait procédé à l’anamnèse historique d’Israël, mettant en évidence ses vulnérabilités mais aussi ses points forts. Rien ne doit être dissimulé au risque d’en subir la récidive. Mais ces paroles d’éveil et d’admonestation ne se sont pas destinées aux Anges du Service. Le peuple d’Israël est un peuple d’humains, situé sur une terre, et sous un ciel. Le ciel et la terre seront donc pris à témoins par Moïse car une même loi de vie les régit solidairement avec le peuple qui vivra selon leurs coordonnées, diurnes ou nocturnes. Ne le savions nous déjà? Le Deutéronome est le livre de la didactique prophétique. Faut-il qu’elle soit elle même redite? En réalité ce qui frappe dans cette paracha, au moins en ses débuts, est la langue dans laquelle Moïse, le prophète incomparable par son humilité,  s’exprime. Elle défie la traduction tant elle est chargée symboliquement et sémantiquement. Pour l’expliciter, la paraphrase, au sens du Targoum, d’abord, puis l’étude à deux ou à plusieurs sont requises. Moïse aurait-il voulu rendre ses propos impénétrables? A t-il pêché par ésotérisme, par « sibylisme »? Il ne semble pas.

Son seul but est de concilier la personnalité singulière de chaque Bnei Israël avec son appartenance d’ensemble au peuple du Sinaï. Lorsqu’une parole doit être interprétée à plusieurs, elle devient le moyen de raccorder le Je, le Tu et le Nous, comme ont parfois tant de difficulté à le faire les pensées contemporaines. Ce n’est pas seulement un exercice intellectuel: au milieu de cette paracha se trouve la plus forte déclaration relative à l’unité et à l’unicité divines, après le « Chema Israël ». Il n’est pas de divinité adjacente ou supplétive au Dieu du Sinaï, le Dieu qui fait vivre, mourir (Moïse va le vérifier) mais qui fait revivre aussi. C’est bien au milieu même de ce milieu, dans son tokh, que s’énonce l’affirmation de la résurrection. Au cours des siècles, une théologie aussi polémique qu’aveugle niera que le peuple d’Israël ait cru à la résurrection des morts. Il faut ne pas avoir lu cette paracha pour commettre un si grave contre-sens. Celui ci peut cependant se reconstituer d’une autre manière.

Si l’humain est appelé, quoi qu’il en soit, à ressusciter, quelle peut être la signification de la mort conçue comme une épreuve? La mort n’est nullement déniée. Elle présente cet étrange point commun avec l’amour: elle peut faire l’objet d’une injonction. Le Créateur l’intimera à Moïse: « Monte sur le mont Nébo et là, meurs! ». Le verbe est à la forme active, comme s’il s’agissait d’une opération à conduire consciemment d’un bout à l’autre. A quoi correspondrait cette action si particulière sinon à un dessaisissement volontaire de toutes les possessions, de toutes les attaches d’une vie qui mérite ce nom tant elle aura été à chaque instant vécue! On ne quitte pas vraiment ceux auxquels et ce à quoi l’on ne s’est jamais attaché. Sans attachement, point d’arrachement. Moïse a aimé sa condition humaine. De son propre mouvement il n’en voudrait point d’autre. Il voudrait plutôt traverser le Jourdain avec ce peuple qu’il a tant aimé… Mais là s’arrête son cheminement en cette vie. Pourtant si celle-ci ne devait pas se poursuivre ailleurs et autrement, pourquoi le Créateur l’incite t-il à contempler panoramiquement, panorama dans l’espace  et dans le temps, cette terre qui lui a été interdite?

La mort n’est pas déniée mais elle ne doit pas devenir occasion de panique, le signe de l’ultime horreur. Si la vie que l’on a vécue est digne de ce nom, on y puisera le courage, sinon la sérénité indispensables pour la quitter. Le Créateur a laissé à Moïse tout le temps de réviser la Thora avec le peuple qui l’a acceptée au Sinaï. Il l’a laissé la répéter jusqu’au moindre détail, en expliciter les plus fines variantes. Mais Moïse ne doit pas procrastiner. ll faut qu’il quitte et ce peuple et ce monde qui le feront vivre d’une autre manière, dans leur mémoire, par l’élévation de leur esprit au degré où le sien accéda. En somme, l’enseignement divin se poursuit jusqu’en ces ultimes instants ;

Arrivés au terme de cette paracha un sentiment qui serait presque de la tristesse nous saisit : pourquoi le Créateur tient-il à rappeler au prophète agonisant la cause de l’interdit qui l’empêche de franchir le Jourdain? Etait-ce le bon moment? Le Créateur ne passe t-il pas ici pour une divinité rancunière et vindicative? Plusieurs lectures sont possibles. La précédente est fragile tant le Créateur dispensera des paroles de bonté, de mansuétude et même de reconnaissance vis à vis de Moïse. Une autre s’ouvre: le rappel opéré à ce moment exprime moins la vindicte du Créateur que ses regrets. Ah, si Moïse avait parlé au rocher au lieu de le frapper! La Parole divine y revient parce que si le remords est ressassement d’un passé mort, les regrets marquent la volonté de réparer sur le champ et pour l’avenir ce qui peut l’être.

Cette fois Moïse obéit, quoi que son cœur endure. Obéir au Dieu de vie, c’est cela le sanctifier. Par deux fois Moïse se sera soustrait au regard optique du peuple: la première lorsqu’il accomplit l’ascension du Sinaï, l’autre lorsqu’il accomplit celle du mont Nébo. Dans les deux cas, il reste l’exemple vivant d’une obéissance sanctifiante, celle par laquelle le serviteur, aussi haut qu’il soit monté, reconnaît la souveraineté divine, celle d’où seule procède la résurrection à venir.

Raphäel Draï zal 8 septembre 2013