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OBAMA, LE POUVOIR ET LA RESPONSABILITE, Actu J 23 Mars 15

In Uncategorized on mars 25, 2015 at 10:38

Quoi qu’il en laisse montrer, la victoire de Benjamin Netanyahou constitue une nouvelle et cuisante défaite pour Barack Obama. Comme la vie eût été plus simple pour lui avec un pouvoir bicéphale sous les traits de Isaac Hezog et de Tsipi Livini qui n’auraient pas attendu six mois pour se disputer le pouvoir, l’administration américaine sachant alors en jouer pour faire prévaloir les vues que l’on sait au Proche orient et dans le conflit israélo-palestinien. Il est vrai que le défi lancé à l’actuel président américain par le Premier ministre israélien devant le Congrès des Etats-Unis était pratiquement sans précédent. Benjamin Netanyahou n’a en effet rien fait d’autre que de donner sur place une leçon de stratégie mondiale, diplomatique et nucléaire, à l’homme qui passe pourtant pour le plus puissant de la planète. Mais cette image là n’est qu’une image. Le temps n’est plus où, comme en 1956 lors de l’expédition de Suez, il suffisait au Président Eisenhower ce froncer le sourcil pour que les armées anglaise, française et israélienne stoppent net leur offensive contre le régime de Nasser. Aujourd’hui Barack Obama n’impressionne plus personne et ce n’est pas en s’en prenant à Benjamin Netanyahou qu’il donnera le change sur ce plan. Sous ses deux mandats, le premier commencé en fanfare à l’Université du Caire, le pouvoir des Etats-Unis aura été érodé comme jamais. Il ne suffit pas d’évoquer la calamiteuse gestion des « printemps arabes » où il faut reconnaître que l’ancien secrétaire d’Etat, Hillary Clinton, n’y fut pas pour rien non plus. En réalité le spectacle de la déflation du pouvoir des Etats-Unis en matière de politique extérieure a commencé vraiment avec la guerre civile syrienne, initialement et aveuglément imputée elle aussi au fallacieux cycle printanier que l’on vient d’évoquer. Barack Obama avait tout simplement oublié l’importance capitale des intérêts russes dans ce pays. Dès lors la Russie soutint urbi et orbi le régime de Assad y compris au Conseil de Sécurité où les discours moralisateurs des uns et des autres se heurtaient à un mur d’acier. Dès cet instant, les adversaires et les ennemis des Etats Unis comprirent que Barack Obama était surtout « un tigre de papier », pour prendre une image chère à la phraséologie maoïste. Cette image se conforta dans le monde arabe, bien sûr, sans quoi le général El Sissi n’aurait pas pris le relais de Moubarak, après la brève présidence de l’islamiste Morsi. Elle se confirma surtout avec Vladimir Poutine lorsque celui-ci commença par annexer purement et simplement la Crimée en représailles contre les tentatives, là encore malvoyantes, de découplage, économique, stratégique et démographique, de la Russie et de l’Ukraine. C’est également ce « trou noir » que les miliciens de « Daech » ont appris à exploiter, rendant coup pour coup aux forces de la Coalition comme on vient hélas de le voir avec le dernier attentat de Tunis, à quelques encablures des côtes françaises. C’est pourquoi le tour que prennent les négociations entre l’administration d’Obama et le pouvoir iranien ne laissent pas de susciter de profondes inquiétudes qui transparaissent même au Quai d’Orsay. Il est donc temps que les Etats-Unis reconsidèrent complètement les données fondamentales de leur politique extérieure et ils savent que leur alliance avec l’Etat d’Israël ne sera jamais un vain mot. Les élections à la XXème Knesset ont démontré si besoin en était la vitalité de la démocratie israélienne et la maturité du peuple qui ne cesse de la construire. Les prochaines élections présidentielles américaines auront lieu en 2016 à présent. Une année et demi, ce n’est pas rien. Il serait infiniment dommageable qu’elle se déroule dans l’animosité et la perpétuelle neutralisation réciproque entre les responsables suprêmes de ces deux nations. Les dangers qui menacent la planète sont trop graves pour les réduire à des questions de caractérologie personnelle. Comme tant et tant de pays, Israël a besoin de sécurité intérieure autant qu’extérieure. Aucun Etat ne peut se substituer à lui pour en juger. Toutefois, une élection aussi cruciale soit elle n’est pas une fin en soi. Elle sert à désigner l’équipe d’hommes et de femmes qui prendront en charge les soucis présents de tout un peuple mais aussi son avenir. On espère que les choix qui présideront à la formation du prochain gouvernement israélien obéissent ainsi aux deux inéluctables principes d’abnégation et de désintéressement. Un gouvernement doit s’inscrire dans la durée et ne pas être considéré comme un objet jetable. Sans doute n’est-il pas de vie politique sans pouvoir mais le pouvoir vaut pour accomplir ce qui vaut mieux que lui.

                                             Raphaël Draï

QU’APPELLE T-ON « FIN DE VIE »?

In Uncategorized on mars 13, 2015 at 12:35

QU’APPELLE T-ON « FIN DE VIE »? * 

Approches juridiques et psychanalytiques

  

Pourquoi être né, si ce n’est pour toujours !

Ionesco

Echelles de la vie, sens de la mort

Qu’il le veuille ou non l’homme, en son échelle individuelle, est mortel. Il sait, ou devrait savoir, qu’un jour il cessera de vivre au sens où la vie se conçoit pendant qu’il est vivant. Pourtant quelles que soient l’ampleur et la profondeur de ses spéculations sur la mort, de celle ci il n’en saura rien par avance [1]. Sa vie – la vie, doit se contenter d’être comprise, intellectuellement, selon l’inexorable tautologie: être vivant c’est être en vie mais la vie ne qualifie rien d’autre que le fait d’être vivant. Qu’est- ce être vivant alors que le langage commun parle de « mortels » [2]? Être vivant serait moins un état qu’un processus.Être vivant, c’est, avant tout, le rester, aussi longtemps que possible.En l’occurrence il ne s’agit pas d’un allongement purement chronologique mais d’une extension de la vie qui gagne sur la mort comme avant l’été la durée du jour gagne sur celle de la nuit. Cette extension ne se réduit pas non plus à son expression biologique. Vivre ne se limite pas à un état de fait mais comporte encore une obligation morale. Si l’être (Sein) est étayé par un devoir être (Sollen), vivre est commandé par un devoir -vivre, corps et âme. L’allongement de la durée de la vie ne consiste pas à tirer indéfiniment sur le fil du temps. Elle se rapporte à l’obligation de faire durer l’être –vivant de sorte que l’histoire humaine ne se représente plus telle une succession de points de suspension, lumineux, certes, mais sur fond de néant. A ce titre, la maladie n’est rien d’autre que l’épreuve qui sondera la profondeur, parfois insoupçonnée de nos ressources vitales. Et la vieillesse n’est pas la sénescence. Elle constitue un véritable âge, celui du temps venu des décantations de l’existence factuelle de sorte que le sens en apparaisse qui puisse se transmette aux générations à venir. Car il ne suffit pas de se rassurer, en tant que de besoin, et d’affirmer que si l’homme est mortel, à l’échelle individuelle, l’humanité elle, ne l’est pas à la sienne – pour ne pas dire qu’elle soit, à proprement parler, immortelle. Sa non -mortalité immédiate est assujettie à cette continuité des générations. Et, là encore, qu’on le veuille ou non, se préoccuper de la non- mortalité de l’humanité reste vain si l’on ne se préoccupe pas d’abord d’assurer ce relais. C’est sous cet aspect que l’on souhaite aborder la question relative à la compréhension, si ce n’est à la définition, de ce qu’est une « fin de vie », non pas par extinction lente – de la fin de vie « naturelle », ni même consécutive à un accident irrémissible mais de la fin de vie provoquée, administrée intentionnellement par un geste qui, de manière délibérée, met un terme à l’extension, au moins chronologique, d’une existence.

Un tel geste, qualifié d’euthanasique – qui présume que la mort soit « belle », ou « bellement » donnée -, ce geste là, sans reprise possible ni retour entraîne une coupure définitive dont il faut clairement discerner la nature équivoque: est- ce réellement la fin suppliciante d’une vie exténuée, ne méritant plus son nom, qui le commande et l’érige en acte d’amour, ou bien d’autres motivations, sans doute moins ouvertement avouables? Pour le dire autrement: l’auteur d’un tel geste qui participerait plutôt d’une culture de mort et qui mettrait en œuvre une médecine palliative, violentant le serment d’Hippocrate et de Maimonide, n’éprouve t –il pas en réalité le besoin de se justifier, pour ne pas dire de se « couvrir » et, quoi qu’il en ait, de se déculpabiliser par anticipation en déqualifiant une vie pourtant persistante afin d’y mettre un terme qui abrège ou qui brise sa trajectoire? La délibération qui précède un geste de cette sorte n’équivaut –elle pas à une sentence mortelle? Ainsi la peine de mort, prohibée par le droit français, serait insidieusement restaurée mais à titre privé, après quelques formalités de procédure qui relèvent du plus pur « semblant », essentiellement destinées à la déculpabilisation préventive du « médecin – exécuteur ». Dans ce cas il faut tout aussi profondément s’interroger sur les déterminants d’une sentence si lourde de conséquences et notamment sur celui – ci: la médecine palliative peut- elle se dissocier de la politique palliative, celle qui caractérise l’Etat « pénurique » ou l’Etat – purgatoire, comme on a pu le qualifier [3]? Pourquoi mettre fin intentionnellement à une vie? Pour la soulager des souffrances innommables qui la défigurent ou bien pour en « soulager » des finances publiques en forme de trou noir? Il n’est pas question de dénier les nécessités d’une bonne gestion des finances publiques mais il n’échappera à personne, pour les raisons exposées dés les premières lignes de cette étude, que les deux dilemmes ne se situent pas, loin s’en faut, sur le même plan.Comme l’a relevé Tocqueville qui n’était pas un adepte du déni de la politique ni un contempteur de l’équilibre budgétaire, l’argent vaut, à n’en pas douter, mais pour faire ce qui vaut mieux que lui.

L’hypothèse de Freud et ses résonances juridiques

Pourquoi Freud à présent? L’on a pu dire de la pensée philosophique qu’elle était une permanente méditation sur la mort et même une préparation à son inéluctabilité. La mort, Freud l’aura rencontrée toute sa vie.Dans sa pratique médicale d’abord, puis dans son activité proprement psychanalytique avec le deuil et la mélancolie, le sadisme et le masochisme, l’agressivité dirigée contres les autres et le suicide. A ses yeux, ce qu’il finit par nommer « pulsion de mort » n’était pas réductible au degré des névroses ou des psychoses individuelles. Cette pulsion, qui opère essentiellement par fracture ou « déliaison », est identifiable également dans le fonctionnement de ce qu’il est convenu d’appeler la société, ou la culture, l’une et l’autre imposant aux psychismes individuels des sacrifices dont l’absence de contre- parties effectives contredit l’idéal du « contrat social ». Cette même pulsion il l’aura vu se déchaîner à des échelles sans précédent lors du premier conflit mondial, comme si toute l’humanité avait voulu transgresser son postulat de non- mortalité collective. Il l’aura vu progresser durant la montée du nazisme. Plus intimement, il en aura ressenti, de longues années, l’action destructrice dans son organisme même, dans sa propre bouche mangée par un cancer, cette bouche d’où ne cessait de sortir la parole analytique qui allait si profondément transformer la conception de l’homme prévalente jusqu’alors et sa conception de la mort. Comme personne, Freud aura vécu le sens de l’in extremis, jusqu’à cet instant jugé « ultissime » où il sollicitera de son propre médecin, Max Schur, l’administration définitive d’une injection létale, cet instant à partir duquel, selon son propre aveu, lutter n’avait plus de sens [4]. Encore était – il capable, in extremis, d’en juger personnellement …

Cet instant était donc celui qui conjoignait une double prise de conscience: celle selon laquelle le médecin avait tout fait – vraiment tout – afin de retarder l’issue fatale, et celle selon laquelle toute prolongation de cette vie souffrante, sans plus aucune thérapeutique disponible, eût été suppliciante, sans qu’il en résulte rien, l’acharnement thérapeutique du soignant ne trahissant désormais rien d’autre qu’une inadmissible volonté de puissance. N’est -ce pas pour faire droit à de telles préoccupations que la loi de 2002 dispose que les actes de prévention, d’investigation ou de soins, ne doivent pas être poursuivis par « une obstination déraisonnable »? Ce qui signifie a contrario qu’il y ait bien une obstination « raisonnable », dont nous verrons ce qui pourrait en donner la garantie, au moins minimale? Mais qu’est ce qu’être raisonnable sinon s’avérer capable de relier raison discursive et sagesse expérimentée? Il n’est de raison, digne de ce nom, que fondée sur une connaissance des principes qui commandent l’intelligence d’une situation. Aussi, pour ne pas sombrer dans les ornières de l’individualisme éthique – qui n’est souvent que le masque du bon plaisir et celui de la volonté de puissance exercée sur autrui à ses corps et esprit défendants – est-il indispensable de se demander: lorsque tel médecin personnalisé, « situé » comme l’on disait naguère – et non pas le mythique « médecin en soi »-, décide de prolonger ou de ne pas prolonger une vie, mesure –il la portée de son geste non seulement sur la vie « privée » qui lui a été confiée mais encore sur le fait humain, sur l’être vivant, à l’échelle d’emblée indiquée? C’est en ce point que l’oeuvre de Freud est particulièrement éclairante, non seulement pour les motifs biographiques personnels déjà évoqués mais aussi pour ses hypothèses et conjectures méta- psychologiques, celles qui envisagent l’être comme lieu d’affrontement radical entre deux pulsions: l’une par laquelle la vie tend à se prolonger, et l’autre par laquelle elle tend à s’accourcir, parfois brutalement. Freud s’en explique dans son essai crucial: « Au delà du principe de plaisir »[5].

Il y propose une hypothèse relative la formation du vivant, à sa persistance, et à ce qui lui est contraire. Au début explique t –il, dans une formulation saisissante « la vie avait la mort facile ». Comme si elle ne disposait pas en elle même de quoi soutenir l’intentionnalité génésiaque et métamorphique, plus ou moins consciente, qui l’animait. Ses commencements étaient donc suivis de retombées rapides mais point complètes cependant, sans quoi le processus lui même ne se fût point poursuivi. Puis, peu à peu, sous l’effet d’une force exogène, la ligne de la vie se mit à faire des détours d’une amplitude de plus en plus grande et d’une durée se prolongeant chaque fois d’avantage. Jusqu’au moment où elle perdura suffisamment pour que ses retombées n’impriment plus leur sens à leur vection contraire, devenue prédominante – pour ne pas évoquer ici l’élan vital bergsonien. Cette conjecture hardie n’en soulève pas moins deux interrogations.

Comment expliquer ces retombées originelles? Freud les rapportera au « principe de plaisir », compris comme recherche du « non- déplaisir », ce déplaisir là étant imputable, pour l’exprimer cette fois en termes cette fois directement bergsoniens, à un désir, primordial et maintenant contrarié, d’immobilité, de discontinuité et finalement … de mort. Désir de mort… La vie vient perturber cet état inerte. Une première élévation doit surmonter cette « nostalgie du vide » et cette pesanteur premières qui se mettent toutefois à résister. D’où l’inévitable risque de retombée dans l’état initial. Jusqu’à la reprise endurante du processus. La situation est comparable à celle d’un dormeur qui éprouverait grand-peine à s’éveiller jusqu’au moment du réveil complet qui n’empêchera pas les moments ultérieurs de somnolence, lesquels n’entraîneront cependant plus une rechute dans le sommeil nocturne. Il arrivera même que l’insomnie empêche un endormissement normal et bienvenu. Afin qu’une telle propension s’inverse il importe alors que la vie devienne à son tour un plaisir, au sens métapsychologique, autrement dit qu’elle corresponde à un état dont la prolongation chronologique et la prorogation qualitative soient désormais désirées. Désir de vie…

Autre interrogation: pour expliquer la réversion de la tendance mortifère initiale en tendance « mortifuge », Freud évoque sans plus de précision une force contraire à la recherche du non — déplaisir morbide. Cette force énigmatique, quelle en est l’origine? Il faut bien qu’elle soit une source intrinsèque et énergétique du vivant ou, en tous cas, une résurgence de celle –ci. Nous n’en saurons pas davantage. Finalement chacun reste libre de l’identifier à sa convenance et d’y reconnaître, s’il lui chaut, l’action divine, pourvu que l’effet obtenu soit analogue à celui que Freud a cru discerner.

Rapportant cette conjecture au débat concernant la fin de vie, l’on en déduira que le geste mettant fin à celle –ci s’inscrit à l’encontre du mouvement mis en évidence par Freud. Ce geste produit une retombée prématurée du vivant et fournit, à l’inverse, une satisfaction précoce de la pulsion de mort. A l’évidence, ainsi qu’on l’a dit, ce même geste peut être couvert par maintes rationalisations et parfois se prévaloir de nombreuses justifications, légales et morales, ou moralisantes. Il n’empêche que tel est son effet immédiat. Cette préoccupation se retrouve dans la loi précitée évoquant l’attitude de l’équipe médicale concernée lorsqu’elle doit faire face à une demande primaire du patient pour « en finir » avant le terme que l’on qualifiera de physiologique, si ce n’est de biologique. A coup sûr cette équipe, placée sous la responsabilité indivisible du médecin qui la dirige, doit s’interdire tout acharnement thérapeutique. Néanmoins, et selon les termes de la loi: « elle doit convaincre la personne d’accepter les soins indispensables pour soulager sa souffrance et laisser sa chance, eût elle été minime, à la guérison. Dans ce dispositif, le facteur « temps » est déterminant puisqu’il faut laisser au malade celui indispensable à sa réflexion, en vue de maîtriser son impulsion première liée parfois à d’insupportables douleurs. Dans ce but la loi dispose, dans des termes qui se rapprochent beaucoup de la formulation freudienne: « il faut lui faire réitérer sa demande », et cela après un délai également « raisonnable ». Lorsque ces garanties auront été prises, le geste ultime peut être envisagé qui ne doit pas avoir pour but réel de « soulager » le service ou la société de charges administratives et financières, jugées sur ce plan insupportables, mais bien de sauvegarder la dignité, la qualité de vie et l’on serait tenté de dire la qualité de mort du patient, problème auquel nous allons nous attacher. Et s’il arrivait que le patient ne soit plus lucide, son entourage doit être consulté, un entourage dont l’on présumera que, lui aussi, n’éprouve pas la souffrance de ce parent comme une surcharge avant tout matérielle dont il devient expédient de s’alléger au plus tôt, quitte à rationaliser ce désir de mort – et le sentiment de culpabilité tenace qu’il engendre, ipso facto – en l’imputant à celui de « ne pas voir souffrir » la personne aimée, ou d’en préserver les traits jusque là aimés.

Quoi qu’il en soit, le médecin et son équipe soignante doivent nécessairement s’interroger sur le sens de leur geste, non seulement sur son but mais sur sa cause, puisqu’en dernière instance ils sont les seuls, en leur âme et conscience, à en décider. Où l’on constate que le principe d’intime conviction opère également en dehors du domaine juridique mais avec des conséquences comparables s’agissant des conséquences de la sentence qui sera prononcée. Par suite, que le médecin responsable de ce geste sans retour « ait une âme », l’on serait autorisé à en douter si, en lui, la volonté de pouvoir l’emportait sur le reste. Quant à sa « conscience », par nature celle -ci doit être éclairée par la connaissance du champ global où son geste va se produire. D’où l’importance de la conjecture de Freud. Formulons une nouvelle fois l’interrogation préjudicielle qui s’y rattache: au delà de son incidence personnelle, l’acte ultime a t-il pour effet de porter atteinte au mouvement générique du vivant et d’assurer, par une voie ou par un chenal quelconque, la prévalence de la pulsion de mort? [6]On comprend à présent que le débat s’instaure à propos de la notion non plus de fin de la vie mais de fin de vie, le mot « fin » étant entendu non pas comme annulation mais au sens de conclusion et le mot de conclusion au sens de parachèvement.

 Une vie achevée et parachevée: conclusion n’est pas forclusion. 

La mort n’est pas idée sur laquelle la raison ait une prise spontanée et rapide[7].Quand bien même cette idée serait intellectuellement admise et comprise, lorsque l’échéance réelle s’approche et qu’elle engage l’agonie de la personne à l’extrême de la souffrance persistante, il n’est pas rare que la mort se vête de fantasmes et qu’elle se casque d’épouvante. Le corps se disloque et son image mentale se déchiquette, laissant la voie libre aux raptus psychotiques. De ce point de vue les assurances prodiguées par Buffon sont loin de compte lorsqu’il s’évertue à convaincre celui ou celle que l’idée de la mort plonge dans les affres qu’ils ont bien tort: « que les causes de dépérissement agissent continuellement sur notre être matériel et le conduisent peu à peu à sa dissolution ; que la mort, ce changement d’état si marqué, si redouté n’est donc dans la nature que la dernière nuance d’un état précédent ». Quoi que Buffon prétende, s’il se peut qu’intellectuellement la mort ne soit qu’une « nuance »,la difficulté provient de ce qu’elle soit la toute, toute dernière que l’existence s’autorise. Buffon ajoute: « La mort n’est donc pas une chose aussi terrible que nous l’imaginons, nous la jugeons mal de loin, c’est un spectre qui disparaît lorsqu’on l’approche de prés »[8].

En la matière, La Fontaine le contredit mot à mot. Reprenons sa célèbre fable « La Mort et le bûcheron ». Jugeant sa condition insupportable, le bûcheron appelle la Mort:

« Elle vient sans tarder,

Lui demande ce qu’il faut faire ».

Découvrant cette fois la mort de prés, il se ravise:

« C’est, dit –il, afin de m’aider à décharger ce bois,

Tu ne tarderas guère ».

D’où la morale:

« Le trépas vient tout guérir

Mais ne bougeons d’où nous sommes

Plutôt souffrir que mourir,

C’est la devise des hommes »

La Fontaine est loin de naturaliser la mort. Au contraire, c’est la vie dont il rappelle qu’elle est le principe de l’existence humaine, un principe que la souffrance ne saurait mettre en cause longtemps. Ce qui ne revient pas à naturaliser non plus la souffrance. Il est donc indispensable de ne pas dissocier la fin de la vie et ce que fut cette vie là.L’on serait porté à proposer plutôt: tant a valu la vie, tant vaudra la mort. Il s’agit de savoir si la mort, dont nul ne sait rien, déjugera ou non une vie dont l’histoire s’est écrite au fur et à mesure de son déroulement afin que celle –ci devienne une source de vie posthume, en termes strictement chronologiques, et à sa manière un persistant lieu de mémoire. Une fois de plus l’information psychanalytique, sans se substituer à aucune autre peut éclairer ce débat.

Si l’agonie est, comme son étymologie, l’indique une lutte, cette lutte quels éléments met-elle réellement aux prises? Tout concept juridique, philosophique ou éthique, comporte son envers inconscient. L’envers du concept de dignité est bien celui de narcissisme[9]. Parmi les plus grands injures narcissiques infligées à l’humanité prétendument « souveraine », et au rang desquelles Freud comptait, outre la psychanalyse, la découverte de Galilée et les thèses de Darwin, l’on n’aura garde d’oublier la mort elle même. Dépossédant l’être qui s’en approche de tout pouvoir sur soi – comme l’a relevé l’Ecclésiaste [10]– elle le destitue de cette position souveraine dans laquelle il se prend pour l’Unique, à ses propres yeux. Ionesco en a fourni la féroce description aux aperçus cliniques, dans « Le Roi se meurt »:

« Médecin. Majesté la reine Margueritte dit la vérité: vous allez mourir.. »

Le Roi. Encore ! Vous m’ennuyez. je mourrai, oui, je mourrai, dans 40 ans, dans 50 ans. Plus tard ! Quand je voudrai.. Quand j’aurai le temps.. Quand je le déciderai … Non je ne veux pas mourir. Soyez gentils … Ne me laissez pas mourir.. Je ne veux pas »[11]. Comment mieux décrire la destitution narcissique dont il vient d’être fait état, pour commencer dans la réaction du Roi chassant une idée contrariante et réagissant comme si son pouvoir pouvait lui faire épargner l’échéance, ensuite dans la brève prise de conscience qu’ici la toute puissance n’est plus rien, et enfin dans la succession au déni initial de la plainte paniquée d’un être retombé en enfance et s’abandonnant à la compassion de son entourage, comme si celui ci y pouvait quelque chose … Dans ces circonstances, l’imminence de la mort anéantit rétrospectivement et rétroactivement ce que fut la souveraineté du Monarque avec les attributs de celle –ci et jusqu’à l’existence individuelle qui s’y était attachée.

La mort qui s’approche juge la vie qui y mène et lui confère sa valeur réelle. D’où les véritables paniques qui s’emparent des êtres sénescents puis des mourants et des agonisants lorsqu’ils identifient, à l’instar d’Yvan Illich cette fois, l’inexorable à l’irrémédiable d’une vie manquée, une vie qui n’en fut pas vraiment une tant s’y sont accumulés les échecs désormais sans appel: « Son mariage, un hasard.. et les désillusions, la mauvaise haleine de sa femme.. puis son service si morne… » et « C’était comme si je descendais une pente tandis que je m’imaginer monter.. Et voilà tout est fini.. Meurs maintenant »[12].La mort non comme échéance mais comme déchéance met un sceau désormais indélébile à une pseudo- vie, retombée très vite après ses élans initiaux, ceux- ci n’ayant pas en eux même la « vivance » qui leur eût permis de se prolonger autrement que par à coups et par intermittences. La conclusion entraîne la forclusion. Mais à la différence du personnage de Ionesco, Yvan Illich se ressaisit. Comptable de sa vie, conscient de ses passifs, il parvient à en considérer également, d’un regard moins effrayé parce que moins imbu de narcissisme primaire, les réalisations.

Pour commencer n’a t-il pas vécu? Aucune existence ne va de soi. Les obstacles, les désillusions, ont terni cette existence? L’amertume des jours sans joie en a ôté le goût? Sans doute mais l’humain qu’il est a honoré sa vocation et donné suite à l’obligation d’être. Même si sa vie s’est prolongée sans joie, le seul fait de cette prolongation, contre tout ce qui lui faisait obstacle, devrait suffire, cette joie, à la justifier et à en susciter le sentiment. Pendant la persécution nazie les psychiatres et psychanalystes Bruno Bettelheim et Victor Frankl agiront ainsi dans les camps où ils s’étaient retrouvés enfermés[13]. Face à des détenus désespérés, jugeant leur existence à l’aune de leurs tortionnaires, ils les conduisaient à ne pas aggraver ce désespoir assassin, le plus sûr complice de leur bourreaux mais, hors de toute position narcissique, elle aussi persécutrice, à réévaluer le sens de leur existence et à en trans-valuer les réalisations. La voie était, au moins temporairement, barrée à la pulsion de mort, le temps que la pulsion de vie reconstitue sa force intrinsèque. La survie de chacun en dépendait, à commencer par celle de Bettelheim et de Frankl.

Il est vrai que cette attitude ne se sépare pas de la conscience des deux échelles de chaque existence: celle de l’individu, en sa temporelle finitude, et celui de l’Humain qui perdure par lui et à travers lui. Si la mort est une fin, elle n’est pas un anéantissement. Encore faut –il que cette existence achevée trouve à s’insérer dans la mémoire sociale qui assurera sa survivance dans des conditions heureusement moins extrêmes. Une pareille continuité ne se dicte pas. Elle exige que la mémoire elle- même soit érigée en donnée immédiate de l’existence, comme de nature à assurer la survie de l’Humain par la transmission des acquits de chaque génération et, à l’intérieur de chacune d’elle, de chaque être vivant[14]. Mais cette transmission ne saurait se faire à vide. Elle doit avoir un objet qui la leste et qui la justifie. Une vie qui ne soit pas équivalente à une œuvre n’y incite guère. L’on objectera qu’il n’est pas donné à tout le monde d’être Balzac ou Shakespeare, le premier parce que sa vie a nourri son œuvre, le second parce que son œuvre lui tient lieu de vie, une vie dont le biographe ne sait rien ou presque. Ce serait oublier le sens des ultimes paroles d’Yvan Illich: la première œuvre d’un vivant est constituée par sa propre vie. Et, de génération en génération, si toute vie qui mérite d’être racontée aura mérité d’avoir été vécue, toute vie qui aura été pleinement vécue méritera aussi de se survivre et, à son tour, d’être racontée.

                                   Raphaël Draï

*En résonance avec le projet de loi actuellement débattu au Parlement, l’on voudra bien prendre connaissance de cette contribution à un colloque sur « La fin de vie et l’euthanasie » qui s’est tenu à la Faculté de droit et de science politique d’Aix en Provence (30 novembre – 1er décembre 2007) sous la direction des Prs. A. Leca et A. Roux. Les Etudes Hospitalières, 2008.

[1]. Frédéric Lenoir et Jean- Philippe de Tonnac (dir), La mort et l’immortalité, Bayard, 2004.

[2] Au moins dans la conception gréco- latine. En hébreu l’on dit, au contraire, « les vivants ».

[3] Raphaël Draï,L’Etat – Purgatoire. La tentation postdémocratique, Michalon, 2005.

[4] Max Schur, La mort dans la vie de Freud, Gallimard, 1975.

[5] In Essais de psychanalyse, Payot, 1967, p.7.

[6] En la matière pour éclairer notre discernement, il faut également avoir à l’esprit le vers d’Eluard concernant ceux qui « se suicident en autrui ».

[7] Vladimir Jankélévitch, La mort, Flammarion, Champs, 1986.

[8] Buffon, « Histoire naturelle de l’homme », in Œuvres, la Pléiade, p. 270 et sq.

[9] André Green, Narcissismes de vie, narcissismes de mort, Editions de Minuit, 1983.

[10] « Il n’y a pas de pouvoir le jour de la mort » (Ec, 8,8)

[11] Ionesco, Le Roi se meurt, Théâtre, La Pléiade, p.

[12] Tolstoi, « La mort d’Yvan Illich », in Souvenirs et récits, La Pléiade.

[13] Bruno Bettelheim, Après Auschwitz, Livre de Poche, Pluriel.

[14] Maurice Halbwachs, Les cadres sociaux de la mémoire, Albin Michel,1994.

HAPHTARA VAYAKHEL-PEKOUDEI

In Uncategorized on mars 11, 2015 at 10:53

22 Vayakhel15.

Les haphtarot « chronologiques » pour ces deux parachiot – reliées entre elles (méh’oubarot) – devraient être tirée successivement du livre des Rois (I, VII, 13 à 51 et VIII, 1 à 21). Mais celle de cette semaine se trouve cette fois corrélée à la paracha « Para » (Nb, 19) qui traite de la liturgie dite de « la vache rousse (para adouma) et qui concerne les modes de purification (tahara) des Bnei Israël qui se sont exposés à une pollution pulsionnelle ou mortifère (toum’a).

La présente haphtara est tirée du livre d’Ezéchiel en son chapitre 36 (versets 16 à 38). Il s’agit avant tout d’en comprendre le mouvement interne car trop souvent, au titre de la théologie polémique et disqualificatrice qui a sévi contre le peuple juif durant des siècles, les prophètes d’Israël sont invoquées surtout comme réprobateurs et annonciateurs de châtiments; rarement comme consolateurs et dispensateurs d’encouragements pour reprendre le cours d’une Histoire torrentueuse. Aussi ce passage commence t –il incontestablement et expressément par de dures paroles de réprobation, qui confinent à un réquisitoire.

Le prophète, qualifié en l’occurrence de « Ben Adam (fils de l’Homme) », doit attirer l’attention de son auditoire, pour aussi rétif qu’il lui paraisse, sur les points suivants. L’Eternel a bien fait dévolution aux Bnei Israël d’une terre qui fût la leur avec pour contre- partie qu’ils y observent la Loi du Sinaï, non seulement en apparence et verbalement mais par leurs conduites et par leurs oeuvres. Le contraire s’est produit. Au point d’avoir mené cette terre à rebours de sa vocation, une terre assimilée à une « femme menstruée », autrement dit qui ne peut concevoir la vie durant cette période au cours de laquelle son époux ne saurait non plus l’approcher, conjugalement parlant.

Il en est résulté un châtiment: l’exil et la dispersion de ce peuple, retourné à l’idolâtrie, parmi des nations étrangères afin qu’il y réalise ce que signifie perdre sa liberté de choix, être à nouveau traité en objet et en déchet. Cependant à l’expérience, le remède présumé s’est révélé pire que le mal qu’il fallait guérir. Cette fois c’est au sein même des nations étrangères, elles mêmes idolâtres, que les exilés ont profané (yéh’allélou) le Nom de la sainteté divine (eth Chem kodchi). Il faut s’arrêter à cette dénomination qui reviendra plusieurs fois dans la suite du texte. Que signifie t –elle exactement d’autant que le prochain remède annoncé aura prioritairement pour but non pas de rétablir la souveraineté d’Israël par le propre mérite de ce peuple mais bel et bien de reconstituer la sainteté du Nom de Dieu ((36, 22)?

Selon la pensée juive, l’Être divin (êtsem) est en soi inconnaissable. Dieu se fait connaître par son Nom (Chemo) c’est à dire par ce qui l’appelle et qui le personnalise. En ce sens la Thora tout entière est considérée comme « Nom de Dieu » parce qu’elle en appelle personnellement à sa Présence, comme lors de la construction du Sanctuaire, du Michkane, au désert, ou au retour de celle –ci lorsqu’elle s’est éloignée du peuple ou retirée de lui (Esther Panim). Or selon la Loi du Sinaï le Nom de Dieu ne peut être « appelé » qu’en vue précisément de sa sanctification: pour être corrélé exclusivement au choix de la vie. La profanation du Nom de Dieu advient lorsqu’il est clamé et proclamé, on l’a dit, à rebours de cette orientation, lorsque la bénédiction,(berakha) s’inverse en malédiction (kelala); lorsque les comportements et les conduites dénaturent et déjugent les normes et les valeurs que l’on prétend incarner.

Or c’est bien de ce clivage qui se trouve à présent mis en cause. Les conduites et les comportements des exilés semblent avoir empiré à cause de cet exil lui même. En réalité les nations concernées en tirent prétexte et argument pour discréditer l’Alliance du Sinaï et profaner encore plus le nom de Dieu. C’est pourquoi, le prophète doit annoncer à Israël la décision divine: le retour du peuple sur sa terre, de sorte que cette « dés-exilation », si l’on pouvait ainsi la qualifier, devienne un enseignement pour ces peuples imbus d’eux mêmes qui n’ont pas compris quel était leur véritable rôle dans l’Histoire de Dieu et de l’Humain. Un enseignement universel se déploie en cette annonce et, comme on l’a souligné, c’est la raison pour laquelle Ezéchiel est appelé, lui, « Fils de l’Homme ».

Cependant cette nouvelle sortie d’exil ne sera que le prélude à une réelle prise de conscience de la part du peuple d’Israël qui retrouvera la confiance divine et la surabondance de ses bienfaits, ce qui entraînera, en identification bénéfique également, la reconnaissance de la Sainteté divine par ces mêmes nations qui avaient cru antérieurement la dénier.

Cette haphtara prend son plein sens lorsqu’elle est éclairée par le commentaire suivant d’Isaac Abravanel (ad. loc). Ces nations là, et en particulier celles qui descendent de Rome et d’Ichmaël, avaient connaissance de la prophétie d’Ezéchiel et donc de l’annonce par la Parole divine du retour d’Israël sur la terre que Dieu lui a confiée. De quel droit alors ont elles prétendu se l’approprier, tour à tour ou en se la partageant, au risque de perpétuer la profanation du Saint Nom divin et de s’en éloigner beaucoup plus loin qu’elles ne le réalisent?

                                                             R.D.

CHOIX DRASTIQUE POUR L’ISLAM DE FRANCE – Chronique Radio J du 9 mars 2015

In Uncategorized on mars 9, 2015 at 10:45

La récente visite de Manuel Valls à la Mosquée de Strasbourg, et la visite concomitante faite par Nicolas Sarkozy auprès des responsables de CFCM montrent qu’un consensus se dessine en France à propos de la place que l’Islam doit y occuper et des conditions de son intégration à la République française. Plusieurs conditions essentielles se dégagent à ce sujet. La première et sans doute la principale concerne la formation des imams et leur véritable fonction dans les lieux de culte dont ils deviennent les porte-paroles et parfois les propagandistes. Il faut faire en sorte désormais que des imams francophones se montrent parfaitement conscients des implications de la loi de 1905 sur la séparation des religions et de l’Etat. Selon la lettre et l’esprit de sa constitution, la France est une République démocratique et laïque. C’est mettre son existence en danger que de laisser s’y installer et se propager des formes plus ou moins anarchiques de théocratie. Il n’en va pas autrement pour le port du voile, notamment du voile intégral et de l’égalité effective homme-femme.

Par ailleurs, s’il importe que l’Islam de France se dote d’une représentation unitaire, elle aussi effective, c’est pour éviter que toutes les mouvances qui le constituent ne soient autant d’antennes des pays d’origine concernés, du Maghreb, du Machrek et d’autres pays plus lointains encore, souvent en lutte les uns contre les autres. Sans doute pour la première fois depuis plusieurs décennies les plus hautes autorités de l’Etat réalisent que faute de mesures rigoureuses et suivies d’effet en ce domaine c’est bien le régime républicain actuel dont l’existence est mise en cause, soit par l’action subversive et terroriste de l’islamisme djihadiste, soit par les contrecoups que cette action peut susciter dans la société française globale. Ce dimanche les avertissements de Manuel Valls avaient des sonorités de tocsin. Car il ne suffit pas de se lamenter face aux avancées électorales du Front National. Il faut aussi se demander à quelle sorte de menace, serait elle irrationnelle et confuse, cette progression correspond. Et y parer. En tout cela on voudra bien ne déceler aucune trace d’« islamophobie » pour employer ce vocable devenu élément toxique de la nouvelle langue de bois. Sans remonter jusqu’à la Révocation de l’Edit de Nantes par Louis XIV en 1685, il faut plutôt relire « L’Eglise et la République », l’opuscule d’Anatole France, pour mesurer ce que fut au début du XXème siècle la violence de l’affrontement entre la IIIème République et l’Eglise catholique en vue d’assurer les fondements d’une République laïque, de sorte que le monde ecclésiastique de l’époque affirme clairement son ralliement à un régime pluriconfessionnel, sans prétendre y exercer une emprise directe ou subreptice.

Quant aux Juifs de France, on l’a souvent souligné, la réunion du Sanhédrin par Napoléon en 1807 peut être considérée comme un véritable chantage à la citoyenneté exercée contre eux. Nul ne niera que la période actuelle ne soit ni simple ni confortable pour les Musulmans qui ont choisi de vivre en France et qui aspirent à en acquérir la nationalité, lorsqu’ils ne l’ont pas déjà obtenue. A tout prendre, les transformations auxquelles ils sont confrontés sont infiniment moins conflictuelles que celles dont il vient d’être fait mention pour d’autres confessions. En ce sens aussi, cette période ne devrait être vécue par eux sous les aspects d’une insupportable contrainte mais comme une véritable chance.

Et il ne faut plus trop tergiverser. Désormais le temps presse.

Raphaël Draï, Radio J, le 9 mars 2015.

HAPHTARA KI TISSA  – Rois, 18, 20 à 39

In Uncategorized on mars 6, 2015 at 1:12

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La paracha Ki Tissa relate les circonstances et les conséquences de la transgression du Veau d’or, tout juste après que les Bnei Israël ont accepté les dix Paroles du Sinaï. Pour bien faire comprendre qu’il ne suffit pas d’accepter un idéal, formellement. Qu’ensuite tout dépend de sa réalisation et celle-ci – à moins de supposer le problème résolu de la discordance entre l’idéal et le réel – ne va jamais de soi.

A des siècles de distance c’est à une discordance analogue que se heurte le prophète Elie, sous le règne du couple royal et idolâtre formé par Achab et Jézébel. En ce temps là les prophètes fidèles à l’Alliance du Sinaï sont impitoyablement persécutés. Lorsque l’on parvient à les capturer ils sont exterminés en masse. Dans son ensemble, le peuple fait montre de passivité laquelle encourage le couple royal et scélérat à persister dans ses agissements. C’est pourquoi le prophète Elie le convoque maintenant à une inéluctable épreuve de vérité. Il est temps que le peuple cesse « de boiter sur ses deux jambes », qu’il cesse de tergiverser, s’imaginant que le Dieu du Sinaï et que les idoles de Canaan sont des choix alternatifs. Le prophète Elie, lequel en attendant a bloqué toutes les sources d’eau sur la terre en litige divin, défie les 450 « prophètes » de Baâl face à ce peuple moralement claudiquant. Que l’on prépare un autel et qu’on y apprête symétriquement deux taureaux mais sans y mettre le feu avant l’heure convenue. Après quoi chacun invoquera son dieu. Le premier qui consumera le sacrifice, sera reconnu pour l’unique et vrai Dieu. Le peuple acquiesce.

Les premiers, dès le matin, les prophètes de Baâl, apprêtèrent leur sacrifice et se mirent à invoquer leur divinité tutélaire. Leurs implorations durèrent jusqu’à midi. En vain. Point de réponse. Et les voici qui s’agitent et se démènent au dessus de l’autel qu’ils avaient eux même confectionné, comme s’ils y cherchaient un défaut de conception et de fabrication qu’ils n’y avaient pas immédiatement perçu. A midi, Elie les interpelle sur un ton qui passerait pour ironique s’il ne correspondait exactement à la réalité de la croyance idolâtre et à ses liturgies illusoires: « Appelez à haute voix (bekol gadol) car c’est un dieu ! » Sans doute ce dieu est –il occupé à des affaires plus importantes ! A moins qu’il ne se soit accordé, qui sait, un petit somme dont il finira bien par s’éveiller ! Face à ce défi les prophètes de Baâl s’adonnent à une liturgie encore plus violente et sanglante, paroxysmique. Ils tailladent le corps d’où leur sang ruisselle, sans cesser d’invoquer leur divinité, et cela jusqu’au milieu de l’après midi. Cependant, toujours point de réponse ni aucune marque d’attention. C’est le moment décisif. Elie demande au peuple, à tout le peuple (col haâm) de bien vouloir s’approcher de lui (guéchou élay). Et le peuple dans son entier s’approche de lui.

Elie commence par rétablir symboliquement et matériellement l’autel de Dieu, jusqu’alors démantelé. Ensuite il réunit un ensemble de douze pierres représentant également les douze fils de Jacob, nommé à présent Israël, de ce nom transcendant que chaque Bnei Israël doit assumer personnellement. Après quoi, il dispose les éléments du sacrifice proprement dit et fait entourer l’autel d’une tranchée. Sur le taureau sacrificiel il fait verser par trois fois quatre cruches d’eau, par quoi se retrouve la symbolique du douze. Cette eau est versée en abondance au point d’emplir la tranchée.

Et c’est au moment précis de la prière de minh’a, qu’Elie en appele au Dieu d’Israël « Réponds moi, Seigneur ! Réponds moi et que le peuple sache que tu es l’Eternel Dieu (Hachem Haélohim) et toi tu les ramèneras leur cœur à son origine (ah’oranit) ». Et cette fois la réponse de Dieu survient sous la forme d’un feu qui consume le taureau sacrificiel, le bois, les pierres et la terre avant d’assécher toute l’eau de la tranchée. Enthousiasmé, le peuple exulte et proclame son adhésion élective en en redoublant l’expression: « L’Eternel est Dieu, l’Eternel est Dieu ».

Peut on affirmer alors qu’Elie a « gagné », qu’il est sorti vainqueur de cette épreuve divine, de cette ordalie? La réponse est moins évidente qu’il ne le semble. Pourquoi? Précisément parce que nous ne sommes plus immédiatement après la Sortie d’Egypte, alors que le peuple était encore tout imbibé, si l’on peut dire, de mentalité et d’habitudes idolâtres. Des siècles et des siècles se sont écoulés et il semble que le travail spirituel soit sans cesse à reprendre depuis le début (ah’oranit), tant s’avèrent lourdes les propensions idolâtriques.

Version biblique du mythe de Sisyphe? En partie mais surtout enseignement profond sur ce que signifie cheminer dans l’Histoire avec ce que celle-ci exige de patience, de lucidité, d’endurance et de fermeté spirituelle.

                       Raphaël Draï zal, 6 mars 2015

BLOC NOTES: SEMAINE DU 23 FEVRIER 2015

In Uncategorized on mars 2, 2015 at 10:44

24 février.

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Profanation géante du cimetière juif de Sarre-Union. Prés de 300 tombes ont souffert de déprédations et, puisqu’il faut désormais nommer les choses par leur nom, de viol. On a de la peine à imaginer qui sont les auteurs de ce forfait macabre tant il a fallu d’énergie morbide pour le réaliser. Seraient-ce les adeptes d’une secte « gothique » qui pratiquent la rétrogression psychique et le retour fasciné au diabolique? A suivre les premières indications des enquêteurs, il s’agirait d’un groupe d’adolescents alsaciens dont les motivations restent obscures puisque au moins l’un d’entre eux jure ses grands dieux « qu’il n’est pas antisémite ». Qu’eût-ce été s’il avait ouvertement pratiqué ce vice! La question reste entière: quelle a été la motivation principale de ces prédateurs nécromaniaques et pourquoi sa mise en oeuvre a t-elle pris une pareille ampleur? On se gardera bien sûr d’extrapoler de leurs turpitudes à l’état d’esprit réel et général de toute une génération. Il semble d’ailleurs que leurs condisciples au lycée qu’ils fréquentent se soient désolidarisés d’eux, ouvertement et sans ambiguïté. Pourtant, cette déprédation fait fonction de symptôme, celui d’un nihilisme hors d’âge qui re-jouvence inlassablement un antisémitisme dont aucun argument raisonnable ne vient jamais à bout. Des politiciens locaux ont laissé entendre que ce saccage était un produit dérivé de l’idéologie du FN. Hauts cris de la Présidente du parti qui clame son indignation et souligne au passage qu’ont été également violés des cimetières catholiques! Sous-entendu: sans que les plus hautes autorités de l’Etat n’aient effectué le déplacement sur les lieux mêmes des autres forfaits. Sous-entendu du sous-entendu: ce régime d’exception ne profite qu’aux Juifs, bénéficiaires abusifs de la « clause de la victime la plus favorisée ». C’est également cette sorte de langage à deux bandes qui aggrave le malaise actuel des Juifs de France et qui incite désormais un nombre important d’entre eux à envisager une émigration. La présence des Juifs s’atteste en France alors que ce pays était à l’état embryonnaire. Les premiers chrétiens de la région lyonnaise, s’il faut en croire l’historien Salmon Reinach, venaient s’approvisionner en « viandes non étouffées », selon les prescriptions de leur rituel alimentaire, dans les boucheries cacher du coin. Comme feront plus tard les musulmans émigrés en terre française avant que ne s’ouvrent les boucheries hallal. Il faut réellement que la coupe soit pleine pour envisager de quitter un pays choisi contre vents et marées après la Libération ou après l’indépendance de l’Algérie. Mais une « patrie » mérite t-elle encore ce nom lorsque l’on doit y survivre en état de siège, protégé par des militaires armes au poing, en espérant ne pas se trouver un jour ou l’autre au mauvais moment et au mauvais endroit? Ainsi, l’on comprendrait que l’on quitte la France pour aller faire fortune à New York ou à Shanghai et l’on imputerait à un cosmopolitisme de mauvais aloi ou à la subversion du Sionisme mondial la volonté de mettre sa famille à l’abri du délire assassin de fanatiques en overdose de théologie toxique?

26 février.

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L’on dirait de la rencontre de Minsk entre Hollande, Merkel et Poutine qu’elle « a fait long-feu » si précisément le feu des canonnades et des orgues de Staline n’avait pas repris de plus belle. A se demander si dans certaines parties du monde le concept de diplomatie conserve encore le moindre sens, à part celui d’amuser la galerie ou de gagner du temps pour se redéployer en meilleure position stratégique. La résolution de l’équation n’est guère aisée. A faire passer Poutine pour un potentat assoiffé de pouvoir et soucieux de démocratie comme de son premier kimono de judo c’est s’aliéner non seulement sa personne mais également le régime qu’il façonne depuis plus de quinze ans. Lui laisser le champ libre, serait l’inciter à transgresser des limites en deçà desquelles il serait impossible de le ramener sans conflit frontal, un conflit dont aucun Etat membre de l’Union Européenne n’est en mesure de prendre l’initiative et surtout d’assumer les suites. Nous peinons vraiment à comprendre le sens de cette époque, alors que les cendres de la guerre froide sont encore chaudes et recouvrent des braises toujours incandescentes…

Ier mars.

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La « Maesta » de Duccio. Commencements de la peinture occidentale dans ce creuset aurifère que fut l’Italie de ce temps là, au début du XIVème siècle, et notamment à Sienne. Bien sûr, l’on relèvera sans cuistrerie des maladresses dans le dessin, des naïvetés dans les perspectives architecturales. Nous sommes encore loin du trait sans repentir d’un Raphaël et surtout d’un Dürer. Là n’est pas l’essentiel, s’il faut à tout prix rechercher de l’essentiel dans la peinture. Ce qui importe reste le choc ressenti à la découverte de ces groupements de prophètes et de saints qui dictent leur propre position dans l’espace, sans nulle hiérarchie. On comprend mieux le piège que représente alors l’usage de la peinture dorée si ce n’est de la penture à l’or: conférer au tableau une luminosité forcée, comme celle d’un visage trop fardé. Chez Duccio cette luminosité émane du tableau proprement dit. La couleur or n’en est que le relais, qu’elle irradie beaucoup plus loin. C’était un temps où l’art et la foi n’étaient pas dissociées, où la peinture ne prétendait pas être à elle même sa propre fin. Il est non moins vrai qu’ensuite l’art confessionnel exercera des ravages tels qu’on aura la nostalgie du dessin pour le dessin, de la couleur pour la couleur. Avec au début du siècle dernier cette dislocation des traits de la face humaine au motif de rechercher sa plus profonde vérité.

R.D.

PAR TEMPS D’EPREUVE: L’ESPRIT DE POURIM – Radio J Chronique du 2 mars 2015

In Uncategorized on mars 2, 2015 at 10:25

Alors que la communauté juive de France s’interroge sur son avenir, il importe de garder à l’esprit des repères essentiels, et cela sans s’adonner au mélange des genres, celui qui mène à substituer la théologie à la politique. La célébration de Pourim en donne l’occasion. Elle marque en premier lieu la conversion sensible et palpable de l’hiver au printemps. Cette conversion là n’est pas seulement climatique. Elle souligne en effet un état d’esprit, celui qui inspire une forme aigue et intense de résistance morale face aux multiples visages et langages de l’antisémitisme. Il faut bien comprendre que ce fléau n’est ni circonstanciel, ni accessible à la raison. Il est inhérent à la manière aberrante dont s’est constituée l’identité occidentale durant plus deux millénaires. Lutter contre l’antisémitisme exige que l’on ait le souffle long et qu’on ne s’étonne pas, après chaque victoire contre ses sbires, qu’il reprenne sans cesse, si l’on peut dire, du poil de la bête, et quelle bête puisque le livre de Job laisse le choix entre Léviathan et Béhémoth! Pourtant nous ne vivons plus au temps de Pharaon ou de Haman. Nous vivons au temps de l’Etat d’Israël ressuscité après vingt siècles d’exil et de dispersion. Déjà, lorsque le peuple juif s’est retrouvé pulvérisé parmi les nations et exposé aux lubies de potentats divinisés, il s’est trouvé des êtres à la fois inflexibles et capables de prier, comme Mardochée et Esther lorsqu’ils surent faire face à une adversité qui s’annonçait fatale. Rien ne les fit plier, pas même le sentiment de peur sans lequel un être de sang et de chair ne saurait pas vraiment ce qu’est la condition humaine. Cette capacité de résistance morale procédait également et indissociablement d’une intelligence vive de la situation du peuple juif et de son environnement mortel. Car cet environnement là était simultanément traversé par des contradictions majeures entre intérêts personnels, statuts politiques, ambitions forcenées, qui ne tarderaient pas à se manifester férocement. En ce sens, Mardochée comme Esther furent des personnalités prophétiques si le prophète se définit aussi par la capacité de percevoir l’instant décisif, celui à partir duquel une époque bascule, une situation se renverse et que les juges du trop fameux tribunal de l’Histoire réalisent qu’ils vont à leur tour être jugés. Aujourd’hui en France, la communauté juive vit pratiquement en état de siège. Nul ne peut prédire l’impact de cette « bunkérisation » insensée en plein XXIème siècle sur le psychisme d’enfants qui doivent de toutes façons ne pas manquer la classe. La stratégie des antisémites de tous acabit est de leur mettre la vie à charge. C’est justement dans ces circonstances que sa propre histoire spirituelle lui procure les ressources d’une résistance exemplaire. Car statistiquement parlant tous ceux qui au long des siècles ont tenté de l’exterminer ont fini pendus ou carbonisés. En attendant, il faut discerner les deux affects essentiels de Pourim et s’y tenir fortement: le courage et la joie. Car comme y insistent les Sages d’Israël: si la peur est contagieuse, la joie est communicative.

 

Raphaël Draï zal, Radio J, 2 mars 2015.