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LE SENS DES MITSVOT: REEH

In Uncategorized on août 29, 2019 at 12:11

« Tu ne mangeras pas d’aucune chose abominable. Voici les animaux dont vous pourrez manger (…) tout quadrupède qui a le pied corné et divisé en deux ongles distincts, parmi les animaux ruminants vous pouvez le manger » (Dt, 14, 3 à 6).

Traduction du Rabbinat.

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Ces prescriptions qui concernent l’alimentation du peuple sinaïtique sont également de celles qui sont péjorées sous le qualificatif de ritualistes, comme si elles renfermaient le peuple d’Israël sur lui même et lui interdisaient toute convivialité avec des peuples autres.

En réalité, il n’est aucune collectivité humaine qui ne s’impose des régulations spécifiques dans ce domaine, que ces collectivités se veuillent confessionnelles ou agnostiques. Les musulmans s’interdisent la viande de porc et les boissons alcoolisées; les catholiques restreignent leur alimentation lors de la période du carême, les bouddhistes en principe ne mangent pas de viande, et que dire des adeptes de la nourriture bio… Les règles de la cacherout – puisqu’il s’agit d’elles ici – doivent être comprises selon leur intentionnalité profonde.

Depuis qu’il a été situé dans le Jardin d’Eden, l’Humain a le droit de consommer de tout ce que ce lieu produit. Il lui est interdit de procéder à des mélanges confusionnels qui lui feraient perdre de vue l’origine même des aliments qu’il est amené à consommer. L’alimentation humaine est celle de créatures douées de penséeAussi, pour autant que l’on s’autorise à manger de la viande, celle-ci doit provenir d’animaux qui incarnent si l’on peut dire cette aptitude. C’est pourquoi il est interdit de consommer de la viande provenant d’animaux ou d’oiseaux de proie, qui déchiquettent celle-ci. Les animaux permis devront être domestiques, autrement dit rendus le plus proche possible de l’humain, ensuite herbivores mais surtout ruminants. Car il se trouve bien des animaux qui se nourrissent d’herbe ou de racines végétales mais qui ne ruminent pas.

Qu’est ce que la rumination? L’équivalent physiologique de la pensée. Un animal herbivore ruminant n’avale pas sa propre nourriture d’un seul coup, d’une seule bâfrée. D’abord il l’introduit dans son orifice buccal où elle subit une première élaboration. Ensuite, il l’introduit dans son tube digestif lequel comporte une panse dans laquelle la nourriture initialement ingérée subira une seconde élaboration. Après quoi, la nourriture ainsi transformée, sera régurgitée avant que d’être définitivement absorbée par l’estomac.

Il n’en va pas autrement de la pensée humaine. En tant que telle la pensée n’est jamais impulsive comme l’est le passage à l’acte. Elle opère en trois temps. Le premier sera celui de l’information, de la prise de connaissance des données initiales d’une situation ou d’un cas. Le second temps sera celui de l’élaboration réflexive. Les données initialement perçues seront confrontées avec d’autres données, d’autres concepts qui en feront paraître soit le caractère ordinaire, soit la plus-value de sens. Enfin, une fois ces deux phases achevées, le processus se consolidera dans celui d’une véritable connaissance, exhaustive et assurée, en vue d’une transmission.

C’est pourquoi les animaux concernés devaient présenter une autre caractéristique: être dotés de sabots certes mais de sabot fendus. Cette dernière caractéristique appellerait bien des commentaires. On retiendra pour conclure sa signification principale. Le sabot est cela qui termine le pied, l’organe de la locomotion, donc du mouvement. Dans la pensée biblique, un mouvement n’est jamais réductible à un déplacement strictement physique. Il est la forme que prend le comportement, autrement dit la conduite orientée, laquelle se confronte toujours à des choix lorsqu’elle arrive à des carrefours, à des bifurcations. Au lieu de s’en étonner il faut plutôt considérer que même les animaux ne sont pas des automates. Est-il nécessaire de rappeler le précédent de l’ânesse de Bilaâm lorsque celui-ci la forçait à s’engager dans une voie contre-nature?

Il faut réfléchir à ces principes vitaux que l’écologie contemporaine découvre ou redécouvre mais sans toujours les rapporter à leurs sources originelles.

Raphaël Draï zal, 21 aout 2014

LE SENS DES MITSVOT: EKEV

In Uncategorized on août 23, 2019 at 4:52


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« Pour prix de votre obéissance (êkev tichmeôun) à ces lois et de votre fidélité à les accomplir, l’Eternel votre Dieu sera fidèle aussi au pacte de bienveillance (eth haberith véeth hah’essed) qu’il a jurée à vos pères. Il t’aimera, te bénira, te multipliera. Il bénira le fruit de tes entrailles et le fruit de ton sol, ton blé (deganekha), ton vin (tirochekha) et ton huile (veytsharekha), les produits de ton gros et menu bétail dans le pays qu’il a juré à tes pères de te donner »

(Dt, 7, 12, 13). Bible du Rabbinat.

On le constate, la Parole divine se veut d’engagement réciproque. Mais de quelle sorte de réciprocité? En contre-partie de l’obéissance requise des enfants d’Israël, ceux-ci se verront gratifiés de tous les bienfaits cités au texte. Cette réciprocité est indiquée par un mot particulier: êkev dont il s’agit de comprendre le sens intime et les implications.

A priori êkev désigne le talon, autrement dit la partie du corps qui marque la jonction entre la terre et la direction du ciel, elle même indiquée par la station debout, la seule qui caractérise l’être humain. Ainsi disposé, le corps forme bien un trait d’union entre le monde d’en-haut et le monde d’en-bas. Le talon est également la partie du pied qui touche le sol la première lorsque la personne marche. Au contraire de la plante, l’homme n’est pas statiquement enraciné mais il se déplace, et ses trajets sont inhérents à ses projets. En ce sens, le talon indique le point de tangence et non pas d’immobilisation entre les dimensions horizontale et verticale de l’être.

Il comporte d’autres significations encore car quelle est la différence entre la démarche consciente et le fait de se mouvoir en titubant, comme si l’on allait s’effondrer à chaque pas? Dans la démarche consciente les pas sont liés entre eux et forment ce qu’il est convenu de nommer une démarche. C’est sur quoi insistent les versets précités: à la fin de la Traversée du désert où il est arrivé plus d’une fois que le peuple ait titubé, au moment de franchir le Jourdain et ainsi s’engager dans l’univers des peuples, plus que jamais le peuple doit se convaincre qu’il n’est pas d’alternative à la cohérence de ses pensées et de ses itinéraires.

Le mot êkev se rapporte alors non plus à la cohésion physique de la marche et à son équilibre externe mais à la cohérence des consciences que doit habiter l’esprit de suite, la relation vitale de cause à effet. Comme on y a maintes fois insisté, il serait contraire à cet état d’esprit d’avoir adhéré à une Alliance et de ne pas la mettre en pratique, d’être un peuple sacerdotal et de se profaner du soir au matin.

Un éclairage étymologique permettra de mieux le comprendre. Le mot êkev est construit sur la racine ÂKV que l’on retrouve dans le nom du patriarche Jacob, Yaâkov. Lorsque les lettres de cette racine sont désordonnées, elles forment le mot BaKÂ, qu’on retrouve dans BiKÂ, la faille, la cassure, la béance. C’est sur une bikâ que s’établit la civilisation de Babel, une civilisation amnésique et décervelée, avec la catastrophe qui s’ensuit. Selon cette acception, la civilisation d’Israël est à tout le moins une contre-Babel: là où la cassure sévit, elle promet l’unité et le lien; là où l’irrationnel l’emporte elle fait prévaloir comme on l’a dit l’esprit de suite et la relation responsable de cause à effet.

Et c’est pourquoi les bienfaits qui découlent de cette réciprocité lucide et conséquente sont nommés comme ils le sont. On observera en effet que les trois produits essentiels: dagantiroch et ytshar se rapportent tous trois au vocabulaire de la Genèse alors que l’Humain se trouvait établi dans le lieu adéquat à son être et à sa vocation. DaGaN, le blé se rapporte comme son nom l’indique au Gan Eden; dans tiRoCh se trouvent les lettres composant le mot roCh que l’on retrouve dans BeRéChit, et enfin dans le mot ytsh’HaR se retrouvent les lettres HR qui se trouvent dans le mot HaR qui désigne l’éminence topographique mais aussi la conception biologique et la conception intellectuelle.

Autrement dit, comme contrepartie de l’observance d’une Berith qui est aussi un acte de grâce, de h’essed, le peuple pourra bénéficier d’une abondance matérielle continue. Cependant, cette abondance ne concernera pas que les corps: elle fera accéder le peuple tout entier et par lui l’Humain au degré spirituel originel que le nom de ces trois produits symbolisent.

Raphaël Draï zal, 14 aout 2014

Le sens des mitsvot : Vaet’hanane

In Uncategorized on août 16, 2019 at 6:02

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«Maintenant donc, ô Israël, écoute les lois (h’oukim) et les règles (michpatim) que je t’enseigne (melamed) pour les pratiquer (laâssot); afin que vous viviez (tih’you) et que vous possédiez (richtem) le pays que l’Eternel, Dieu de vos pères vous donne» (Dt, 4, 1). Bible du Rabbinat.

La conception juive de la Loi a tant souffert des médisances et des caricatures liées aux polémiques théologiques puis philosophiques qui ont assombries la pensée humaine, qu’il importe de lui restituer son vrai visage. Le verset précité y contribue.

On constate que cette conception s’ordonne selon deux niveaux: les h’oukim, ou principes génératifs, et les michpatim, ou règles de droit positif, effectif; ensuite que h’oukim et michpatim doivent s’enseigner, donc en appeler à l’intelligence de leur forme et de leur contenu; et enfin qu’ils doivent se pratiquer. Cette dernière obligation se rapporte à l’engagement souscrit par les Bnei Israël au Sinaï lorsqu’ils déclarèrent à l’unisson: «Nous ferons et nous comprendrons (naâssé venichmâ) ». La formule a suscité un nombre considérable de commentaires. On insistera sur un seul groupe d’entre eux concernant en effet non pas la seule intelligence théorique, l’on dirait presque contemplative, de la Thora mais bien sa mise en pratique. Une mise en pratique dont il faut néanmoins discerner la perspective générale et les modalités particulières.

La perspective générale est tracée dès le récit de la Genèse lorsqu’il est indiqué à propos des commencements de la Création qu’elle fut accomplie mais non parachevée, de sorte qu’il y eût encore à faire, littéralement: laâssot. La reprise de ce verbe au livre du Deutéronome n’est pas anecdotique: elle corrèle génériquement la mitsva précitée à la parole du Créateur. Chaque fois que l’on observe un h’ok, que l’on donne substance et sens à un michpat, que l’on accomplit effectivement une mitsva, au delà des prescriptions particulières concernées l’on poursuit l’oeuvre d’ensemble de la Création. Créer à ce niveau devient donc si l’on peut ainsi s’exprimer l’exposant, ou le coefficient, du h’ok, du michpat et de la mitsva en cause. Mais il y faut une condition: qu’il s’agisse véritablement d’un accomplissement.

Le verbe laâssot doit ainsi être exactement compris: il ne s’agit pas pour les Bnei Israël d’exécuter tout simplement et passivement la loi à laquelle ils ont souscrit comme si elle était un ordre venu de l’extérieur. En accomplissant la Loi ils ne se comportent nullement comme de simples exécutants mais comme des créateurs. Le verbe laâssot se rapporte bien à une manière créatrice de faire, de se comporter. C’est pourquoi les Pirkei Avot disposeront: «Pas de Thora sans dérekh éretz», pas de loi sans une certaine manière de se conduire marquée par l’attention à autrui, la politesse, la courtoisie, l’aménité. Car ce qui rend la Loi effective ce ne sont ni les démonstrations savantes, pour aussi utiles qu’elles soient, ni les plaidoyers véhéments mais tout simplement la manière de faire, la façon de se conduire vis à vis d’autrui et de soi même.

L’on peut à ce propos reprendre le Décalogue entier, puis les 613 mitsvot l’une après l’autre. Une fois qu’on aura démontré leur origine divine, il restera à faire une autre démonstration: que cette origine-là soit relayée par la volonté humaine, que l’humain s’avère véritablement le coopérateur, le choutaf du Créateur pour parachever l’oeuvre de la Création. Autrement sévissent le clivage au plan psychique, et l’hypocrisie, la h’aniphout, au plan moral. A quoi bon affirmer que l’univers a été créé par les dix Enonciations divines, les dix Maamarot, si l’on ne respecte pas la parole que l’on a donnée, la promesse que l’on a dispensée, l’engagement que l’on a pris? A quoi sert de rappeler que la Création s’est ordonnée en six phases actives et une phase réflexive pour le Créateur lui même si l’on s’avère personnellement incapable de réguler une activité devenue fin en soi? A quoi bon affirmer aimer Dieu si ce même amour n’est pas dispensé au prochain, pour qui je suis moi même prochain en ce sens là?

Comme le disent parfois certains philosophes ce ne sont pas nos comportements qui donnent sens à nos valeurs. Nos comportements sont déjà des valeurs en eux-mêmes. Et si tout cela doit faire l’objet d’un enseignement, c’est que nul ne saurait être juge à ses propres yeux de sa propre cause. Il faut apprendre à se comporter de telle manière que les valeurs qui éclairent nos existences soient validées par nos existences proprement dites. Tel est l’enseignement que Moïse dispose à un peuple qui, au bout de quarante années d’enseignement continu, doit prouver par sa façon de vivre que l’engagement souscrit au Sinaï ne constitue pas une suite de vains mots. Ainsi apparaît, au moment de franchir le Jourdain, sa responsabilité pour les temps à venir.

                             Raphaël Draï zal, 8 août 2014

Le sens des mitsvot : Devarim

In Uncategorized on août 9, 2019 at 4:28


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« Je donnai alors à vos juges les instructions suivantes: « Ecoutez également tous vos frères et prononcez équitablement (tsedek) entre (bein) chacun et son frère, entre chacun et l’étranger. Ne faites point en justice acception de personne; donnez audience au petit comme au grand, ne craignez qui ce soit car la justice est à Dieu ! Que si une affaire est trop difficile pour vous (ykché mikem), déférez la à moi (takriboun) et j’en prendrai connaissance » Dt, 1, 16, 17.

Traduction du Rabbinat.

Ces prescriptions concernant l’exercice de la justice sont capitales. Elles font suite à l’observation de Moïse selon lequel le peuple libéré d’Egypte est devenu un peuple nombreux, vivace mais qui doit être intiment régulé. La justice devient la forme supérieure de cette régulation vitale.

Dans un peuple libre, et du fait même de cette liberté, il est impossible que des différents ne surgissent pas, que des conflits ne se fassent pas jour. Il ne faut surtout pas en réprimer les manifestations. Une fois celles-ci produites, il importe surtout de leur trouver une issue qui non seulement ménage le principe de fraternité inhérent à ce peuple mais qui le renforce. La mise en place d’institutions spécifiques est destinée à atteindre le mieux possible cet objectif. La description de l’organisation du peuple d’Israël n’a pas pour but d’en détailler la hiérarchie externe mais au contraire de souligner sa plus grande proximité quotidienne avec chaque Bnei Israël. Les différents et les conflits, pour ne pas parler d’affrontements, sont à la fois cause et effet d’un trouble de la parole lorsqu’elle excède ce que l’on ressent, qu’elle ne trouve plus les mots pour le dire. Colère et mutisme comprimés peuvent conduire aux pires extrémités.

C’est pourquoi s’agissant de la conception même de la justice, celle-ci est formulée prioritairement en termes d’écoute. Le juge n’est pas ce magistrat armé de la loi comme d’une trique. Il est d’abord et avant tout un reconstituant de la parole interhumaine. Dans un conflit, chacun n’entend plus que soi et s’avère incapable d’écouter autrui. Par sa fonction, le juge, à la fois dayan et chophet, doit rétablir une capacité d’écoute à nouveau réciproque et bilatérale. C’est pourquoi un mot apparemment anodin, le mot « entre » (bein) est décisif puisqu’il désigne, au lieu de la mêlée confuse du conflit, le rétablissement d’un espace-temps permettant à la parole de l’un et de l’autre de s’exprimer enfin, de sorte qu’elle fût entendue.

De ce point de vue, il y va du juge comme du médecin qui devant une hémorragie – en l’occurrence une hémorragie de colère – doit avant tout la faire cesser, placer s’il le faut un garrot, en attendant que la circulation du sang reprenne son cours normal. C’est pourquoi aussi le juge ne doit faire acception de personne, ni entre le citoyen et l’étranger, ni en fonction de critère sociaux car il est possible que ces différenciations elles mêmes aient été à l’origine d’un conflit désormais infecté.

En ce sens, la notion de tsédek devient bien plus large que celle d’équité. Pour le juge, juger consiste non pas à rétablir un statu quo ante mais littéralement à recréer une relation interhumaine. On comprend mieux alors pourquoi la notion de jugement est référée non à une instance sociale, serait-elle la plus éminente, mais directement à Dieu en tant que Créateur. Rendre la justice équivaut à poursuivre l’oeuvre de la Création proprement dite. Le cours de la Création est imprévisible et débordera toujours les cadres d’une pensée prédéterminée. D’où la mention de ces « cas difficiles » qui illustrent l’une des problématiques les plus stimulantes de la théorie contemporaine du droit.

Lorsqu’un cas judiciaire s’avère d’une complexité telle qu’il semble outre-passer les ressources juridictionnelles actuellement disponibles de la collectivité humaine formée par les « sortis d’Egypte », au lieu de refuser de juger le magistrat devra en donner connaissance à Moïse, littéralement « l’approcher de lui » comme s’il s’agissait de l’accomplissement d’un sacrifice, d’un KoRBaN, d’une liturgie de renouement. Dans ce cas il appartiendra à Moïse non pas exactement « d’en prendre connaissance « (le mot daât n’est pas employé) mais de l’écouter, de l’ausculter encore plus attentivement. Car ce qui fait la difficulté d’un tel cas, c’est probablement sa teneur en passion qui déborde ce qu’un juge du rang est en mesure à son niveau d’en écouter et d’en comprendre.

Toute la formation du juge consister à affiner sa capacité d’écoute conciliatrice. C’est en ce sens qu’il se rapproche du psychanalyste, lequel en effet est capable d’entendre ce qu’une oreille ordinaire ne saurait habituellement déceler pour in fine privilégier l’expression de la pulsion de vie.

                               Raphaël Draï zal, 31 juillet 2014

le sens des mitsvot : Mattot

In Uncategorized on août 2, 2019 at 9:55


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« Moïse parla (vaydabber) aux chefs des tribus des enfants d’Israël, en ces termes: «Voici (zé hadabar) ce qu’a ordonné (acher tsiva) l’Eternel: « Si un homme fait un vœu (néder) au Seigneur, ou s’impose par un serment (chevouâ), quelques interdictions (issar) à lui même, il ne peut violer (yah’el) sa parole: tout ce qu’a proféré (hayotsé) sa bouche il doit l’accomplir »  (Nb, 30, 2, 3). Bible du Rabbinat.

Cette paracha est l’avant-dernière du livre des Nombres et l’on peut s’étonner qu’elle commence par cette prescription. Un être qui s’engage vis à vis de lui même a t-il besoin qu’on le rappelle au sens de ses engagements? Deux termes sont ici à prendre en considération: neder, que l’on traduit par vœu, et issar ou issour que l’on traduit par interdit. Pourquoi font-il électivement l’objet de ce rappel? Nous nous trouvons là dans un cas bien particulier d’auto-législation.

En principe aussi bien ce qui est permis que ce qui est interdit d’accomplir se trouve objectivement énoncé par une Loi qui vaut pour tous, qui bien sûr prend en compte les personnes mais qui ne les considère pas le cas échéant comme des exceptions contradictoires à la règle commune. L’étude des 613 mitsvot permet à chacun de savoir à quoi s’en tenir, sans en rien retrancher et sans y rien ajouter non plus. La situation envisagée dès le début de la paracha est quelque peu différente. Sans se placer bien sûr en dehors de Loi, un individu croit devoir l’adapter à ses propres dispositions d’esprit et s’engager à faire plus que ce qu’elle prescrit.

En ce sens le mot « vœu » ne rend qu’imparfaitement compte de son homologue hébraïque: NeDeR qui se rapporte à la racine DR que l’on retrouve dans des vocables aussi chargés de significations que DiRa, la maison d’habitation, DRoR, la liberté, notamment celle qui est proclamée lors de l’année jubilaire, du Yovel ; et bien sûr DoR qui désigne la relation entre générations. Quiconque s’engage par un NeDer de cette sorte engage plus que soi même, à la fois dans l’espace et dans le temps. Et sur ce dernier plan tous les serments ou jurements ne valent en effet que pour l’avenir.

L’auteur du NeDeR donc scrupuleusement veiller et avant même que de le formuler à ajuster ce NeDer à ses facultés réelles de réalisation. Autrement il aura engagé l’avenir sur une voie fallacieuse et devra en répondre. Il n’en va as autrement pour l’interdit qui cette fois et sous cette forme ne saurait s’imposer à autrui, qui ne vaut que vis à vis de soi. Il faut également, avant que de le formuler, s’assurer que l’on est bien en mesure de l’observer. Autrement on n’aura joué que les surenchérisseurs sans pouvoir assumer l’enchère elle même le moment venu.

Une autre question se pose cependant: pourquoi ces règles sont-elles rappelées ce moment précis, alors que les enfants d’Israël s’approchent du Jourdain et de le terre de Canaan? Afin de souligner l’importance décisive de la parole pour un peuple qui a fait de la liberté l’un des deux principes génériques de son existence, avec celui de responsabilité. La liberté s’exprime et se prouve par l’échange de paroles significatives entre interlocuteurs dont aucun ne veut imposer sa volonté à l’autre. Si une collectivité d’esclaves est régie par la peur du bâton, et si l’on n’y est autorisée à porter le regard sur autrui que de bas en haut, dans un peuple libéré de cet esclavage la relation ordinaire est le face à face, et le dialogue la façon courante de s’adresser à autrui.

On aura remarqué d’ailleurs que c’est ainsi que s’exprime le début du verset précité à propos de Moïse: «Moïse parla (vaydabber) aux chefs des tribus des enfants d’Israël pour dire (lemor) ». Seul le Créateur enjoint, prescrit, légifère. Moïse se contente de transmettre prophétiquement ses prescriptions, c’est à dire en termes audibles et intelligibles.

Un verbe particulier permet de comprendre l’importance de la parole libre. Celle-ci ne peut consister dans un flux immaîtrisé de propos sans suites. La parole d’un être libre doit être avant tout régulée par lui-même. C’est pourquoi le verset biblique, dans l’hypothèse contraire, emploie le verbe: YaH’eL qui signifie profaner, exclure du champs de la sainteté. C’est parce qu’elle est libre que la parole interhumaine est sainte mais réciproquement c’est parce qu’elle est sainte qu’elle reste libre. Parler pour ne rien dire, ou sans tenir les engagements auxquels on a de soi même souscrit, sans y être obligé, est comme souiller une source d’eaux vives et dissuader qu’on vienne y boire.

                                             Raphaël Draï zal , 17 juillet 2014