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BLOC-NOTES: SEMAINE DU 12 JANVIER 15

In Uncategorized on janvier 29, 2015 at 7:15

12 janvier.

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A n’en plus douter la transfiguration n’est pas un phénomène strictement religieux ou mystique. A la rentrée de septembre, François Hollande était foulé aux pieds par son ancienne compagne, traité de moins que rien, de cœur dur, d’incompétent. On ne donnait pas cher de sa peau et déjà les spéculations concernant 2017 reprenaient de plus belle. A quoi s’ajoutaient d’autres mauvaises nouvelles concernant la lutte contre le chômage. Et puis, hier, à l’extrême opposé de cette « image » calamiteuse, une cinquantaine de chefs d’Etat et de gouvernement ont rejoint le président de la République Française pour protester unanimement contre les attentats terroristes qui ont fait 17 morts la semaine dernière en plein Paris. François Hollande les a reçus à l’Elysée, les uns après les autres, personnellement, comme s’il accomplissait un rite. Ensuite tout ce groupe dont le caractère composite sautait néanmoins aux yeux a défilé sur quelques centaines de mètres, en formant la chaîne de la solidarité internationale face aux massacreurs de « Charlie Hebdo » et de l’« Hyper Cacher ». Massacreurs dont pas un n’a finalement réchappé aux assauts simultanés et coordonnés des hommes du RAID et du GIGN dès vendredi après midi. Après quoi, ce même dimanche, à l’appel des pouvoirs publics, des millions d’hommes, de femmes, et souvent d’enfants, se sont retrouvés dans les rues et sur les places de la France entière pour clamer leur attachement viscéral à la liberté d’expression, le tout à l’emblème du crayon, symbole à la fois tragique et enfantin. Et pas un seul incident. Le trio Hollande, Valls, Cazeneuve a magistralement opéré, avec détermination et sobriété, tenant à démonter que le char de l’Etat était solidement tenu en main. Ainsi la France s’est donné à elle même le spectacle conjuratoire de l’unité spontanée puisque la Droite s’est ralliée sans rechigner ni barguigner à cette manifestation massive. Le Front National a pourtant tenu à faire cavalier seul, tellement seul que nul ne s’est aperçu de son absence. Pourtant la question n’a pas tardé à se faufiler dans ce chœur unanimiste: que restera t-il du 11 janvier 2015? Il ne s’agit pas de jouer les rabat-joies mais de se méfier des illusions unitaires de façade. Tant qu’à faire un bilan, autant le faire complètement. Certes les frères Kouachi et Amedy Coulibally, une fois leurs forfaits consommés, ont été traqués, puis cernés puis abattus en moins de 48 heures. Il n’empêche qu’ils ont tué 17 personnes avant d’être mis définitivement hors d’état de nuire. Aucun des trois n’était inconnu pour les services concernés. Pourquoi et comment ont-il pu organiser leur tuerie sans en être préventivement empêchés? A présent la menace islamiste est devenue patente au regard de la France entière. Pour la neutraliser il y faudra de forts moyens et des budgets conséquents. Où ceux-ci seront-ils puisés? Quoi qu’il en soit, il ne convient pas que dans l’histoire d’un pays un instant chasse l’autre. Dans cette épreuve la France a été reconnue une fois de plus comme le sanctuaire des libertés essentielles et des droits de l’homme. D’où, on l’a dit, l’affluence de ces chefs d’Etat et de gouvernements dont quelques uns n’auraient pu en dire autant en ce domaine. Puisse t-elle ne pas déroger par complaisance ou lassitude à cette vocation puisque par définition et étymologie le djihad se veut également guerre d’usure.

14 janvier.

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Discours fervent, flamboyant et inspiré de Manuel Valls à l’Assemblée nationale conclu par l’affirmation de sa fierté, lui natif d’Espagne, d’être français au service d’une nation sans pareille. « Standing ovation », tous groupes fusionnés, elle aussi sans précédent dans les annales parlementaires, avec en prime une « Marseillaise » chantée collectivement, avec un filet d’inquiétude dans les voix. Le plus important cependant est ce qui a suivi: un vote, là encore quasiment unanime, autorisant la poursuite des opérations militaires menées par les forces armées françaises en Irak pour tenter de réduire les milices de l’Etat islamique. Plus de douze années après la chute de Sadame Hussein, et alors que la « guerre de Bush » suscite toujours diatribes et polémiques, la France, qu’on le veuille ou non, a pris la suite des « Marines ». En somme la défense de Vincennes commence à Mossoul. Le porte-avions « Charles de Gaulle » est à cette fin sollicité prioritairement. La France est engagée sur maints théâtres d’opérations. Elle y préserve plus que ses intérêts: une forme de vie. Encore faut-il que le front intérieur tienne plus longtemps qu’une manifestation où le ludique se mêlait au tragique, la gravité au simulacre. Dimanche, François Hollande se tenait les bras, à gauche avec les résidents du Mali, à droite, avec Angela Merkel. Les divergences en matière économiques étaient mises en sourdine. Juste à côté d’eux Benjamin Netanyahou et Mahmoud Abbas défilaient comme s’ils ne se connaissaient pas …

16 janvier.

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Lorsque les jours se cognent les uns aux autres l’esprit n’est à rien d’autre qu’à essayer de suivre, de comprendre. L’espace dévolu à la réflexion se restreint et l’on resterait des heures devant la télévision, obnubilé par un événement qui outrepasse douloureusement ce que l’on est capable d’en penser. Comment parler du livre en cours de lecture: « La Reine Margot » d’Alexandre Dumas… Pourquoi s’y attacher? Au delà de son contenu « romanesque » cette oeuvre est l’une des plus dures consacrées à la folie génocidaire d’êtres humains faisant douter du sens vital de ce qualificatif. Il faut relire le récit par Dumas de la nuit du 24 août 1572, celle de la Saint Barthélemy, et prendre la pleine mesure de l’ivresse exterminatrice du sieur Coconnas: « Je ne sais si c’est l’odeur de la poudre qui me grise ou la vue du sang qui m’excite mais je prends goût à la tuerie ( … ) Je n’ai encore fait que des battues à l’ours ou au loup et, sur mon honneur, la battue à l’homme me paraît plus divertissante ». Divertissement dangereux. Coconnas finira décapité par la main du bourreau. Les sbires de Daech ont-ils jamais entendu parler de la Reine Margot?

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LE SENS DES MITSVOT PARACHA BECHALAH’

In Uncategorized on janvier 29, 2015 at 6:43

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« On fit savoir au Roi d’Egypte que le peuple s’était enfui ; alors le cœur de Pharaon et de ses serviteurs fut inversé (yéapekh) à l’égard du peuple et ils dirent : « Qu’avons nous fait là d’avoir renvoyé Israël de notre servitude! » (Ex, 14, 5).

« Ainsi (az) chantera Moïse et les Enfants d’Israël … » (Ex, 15, 1).

Depuis que la confrontation a commencé entre le Pharaon et le Dieu dont Moïse et Aharon rapporte les demandes, la question morale d’une très forte intensité est posée. Comment expliquer sinon justifier le comportement de Pharaon, d’abord hautain et cassant, puis accommodant et même repentant pour ne pas dire manoeuvrier? Ce dernier revirement l’atteste. Après avoir autorisé, fût-ce la mort dans l’âme, le départ des Hébreux, voici que sur un simple renseignement concernant leur localisation, et estimant qu’ils s’étaient d’eux mêmes fourrés dans un piège, l’état d’esprit du Pharaon et de ses principaux conseillers les incite à un revirement ultime. Le verbe yéaphekh est encore plus fort. Il marque une complète inversion (hipoukh) comme si le passé ne s’était pas produit, comme s’il n’avait pas été constitué par des événements ayant une signification propre.

Voici qu’une nouvelle fois le jugement de Pharaon se réduit à l’instant actuel, qu’il se trouve dans l’incapacité de relier passé, présent et futur. Son jugement est obnubilé par son désir de toute puissance. Tout l’autorise à nourrir ce désir, même et surtout s’il a été fortement contrarié jusqu’ici. En termes de psychologie contemporaine l’on dirait que la personnalité de ce pharaon est une personnalité « alternante », qu’elle oscille sans cesse entre deux pôles contraires sans pouvoir trouver la juste voie laquelle en l’occurrence serait celle du respect de la réalité. Pharaon se montre incapable d’esprit de suite, ce que la langue hébraïque rend par le vocable ÊKeV que l’on retrouve dans le nom de Jacob: YaÂKoV. C’est pourquoi, l’esprit obscurci par le dernier élancement d’un désir comparable à un raptus, il croit devoir se lancer à la poursuite des Enfants d’Israël pour tirer d’eux d’abord une sanglante vengeance puis en ramenant les rescapés hébétés sur la terre d’Egypte afin de pérenniser le système esclavagiste dont elle vivait largement.

On sait ce qu’il en adviendra: après que l’armée de Pharaon s’était lancée dans le chemin à sec de la Mer Rouge dont les eaux s’étaient partagées en plusieurs chenaux, la destruction complète de cette armée transformée en une horde de bouchers décidés à exercer une vengeance mémorable et à obtenir une victoire rétroactive qui eût fait oublier jusqu’à la première des dix Plaies.

Relevons ainsi l’opposition entre la personnalité de Pharaon et celle de Moïse au contact précisément de cette même réalité. Un autre mot: az la dénotera. Lors de la révélation du Buisson ardent, l’on se souvient que Moïse n’avait pas déféré spontanément à la demande divine relative à la Sortie d’Egypte. Il avait plutôt accumulé les objections et les réserves, estimant cette mission hors de ses moyens d’alors. Une de ces objections mérite d’être soulignée: « Et Moïse dit à Dieu: « De grâce mon Seigneur, je ne suis pas homme éloquent et cela ni d’hier, ni d’avant hier, ni depuis toujours (méaz) (Ex, 4, 10) ». Le sens de cette objection doit être bien compris à partir de ce dernier terme: méaz. Moïse objecte d’une incapacité qui ne date pas d’aujourd’hui et qui ne s’est pas manifesté dans un passé à peine récent. Dire que ce handicap date depuis toujours laisse entendre qu’il durera toujours, qu’en somme il est incurable et que rien ne sert de l’ignorer. A ce moment là Moïse, tout grand qu’il soit et appelé à l’être encore plus, commet une erreur face à son interlocuteur divin: il extrapole de sa situation présente à la suite des temps, comme si l’avenir n’existait pas en soi, qu’il n’était qu’un simple prolongement du passé. La réplique divine sera bien celle de ce Dieu justement appelé Eternel. L’Eternité n’est pas la simple expansion indéfinie d’un temps antérieur, fixé une fois pour toutes et qui de ce fait pourrait être celui du désespoir absolu. L’Eternité est celle du Créateur qui « par sa bonté renouvelle chaque jour et perpétuellement l’oeuvre de la Création ».

Depuis, Moïse s’est laissé convaincre et d’objecteur à la Parole divine il en devient le réalisateur effectif et patient. Cette transformation personnelle se verra consacrée après la traversée de la Mer Rouge. Face à l’évidence de la libération du peuple hébreu dans son ensemble c’est bien le mot az qui advient aux lèvres de Moïse mais dans un sens complètement transformé, placé cette fois en perspective d’avenir. Et c’est sans doute pourquoi le traité Sanhédrin du Talmud s’appuiera notamment sur ce verset écrit au futur pour attester de la résurrection des morts et sur la prévalence de la vie.

R.D.

LE MOT DE TROP? – Radio J le 26 Janvier 15

In Uncategorized on janvier 26, 2015 at 1:13

Quelle différence y a t-il entre une explication et une excuse? Pour Manuel Valls si le terrorisme ne peut se prévaloir d’aucune excuse, ses causes, immédiates ou différées, peuvent néanmoins s’expliquer. Et de mettre en cause sur ce terrain périlleux l’état déplorable de certains quartiers dits sensibles et le délabrement de nombreuses cités. Quelle est alors la différence entre une explication et un débordement de langage? Précisément l’usage de termes excessifs comme celui d’ « apartheid » que le premier Ministre a cru devoir employer à ce propos. Car en tous l’excès nuit à la cause que l’on prétend défendre. Comment parler d’ « apartheid » à propos de la France! L’Apartheid a été un système propre à l’Afrique du sud raciale et raciste, celle qui avait inscrit dans son droit public et dans ses comportements quotidiens le principe même de la discrimination méthodique entre individus selon la couleur de leur peau et leur prétendue appartenance à une race, posant l’autre principe selon lequel la race blanche était d’une essence supérieure. Le tout ficelé de quelques commentaires bibliques ou prétendus tels remontant à l’histoire des fils de Noé et à la malédiction de H’am, le rejeton présumé négroïde. Comment oser évoquer ce système odieux à propos de la France, celle du droit d’asile, de l’école publique, du regroupement familial et de la Couverture Maladie Universelle, et cela en dépit de la crise économique qui la sape depuis plus de quatre décennies à présent? Manuel Valls s’est-il laissé aller à cette identification malvenue par provocation, comme font ceux qui parlent de « mur de l’Apartheid » à propos du mur de sécurité qui tente de prévenir les attentats-suicides contre la population civile d’Israël? Serait-ce pour susciter ce qu’il imaginait être un choc de conscience? Et si l’effet produit était exactement l’inverse? Si par cette erreur de vocable et de concept l’explication tournait tout de même à l’excuse, au risque de voir l’excuse tourner à l’absolution? Depuis que sous différents gouvernements, « la politique de la ville » a été lancée des sommes considérables lui ont été affectées, avec des résultats parfois probants mais trop souvent mitigés ou nuls. Pour qu’une politique d’intégration réussisse, il y faut de la volonté et du désir de part et d’autre. L’exemple du million de rapatriés d’Algérie au début des années 60 le démontre et le prouve, quel que soit le jugement porté sur leur déracinement. Le terrorisme ne peut se prévaloir d’aucune excuse. Prendre la vie d’autrui par pur décret d’une volonté de puissance ivre d’elle même doit se combattre sans réserve, ni linguistique, ni mentale. On ne doutera pas des intentions réelles du premier Ministre sur cette seule erreur. Mais il faut anticiper l’impact dévastateur du mot « apartheid » sur des esprits qui n’ont vraiment pas besoin d’alibi supplémentaire pour justifier leurs irrémédiables passages à l’acte. Un autre mot celui de « responsabilité » est un des plus saillants du vocabulaire martelé à juste titre par le premier Ministre. Ce mot là, dans ses usages politiques actuels, ne doit alors souffrir aucune exception.

                   Raphaël Draï, Radio J, le 26 janvier 2015.

LE SENS DES MITSVOT: PARACHA BO

In Uncategorized on janvier 22, 2015 at 10:23

« Et Dieu dit à Moïse et à Aharon en terre d’Egypte afin qu’ils l’explicitent: « Ce mois ci (hah’odech hazé) pour vous sera en tête des mois (roch h’odachim), il sera premier (richon) des mois de l’année (h’odché hachana) (Ex, 12, 2).

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Pour les plus grands commentateurs de la Tradition juive, ce verset constitue en réalité la première de toutes les mitsvot spécifiquement prescrites aux Bnei Israël au moment où ils sont eux mêmes constitués en tant que peuple et afin que cette dimension reçoive tout son sens. Celui-ci peut à son tour être perçu et explicité clairement si l’on ne perd pas de vue que cette collectivité humaine tente de sortir d’un long, d’un très long esclavage qui lui fait perdre le sens des deux coordonnées principales de la conscience humaine: l’espace et le temps. L’espace se réduit pour les esclaves aux champs de corvée où ils façonnent à la chaîne des briques, avec de la boue et de la paille. Quant au temps, il se dévide dans une suite de jours sans autre destin que leur infinie répétition. De cette double atrophie, spatiale et temporelle, résulte le kitsour rouah’, l’étrécissement à presque rien de leur champ de conscience. A quoi il faut ajouter le bépharekh, l’atrophie de leur parole qui ne trouve à s’exercer que pour l’exécution sans délais d’ordres qui se veulent sans réplique, sous la menace des gourdins. C’est à la restructuration de ce champ de conscience, pour ne pas dire à sa structuration tout court, qu’est dévolue cette première prescription dont il faut s’attacher à comprendre la formulation et l’intention.

Il n’est guère aisé de définir ce qu’est le temps en soi. Il s’agit ici du temps à la fois psychologique, celui d’êtres appelés à la liberté individuellement vécue, et du temps historique, celui d’un peuple appelé à assumer collectivement une vocation au sein de l’humanité. Ce temps là se comprend selon trois modalité particulières mais qui s’intègrent les unes aux autres: le temps quotidien, celui des jours nommés yamim; le temps mensuel, celui que scandent les mois (h’odachim), et le temps annuel, celui de la chana. A quoi se rapportent-ils?

Le temps quotidien est celui de cette conscience minimale qui permet aux esclaves de simplement survivre. Comme on l’a vu, ce temps- là est devenu celui des répétitions stériles, du piétinement bourbeux. Aussi importe t-il de lui conférer une autre dimension, qui l’ouvrira à une autre perspective: le mois, en hébreu h’odech. Vocable particulièrement significatif par lui même et au regard du contexte actuellement éclairé. Par lui même puisque ce vocable est construit sur la racine H’DCh qui désigne le renouvellement, l’innovation, donc la reprise de la Création, par suite l’exact inverse de la répétition sans aucune progression sensible. Ce temps nouveau doit faire l’objet d’une première perception active, d’une première prise de conscience, immédiate, événementielle, rendue par la formule ce « mois- ci (hah’odech hazé) ». Et c’est en tant que tel qu’il deviendra non pas le premier mois, au sens ordinal, mais littéralement « la tête des mois », roch h’odachim, comme sera institué, dans une dimension supplémentaire de la durée, une tête de l’année: roch hachana. De sorte que l’on passe d’un temps qui est surtout un non-temps, celui de l’asservissement des sens et de l’esprit, d’un temps pour ainsi parler décapité, à un temps où se relient le passé, le présent et l’avenir; la mémoire, la décision et le projet.

Et c’est une fois ce premier étayage réussi que s’instituera le temps proprement calendaire, celui de la succession ordinale des mois, lesquels de ce fait même formeront une autre dimension encore de la temporalité, celui de l’année, de la chana. Ce dernier vocable est construit sur la racine ChN qui désigne maintenant le changement; non pas la modification mécanique mais celle qui intègre la dimension préalable du h’odech, de l’innovation, mais démultipliée selon les douze visages du peuple, suivant les douze facettes d’une Création scandée par des saison diversifiées, celles de la pluie d’hiver (guéchem) ou de la rosée printanière (tal).

On comprend mieux pourquoi le verset précité précise que ces prescriptions sont données en terre d’Egypte, autrement dit sur cette terre qui était devenue pour les descendants de Jacob celle de la dissolution des esprits, de la lobotomisation spirituelle.

Toutes les mitsvot qui s’ensuivent, et particulièrement celles qui concernent l’agneau pascal seront comprises selon cette perspective, à partir d’un temps qui se remembre et de corps jusque là pulvérisés, qui se rejoignent en plein clarté de l’esprit, sachant que l’Histoire est également redevenue printanière.

LA NOUVELLE LANGUE DE BOIS – Radio J 19 Janvier 15

In Uncategorized on janvier 19, 2015 at 1:02

Le propre des grandes commotions et de donner à réfléchir pour corriger ce qui doit l’être et ne pas persister dans les erreurs passées. On aurait pu penser qu’il en irait ainsi après les tueries de « Charlie Hebdo » et de l’« Hyper cacher » de Vincennes. Pourtant au lieu d’une véritable invitation à l’analyse et au remaniement des comportements qu’a t-on entendu: « Surtout pas d’amalgame »! Ne confondons pas islam et islamisme, et même islamisme et djihadisme! Et cela avant même que le début du commencement d’un débat digne de ce nom et d’une véritable prise de conscience ne se soient produits. Autrement dit: circulez, il n’y a rien à en penser. Une fois de plus la dénégation et l’élision des responsabilités exerçaient ses ravages au nom d’une vision idéalisée pour ne pas dire illusionniste de la République où nous sommes conviés au « vivre ensemble ». Dans ces conditions, comment veut-on que la population musulmane de France soit conduite à afficher clairement son insertion dans la dite République en passant par les mêmes épreuves que les Juifs français et que les catholiques de ce même pays? En 1807 Napoléon réunit un « Sanhédrin » pour mettre les Juifs devant un choix comminatoire: ou bien ils répondaient selon ses vues au questionnaire que l’Empereur s’autorisait à leur poser concernant leurs appartenances et leur manière de vivre, ou bien ils risquaient de se voir privés de la citoyenneté que leur avait octroyée la Révolution. Il n’en ira pas autrement en 1905 avec l’Eglise, forcée là aussi de prendre parti et de choisir son camp. Paris ou le Vatican? Pourquoi en irait-il autrement pour l’Islam de France? Dans l’intention d’éviter les méfaits de l’islamophobie? Mais n’est ce pas plutôt cette aveugle complaisance et ce mimétisme linguistique forgé sur le vocable de judéophobie qui nourrissent cette dernière attitude? L’autre expression de la nouvelle langue de bois s’entend ainsi: les premières victimes de l’islamisme ce sont des musulmans. Qui le nierait? Mais comment expliquer ces massacres fondamentalement et férocement fratricides? Sont-ils commis en terre souverainement arabe par des chrétiens ou par des Juifs? Ce dernier dimanche à Niamey ce sont des chrétiens qui, une nouvelle fois, ont été massacrés et des églises incendiées pour protester contre le dernier numéro de « Charlie hebdo ». A quoi aura servi l’immense manifestation du 11 janvier si un pareil aveuglement perdurait, si par lâcheté ou par calcul de « diplomatie interne » l’on faisait barrage à l’indispensable prise de conscience d’où dépend l’avenir du vivre-ensemble républicain si largement claironné? Et s’il perdurait, comment accuser de désertion ceux et celles qui, déjà éclairés par l’expérience, entendent préserver, comme il l’entendent et là où ils le choisissent, leur vie et celles de leurs enfants, au lieu de jouer quotidiennement cette vie à la roulette mortelle, dans une école ou dans une épicerie?

Raphaël Draï zal, Radio J, 19 janvier 2015

LE SENS DES MITSVOT: PARACHA VAERA

In Uncategorized on janvier 15, 2015 at 12:07

« Et l’Eternel (Elohim) parla à Moïse et lui dit, à lui (elav): « Je (Anokhi) suis Dieu (Tétragramme) » » (Ex, 6, 2).

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Dans ce premier verset, qui doit être relié à celui d’une révélation préliminaire, celle du Buisson ardent, sont mentionnés trois « noms » de Dieu, tel qu’il se prépare désormais à une confrontation avec le potentat qui nie Son existence: avec Pharaon. Cette confrontation fera l’objet du récit à venir, avec ses dix « frappes » rendues inéluctables par l’obstination de cet homme qui se prenait pour le Créateur et était adoré à ce titre par sa cour et par ses sujets.

Une première question se pose: ces trois noms: Elohim, Anokhi et le Tétragramme ne sont-ils pas redondants? Un seul d’entre eux n’eût-il pas suffi pour conforter Moïse dans ses propres résolutions et auprès des Bnei Israël dont la persécution s’est entre temps aggravée, malgré l’énoncé de la libération, si ce n’est à cause d’elle? Il ne le semble pas et comme nous le verrons, ces trois noms, pour peu que l’on en discerne le sens exhaustif, correspondent à trois modalités de l’intervention divine telle qu’elle est annoncée à Moïse.

Une autre question apparaît, qui se rapporte cette fois à quelques uns des stéréotypes les plus tenaces de la critique biblique. Selon ce stéréotype le récit biblique aurait été rédigé par plusieurs écoles ou mouvances, et à des époques différentes, chacune se faisant de Dieu une idée singulière, d’où ces noms divers. La cohésion d’ensemble du récit en cause ne serait qu’apparente entre le rédacteur « élohiste » et le rédacteur « yawiste », sans parler du « Sacerdotal » qui serait l’auteur particulier du Lévitique, du troisième livre de la Thora. Cette manière d’aborder le texte biblique doit être étudiée, comme il se doit. Elle se heurte néanmoins à la présence de versets tels que le verset précité où apparaissent d’évidence, et simultanément, l’Elohiste et le Yawiste, sans parler de celui que l’on pourrait qualifier d’« Anokhiste ». Faut-il en déduire que ces différents rédacteurs se sont réunis en conclave pour décider d’une motion de synthèse? Cela ne se peut puisqu’ils sont censés avoir existé et travaillé dans des régions différentes, à des époques différentes et avec des « théologies » différentes ? Et puis pourquoi ce verset particulier et non pas un autre? On observera d’ailleurs que ce verset « synthétique » est loin d’être isolé, que le premier de cette sorte apparaît dans le livre de la Genèse à propos de la situation de l’Humain au Jardin d’Eden (Gn, 2, 15).

S’il faut relever cette contradiction, c’est pour mieux comprendre la présence en effet simultanée de ces trois noms au moment où une intervention décisive se prépare dans laquelle la Présence divine va s’impliquer dans l’histoire humaine. Selon la Tradition sinaïtique, et contrairement au stéréotype précédent, comme on a commencé de l’indiquer, chacun de ces trois noms correspond à une modalité de l’action divine et leur présence simultanée signifie que ces trois modalités vont s’exercer, parfois séparément, parfois corrélées mais qu’il ne faut surtout pas les disjoindre. En ce sens Elohim correspond à la modalité ou à la dimension de justice (din), cette justice qui est inhérente à la culture égyptienne mais que ce pharaon là, « qui ne connaissait pas Joseph », violente et bafoue. Quant au Tétragramme, il correspond à la dimension de compassion et de miséricorde (rah’amim) qui sera perpétuellement présente, prête à s’exercer dès l’instant où le maître de l’Egypte répondra sans ambiguïté à la demande divine, transmise par Moïse, sans en rien retrancher, sans aucune réserve mentale. Quant à Anokhi – dont on se souvient qu’il correspondait à une question posée par Moïse au Buisson ardent (Ex, 3, 11)- il se rapporte à la Présence personnelle du Dieu libérateur, celle qui s’adresse à chaque Bnei Israël en particulier et à l’ensemble du peuple nommé de ce Nom, ce nom qui ouvrira une autre phase de la révélation divine, celle du Sinaï, du Décalogue, celle qui justifie que l’actuelle soit engagée en pays de grande servitude: « Je suis (Anokhi) l’Eternel (Tétragramme) ton Dieu (Elohekha) qui t’ai fait sortir du pays d’Egypte, de la maison des esclaves (Ex, 20, 2) ».

En ce verset mémorable les trois noms de Dieu se trouvent une fois de plus réunis et le sens de cette réunion se comprend mieux à l’égard d’un peuple qui commence son cheminement dans l’Histoire à la fois humain et divine, un peuple libéré et qui doit faire l’apprentissage difficile de la responsabilité.

R.D.

Bloc-Notes: Semaine du 5 Janvier 15

In Uncategorized on janvier 13, 2015 at 5:14

7 janvier.

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Se frotter les yeux pour y croire… La nouvelle sanglante et macabre s’affiche là, sur l’écran, comme s’il fallait qu’elle s’y incruste: 12 morts à « Charlie Hebdo » ! La rédaction, à quelques survivants près, est exterminée. La télé confirme. Deux ou trois hommes, cagoulés et armés, ont pénétré dans l’immeuble et ont abattu dessinateurs, chroniqueurs et gardes du corps puisque malheureusement ce dispositif s’était imposé. Les témoignages visuels ne tardent guère. L’on entend et l’on voit deux individus courant vers un véhicule pré-positionné en criant: « Nous avons vengé le prophète ! Charlie Hebdo est mort ! », avant de repartir en trombe. Carnage à la kalachnikof, et aussitôt signé. Entre temps, l’on aura aperçu les deux tueurs achever un policier à terre, comme s’ils avaient voulu écraser un cloporte. Déjà dans la rue d’autres voitures de police arrivent en trombe, sirènes hurlantes. Qui sont les victimes? Les noms s’égrèneront un peu plus tard: Cabu, Wolinski, Charb, l’économiste Bernard Maris, et d’autres… Le grand écart psychique est requis entre ce qu’ils représentent et la mort qui leur a été infligée… Ils se savaient menacés mais faisaient comme si… Peut on mourir pour un trait de plume ou de feutre? Les chaînes de radio et de télé diffusent en boucle les mêmes images. Traumatisme. « Trop-matisme ». La réalité excède ce que l’on peut en comprendre. La chasse aux tueurs a commencé. Ils ont semble t-il changé de véhicule. Leur trace s’efface dans les rues de Paris et de la proche banlieue. D’autres images. Le président de la République, François Hollande, en personne arrive devant le siège de « Charlie Hebdo », flanqué du Premier ministre, du ministre de l’Intérieur et d’Anne Hidalgo, la Maire de Paris. Premières déclarations, à vif, sur le vif. « Attaque barbare ».. « Tout sera fait ».. A l’intérieur des locaux, d’après ce que l’on peut discerner, la vision est effroyable. Puis au fil des heures, de nouvelles précisions. Les victimes ont été tuées pour ainsi dire nominativement. Individuellement et en corps de rédaction. Il faut une fois de plus ouvrir le compas au maximum. Ce massacre pour des dessins… Et au nom de ce « Dieu » que les tueurs nomment « Allah » puisqu’on les a aussi entendu distinctement crier, victorieusement: « Allah ouakbar »… Finalement les tueurs et ceux qui les commanditent auront pris le temps d’exercer leur sinistre et démentielle vengeance. D’autres noms encore tombent: Tignous, Honoré, Cayat… Il ne s’agit plus de savoir si l’on était ou non de leur bord, si l’on adhérait à leurs idées. Pour ceux de ma génération Cabu et Wolinski, surtout, faisaient partie des meubles; Wolinski avec ses débiles libidineux, Cabu avec ses curés, ses imams et ses rabbins, aux bouches dentues comme celles des vampires de ses cauchemars enfantins. Eux, les comiques, les adeptes de la dérision, les maîtres de la caricature auront vu en face l’Ange de la mort sans pouvoir esquisser le moindre croquis. Les tueurs sont à présent repérés du côté de Reims. Auront-ils les moyens de s’exfiltrer hors du territoire français…?

8 janvier.

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Le troisième tueur a sévi. Une jeune policière a été tuée hier d’une balle dans le dos. D’importantes forces de police sont déployées, jusqu’ici en vain. Les chaînes de télé émettent en continu avec ces deux plaies: le bavardage et la pseudo expertise d’«anciens» de ceci ou de cela qui additionnent les hypothèses et les conjectures invérifiables. Le nom des deux tueurs qui ont opéré à « Charlie Hebdo » est à présent diffusé. Il s’agit de deux frères: Saïd et Chérif Kouachi dont les parents sont d’origine algérienne. Eux sont nés en France. Il ne faut donc pas parler de « combattants étrangers » à leur sujet. Les tueurs qui prétendent venger l’honneur du prophète Mohamed sont de nationalité française. Le mot d’ordre est qu’il faut se garder des amalgames, que tout musulman n’est pas un islamiste et que tout islamiste n’est pas un djihadiste; que deux des policiers abattus sont de confession musulmane. Qui le nierait? Pourtant c’est bel et bien « Allah ouakbar » que et la France a entendu proférer par les frères Kouachi après le massacre qu’ils ont commis. Dans quelle case de la sociologie politique et de la pathologie religieuse des années actuelles faut-il loger ce cri de guerre?

9 janvier.

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Alors que la présidence de la République appelle toute la France à manifester dimanche et que de nombreux chefs d’Etat et de gouvernements seront présents, des otages sont retenus depuis le début de l’après-midi dans l’« Hyper cacher » de Vincennes. D’après ce que l’on croit comprendre deux morts, au moins, y gisent déjà. Les autres otages ne savent comment échapper à la démence froide et cynique du troisième tueur tandis que les hommes du Raid ont pris position. Amedy Coulibaly est venu assassiner sur place et en nombre ces hommes et ces femmes, accompagnés d’enfants, pour la seule raison qu’ils sont Juifs. Ils n’ont ni caricaturé le prophète, ni procédé à l’on ne sait quel amalgame islamophobique, puisque telle est la nouvelle langue de bois. On peut être sûr que certains otages sont originaires de pays arabes d’où eux-mêmes ou leurs parents ont naguère été éradiqués. Il n’y a pas d’islamophobie juive mais la judéophobie islamique ne cesse de faire ses ravages… La France entière se prépare à manifester pour attester que la République est indivisible. Du moins en apparence. Car si l’on estime à plus d’un millier les djihadistes français, quel est le chiffe réel de leurs sympathisants et de leur soutiens financiers et moraux?

Si la République se veut indivisible, les esprits le sont-ils?

R.D.

RESTER OU S’EN ALLER? – Radio J 12 Janvier 2015

In Uncategorized on janvier 12, 2015 at 1:01

Commenter sur le vif des événements aussi violents, intenses et d’aussi vaste dimension que ceux de ces jours derniers serait plus que présomptueux. Il faut attendre que la mer se retire pour découvrir ce qu’elle nous aura donné à voir. Dimanche des millions de personnes se sont réunies pour protester contre la tuerie de « Charlie Hebdo », le meurtre de policiers et sans doute aussi l’assassinat de sang froid des clients chabbatiques de l’« Hyper cacher » de Vincennes. Les mesures annoncées par le ministre de l’intérieur, entouré de ses collègues européens, prendront du temps avant de passer en force de loi et surtout d’être appliquées. D’ici là, le calcul des intérêts partisans et la politique politicienne comme on la nomme reprendront leurs droits avec en perspective les prochaines échéances électorales.

Mais c’est essentiellement dans la communauté juive qu’un autre débat a été relancé à la suite de ces carnages et il porte sur la possible décision de âlya de nombreux membres de cette communauté. Ce débat n’est guère simple et il faut veiller à ne pas l’envenimer. Idéologiquement d’abord soit en imaginant qu’une décision de cette portée se prenne sur simple claquement de doigts, soit à l’opposé en décrétant que la vocation des Juifs de France est de vivre en France, quitte à reconstituer l’idéologie qui prévalait dans le judaïsme de la fin du XIXème siècle au temps où ses élites parisiennes croyaient devoir rebuter les démarches de Theodor Herzl.

Surtout les Juifs de France sont de libres citoyens et ils ont le droit infrangible de décider quel sera leur avenir: rester en France, en dépit des attentats récurrents et d’un mode de vie de plus en plus assimilé à la roulette russe; émigrer où ils le souhaitent afin de préserver l’avenir de leurs enfants et des enfants de leurs enfants; ou, en effet, accomplir leur âlya, ce qui relève d’une décision autant spirituelle que corporelle, si l’on pouvait ainsi parler. Dans tous les cas ce choix doit être compris et le cas échéant soutenu. Car – faut-il le répéter? – la ligne de clivage ne passe pas entre ces trois options possibles mais entre ceux et celles qui se trouvent en mesure de leur donner suite et les autres, parce qu’ils sont privés de ressources et que parfois ils peinent à survivre au jour le jour dans des quartiers ou des zones dont les premiers n’ont même pas l’idée.

C’est surtout à ceux-là qu’il faut faire attention au sens politique et éthique, en dehors de tout a priori idéologique au titre d’un sionisme purement cérébral ou d’un franco-judaïsme de style Napoléon III. Puisque le Premier ministre israélien est à Paris accompagné par une importante délégation ministérielle, et qu’il doit rencontrer la communauté juive, il importe sans doute qu’une franche clarification se produise avec les principaux leaders, religieux ou non, de cette communauté prise entre le piège d’un nouveau ghetto, serait-il interne à la République, et l’incertitude d’un départ sans point d’arrivée précis. Plus que jamais, en ces temps de désarroi, les responsables de la communauté juive doivent mériter le titre qui les désigne et auquel ils ont, de leur propre chef, prétendu.

                             Raphaël Draï, Radio J, le 12 janvier 2015.

LE SENS DES MITSVOT: PARACHA CHEMOT

In Uncategorized on janvier 8, 2015 at 1:21

13 ChémothJanv15Texte-2 « Moïse dit à Dieu: « De grâce mon Seigneur, je ne puis pas homme loquace, ni d’hier ni d’avant hier, ni depuis que Tu as parlé à Ton serviteur, car je suis pesant de bouche et pesant de langage ». Dieu lui dit: « Qui a donné une bouche à l’homme? Ou qui le rend muet ou sourd, ou clairvoyant ou aveugle? N’est ce pas moi, Dieu? Et maintenant va! et moi je serai avec ta bouche et je t’apprendrai ce que tu dois dire » (Ex, 4, 10, 11).

Cet extrait du long dialogue entre Moïse et le Créateur au Buisson ardent pose avant tout un problème théologique si l’on définit la théologie comme l’exercice de la pensée qui tente de comprendre ce qu’est le divin. De ce point de vue il est possible de reconnaître deux modalités de cette forme de pensée.

Pour la première, Dieu est inconnaissable parce qu’il est incommensurable au regard de la créature humaine. L’affirment des chants liturgiques comme: « Ygdal Elohim h’ay » ou « Adon Ôlam »: Dieu n’a ni commencement, ni fin, ni forme ni substance. Il ne se situe pas dans un espace parce que l’espace est sa création. Et il n’en va pas autrement du temps. D’où cette autre question: si Dieu est inconnaissable à quoi cela peut-il servir de s’interroger à son propos? En réalité cette première modalité est surtout destinée à prévenir toute captation humaine de l’idée divine, d’éviter que quiconque prétende s’approprier le concept de Dieu pour en faire la base d’un pouvoir à son tour divinisé.

L’autre modalité, illustrée par les versets précités, correspondrait à une théologie existentielle. On le voit ici: le Dieu qui se révèle à Moïse le fait dans un humble arbrisseau, comme pour se mettre à sa portée. Ensuite, il le sollicite et l’engage à lui parler. Ce dont Moïse s’acquitte non sans d’infinies précautions car précisément lorsque la Présence divine se met à la portée de l’esprit humain, elle s’expose à toutes les vicissitudes de celui-ci (mirage, hallucinations, illusions etc..). C’est pourquoi dans ces circonstances Moïse n’hésite pas à demander: « Qui est Anokhi? » ce qui peut s’entendre aussi bien comme « Qui suis-je moi Moïse! » pour que tu me confies une mission aussi exorbitante: d’aller parler à Pharaon afin qu’il laisse s’en aller le peuple hébreu, mais aussi comme: « Qui es tu toi, Dieu? » pour que je défère à ta propre demande.

Quoi qu’il en soit c’est un véritable dialogue qui s’engage et qui se déploie. Le Dieu qui se révèle à Moïse est l’antithèse absolue de Pharaon qui ne permettait d’aucune façon que l’on réplique à sa parole, qu’on lui oppose des objections, qu’on ne l’exécute pas aussitôt qu’elle a été proférée. Au contraire, dans ce long passage du livre de L’Exode, Moïse ne cesse de résister à la Parole divine, de lui opposer objections et contre-arguments comme s’il se trouvait de plain-pied avec la Présence divine au point même de vouloir mettre de soi-même un terme à cet improbable entretien. Car on ne manquera pas de relever un élément discordant dans la réplique de Moïse: il se prétend peu porté à la discussion. Ce n’est pas un rhéteur et l’éloquence n’est pas sa principale qualité. Il n’empêche que depuis plus d’un chapitre à présent le récit biblique nous rapporte ce qui ressemble de plus en plus à un débat avec la Présence divine sans que celle-ci perde patience comme l’on s’y serait attendu selon une vison théologique absolutisée du concept de Dieu.

Qui plus est, Dieu indique à Moïse que c’est Lui et nul autre qui est source de toute parole, origine de tout langage. La formulation biblique est frappante, Dieu est « avec la bouche » de l’Homme lorsque celui-ci est convié à se faire le partenaire du Divin pour l’exécution d’une mission dont dépend la poursuite d’une Histoire indissociablement divine et humaine puisqu’elle met en oeuvre une Berith, une Alliance. Ce qui conduit à cette déduction a fortiori: si au titre de cette Histoire la Parole divine s’engage directement avec la parole humaine, si elle ne s’offense d’aucune objection, quel être humain pourrait s’autoriser à imposer le monologue à un autre être humain, comme s’il était d’une essence supérieure?

Il est vrai qu’aucun dialogue ne saurait non plus aboutir à la dissolution des paroles échangées, faute de décision finale. Le moment viendra où la Présence divine le signifiera nettement à Moïse lequel finira par comprendre qu’il est temps de passer à l’action, que ce qu’il éprouve compte pour peu face à la survie de tout un peuple. Cependant son frère Aharon l’accompagnera. La libération de l’esclavage se place immédiatement sous le signe de la fraternité.

 R. D.