12 janvier.
A n’en plus douter la transfiguration n’est pas un phénomène strictement religieux ou mystique. A la rentrée de septembre, François Hollande était foulé aux pieds par son ancienne compagne, traité de moins que rien, de cœur dur, d’incompétent. On ne donnait pas cher de sa peau et déjà les spéculations concernant 2017 reprenaient de plus belle. A quoi s’ajoutaient d’autres mauvaises nouvelles concernant la lutte contre le chômage. Et puis, hier, à l’extrême opposé de cette « image » calamiteuse, une cinquantaine de chefs d’Etat et de gouvernement ont rejoint le président de la République Française pour protester unanimement contre les attentats terroristes qui ont fait 17 morts la semaine dernière en plein Paris. François Hollande les a reçus à l’Elysée, les uns après les autres, personnellement, comme s’il accomplissait un rite. Ensuite tout ce groupe dont le caractère composite sautait néanmoins aux yeux a défilé sur quelques centaines de mètres, en formant la chaîne de la solidarité internationale face aux massacreurs de « Charlie Hebdo » et de l’« Hyper Cacher ». Massacreurs dont pas un n’a finalement réchappé aux assauts simultanés et coordonnés des hommes du RAID et du GIGN dès vendredi après midi. Après quoi, ce même dimanche, à l’appel des pouvoirs publics, des millions d’hommes, de femmes, et souvent d’enfants, se sont retrouvés dans les rues et sur les places de la France entière pour clamer leur attachement viscéral à la liberté d’expression, le tout à l’emblème du crayon, symbole à la fois tragique et enfantin. Et pas un seul incident. Le trio Hollande, Valls, Cazeneuve a magistralement opéré, avec détermination et sobriété, tenant à démonter que le char de l’Etat était solidement tenu en main. Ainsi la France s’est donné à elle même le spectacle conjuratoire de l’unité spontanée puisque la Droite s’est ralliée sans rechigner ni barguigner à cette manifestation massive. Le Front National a pourtant tenu à faire cavalier seul, tellement seul que nul ne s’est aperçu de son absence. Pourtant la question n’a pas tardé à se faufiler dans ce chœur unanimiste: que restera t-il du 11 janvier 2015? Il ne s’agit pas de jouer les rabat-joies mais de se méfier des illusions unitaires de façade. Tant qu’à faire un bilan, autant le faire complètement. Certes les frères Kouachi et Amedy Coulibally, une fois leurs forfaits consommés, ont été traqués, puis cernés puis abattus en moins de 48 heures. Il n’empêche qu’ils ont tué 17 personnes avant d’être mis définitivement hors d’état de nuire. Aucun des trois n’était inconnu pour les services concernés. Pourquoi et comment ont-il pu organiser leur tuerie sans en être préventivement empêchés? A présent la menace islamiste est devenue patente au regard de la France entière. Pour la neutraliser il y faudra de forts moyens et des budgets conséquents. Où ceux-ci seront-ils puisés? Quoi qu’il en soit, il ne convient pas que dans l’histoire d’un pays un instant chasse l’autre. Dans cette épreuve la France a été reconnue une fois de plus comme le sanctuaire des libertés essentielles et des droits de l’homme. D’où, on l’a dit, l’affluence de ces chefs d’Etat et de gouvernements dont quelques uns n’auraient pu en dire autant en ce domaine. Puisse t-elle ne pas déroger par complaisance ou lassitude à cette vocation puisque par définition et étymologie le djihad se veut également guerre d’usure.
14 janvier.
Discours fervent, flamboyant et inspiré de Manuel Valls à l’Assemblée nationale conclu par l’affirmation de sa fierté, lui natif d’Espagne, d’être français au service d’une nation sans pareille. « Standing ovation », tous groupes fusionnés, elle aussi sans précédent dans les annales parlementaires, avec en prime une « Marseillaise » chantée collectivement, avec un filet d’inquiétude dans les voix. Le plus important cependant est ce qui a suivi: un vote, là encore quasiment unanime, autorisant la poursuite des opérations militaires menées par les forces armées françaises en Irak pour tenter de réduire les milices de l’Etat islamique. Plus de douze années après la chute de Sadame Hussein, et alors que la « guerre de Bush » suscite toujours diatribes et polémiques, la France, qu’on le veuille ou non, a pris la suite des « Marines ». En somme la défense de Vincennes commence à Mossoul. Le porte-avions « Charles de Gaulle » est à cette fin sollicité prioritairement. La France est engagée sur maints théâtres d’opérations. Elle y préserve plus que ses intérêts: une forme de vie. Encore faut-il que le front intérieur tienne plus longtemps qu’une manifestation où le ludique se mêlait au tragique, la gravité au simulacre. Dimanche, François Hollande se tenait les bras, à gauche avec les résidents du Mali, à droite, avec Angela Merkel. Les divergences en matière économiques étaient mises en sourdine. Juste à côté d’eux Benjamin Netanyahou et Mahmoud Abbas défilaient comme s’ils ne se connaissaient pas …
16 janvier.
Lorsque les jours se cognent les uns aux autres l’esprit n’est à rien d’autre qu’à essayer de suivre, de comprendre. L’espace dévolu à la réflexion se restreint et l’on resterait des heures devant la télévision, obnubilé par un événement qui outrepasse douloureusement ce que l’on est capable d’en penser. Comment parler du livre en cours de lecture: « La Reine Margot » d’Alexandre Dumas… Pourquoi s’y attacher? Au delà de son contenu « romanesque » cette oeuvre est l’une des plus dures consacrées à la folie génocidaire d’êtres humains faisant douter du sens vital de ce qualificatif. Il faut relire le récit par Dumas de la nuit du 24 août 1572, celle de la Saint Barthélemy, et prendre la pleine mesure de l’ivresse exterminatrice du sieur Coconnas: « Je ne sais si c’est l’odeur de la poudre qui me grise ou la vue du sang qui m’excite mais je prends goût à la tuerie ( … ) Je n’ai encore fait que des battues à l’ours ou au loup et, sur mon honneur, la battue à l’homme me paraît plus divertissante ». Divertissement dangereux. Coconnas finira décapité par la main du bourreau. Les sbires de Daech ont-ils jamais entendu parler de la Reine Margot?
RD