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Paracha Bo

In Uncategorized on janvier 26, 2023 at 6:41
15 Bo

 (Ex, 10, 1 et sq )

L’obstination du maître de l’Egypte restera dans les annales de l’humanité comme l’exemple le plus terrible de la logique du pire, de l’exaltation de soi et du déni mortel de la réalité. Toutes les frappes qui affligent l’Egypte sont autant de prétextes aux yeux de Pharaon pour s’acharner en son refus, de paraître chaque fois concéder pour n’avoir à rien céder. Il semble qu’après chaque plaie, il veuille gagner du temps vers un objectif que l’on suppute mais qui de sa part ne se déclare jamais clairement. Escompte t-il que Moïse, considéré comme un égyptien, un mitsri, épuise ses tours, et que pareil au chasseur dont le carquois s’est vidé il se retrouve le point d’être attaqué par sa proie?

L’historien des mentalités que fut Lucien Febvre nous a mis en garde: les structures psychiques de l’humain ne sont pas des invariants. Ce qui nous est devenu compréhensible aujourd’hui ne l’était pas il y a deux siècles seulement, sans parler de millénaires. La «psychologie» de Pharaon ne s’explique pas aisément. Elle se constate.

Après les sept premières plaies, le Maître divinisé de l’Egypte persiste dans son refus, même s’il paraît, comme on l’a dit, faire chaque fois amende honorable, pour ne pas parler de repentir. Chaque fois, dès que les effets de la plaie se font moins sentir, au lieu d’en tirer les leçons il s’encourage  dans son obstination. C’est sans doute de cette façon que l’on peut concevoir le schème si souvent répété dans ces chapitres selon lequel «Dieu endurcit le cœur de Pharaon». C’est à la seule évocation de ce Dieu qui ne tombe pas sous sa coupe que l’esprit de Pharaon  se raidit, s’enferme sur lui même, la phobie aggravant l’obsession. Nous découvrons là devant des échelles de pouvoir dont  seuls les totalitarismes contemporains  restitueront l’idée.

Cependant, pour les esclaves hébreux l’issue est proche. La plaie des ténèbres semble avoir profondément ébranlé le Pharaon obstiné dont même la dévoration des sauterelles n’a pu avoir raison. Et encore: il manœuvre, il louvoie, il accepte que les Hébreux quittent l’Egypte mais en laissant leur bétail si ce n’est leurs enfants en gages ou en otages.  Il  faudra une dernière plaie – la plus terrible – pour qu’il ouvre enfin le verrou dix fois verrouillé de l’Egypte: la mort des premiers nés, dont le sien.  Alors il cède tout ce qu’il avait refusé jusque là: que les hébreux s’en aillent au plus vite  et, comme tous les potentats qui s’effondrent, le voici se déjuge, qui demande à Moïse, une fois que les Hébreux se seront munis de tout ce dont ils ont besoin pour la route, de le… bénir. Le récit biblique ne dit pas si Moïse s’est exécuté. Hélas, nous ne sommes plus au temps de Joseph, de Jacob et du Pharaon hospitalier…  Néanmoins, et jusqu’à cette extrême limite, rien n’assure que le Maître de l’Egypte – ou ce qu’il en reste,  et d’elle et de lui! – se soit rendu à merci…

Il n’empêche. Dieu l’avait demandé à Moïse avant même la dixième plaie: que les enfants d’Israël se préparent à partir. Le temps est venu, même si l’instant exact n’est pas fixé car le Créateur n’est pas assujetti au temps chronologique. Ce sera aux environs de minuit et ce minuit sera différent de tous ceux qui l’ont précédé. Il ne marquera pas un simple partage de la nuit commençante et de la pleine nuit  mais une distinction entre deux âges du monde: celui de la servitude et celui de la délivrance. C’est sur le territoire même de l’Egypte que les deux dimensions de cette délivrance sont soulignées: la délivrance des corps va se consommer mais pour s’articuler sans désemparer à celle des esprits, et la tâche ne sera guère plus facile. On ne sort pas de plus de deux siècles d’esclavage par simple proclamation. Il faudra y œuvrer corps et âme. Et à cette fin, en finir avec la peur.

Si la nuit de la délivrance est fixée au 14 Nissan, c’est dès le 10 de ce mois que les esclaves commenceront à se départir des chaînes mentales d’un pareil état. Ils devront par eux- mêmes acquérir l’agneau du sacrifice – liturgie odieuse pour l’Egypte –  et le maintenir quatre jours durant dans leur habitation. La Sortie d’Egypte ne sera pas un sauve – qui – peut. Après quoi, ils devront distinguer leur habitation de celles des Egyptiens  par une marque de sang, celle du sacrifice, aux poteaux et au linteau de leur porte. Par là même ils assumeront  ce que l’on nomme aujourd’hui leur identité.

Dans l’attente de la plaie fatidique, les Hébreux doivent se tenir prêts pour le départ non sans avoir fait mémoire de tous ces événements, plus tragiques les uns que les autres. Si le Pharaon était tenté d’en effacer les moindres traces, celles-ci se retrouveraient transportées dans la liturgie pascale avec ces quatre symboles essentiels, ces quatre inducteurs de questions, lesquelles impliquent d’ores et déjà une complète liberté de parole: la coupe de vin, le pain azyme, les herbes amères et l’agneau du sacrifice.

C’est également en terre d’Egypte que sont déterminés les cadres mentaux du peuple nouveau-né: son calendrier, ses institutions fondamentales, notamment celle d’une Loi  non discriminatoire pour l’ancien esclave libéré, l’ezrah’, et l’étranger, le guer, sans pour autant confondre les croyances et les cultures. On ne changera pas la boue des champs de corvée pour celle de rituels et de liturgies devenues indiscernables. Ce n’est pas en se dissolvant que l’on accède à l’universel. Mais, comme on l’a dit aussi, après que l’Egypte a été frappée dans ses premiers nés – en souvenir desquels toutes les règles bibliques de la dévolution des aînés à l’Eternel trouve sa cause – il ne faut pas imaginer Pharaon rendu.

A ses yeux la partie n’est pas perdue. La configuration de l’ultime bataille se dessine déjà dans la topographie du désert et dans l’aveuglement des anciens esclaves qui le demeurent à ses propres yeux …

Raphaël Draï zal, 1er Janvier 2014

Parache VAERA

In Uncategorized on janvier 20, 2023 at 8:23
14 Vaéra

(Ex,  6, 2 et sq)

Pharaon et sa cour n’ont pas voulu entendre la demande transmise par Moïse et Aharon, au nom  du Créateur, de laisser le peuple hébreu quitter la terre d’Egypte sans encombres. Pharaon prétend ne pas connaître ce Dieu prétendument libérateur. Et puis comment l’Egypte survivrait-elle sans ces myriades d’esclaves si durement asservis qu’ils en ont presque perdu l’usage de la parole, et dont la conscience s’est tant étrécie…

A la demande  formulée de telle manière qu’elle ne porte atteinte à aucune des prérogatives du Pharaon, celui-ci a répliqué par une aggravation sans précédent des conditions de l’esclavage. Au point que Moïse en arrive à mettre en cause le sens de son insistant envoi par le Créateur auprès du Maître de l’Egypte. On pourrait ainsi penser que la réaction du Dieu des Hébreux s’assimile au courroux d’une divinité défiée dans son existence même par un être de chair et de sang, déifié, lui, par un peuple à peine moins esclave que les hébreux qui piétinent du soir jusqu’à la nuit dans les champs de boue. Une autre lecture, là encore, s’ouvre devant l’interprète. Est-il possible de contenir, de refouler une force de vie incommensurable et qui tend à se révéler irrésistiblement au plein jour? Quel barrage lui résisterait longtemps?

Bien des égyptologues considèrent que les récits de L’Exode sont des légendes idéologiquement orientées, quand ils ne sont pas traités de billevesées par ces spécialistes qui n’en trouvent pas trace dans le sol égyptien. Pourtant n’est-il pas arrivé que le Sphynx fût ensablé au point de devenir invisible? Et puis qu’appelle t-on «trace»? Par quelle aberration méthodologique faudrait-il considérer que les récits de L’Exode n’en portent pas aussi, qu’il  faut savoir discerner et suivre? Quoi qu’il en soit, une épreuve de force est maintenant engagée entre d’une part le Pharaon et les divinités qui l’inspirent, et d’autre part le Dieu des hébreux s’exprimant par le chenal fraternel de Moïse et d’Aharon, Moïse qui ne minimise en rien les pouvoirs du maître de l’Egypte, qui sait combien celui-ci sait se montrer intraitable, surhumain, et doué de ruse… Cependant le Créateur l’en assure: Sa main puissante fera s’ouvrir les frontières de l’Egypte carcérale. Alors, il eût mieux valu pour elle que son maître du moment se montre accessible à la demande initiale qui lui avait été adressée.

Vont suivre huit prodiges destinés à forcer ce verrou fermé de l’intérieur qu’est l’esprit de Pharaon. Répétons le: ces prodiges-là peuvent être récusés par d’autres esprits, non moins verrouillés du dedans à leur tour, qui se réclameront d’un positivisme expérimental. Comment croiraient-ils à des « miracles » que l’on serait bien en peine de reproduire expérimentalement aujourd’hui pour établir la preuve de leur véracité! A n’en pas douter, cette preuve serait difficile à administrer telle quelle. Pour cela il faudrait reproduire tout aussi expérimentalement et positivement les conditions à la fois géologiques, sociales, psychiques, de langage et de croyance qui furent celles de ce temps. Toutefois, sachons écouter un récit pour ce qu’il dit et ne pas le récuser pour les éléments qu’il ne contiendrait pas à nos propres yeux. Bien des hypothèses sont concevables et acceptables concernant les causes de ces prodiges et autres « frappes », avec les modes opératoires qui leur ont donné un effet finalement décisif. On s’en est expliqué dans «  La Sortie d’Egypte, l’invention de la liberté [1]». L’essentiel du récit biblique n’en procède pas. Il porte sur deux faits, autant mentaux, qu’éthiques et politiques. Comment un homme – car quoi qu’il prétende Pharaon est un humain – peut-il vouloir en asservir d’autres, les réduire à l’état d’automates terreux et terrifiés? Par ailleurs, et suivant les termes de ce même récit, comment le Dieu qualifié de Créateur peut-il en arriver à endurcir  intentionnellement le cœur de cet homme afin qu’il ne défère pas à Sa parole, qu’il s’enferme dans une  obstination auto-destructrice pour sa personne, pour sa progéniture et pour le peuple qui l’a divinisé? Comment le Dieu de la Thora peut-il avoir créé la capacité originelle de repentir, de téchouva, avant même que l’univers n’advienne, et comme une  condition de son apparition à partir du Rien, et la refuser à  celui qui reste une de ses créatures?

A la stratégie du pire que Pharaon déploie, Dieu répond-il par une théologie de l’omnipotence? D’autres hypothèses notamment psychanalytiques ont également été formées à cet égard et l’on se reportera  particulièrement à celles d’Eric Fromm. Mais ne faut-il pas reconnaître dans cette épreuve de force une dislocation de l’Alliance, de la Berith originelle que constitue la création de l’Humain à la semblance de Dieu, ou en corrélation avec Lui (betsalmo ou bedemouto) (Gn, 1, 26)? Lorsque cette Alliance est pleinement vécue, comme elle l’a été entre Dieu et Moïse, la relation qui en découle est un dialogue, mené face à face, à l’instar d’« un homme qui parle à son ami », précise un commentateur de la Thora. Au contraire, lorsqu’elle est déniée, lorsque un homme, serait-il Pharaon, récuse l’existence du Créateur, celui-ci ne disparaîtra pas pour autant mais il vivra, dans l’esprit du négateur, d’une vie refluant à rebours de la Création, possiblement destructrice, tant cette négation verbale s’assimile à un refoulement psychique d’une extrême violence, propice aux cauchemars, aux hallucinations, à ce qu’Elias Canetti qualifie de «rétromorphoses ». Des siècles plus tard, Nabuchodonosor et Balthazar en seront les impressionnantes illustrations babyloniennes.

En attendant, la paracha « Vaéra », au début de laquelle est annoncée la commutation du nom de Dieu d’El Chaday au Tétragramme, ce qui constitue un incommensurable changement d’échelle, relatera pas moins de sept prodiges introduits par la transformation en serpent du bâton de Moïse  (Ex, 7, 9): le sang, les grenouilles, les poux, les bêtes fauves, la peste, les ulcères, la grêle. A l’évidence, le chiffre 7 n’est pas aléatoire. On sait ce qu’il représente dans la structure de la Création, à quelque niveau qu’elle soit considérée. Refuser de libérer le peuple hébreu réduit à un esclavage inhumain et prétendre détenir en Egypte le Dieu créateur du ciel, de la terre et de l’humain, serait vouloir enfermer le feu du monde d’en-haut et du monde d’en-bas dans une coquille de noix. Cela, Pharaon, manœuvrier comme jamais, semble ne pas le comprendre.

Raphaël Draï zal, 26 décembre 2013


[1] Fayard, première édition 1986.

LA LOGIQUE DU PITRE

In Uncategorized on janvier 15, 2023 at 11:52

1- Bascule d’un ancien comique.

Comment, en ce début 2014, devient t-on « Dieudonné M’Bala M’Bala », l’ennemi public n°1 de la communauté juive de France, stigmatisé par le Ministre de l’Intérieur avec l’appui de la Garde des Sceaux et le soutien du Président de la République, mais réunissant des milliers de spectateurs payants et faisant son gras des « produits dérivés », comme l’on dit, tout en ayant organisé son insolvabilité afin de ne pas acquitter les amendes prononcées à la suite d’au moins quatre condamnations pénales pour incitation à l’antisémitisme?

La question vaut d’être posée car on ne peut oublier que ce triste pitre a longtemps formé tandem avec Elie Semoun lequel ne dissimule pas plus son judaïsme que Djamel Debbouze ne cache son identité musulmane. Comment – et surtout pourquoi? – passe t-on de sketches plutôt amusants, dans lequel le comique Juif et le comique Noir se moquaient des travers de notre temps, à cette véritable guerre, menée en solo contre les Juifs en général et la communauté juive de France en particulier, faisant feu de tout bois, sans aucun respect pour ce qui semblait hors d’atteinte des quolibets et dérisions: la Shoah, avec ce qu’elle implique? Comment en arrive t-on à être happé par cette logique du pire qui incite à des provocations cyniques sur des thématiques pénalement réprimées et, à la suite des plaintes judiciaires inévitables et des condamnations qu’elles entraînent le plus souvent, à en rajouter, en rajouter encore, et toujours plus, jusqu’à heurter les consciences à leurs racines mêmes et susciter des souhaits de disparition complète de la scène publique du pitre en cause; car il y a longtemps, bien longtemps, que Dieudonné ne fait plus rire.

Comme pour Youssouf Fofana ou Mohamed Mérah, il faut s’interroger sur les antécédents de ces personnages et sur ce moment de bascule vers « l’autre côté », celui dont on ne revient en général que menottes aux poignets, et parfois, à l’instar de Mérah, les pieds devant. La comparaison entre Mérah et Fofana d’un côté et Dieudonné de l’autre est-elle excessive? Dans le climat actuel on pourrait le penser, sachant que Dieudonné a fait l’objet de plusieurs condamnations au pénal au motif d’antisémitisme. Dans tous les cas il y a passage à l’acte, pour Merah et Fofana avec des armes létales, pour Dieudonné par l’usage de mots empoisonnées et d’images assassines, avec la circonstance aggravante, s’agissant de Dieudonné, qu’il se produit en public, exporte ses délires et les commercialise mettant ainsi en danger la vie d’autrui. Faut-il en chercher la cause dans une rivalité mal assumée face à son binôme d’alors qui s’est mis à voler de ses propres ailes puis à conquérir une notoriété de meilleur aloi que celle d’un comparse laissé pour compte et qui cherche désormais à se venger comme un amoureux dépité? Pourtant, si tous les concurrents malheureux, les époux trompés et les amants largués se convertissant à titre cathartique à la haine antijuive la planète serait mise en danger plus mortel qu’avec les émissions de CO2! De ce point vue la logique du pire reste bien une logique puisque par cette véritable descente aux enfers Dieudonné démontre lui même son absence de vrai talent et justifie que son binôme de naguère n’ait plus voulu poursuivre une route commune. Il y a en effet longtemps que le personnage n’amuse plus les vrais amateurs de rire dont on sait à quel point, pratiqué avec esprit, il est salutaire pour l’âme et pour le corps. Les batailles de tarte à la crème ont fait rire aux éclats les enfants que nous avons été. Les insultes ricanantes, les injures à se tordre, le détournement du rire et de l’humour à des fins haineuses n’appellent que le mépris. Sauf qu’avec Dieudonné, il ne s’agit pas d’agressions commises dans l’obscurité de ruelles malfamées. Ses agressions sont perpétrées à la lumière des sunlights et des projecteurs, préparées par le tout-à-l’égout du pire de l’Internet et des réseaux dits « sociaux ». Car Dieudonné l’a compris: la démocratie se contourne et se détruit par ces procédés pervers qui consistent à jouer la loi contre elle même, à profiter de la liberté d’expression pour insulter et injurier, en plaçant les institutions de la République devant des dilemmes quasiment insolubles: n’en rien dire favorise la propagation de cette malfaisance, la combattre c’est contribuer gratuitement à sa publicité. C’est ici qu’apparaît le deuxième élément, décisif, du système Dieudonné: la présence d’un public qu’il réussit à amalgamer devant sa bouche d’ombre.

2- Le rire des complices.

Dieudonné ne serait rien sans son public. Bien sûr il est fait état à son sujet d’autres aides occultes ou inavouables qui expliquent, dit- on, ses passages en Iran et sa barbe «salafisante». Pourtant le triste pitre ne serait rien sans ce public addictif qui lui apporte soutien psychique et financier, lui procurant ce sentiment d’impunité qui lui permet de récidiver, tout en se laissant happer chaque fois un peu plus par cette logique qui s’avèrera, n’en doutons pas, destructrice. Qui donc compose non pas à proprement parler ce « public » mais l’engeance, au sens de la sociologie des bandes, qui le porte? Les quelques reportages ou fragments de reportages disponibles ne permettent d’en avoir qu’une idée elle même fragmentaire. Il y a d’abord le «noyau dur»: les antijuifs invétérés, rabiques et incurables, à propos desquels même la psychiatrie ne sait que dire. On y discerne ensuite les antijuifs islamistes qui lisent le Coran après de fortes inhalations des « Protocoles des Sages de Sion »; et les antisionistes idéologiques, auto-convaincus que l’Etat d’Israël est une création du Lobby Sioniste Mondial dont le CRIF est l’émanation française; et puis les antijuifs empiriques, ou d’occasion, qui ont eu un différent avec un voisin ou un collègue juif, ou présumé tel, et qui viennent chez Dieudonné exhaler leur rancoeur homicide parce qu’il n’y pas plus de Kommandantur ou de Commissariat aux Affaires Juives à qui adresser des lettres de délation. Sans parler des belles âmes prédisposées, pour lesquels les images à sens unique en provenance du Moyen Orient causent ce que l’on pourrait appeler des « préjudices mentaux médiatiques ». Pourquoi s’en étonner? Dans « Le Figaro » du 4 mai 1948 – donc trois ans à peine après la découverte des camps de la mort, François Mauriac pouvait écrire: « L’antisémitisme est loin d’avoir disparu depuis que l’écroulement du nazisme a interrompu la proscription de la race infortunée ». On a bien lu: pour Mauriac il ne s’agit que d’une interruption. Cependant, il n’y pas que le noyau dur, il y a les autres, tous les autres, ceux qui n’hésitent plus à faire le geste de ralliement que l’on sait, ceux qui viennent inhaler un air empuanti pour s’encanailler, par jeu, pour passer un bon moment ludique, par bravade, par esprit de transgression, pour se prouver qu’ils n’ont peur de rien, qu’ils ne respectent personne, qu’il n’y a plus de tabou; tous ceux et celles dont le « moi » pour employer une caractérisation plus savante est un moi « désencombré », désencombré de normes, de valeurs, de scrupules, de limites et aussi de vrai courage. A cet égard, et sans abuser de ce terme, ils forment la symptomatologie de ce qu’Alain Touraine, nomme, dans un autre ordre d’idées, l’« après- social » contemporain, celui des individus qui ne se sentent liés par rien et par personne, pour lesquels la notion d’interdit relève du crime de lèse- majesté. Ces individus qui s’imaginent «souverains» et «résistants» ne font en réalité que céder à ces formes de contagion psychique d’où naissent régulièrement les refrains entêtants, les mots sans signification mais auto-magnétisés (« allô quoi »), les opuscules pavloviens, sans contenu réel, vendus à des millions d‘exemplaires et dont on se demande, tant ils manifestent de débilité mentale et de panurgisme décérébré, pourquoi ils sont si largement repris. Il y faut néanmoins des relais et des des-inhibiteurs majeurs. A moins de se reporter à une pathologie personnelle, comment expliquer que Nicolas Anelka, que Tony Parker, que Mamadou Sakkho, s’y soient laissés allés? Cependant ils ne sont pas les seuls et ils ont été épinglés à cause d’une célébrité qui, au contraire, aurait dû les en dissuader. Il ne faut pas se tromper: laissée à sa propre pente cette contagion aurait tôt fait de transformer le métro en champ de bataille.

Tout cela noté, et conscients que l’indignation n’a jamais remédié en tant que telle à quoi que ce soit, quelles sont les issues? Elles apparaissent de trois ordres, sachant également que l’antisémitisme est une pathologie trans-générationnelle qui se transmet de mémoire en mémoire. La première est d’ordre judiciaire et policier. Il importe que disparaisse le sentiment d’impunité qui incite Dieudonné à parader, à signer et à persévérer. Ses condamnations ne sauraient plus longtemps rester ineffectives. Puisque le pervers joue avec la loi, il faut lui en inculquer, comme il se doit, et avec persistance, les obligations. Par ailleurs, et dès lors que le triste pitre est sous le coup de plusieurs condamnations, ceux qui l’hébergent, qui accueillent ses spectacles et favorisent ses récidives en deviennent les complices et appellent solidairement à leur encontre les sanctions du Code pénal. C’est lorsqu’il n’a plus trouvé d’hébergement qu’Abdelhakim Dekkar, le tueur de Libération, s’est rendu à la police. Reste le «public» de Dieudonné. Là encore, les individus qui le constituent doivent être persuadés que leur présence à ses « spectacles » les rend à leur tour complices des instillations collectives de haine antijuive qui s’y produisent et qu’à tout le moins ils aient le courage de s’y réunir à visage découvert.

Une société ne choisit pas toujours les maux qui la minent. Une fois qu’elle les a décelés, si elle ne les combat pas pour s’en guérir, il est rare qu’elle n’en paye pas le prix. Les « retours » calamiteux de l’Histoire sont toujours annoncés par l’impunité toxique de délinquants récidivants, émerveillés par leur audace et qui finissent par se prendre pour des héros.

                                      Raphaël Draï zal, 6 Janvier 2014

Ces éléments d’analyse reprennent en les développant les thèmes d’une chronique diffusée par Radio J, le 6 janvier 2014.

PARACHA CHEMOT

In Uncategorized on janvier 12, 2023 at 6:16
13.Chémoth

La Genèse s’inaugurait par un récit de création. L’Exode commence par un récit de destruction, par la tentative d’extermination d’un groupe humain venu en Egypte du temps de Jacob et qui y était devenu un peuple: le Âm Israel. Pourquoi ce changement de climat, cette mutation de civilisation, si le mot de civilisation pouvait s’accoler à celui d’extermination ?

Deux facteurs – clefs doivent être envisagés: la prospérité des descendants de Jacob et le changement de dynastie en Egypte. Pour le premier, une observation s’impose. Il est dit à propos des Bnei Israël qu’ils prospèrent, (perou), qu’ils se prolifèrent (ychrétsou), qu’ils se multiplièrent (vayrebou) et qu’ils devinrent puissants (vayâtsmou)» (Ex, 1, 7). Cette séquence ne va pas sans rappeler celle évoquée précisément par La Genèse à propos du viatique donnée par le Créateur à l’Humain: « Il les bénit et dit: « Prospérez ( perou )  et multipliez vous ( ourebou ), peuplez la terre ( mil’ou eth haaretz) et gouvernez la (vekibchouha ) » ( Gn, 1, 28) ».

En terre égyptienne, cet ordre, ce seder, n’est pas exactement suivi. S’y est introduit une phase de prolifération, donc dérégulée, tandis qu’y manque la phase de gouvernance, comme si les Bnei Israël avaient occupé toutes les positions de pouvoir secondaire, sauf la principale. En Egypte ils n’avaient pas pris le pouvoir politique, le laissant en déshérence. D’où ce qui suit: surgit en Egypte un roi «nouveau» dont la principale caractéristique est qu’«il ne connaissait pas Joseph»; un roi né de lui même, sans mémoire, sans tradition et, à la différence d’Assuérus, sans annales non plus. Pour lui le passé n’existe pas. Le monde est né du jour où il a accédé au trône. Les bienfaits que Joseph a dispensés à l’Egypte, surtout au temps de la famine, sont comme s’ils n’avaient pas été accomplis. L’amnésie renforce l’ingratitude qui, en retour, la motive et qui absout ce Pharaon sans généalogie de la malfaisance du projet qu’il conçoit: réduire le Âm Israël à l’impuissance afin qu’il ne se coalise pas, dit-il, avec les ennemis réels ou présumés de l’Egypte et qu’il en vienne à quitter le pays. Comme si telle n’avait pas été la vocation des descendants de Jacob-Israël et de ses fils une fois leur séjour égyptien parvenu au terme prévu.

Ainsi la mentalité paranoïde aggrave la volonté de pouvoir absolu. Néanmoins, ce Pharaon, qui n’a plus rien à voir avec celui qui accueillit Jacob et qui en reçut par deux fois la bénédiction, ce pharaon amnésique n’en a pas moins le sens du temps, du temps stratégique. Il prendra la sien pour transformer une collectivité humaine, féconde et porteuse de bénédictions, en un magma d’esclaves, dépouillés de leur statut antérieur, spoliés de leurs biens justement acquits, réduits à un asservissement décervelant et désespérant, au point de ne plus vouloir assurer leur descendance. Une propension autodestructrice à laquelle un homme et une femme lévites vont mettre fin.

Un enfant leur naîtra qu’ils s’empresseront de soustraire au coutelas infanticide des sbires pharaoniques. L’enfant est placé dans un berceau, quasiment homologue à l’arche de Noé, puis confié aux eaux du Nil, sous la surveillance de sa sœur Myriam. L’esquif est remarqué par la fille de Pharaon, recueilli par elle et l’enfant sera sauvé. C’est elle qui lui donnera son nom: «Moché», soit, comme l’explique  Samson Raphaël Hirsch, non pas «celui qui fut tiré des eaux», passivement, mais «celui qui tirera des eaux» – celles de l’amertume et de la désespérance – ses frères qu’il aura reconnus. Toutefois, la femme salvatrice, la bien-nommée Bithiah, «la fille de L’Eternel», ne se substituera pas à la vraie mère de son fils adoptif  et c’est Yochébed qui nourrira  l’enfant élevé par ces voies à la fois dans la Tradition d’ Israël et  selon les normes et la culture de l’Egypte.

L’enfant grandit au palais de Pharaon lorsque se produit un événement qui bouleversera le cours de sa vie. Aux abords du palais un maître de corvée bâtonne un esclave hébreu comme on ne maltraiterait pas un âne. La scène traumatisante révolte Moïse qui tue l’Egyptien  puis qui le dissimule avant de s’enfuir puisque deux autres esclaves, se querellant, lui font comprendre que son crime – car c’en est un – ne tardera pas à être découvert. Par où se retrouve le mouvement de relégation – révélation dont on a vu qu’il parcourt comme un fil rouge La Genèse.

Moïse trouve refuge au pays de Madian et se fait berger des troupeaux du prêtre de ce lieu, de Yétro dont il épouse la fille Séphora. Et c’est alors qu’il paissait les troupeaux de son beau-père que la voix de l’Eternel, celle de sa conscience aussi, le convoque du plus intime d’un humble buisson pour lui enjoindre de se rendre en Egypte afin de solliciter du Pharaon qu’il laisse s’en aller le peuple d’Israël, qualifié « d’aîné » (bekhori) du Créateur. Pourtant Moïse ne se laisse pas convaincre aisément. Il accumule prétexte sur prétexte jusqu’au moment où paraît son frère Aharon qui pourrait bien lui être substitué. Au bout d’un échange sans pareil dans toute la Thora, mis à part la proclamation du Décalogue, et au cours duquel l’Eternel se sera révélé comme «Ehyeh acher Ehyeh», non pas tautologiquement comme: «Je suis celui qui suis» mais: «Je serai qui je serai», un futur de futur rendant possible le recouvrement de l’espérance, Moïse se rend enfin en Egypte où il se fait reconnaître des esclaves hébreux puis est reçu au Palais de Pharaon. Arrivé devant le Maître de l’Egypte il formule à son intention la demande conçue par l’Eternel lui même. Hélas, au lieu d’y accéder, le Pharaon aggrave encore l’asservissement des esclaves dont la condition se dégrade en véritable torture.

Arrivé à ce point d’avilissement, Moïse ne comprend plus le sens de la révélation divine. Était-ce pour en arriver à ce degré d’au-dessous la Création que l’Eternel, au Buisson ardent, a réduit une à une toutes ses résistances, rétrospectivement légitimées! Moïse interpelle le Créateur: pourquoi (lamah !) laisse t-il une pareille malfaisance sévir contre ce peuple!

L’interpellation et si forte et tant sentie que la Voix divine l’en assure: on n’en restera pas là et Moïse sera à la fois l’acteur et l’annaliste de ce qu’il va advenir maintenant en Egypte.

Raphaël Draï zal 17 décembre 2013

PARACHA VAYEH’I

In Uncategorized on janvier 5, 2023 at 7:30
12.Vay'hi

(Gn, 47, 28 et  sq)

Cette paracha est la dernière du Sépher Beréchit. Si l’on considère la structure de ce premier livre du Tanakh, l’on observe que la moitié, ou presque, des parachiot y sont dévolues à l’histoire de Jacob, de ses épouses, et de ses enfants. C’est souligner son importance et la nécessité de l’étudier en profondeur.

Une fois reconnu de ses frères, et ayant retrouvé son père venu en Egypte à sa rencontre, Joseph continue de gouverner le pays sans doute le plus puissant de l’univers habité. Mais si Jacob dans ce même pays, affligé par une famine qui a conduit tout un peuple à se placer en servitude sous le pouvoir de Pharaon, si Jacob peut prendre quelque repos, il entre dans l’ultime phase de la vieillesse, celle qui le rapproche du terme inéluctable. Il lui faut ainsi veiller à la transmission de la bénédiction dont il est le porteur depuis Abraham et Isaac, et avant eux depuis le premier Homme. Il n’est pas question de flatter tel ou tel de ses fils. Il lui faut discerner celui d’entre eux qui sera le plus apte à poursuivre en effet cette trans-mission. C’est pourquoi son entretien électif le disposera, sur son lit d’agonie, et tandis que son regard s’obscurcit – comme s’était obscurci le regard de son propre père – face à Joseph qui n’est pas cité selon ses titres quasi-pharaoniques mais exclusivement comme « son fils » (beno).

Joseph ne vient pas seul. Ses deux fils, Menaché et Ephraïm, l’accompagnent et Jacob-Israël fait pour ainsi dire leur connaissance. On peut d’ailleurs s’étonner que l’événement se produise à cet instant seulement, si tard. Avant tout Jacob a fait jurer son fils que celui-ci veillera à le faire inhumer non pas en Egypte mais dans le caveau de Makhpéla, avec ses pères. Il semble que ce serment, drastique, ait résulté d’un premier engagement verbal, moins ferme, de la part de Joseph. Après quoi intervient la bénédiction directe de ces deux petits-fils et, sous cette modalité, de ceux-là exclusivement parce qu’en réalité, selon ses propres dires, Jacob les considère non pas comme ses petits-enfants mais comme ses propres fils. Schéma qui appellerait une étude de fort prés.

Cependant, c’est le cadet qui sera béni prioritairement de la main droite et l’aîné, à contre-usage – de la gauche. Chiasme qui heurte Joseph, le père effectif, qui a ce moment voudrait se saisir de la main de Jacob pour la replacer dans ce qui lui semble être la bonne orientation. Mais Jacob sait ce qu’il fait et y persiste. L’ordre qu’il indique par ce geste n’est pas destiné à complaire au fils toujours préféré mais à indiquer qui sera le mieux en mesure d’assurer l’histoire du peuple d’Israël en pleine formation et, simultanément, de réaliser la bénédiction pour le genre humain qui s’y attache.

Le dernier instant approche encore. Ces dispositions prises, Jacob-Israël rassemble tous ses fils – on ne sait plus ce qu’il est advenu de Dinah – pour les bénir à la fois collectivement et chacun personnellement. Il faut être attentif aux termes de cette bénédiction d’avant le départ qui, elle aussi, s’assimile à un viatique pour les temps à venir. Ses significations sont multiples et n’apparaissent pas dans une seule lecture, surtout de surface. La découvrir c’est découvrir un autre niveau du langage biblique: le langage prophétique, celui qui vectorise ses contenus dans la direction d’un futur qu’il permet d’entrevoir. Cette bénédiction constitue la première moitié d’une arche qui se parachèvera avec celle de Moïse, à la fin du Deutéronome. Après quoi Jacob, devenu Israël, ayant transmis ce nom programmatique à ses enfants, rend son dernier souffle. Quelle vie aura été plus remplie que la sienne, riche de moments heureux et d’heures enténébrées !

Un deuil de grande envergure est décrété sur l’Egypte. Joseph a fait connaître à Pharaon les dernières volontés de Jacob et le serment par lequel il s’est engagé à l’inhumer hors d’Egypte. Le Pharaon y consent, certes, mais nul ne sait si le cœur approuvait ce à que la bouche exprimait à ce sujet.  Joseph, accompagné d’une imposante escorte cérémonielle et militaire s’en va donc avec ses frères inhumer son père à Hébron où se trouve la grotte de Makhpéla. Pourtant, enfants et troupeaux sont restés à Gochen. Y sont-ils demeurés de leur propre gré ou les y a t-on retenus? Ces notations qui semblent anecdotiques font en réalité comprendre que le climat commence à se détériorer, que le Pharaon hospitalier n’a plus l’esprit tranquille.

N’ont pas l’esprit tranquille non plus les frères de Joseph. La disparition de Jacob leur fait redouter que le fils de Jacob et de Rachel ne retienne plus ses impulsions vengeresses. Sous l’emprise de la peur, ne vont-ils pas proposer à Joseph, en se comportant comme les élites d’Egypte lors des années de la famine, de devenir ses serviteurs! Bien sûr il y a eu réconciliation et pardon mais, quoi qu’il en laisse montrer, la cicatrice de la blessure, notamment celle qui a résulté de sa vente, reste à vif chez celui qui désormais occupe la position suréminente qui est la sienne. Néanmoins Joseph les rassure en tant que de besoin. Si Jacob n’est plus physiquement présent, son image, sinon son âme reste bel et bien vivante. Elle n’a pas quitté Joseph au cachot ni lors des avances lubriques de l’épouse de Poutiphar. Ce n’est pas maintenant qu’il s’en désistera. Dans ces circonstances, le langage dont il use est quasiment identique à celui de Jacob  «Suis-je à la place de l’Eternel !» (Gn, 30, 2) et (Gn, 50, 17)

Trois générations de Bnei Israël vont alors naître et prospérer en Egypte, dans ce pays où, on l’a noté, une fêlure, à peine discernable, ne s’en est pas moins produite, et surtout un pays dont toute la population, on l’a également rappelé, s’est de son propre mouvement réduite à l’asservissement, s’est assujettie comme un seul homme aux volontés du Maître, quel qu’il soit, et quelles que fussent ses intentions.

 La suite va dramatiquement le démontrer.

Raphaël Draï zal, 11 décembre 2013