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OUNETANE TOKEF – L’ASTREINTE DE LA CONSCIENCE

In Uncategorized on septembre 30, 2016 at 3:48
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La prière intitulée Ounetane tokef – littéralement: il est donné force – est l’une des plus prenantes parmi celles qui marquent les liturgies de Tichri, le mois électif de la téchouva, de la « revenance » puisque ce terme est préférable à celui de repentance, par trop doloriste. Qui en est l’auteur? Un anonyme? Rabbi Elh’anan Hakadosh? Plus probablement Rabbi Amnon de Mayence? Les avis divergent, et comme toujours, il n’est pas rare en ce cas que seule la légende arbitre. Alors il faut s’attacher au contenu même du récit légendaire. Son thème principal est connu: au XIème siècle, le Duc de Hesse, à l’instigation de ses principaux conseillers, aurait incité Rabbi Amnon à abjurer la foi juive, la foi du Sinaï, afin de se convertir à celle de Rome. Et Rabbi Amnon aurait demandé un délai de réflexion. Trois jours pour évaluer les causes et les conséquences de cette injonction et pour y parer le mieux possible. Mais sa conscience fut plus astreignante que son sens politique. Et, finalement, s’il ne récusa point le supplice qui l’attendait, c’était surtout pour s’être permis d’envisager la possibilité de quitter la foi d’Israël, fût-ce pour préserver des intérêts qui, dans l’instant où ils étaient soupesés, pouvaient passer pour supérieurs. Il subit ainsi le supplice annoncé qui le laissa privé de ses membres mais non pas de son âme. Et c’est avec un corps réduit quasiment à son tronc que le jour de Roch Hachana il se fit transporter à la synagogue de Mayence pour y professer sa foi, à haute voix, et expliquer, avec ce qui lui restait de vie, que la parole de Dieu ne se renonce pas, parce que le Dieu du Sinaï ne varie pas, ne se déjuge pas, sait soutenir l’Alliance qu’il a contractée avec l’humanité par la voix du peuple d’Israël. L’on ne saurait ici faire l’exégèse de chacune des paroles qui constituent cette astreignante profession de foi. Il suffira de mettre en évidence les quelques éléments suivants.
D’abord elle s’inscrit dans la période allant de Roch Hachana à Yom Kippour, ces dix jours «redoutables» assignés électivement non pas au retour, au sens mécanique, mais à la «revenance», au sens réflexif, de chaque être humain, à la reprise de conscience liée à son origine divine et donc à sa vocation incomparable. L’on dit bien réflexif, par opposition à impulsif, à cela qui incite sans cesse au passage à l’acte, physique ou mental, et provoque le court circuit de la conscience créatrice. De ce point de vue la téchouva s’inscrit dans l’économie profonde de la pensée juive qui «chenalise» ce qui en nous est brut, primaire, compulsif, pour l’élaborer, pour en extraire durablement le sens et le suc. Et cela va de l’alimentation – il faut consommer de la viande d’animaux qui ruminent et non pas qui engloutissent – jusqu’à la manière d’étudier en n’éludant aucune objection, en mettant inlassablement sur métier nos convictions et l’amour propre qui s’y attache – le mauvais amour de soi – jusqu’au moment éventuel du jugement, lequel, à son tour et pour des raisons identiques, doit s’appuyer non pas sur un témoignage unique et isolé mais sur la confrontation d’au moins deux témoins. Le temps de Tichri, que scande le Ounetane tokef, est bien celui de cette «revenance» là durant laquelle chacun et chacune d’entre nous collige en pensée la somme de ses actes et de ses omissions non plus dans la durée d’une seule journée, à chah’arit et à minh’a, mais à l’échelle de l’année pour l’élever à ce degré supplémentaire d’élaboration intellectuelle et spirituelle. Car le sens de nos vies doit s’affiner au moins autant que l’argent et l’or dans le creuset.
Ce n’est pas plus une routine que ce n’est un jeu. Le son du chofar ne doit pas être entendu pour lui même mais parce qu’il évoque celui entendu au Sinaï en préparation du don des dix Paroles, de la Thora et des engagements que le peuple des Beni Israël a souscrits en ce lieu. Ecouter le chofar c’est se replacer dans la révélation du Sinaï, s’y tenir, s’y maintenir. Et ensuite, rapporter directement ces dix Paroles à Dieu qui les a proférées afin qu’elles soient accomplies, qu’elles fussent transformées en actes. Et c’est le moment de ne pas se tromper. Quand dans la prière du Ounetane tokef sont rappelées les jugements de Dieu par lesquels la santé ou l’affliction, la prospérité ou la détresse, l’édification ou l’effondrement, la vie ou la mort adviennent, et cela pour les individus comme pour les nations, ce n’est pas dans le but d’inculquer l’idée autrement insupportable que notre sort serait commandé par une divinité omnipotente et arbitraire, un mélange de Zeus et de Wotan. Ces jugements sont ceux de la conscience selon qu’elle est véritablement entendue et suivie d’effet ou au contraire bafouée et méprisée. Dans un cas comme dans l’autre, durant la période critique allant, on l’a dit, de Roch Hachana à Kippour et qui fait pendant à celle, catastrophique, qui s’était déroulée précédemment du 17 Tammouz au 9 Ab, nos décisions tirent à conséquences. Elles ne seront jamais sans suite. Le choix de la vie est sans alternative. Le récuser ce n’est pas instaurer l’indifférence ou l’on ne sait quel autre état neutre. C’est plutôt susciter le contraire de la vie: la mort des corps, des âmes, la ruine des entreprise, la chute des Etats, la dissolution des civilisations, la destruction des Temples. Car la Présence divine ne s’assigne pas à résidence. Elle n’est «chez elle» qu’au sein de l’être qui a démontré sa dilection pour le vivant, construisant ici bas pour un jour vivre dans le Monde d’en haut. Et c’est pourquoi, la prière du Ounetane tokef est si peu élégiaque, si fortement comminatoire. C’est un appel, au sens vocal et au sens judiciaire. Elle n’incite pas au murmure mais à la proclamation. Seul Dieu ne dort ni ne sommeille parce qu’il est le gardien, le chomer, de la Création et qu’une si complète responsabilité ne souffre pas d’intermittences. La conscience humaine, elle, est parfois portée à se distraire, à s’absenter, à s’assoupir. Le son du chofar, avec ses «longues» térébrantes et ses «brèves» stridentes, la réveille.
Imaginons un instant que le son qui en provient se dote de mots, que le chophar se mette à parler. Qu’entendrions nous? Les réverbérations sinaïtiques du Ounetane tokef.
                                     Raphaël Draï zatsal, 19 juillet 2009

LE SENS DES MITSVOT: NITSAVIM

In Uncategorized on septembre 29, 2016 at 11:36

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« Vous êtes placés (nitsavim) aujourd’hui, vous tous, en présence de l’Eternel votre Dieu: vos chefs de tribus, vos anciens, vos préposés, chaque citoyen d’Israël ; vos femmes, vos enfants et l’étranger qui est dans tes camps, depuis le fendeur de bois jusqu’au porteur d’eau, afin d’entrer dans l’Alliance de l’Eternel ton Dieu (Berith Hachem Elohékha) ». Dt, 29, 9 à 11. Bible du Rabbinat.

Le mot déterminant est ici NiTsAVim, approximativement traduit par « placés ». Mais que signifie justement ce placement? Il faut s’arrêter à la racine de ce terme: TsB(V) que l’on retrouve précisément dans MiTsVa. La disposition actuelle du peuple d’Israël n’est pas seulement géographique ou topographique. Nitsavim désigne autant une disposition physique qu’un état de l’Être. Que les Bnei Israël, en ces parachiot conclusives, soient caractérisés par ce terme signifie alors qu’ils se trouvent intégralement dans les liens de l’Alliance, obligés par une Loi qui transcende les catégories sociales et qui concerne autant le citoyen, l’ezrah’, que l’étranger, le guer. Autrement dit encore, le peuple qui s’apprête à traverser le Jourdain pour investir la terre de Canaan et la restituer à sa vocation première, ce peuple n’est certes plus celui du Veau d’or ou des récriminations incessantes, toujours sous l’emprise parfois hallucinatoire de ses désirs et sa fallacieuse nostalgie d’une Egypte imaginaire. Ce peuple est devenu, après maintes épreuves, celui de la Thora, des 613 mitsvot, et c’est en ce sens précis que tous ses membres, sans exception, sont qualifiés de nitsavim. En eux, la Thora s’incarne. Par eux elle devient effective et efficiente car, et on le répétera jamais assez, en entrant en terre de Canaan ils ont pour mission d’en faire Eretz Israël et non pas de devenir à leur tour des Bnei Canaan. Les Livres des Juges et des Rois relateront d’ailleurs à quel point cette tâche fut difficile et les échecs auxquels elle se heurta.

Cependant, il est possible de soutenir que cette qualification des Bnei Israël, au moment où Moïse s’apprête, non sans arrachement, à les quitter, ayant passé le relais à Josué, va bien plus loin que leur propre condition. Elle concerne l’être même de l’Humain, de Haadam. Souvenons-nous de la manière dont celui-ci fut situé dans le Jardin d’Eden – pour employer cette image: « L’Eternel-Dieu prit donc l’homme et l’établit dans le Jardin d’Eden pour le cultiver et le soigner.L’Eternel Dieu donna un ordre à l’homme (VaYTsaV Hachem Elohim âl Haadam), en disant : « Tous les arbres du Jardin, tu pourras t’en nourrir, mais l’arbre de la science du bien et du mal tu n’en mangeras point; car du jour où tu en mangeras, tu dois mourir » (Gn, 2, 15 à 17) (Bible du Rabbinat).

Que constate t-on? C’est pratiquement un même terme qui désigne la situation de l’Humain au Jardin d’Eden, où il apparaît déjà comme le sujet d’une Loi, d’une MiTsVa générique, qui se décline selon le Midrach en plusieurs catégories de mitsvot spécifiques, et qui caractérise la situation des Bnei Israël au moment de traverser le Jourdain dans le but que l’on a rappelé. Cette identité de terme signifierait que si l’Humain au Jardin d’Eden n’a pas su assumer et mettre en oeuvre la Mitsva générique formulée par le Créateur à son intention, et s’il en est résulté d’une part l’apparition de la mortalité parmi les hommes, et d’autre part, l’externalisation de l’Humain du Jardin vital où il avait placé, à présent, les Bnei Israël, au terme de quarante années d’un incessant travail sur soi, sont en mesure de relever l’humanité première de ses défaillances initiales. L’Humain premier était en quelque sorte MouTsaV, assigné à une loi – et l’on retrouvera toute cette terminologie à propos de l’Echelle de Jacob (Gn, 28, 12) – mais il n’a pas tardé à céder à d’autres impulsions.

A présent ces impulsions-là, même si elles n’ont pas été complètement liquidées, se retrouvent néanmoins liées par une Alliance particulière, l’Alliance de la Thora, qui n’est « ni au delà des mers ni au delà des cieux » mais qui se trouve au plus proche de notre âme et de nos capacités réflexives.

Raphaël Draï zatsal 18 septembre 2014

Commentaire Paracha Ki Tavo

In Uncategorized on septembre 22, 2016 at 9:49

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Par les deux mouvements complémentaires qui les caractérisent, les deux parachiot: Ki tétsé (lorsque tu sortiras …) et Ki tavo (lorsque tu t’en viendras …) sont intimement reliées. Ki tétsé répondait à un mouvement allant de l’intérieur vers l’en-dehors; Ki tavo répond à un mouvement allant de l’extérieur vers l’intime. Car l’on aura compris qu’il ne s’agit pas ici d’une simple entrée, physique, en terre de Canaan en vue de la transformer en Eréts Israël. La transformation envisagée doit conduire cette terre à recouvrer son énergétique et sa vocation originelles, vers le BeRéChiT par quoi a commencé toute la Création. Dès êtres qualifiés de créateurs, parce qu’ils ont appris à maîtriser leurs impulsions primaires, à différer la satisfaction de leurs exigences initiales, le temps de les soumettre à leur jugement, sont désormais au contact intime d’une terre rendue à sa primauté créatrice. Entre eux et elle un véritable échange doit s’instaurer qui fût ascensionnel. La présente paracha peut donc être lue de bien des façons mais elle comporte une leçon d’économie à la fois politique et prophétique.

Cette terre est qualifiée de « possession à héritage (nah’ala lerichta)». L’expression, difficilement traduisible, peut être comprise comme suit. NaH’aLa est construit sur la racine H’L qui désigne à la fois le profane (H’oL), en attente de sa sanctification, et la fluence (NaH’al). Première indication : cette terre n’est pas destinée à être simplement gérée, maintenue en l’état. Elle doit être transformée. Toute transformation implique un dessein et un but. Ils sont indiqués par le verbe LaRéCheT qui désigne, certes, la transmission de patrimoine mais dans le sens du BeRéChiT originel, par un mouvement de remontée de l’état actuel vers la source du vivant. C’est pourquoi la racine RChT se retrouve dans les deux vocables. Par quelles conduites liturgiques ce dessein sera rempli et ce but approché au plus près ?

Du fait même que la récolte a été féconde, selon l’engagement du Créateur, un échange doit s’engager qui n’a rien à voir avec le donnant – donnant ou avec les spoliations du parasitisme sacerdotal. Cet échange est avant tout signe et marque de reconnaissance envers le Créateur, reconnaissance au sens de la gratitude mais aussi au sens cognitif. D’où la désignation précise des prélèvements qui seront dévolus à cet échange prophétique. Ils sont appelés RéChiT selon la signification déjà soulignée. L’être reconnaissant fait dévolution au Créateur de la part de la récolte qui atteste de sa Présence. Aussi cette part prophétique doit être non pas consommée sur le site de la récolte, ce qui pourrait être confondu avec un rite strictement agraire, mais au lieu où le Créateur aura lui même choisi, en toute liberté, si l’on peut dire, de manifester sa présence et son Nom. Au lieu où il peut par ce Nom être appelé et entendu. C’est pourquoi ces prélèvements ne peuvent consister qu’en RéChiT, au sens biblique, autrement dit provenir de ce que l’on appelle « les sept espèces» de céréales et de fruits, purs produits d’Erets Israël.

Pour Yossef Karo, l’auteur du Choulh’ane Âroukh mais aussi de commentaires d’inspiration kabbalique de la Thora, ces sept espèces correspondent aux sept séphirot qui succèdent au trois séphirot initiales (h’okhma, la sagesse ; bina, l’intelligence, et daât, la connaissance) et qui en transmettent l’influx, la hachpaâ. Voilà pour l’intention. Quant à l’accomplissement de la dévolution prophétique, elle incombe également au CoHeN, en ce que le nom qui le désigne comporte à son tour la lettre hei, symbolique de la Présence divine, encadrée par les lettres caph et noun, qui ensemble forment le mot CeN, par lequel, on s’en souvient, sont scandées de manière affirmative et approbatrice les différentes phases de la Création initiale, telle que la relate le Sépher Beréchit, le livre de la Genèse.

Cet accomplissement ne se réduit pas à des incantations ésotériques. Il commence par un récit historique, une remise en mémoire, une anamnèse : celle de l’esclavage égyptien et celle de la libération des champs de corvées où l’esprit humain était réduit à son ombre. Si l’être hébreu est redevenu créateur c’est bien parce qu’il a été libéré, corporellement et mentalement, de cet asservissement au néant.

 La dévolution des RéChiT n’aurait pas de sens si elle ne reconstituait pas ce champ de mémoire qui empêche toute appropriation asservissante, toute captation, toute privatisation d’une terre dans laquelle le Créateur lui même, par le choix du lieu de sa Présence, atteste de sa propre liberté.

La dévolution ainsi engagée et conduite se parachève par trois gestes dont la signification et la résonance s’éclairent par les verbes qui les désignent : hinah’ta (tu reprendras souffle) ; hichtah’avita (tu te ressourceras) ; vésamah’ta (et tu te réjouiras). Une réjouissance qui se distingue de toute « jouissance » égocentrée puisqu’elle doit conjoindre la maisonnée du producteur mais également le lévite qui ne dispose d’aucun patrimoine tangible, et l’étranger, le guer, le tiers, accueilli pour ce qu’il est, parce qu’il est proche et vulnérable, sans autre gage ou contre- obligation de sa part, sauf celle de respecter la loi de la terre ainsi sanctifiée qui lui donne l’hospitalité

La terre conférée par le Créateur au peuple d’Israël est qualifiée de « bonne ». Terre de bonté (erets tova ), elle doit l’inspirer à ceux qui y vivent comme à ceux qui y séjournent.

Raphaël Draï zatsal,  22 août 2013

Paracha Ki Tetsé

In Uncategorized on septembre 15, 2016 at 8:59

48 Ki Tetsé.

( Dt, 21, 10 )

Si la paix, le chalom, est l’une des six valeurs, avec la Thora, la prière, l’altruisme, la vérité et la justice, par lesquelles l’univers se maintient et perdure, la guerre ne peut et doit n’y faire qu’exception. On n’entrera pas ici dans les débats relatifs à la « guerre juste » ou à la « guerre sainte ». La « guerre sainte » est une contradiction dans les termes et la « guerre juste » ne peut pas être jugée telle par ceux là mêmes qui mènent. Toute imputation de justice ne peut s’opérer qu’après -coup et par un tiers impartial et désintéressé, qualités éminentes du juge selon Alexandre Kojève. Les belligérants, éventuels ou actuels, doivent y penser au moment de cette prise de décision capitale ou durant les combats qui la suivent.

C’est pourquoi la paracha précédente explicitait à la fois le droit à la guerre du peuple d’Israël mais simultanément les normes et prescriptions du droit de la guerre qu’il se doit d’observer (propositions préalables de paix, interdiction des guerres confinant à la terre brûlée avec saccage de l’environnement, etc…). On pourra certes relever des versets qui semblent inciter à la guerre d’extermination. Il faut les lire dans leur contexte interprétatif et toujours les rapporter au dit droit de la guerre. Et même au droit de l’après-guerre. D’où l’objet du tout commencement de cette paracha et des trois premiers cas de figure qu’elle introduit.

S’il advient qu’à la suite d’une guerre, un combattant ait capturé une femme qui suscite son désir et qu’elle se retrouve en son pouvoir, puis qu’il veuille l’épouser, il doit s’astreindre à un certain nombre de prescriptions diminutives (endeuillement, enlaidissement de la prisonnière, lamentation sur sa famille d’origine, etc..) dont il faut comprendre les raisons. Une épouse ne se confond pas avec une proie. Une femme sanctifiée n’est pas une part de butin, une prise de guerre. La femme captive doit être épousée pour elle-même, dépareillée et défardée des attraits qui en faisaient un pur objet de convoitise. Si la guerre, quelles qu’en soient les régulations, laisse libre cours aux pulsions, il importe que celles- ci ne deviennent pas hégémoniques une fois l’état de paix rétabli, de sorte que celui-ci mérite son nom, à la fois extérieurement et intérieurement. Et s’il s’ensuit que la femme captive, ainsi « désenchantée », ne suscite plus le désir de l’ancien guerrier, il doit l’affranchir, ne plus en tirer aucun « profit ». Elle y aura gagné ou regagné sa pleine liberté.

C’est sans doute pourquoi, selon le même ordre de préoccupations, le texte de Bamidbar enchaîne avec les règles concernant à présent une situation de bigamie dans laquelle l’une des deux femmes est aimée et l’autre, littéralement « haïe ». Dans ces conditions, il semble que l’affect brut de l’époux dicte la hiérarchie des droits de l’une au détriment de l’autre. Et pourtant, dans cette occurrence également, si le premier né, le bekhor, naît de la femme « haïe », il faut lui conserver son rang et ses droits et ne pas tenter de l’en délester ou de l’en dépouiller au profit du fils de la femme aimée lorsqu’à son tour elle enfantera.

L’enseignement est décisif : s’agissant de l’ordre des générations et des structures de la parenté ce n’est pas le désir de l’époux, subjectivement et affectivement envisagé, qui fait Loi et qui détermine les droits qui en découlent. L’aînesse de l’enfant n’est pas assujettie à l’intensité passionnelle de l’époux. Pour le dire dans une terminologie plus parlante encore: elle est structurale et le désir de l’époux doit s’y ordonner. Toute structure donne forme à un chaos, stabilise cette forme, et évite de retourner à l’état chaotique. Dans l’ordre des généalogies intra-familiales, l’aîné occupe structuralement la position de primogéniture. A ce titre il a droit à deux parts de l’héritage parental. L’on objectera alors que cette double part introduit une inégalité injustifiable au sein de la fratrie et qu’elle est de nature à y infecter les ressentiments fratricides. L’équilibre normatif et structural opérera une fois élucidée la symbolique de l’aînesse.

Les commentateurs de la Tradition juive font observer que le mot BeKhoR est formé, selon l’alphabet hébraïque, par la seconde lettre des unités, la seconde lettre des dizaines et la seconde lettre des centaines. Ce qui signifie que si le premier né occupe structuralement, de facto et de jure, la première place, il doit envisager cette position en termes éthiques et savoir, en cas de besoin, se secondariser, précisément pour ne pas obstruer cette position et pour laisser le passage à autrui, en commençant par l’ « autrui » le plus proche: le frère et la soeur. Cette double part n’est donc pas destinée à cristalliser un privilège mais à rendre effectif cet altruisme compensateur et équilibrant. Une nouvelle fois, et dans ce cas de figure, la Loi oriente le désir sans le dévitaliser. Jamais la dilection, aussi intense soit elle, ne doit se manifester au détriment de la direction. Cet enseignement remonte aux déboires de Jacob et de ses fils au regard de la préférence que le patriarche n’avait su réguler au bénéfice de Joseph.

La troisième série de dispositions énoncées dans le commencement de la paracha vise le fils « rebelle » et débauché qui ne respecte aucun interdit, qui se montre sourd à la voix de ses parents. L’issue dessinée par le texte de la Thora semble disproportionnée pour ne pas dire barbare : le fils « sauvage » doit être traîné devant les habitants de la ville et ceux-ci collectivement le mettront à mort par lapidation. L’outrance de ces prescriptions est si grande qu’elle n’a pu échapper à leurs auteurs fût-ce pour ce premier fait d’évidence : toute infraction à la loi doit être jugée non par une foule mais par un tribunal structuré et par confrontation d’au moins deux témoins, si ce n’est trois. Et les premiers exécutants de la sentence seront les témoins eux-mêmes, en l’occurrence les parents. Est-il besoin d’insister sur le caractère plus que répressif : régressif, juridiquement et humainement, d’un dispositif ainsi conçu et appliqué ? Quels parents, quel que soit le comportement de leur fils, auraient le coeur de s’y plier ? S’ils s’en montraient capables, cette monstrueuse sécheresse de coeur suffirait à expliquer le comportement du fils et à en constituer la circonstance atténuante.

Par sa dureté même cette prescription opère en réalité comme un butoir. Sa mise en œuvre et ses conséquences sont si graves, tellement irrémédiables, qu’il faudra y voir à deux fois avant d’y recourir. Si le but patent de ces prescriptions est de produire un effet de dissuasion à l’encontre d’autres fils tentés par la débauche et la délinquance, cet effet opère aussi vis à vis des parents incités de leur côté à réfléchir à leur propre responsabilité dans l’inconduite publique de leur progéniture.

Ainsi apparaît une des particularités de l’univers normatif d’Israël : toute règle de droit, surtout lorsqu’elle doit aboutir à une sanction pénale, comporte en elle-même, et en amont, les éléments de prévention qui éviteront qu’elle ne s’applique. Cela s’appelle la sagesse, laquelle appliquée aux choses juridiques se nomme aussi, juris-prudence.

Raphaël Draï zatsal, 14 août 2013

Chabat Plein Strasbourg 16-17 Septembre- Hommage à Raphaël Draï

In Uncategorized on septembre 12, 2016 at 10:42

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Commentaire Paracha Choftim

In Uncategorized on septembre 8, 2016 at 8:47

A la mémoire du Président Pierre Drai qui aimait à citer ces versets.

Choftim

« Tu institueras des juges (chophtim) et des magistrats (chotrim) dans toutes les villes (chaârekha) que l’Eternel ton Dieu te donnera (…). N’accepte point de présent corrupteur (choh’ad)… C’est la justice, la justice (tsedek, tsedek) seule que tu dois rechercher (tirdof) si tu veux te maintenir en possession du pays que l’Eternel ton Dieu te destine »

(Dt, 16, 18 et sq). Bible du Rabbinat.

C’est dans cette paracha, avec la paracha Ytro, que l’on retrouve les éléments essentiels du système juridique d’Israël et de son éthique de la justice. Mais quel est l’apport singulier de cette paracha-ci par rapport à la parachat Ytro? Précisément qu’il y soit question non seulement des juges, à proprement parler, des chophtim, mais aussi des chotrim, des officiers d’exécution de leurs sentences.

Qu’est ce qu’un choter? En hébreu contemporain, un policier. En quoi consiste la fonction de police ainsi entendue? Il faut une fois de plus se rapporter à l’étymologie du mot hébraïque. ChOTeR est construit sur la racine ChTR que l’on retrouve dans ChTaR, la traite, l’effet civil ou commercial qui a force jugée et qui devient opposable légitimement et légalement. Cette racine est affine à la racine STR qui désigne cette fois la contradiction plus intense. Autrement dit, pour un peuple qui se prépare à vivre de sa vie propre, désormais sans miracles et sans manne, il importe de bien le comprendre: la vie d’une collectivité humaine n’est pas réellement assurée lorsque la Loi n’y est acceptée que de bouche, que l’on reste porté à se faire justice à soi même, si cette expression avait le moindre sens, ou bien une fois que la sentence est rendue que l’on se mette en situation de ne pas lui donner suite, de ne pas la rendre effective.

Dans ce cas, de proche en proche, le jugement, puis l’institution judiciaire, puis la Loi elle même seront vidés de leur sens. Pour le dire avec les philosophes du droit, dans ce cas, guette le retour à l’état de nature, celui de la guerre de tous contre tous. La fonction essentielle des chotrim est d’éviter que l’institution judiciaire ne se dégrade au point de perdre elle-même toute effectivité. Telle est l’une des contraintes de l’Etat de droit. Comme l’a indiqué Thomas Mann à la fin de son livre Das Gesetz (la Loi): « Que j’aie tort, ou que j’aie raison: la Loi ».

Il incombe ainsi aux chotrim de veiller à ce que les jugements rendus dans les Baté dinim par des juges inaccessibles au lucre et à la corruption soient effectivement exécutés. Ce n’est pas qu’il faille imposer une vision «totalitaire» de la Loi. Mais il ne faut pas oublier qu’en droit hébraïque la fonction judiciaire a pour finalité de réconcilier les parties en présence. Lorsqu’une sentence judiciaire n’est pas appliquée, c’est cette réconciliation, ce renouement du lien social qui se retrouve en extrême souffrance.

D’où la nécessité de traduire, là encore, aussi exactement que possible le mot chaâr, qui désigne les lieux particuliers où doivent être situés chophtim et chotrim. Ce mot ne signifie pas exactement «ville» qui se dit en hébreu îr mais plus précisément les lieux de transit, les points de passage potentiellement conflictuels. Pour un peuple libre, plus les transactions de toutes sortes se multiplient plus les risques de friction deviennent grands. On observera dans ces condition que les lettres du mot ChaÂR se retrouvent en premier lieu dans le mot RaÂCh, qui désigne le bruit, le tumulte, ce qui empêche les uns et les autres de s’entendre au risque de se mécomprendre et donc de laisser malentendus se multiplier et bientôt la violence ressurgir. Aussi ces mêmes lettres se retrouvent – elles cette fois dans le mot RaChÂ: le méchant, terme qui n’a pas besoin d’être commenté plus avant – on soulignera simplement que dans la Haggada de Pessah le rachâ est bien celui qui récuse le principe que la loi commune lui soit applicable.

Enfin quant au redoublement du mot «tsedek», comme pour tout redoublement de terme dans la Thora, il signifie que la justice elle même ne doit pas être impulsive mais réfléchie; qu’il n’est pas de bonne justice sans respect de deux principes vitaux: celui du contradictoire entre les parties, et celui du double degré de juridiction, de la capacité pour tout justiciable de faire appel.

                             Raphaël Draï zatsal, 29 août 2014

Commentaire paracha REE par Pr. Raphaël Draï zatsal

In Uncategorized on septembre 2, 2016 at 12:02

46 Réé

Dans cette paracha Moïse poursuit l’oeuvre d’édification historique, morale et spirituelle commencée avec Devarim. Cette oeuvre est littéralement une tokhah’a, une admonestation au sens du Lévitique. L’on se souvient du principe fondamental en la matière «.. ne te venge pas, ne garde pas rancune, admoneste ton compagnon (okhiah’vetokhiah’) et tu aimeras ton prochain comme toi même: Je suis l’Eternel ». Si Moïse n’avait pas ressenti un immense et incorruptible amour pour le peuple libéré de l’esclavage pharaonique, d’abord il n’aurait pas contribué à sa libération, ensuite il ne l’aurait pas sauvé de ses fautes les plus graves (Le Veau d’or, les explorateurs, Korah’, etc) enfin, sachant que, lui, ne traverserait pas le Jourdain, il l’aurait laissé à son propre sort, même si la relais avait été formellement pris avec Josué.

Cet amour a été éprouvé au creuset de ces épreuves. Il s’atteste à présent, depuis plusieurs parachiot, précisément par ces toh’akhot, par ces récits récapitulatifs, cette anamnèse synthétique qui met en évidence, sans complaisance mais sans nul ressentiment non plus, les échecs, les fautes, les transgression mais simultanément, il ne faut jamais l’oublier, la capacité de surmonter ces échecs, ces fautes, ces transgressions. Moïse met réellement en application les prescriptions énoncées dans le verset essentiel consacré à l’amour du Prochain.

C’est ainsi qu’une nouvelle fois, et sous un angle différent, le peuple est invité à faire preuve d’esprit de suite, de cohérence comportementale et intellectuelle. Lorsque l’on fait un vœu, que l’on s’est engagé par un serment ou par une promesse, il faut donner suite à cette parole là. De même lorsque l’on s’est porté partie prenante à l’Alliance du Sinaï, aux dix Paroles, capillarisées dans les 613 mitsvot, il n’y a plus d’autre alternative : il faut en respecter les énoncés, mettre en application ce qu’elles autorisent ou s’empêcher d’accomplir ce qu’elles interdisent. D’où cette nouvelle admonestation: «Vois : j’ai donné devant vous aujourd’hui la bénédiction et la malédiction». La bénédiction se réalisera à condition que la Loi soit respectée et réalisée. Sinon, ce sera la malédiction. Afin que nul ne s’y trompe l’une et l’autre s’identifieront à deux monts distincts, le mont Guérizim, dans le premier cas, le mont Êibal dans l’autre. D’où ces deux questions aussi.

Pourquoi solliciter ici la vue, alors que la prière centrale, le Chemâ, sollicite l’ouïe? On aura compris qu’il ne s’agit pas ici de faire prédominer un sens par rapport à l’autre. Dans chaque cas, est sollicité celui des sens qui se relie le mieux à son objet et permet de le discerner de la manière la plus précise. L’écoute est sollicitée lorsqu’il faut saisir le sens d’une parole, la portée d’une prescription ; la vue lorsque le moment est venu de la réaliser en milieu physique, relativement aux êtres vivants. Dans tous les cas, les sens sollicités le sont corporellement mais le sont aussi intellectuellement et spirituellement. La vue, au sens optique, ne se dissocie pas de la vision, au sens intellectuel et même prophétique.

Mais pourquoi avoir référé la bénédiction et la malédiction à deux monts distincts? Justement aux fins de différenciation, sans ambiguïté. La bénédiction est porteuse de vie, présente et future. La malédiction a partie liée avec la mort. Il faut à tout prix distinguer les deux domaines, ne pas s’imaginer qu’il soit possible de mixer ces deux contraires, de les synthétiser. Le choix est inéluctable et se formulera bientôt de manière on ne peut plus catégorique : «J’ai mis devant toi la vie et la mort, la malédiction et la bénédiction. Choisis la vie». Nous aurons à y revenir.

La vie ni la mort ne sont des idées vagues, des notions fumeuses. La mort est l’inverse de la vie. Elle la prend à rebours pour recouvrer les voies du chaos originel, toujours présent. En retour, la vie est le contraire de la mort. Plus le choix en est fait fortement et lucidement et plus l’emprise de la mort se desserrera. Ce n’est pas matière à débats académiques. La vie et la bénédiction résultent non pas de vœux pieux mais de la mise en oeuvre de la loi. La vie et la loi sont deux aspects conjoints de la même réalité. La Loi est loi de vie. Elle préserve et consolide celle qui est déjà acquise ; elle favorise celle qui s’édifie ; elle annonce celle qui surgira de l’une et de l’autre. Autrement, il ne faut pas croire qu’il ne se passera rien ; que la non- application de la Loi ne produira que de l’indifférence, du neutre. Cette illusion par elle même est déjà mortelle. C’est elle qui sévit en Erets Canaan et qui a assigne leur terminus aux peuplades qui croient y vivre alors qu’elle n’y sont que posées, tels des objets sur un support.

Moïse en appelle à cette forme de pensée que l’on pourrait qualifier de « calcul spirituel » assimilable au calcul mental. Calculer mentalement c’est le faire en se passant d’objets tangibles, pommes, petits cailloux, ou bout des doigts. Il n’en va pas autrement de la réflexion morale en ce qu’elle anticipe des conséquences autrement inéluctables. C’est pour en avoir douté que le peuple d’Israël fera l’amère expérience de l’exil, et c’est pour en avoir recouvré la capacité que cet exil a pris fin. Le pire des exils est celui de la pensée, celle, vivace, qui procède de cette sagesse de cœur grâce à laquelle le Sanctuaire du désert d’abord, le Temple de Jérusalem ensuite ont pu être édifiés. Pourquoi le proroger! La pensée disqualifiée parce que asservie au désir de mort n’en sera jamais assouvie.

Raphaël Draï zatsal, 29 juillet 2013