D’abord elle s’inscrit dans la période allant de Roch Hachana à Yom Kippour, ces dix jours «redoutables» assignés électivement non pas au retour, au sens mécanique, mais à la «revenance», au sens réflexif, de chaque être humain, à la reprise de conscience liée à son origine divine et donc à sa vocation incomparable. L’on dit bien réflexif, par opposition à impulsif, à cela qui incite sans cesse au passage à l’acte, physique ou mental, et provoque le court circuit de la conscience créatrice. De ce point de vue la téchouva s’inscrit dans l’économie profonde de la pensée juive qui «chenalise» ce qui en nous est brut, primaire, compulsif, pour l’élaborer, pour en extraire durablement le sens et le suc. Et cela va de l’alimentation – il faut consommer de la viande d’animaux qui ruminent et non pas qui engloutissent – jusqu’à la manière d’étudier en n’éludant aucune objection, en mettant inlassablement sur métier nos convictions et l’amour propre qui s’y attache – le mauvais amour de soi – jusqu’au moment éventuel du jugement, lequel, à son tour et pour des raisons identiques, doit s’appuyer non pas sur un témoignage unique et isolé mais sur la confrontation d’au moins deux témoins. Le temps de Tichri, que scande le Ounetane tokef, est bien celui de cette «revenance» là durant laquelle chacun et chacune d’entre nous collige en pensée la somme de ses actes et de ses omissions non plus dans la durée d’une seule journée, à chah’arit et à minh’a, mais à l’échelle de l’année pour l’élever à ce degré supplémentaire d’élaboration intellectuelle et spirituelle. Car le sens de nos vies doit s’affiner au moins autant que l’argent et l’or dans le creuset.
Ce n’est pas plus une routine que ce n’est un jeu. Le son du chofar ne doit pas être entendu pour lui même mais parce qu’il évoque celui entendu au Sinaï en préparation du don des dix Paroles, de la Thora et des engagements que le peuple des Beni Israël a souscrits en ce lieu. Ecouter le chofar c’est se replacer dans la révélation du Sinaï, s’y tenir, s’y maintenir. Et ensuite, rapporter directement ces dix Paroles à Dieu qui les a proférées afin qu’elles soient accomplies, qu’elles fussent transformées en actes. Et c’est le moment de ne pas se tromper. Quand dans la prière du Ounetane tokef sont rappelées les jugements de Dieu par lesquels la santé ou l’affliction, la prospérité ou la détresse, l’édification ou l’effondrement, la vie ou la mort adviennent, et cela pour les individus comme pour les nations, ce n’est pas dans le but d’inculquer l’idée autrement insupportable que notre sort serait commandé par une divinité omnipotente et arbitraire, un mélange de Zeus et de Wotan. Ces jugements sont ceux de la conscience selon qu’elle est véritablement entendue et suivie d’effet ou au contraire bafouée et méprisée. Dans un cas comme dans l’autre, durant la période critique allant, on l’a dit, de Roch Hachana à Kippour et qui fait pendant à celle, catastrophique, qui s’était déroulée précédemment du 17 Tammouz au 9 Ab, nos décisions tirent à conséquences. Elles ne seront jamais sans suite. Le choix de la vie est sans alternative. Le récuser ce n’est pas instaurer l’indifférence ou l’on ne sait quel autre état neutre. C’est plutôt susciter le contraire de la vie: la mort des corps, des âmes, la ruine des entreprise, la chute des Etats, la dissolution des civilisations, la destruction des Temples. Car la Présence divine ne s’assigne pas à résidence. Elle n’est «chez elle» qu’au sein de l’être qui a démontré sa dilection pour le vivant, construisant ici bas pour un jour vivre dans le Monde d’en haut. Et c’est pourquoi, la prière du Ounetane tokef est si peu élégiaque, si fortement comminatoire. C’est un appel, au sens vocal et au sens judiciaire. Elle n’incite pas au murmure mais à la proclamation. Seul Dieu ne dort ni ne sommeille parce qu’il est le gardien, le chomer, de la Création et qu’une si complète responsabilité ne souffre pas d’intermittences. La conscience humaine, elle, est parfois portée à se distraire, à s’absenter, à s’assoupir. Le son du chofar, avec ses «longues» térébrantes et ses «brèves» stridentes, la réveille.
Imaginons un instant que le son qui en provient se dote de mots, que le chophar se mette à parler. Qu’entendrions nous? Les réverbérations sinaïtiques du Ounetane tokef.