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UNIQUE ET UNIE, JERUSALEM

In Uncategorized on Mai 29, 2022 at 1:00
Yom-Yerushalaim

Comment éviter les lieux communs en évoquant Jérusalem? Aucune ville au monde ne se trouve autant au confluent de la politique et du spirituel  pour ne pas dire de la mystique. Cependant, si les trois religions dites du Livre la revendiquent pour leur capitale, le langage a ses contraintes que l’on ne peut nier qu’en se coupant du réel. Qu’on le veuille ou non, Jérusalem correspond à un nom hébraïque: Yérouchalaïm, la Ville de la paix double, celle des corps et des cœurs, celle du monde d’en-haut et du monde d’en-bas, une paix toujours à construire et à parachever. Il est probable que sur ce site d’autres peuples aient vécu mais à l’opposé de ces significations qui engagent l’idée même de l’humain et ses tensions vers ce qui le dépasse. Lorsque le peuple juif revendique Yérouchalaïm pour capitale, il ne revendique pas un lopin de terre seulement. Il demande que soient reconnues ce qui en Yérouchalaïm fait sens à partir de lui pour l’univers des hommes. Et c’est précisément afin de signifier au peuple juif qu’il n’existait plus en tant que tel, qu’il était exproprié de sa terre, de son histoire et de sa pensée, que la Rome impériale détruisit le Temple attestant de la Présence d’un Dieu qui n’était pas le Dieu Mars, puis le recouvrit  par d’autres édifices et monuments voués à effacer cette mémoire là. Le peuple juif n’a jamais consenti à une pareille oblitération. Si Rome avait vaincu grâce à sa force militaire, un jour elle serait détruite par une force qui outrepasserait celle de ses légions. Ainsi d’autres puissances lui succédèrent, chrétiennes ou musulmanes. Chacune tenta d’imposer à cette ville des rites, des cultes, des droits antagonistes ayant pourtant ce point commun: les Juifs n’y disposeraient jamais d’autre place que celle concédée par la commisération envers ceux qui semblent plus démunis que des bêtes abandonnées. En  découvrant la Jérusalem turque et la condition des «dhimmis» qui y végétaient Pierre Loti écrit: « Nous pleurerions avec eux s’ils n’étaient Juifs ». Pour souligner à quel point la disqualification théologique engage la dégradation des sentiments d’humanité… La constance et la force d’âme d’Israël s’avérèrent à la mesure de ces dénis. Aucun substitut de la Ville magnifiée par David ne fut jamais accepté. Lorsqu’à la fin du XIXème siècle, le peuple juif, mû par Herzl, revint dans l’histoire du monde afin de rétablir sa souveraineté politique, Jérusalem demeurera le point de ralliement des sensibilités que le journaliste autrichien aux intuitions fulgurantes su fédérer en y épuisant sa jeune vie. Les puissances du temps n’y consentirent jamais spontanément, ni sans arrière pensées. La géopolitique était toujours déterminée par ses tropismes confessionnels. Les Juifs à nouveau maîtres de Jérusalem? C’eût été déjuger deux millénaires d’« enseignement du mépris » à leur encontre, qu’il fût dispensé en grec, en latin ou en langue coranique. Les responsables du mouvement sioniste mondial se sentaient néanmoins dans leur droit. Ils ne réclamaient ni Rome, ni Constantinople, ni la Mecque mais uniquement la cité-source de leur mémoire vivace, le phare de leur espérance. Ils tinrent bon en dépit des circonstances adverses, avec un sens aigu du temps politique et des fautes commises par leurs ennemis, des fautes qui n’étaient imputables qu’aux contre-sens que ces derniers ne cessaient de commettre sur l’orientation de l’histoire d’Israël et sur l’attachement à ce lieu  comme à nul autre. En juin 1967, à la suite d’une guerre que l’Etat d’Israël n’avait pas cherchée, la partie Est de la Ville que la Jordanie s’était illégalement appropriée en 1948 fut enfin réunie à sa partie Ouest. Comme il  fallait s’y attendre, le religieux dictant la ligne consciente ou non du politique, ce qu’il est convenu d’appeler la société internationale refusa de reconnaître cette réunification et se réservait Jérusalem-Est à titre de dot pour un Etat palestinien recevant son nom propre directement de la Rome qui avait déjudaïsé cette terre. L’Etat d’Israël y réagit en 1980 par une Loi fondamentale établissant Jérusalem pour sa capitale unie et éternelle. Loi fondamentale que ni le Conseil de sécurité ni l’Assemblée générale des Nations unies, avec ses majorités automatiques et grégaires, ne reconnaissent. Quoi qu’il en soit, c’est bien la première fois depuis deux mille ans qu’au titre de la souveraineté d’Israël, les trois religions coexistent réellement à Yérouchaïm, enfin la bien-nommée. La Ville-Monde  mérite ainsi le sceau de la sainteté. Pourquoi ne pas l’admettre loyalement? Et qui oserait la démembrer à nouveau?

                                                              Raphaël Draï zal , L’Arche Mai 2013

LE SENS DES MITSVOT: PARACHA BE’HOUKOTAÏ

In Uncategorized on Mai 27, 2022 at 11:42
32 Behoukotaï

A la mémoire de Guy David Morales

«Et vous pourrez vivre longtemps sur une récolte passée (yachan nochan) et vous devrez enlever l’ancienne pour faire place à la nouvelle (h’adach) (Lv, 26, 10)»;

«Si votre conduite reste hostile (kéri) à mon égard, Moi aussi je me conduirai à votre égard avec hostilité (bekéri) (Lv,26, 23, 24)».

«Et pourtant même alors, quand ils se trouverons relégués dans le pays de leurs ennemis je ne les aurai ni dédaignés ni repoussés au point de les anéantir, de dissoudre mon alliance (berithi) avec eux, car Je suis l’Eternel, leur Dieu (Lv, 26, 44)».

Cette paracha qui clôt le Lévitique est à la précédente ce que l’énoncé des sanctions de la loi sont à l’exposé théorique du contenu de celle–ci, et l’on sait que la paracha Behar concernait essentiellement le modèle chabbatique de la société libérée de l’esclavage pharaonique.

Les termes du dilemme sont on ne peut plus clairs, à condition d’en comprendre le sens exact: ou bien la Loi est respectée par le peuple qui s’y est engagé, et il en résultera une surabondance de récolte et de prospérité, ou bien elle est bafouée et il en résultera une totale dislocation du peuple en cause. Ce dilemme semble tellement tranchant et pour tout dire manichéen que l’on se trouve en droit de demander s’il concerne un peuple véritablement libéré de l’esclavage et non pas un peuple qui vient de permuter une servitude contre une autre. Il faut alors comprendre ce que signifie véritablement ce principe, redécouvert par la pensée contemporaine: le principe de responsabilité, indissociable de l’esprit de suite – et du souci concernant les conséquences de nos actes.

Autrement dit, l’on ne saurait à la fois s’engager dans une Alliance, dans une Bérith, au sens hébraïque, et agir selon son exclusif bon plaisir et ses intérêts du moment. Le temps spécifique d’une collectivité, responsable d’une terre à redîmer, comme le premier couple l’avait été du Gan Eden, ne se réduit pas à l’instantanéité de désirs aussi impérieux que passagers. Ce qu’indique la formule concernant la récolté passée: yachan yochanYachan ne veut pas dire «passé» au sens de dépassé, d’obsolète, de sénile, mais au contraire au sens de ce qui s’est élaboré et bonifié, en augmentant sa qualité intrinsèque, comme il y va d’un vin rarissime. Ce qui est chronologiquement passé, ne continue pas moins d’acquérir de la valeur, ce qui ne fait nullement obstacle à l’accueil du nouveau, au contraire. Une bénédiction n’en chasse pas une autre. Chacune trouve sa place et son sens en augmentant et en densifiant le champ de la sanctification collective.

Telle est ce que l’on pourrait appeler la logique de l’Alliance qui ne se ramène pas non plus à celle du donnant-donnant des contrats personnels. La Bérith structure l’existence de tout un peuple dont elle régule les cycles de production et les rythmes de sa vie d’ensemble, d’une génération l’autre.

Récuser la Loi que l’on a pourtant acceptée engendre d’inévitables catastrophes non parce que le «Dieu de l’Ancien Testament» fût une divinité irascible et vindicative, une sorte de Jupiter ivre à faciès de Saturne, mais parce que l’on ne peut à la fois s’éloigner de l’Arbre de vie (Êts H’aym) (Gn, 2, 9), autre configuration de la Thora, et prétendre qu’il n’en résultera rien. La vie et la mort sont les deux faces, indissociables, d’une même réalité. Lorsque la vie est impuissante à s’affirmer le règne de la mort s’étend et se proroge. Lorsque la vie s’affirme et se confirme, même la résurrection des morts devient concevable.

La dislocation de la vie conçue et vécue selon la Bérith et la dérégulation destructrice de cette logique se caractérisent dans la terminologie biblique par le mot kéri qui désigne, à l’opposé, l’aléa, l’accidentel, le pulsionnel polluant, la discordance du conscient et de l’inconscient. D’où les maux qui en résultent inévitablement. En tant que de besoin, l’on se reportera pour l’illustrer à la gravure de Goya: «Le sommeil de la Raison qui engendre des monstres».

Cependant, la Bérith ne se contracte précisément pas dans ce seul dilemme. Un troisième terme apparaît, au moins implicitement: celui de «revenance», de réparation, de téchouva. Au cas où le principe de responsabilité n’était pas observé, avec pour sanction l’exil et l’errance, Dieu, qui observe le même principe à la hauteur qui est la sienne, saura néanmoins ramener à lui le peuple oublieux de ses engagements car comme le démontrera Husserl il est deux sortes de logique: la logique formelle, binaire, mais aussi la logique transcendantale: la logique de l’amour, celle qui sait voir au delà même de l’horizon. Et le Dieu de vie, le Créateur, est l’au-delà de cet au-delà.

Raphaël Draï zal, 14 mai 2014

PARACHA BEHAR

In Uncategorized on Mai 19, 2022 at 5:19
31 Béhar.

Sous ses apparences ritualistes, le livre de Vaykra, du Lévitique, qui à présent s’achève, dessine en réalité les chemins  praticables d’une sainteté concrète. La théorie des korbanot  se comprend par la nécessité de rapprocher l’homme et son prochain, et l’un et l’autre avec le Créateur lorsque leur relation s’est distendue ou même rompue, au risque d’une pulvérisation de l’Alliance .L’on aura compris également que cette sanctification ne se réduit pas à des concepts inatteignables pour le commun des mortels, ni à des formes d’excursions mystiques; qu’elle se rapporte à la définition de pratiques, de conduites, de comportements, de démarches, visibles et vérifiables, et à des formes d’institution par lesquelles la notion de peuple, de âm, trouve son plein sens. C’est la raison pour laquelle ce livre médian se conclue progressivement en une paracha pénultième désignée par ce titre « Behar» que l’on peut traduire par « sur la montagne » ou « par la montagne ». Ce qui conduit à écarter une première interprétation par trop géologique. A l’évidence, le mot har désigne un mont, une montagne, et plus généralement tout  lieu situé en hauteur. L’image est déjà parlante puisque, de l’avoir suivi pas à pas, le trajet désigné par le Lévitique conduit à cette altitude d’où un autre paysage de pensée va s’apercevoir.

Cependant, le mot HaR comporte d’autres significations dont on relèvera les deux principales qui correspondent à la suite de des versets constituant cette  péricope. La racine HR se retrouve en effet dans le verbe HaRah qui désigne la conception biologique mais aussi la conceptualisation intellectuelle. A la manière de Chimchon Raphaël Hirsch on notera que la racine HR est connexe à la racine ÊR qui désigne l’éveil, la stimulation de conscience, d’où la sonnerie du chophar nommée TéRouÂ. De  quoi est –il question à propos de HaR? De l’institution chabbatique selon ses trois modalités : hebdomadaire, septennale et jubilaire. La série des parachiot précédentes semble  orientée  méthodiquement vers celle-ci, même si, bien sûr, explicitement ou implicitement, la présence du chabbat a été constante tout au long de ce livre. Pourquoi cette insistance?

Elle se rapporte au paradigme suivant : selon la séquence vitale constituée par les sept jours de la semaine, les six premiers jours doivent être œuvrés  et le septième doit être non pas désœuvré, au sens d’un chômage banal, dont on sait la plaie qu’il représente dans les société contemporaines, mais au sens d’un temps de réflexion, de reprise quasiment analytique du sens de l’œuvre précédemment accomplie. Le septième jour n’est pas un jour vide mais un jour de pensée qui présuppose la plénitude des précédents. Comme y insistent quelques uns des plus grands penseurs contemporains, il n’est pas de pensée sans conscience et pas de conscience sans objet. Objet non pas au sens de la chose inerte mais de matière primaire à travailler. À cette condition l’objet ainsi œuvré devient «  œuvre de pensée », vivace et durable, « maâssé h’ochev »  comme il est dit à propos de la confection du Sanctuaire.

L’institution chabbatique est structurée en trois temps, en trois longueurs d’ondes. La première est à l’échelle individuelle – encore que dans la pensée d’Israël cette échelle là ne se dissocie jamais de l’échelle collective, selon l’articulation du perat et du clal. Elle implique l’abstention de tout  travail en apparence créateur mais qui serait surtout emporté par son propre élan dans le ressort de la propriété individuelle, même si celle –ci s’articule aux autres «  champs » physiques et intellectuels personnels.

La seconde sollicite un autre coefficient : il s’agit d’un chabbat « au carré » puisque durant la septième année  toute la terre cette fois devra bénéficier d’une relâche, laquelle n’en fait pas une res nulius mais la rend disponible pour les catégories de la population qui précisément ne disposent pas des facilités et des bénéfices de la propriété personnelle; les nécessiteux, les étrangers, mais aussi dans un autre ordre du vivant : les animaux, y compris – belle leçon d’écologie pérenne –  les bêtes dites sauvages qui ne le sont qu’au regard de la possible sauvagerie humaine.

Enfin à la fin de la 49eme année, est proclamé le Yovel, le Jubilé, l’année non pas de la dépossession mais de la dé-propritation, si l’on pouvait aussi user de ce néologisme ; une cinquantième année durant laquelle prennent fin toutes les formes d’aliénation des patrimoines et des personnes ; l’année de la restitution de chacun et de chacune à la part qui lui revient par nature dans le champ de la création divine, confiée à la responsabilité humaine. L’année du dror, de la liberté effective.

Si jusqu’à présent le peuple d’Israël a pu accéder aux deux premiers étages de l’institution chabbatique,  le troisième requiert  toujours de sa part d’autres efforts. Mais qui a jamais prétendu que son histoire était terminée? C’est donc à partir des disposition contenues dans la paracha Behar que l’on peur comprendre un verset antécédent contenu dans la parachat Ytro, celle qui relate la don de la Thora : « « Dans la  sonnerie du chophar ( bimchokh hayovel) eux monteront sur la montagne( yaâlou bahar ) ( Ex,19, 30 ).

Ce verset peut se comprendre d’une autre manière à présent : « Par la réalisation de l’année jubilaire, ils s’élèveront dans la pensée vive ». Forme de pensée supérieure qui met en relation surgénératrice les niveaux de l’être en sa plénitude : le corps, la pensée discursive, la conscience de notre divine origine. Et c’est en ce sens que l’institution chabbatique constitue un h’ok, un principe générique, au sens des h’oukim dont traite précisément la paracha qui suit, textuellement et logiquement, celle-là.

Raphaël Draï zal, 1er mai 2013

SALIR NOS ÂMES

In Uncategorized on Mai 16, 2022 at 1:06

Depuis le déclenchement des violences d’octobre, dans les territoires palestiniens et jusqu’à l’intérieur d’Israël, chaque Juif est conduit à s’interroger sur les buts de guerre des émeutiers qui ameutent une fois de plus – une fois de trop sans doute – l’opinion publique internationale contre l’État juif. Car les moyens utilisés, en ce sens, ne sont pas dissociables des finalités recherchées : démontrer que les Juifs – puisqu’en l’espèce, si l’on ose dire, Juifs et Israéliens c’est tout un – sont déclarés inhumains, c’est-à-dire expulsés hors de l’humanité commune. Cette assertion est si lourde de conséquences qu’il faut en rappeler les antécédents.
Il n’y a pas si longtemps – à peine un demi-siècle un autre type de démonstration était déjà tenté : que les Juifs, quels que fussent leur âge et leur condition sociale ou intellectuelle, étaient unter-menschen, sous-humains. Cette nomenclature ne s’est pas encore complètement effacée de la mémoire contemporaine. Elle n’était elle-même que la déduction d’un ensemble d’autres jugements, passés en forme de damnation et sédimentés au cours des siècles, de la théologie polémique présentant le peuple juif comme déicide, satanisé et témoin survivant de sa propre déchéance. C’est pourquoi les auteurs de la solution finale, d’une part ne pensaient pas commettre de véritable crime, puisque l’on ne transgresse pas un interdit qui n’existe pas, et d’autre part, et corrélativement, pensaient sincèrement rendre service à l’humanité. Pareille conviction explique, entre autres, le silence de Barbie au procès de Lyon en 1987.

CANNIBALISATION

L’on pensait que les leçons de cette disqualification humaine avaient été enfin tirées et que, à tout le moins, les générations de l’après-guerre n’inhaleraient plus un tel poison. Rien n’est moins sûr.

L’entreprise de disqualification, aux pesanteurs psychiques véritablement gravitationnelles, s’est seulement déplacée des Juifs pris individuellement vers l’État d’Israël.
Ce constat clinique n’est pas d’aujourd’hui. Il s’est inauguré juste après la guerre de 1967, lorsque la fameuse  » opinion publique internationale  » se mit à stigmatiser Israël comme s’il s’agissait…. d’une réincarnation de l’Allemagne nazie. Anna Freud a lumineusement analysé ce massif processus inversif dans son ouvrage sur Le Moi et ses mécanismes de défense. David n’est plus juif et Goliath l’est devenu. On permute une fois de plus et l’on continue.
Les spécialistes du marketing nomment cette technique : la cannibalisation de l’image d’autrui. Le procédé ne vaut pourtant que s’il trouve un public prédisposé et une audience prête à s’y reconnaître. Dans ce cas, l’image-stigmate résorbe en elle la réalité intégrale de l’ennemi déclaré. La décontextualisation de cette image doit renforcer la disqualification humaine qu’elle veut mettre en scène.

MARTYR

Cette fois, l’image-choc aura été celle d’un enfant palestinien, Mohamed, abattu par une balle israélienne, un enfant qui meurt dans les bras de son père sans que personne ne lui porte secours. Cette tragédie s’est produite le 4 octobre. Le 11, elle fait encore l’objet central du journal d’Europe 1 qui interroge à ce propos… des Libanais.

Ceux-ci ont fait désormais du petit Mohamed leur martyr. À ce compte, il y aurait beaucoup de martyrs dans les  » cités  » de France où se produisent, hélas, régulièrement, ces incidents et accidents dénommés  » bavures « . Il n’empêche. L’image de Mohamed, enfant-martyr-prophète, a fait, comme l’on dit, le tour du monde. Elle est reprise dans le dernier numéro de Times, qui vivisectionne la séquence filmée par le cameraman d’Antenne 2…
Oubliés les Accords d’Oslo, la mort de Rabin, les premiers progrès de la négociation. Oubliées les véritables mutations de l’opinion publique juive et israélienne en faveur du processus de paix voire de la création d’un État palestinien. Oubliée l’élection de Barak, héritier spirituel de Rabin, contre Netanyahou. Oubliées, symétriquement, les revendications d’Arafat sur Jérusalem, l’immense photo de la mosquée d’Omar apposée dans son bureau et recadrée de sorte qu’aucune pierre du Mur occidental n’y soit visible. Oubliée, sa volonté obstinée de passer en force.

CARICATURE HAINEUSE

Plantu, quant à lui, dans Le Monde du 5 octobre, sous le caramel des bons sentiments, condense la  » une  » de son journal sur une caricature haineuse présentant un soldat israélien tirant froidement sur un enfant palestinien représentant toute l’enfance du monde. Cette caricature recycle à sa manière les récits évangéliques du massacre des innocents. Mohamed a rejoint l’enfant Jésus et, c’est de peu, nous dit-on, que l’on a échappé à une autre caricature du même Plantu, la veille de Roch Hachana, représentant un enfant palestinien crucifié sur une ménorah. L’excès est si obscène qu’à partir du 10, les caricatures du frère Plantu se veulent plus équilibrées, sinon plus équilibristes. En attendant, l’interlocuteur d’Europe 1, précité, a lâché le mot lapidant : « Nos enfants ont pu voir combien les soldats israéliens étaient inhumains « .
Que les Juifs du monde entier se trouvent alors en pleine période religieuse et spirituelle de Roch Hachana et de Kippour, que leurs pensées se dirigent vers autre chose que cette mort qu’on leur impute à flots, importe peu. Jacques Chirac, lui aussi, pris dans ce mouvement de disqualification globale, traite Ehoud Barak comme il n’oserait pas le faire du moindre petit standardiste de l’Elysée. Lui aussi vise à l’âme.
Pourtant, à trop vouloir en faire, l’inverse se produit. Cette fois, et au contraire de 1982 et 1987, le peuple juif dans son immense majorité, selon toutes ses sensibilités, s’est senti agressé, souillé, sali, en ce lieu de lui-même qu’il préserve depuis qu’il a conscience d’être au monde : son âme dont ceux et celles qui prient quotidiennement remercient Dieu de la leur avoir laissée intacte.
La manifestation des Juifs de la région parisienne, le 10 octobre, les a ressoudés face à cette sale guerre, à cette guerre sale. Compte tenu du nombre considérable des manifestants, de l’incommodité du lieu de leur rassemblement, de l’amateurisme des sonorisateurs, la plupart des discours officiels ont été inaudibles. Le froid vent d’automne en dispersait les périodes, comme au-dessus des têtes il dispersait les nuages chargés de pluie. Cependant, chacun a pu entendre, la nuit tombée, la sonnerie du shofar qui prolongeait du haut de la tribune celle de la veille entendue à la fin de la prière de Kippour. Elle disait : les temps sont lourds, mais nos âmes sont intactes.

Raphaël Draï zal, L’Arche Novembre 2000

PARACHA EMOR

In Uncategorized on Mai 12, 2022 at 4:40
ILL  Emor.

De nombreux malentendus et contre-sens peuvent être commis à propos du cohénat dans la Tradition d’Israël. A commencer par la confusion entre ce groupe humain et une caste séparée de l’ensemble du peuple, jouissant de privilèges exorbitants dont les «exclusivités» sexuelles  ne seraient pas les moins choquantes. Pour éviter ces écueils il importe de se replacer dans l’esprit et la lettre des prescriptions qui concernent  les grands prêtres, les cohanim.

Ces prescriptions ne se dissocient pas de celles relatives à la sanctification du peuple dans son ensemble et qui font la matière de la paracha précédente, de Kedochim. Les cohanim sont d’abord et avant tout des Bnei Israël. Cependant, le concept de sanctification n’est pas simple et peut, lui aussi, nourrir bien des malentendus. Être saint, ce n’est pas participer d’une essence différente de celle des autres être humains. C’est la porter au plus haut niveau qui se puisse concevoir. En ce sens il est possible de parler d’effort spirituel comme Bergson parlait d’effort intellectuel, lequel résulte d’une attention soutenue et d’un exercice sans temps morts. De ce point de vue, seul Dieu est véritablement saint, Kadoch. Les êtres qu’il a créés sont, eux, portés à une perpétuelle sanctification. Celle-ci se décline en une série d’attitudes, de conduites, de comportements qui font par eux même la preuve des valeurs qui les inspirent. Autrement celles-ci resteraient abstraites et illusoires. Cet ensemble de conduites  culmine dans l’invite à «aimer son prochain comme soi même» (Lv,19,18), encore que ce verset qui se relie à tous ceux concernant l’interdit de l’inceste (Lv,18) soit susceptible de nombreuses autres traductions et interprétations.

Les cohanim doivent donc d’abord et avant tout donner l’exemple de l’observance concrète et probante de ces premières conduites et comportements par lesquels la sainteté divine s’infuse déjà dans tout le peuple. Ils sont en outre astreints à l’observance de prescriptions supplémentaires donnant sens à leur fonction, autrement dit à leur responsabilité particulière au sein des Bnei Israël. On en découvrira le détail précisément dans cette paracha. Ici l’on mettra en évidence leur logique interne qui se discerne dans le verset: «Et je le sanctifierai car, lui, doit faire approche du pain de ton Dieu; il sera saint pour toi car je suis saint, Eternel qui vous sanctifie (Lv, 21, 8) ». Ce verset met clairement en évidence le mouvement circulatoire de la sanctification à laquelle les cohanim sont affectés. S’ils doivent en assumer le double degré, c’est parce qu’ils sont voués à approcher le «pain de Dieu», ce que l’on n’oserait appeler sa substance, en tous cas ce qui nourrit, sustente et conforte l’idée qui s’y attache et la Présence à laquelle cette idée conduit. C’est parce que toute sanctification procède directement de la sainteté divine que les cohanim qui en sont actuellement le relais doivent veiller ce que rien en eux, corporellement, psychiquement et  spirituellement, ne viennent y faire obstacle et s’y interposer  en écran réfractaire ou déformant.

C’est selon cette logique profonde que se comprennent ensuite les deux groupes de prescriptions axiales  qui s’imposent à eux. Les premières sont relatives aux règles du deuil. Quant l’un de leurs plus proches parents vient à décéder, et à condition d’être assurés que celui-ci sera inhumé conformément à sa dignité de créature de divine origine, ils prendront soin de ne pas entrer en contact avec le corps du défunt. À la place qui est la sienne, la position ontologique du cohen le place tout entier, sans réserve ni exception, du côté de la vie. Il doit en être l’incarnation perpétuelle, y compris et surtout dans les circonstances où cette vie semble déjugée par l’événement le plus irrémissible qui soit. Rémanence de la mentalité du tabou? Séquelle de conduite phobique? Le choc produit sur Aharon par la mort de ses enfants Nadav et Avihou atteste qu’un événement de cette sorte ne l’a trouvé ni insensible ni indifférent. La maîtrise de soi dont il su faire preuve témoigne au contraire que nul mieux que lui n’était à même d’exercer les fonctions continûment orientées vers autrui qui lui étaient dévolues.

Les autres règles sont relatives aux femmes qu’un cohen ne saurait épouser et plus particulièrement  celles dont la fidélité reste improbable ou celles ou qui ont déjà connu la rupture d’un lien conjugal. Il faut garder présent à l’esprit que le Décalogue est considéré comme un authentique contrat de mariage (kétouva) entre le Créateur et le peuple d’Israël, représentant de l’humaine condition. Pour justifier sa dénomination, le propre d’une alliance est de ne souffrir ni exception ni violation d’aucune  sorte. Pas plus que la vérité, la  fidélité et la constance ne sauraient s’accommoder de mises entre parenthèses. Un cohen se doit d’épouser une jeune femme vierge au sens  hébraïque, en tant qu’elle est qualifiée de béthoula. La dimension proprement physiologique d’une telle virginité n’est pas l’essentiel. Celui-ci se trouve indiqué par l’étymologie hébraïque de BeThouLa que l’on peut lire également comme : La Beth El: vers la Maison de Dieu.

Le Dieu d’Israël, celui du Beréchit originel, est bien un Dieu exclusif, comme l’est tout véritable amour. L’amour «non exclusif», s’il pouvait se concevoir, se distinguerait mal de la prostitution (zenout), que celle-ci fût triviale ou «sacrée».

Raphaël Draï zal, 22 avril 2013

LE SENS DES MITSVOT: KEDOCHIM

In Uncategorized on Mai 6, 2022 at 9:38

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« Parle à toute la communauté d’attestation (col-êdat) des Bnei Israël et tu leurs diras : « Vous serez saints (kedochim tihyou) car Je suis saint (kadoch), moi l’Eternel votre Dieu. Chacun son père et sa mère respectera et mes chabbats vous garderez. Je suis l’Eternel votre Dieu» ( Lev, 1, 4).

«Ne maudis pas le sourd et n’interpose pas d’obstacle devant l’aveugle» (Lev, 19, 14).

La conception juive de l’existence ne l’érige pas en concept abstrait, pas plus que ne sont de tels concepts la Vie ou l’Être. La vie n’est vie, au sens biblique, que d’être insérée dans une création et d’en poursuivre les accomplissements. Plus que d’un « niveau de vie », au sens économique, il importe de se préoccuper du niveau transcendant auquel la vie entière doit être portée pour mériter le qualificatif de Création. Ce label, si l’on pouvait ainsi le qualifier, se nomme en hébreu kédoucha, sainteté.

La vie n’est vivante que d’être ainsi sanctifiée, se plaçant de la sorte au niveau où le Créateur lui même se trouve. D’où cette homologie qu’autrement l’on pourrait réduire à une prétention anthropomorphique. Le Créateur et les créatures disposées en corrélation avec lui comportent bel et bien une dimension commune, effectivement celle de kédoucha dont il faut comprendre les obligations à quoi elle engage et les interdits qui en découlent.

La première de ces obligations est liée au respect ( moraa ) des parents. Ce terme ne serait que moralisateur s’il ne s’inscrivait dans la suite directe de la paracha Ah’aré Moth qui concerne notamment toutes les modalités de l’interdit majeur, celui de l’inceste que l’on retrouvera également dans maints passages du Chir hachirim, du Cantique des Cantiques. Le respect parental ainsi entendu engage à observer les intervalles qui séparent sans les désunir les générations entre elles, au lieu de reconstituer le chaos primordial dont la Création s’est dégagée et qui parfois l’attire magnétiquement.

C’est pourquoi cette forme de respect est liée à la garde du chabbat, intrinsèquement. Le jour du chabbat est celui de la différenciation qualitative des temps. A quoi il faut ajouter que le chabbat est lui aussi inhérent à la Création proprement dite puisque le livre de la Genèse évoque à ce propos les toldot, les générations, des cieux et de la terre (Gn). Tout cela pour enseigner clairement que l’Etre est création et que s’il est déficitaire sur ce plan, lorsque sa kedoucha s’affaiblit ou qu’elle se dégrade, la contre-création, le eédar, regagne sur elle, comme la mer aveugle sape à la fin une digue friable.

Les deux prescriptions précitées s’inscrivent dans les mêmes préoccupations et soulignent qu’il est des conduites contre-créatrices, à l’évidence malfaisantes et absurdes dans leur malfaisance même. Car quel intérêt peut- on trouver à maudire un sourd puisqu’il ne peut entendre son malédicteur, ou à faire intentionnellement buter un aveugle contre un obstacle fracturant, au lieu de le lui signaler? Ces deux situations mettent en évidence le pire qui puisse se trouver en chaque être humain lorsqu’il fait défaut de manière délibérée à sa vocation sanctificatrice. Il cède alors non seulement à la logique du pire mais à ce qui dévoie cette logique elle même : la jouissance ressentie à provoquer la souffrance d’autrui dans les circonstances où au contraire elle devrait être atténue, allégée, portée solidairement. Ce qui reconduit à nos considérations initiales : la Création n’est pas d’ores et déjà réalisée et réussie. Elle est une œuvre à poursuivre patiemment, avec endurance et lucidité, en surmontant les obstacles qui la contrarient, en défaisant les pièges où elle s’enferme.

Nul n’est saint que Dieu seul. L’Humain, lui, doit tendre à la sainteté et c’est déjà tout son mérite. Aussi convient il de faire attention à la formulation grammaticale des versets concernés «Vous serez saints» est à la fois un impératif et un futur. L’obligation de sanctification n’est ni comminatoire ni terrorisante. Pour chaque être humain, tendre à sa propre sanctification, ainsi entendue, est en soi l’œuvre qui fonde ses raisons de vivre.

Raphaël Draï zal, 20 avril 2014

YOM HAZIKARON – Chronique Radio J

In Uncategorized on Mai 3, 2022 at 11:59
Radio J - 15 avril 2013 - Yom Hazikaron

Bonjour à tous et à toutes

Après la décade tumultueuse que vient de traverser la communauté juive de France, je vous adresse cette chronique d’Eretz Israel et plus particulièrement de Netanya. Quant à la météo il fait beau, très beau et chaud ce qui nous guérit des grisailles pluvieuses et prolongées de cet hiver. Mais en Israël c’est aussi Yom Hazikarone, le jour du souvenir dédié à toutes celles et tous ceux qui sont tombés sur les champs de bataille militaire et du terrorisme pour que vive et dure l’Etat d’Israël. Toute la population du pays s’est recueillie dans le sifflet des sirènes qui fige tout le monde au garde à vous, pensant au prix des choses. Car toute chose a un prix, qui est parfois celui de la vie, sacrifiée pour autrui. Il faut s’en souvenir lorsque les uns et les autres nous nous laissons prendre par la mauvaise ivresse des évènements ou que nous nous dissolvons dans la suite des jours sans lien entre eux.

Etre juif ce n’est pas seulement se prévaloir de valeurs verbales. L’éthique la plus élaborée comporte sa propre pathologie qui est le narcissisme moral. Etre juif c’est mettre en accord nos valeurs et nos conduites de sorte que celles-ci ne démonétisent pas celles-là. De même il ne suffit pas d’affirmer l’existence de l’Etat Juif, comme on l’appelle, ressuscité en 1948. Il faut savoir se comporter pour donner consistance à cet état, non seulement face à ses ennemis extérieurs, mais également devant ses propres tentations : celles du chacun pour soi, de la « réussite » obtenue sur le dos et sur le compte d’autrui… Une variante hébraïque de Babel et de Byzance. Se trouver sur cette terre, au moment où le plus profond et le plus général des silences permet de faire le point lucidement, y compris face à la tourmente que vient de connaître la communauté juive où il ne faudrait surtout pas qu’un évènement chasse l’autre…

Mais on en reparlera. Pour l’heure, chacun se recueille et se prépare à accueillir dans la joie Yom Haatsmaout, le jour de l’Indépendance.

Raphaël Draï, zal, 15 avril 2013

(Retranscrite à partir de notes manuscrites)