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PARACHA A’HAREI MOTH

In Uncategorized on avril 30, 2020 at 7:10

Lv, 16 et sq.

 28 A'hareï moth.

Après les développements relatifs aux plaies affectant la peau, celle, anatomique, des individus ou celle de leurs habitations, et qui se rapportent également aux mésusages de la parole humaine, à son dévoiement dans la médisance, le texte de la Thora revient sur les conséquences de la mort de deux des enfants d’Aharon, Nadav et Avihou. Il s’ensuit une série de prescriptions qui s’articulent à celles déjà rencontrées concernant l’interdit de toute boisson enivrante avant le Service Saint.

Cette fois il est prescrit aux cohanim d’abord de ne pas se croire autorisés à pénétrer en tous temps dans le Saint des Saints. Autant la fonction judiciaire doit s’exercer sans intermittence, selon les besoins du peuple en ce domaine, autant le Service Saint doit s’exercer selon des règles qui assurent l’approche progressive de la Présence divine, de sorte que ne se déclare pas brutalement l’incommensurabilité, à ce niveau, du Divin et de l’humain lorsqu’ils sont sans transition mis en contact. Les cohanim ne sauraient passer d’emblée de la PaRoKhet, du rideau qui distingue les aires de sainteté à l’intérieur du Sanctuaire, à la KaPoReth, au couvercle de l’Arche sainte. Et l’on observera que ces deux mots sont formés des mêmes lettres, recombinées autrement, pour bien faire comprendre qu’il s’agit ici d’un ordre vital, d’un séder à respecter. Car cette Présence se manifeste du cœur d’un ânan, mot généralement traduit par « nuée » alors qu’il est construit sur la racine ÂN qui caractérise la terminologie de la communication, au sens non trivial de ce terme dont on sait l’inflation dans le vocabulaire contemporain.

La Présence divine est bien communicante, allant de l’un à l’autre des interlocuteurs en présence, sans réserves, ni ambiguïté car c’est par cette communication que se transfuse l’esprit prophétique, le rouah’hakodech.

Que ces nouvelles prescriptions soient transmises une nouvelle fois par Moïse à son frère atteste que dans la tragédie précitée c’est bien le sens de la fraternité qui s’est trouvé mis en cause, avec la tentation récurrente du fratricide à la racine duquel il faut aller patiemment, méthodiquement et sans demi- mesures. L’approche du divin par les cohanim requiert ainsi leur propre préparation. Ils doivent s’assurer de leur propre ductilité spirituelle afin d’oeuvrer ensuite comme il se doit à celle de chaque Bnei Israël. D’où l’obligation pour les cohanim de s’acquitter d’abord de deux korbanot spécifiques, l’un délictif ( h’atat ), l’autre d’élévation ( ôla ), afin que soient préalablement liées les deux dimensions de l’être humain et celle de la Création en général. Et surtout ils devront se revêtir de leurs habits sacerdotaux. Il ne s’agit pas ici de « rituel » mais d’insister sur le fait que la communication de la Présence divine, de la Chékhina, n’est ni un exercice d’exhibitionnisme de la part du Créateur, ni de voyeurisme de la part de l’humain. Dieu se révèle. Il ne se dénude pas. Le vêtement ainsi conçu et confectionné prémunit contre l’impudeur de l’exhibition et l’obscénité du passage à l’acte.

Après quoi intervient la liturgie des deux boucs qualifiés d’émissaires qui a fait couler tant d’encre. Pour bien en comprendre les intentionnalités, il convient de se reporter aux Commentaires traditionnels mais surtout au Traité « Yoma » du Talmud. On se limitera à une conjecture à ce propos en attente de sa vérification.

L’animal requis par cette liturgie est bien un bouc, l’animal qui symbolise la résistance, le fait d’être rétif. Disposition qui se décline de deux manières selon qu’elle se rapporte à la constance et à la fidélité, d’une part, ou à l’obstination aveugle d’autre part. Aussi deux boucs sont-ils indispensables pour son accomplissement, l’un dédié à la Présence divine, l’autre voué au désert. Aucun être n’est constitué d’une seule pièce, n’est dénué d’ambivalence, n’est exposé plus gravement encore au clivage psychique et à la duplicité morale s’il n’y prenait garde. Cependant et quand bien même il y aurait en chacun deux parts, aussi contrastées, si ne n’est antinomiques, il faut y exercer notre discernement afin que la première trouve sa véritable affectation et que l’autre soit vouée à une forme de traversée du désert au cours de laquelle elle se transmuera, peut être. D’où, au passage l’enseignement de Maimonide, dans ses Hilkhot téchouva, selon lequel une téchouva digne de ce nom doit s’accomplir dans la discrétion et dans le retrait.

Relevons enfin que la liturgie dite du « bouc émissaire » ne met en jeu que des animaux ; que son extrapolation aux êtres humains, par exemple selon la théorie du « Pharmakos » chère à René Girard, la fait déborder de son cadre initial et lui ôte son sens, tant légal que moral.

Raphaël Draï zal, 18 avril 2013

Israël – Diaspora : Une Destination Commune?

In Uncategorized on avril 28, 2020 at 7:58

Capture d’écran (180)

La célébration de la Sortie d’Egypte dans la perspective du don de la Torah au Sinaï est propice à une mise en question de nos certitudes les mieux assurées, de nos partis pris les plus inconditionnels. Sitôt la mer Rouge traversée, les Bné Israël se sont mis à récriminer comme s’ils avaient oublié qu’ils venaient d’être libérés. Sitôt la Torah entendue directement de la voix de Dieu, l’impatience leur fit confectionner l’idole du Veau d’Or sous les yeux d’un Aaron désemparé.

Que dire de la présente période de l’histoire du peuple juif? Comment pouvoir se déclarer à ce propos, et tout à trac, de droite ou de gauche, sioniste enraciné ou diasporiste itinérant ? Ces oppositions antinomiques avaient encore un sens avant la création de l’Etat d’Israël, lorsque le sionisme n’était qu’une espérance et une utopie non encore confrontées à leurs réalisations effectives.

L’année prochaine, le mouvement sioniste aura officiellement cent ans. Cette durée est désormais assez longue, au sens de Braudel, pour dresser quelques bilans, pour inciter à quelques salutaires exercices de conscience. Quant aux notions générales de droite et de gauche, depuis l’effondrement des régimes communistes et la conversion des gouvernants socialistes au réalisme monétaire il serait déraisonnable de s’en servir comme de points de repère identitaires.

Cela ne signifie pas qu’il faille renoncer à nos convictions et nous fondre dans le mondialisme ambiant ou dans le cyberespace d’Internet. Ces considérations nous font surtout obligation d’être attentif au point de vue d’autrui, de tirer enseignement historique de sa biographie dans un monde qui ne sait plus trouver son chemin entre les fosses communes des génocides et ethnocides et entre les magmas verbaux de la nouvelle babélisation. Aujourd’hui, tant de mots et de phrases toutes faites ressemblent à ces oiseaux englués de mazout que font les marées noires. Alors, Israël ou Diaspora ? Par où passe l’avenir de l’existence juive ? Ce choix n’en est pas un pour les idéologues d’au-delà toutes les murailles des Chines intérieures.

Lors de la dernière assemblée du Congrès juif mondial à Jérusalem, le romancier A.B. Yehoshua s’est voulu tranchant et provocant : l’Etat d’Israël n’aurait que faire d’une Diaspora censée lui servir d’arrière-garde mais qu’il traîne en fait comme un boulet. Face aux réactions suscitées par ses propos, A.B. Yehoshua a protesté qu’on ne l’avait pas compris. Signe que le débat reste ouvert, à vif, et qu’on ne saurait le résoudre par pensées abrégées et phrases-choc. Comment ne pas comprendre son point de vue ? Les Juifs n’ont-ils rien oublié et rien appris de l’entre-deux-guerres ? S’imaginent-ils que les analyses de Herzl, d’Ahad Haam ou de Syrkin ne sont que paille et vieux papiers ?

Se croient-ils à l’abri dans une Diaspora qui a toujours tant de peine à liquider son antisémitisme consubstantiel et comprimé, celui qui se dénote dans tous les livres de l’Occident, de l’Evangile à peine expurgé jusqu’à Shakespeare et Voltaire ?

La croix érigée en 1986 sur le site d’Auschwitz le domine toujours, et en 1996 il faut que toutes les organisations juives se mobilisent pour éviter l’installation d’un supermarché aux abords immédiats du camp devenu symbole de la Shoah. Si nul ne songe à nier les progrès du dialogue entre Juifs et chrétiens, ne faut-il pas prendre garde cependant que l’affirmation d’une identité juive autonome renforce les résistances irrationnelles de celles qui se sont constituées, au long des siècles, sur l’axiome de sa disparition ou la proclamation de sa caducité ? Pourtant, laissons de côté l’argument de la peur qui conduit à la trop triste représentation de l’Etat d’Israël comme « asile de nuit », encore que des milliers et des milliers de Juifs d’ex-Union soviétique en aient éprouvé récemment les bienfaits immédiats.

 

LE DIALOGUE CACHE

Mais les Juifs de Diaspora ne savent-ils plus ce que veut dire partager le sort réel de leur peuple, lehih’alek , selon le verbe usité par le prophète Jérémie? Tel est l’argument utilisé cette fois par Zeev Sternhell pour fonder ce que l’on pourrait appeler son point de vue prioritaire de citoyen à part entière concernant l’avenir de l’Etat d’Israël, surtout depuis les Accords d’Oslo signés avec l’OLP. Il faut s’être battu au corps à corps avec l’ennemi pour décider de la perpétuation de la guerre ou au contraire de l’établissement de la paix avec lui. L’argument est de poids et la cruauté serait facile à l’encontre des jusqu’au-boutistes des salons parisiens ou des lobbies américains prêts à en découdre jusqu’au dernier soldat de Tsahal. Encore que les bombes islamistes, qu’elles explosent à Paris, à Buenos Aires ou à Jérusalem et Tel-Aviv, égalisent actuellement l’ensemble des Juifs du monde entier face aux moudjahidines-suicidaires.

En réalité, le débat Israel-Diaspora en recouvre un autre, au risque de les voir s’obscurcir tous deux : celui de l’Etat d’lsraël-Etat juif et celui de l’Etat d’Israël-Etat israélien, c’est-à-dire progressivement non-juif. L’assassinat de Rabin par Igal Amir en a exacerbé les dilemmes. Pour le meurtrier et ceux qui voudraient comprendre son geste, la paix signée entre Rabin, Pérès et Arafat l’a été au prix de l’abandon d’une partie des symboles et supports inaliénables de l’identité réelle, non circonstancielle, d’Israël. L’évacuation de villes comme Bethléem et Hébron, les incertitudes planant sur Jérusalem, les références agressives à un Etat qui se voudrait ‘laïc’, c’est-à-dire amnésique, c’est-à-dire encore anonymement israélien mais non plus généalogiquement juif, conduisent à s’interroger sur l’anormalité d’une telle « normalisation ». Quand l’objectif du mouvement sioniste reste de rassembler, si possible, les Juifs du monde entier en terre d’Israël, la formulation même d’un pareil objectif s’avèrera de plus en plus absurde et hasardeuse, au fur et à mesure que la terre d’Israël verra s’effacer ses signes identificatoires. Le retrait de territoires qui portent en eux cette immémoriale identité se compensera-t-il par l’invocation à un Etat ‘moderne’, c’est-à-dire qui ressemble à tous les autres, en adopte les finalités, en mime les structures, en ingère les éléments destructeurs?

UN ETAT « GALOUTIQUE » ?    

Autrement dit, si l’Etat d’Israël doit être, de facto, un Etat pseudo américain, un Etat non plus sioniste mais assimilationniste, en ce sens plus galoutique que toute la Diaspora réunie, pourquoi quitter les Etats-Unis ou la France ? Sans compter que cet Etat moderne, ses promoteurs mêmes ne cessent de saper ses bases en affirmant qu’il s’est constitué dès l’origine à rebours de ses valeurs affichées, que son utopie égalitaire et son idéologie socialiste n’étaient que les masques d’un nationalisme comparables à tous ceux, machiavéliens, des cent dernières années. Etrange critique au demeurant, présupposant qu’il existe, ou aurait existé, un modèle de l’égalitarisme pur et du socialisme intégral dont un Israël placé dans des conditions optimales se serait éloigné pour des raisons au fond inavouables.

LA CROISEE DES CHEMINS

Entre la critique salutaire et l’auto-dénigrement suicidaire, par où se dessinent les nouveaux chemins de l’histoire juive ? La question passe d’un camp à l’autre comme la navette du tisserand pressé. Cette fois, pour les défenseurs de l’identité judéo-juive de l’Etat d’Israël, quel contenu recouvre ce qualificatif ? Etre Juif, cela se réduit-il à des signes identitaires externes (kippa, cacherout), à des contraintes jugées parfois insupportables (la manière dont cette identité est religieusement conférée), à des vues nébuleuses sur l’organisation économique et sociale d’une société qualifiée tautologiquement de juive? Que signifient tsédek et tsédaka dans l’actuel processus de mondialisation économique et informationnel ? Quelle est la signification effective du yovel, de l’année jubilaire, dans un monde où la sphère financière vit de son existence propre, ne connaît ni frontières nationales ni priorités sociales, et fait chuter les cours de la bourse lorsque tombe la nouvelle que le chômage va diminuer ?

Dans un pareil débat, chacun doit s’imposer le respect profond de ses interlocuteurs. Entre les deux guerres, un historien de la dimension de Doubnov a profondément cru à l’autonomie culturelle de la Diaspora en même temps qu’à la légitimité d’un Etat juif. A ses yeux, l’entité transcendante restait le peuple juif, c’est-à-dire l’ensemble constitué par la Diaspora et un Etat possiblement indépendant de ce peuple mais qui ne s’y réduirait pas. Vue admirable d’un humanisme si universel qu’il finissait pas oublier les erratismes du temps présent. Doubnov périt dans le ghetto de Riga. Les bêtes fauves du IIIème Reich avaient alors entrepris de transformer les îles de la Diaspora en archipel de l’annihilation. Mais il y a tant d’autres manières de disparaître aujourd’hui. Près d’un demi-siècle après sa création en droit international, l’Etat d’Israël est reconnu par la chrétienté, par l’islam, par l’immense majorité des nations représentées à l’ONU. Cette reconnaissance lui a été si difficilement consentie qu’il est prêt à en jouir comme d’une fin en soi. Mais la fin tout court est toujours près de la fin en soi. Au long de leur tumultueuse histoire, le peuple juif puis, plus récemment, le mouvement sioniste ont connu de pareils moments : celui de la bifurcation des chemins (parachat derakhim) et du partage des esprits. Heureusement, il s’est presque toujours trouvé des responsables inspirés pour que le peuple ne s’y divise pas au risque de perdre en route une partie supplémentaire du restant des douze tribus. Nous sommes à une nouvelle croisée des chemins. Le pire serait que, les uns et les autres, nous choisissions notre destination dans le mutisme et le ressentiment. Il nous faut trouver les ressources spirituelles nécessaires pour parler ensemble de notre prochaine étape et si possible de notre commune destination.

Raphaël Draï zal, L’Arche Mai 1996

YOM HAZIKARON – Chronique Radio J du 15 avril 2013

In Uncategorized on avril 27, 2020 at 6:55

 

Radio J - 15 avril 2013 - Yom Hazikaron

Retranscription

Bonjour à tous et à toutes

Après la décade tumultueuse que vient de traverser la communauté juive de France, je vous adresse cette chronique d’Eretz Israel et plus particulièrement de Netanya. Quant à la météo il fait beau, très beau et chaud ce qui nous guérit des grisailles pluvieuses et prolongées de cet hiver. Mais en Israel c’est aussi Yom Hazikarone, le jour du souvenir dédié à toutes celles et tous ceux qui sont tombés sur les champs de bataille militaire et du terrorisme pour que vive et dure l’Etat d’Israël. Toute la population du pays s’est recueillie dans le sifflet des sirènes qui fige tout le monde au garde à vous, pensant au prix des choses. Car toute chose a un prix, qui est parfois celui de la vie, sacrifiée pour autrui. Il faut s’en souvenir lorsque les uns et les autres nous nous laissons prendre par la mauvaise ivresse des évènements ou que nous nous dissolvons dans la suite des jours sans lien entre eux.

Etre juif ce n’est pas seulement se prévaloir de valeurs verbales. L’éthique la plus élaborée comporte sa propre pathologie qui est le narcissisme moral. Etre juif c’est mettre en accord nos valeurs et nos conduites de sorte que celles-ci ne démonétisent pas celles-là. De même il ne suffit pas d’affirmer l’existence de l’Etat Juif, comme on l’appelle, ressuscité en 1948. Il faut savoir se comporter pour donner consistance à cet état, non seulement face à ses ennemis extérieurs, mais également devant ses propres tentations : celles du chacun pour soi, de la « réussite » obtenue sur le dos et sur le compte d’autrui… Une variante hébraïque de Babel et de Byzance. Se trouver sur cette terre, au moment où le plus profond et le plus général des silences permet de faire le point lucidement, y compris face à la tourmente que vient de connaître la communauté juive où il ne faudrait surtout pas qu’un évènement chasse l’autre…

Mais on en reparlera. Pour l’heure, chacun se recueille et se prépare à accueillir dans la joie Yom Haatsmaout, le jour de l’Indépendance.

Raphaël Draï, zal, 15 avril 2013

(Retranscrite à partir de notes manuscrites)

PARACHIOT TAZRIA METSORA

In Uncategorized on avril 23, 2020 at 6:21

26 Tazria.

Aucun fait, aucun événement de la vie humaine ne va de soi au titre de « lois de la nature » s’assimilant à l’on ne sait quel ensemble de processus quasiment mécaniques. L’engendrement et la naissance doivent  être inscrits sans tarder dans une Loi, au sens  vital, marquant la relation de l’Humain avec un sens transcendant qui fasse du nouveau- né autre chose qu’un bout de chair. C’est pourquoi  cette Loi dispose : «Lorsqu’une femme ayant  » ensemencé  » (tazriâ) et engendré un enfant mâle (zakhar) elle sera impure durant huit jours, période d’indisposition (nidda) à cause de cette période d’impureté  pulsionnelle (dota titma). Et le huitième jour la chair de son excroissance sera ( re) tranchée ( ymol bassar ôrlato) ».

Il peut paraître étrange que les  faits  physiologiques de l’ovulation et de l’engendrement ne soient pas considérés comme purement « naturels »  et entérinés en tant que tels ; qu’il faille aussitôt et une fois de plus les insérer dans l’ordre d’une temporalité particulière, en trois phases, dont on examinera la troisième un peu plus loin.

Durant les sept jours qui suivent immédiatement la naissance d’un garçon, la mère est considérée comme si elle se trouvait dans sa période menstruelle. Par suite, elle ne peut pas avoir de rapports sexuels. Une distance, un intervalle sont ainsi immédiatement constitués dont la durée: sept jours, est significative déjà au premier degré puisqu’elle évoque la séquence intégrale de la création cosmique: les six «jours» de création active puis le septième, celui de la réflexion, de la pensée redevenue possible. Ces sept jours-là ne se rapportent pas à une «simple»  période de séparation, durant laquelle la femme serait« taboue». A l’évidence, il faut aussi qu’après le travail de la gestation puis de l’enfantement elle ait la possibilité de reprendre souffle, si l’on peut dire, et de se consacrer au nouveau- né qui se trouve dans une totale impotence et une complète dépendance. Cependant, une autre dimension apparaît selon laquelle la  femme créatrice, loin de se renfermer sur elle même, de se considérer comme un monde en soi, doit se relier à la Création en général dont elle intériorise, sans tarder non plus,  les étapes et les rythmes. D’où l’acte de symbolisation qui se tient le huitième jour et qui ne peut être accompli que ce jour là: la mila . Nul n’ignore l’amas de stéréotypes et d’idées parfois délirantes proliférant à ce sujet dans le sens commun qui n’épargne pas les esprits les plus cultivés. La mila n’est ni une amputation locale, ni une castration bio-psychique. Pour la Loi d’Israël, même la castration d’un animal  est prohibée.

Néanmoins, toutes les images de corps impliquent une certaine conception de la mesure, de la proportion, de l’harmonie, quand ce n’est pas du fameux « Nombre d’or » cher aux peintres et aux architectes. Pour la pensée juive, lorsqu’un garçon naît le prépuce qui tout à la fois allonge fallacieusement son sexe mais le dissimule est bel et bien une ex-croissance, le signe d’une dis- proportion, d’un excès que l’humain lui même doit ramener à sa dimension intrinsèque et visible. D’où le double geste de son ablation, aussitôt suivi du dévoilement décisif du gland, avant que ne soient prononcées les paroles d’insertion dans l’Alliance d’Abraham. Par ce geste, le mohel, devient le porte -fort, au sens juridique, de l’enfançon qu’il insère dans l’ordre vivant du langage, du parl’être, avant même que la conscience n’en naisse, et comme une condition de son apparition et de  sa confortation. Par là même, le porte – fort affirme le primat d’une responsabilité qui  conduise le nouveau né, totalement dépendant, du stade de la naissance ponctuelle à celui de la viabilité durable.

Comme la fille n’est pas dotée d’un prépuce au sens anatomique, les durées de rétention puis d’indisposition de la mère seront alors respectivement de deux semaines et de soixante six jours, chiffres qui comportent également leur projection corporelle et leur coefficient symbolique.

Et c’est pourquoi, dans les deux cas,  la  femme, mère devenue ou redevenue, doit se rendre enfin au Temple et s’acquitter de deux korbanot, au sens indiqué dans les parachiot précédentes. En premier lieu un mouton (kévess) qui se trouve dans sa première année: liturgie d’élévation, de transcendance et de futurition,  laquelle se rapporte certainement au bélier qui se substitua à Isaac lors de sa ligature, de sa âkéda, par son propre père; puis une colombe ou une tourterelle  comme propitiatoire, comme h’atat. Le mouton symbolise le monde d’en-bas et la colombe le monde d’en-haut, une nouvelle fois conjoints. Ces liturgies corrélées doivent être accomplies en lien avec le cohen d’une part, et d’autre part à l’entrée (pétah’) de la Tente de la rencontre.

C’est de la sorte que l’enfant qui vient de naître entre ouvertement dans l’existence, à partir de l’huis corporel maternel, au sein d’un peuple qui a fait de la vie le choix déterminant.

Raphaël Draï zal, Avril 2013

PARACHAT CHEMINI ( Lev, 9, 1 et sq )

In Uncategorized on avril 17, 2020 at 1:21

    

25 Chémini.

On l’a vu dans la parachat Vayakhel, une fois le Sanctuaire construit et monté selon l’ordre même, le séder, des prescriptions divines, la Présence de Dieu l’investit tout entier, au point de ne plus laisser place à Moïse en personne. Dans la parachat Chemini, il n’en va pas autrement mais il s’agit maintenant de l’ordre prescrit pour l’accomplissement des sacrifices, compris au sens hébraïque des korbanot, des liturgies de rapprochement. Cette fois encore Moïse sert pour ainsi dire de moniteur à Aharon, non pour conforter son pouvoir sur lui mais pour signifier l’importance en ces actes là de la relation fraternelle pleinement vécue. C’est probablement pour cette raison que le tout premier des ces korbanot consistera dans un « veau adulte  et expiatoire ». Si la référence  à l’épisode du Veau d’Or dans laquelle Aharon s’est impliqué dans les circonstances que l’on sait est patente, elle indique aussi que cet épisode est dépassé, que la réparation spirituelle est sociale en est à présent parachevée. C’est pourquoi aussi, alors que le Veau d’Or avait été singularisé parmi tous es éléments symboliques du moment, au point d’être  transmuté en idole, le veau du korban actuel  s’insère parmi d’autres animaux symboliques et purs, c’est à dire corrélés à la présence humaine et formant site de vie avec elle.

Bien sûr les actes et gestes subséquents accomplis en ce sens par Aharon et par ses fils comportent chacun un sens spécifique que les grands commentateurs, les mépharchim, de la Tradition sinaïtique éclairent. C’est aussi leur enchaînement qui revêt une signification intrinsèque. Comme le fait observer Benyamin Lau, en recevant la Thora sur le mont Sinaï et en la transmettant à tout Israël, Moïse conjoignait l’en-haut avec l’en- bas. En accomplissant  à présent les gestes  sacerdotaux pour lesquels ils avaient été désignés, Aharon et ses fils, conjoignent réciproquement l’en-bas avec l’en- haut  de telle sorte que l’espace spirituel fût ouvert et praticable dans les deux directions, comme l’était l’échelle vue en songe par Jacob. Les anges y reliaient également les deux univers non pas séparés depuis les commencements de la Création mais différenciés pour que celle-ci sorte décidément du chaos, du tohou vavohou originel.

Cette gestuelle liturgique ne suffit pas à elle seule. Elle doit se conclure par un autre geste qui en collige toutes les étapes et indique ses véritables destinataires: « Aharon étendit ses mains vers le peuple et le bénit (lev, 9, 22) ». Sans cette bénédiction, les rituels antérieurs auraient été mécaniques et incantatoires. Cependant, une fois cette bénédiction  prononcée, rien ne se passe. Le récit évoque une seconde bénédiction prononcée  conjointement par Moïse et par Aharon. Alors et alors seulement  se produit la révélation divine annoncée dès le début par Moïse : «  Ils ressortirent et ils bénirent le peuple et la Gloire divine se révéla à tout le peuple ».S’ensuit la validation de cette liturgie : «  Un feu s’élança de devant  le Seigneur et consuma sur l’autel le  sacrifice d’élévation et les graisses. Et tout le peuple vit et chanta et ils tombèrent sur leur face » ( Lev, 9, 24).Le contenant s’avère adéquat au contenu et les deux voies corrélatives ainsi ouvertes par les deux frères, individuellement puis ensemble, permet à la Présence divine de se manifester au sein du peuple, ce qui transmute les tlounot, les récriminations habituelles, en chants de joie.

Une joie de courte durée. Deux des fils d’Aharon, Nadav et Avihou, saisis d’enthousiasme, croiront devoir accomplir leurs propres liturgies hors de cet espace là, ainsi  déterminé, hors de ce séder. Il en résulte qu’un feu s’élança également de devant l’Eternel mais pour les dévorer. De nombreux commentaires tentent d’éclairer les causes de cette tragédie. L’un d’entre eux retient l’attention: Nadav et Avihou n’auraient pas supporté que leur père ait eu à nouveau besoin de Moïse afin que la Présence divine se manifeste. Rivalité destructrice. Mais la cause principale doit sans doute être déduite de la prescription qui s’ensuit  dans  le récit même du Lévitique: «L’Eternel parla ainsi à Aharon: «Tu ne boiras ni vin ni liqueur forte, toi ni tes fils, lorsque vous pénétrerez dans la Tente de la rencontre, afin que vous ne mourriez pas, règle perpétuelle pour vos générations, et afin de pouvoir distinguer (lehavdil) entre le sacré et le profane, entre l’impur et le pur  et instruire les enfants d’Israël dans toutes les lois que l’Eternel leur a fait transmettre par Moïse» ( Lev, 10,  8 à 11 ).

Le service divin, la Âvodat hakodech, ne requiert aucune de ces attitudes par lesquelles l’esprit s’obscurcit et s’oblitère mais au contraire une pleine capacité de discernement. Et chacun doit se trouver à la place qui lui est indiquée non par son désir personnel mais par l’accomplissement de ce service même: Aharon et ses fils à leur place, et Moïse à la sienne, confirmée, de même que seront confirmées les places d’Aharon et de ses fils survivants lors de la révolte de Korah.

Raphaël Draï zal 4 Avril 2013

PARACHA TSAV

In Uncategorized on avril 2, 2020 at 11:45

(Lv, 6, et sq)

24 Tsav

Cette paracha est doublement importante, par son contenu propre et par son lien avec le  Chabbat Hagadol qui précède Pessah’, et d’ailleurs il y est aussi question ici de matsot, de pain azymes, à pétrir et à consommer par les cohanim, et plus particulièrement par les fils d’ Aharon, le Cohen gadol.

Mais elle commence par une prescription fort importante qui concerne la ôla, la liturgie ascensionnelle, qui doit se poursuivre toute la nuit, tandis que le feu de l’autel doit brûler sans intermittence, et être alimenté chaque matin. Cette prescription s’énonce en ces termes : «Un feu perpétuel (ech tamid) sera entretenu (toukad) sur l’autel, il ne devra point s’éteindre (lo tichbé) (Lv, 6, 6)».

Le sens de pareilles prescriptions pourrait paraître anthropologique et concerner l’état  actuel d’un peuple à peine sorti de l’esclavage, accédant non sans mal à la liberté des corps et à celle de l’esprit. Ces rituels là seraient alors strictement didactiques, sans transcender le temps où ils furent institués. Une  telle vue serait superficielle. Le terme même de ôla, formé sur le radical ÂL, élever, indique au contraire qu’au delà de tous les korbanot individuels ou même collectifs, se plaçait  cette liturgie d’élévation, d’ascension et de transcendance qui devait commencer le soir, lorsque la lumière du jour reflue et laisse place à l’obscurité, jusqu’au matin. Comme si la ôla devenait l’équivalent d’un  maor, d’un luminaire.

En quoi plus précisément une telle intention transcendante se discerne t-elle? En ce qu’elle ne s’accommode pas des temps où la lumière ne brille pas d’elle-même. Il faut rappeler, justement en termes d’anthropologie religieuse, que dans la religion égyptienne, s’il faut ainsi la dénommer, d’où le peuple des Bnei Israël est sorti, la nuit était particulièrement angoissante où refluaient tous les monstres du sous–monde. La liturgie de la ôla surmonte cette disparition de la lumière du jour en instituant une lumière spécifique, de nuit, la nuit de la conscience. Et s’il faut insister sur une telle continuité, c’est que la liturgie nocturne de la ôla doit s’opérer à partir d’un feu allumé dès le matin (baboker), et qualifié en tant que tel de perpétuel, tamid, pour bien souligner que les différentes phases du temps cosmiques ne provoquent pas l’hétérogénéité du temps de la Création divine ; que toutes les temporalités particulières et locales retrouvent leur cohérence d’ensemble dans la volonté de perpétuer une clarté inextinguible, pour peu qu’on l’entretienne.

Et c’est pourquoi deux verbes sont employés  à son propos : d’abord  ce feu devra être entretenu : toukad, positivement. La traduction en langue française ne rend pas tout à fait compte des connotations de ce verbe en hébreu puisqu’il est construit sur le  radical KD que l’on retrouve dans KoDeCh ; comme si ce feu devait être non pas dévorant mais sanctificateur. Ce premier verbe se rapporte à la qualité intrinsèque d’une  telle source de lumière et d’énergie.

L’autre verbe sous sa forme négative se rapporte cette fois à l’attention humaine, au sens de la responsabilité par laquelle la notion de garde, de chemira,  trouve toute sa résonance. L’on devra donc se garder de laisser ce feu – référence de l’esprit et de l’âme – s’éteindre. Et cela non par à coups mais perpétuellement. La vie de l’esprit comme l’histoire du peuple d’Israël s’inscrivent ainsi dans la longue durée, vers l’éternité, le tamid se profilant vers le netsah’.

Les fils d’Aharon devront de leur côté confectionner avec de la farine issue d’offrandes des matsot, des pains non levés, le h’ametz, le levain, désignant l’effervescence, le gonflage sans augmentation de substance, l’équivalent de l’alcool dans le vin, l’alcool dont il devront se garder à leur tour avant de procéder aux actes qui relèvent du service divin. Par suite, si pour l’ensemble du peuple la consommation exclusive de telles matsot, avec ce qu’elles symbolisent et qui est rappelé lors du séder de Pessah, n’est prescrite que durant huit jours, elle l’est à titre quotidien et en somme perpétuel pour les cohanim, sachant que tout le peuple est lui même qualifié de mamlekhet cohanim, de souveraineté pontificale, le mot pontife prenant à son tour son sens du mot pont, de cette construction humaine  qui relie l’ici  et le là-bas, l’homme et son prochain, l’homme et le Créateur.

Raphaël Draï zal 21 mars 2013