danieldrai

Archive for novembre 2016|Monthly archive page

MOISE, CESAR ET NAPOLEON 

In Uncategorized on novembre 25, 2016 at 1:00

sanhedrin

A propos de la commémoration de la réunion du Grand « Sanhedrin » par Napoléon 1er

Face à l’Histoire, il faut éviter deux écueils naufrageurs: la transformer en juge, ou la réduire au rang d’accusée. La manoeuvre n’est guère aisée. Qu’il soit psychologique ou historique, le temps coule de manière continue. Dans l’espace contracté d’une vie, ou dans le cadre d’une analyse, il incite aux liaisons d’apparence entre événements discontinus et, finalement, il pousse aux jugements à l’emporte pièce. Ainsi en va t-il de la réunion du grand Sanhédrin par Napoléon en février 1807. Quel jugement peut-on porter – il serait préférable de dire quelle appréciation est- il possible de formuler – sur un pareil événement deux cents ans après qu’il s’est produit et dans le décours d’une histoire de France parfois chaotique où les époques se tamponnent souvent comme les wagons d’un train qui déraille, comme on l’a vu à propos de l’histoire de Vichy et de la Collaboration? Un premier malentendu doit être évité qui lierait ensemble cette réunion opérée sous contrainte et la création de l’institution consistoriale pour les Juifs de France. Fallacieux serait le raisonnement suivant: à l’usage, il s’avère que l’institution consistoriale ne soit pas la pire de l’histoire des cultes en France puisqu’elle permet de concilier citoyenneté et appartenance confessionnelle avec une gestion plutôt démocratique – dans les périodes fastes – de l’institution en question ; par suite, il convient de louer son événement générateur, soit la réunion du dit Sanhédrin qui marque, certainement, la véritable entrée dans Juifs dans la société française et la mise en application des valeurs effectives de liberté et d’égalité proclamés en 1789. Un pareil malentendu conduit cependant à idéaliser pour ne pas dire à transformer en yddile ce qui ne fut en fait qu’une action de force. Rappelons que Napoléon Ier qui en fut l’instigateur avait mis un terme à la Révolution française et transformé le régime qu’elle avait tenté d’instaurer en rien de moins qu’un Empire. C’est explicitement que l’Empereur affiliera ce régime à la Rome antique dont il fera revivre le décorum et les concepts. A ses yeux, il ne pouvait régner dans l’Empire que la Loi qu’il voudrait bien lui donner. La France devait s’y plier et les peuples conquis en son nom s’y soumettre. En cas de doute sur cette adhésion exigée sans réserve, il fallait tirer les choses au clair. Ainsi en alla-t-il pour les Juifs de France. On peut s’étonner que l’Empereur eût voulu vérifier leurs intentions civiques et la réalité de leur attachement à la France. La Convention ne les avait –elle pas érigés en citoyens à part entière des 1791? Seulement deux profonds changements étaient intervenus. D’une part la forme de l’Etat avait changée. L’Etat napoléonien, Etat « maximal », n’avait plus rien de commun avec l’Etat de 1790 et de 1791, alors « Etat minimal » auquel les représentants de la communauté juive avaient demandé l’octroi du seul « état civil » qui permettait aux Juifs d’être considéré comme des personnes humaines. L’Etat fondé par Napoléon entendait régir les croyances et parfois, par sa police, pénétrer dans les consciences. D’autre part, Napoléon lui-même regardait toujours les Juifs non pas comme les citoyens qu’ils étaient devenus, fût- ce selon la doctrine Clermont-Tonnerre, mais toujours comme un peuple, et un peuple à part dont il fallait sans cesse vérifier la réalité de son adhésion politique aux principes du régime impérial. S’il s’avérait que les Juifs se considérassent encore comme une Nation dotée d’un droit propre, inassimilable aux règles du Code civil, et d’un projet dans l’Histoire qui ne se résorbait guère en la vision napoléonienne, la conduite à tenir était claire: ils devaient être confrontés au dilemme: s’en désister ou bien risquer de perdre la nationalité qui leur avait été octroyée, Napoléon estimant que toute concession de cette sorte était révocable par nature. D’où la réunion de cette assemblée que Napoléon qui tutoyait les siècles baptisera du nom emphatique, mais lui aussi usurpé, de Sanhédrin. La cause déclenchante fut cherchée dans des « troubles » qui affectaient les Juifs vivant dans l’est de la France et dont l’Empereur conclut qu’ils jetaient le doute sur la véritable appartenance de ce peuple à l’Empire. D’où la convocation de ce Sanhédrin, elle même précédée par une réunion de notables sur lesquels une forte pression commença de s’exercer dans le sens que l’on vient d’indiquer. En 1807 les membres de ce Sanhédrin ad hoc eurent donc à se prononcer sur la compatibilité des règles du judaïsme avec les Lois de l’Empire sous trois rubriques qui recouvraient en réalité trois chefs d’accusation virtuelle: la vie familiale, l’exercice du commerce, le projet politique. S’agissant des deux premières les membres du « Sanhédrin » n’eurent pas de peine à démontrer que chez les Juifs la polygamie ne se trouvait pas au principe du mariage et que la pratique de l’usure n’était pas à la source de leurs pratiques commerciales. Mais s’agissant du retour à Sion, ils esquivèrent la difficulté en transformant ce principe identitaire, rappelé à chaque Seder de Pessah, en vague espoir, différable aux calendes… L’Empereur s’estima satisfait puisque Moïse venait en somme de lui faire allégeance, et les Juifs conservèrent leur nationalité. Qui peut douter que la marge de manœuvre des membres de ce groupe fût alors d’une étroitesse extrême? Qu’ils agirent du mieux possible? Qu’ils évitèrent la régression de la position des Juifs à la période d’avant la Convention? D’où nos remarques initiales concernant l’usage de l’Histoire à longue distance des événements originels. Cependant, l’usage de cette même Histoire interdit qu’on la mythifie, fût-ce pour les besoins d’une commémoration. Drôle d’Histoire que celle dans laquelle la mémoire se diviserait d’avec elle-même! Il faut alors rappeler que, s’agissant du « Sanhédrin » réuni il y deux siècles par un homme qui en était arrivé à interdire dans les conversations courantes qu’on le prît non pas pour César mais pour Dieu en personne, cette appellation est abusive. Ni dans sa composition, ni dans ses procédures, ni dans son ordre du jour, ce groupe de personnalités rabbiniques et de notables anxieux ne peut être assimilé à l’institution sinaïtique dont le Talmud, précisément dans le Traité intitulé Sanhédrin, précise l’origine, les règles de fonctionnement et les missions. En particulier ce groupe-là n’avait aucune compétence pour se désister d’une partie cruciale de l’identité juive, celle qui le relie à la terre de la promesse divine – que Bonaparte avait tenté de conquérir militairement!- et où son droit immémorial trouve une grande partie de son application. Il faut d’ailleurs noter que Napoléon se comportera avec la même rudesse vis à vis de l’Eglise catholique mais celle-ci avait à sa tête Pie VII, un pape qui ne payait pas de mine face au nouveau César mais qui sut s’opposer efficacement à ses volontés impérieuses. De cela que résulta-t-il? Sans doute les Juifs étaient reconduits dans la nationalité française mais avec, si l’on peut dire, un bail précaire. Face à Napoléon les membres d’un Sanhédrin de circonstance ramenèrent l’identité juive à un rang accessoire, au point que l’on ne comprit plus qu’aussi fossilisée elle veuille se perpétuer. D’où, notamment, la reviviscence des soupçons anciens. L’antisémitisme ne disparut pas de France. Au contraire. Il s’exacerba puisque désormais, muni de ce viatique, les Juifs, malgré leur faible nombre, étaient « partout ». Moins d’un siècle après la convocation de 1807, quelques années à peine après la célébration du premier centenaire de la Révolution française, l’affaire Dreyfus éclatait. Et c’est sous l’effet des chocs psychiques et politiques qui en résultèrent que le retour à Sion, mis sous le coude en 1807, fit violemment retour dans la conscience d’Israël comme ouvrant la voie élective de sa sauvegarde. Et c’est le 20 août 1897 que se tint à Bâle, sous l’impulsion de Theodor Herzl qui avait assisté à la dégradation d’Alfred Dreyfus dans la cour de l’Ecole militaire et qui avait entendu, stupéfait, les cris de « Mort aux Juifs », le premier Congrès sioniste mondial. Il y avait longtemps que Napoléon était mort à Sainte Hélène, laissant en héritage à la France une série d’institutions dont certaines sont demeurées vivaces et d’autres sont devenues spectrales, la lumière de l’Histoire traversant à grand peine les ombres de l’Exil.

                                   Raphaël Draï zal, L’Arche Mars 2007

LE SENS DES MITSVOT: PARACHA H’AYE SARAH

In Uncategorized on novembre 25, 2016 at 12:18

 Haye Sara

« Sarah mourut à Kiriat Arabâ qui est Hébron dans le pays de Canaan ; et Abraham vint faire l’éloge funèbre (lispod) de Sarah et la pleurer (velibcotah) » ( Gn, 23, 2) 

Pour la première fois dans le livre de Beréchit nous est fait un récit de funérailles et celles ci concernent Sarah, l’épouse d’Abraham, sans laquelle il ne serait sans doute pas devenu «l’inventeur de l’Histoire» comme on a pu parfois le caractériser.

Sarah sera donc inhumée en un lieu qui comporte deux dimensions. La première est à la fois géographique et topographique. Sa sépulture sera située dans un lieu dit la « Ville des quatre » qui est simultanément nommé H’ébron. Ce dernier terme retient l’attention puisqu’il est construit sur la racine H’BR qui désigne le lien et le compagnonnage. La sépulture de Sarah sera donc symbolique de son existence qui aura consisté à relier – seconde dimension – l’en-bas avec l’en-haut, ce monde-ci et le monde qui vient, non sans difficultés et non sans avoir elle aussi traversé de nombreuses épreuves dont la dernière, la Akedat Itsh’ak, aura eu raison d’elle.

Cependant une vie ne s’anéantit pas avec le départ de ce monde et c’est sans doute pourquoi le récit biblique relate, sans en rien omettre, comment Abraham veuf reconduit son épouse, la compagne et la partenaire de sa propre existence, jusqu’à sa dernière demeure, pour reprendre l’expression consacrée, sans oublier que cette demeure là n’est dernière que dans le monde d’en-bas mais qu’elle est le lieu de passage vers le monde d’en-haut. Et c’est pourquoi Abraham défère à deux obligations elle aussi corrélées.

D’une part il s’acquitte de l’éloge funèbre, du hesped, de Sarah. Quelle en est la signification? Celle-ci donne l’exemple même de l’amour du prochain car à quel moment cette qualité risque t-elle d’être perdue de vue et même d’être abrogée sans rémission, sinon après le décès de la personne concernée, après qu’elle a été réduite, au moins en apparence, à un corps inerte, privé de parole, une « dépouille » que l’on serait tenté de considérer comme un déchet sans plus aucune valeur? Au contraire c’est à ce moment là que le défunt ou que la défunte voit consacrer son statut si l’on peut dire de prochain, un statut qui s’atteste par cet éloge, ce hesped, qui relatera et qui mettra en valeur tout ce qui a valu que cette vie, à présent absente, a valu d’être vécue.

Il ne s’agit pas ici d’un rituel d’apparence, de ce que l’on appelle parfois « l’expression obligatoire des sentiments », mais bel et bien de maîtriser une propension: celle qui assimile la mort à une dévaluation de la vie puisque tous les signes de celle-ci ont disparu. C’est à ce moment précis qu’à l’inverse d’une autre formule consacrée « le vif saisit le mort » et le projette dans le temps de la survie. Car qu’est ce qui mérite de survivre d’une existence sinon ce qui la hausse au dessus d’elle-même par tout ce que le défunt ou la défunte de son vivant a su accomplir et dont désormais il lui est fait inoubliable mérite…

Ce qui n’empêche pas la douleur de s’exprimer aussi. Abraham pleure son épouse ce qui témoigne à quel point ils furent attachés l’un à l’autre. Sans attachement il n’est pas d’arrachement. Les pleurs ici ne sont pas non plus de convenance. Ils marquent la réaction du corps face à ce qui désormais l’ampute d’une partie de lui-même. Une vie dite « commune » n’est pas constituée par la juxtaposition de deux vies parcellaires mais par leur symbiose au point de ne plus former qu’un seul être.

Et pourtant, au delà de cet arrachement pleinement exprimé et qui ne se limite pas à la durée « légale » du deuil, la vie doit à nouveau l’emporter, sachant qu’elle sera désormais, et plus que jamais, constituée par un avant et un après. La mémoire la plus inaltérable ne doit pas se confondre avec le deuil pathologique ni un décès avec une incurable blessure narcissique. Cette différence vitale est indiquée par une particularité de la transcription du récit de Beréchit puisque dans le mot « velibcotah » la lettre caph apparaît de moindre dimension que les autres. Ce n’est pas l’indication d’une consolation prématurée mais d’ores et déjà l’injonction discrète d’avoir à continuer de vivre afin de poursuivre l’oeuvre voulue par le Créateur, le Consolateur par excellence lorsque le temps est venu de comprendre vraiment que le règne de la mort est circonscrit et temporaire, qu’une âme ne meurt jamais pour peu que les vivants acceptent d’en préserver la lumière.

 

Raphaël Draï zatsal, 13 novembre 2014

Bloc-notes du 19 Aout 2014 (extrait)

In Uncategorized on novembre 20, 2016 at 11:36

19 août 2014.

images

Alain Juppé déclare officiellement sa candidature à la « primaire » de l’UMP. Est-ce tellement sage ? Quelles que soient les ambitions personnelles des uns et des autres, lorsque l’on appartient à un parti, et pour Juppé à un parti que l’on a soi-même largement forgé, des décisions de cette sorte ne s’annoncent pas à la cantonade. Pourtant, il faut s’y faire: cette génération politique est celle du passage à l’acte, du fait accompli. Il faut alors se demander ce qu’il restera de la maison commune une fois que ces ambitions personnelles, toujours soutenues par des entourages qui s’avèrent parfois réellement d’amitié, parfois plus complaisants ou moins désintéressés, se seront une fois de plus affrontées. Car, Alain Juppé n’est pas le seul à louvoyer en ce moment pour se placer en  « pole  position » pour la course la plus décisive de la Vème république. François Fillon, Hervé Mariton, et Bruno Le Maire avec son air perpétuellement scandalisé, ne sont pas de reste.  Et puis , il y a ceux dont les silences sont claironnants: Jean-François Copé et surtout Nicolas Sarkozy. Ils ne laisseront pas faire. Pour l’instant, personne n’est sorti officiellement du bois.

A gauche est-ce mieux? La fronde s’installe à senestre. Et les frondeurs ne désarment pas. A l’évidence, chacun et chacune se projette déjà, comme on l’a dit et redit, à l’échéance de 2017, sachant que sur la projection de ses  non-résultats actuels François Hollande risque de se faire éjecter de la course dès le premier tour. Vrai ou non, François Hollande semble avoir perdu toute autorité. Ses anciens et anciennes ministres ne l’épargnent guère et dans les dîners en ville ou devant leur potage-bio distillent contre lui le plus mortel des curares. On dirait une génération sans aucune image de père, une fratrie anarchique, ou tous les coups sont permis, tous les revirements imaginables. Certains ministres se comportent au sein du gouvernement Valls comme s’ils n’en étaient pas. Dans le no man’s land du Front de Gauche, Jean- Luc Mélenchon traîne sa déprime mais fusille Pierre Laurent, secrétaire du PCF, qui pourtant l’a longtemps fourni pour ses meetings en auditoires conséquents et en service d’ordre.

Rien de ce qui est dit le jour même n’engage plus le lendemain. Les mots sont devenus de petits ballons de baudruche que l’on s’amuse à crever avec une pointe de sadisme. Un Etat digne de ce nom peut-il y survivre ? Il faudra sans doute des décennies pour comprendre comment l’on en est arrivé à ce degré d’autisme narcissique alors qu’il suffit d’ouvrir Montesquieu, par exemple, à n’importe quelle page, notamment dans ses Pensées, pour comprendre qu’il n’est point de République sans modestie et sans capacité à se mettre en retrait.

Raphaël Draï zal, 19 Aout 2014

LE SENS DES MITSVOT: PARACHA VAYERA

In Uncategorized on novembre 17, 2016 at 10:31

« Il dit « Ne porte pas ( al tichlah’) ta main sur le jeune homme (hanaâr) et ne lui fais rien (méoumah) car maintenant Je sais que tu es craignant- Dieu et tu ne m’a pas refusé ton fils, ton unique » (Gn, 22, 12).

 4VayéraEtTexte15

L’entreprise abrahamique est dirigée vers la reconstitution d’une humanité créatrice, bénie en tant que telle. Puisque l’homme est mortel, la création dont il doit être l’auteur ne peut s’inscrire que dans le fil des générations, des toldot, comparables aux générations, aux toldot, du Ciel et de la Terre. Encore faut-il qu’il accepte consciemment – et inconsciemment cette perspective et qu’il n’estime pas que si Histoire il doit y avoir elle se limitera à son existence personnelle. D’où l’importance décisive de la 10eme épreuve d’Abraham, de la Âkédat Itsh’ak, de la ligature d’Isaac qui a donné lieu à de multiples commentaires qu’il faut également savoir découvrir.

Jusqu’à présent, le récit biblique s’est attaché à la construction individuelle d’Abram, homme resté longtemps sans progéniture et sans descendance. On le sait, Abram est devenu Abraham par intégration de la lettre héi, celle de l’interlocution, dans la reconnaissance d’autrui par soi même et de soi même par autrui. Puis Abram, Abraham devenu, est appelé à devenir enfin père. Pourtant l’interrogation demeure: cet enfant, le père est-il porté à l’inscrire précisément dans la suite des générations, en l’érigeant en auteur d’une histoire vivante, ou bien n’est-il entre ses mains que chose parmi les choses, dont il peut disposer à sa seule convenance? On sait également que dans cette période de l’aventure humaine qualifiée à tort d’Antiquité, tant elle demeure prégnante psychiquement, les géniteurs avaient droit de vie et de mort sur leur progéniture. C’est ce butoir là dont le récit biblique décrit le dépassement.

Tout commence par une injonction « classique » du point de vue que l’on vient de rappeler. Une divinité anonyme (expression de l’instinct plus que voix de la conscience) enjoint à un individu de sacrifier son fils, de le vouer à un holocauste. L’individu en question s’exécute, cédant sans objection audible à la poussée de ses instincts infanticides. Et le processus sacrificiel se déroule sans que rien ne nous en soit épargné. Jusqu’au moment fatidique où Abraham en personne se saisit du coutelas pour procéder à la phase ultime du sacrifice rituel et infanticide. C’est à ce moment même qu’une toute autre voix se fait entendre de lui pour lui enjoindre au contraire de ne pas porter la main sur cet être issu de son être et qui s’est complètement rendu à sa merci, de ne pas lui causer de dommage physique, et aussi de ne lui causer aucun autre préjudice, d’aucune sorte; et c’est de la sorte qu’Abraham se révélera « craignant Dieu », le Dieu non des pulsions instinctuelles et sacrificielles qui interdisent le déploiement intergénérationnel de l’Histoire mais le Dieu des générations liées entre elles, dirigées vers un avenir aussi ouvert et fécond qu’elles seront nombreuses et vivaces.

Car c’est sans doute ainsi que peut se comprendre la conclusion de l’injonction divine: Abraham n’a pas considéré qu’il disposait d’un pouvoir absolu sur son fils, au point de ne plus entendre la Parole divine et la Loi qu’elle proclame et promulgue à cet instant. Car le verset générique ici commenté doit être entendu et compris comme la proclamation et la promulgation des droits de l’enfant, et du premier d’entre ces droits: celui d’être considéré et reconnu dans sa généalogie, certes, mais aussi comme source spécifique de l’Histoire, comme génération (dor) créatrice. Autrement on ne comprendrait pas une autre loi, celle qui sera proclamée et promulguée cette fois au Sinaï: « Honore ton père et ta mère ». Comment la 5ème parole pourrait elle être acceptée par des enfants non reconnus personnellement, placés sous la menace de mort d’un père et parfois d’une mère nominaux, sans aucun lien affectif et qui ne désirent aucun prolongement de leur être… D’un point de vue pédagogique, d’une pédagogie du vivant, le verser 12 du chapitre22 de la Genèse et le verset 12 du chapitre 20 de l’Exode sont intiment corrélés et forment le chenal par lequel les toldot de l’Humain et celles de l’Univers se corrèlent à leur tour.

 Raphaël Draï zatsal, 6 Novembre 2014

Le Sens des Mitsvot : Lekh Lekha

In Uncategorized on novembre 10, 2016 at 8:16

3Leikh Lekha15

« L Eternel dit à Abram: « Va pour toi, de ton pays, de ton lieu de naissance et de la maison de ton père vers la terre que je te montrerai. Et je ferai de toi un grand peuple, je te bénirai, j’agrandirai ton nom et tu seras bénédiction (…) pour toutes les familles (michpéh’ot) de la terre « (Gn, 12, 1, 2).

Depuis que la conscience humaine a commencé à se déployer l’on s’interroge sur sa propre source et sur les causes de son développement. En ce sens la formule de Descartes: « Je pense donc je suis » a nourri des siècles de commentaires. Pour le récit biblique la conscience humaine se déploie à partir d’une mise en mouvement externe et interne, un hiloukh. C’est ce à quoi la Parole divine invite et incite Abram: se mettre en chemin à partir de ces trois repères essentiels: la maison familiale, le lieu de naissance, la patrie. Non qu’il faille les abandonner, les renier pour s’aventurer dans une errance caïnique. Ce sont autant de points de départ pour un itinéraire par lequel ce qui est à comprendre se révèlera. Car il est possible aussi de référer chacun de ces points de repère à des niveaux de l’être, à des degrés de la conscience lorsqu’elle vise à l’Universel. Car il ne faut pas oublier pourquoi la Parole divine sollicite Abram à entreprendre ce cheminement.

La fin de la paracha Noah’ montre une humanité plongée dans la confusion et dans la déliquescence. Noah’ lui même s’est exposé à l’ivresse et s’est trouvé dans la nécessité de maudire l’un de ses trois fils: H’am qui avait cédé à une pulsion quasiment parricide. Et puis, au delà de la famille stricto sensu de Noah’, l’humanité d’alors pourtant harmonieusement répartie sur la terre post-diluvienne avait perdu la mémoire et s’était lancée dans la construction d’une tour plus que colossale pour démontrer sa sur- humanité, rivale de Dieu. Il en est résulté une confusion des langues, l’impossibilité de communiquer entre individus enfermés dans leurs codes et autre dialectes, pulvérisant de ce fait la notion d’humain, de haadam.

Par suite si Abram doit se mettre en chemin, c’est pour relever l’humain de ses défections, pour le dégager de ses impasses. Cependant, une seule personne peut elle peser autant que le reste de l’univers? Surtout lorsque son esseulement est aggravé par ce qui ressemble à une irréversible coupure de ses amarres? Et pour quel objectif?

Si Abram dont on sait qu’il n’est pas encore père, qu’il est dépourvu de postérité doit néanmoins déférer à la Parole divine, c’est qu’il y va du sort de l’humanité entière. On se souvient que lorsque l’Humain fut divinement créé et qu’il reçut les premiers commandements divins, cette Loi fut précédée précisément par une bénédiction, une berakha. Autrement dit, le Créateur attestait que ce qu’il enjoignait à l’Humain n’avait d’autre finalité que de le maintenir et de maintenir l’univers avec lui sur les voies de la vie. Pourtant, la première transgression, puis le premier fratricide, enfin la corruption généralisée menèrent l’humanité d’alors au bord de l’anéantissement, comme si cette génération avait oublié la bénédiction divine ou avait cru pouvoir la compter pour rien.

Ce qui explique la suite de l’invitation divine: à son tour Abram doit reconstituer cette bénédiction, replacer l’humain et l’univers dans le sens de la vie qui elle même confère sa signification à la notion d’Histoire. Une Histoire dont les familles seront les vecteurs les plus forts et les plus persistants. Car c’est bien dans la famille que se structurent ces relations primordiales qui sont celles de la parenté. Est-ce le hasard si en hébreu le mot père: AB est constitué par les deux premières lettres de l’alphabet, et si le mot mère: EM est constitué par la première lettre et la lettre médiane de celui-ci ? Père et mère conditionnent l’accès au langage écrit et parlé, le contraire justement de la bouillie de mots qu’était devenu le langage de Babel. Et tout cela n’est pas donné mais doit être reconstitué après une série d’épreuves, de nissionot, qui révèleront les points faibles mais encore les points forts de l’Humain, revenu dans l’Alliance créatrice.

                                     Raphaël Draï zatsal, 31 octobre 2014

Le Sens des mitstvot – Paracha Noa’h

In Uncategorized on novembre 3, 2016 at 8:28

2NoaH5775

« Dieu dit à Noé: « La fin de toute chair est venu devant moi, car la terre est emplie de brigandage ( h’amass) à cause d’eux ; et voici (…) Fais toi une arche ( téva ) en bois de gopher (…) et voici comment tu la feras: trois cents coudées la longueur de l’arche, cinquante coudées sa largeur, et trente coudées sa hauteur ( Gn, 6, 13 à 15 ).

Noé fit selon tout ce que Dieu lui avait ordonné, ainsi ( ken ) fit-il » ( Gn, 6, 22 ).

A une paracha de distance, le récit biblique passe de la création de l’humanité à sa possible destruction. Le moins que l’on puisse en dire est que ce n’est certes pas un récit « édifiant ». Nous y apprenons que l’humain est bi-face, à la fois créature créatrice et créature destructrice et même auto-destructrice. Quelle en est la cause révélatrice?

Lorsqu’il fut disposé au Jardin d’Eden en vue d’une préservation et d’une transformation du site ainsi dénommé mais également de lui même, il y fut simultanément assigné à une Loi comprenant des obligations précises, obligations d’action ou d’abstention. Or, dés qu’il en eut l’occasion, l’humain, représenté en l’occurrence par le couple femme-homme, fut porté à la transgression de cette loi et à l’inaccomplissement des obligations qu’elle comporte. Néanmoins occasion lui fut aussi donnée de réparer les conséquences de ses actes irresponsables dont les effets différés furent d’une part la naissance calamiteuse de Cain et Abel, dont on connaît le sort, mais aussi de Chet, l’enfant digne de ce nom, l’enfant de l’espoir recouvré, le relais d’une Histoire à nouveau histoire de vie.

Et pourtant, comme l’indique d’ores et déjà la fin de la paracha Beréchit et le début de la paracha Noah’, l’humanité s’adonne une fois de plus à ses propensions destructrices dont, semble t-il, elle ne prend pas conscience de leur gravité. Plus aucune loi n’y est respectée. Les comportements dominants sont le dol et le viol, et parfois pire encore. Aucune mesure (midda) n’y est respectée. Cependant, la relation est directe, intrinsèque entre droit ( din) et mesures ( middot). Une corps n’est viable que s’il correspond à certaines mensurations. Un bâtiment « construit », si ce verbe pouvait alors s’employer, sans respecter des rapports donnés de hauteur et de volume, ne tarderait pas à s’effondrer. Ce dont la paracha Noah’ nous rend témoins, c’est à l’effondrement d’une humanité qui s’est minée par le h’amass, par les fraudes, les dissimulations, les contournements de la Loi. Sa fin apparaît inéluctable.

Et pourtant, au milieu du désastre une minuscule collectivité humaine ne suit pas ce mouvement fatal. Elle est inspirée par Noah’ considéré précisément comme tsaddik et tam, juste et intègre, autrement dit doté des qualités lui permettant, avec les siens, de résister à cet esprit d’auto-destruction collective.

On comprend mieux à présent les mesures auxquelles le Créateur lui demande de déférer. D’abord la construction d’une arche, d’un habitacle qui permettra le sauvetage de la partie demeurée intègre et vitale de la Création en y associant la partie du règne animal encore indemne. La consistance du bois dans lequel l’arche de la salvation devra être construite ainsi que les dimensions précisées par le récit biblique ont donné lieu à de nombreux commentaires auxquels ont se reportera. Mais le plus important ne réside t-il pas en ceci: en construisant cette arche au vu et au su de tout le monde Noé ne devra pas obéir à sa seule improvisation. Il devra respecter des dimensions précises et prédéterminées de longueur, de largeur, de hauteur et donc de volume, comme si, l’humanité avait perdu le sens de ces mesures élémentaires et que par suite ses « constructions » ne représentaient plus que des destructions anticipées.

L’espoir du sauvetage reste permis du fait même que Noé accepte de respecter les mesures qui lui sont indiquées et qui sont propres à sauver non pas sa seule personne ni sa seule famille mais on l’a dit une partie de la Création tout entière, et une partie potentiellement régénératrice. Il s’en sera fallu de peu…

Toutes les civilisations actuellement recensées ont conservé la mémoire d’une catastrophe générale advenue dans des temps que les historiens ne sauraient identifier au siècle prés. Le récit biblique nous en indique à sa manière les raisons, sachant que l’humain est porté à reproduire les désastres qu’il a causés et qu’il importe que cesse enfin cette dangereuse répétition.

Raphaël Draï zatsal, 23 Octobre 2014