Extraits du recueil « Imémorielles »
LE TEMPS
A Paul et Liliane
Le temps, ce temps fait de nos habitudes
Et puis qui se défait par nos incertitudes,
Trois fragments le lient dans nos pensées:
L’avenir inconnu, le présent et les choses passées.
Nos vies s’inscrivent dans ses trajectoires,
Mais si la mer se brise aux rocs des promontoires
Le jour qui s’en vient déjuge le jour allé.
Le temps devient de pierre que l’on croyait ailé.
L’on représentait la vie telle une ligne droite,
L’instant poussant l’instant vers une porte étroite.
Mais la ligne s’incurve et l’on ne sait comment
Le temps heureux succède aux nuits de pur tourment.
Quant la vie continue elle est le premier des miracles
Puisqu’elle est à elle même l’infini réceptacle
Où convergent des espoirs réputés insensés…
Le temps nous console de nos jouets cassés.
L’Histoire est un grand mot sans le temps qui la tisse
Sur le métier des songes où rien ne rapetisse;
Il est pur don de soi et patience l’édifie,
Il se recueille en nous pour peu qu’on s’y confie.
Pas plus que l’eau le temps n’a de saveur,
Pourtant il est le baume le plus sûr du sauveur,
Il croît comme les plantes au bord des eaux très vives,
Il est ce fleuve immense, le courant, les deux rives.
DUREES
Les lieux que nous avons quittés
Survivent en nous
Mais je ne sais où.
Aucun exil n’est acquitté.
«
Il se réveille dans la nuit
Bien plus que vrai,
Le blé au sein de l’ivraie.
Le passé n’est jamais enfui.
«
Je ne sais quel est mon âge,
Ans équidistants,
Mystère du temps,
Débris sauvés de maints naufrages.
«
L’Homme n’est pas être d’oubli.
Il se remémore,
Pour vaincre la mort.
Mémoire bue jusqu’à la lie.
«
Toujours cette persistance,
Souvenirs de pierre,
Avenir d’hier.
Toujours cette insistance.
«
De cela qui ne se dissout,
Matrice des rêves,
Raison qui fait grève,
De cela qui ne s’absout.
«
Protestation perpétuelle,
Sans désistement,
Dix commandements,
Obligations imémorielles.
«
Jérusalem, Paris, Cirta,
Cartographie folle,
Tectonique des pôles,
Hillel, Villon et Jugurtha.
«
Tempête ne dure toujours.
Tout procès s’achève,
Finissent les rêves,
Des Nuits d’octobre ou de mai.
«
Voilà presque cinq décennies
Que le mien dure
Et que je l’endure;
Mais plus que mort qui se dénie.
E. 27, 12, 06.
AU FIL DU SILENCE
Rien n’est plus silencieux que le silence
Des lieux habités
Qu’on dirait vidés de toute présence,
Presque désertés.
«
C’est comme un cœur qui cesserait de battre,
D’où s’enfuit la vie,
Comme un esprit qui cesse de débattre,
Une âme qui dévie.
«
Le silence est préférable au tumulte
Des mots qui font mal
Lancés par les bouches catapultes
De l’homme animal
«
Qui oublie son alliance divine
Et le Dieu d’amour
Pour cette haine pure qui ravine
La beauté du jour.
«
Je rêve d’un vrai et profond silence,
Silence de paix,
Qui préserve les souvenirs d’enfance
Du fil de l’épée.
«
15, 12, 06 .
MER ROUGE , MER GRISE
La Mer Rouge est toute grise
Mêlant l’argent et le plomb ;
Le froid de l’ hiver dégrise
La belle aux cheveux très longs .
«
Dans la baie gîtent les navires ;
On les dirait engourdis ;
Puis les nuages chavirent
Et le soleil s’enhardit .
«
Est- ce que la pluie gagnera ?
Ici elle serait bénie .
Le Néguev refleurira
Jusqu’aux rives de Jordanie .
«
Quoi qu’il en soit le soir tombe ;
Sa palette est violette.
Sur la mer devenue sombre
S’affinent les silhouettes
«
Et tout d’un coup l’arc en ciel
Transfigure le paysage ;
D’Eilat jusqu’à la Mer de Sel
La lumière vient aux visages .
E. 31, 12 , 06 .
NEIGE SUR SEINE
Il neige sur Paris
Neige sur la Défense
Ciels et rues blanc sur gris
Neiges de notre enfance
«
Avec nos doigts roidis
Par les boules de glace
Neiges de mes jeudis
Mais où donc est ma place
«
Neige à Jérusalem
Sur drapeaux bleus et blancs
Entrelacs des emblèmes
Surimpression des plans
«
Car de quelle fenêtre
Vois je tomber la neige
En deux parts est mon être
Et combien de vies n’ ais- je …
«
Paris le 17 XII 09 .
ECHAPPEES DANS LES NEIGES
Sous la neige la France entière est blanche
De Marseille à la Manche
Avec dans le ciel des échappées de bleu
Qui font fermer les yeux
«
Ce jour , je la traverse comme en rêve
Après une nuit brève
Retraversant les neiges de là – bas
Sur les feux des combats
«
Paris , le Rhône , le Vaucluse , la Provence
Et l’heure qui avance
S’approche déjà le pont d’ Avignon
Mais sans mes compagnons
«
Du Collège Mercier , Koudiat – Aty ,
Les grands et les petits ,
Sur une terre solaire et sismique ,
Dangereusement magique
«
Mémoire d’été , mémoire d’hiver ,
Puis drapeaux rouges , blancs , verts
Les neiges se recouvrent l’une l’autre
Mais quel Temps est le nôtre ?
«
Longues échappées de nos souvenirs
Qui ne sauraient finir …
Enfin le train arrive en gare aixoise ,
Loin de mes rues turquoises …
«
Entre Paris et Aix , le 13 I 10
R’Bé DANIEL
A chacun de mes voyages
Je sens le cœur me serrer
Et dois trouver le courage
De ne pas m’en retourner
«
Mais m’en retourner vers où
Puisque mon lieu de naissance
Et devenu un grand trou ,
Abîme des innocences …
«
Départ m’est arrachement
Mémoire de vive rive
Avant cassure et tourment
Il faut que je leur survive
«
Puis dans le train ou l’avion
Regagne la paix de l’âme
Et la terre où nous vivions
Se redresse dans les flammes
«
Elle confie son secret
Pourquoi elle est non mortelle
C’est alors que m’apparaît
Le bien aimé R’bé Daniel
«
Lorsqu’ été ou plein hiver
Il portait comme Moïse
La Loi sans aucun envers
Les Tables aux dix devises
«
Il célébrait le Sinaï ,
La foi des trois Patriarches ,
Et dans le Nichmat col h’ay
La clarté de la Sainte Arche
«
Son visage était bonté ,
Tout plein de mansuétude ,
La plus vraie des vérités
Dont ne cesse pas l’étude
«
R’bé Daniel voulait mon bien
Pour lui j’étais un exemple
Car je ne reniais rien ,
Ni l’ Ecole ni le Temple
«
Sachant qu’il nous faut transmettre
Ce que Moïse a reçu
Dans son esprit et sa lettre
Pour que Mort n’aie le dessus
«
Ses leçons étaient douceur
Dieu brillait dans sa prunelle
Il n’était pas un penseur
Mais un passeur d’éternel
«
Arrivé en sol de France
Sans que je l’aie décidé
Loin du sol de mon enfance
Son bon regard m’a guidé
«
Afin de rester fidèle
A son droit enseignement
Malgré l’ Histoire cruelle
Sans pourquoi et sans comment
«
Grâce à lui j’ai conservé
La joie des Hymnes d’automne
Et je n’ai pas dérivé
Vers la plus terrible zone
«
Où la mort se reproduit
Où prier devient offense
Où la bonté s’éconduit
Où l’amour est sans défense
«
A chacun de mes voyages
R’bé Daniel me tient la main
Il rend léger mon bagage
Et fait plus court mon chemin …
«
Aix 21 I 10
ENFANTINES
Et de l’enfant que j’ai été
Que reste t-il ?
Quelques reflets d’éternité ?
Regrets futiles.
«
Pourtant que portait –il en lui,
Indestructible,
Qui renaît en moi chaque nuit,
Imprescriptible?
«
Ce qui dans l’esprit d’un enfant
Devient vision,
Le Temps le brise ou le défend
Selon saison.
«
J’ai vu le jour à Constantine,
Rocher fendu,
Connu ses ponts et ses sentines,
Ville perdue.
«
L’Histoire est pleine de surprises,
Amande amère.
Plus rouges sont les cerises
En Outremer …
«
8- 9, 11, 06.
MOMENTS
Dans une année quelques fois par saison
Il est des moments édéniques
Où la vie semble nous donner raison
De la juger unique.
«
Ce sont des moments rares d’équilibre
Entre le bleu du ciel,
La douceur de l’air, les gestes libres
Et les bonheurs partiels.
«
Apaisé, alors le marcheur s’arrête
Pour inhaler l’instant
Et s’élever sur la plus haute crête
D’un au delà du temps.
«
Cette pause est comme d’éternité
Et l’âme s’y rassure ;
Elle y découvre la sérénité
Et panse ses blessures,
«
N’éprouvant ni la peur ni le doute
Du passant incertain
Qui marche pressé puisqu’il redoute
La nuit et le matin.
«
Mais ces moments aussi passent si vite
Qu’on les dirait sans traces
Mais c’est par eux que la vie s’invite,
La vie pleine de grâces.
«
14, 12 , 06 .
«
MER ROUGE, L’HIVER
L’hiver est sur Eilat
Mer immobile
On la croirait plate
Presque fossile
«
Des paquebots collés
Sur un fond bleu
Des oiseaux envolés
Très loin des cieux
«
Mer Rouge, pas une vague
Ni brin de vent
L’hiver seul y divague
Suis je vivant ?
«
Eilat et Akaba
Froides saisons
Restreignent les débats
Dans les maisons
«
Aux abords du Néguev
Ocre présence
Là où mûrit la sève
Dans le silence
«
Le temps mûrit aussi
Au cœur des pierres
Et l’esprit se nourrit
De sa lumière.
«
E. 25, 12 ,06 .
«
DISTANCES
Des bords bleus de la Mer Rouge, France
Je pense très fort à toi,
A l’ardoise de tes toits,
A tes blancheurs, à tes transparences,
«
A ton histoire torrentueuse
Qui t’a déportée au néant,
Aux yeux clos de tes gisants
A tes accès de folie furieuse
«
Lorsque tu sembles tout refuser
Passé, présent, avenir,
Presque pressée d’en finir,
Faisant le juge et l’accusée.
«
Pourtant tu enseignes aux humains
Un trinôme fraternel
Et par ton goût pour l’éternel
Tu les fais marcher main dans la main
«
Aux airs cuivrés des Marseillaises
Qui sidèrent les tyrans
Et font reformer les rangs
Tandis que les anges se taisent.
«
Je suis né dans tes limes anciens,
En Algérie qui n’est plus;
Depuis longtemps il n’a pas plu
Sur mes déserts nécromanciens
«
Où errent mes craintes trop fondées
Au sujet de tes topiques,
Baroques ou scolastiques,
Etablies en terres insondées.
«
A l’âge de dix neuf ans à peine
Tu m’as tranché en deux parts
Et m’as contraint au départ
De Constantine jusqu’à la Seine.
«
Aujourd’hui est jour de Noël;
D’Eilat je pense à Paris;
Fait –il soleil ? Fait –il gris?
La neige s’accroche t-elle au ciel?
«
E . 25, 12, 06.
LUMIERE DE SOUCCOT
Le pas alenti, pesant de son âge, j’arpente
A Paris en octobre le pont Mirabeau
Et ainsi, à contre histoire, je remonte la pente
Où se dévisagent yaouleds et poulbots
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Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Mais ne sais en quelle direction
Le regard appelé toujours vers l’autre scène
Où se mêlent Cirta, Lutèce et Sion
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Pourtant en cette incertitude là
Je discerne mon étoile polaire
Et si le pas est lent et l’esprit presque las
J’allume ton poème, cher Apollinaire
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Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours et nos tourments
Avec tes mots autant qu’il m’en souvienne
Puis mes chers visages de la rue Caraman
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Et où la dure cassure saignait
Me laissant vacant de moi même
Vient prendre vie mon poème à signer
Et la leçon de ce Dieu qui nous aime
Paris le 5 octobre 09
Superbe