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SPECIAL 100 ANS DES EIF – LES ANNEES EIF DE CONSTANTINE

In Uncategorized on juillet 30, 2023 at 12:45
Camps de Die en Chamarge (Crest) 1958

Extraits des « Pays d’Avant », 2008, Editions Michalon

Constantine, mars 1956, rue Henri Martin

(..)

Et mon cousin suggéra : « Pourquoi ne pas inscrire Pierrot aux EIF? ». Ces initiales désignaient les Eclaireurs Israélites de France dont Rolland Draï était l’un des principaux responsables à Constantine. Mes parents me transmirent cette suggestion. J’acceptai. Cette acceptation allait modifier le cours de ma vie à tel point que je le ressens encore aujourd’hui aussi fortement que ce jour du printemps 1956 quand je franchis le portail de l’ancien palais de Justice de Constantine, place Négrier, où se trouvaient les locaux des EIF avec ceux des autres mouvements de la jeunesse juive constantinoise. Mon itinéraire quotidien s’en trouva complètement renversé. Désormais, une fois revenu du collège et mes devoirs finis, je quittai quotidiennement la rue Henri Martin et le quartier « européen » et m’orientai, pour le coup, vers le quartier juif

Découverte des E.I.F.

Le mouvement des Eclaireurs Israélites de France avait été officiellement fondé en 1924 par Robert Gamzon et par Edmond Fleg. Longtemps, les Eclaireurs Unionistes, de confession protestante, avaient accueilli une branche juive. L’envol s’était produit peu après la première guerre mondiale. Les fondateurs des EIF se proposaient la préservation et l’illustration de l’Etre juif, de ses valeurs, de la culture qui lui était attachée. Depuis 1917 et la Déclaration Balfour, le sionisme devint l’une de ses principales préoccupations. Cependant, ces mêmes fondateurs avaient décidé d’exprimer ces valeurs, cette culture et ces préoccupations dans un cadre particulier : celui du mouvement scout mondial fondé par l’anglais Baden Powell. La culture scoute comportait des normes strictes, à la fois éthiques et sociales : le respect de la parole donnée, le respect d’autrui, la solidarité, la découverte du monde de manière qu’il n’en subisse aucune atteinte : d’où la pratique d’un camping que l’on qualifiera d’écologique avant l’heure. A l’évidence, il est possible de reconnaître dans ce mouvement une idéologie ou des pratiques politiques, pour employer un langage sorbonnard. Pourtant la camaraderie que j’allais y découvrir n’avait rien de commun avec la « camaraderie » des partis proprement politiques. Elle se voulait directement affective, relevant d’un pacte d’assistance mutuelle, soutenue par une promesse qui engageait à ne pas faire le chien crevé au fil de l’eau, à placer le cours du temps sous la toise d’engagements proprement moraux. Pour ses fondateurs, les EIF devaient contribuer à lutter contre la judéopathie forcenée et contre l’antisémitisme démentiel par la fierté d’être juif, une fierté non pas vaniteuse mais qui s’autorisait de la très longue histoire du peuple d’Israël, de ses multiples apports au genre humain et aux autres religions du Livre. Il fallait lutter contre les maux du siècle : la violence des paroles et des idées, l’intolérance, l’indifférence, l’injustice, la xénophobie. On concevra sans peine la réverbération de ces valeurs dans l’Algérie insurrectionnelle et de plus en plus militarisée.

En arrivant Place Négrier, dans l’ancien palais de Justice, je découvris au rez-de-chaussée la belle synagogue où officiait Rabbi Sion Chekroun, figure lumineuse que j’aurais l’occasion d’évoquer plus loin. En entrant, à gauche, se trouvait une grande salle de conférences. A droite commençait un escalier sombre défendue par une femme dont je n’ai jamais aperçu le visage, mi- mégère, mi- cerbère. Il menait aux locaux des mouvements de jeunesse juive. A ma grande surprise ces mouvements étaient nombreux et ne partageaient pas la même idéologie, cette fois bien nommée. Se trouvaient là le « Bné Akiva », sioniste et religieux, mais aussi le « Bétar », sioniste, nationaliste et religieux également et le « Gordonia », sioniste-ouvriériste- tolstoïen. Je ne sais plus si le « Hachomer Hatsaïr », mouvement sioniste de gauche et non religieux, était représenté aussi. Constantine était trop religieuse pour qu’un tel mouvement pût y recruter plus qu’un quarteron de joueurs de belote. Faut-il s’étonner de la présence de ces mouvements sionistes? Depuis 1948 et la Guerre d’Indépendance de l’Etat d’Israël, les représentants de l’Agence juive, et les chlih’im, les Envoyés de ces formations de jeunes qui, sans exception, se rattachaient étroitement à un parti politique israélien, prospectaient l’importante communauté juive d’Algérie dans laquelle la communauté de Constantine occupait une place considérable tant son identité était forte, dense, active. Depuis l’abrogation du décret Crémieux et l’expulsion des élèves juifs des écoles françaises, le sionisme et la construction d’un Etat juif avaient été érigés en véritables idéaux de substitution. Déjà deux Juifs constantinois avaient assisté au Congrès de Bâle en 1897 dans les commencements de l’Affaire Dreyfus qui avait provoqué des troubles si graves. Là-bas, ils avaient rencontré ou entendu Théodor Herzl en personne et donc avaient participé à rien de moins qu’à la fondation du Mouvement Sioniste Mondial. Les horreurs de la deuxième Guerre mondiale renforcèrent cette orientation. De nombreux juifs de Constantine avaient émigré en France depuis les années 30 et y furent raflés avant d’être déportés et gazés comme les autres juifs d’origine ashkénazes. Parmi eux se trouvait le champion de natation Alfred Nakache qui devint un de nos héros, sportif et humain. Des juifs constantinois s’étaient engagés dans la France combattante. D’autres, pour les mêmes raisons, s’engagèrent dans la guerre d’Indépendance de l’Etat d’Israël. Il en résulta qu’à partir de 1945, le judaïsme à Constantine ne se dissociait plus de l’aspiration sioniste. On en verra les suites en 1961 et en 1962 avant une autre indépendance, celle de l’Algérie cette fois.

Les EIF représentaient à Constantine le mouvement de jeunesse juif de loin le plus nombreux. Il était constitué d’un « district », placé sous la responsabilité de Rolland Draï, « totémisé » Bélier. Ce district était lui-même formé de deux « Groupes », l’un situé dans les quartier de Saint Jean et de Bellevue, le groupe Samy Klein, du nom d’un des aumôniers EI arrêtes et torturés par la Gestapo, et l’autre, situé dans le centre-ville, au cœur du quartier juif, le groupe « Robert Munnich », autre figure juive de la Résistance. C’est ce groupe que j’avais rejoint. Il était formé à son tour de deux « Troupes », l’une de garçons, la Troupe Gédéon, sous l’autorité de Jean Pierre Melki, « totémisé » Mustang, l’autre de filles, la troupe Déborah, sous la responsabilité, de Rachel Zerbib, « totémisée » Raksha. Le groupe comportait aussi une troupe de Louveteaux. A la troupe Gédéon, je rejoignis la patrouille des Chamois dont le cri de ralliement était « Sur la piste ».

Lecteur de Kipling, je ne fus pas surpris par ces dénominations totémiques. Elles attestaient que ces chefs avaient été longuement et durablement testés au regard des valeurs et des normes que l’on vient d’évoquer. Mon acclimatation au Groupe Munnich ne fut pas longue. Certes chacun et chacune d’entre nous y apportait les aptitudes de sa jeune personnalité. Pour ma part, j’y apportais… le Quartier saint Jean. Autrement dit, la culture de ce quartier européen, au moins dans un domaine particulier : celui de la musique. Au Quartier saint Jean la chanson française, des Frères Jacques à Tino Rossi, la radiophonie de Jean Nohain, les sketchs de Pierre Dac, de Francis Blanche et les chansonniers parisiens étaient fort prisés. Je les importais dans ma troupe scoute et les y greffais par des adaptations qui les transformaient peu à peu comme son patrimoine propre. Des airs de valse ou de rock n’roll entrèrent dans notre répertoire avec des paroles qui respectaient toutefois les valeurs des EI. Et l’on se mit à chanter « Dans les plaines immenses.. » ou « J’aime Pourim » sur des airs venus de radio Alger. J’adaptais aussi des musiques de film comme celle de « Sans famille » : « Sur la route, route, route, s’en allait sifflant gaiement, une troupe scoute, scoute, scoute, cheveux fous et nez au vent », ou d’opérettes russes : « À la troupe Gédéon on est vraiment de braves garçons… ». J’y apportais encore des aptitudes pour le dessin et la peinture dont j’eus l’imprudence de faire état et que mes chefs exploitèrent jusqu’à leur quasi-épuisement pour la décoration de panneaux de patrouille – la mienne et celles qui la concurrençaient -, d’emblèmes et de fanions, de journaux de bord mais aussi de murs entiers dans les locaux de réunion ou dans les réfectoires des colonies de vacances organisées l’été dans la Drôme. En retour, j’y recevais la manne d’une amitié inconditionnelle et désintéressée que je n’ai plus jamais oubliée.

A Constantine, la fréquentation de l’Alliance cessait pratiquement le lendemain de la bar mitsva au risque d’une déperdition complète de l’enseignement reçu jusqu’à la célébration de cette solennité. Aux EIF, selon les directives du Commissariat général de l’Avenue de Ségur à Paris, chaque activité devait être précédée par un office religieux allégé mais comportant les principales prières du Rituel quotidien. Les fêtes juives étaient également célébrées, accompagnées de jeux et de concours qui sollicitaient notre plus vive créativité. Je franchis rapidement les étapes initiales de la formation au scoutisme EIF et fus admis à prononcer la « Promesse ». (..)

Camper en France

Tandis que les soldats débarquaient en Algérie, nous nous embarquions pour la France, dans des conditions qui n’étaient guère plus confortables que les leurs. Je fus malade durant presque toute la traversée. Dans la cale où nous étions rangés sur des chaises longues qui accentuaient les pires mouvements du bateau, j’acquis la conviction que le mal de mer était vraiment le mal d’enfer et que le siège de l’âme se trouve au fond de l’estomac. Pourtant, lors d’un moment de répit, après que mon chef de patrouille m’eût fait grimper sur le pont pour y respirer l’air du large je recouvrai suffisamment de lucidité pour prendre acte des beautés de la Création. Le navire fendait une mer d’un bleu indicible, presque noir. L’écume y faisait un contraste nacré, mouvant, dispersif, surtout lorsque le regard tentait de suivre la course des marsouins. À l’aube, l’approche de Marseille se signala par les consignes de plus en plus pressantes de notre encadrement : faire notre toilette à fond et arranger notre tenue pour un débarquement impeccable, fanions au vent. Qui n’a pas vu Marseille du large apparaître au soleil levant ne sait pas ce qu’est l’apparition de la France…. Le sol continua de tanguer longtemps sous mes pieds après que nous eûmes débarqués pour nous diriger vers la gare Saint Charles. Pourquoi avais-je été si malade? Pourquoi un aussi atroce mal de mer? Par deux fois déjà j’avais effectué cette traversée mais c’était avec mes parents. Tout « breveté » que j’étais c’était d’en être séparé qui me fit si violemment ressentir ce que j’oserai nommer mon mal de mère …

De Marseille à Valence puis de Crest et à Die, la route n’est pas longue. Aussitôt arrivé à Valence je fus assigné à un petit groupe dit de « précurseurs » qui ne se dirigea pas immédiatement vers le lieu assigné à notre campement mais vers Crest où était attendue pour la semaine suivante une colonie d’enfants constantinois. Beaucoup appartenaient à des familles très pauvres. Sur place, je reçus ma première mission : décorer les murs du réfectoire. Par chance, ces murs étaient presque blancs. Mes craies de couleurs, rehaussées parfois de plus fins pastels, les couvrirent de vols d’oiseaux et d’amas de fleurs laissant reconnaître dans le lointain, à la fois comme ce que nous avions quitté et comme ce que nous étions appelés à retrouver, le Pont de Sidi M’cid. Après quoi je rejoignis Die et la Chamarge pour mon premier véritable camp EIF.

J’appris à monter notre tente de patrouille, en relation avec les autres parties du campement au centre duquel se trouvait le mât aux couleurs tricolores avec …le drapeau bleu et blanc à l’étoile de David. Ensuite à monter les installations nécessaires pour la préparation de nos repas quotidiens, chaque fois en utilisant les moyens du bords, rondins, cordes, et un minimum d’outillage mécanique. Puis j’appris à creuser les « feuillées » pour la bonne hygiène du camp entier. Ces « activités », comme elles étaient dénommées, ne demandaient pas seulement une grande habileté manuelle et parfois une extrême dextérité. Elles sollicitaient aussi une véritable coopération dont l’absence ou les faiblesses étaient aussitôt sanctionnées par la fragilité de l’installation en chantier et par son effondrement rapide. Cette coopération s’obtenait grâce à une non moins extrême attention au projet commun d’une part, d’autre part aux aptitudes et aux compétences des autres membres de la Patrouille ou de la Troupe. Ainsi chacun de nous fut incité à prodiguer le meilleur de soi et, de ce fait, à être reconnu dans ce qu’il avait d’irremplaçable. Chaque journée était ainsi organisée en activités de découverte de soi et des autres par la découverte de nouveaux paysages et par l’accomplissement de nouvelles entreprises. A Die la Chamarge, j’appris à faire la cuisine, et une cuisine mangeable pour moi-même et pour mes camarades, à laver mon linge sans l’abîmer, à faire la vaisselle sans rechigner et de telle sorte qu’elle soit réutilisable. Se révélait entre nous « le liant », les amitiés naissantes ou qui se confortaient, l’admiration pour nos aînés avec le sentiment croissant d’une véritable reconnaissance pour ce qu’ils nous enseignaient et pour ce qu’ils nous transmettaient. Il faut apprendre à recevoir ce que la vie nous donne, le temps qu’elle nous rassemble, le temps qu’elle nous le donne avant que les routes bifurquent, mais sans jamais se séparer complètement, parce qu’aucune histoire humaine n’est comparable à une autre, parce qu’aucune existence ne saurait en dupliquer une autre. Comme l’enseignait Fernand Braudel au Lycée de Constantine, les durées de l’Histoire ne sont pas uniformes.Certaines sont brèves, certaines plus longues, quelquesunes trop longues. La durée étale compte moins que l’intensité des événements pleinement vécus, partagés, mis en mémoire. Parfois l’on s’est quittés la veille et le lendemain nous trouve étrangers. Il arrive aussi que l’on se soit séparés depuis un demi- siècle et que l’on se retrouve sur un quai de gare comme si l’on ne s’était jamis quittés.

Outre la vie quotidienne au camp de la Chamarge, deux autres « activités » ne se sont plus effacées dans ma mémoire : le premier rallye en auto-stop et la visite dans le Vercors. Dans le dernier tiers de notre séjour, lorsque nos chefs nous estimèrent suffisamment aguerris et capables de nous « débrouiller », ils nous formèrent en binômes pour nous lancer dans un tour de la Drôme en auto-stop, à charge pour nous de passer par des endroits obligés, clairement balisées sur les cartes routières que nous avions appris à lire, puis d’en donner une description fidèle sur des « cahiers de route » impeccablement rédigés et si possibles illustrés de croquis. Nous partîmes ainsi deux par deux, à peine âgés de quatorze ou quinze ans, disposant d’une somme d’argent minime, sur les routes de ce département qui s’élargissait à nos yeux et sous nos pas à la France entière. Ces années-là, les routes étaient sûres et les automobilistes parfaitement hospitaliers. Je n’ai pas le souvenir de marches épuisantes dans l’attente d’une Peugeot miraculeuse ou d’une providentielle Citroën. Au contraire, non contents de nous prendre à leur bord des automobilistes modifiaient leur itinéraire pour nous conduire directement à destination. Naturellement ils nous demandaient d’où nous venions. Lorsque nous leur répondions : « de Constantine » ils redoublaient d’attention à notre endroit. Pas une seule fois nous fumes rebutés ni n’essuyâmes d’observations insultantes ou désobligeantes. Nous découvrions s la France que l’ère gaulliste a un peu fait oublier. Une France qui tanguait beaucoup, qui doutait de son avenir mais qui se reconstruisait malgré les avanies, en dépit des défaites et qui maintenait un semblant de cap même si ses gouvernements successifs lui donnaient le tournis et souvent des hauts le cœur. C’était la France qui conférait des dimensions supplémentaires, une chair consistante, des cieux du bleu qui est le sien, une langue aux accents qui ajoutaient à sa musique propre, aux images de nos livres de classe. Et lorsque après avoir lu et relu les aventures tragiques de la chèvre du trop naïf Monsieur Seguin, qui devait être quelque peu d’ascendance algérienne, ou celles de Tartarin, nous traversions la gare proprement dite de Tarascon, et que nous foulions les collines herbeuses de la Drôme, nous étions comme ces pèlerins qui reprennent souffle aux abords de la Ville sainte qu’ils n’ont d’abord connue que par les images pieuses de leur livres de prières.

Le message de la Chapelle en Vercors

20 août 1956, montagnes du Vercors

Les autobus qui transportent les participants et les participantes au camp d’été grimpent le long de routes en lacets qui nous en rappellent d’autres. Sauf qu’ici nous ne risquons pas de tomber dans une embuscade. Nous chantons ou nous écrivons lettres et cartes postales à nos parents et à nos amis. Les autobus stoppent et sont garés en contre bas de la route. Nous voici près du lieu-dit la Chapelle-en-Vercors. Nos chefs nous demandent de descendre. Ils ont à nous parler. Intrigués, nous les écoutons. Ils nous disent : « En 1940 la France a été vaincue militairement par l’Allemagne hitlérienne. Puis occupée par les troupes allemandes. Au lieu de résister, les responsables de l’Etat dirigé par le Maréchal Pétain ont choisi de collaborer avec l’Occupant. Ils ont déclenché une politique antisémite sans précédent dans l’histoire de la France. Très vite, les Juifs ont été livrés aux nazis. Ils ont été raflés, déportés, en vue d’une complète extermination. A Londres, le 18 juin 1940 le général de Gaulle appela tous les Français dignes de ce nom à la résistance afin de libérer au plus tôt le territoire national. Les EIF ont pris part à ce combat. Lorsqu’ils virent leurs familles livrées comme du bétail à la Gestapo, ils résolurent de prendre les armes. Leur principal maquis s’organisa dans ces montagnes du Vercors. Là, ils firent la guerre aux troupes allemandes qui exercèrent des représailles impitoyables, comme sur tous les autres maquis de la région. Depuis ces années, chaque matin, les EIF ont levé ensemble le drapeau français et le drapeau bleu et blanc à l’étoile de David. Depuis ces années, la défense de la République et l’existence de l’Etat d’Israël fondent notre propre existence. Sachez qu’il y eut des temps où les camps EI n’ont pas été des camps de vacances. Nous espérons et prions Dieu pour que des temps pareils ne reviennent plus. Si par malheur ils revenaient, souvenez-vous des maquis EIF du Vercors ».

Force physique, force morale

Constantine, 10 juin 1957, Ancien Palais de Justice.

Je viens d’être sélectionné pour la délégation des EIF d’Algérie au Jamboree de Sutton Fields. Les épreuves pas été de tout repos. Il a fallu d’abord présenter nos résultats scolaires et produire l’appréciation de nos professeurs concernant notre conduite en classe. J’ai été jugé vivace mais enclin a trop donner au chahut organisé par mes camarades. Sans doute parce que, le plus jeune de la classe, je ne veux pas apparaître en reste. Ensuite, il a fallu réussir aux épreuves scoutes proprement dites : les nœuds, les épissures, les relevés Gilwell pour la lecture des cartes, les jeux de Kim, le langage morse. Beaucoup de ces épreuves se sont déroulée en lieu clos à cause des menaces d’attentat. L’une de ces épreuves m’a particulièrement marquée : l’épreuve sportive. Elle aura des suites.

J’avais décidé de passer ce qu’il est convenu d’appeler le brevet – encore un – « sports de combats ». Je me croyais suffisamment préparé par les leçons de Bernard Cattuogno auxquelles s’était ajoutée la lecture de livres spécialisés. J’avais également soigneusement révisé les schémas de prises de judo reproduits dans « Lectures pour tous ». L’épreuve devait se dérouler dans la salle de sports de l’EJC. « L’Etoile Juive Constantinoise » avait été fondée à la fin des années 40 pour développer la pratique du sport parmi la jeunesse juive et plus particulièrement celle des sports de combat afin de faire face aux antisémites qui, hélas, avaient durement sévi à l’époque de Pétain. Je connaissais à peine par leur nom quelques-uns des moniteurs de la salle dont je n’avais cependant aucune idée précise.

Le jour fixé pour l’épreuve je pensais me retrouver devant l’un d’entre eux qui m’aurait fait accomplir quelques exercices classiques et répéter quelques schémas de mon niveau. À ma grande surprise, une fois enfilé le kimono réglementaire que je portais pour la première fois, je fus invité à monter sur le « tatami » et à me placer devant l’ensemble des moniteurs. Je venais d’avoir 15 ans et la plupart de ces derniers étaient des adultes taillés en d’armoires à glace ou affûtés en lame de sabre. Celui qui les dirigeait m’invita, tout de go, à « les prendre un par un » en vue d’un assaut de trois minutes chaque fois. L’épreuve correspondant au dit brevet devait durer une demi- heure en tout. C’est peu de dire qu’au bout du second assaut j’avais épuisé l’intégralité des schémas reproduits dans « Lecture pour tous » et sondé dans les tréfonds de mes réserves physiques. Le quart d’heure qui suivit, au terme duquel il fut décidé d’arrêter prématurément l’épreuve, me vit passer pratiquement d’une extrémité du « tatami » à l’autre sans que je l’eusse décidé vraiment et pour tout dire à mon corps défendant. En conclusion, ce brevet ne me fut pas accordé mais je fus tout de même invité à le repasser en raison de mon « honorable résistance ». J’avais simplement commis l’erreur de confondre le dessin de l’affrontement avec le corps à corps réel. Leçon à retenir. Je retournerai à la salle pour la rentrée d’octobre. En attendant il me fut conseillé de m’entraîner

Frères du Monde : le Jamboree de Sutton Fields

Le 15 août 1957, sur le ferry- boat entre Dieppe et l’Angleterre

Voilà plusieurs jours que nous avons quitté Constantine pour le « Jamboree ».  L’avant-veille du départ, nous avons bien cru que nous ne partirions pas : nous avions simplement oublié de faire établir nos passeports ! Heureusement, le frère d’un de nos amis, employé pour l’été à la Préfecture, nous a sortis d’affaire. À Philippeville nous avons embarqué pour Marseille. Cette fois je n’ai pas souffert du mal de mer.  Puis nous avons traversé la France en chemin de fer après une halte à Paris, avenue de Ségur, QG du Mouvement, où nous avons rejoint les EI de Métropole, pour ne former qu’une seule délégation. A Dieppe, l’on nous a remis des sacs hermétiquement fermés contenant des sandwichs « cacher ». Déjà sur les quais nous avons découvert, émerveillés, cette foule de centaines et de centaines d’Eclaireurs composant toutes les variétés et religions du scoutisme français. Sur le ferry nous nous enhardissons à nous adresser la parole, découvrant nos insignes distinctifs et respectifs ainsi que nos grades. Pour ma part je suis passé du grade d’« aspirant » à celui de « deuxième classe » juste après les épreuves de sélection.  Embarqués par temps brumeux mais chaud, nous nous sommes répartis sur les ponts dans une grande pagaye chantante. Je ne quitte pas une unité de Scouts de France qui compte deux guitaristes. Un peu à part de la cohue ils interprètent des chants du répertoire scout classique. Leurs deux guitares se complètent à merveille.  Et puis, soudain, en pleine Manche, alors que la mer est d’un gris plombé, que le ciel ne comporte pas une seule échappée de bleu, que les mouettes ont pris l’accent du Grand Nord, ils attaquent la chanson de Bécaud : « La Méditerranée » reprenant à l’unisson le refrain que le vent hachure : « Et pendant ce temps là, la Méditerranée, qui se trouve à deux pas, joue avec les galets ».  Les guitaristes jouent à présent comme s’ils étaient des adeptes du flamenco. L’on dirait que l’Algérie n’entend pas nous quitter d’une semelle.  Avec ses propres paroles, conscientes ou non :

« Et pendant ce temps là, la Méditerranée, di da di da da da, transporte des armées … ».  Les chants traditionnels reprennent.  Le ferry chante à pleine voix au milieu de la Manche.  Je reste admiratif devant les compétences musicales de ces chorales et de ces orchestres.  Nous aurons beaucoup à apprendre et nous aurons beaucoup à transmettre.  Débarqués sur le sol d’Angleterre nous nous donnons rendez vous pour le surlendemain dans les champs de Sutton Fields, une fois que chacune de nos unités aura établi son campement.  Nous y resterons jusqu’au 25 août.

Sutton Fields, le 24 août 1957

Aujourd’hui est le jour anniversaire commun de mon père et de mon frère Guy. C’est aussi l’avant-veille de la fin du « Jamboree ». Pour les membres de notre délégation, ç’aura été un séjour exceptionnel. Nous nous trouvions dans le camp baptisé « Copenhagen ». Pour y accéder il fallait passer sous un portique dominé par une embarcation viking ! Heureusement je ne suis plus sujet au mal de mer ! Le matin après le lever des couleurs et l’accomplissement de nos activités spécifiques, les journées se sont passées en rencontre avec les délégations scoutes venues du monde entier. Nous nous rencontrions très tôt dans les grandes installations de l’Intendance. Je me suis lié d’amitié – à nos âges cela va vite – avec des scouts du…Nigéria. Chaque matin nous nous retrouvions dans la tente aux approvisionnements et chaque matin le scout préposé aux distributions confondait nos deux délégations en confondant leurs dénominations, respectivement, et en prenant l’accent anglais, Aldjiria, pour l’Algérie, et Naydjiria pour le Nigéria. Cette confusion nous donnait l’occasion d’en plaisanter puis de poursuivre notre conversation. A la fin du séjour j’étais incollable en matière de lancers de bans africains tandis que mon ami nigérian parlait presque couramment un « pataouète » assaisonné de Pagnol. Moments profondément heureux et parfois surréalistes lorsque nous avons reçu la visite d’abord de je ne sais quel Duc, Président honoraire du Mouvement scout international puis de la reine Elisabeth en personne. De belles excursions nous ont fait découvrir Birmingham et Londres. Combien de fois ai-je pensé avec reconnaissance à Mrs Ferrandi et Filloux, mes professeurs d’anglais du Collège de Constantine, puisque je réussissais à me faire comprendre clairement et même à jouer les interprètes pour mes camarades d’excursion ! Miracle et splendeur de l’amitié. Ce soir une gigantesque veillée est organisée pour prendre congé les uns des autres. L’Etat-major du « Jamboree » qui s’étend sur plusieurs hectares a décidé que chaque troupe allumerait un feu de camp.

Le soir tombe. Le ciel n’est pas couvert. Vers 20 heures les feux s’allument les uns après les autres dans la plaine en y formant de véritables avenues lumineuses. L’on dirait que Sutton Fields reflète la voûte céleste. A moins que ce ne soit l’inverse. Et lorsque tous les feux ont été allumés, alors que le bruissement du campement s’est atténué et qu’un grand silence s’est étendu, monte de milliers et de milliers de poitrines, dans l’ensemble des langues parlées durant ces jours si clairs, même par temps de brume, le chant des chants de l’amitié : « Ce n’est qu’un au revoir mes frères, ce n’est qu’un au revoir … ». Pour oublier de tels moments, il faudrait n’avoir pas été créé à l’image du Créateur. L’Algérie l’a-t-elle entendu ?

LE SENS DES MITSVOT: VAETH’ANAN

In Uncategorized on juillet 27, 2023 at 11:36
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« Maintenant donc, ô Israël, écoute les lois (h’oukim) et les règles (michpatim) que je t’enseigne (melamed) pour les pratiquer (laâssot); afin que vous viviez (tih’you) et que vous possédiez (richtem) le pays que l’Eternel, Dieu de vos pères vous donne» (Dt, 4, 1). »  Bible du Rabbinat.

La conception juive de la Loi a tant souffert des médisances et des caricatures liées aux polémiques théologiques puis philosophiques qui ont assombries la pensée humaine, qu’il importe de lui restituer son vrai visage. Le verset précité y contribue.

On constate que cette conception s’ordonne selon deux niveaux: les h’oukim, ou principes génératifs, et les michpatim, ou règles de droit positif, effectif; ensuite que h’oukim et michpatim doivent s’enseigner, donc en appeler à l’intelligence de leur forme et de leur contenu; et enfin qu’ils doivent se pratiquer. Cette dernière obligation se rapporte à l’engagement souscrit par les Bnei Israël au Sinaï lorsqu’ils déclarèrent à l’unisson: «Nous ferons et nous comprendrons (naâssé venichmâ) ». La formule a suscité un nombre considérable de commentaires. On insistera sur un seul groupe d’entre eux concernant en effet non pas la seule intelligence théorique, l’on dirait presque contemplative, de la Thora mais bien sa mise en pratique. Une mise en pratique dont il faut néanmoins discerner la perspective générale et les modalités particulières.

La perspective générale est tracée dès le récit de la Genèse lorsqu’il est indiqué à propos des commencements de la Création qu’elle fut accomplie mais non parachevée, de sorte qu’il y eût encore à faire, littéralement: laâssot. La reprise de ce verbe au livre du Deutéronome n’est pas anecdotique: elle corrèle génériquement la mitsva précitée à la parole du Créateur. Chaque fois que l’on observe un h’ok, que l’on donne substance et sens à un michpat, que l’on accomplit effectivement une mitsva, au delà des prescriptions particulières concernées l’on poursuit l’œuvre d’ensemble de la Création. Créer à ce niveau devient donc si l’on peut ainsi s’exprimer l’exposant, ou le coefficient, du h’ok, du michpat et de la mitsva en cause. Mais il y faut une condition: qu’il s’agisse véritablement d’un accomplissement.

Le verbe laâssot doit ainsi être exactement compris: il ne s’agit pas pour les Bnei Israël d’exécuter tout simplement et passivement la loi à laquelle ils ont souscrit comme si elle était un ordre venu de l’extérieur. En accomplissant la Loi ils ne se comportent nullement comme de simples exécutants mais comme des créateurs. Le verbe laâssot se rapporte bien à une manière créatrice de faire, de se comporter. C’est pourquoi les Pirkei Avot disposeront: «Pas de Thora sans dérekh éretz», pas de loi sans une certaine manière de se conduire marquée par l’attention à autrui, la politesse, la courtoisie, l’aménité. Car ce qui rend la Loi effective ce ne sont ni les démonstrations savantes, pour aussi utiles qu’elles soient, ni les plaidoyers véhéments mais tout simplement la manière de faire, la façon de se conduire vis à vis d’autrui et de soi même.

L’on peut à ce propos reprendre le Décalogue entier, puis les 613 mitsvot l’une après l’autre. Une fois qu’on aura démontré leur origine divine, il restera à faire une autre démonstration: que cette origine-là soit relayée par la volonté humaine, que l’humain s’avère véritablement le coopérateur, le choutaf du Créateur pour parachever l’œuvre de la Création. Autrement sévissent le clivage au plan psychique, et l’hypocrisie, la h’aniphout, au plan moral. À quoi bon affirmer que l’univers a été créé par les dix Enonciations divines, les dix Maamarot, si l’on ne respecte pas la parole que l’on a donnée, la promesse que l’on a dispensée, l’engagement que l’on a pris? À quoi sert de rappeler que la Création s’est ordonnée en six phases actives et une phase réflexive pour le Créateur lui même si l’on s’avère personnellement incapable de réguler une activité devenue fin en soi? À quoi bon affirmer aimer Dieu si ce même amour n’est pas dispensé au prochain, pour qui je suis moi même prochain en ce sens là?

Comme le disent parfois certains philosophes ce ne sont pas nos comportements qui donnent sens à nos valeurs. Nos comportements sont déjà des valeurs en eux-mêmes. Et si tout cela doit faire l’objet d’un enseignement, c’est que nul ne saurait être juge à ses propres yeux de sa propre cause. Il faut apprendre à se comporter de telle manière que les valeurs qui éclairent nos existences soient validées par nos existences proprement dites. Tel est l’enseignement que Moïse dispose à un peuple qui, au bout de quarante années d’enseignement continu, doit prouver par sa façon de vivre que l’engagement souscrit au Sinaï ne constitue pas une suite de vains mots. Ainsi apparaît, au moment de franchir le Jourdain, sa responsabilité pour les temps à venir.

                             Raphaël Draï zal, 8 août 2014

LE SENS DES MITSVOT: DEVARIM

In Uncategorized on juillet 20, 2023 at 6:34
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« Je donnai alors à vos juges les instructions suivantes: « Ecoutez également tous vos frères et prononcez équitablement (tsedek) entre (bein) chacun et son frère, entre chacun et l’étranger. Ne faites point en justice acception de personne; donnez audience au petit comme au grand, ne craignez qui ce soit car la justice est à Dieu ! Que si une affaire est trop difficile pour vous (ykché mikem), déférez la à moi (takriboun) et j’en prendrai connaissance » Dt, 1, 16, 17.

Traduction du Rabbinat.

Ces prescriptions concernant l’exercice de la justice sont capitales. Elles font suite à l’observation de Moïse selon lequel le peuple libéré d’Egypte est devenu un peuple nombreux, vivace mais qui doit être intiment régulé. La justice devient la forme supérieure de cette régulation vitale.

Dans un peuple libre, et du fait même de cette liberté, il est impossible que des différents ne surgissent pas, que des conflits ne se fassent pas jour. Il ne faut surtout pas en réprimer les manifestations. Une fois celles-ci produites, il importe surtout de leur trouver une issue qui non seulement ménage le principe de fraternité inhérent à ce peuple mais qui le renforce. La mise en place d’institutions spécifiques est destinée à atteindre le mieux possible cet objectif. La description de l’organisation du peuple d’Israël n’a pas pour but d’en détailler la hiérarchie externe mais au contraire de souligner sa plus grande proximité quotidienne avec chaque Bnei Israël. Les différents et les conflits, pour ne pas parler d’affrontements, sont à la fois cause et effet d’un trouble de la parole lorsqu’elle excède ce que l’on ressent, qu’elle ne trouve plus les mots pour le dire. Colère et mutisme comprimés peuvent conduire aux pires extrémités.

C’est pourquoi s’agissant de la conception même de la justice, celle-ci est formulée prioritairement en termes d’écoute. Le juge n’est pas ce magistrat armé de la loi comme d’une trique. Il est d’abord et avant tout un reconstituant de la parole interhumaine. Dans un conflit, chacun n’entend plus que soi et s’avère incapable d’écouter autrui. Par sa fonction, le juge, à la fois dayan et chophet, doit rétablir une capacité d’écoute à nouveau réciproque et bilatérale. C’est pourquoi un mot apparemment anodin, le mot « entre » (bein) est décisif puisqu’il désigne, au lieu de la mêlée confuse du conflit, le rétablissement d’un espace-temps permettant à la parole de l’un et de l’autre de s’exprimer enfin, de sorte qu’elle fût entendue.

De ce point de vue, il y va du juge comme du médecin qui devant une hémorragie – en l’occurrence une hémorragie de colère – doit avant tout la faire cesser, placer s’il le faut un garrot, en attendant que la circulation du sang reprenne son cours normal. C’est pourquoi aussi le juge ne doit faire acception de personne, ni entre le citoyen et l’étranger, ni en fonction de critère sociaux car il est possible que ces différenciations elles mêmes aient été à l’origine d’un conflit désormais infecté.

En ce sens, la notion de tsédek devient bien plus large que celle d’équité. Pour le juge, juger consiste non pas à rétablir un statu quo ante mais littéralement à recréer une relation interhumaine. On comprend mieux alors pourquoi la notion de jugement est référée non à une instance sociale, serait-elle la plus éminente, mais directement à Dieu en tant que Créateur. Rendre la justice équivaut à poursuivre l’oeuvre de la Création proprement dite. Le cours de la Création est imprévisible et débordera toujours les cadres d’une pensée prédéterminée. D’où la mention de ces « cas difficiles » qui illustrent l’une des problématiques les plus stimulantes de la théorie contemporaine du droit.

Lorsqu’un cas judiciaire s’avère d’une complexité telle qu’il semble outre-passer les ressources juridictionnelles actuellement disponibles de la collectivité humaine formée par les « sortis d’Egypte », au lieu de refuser de juger le magistrat devra en donner connaissance à Moïse, littéralement « l’approcher de lui » comme s’il s’agissait de l’accomplissement d’un sacrifice, d’un KoRBaN, d’une liturgie de renouement. Dans ce cas il appartiendra à Moïse non pas exactement « d’en prendre connaissance « (le mot daât n’est pas employé) mais de l’écouter, de l’ausculter encore plus attentivement. Car ce qui fait la difficulté d’un tel cas, c’est probablement sa teneur en passion qui déborde ce qu’un juge du rang est en mesure à son niveau d’en écouter et d’en comprendre.

Toute la formation du juge consister à affiner sa capacité d’écoute conciliatrice. C’est en ce sens qu’il se rapproche du psychanalyste, lequel en effet est capable d’entendre ce qu’une oreille ordinaire ne saurait habituellement déceler pour in fine privilégier l’expression de la pulsion de vie.

                               Raphaël Draï zal, 31 juillet 2014

RAPPEL : HAZKARA Pr RAPHAËL DRAÏ zal

In Uncategorized on juillet 16, 2023 at 11:03

LE SENS DES MITSVOT : MASSEÏ

In Uncategorized on juillet 13, 2023 at 9:43
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« L’Eternel parla à Moïse en ces termes: « Parle aux Enfants d’Israël et dis leur: « Comme vous allez passer le Jourdain pour gagner le pays de Canaan, vous choisirez des villes propres à vous servir de cités d’asile (âréi miklat): là se réfugiera le meurtrier homicide (rotséah’) par imprudence (bicheghagha). Ces villes servirent chez vous d’asile contre le vengeur du sang (goël) afin que le meurtrier ne meurt pas avant d’avoir comparu devant l’assemblée pour être jugé (lamichpat) »  (Nb, 35, 9 à 12).

Bible du Rabbinat.

Une fois libérée de l’esclavage, de l’oppression des corps et de la servitude des âmes, une collectivité humaine-pleinement humaine, ne change pas de nature magiquement. Ce changement exige un long, un continuel travail. Elle reste à la merci d’incidents et d’accidents. Lorsque ceux-ci surviennent, l’important est de les réparer afin que ce travail non seulement ne s’interrompt guère mais que le peuple concerné en retire profit sous forme d’un enseignement transmissible de génération en génération. Car un peuple c’est exclusivement dans la longue durée qu’il se forme et se transforme. Tel est l’objet des prescriptions précitées.

Dans la vie d’un peuple libre, il est donc inévitable que des incidents surviennent et que des accidents se produisent. Il faut alors distinguer entre ceux qui sont véritablement indépendants de la volonté de leurs auteurs matériels et ceux qui résulteraient d’une mal-intention délibérée, d’une préméditation. L’institution des villes dites de refuge, des ârei miklat, est destinée aux meurtriers de la première catégorie, si l’on pouvait ainsi parler ; ceux qui ont causé une mort mais sans intention de la donner. Pour éviter que le meurtrier par inadvertance ne soit lui-même exposé à l’impulsion vengeresse, impulsive, du « rédempteur » (goël) de ce sang versé-et afin d’éviter que celui-ci à son tour ne s’expose à la vengeance du goël de sa propre victime, en un cycle de représailles infinies-il lui faut avant tout pouvoir se mettre à l’abri de ces poursuites physiques. D’où, comme on vient de le voir, l’institution de ce réseau de villes, situées les unes par rapport aux autres à des distances qui permettent de les atteindre sans encombre, de sorte à échapper avant tout au premier mouvement vengeur du proche de la victime.

On soulignera le sens des réalités qui sous-tend cette prescription: ce premier mouvement n’est pas dénié, comme si les êtres humains étaient déjà arrivés à un degré qualitatif si élevé qu’ils seraient déjà de purs esprits. Les humains en général, et ceux qui ont connu l’esclavage en particulier; ceux qui ont accumulé brimades, bastonnades, injures, mépris, ont accumulé tant de ressentiment, tant de rancune mutique, que l’explosion en est possible à propos de n’importe quel aléa de la vie. Cette réalité est prise tellement à bras le corps, si l’on pouvait encore s’exprimer de cette manière imagée, que le Principe des Principes énoncé dans le Lévitique n’enjoint pas d’emblée, nous le savons: « Et tu aimeras ton prochain comme toi-même » mais: « Tu ne te vengeras pas et tu ne garderas pas rancune, et tu aimeras ton prochain comme toi même: Je suis l’Eternel (Lev 19, 18) ». Lorsque s’est produit un accident par inadvertance, la perte pour le proche de la victime risque de s’avérer tellement cruelle et insupportable que, dans son esprit, le sens et l’énoncé de ce verset pourraient d’un coup s’effacer. C’est pourquoi il importe tout autant que l’auteur du meurtre involontaire puisse se mettre à l’abri de l’impulsion vengeresse – encore que la notion même de « rédempteur du sang », de goël hadam, ne se réduise pas à l’idée de vengeance au sens commun.

Cependant, la possibilité de se réfugier dans une ville de cette sorte ne signifie aucunement que le meurtrier s’y mette à l’abri pour jouir là d’une impunité complète, le temps que la colère du goël s’apaise, et qu’il en ressorte pour reprendre la vie comme avant, au risque de récidiver. Sa présence dans la ville de refuge doit s’accomplir à de toutes autres fins et dans un autre état d’esprit. En présence des lévites de la ville il doit d’abord s’adonner à l’étude de la Loi. Car la notion d’inadvertance n’exclut pas celle de responsabilité. Il lui faudra comprendre également comment l’incident ou l’accident est survenu matériellement et en quoi il en va de sa responsabilité personnelle (défaut d’attention, vérifications insuffisantes, entretien négligé).

C’est l’un des principes essentiels du droit sinaïtique de délimiter strictement le domaine du droit civil et celui du droit pénal. Les dispositions juridiques inhérentes aux villes de refuge maintiennent sans doute le meurtrier sur le versant du droit civil. Il n’empêche que jugement doit être fait. Se mettre à l’abri de l’impulsion vengeresse ne veut pas dire déni de justice. Au contraire. Le meurtrier par inadvertance devra en fin de compte passer devant un tribunal de sorte qu’il s’interroge sur son implication personnelle dans l’occurrence du dommage fatal et surtout qu’il en répare les suites, pour autant qu’elles puissent faire l’objet d’une réparation.

Thérapeutique du temps par le temps.

 Raphaël Draï zal 24 Juillet 2014

LE SENS DES MITSVOT: MATTOT

In Uncategorized on juillet 13, 2023 at 9:35

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« Moïse parla (vaydabber) aux chefs des tribus des enfants d’Israël, en ces termes: «Voici (zé hadabar) ce qu’a ordonné (acher tsiva) l’Eternel: « Si un homme fait un vœu (néder) au Seigneur, ou s’impose par un serment (chevouâ), quelques interdictions (issar) à lui même, il ne peut violer (yah’el) sa parole: tout ce qu’a proféré (hayotsé) sa bouche il doit l’accomplir »  (Nb, 30, 2, 3). Bible du Rabbinat.Cette paracha est l’avant-dernière du livre des Nombres et l’on peut s’étonner qu’elle commence par cette prescription. Un être qui s’engage vis à vis de lui même a t-il besoin qu’on le rappelle au sens de ses engagements? Deux termes sont ici à prendre en considération: neder, que l’on traduit par vœu, et issar ou issour que l’on traduit par interdit. Pourquoi font-il électivement l’objet de ce rappel? Nous nous trouvons là dans un cas bien particulier d’auto-législation.En principe aussi bien ce qui est permis que ce qui est interdit d’accomplir se trouve objectivement énoncé par une Loi qui vaut pour tous, qui bien sûr prend en compte les personnes mais qui ne les considère pas le cas échéant comme des exceptions contradictoires à la règle commune. L’étude des 613 mitsvot permet à chacun de savoir à quoi s’en tenir, sans en rien retrancher et sans y rien ajouter non plus. La situation envisagée dès le début de la paracha est quelque peu différente. Sans se placer bien sûr en dehors de Loi, un individu croit devoir l’adapter à ses propres dispositions d’esprit et s’engager à faire plus que ce qu’elle prescrit.En ce sens le mot « vœu » ne rend qu’imparfaitement compte de son homologue hébraïque: NeDeR qui se rapporte à la racine DR que l’on retrouve dans des vocables aussi chargés de significations que DiRa, la maison d’habitation, DRoR, la liberté, notamment celle qui est proclamée lors de l’année jubilaire, du Yovel ; et bien sûr DoR qui désigne la relation entre générations. Quiconque s’engage par un NeDer de cette sorte engage plus que soi même, à la fois dans l’espace et dans le temps. Et sur ce dernier plan tous les serments ou jurements ne valent en effet que pour l’avenir.L’auteur du NeDeR donc scrupuleusement veiller et avant même que de le formuler à ajuster ce NeDer à ses facultés réelles de réalisation. Autrement il aura engagé l’avenir sur une voie fallacieuse et devra en répondre. Il n’en va as autrement pour l’interdit qui cette fois et sous cette forme ne saurait s’imposer à autrui, qui ne vaut que vis à vis de soi. Il faut également, avant que de le formuler, s’assurer que l’on est bien en mesure de l’observer. Autrement on n’aura joué que les surenchérisseurs sans pouvoir assumer l’enchère elle même le moment venu.Une autre question se pose cependant: pourquoi ces règles sont-elles rappelées ce moment précis, alors que les enfants d’Israël s’approchent du Jourdain et de le terre de Canaan? Afin de souligner l’importance décisive de la parole pour un peuple qui a fait de la liberté l’un des deux principes génériques de son existence, avec celui de responsabilité. La liberté s’exprime et se prouve par l’échange de paroles significatives entre interlocuteurs dont aucun ne veut imposer sa volonté à l’autre. Si une collectivité d’esclaves est régie par la peur du bâton, et si l’on n’y est autorisée à porter le regard sur autrui que de bas en haut, dans un peuple libéré de cet esclavage la relation ordinaire est le face à face, et le dialogue la façon courante de s’adresser à autrui.On aura remarqué d’ailleurs que c’est ainsi que s’exprime le début du verset précité à propos de Moïse: «Moïse parla (vaydabber) aux chefs des tribus des enfants d’Israël pour dire (lemor) ». Seul le Créateur enjoint, prescrit, légifère. Moïse se contente de transmettre prophétiquement ses prescriptions, c’est à dire en termes audibles et intelligibles.Un verbe particulier permet de comprendre l’importance de la parole libre. Celle-ci ne peut consister dans un flux immaîtrisé de propos sans suites. La parole d’un être libre doit être avant tout régulée par lui même. C’est pourquoi le verset biblique, dans l’hypothèse contraire, emploie le verbe: YaH’eL qui signifie profaner, exclure du champs de la sainteté. C’est parce qu’elle est libre que la parole interhumaine est sainte mais réciproquement c’est parce qu’elle est sainte qu’elle reste libre. Parler pour ne rien dire, ou sans tenir les engagements auxquels on a de soi même souscrit, sans y être obligé, est comme souiller une source d’eaux vives et dissuader qu’on vienne y boire.                                             Raphaël Draï zal , 17 juillet 2014

LE SENS DES MITSVOT: PARACHA PINH’ASS

In Uncategorized on juillet 6, 2023 at 11:59

« Pinh’ass fils d’Eléazar, fils d’Aharon le Pontife a détourné ma colère de dessus les enfants d’Israël, en se montrant jaloux de ma cause au milieu d’eux en sorte que je n’ai pas anéanti les enfants d’Israël dans mon indignation. C’est pourquoi, tu lui annonceras que je lui accorde mon alliance amicale (eth berithi chalom) » ( Nb, 25, 11, 12). Bible du Rabbinat.

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Le sens du récit biblique n’apparaît véritablement que lu en hébreu et dans la graphie de cette langue. Autrement des éléments essentiels de son interprétation se dérobent au regard optique et à l’intelligence du texte. Ainsi en va t-il lorsque l’on traduit « berithi chalom » par « alliance amicale ». Pour bien le comprendre il faut reconstituer ce qu’il est convenu d’appeler le contexte de l’affaire.

Durant la Traversée du désert, les crises n’ont pas manqué qui ont mené les Bnei Israël parfois au bord de la destruction. Chaque fois ils en ont réchappé, prenant conscience in extremis de la gravité des transgressions commises et s’engageant à ne pas les réitérer. Mais une chose est de dire, autre chose d’accomplir. D’où la récurrence de ces crises, comme si chacune d’elle mettait au jour une racine vénéneuse bien plus profonde qu’on ne l’aurait cru. Dans la paracha précédente, l’on a vu comment la malédiction commandée par le roi Balak au prophète Bilâam a été commuée en bénédiction. L’on aurait alors pensé que le peuple, rassuré par cette bénédiction d’un niveau exceptionnel, s’élève encore en spiritualité. Au lieu de quoi, une partie des Bnei Israël ne croit pas mieux faire que se livrer à la prostitution idolâtrique avec des Midianites, et cela dans la sidération complète des responsables du peuple, jusqu’au moment où Pinh’ass, brisant cette sidération, embroche le couple initiateur de l’orgie.

Dans un récit légendaire ordinaire, l’on aurait pensé également que Pinh’ass soit aussitôt érigé en héros et cité en exemple. Au lieu de quoi, la Parole divine enjoint de lui adresser un autre message: certes, le petit-fils du pontife Aharon a su prendre fait et cause pour le Dieu d’Israël et pour la loi du Sinaï. Ainsi a t-il rendu inutile une intervention directe de l’Eternel. Pourtant en agissant comme il a fait, et quelles que soient les contraintes de sa propre intervention, il n’en a pas moins porté atteinte à la vocation des Aharonides: la recherche de la paix. A n’en pas douter son infraction, car c’en est une, bénéficie de circonstances explicatives et atténuantes. Elle reste néanmoins une infraction à cette vocation native et ne saurait être érigée en norme.

Nul doute non plus que Pinh’ass en soit conscient et qu’il se retrouve taraudé par l’après-coup de son acte, comme le fut Moïse en personne après avoir tué le maître de corvée égyptien qui tourmentait un esclave hébreu dont il se sentait comme jamais le frère (Ex,2, 12). C’est pourquoi le Créateur aidera Pinh’ass a assumé ce débat de conscience en l’insérant dans une Alliance, dans une Berith, pour bien souligner qu’il ne s’agit pas d’une mesure circonstantielle mais bien d’un dispositif qui étaye la vie même du peuple tout entier.

On sait qu’il est plusieurs modalités de l’Alliance: l’Alliance du sel (Berith mélah’), l’Alliance de la circoncision – révélation ( Berith mila), le sang de l’Alliance ( dam Haberith). Cette fois il s’agit d’une Alliance de paix: Berith Chalom. Et c’est sur ce point précis que la lecture du récit en hébreu est indispensable. Car, dans le texte originel, le mot ChaLoM s’écrit d’une manière bien particulière qui ne se retrouve pas dans toutes les bibles, y compris parfois dans celles imprimées en hébreu: la vav de ChaLoM n’est pas transcrit comme il l’est ordinairement, autrement dit tel un trait continu. Il l’est de sorte à faire apparaître en son milieu une coupure, une interruption, comme s’il était constitué de deux demis vavim séparés par un blanc: ChaL:M. Comme s’il fallait également comprendre qu’à la suite de l’intervention de Pinh’ass le peuple se retrouvait lui aussi coupé en deux, la représentation pour ainsi dire graphique de cette coupure prescrivant l’obligation d’une réparation immédiate, celle précisément du chalom qui constitue la vocation originelle d’Aharon le Cohen, lequel n’est plus physiquement présent parmi le peuple qui l’a pleuré au lieu dit Hor Hahar après que le Créateur l’avait rappelé auprès de Lui.

Aucune existence, individuelle ou collective, n’est rectiligne. Elle est faite d’instants qui se suivent certes mais qui ne se ressemblent pas toujours, les uns paisibles, les autres chaotiques. Lorsque ces derniers se produisent, il ne faut pas les assigner à la fatalité, ni s’imaginer qu’ils ne se reproduiront pas. La valeur du ChaLoM ne se marchande guère. Lorsqu’elle est contrariée par l’irruption de la violence, il importe plus que jamais que celle-ci se retrouve circonscrite le plus étroitement possible et que la paix prévale à nouveau. La paix n’est pas une simple disposition affective. Elle est avec le droit et la vérité l’un des piliers de l’univers. Et de cela il est fait sans tarder leçon à Pinh’ass, encore sous le coup de son geste explicable mais qui ne doit pas faire école pour un peuple dont les institutions doivent assumer toutes leurs responsabilités.

Raphaël Draï zal 9 juillet 2014