20 mai.
Pendant que les sondages confirment la première place du FN dimanche aux élections européennes, plutôt que de serrer les rangs l’UMP se dirige droit vers l’iceberg du Titanic. Une sombre affaire de factures obliques est mise peu à peu sur le dos de François Copé, avec une tête chercheuse du côté de Nicolas Sarkozy. Zola écrit dans une de ses «Lettres parisiennes» que la haine est chose abominable en politique. Pas seulement en politique mais dans ce domaine erratique elle s’exempte de toutes les inhibitions qui peuvent la retenir dans la vie privée, lorsque c’est possible. Depuis la défaite de 2012, François Fillon s’est décrété à sa manière un destin national – tous les gaullistes se prennent pour de Gaulle ressuscité -, ce qui impliquait la prise de contrôle de l’UMP. François Copé, adonné à la même ambition, s’est mis en travers et a cru qu’il l’avait emporté, avec la route grande ouverte pour 2017 compte-tenu des premiers échecs de la présidence Hollande. Aussitôt, l’on s’en souvient, la guerre interne s’est déclarée avec une violence inouïe, au point que l’on s’interroge sur les intérêts et les affects véritablement en cause dans ces sortes de confrontations à mort. Après les chantages à la scission, des replâtrages ont été bâclés, chacun essayant de gagner du temps et se mettre en meilleure position de tir pour la prochaine bataille. Et si François Copé, trop pressé, ne manquait pas une occasion de s’exhiber et de jouer le président en titre de la formation « gaulliste », le François adverse se contentait de déclarations minimalistes et le sapait sans cesse. Nul ne l’a entendu s’exprimer après les municipales. Son concurrent mué en ennemi semblait y tenir le beau rôle. Mais l’affaire dite Bygmalion prenait corps, avec ses relents de fausses factures, de caisse noire, de double billetterie. Et l’ensemble était imputé au maire de Meaux, de plus en plus les deux pieds dans la glu. Bygmalion ou Big millions? Les sommes en cause paraissent exorbitantes au regard de l’indemnité d’un chômeur lorsqu’il y a encore droit! L’UMP passait pour un des principaux partis politiques de la Vème République. Elle est en passe de se transformer en abattoir pour faux-frères ennemis. On ne sait si ceux qui la dirigent sont conscients de l’impact psychique produit par ces fratricides sur ce qu’il faut bien appeler la conscience collective; à quel point celle-ci est affectée par le dégoût et par la désespérance. La Vème République se meurt et ce n’est pas de sa plus belle mort. Elle prend de plus en plus les traits de la IVème agonisante lorsque les partis qui la disloquaient se livraient déjà une guerre sans merci, et qu’à l’intérieur de ces partis eux mêmes les éliminations politiques palliaient de plus en plus difficilement les éliminations physiques. Bel exemple pour les « djihadistes » des cités sensibles qui n’en perdent pas une miette.
24 mai.
Bruxelles. Un beau quartier. Le Musée juif. Des touristes. Un homme entre et tire sur eux comme sur des lapins. Quatre morts. Pourquoi? Parce que c’était eux. Des Juifs, ou présumés Juifs, eussent-ils été « laïcs » et visitant un lieu non moins juif certes mais ouvert le jour du chabbat. Deux des victimes sont de nationalité israélienne, ce qui signifie qu’à l’instar de leurs concitoyens un « contrat » global pèse sur leur existence, qu’ils sont éliminables à vue par quiconque considère leur existence sur terre comme un avatar de la causalité diabolique. Et que dire du tueur, toujours en fuite? Il doit se dépeindre en combattant de la liberté. Un justicier décidé à rétablir l’équilibre de la terreur qui selon lui sévit sur les habitants de Gaza ou de Ramallah. Ce qui l’autorise à s’ériger en juge et en bourreau, en exécuteur d’une sentence sortie de son cerveau glacial et chaotique. Pendant ce temps, le pape François visite la Terre Sainte et les militants anti-israéliens qui le pistent tentent d’accoler son image à celle du mur de séparation, substituant ce que ce mur représente à ce que symbolise le Mur occidental du Temple de Jérusalem. Toujours « la stratégie de la souillure » parce qu’elle colle à l’idée multiséculaire des Juifs, impurs et damnés plus que Caïn ne l’a jamais été. A des milliers de kilomètres, devant la synagogue de Créteil, deux jeunes juifs religieux, pour les mêmes mobiles pavloviens, se font agresser à coup de poing américain et rouer de coups. Ces formes d’aveuglement finissent par se payer très cher. Après la défaite de Nicolas Sarkozy en 2012, on prédisait que la vie politique française se polariserait violemment entre Marine le Pen à l’extrême droite et Jean-Luc Mélenchon à l’extrême gauche. Il se pourrait que cette polarisation se déplace, qu’elle oppose bientôt le FN d’un côté et les salafistes de l’autre, ceux qui rêvent de tirer à vue dans les galeries du Louvre sur les nus de Titien ou de Courbet.
25 mai.
« Heidegger et son temps » de Rüdiger Safranski. Martin Heidegger passe pour l’un des plus grands philosophes du XXème siècle. Auteur de 60 ouvrages mais en vérité d’un seul livre: « L’Être et le Temps » on lui fait honte de son accès d’ivresse nationale-socialiste lorsqu’il a cru qu’Hitler avait lu ce livre plume en main. Comment un penseur de cette envergure supposée pouvait-il imaginer que la révélation de l’Être allait commuer dans la découverte de son inverse absolu, celui des camps de la mort? L’exercice de la pensée la plus élevée n’a jamais remplacé l’exigence d’un caractère charpenté et ils ne manquent pas ces penseurs dont les vies démentent, hélas, les vocalises cogitatives. Demeure aussi l’énigme de l’« amour » improbable entre l’auteur du décrié « Discours du Rectorat » de 1933 et Hannah Arendt, la juive allemande qui ne s’en est jamais désisté – ou libéré. Amour heideggerien, si ces deux termes pouvaient le moins du monde s’associer: l’exaltation de l’Être, d’un côté, de l’autre le choix d’une maison sacralisée dans un lieu nommé Todtnauberg. En allemand, Todt veut dire : mort. On peut comprendre pourquoi le grand homme remis en selle par une partie de l’(in) intelligenzia française d’après-guerre en mal d’adoration ne s’est jamais réellement frotté à Freud. La psychopathologie et la métapsychologie ne se dénient pas mutuellement : elles se complètent.