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Dayenou

In Uncategorized on avril 19, 2019 at 10:25

Article écrit dans le magazine l’Arche en Avril 1991, au lendemain de la Guerre du Golf

Capture d_écran (46)

La maîtrise de soi dont le gouvernement et le peuple d’Israël ont su faire preuve face aux tirs de missiles Scud a provoqué l’étonnement de nombreux commentateurs. Israël aurait ainsi enfreint sa loi fondamentale plus essentielle que ses textes constitutionnels : la Loi du Talion qui inspire sa permanente théorie des représailles dans le conflit qui l’oppose au monde arabe. Cet étonnement révèle en fait |’extraordinaire méconnaissance de ce que sont la Loi et la culture juives.  On la montré ailleurs à propos du mythe de la prétendue loi juive du Talion. Cependant la lecture de la Haggadah de Pessah fournit un exemple supplémentaire de la distance prise par la pensée juive vis-à-vis de la violence à quoi elle ne s’identifie pas, quand bien même elle aurait eu à en connaître le redoutable événement. Dans la Haggadah de Pessah, dans le récit hébraïque de la Sortie d’Egypte, de la libération des Bnei Israël des camps de concentration pharaoniques, chacun a lu, ou au moins a entendu lire, un passage relatant la série des miracles et bienfaits accomplis par Dieu pour la Libération de ce peuple qu’il appelle Mon Peuple (Âmi), série scandée 14 fois par la formule Dayénou: que l’on peut traduire par « cela nous aurait suffi », ou bien « cela eût été assez (day) « pour nous ». Autrement dit, le sens de la Libération ne se résorbe pas dans la violence que l’obstination de Pharaon avait rendue inévitable. Les Bnei Israël, témoins de la Grande Main de Dieu brisant celle que le Pharaon voulait maintenir fermée sur Son peuple, ne se prennent d’aucune manière pour la source ni pour le réceptacle de la puissance que cette violence extrême a révélée. Si Pharaon avait écouté la voix lui demandant – pour commencer sans le lui ordonner – de laisser aller ce peuple réduit en esclavage : Dayénou. cela aurait suffi. La violence fut en effet du refus pharaonique. Elle ne cherchait pas le prétexte de ce refus pour s’exercer aveuglement. Tel est le sens de la discussion qui s’engage dans la Haggadah, après l’énonciation des Dix Frappes, entre Rabbi Yossi Hagalili, Rabbi Eliêzer et Rabbi Akiba. De combien de plaies l’Egypte fut-elle réellement frappée. Dix? Cinquante? Deux cent cinquante? En d’autres termes, quelle fut l’ampleur exacte de la destruction infligée à l’Egypte qui avait entrepris le génocide des Bnei Israel? Le sens de ce comptage n’est pas strictement arithmétique. ll tend à rappeler qu’aucune violence n’est réductible à son seul choc immédiat. Vous pourriez penser qu’il n’y eut que dix frappes? Ceci est le point de vue de ceux qui n’eurent pas à les subir.  Pour ceux-là, ces « dix frappes furent comme si elles avaient été cinquante, ou deux cent cinquante, ou mille car leurs conséquences furent incalculables. Mais les Juifs n’en tirent ni contentement ni gloriole. La Haggadah constate seulement qu’il est des potentats dont l’esprit de destruction finit par tourner en autodestruction. L’absence de résistance immédiate devant eux  leur fait imaginer qu’ils n’en rencontreront jamais. Que le chemin de la divinisation est ouvert aux  succès de leurs armes, à la terreur qui s’attache a leur nom. Mais pour aussi puissante que soit leur main, si elle sert à opprimer et à avilir, une autre Main s’en saisira qui la forcera de s’ouvrir sous peine de la broyer. Tragique confrontation de ces deux dimensions de la puissance, la première provoquant l’autre : celle de l’homme qui se prend pour Dieu et celle de Dieu se révélant comme force du Futur : Yad et Yad Haguédola. Le sens éthique de cette confrontation se trouve dans la façon dont la Haggadah de Pessah prend ses distances vis-a-vis d’une pareille violence une fois reconnue ses conséquences. En hébreu la valeur numérique de Yad est 14. Est-ce alors le hasard si l’expression Dayénou se retrouve également 14 fois, faisant immédiatement suite à la discussion rappelée précédemment sur le nombre exact des frappes infligées à l’Egypte pharaonique ? Comme pour enseigner que la violence doit être régulée non pas globalement mais à chacun des paliers de son apparition. ll y a plus de trente-cinq siècles que la pensée juive a dépassé le stade de l’identité fondée exclusivement sur la force brute, avec ses fascinations initiales, puis ses désastres irréversibles. Depuis, c’est dans l’état de droit et dans la justice économique, tsedek et tsédaka, qu’elle fore les sources de I’Histoire d’lsraël.

Raphaël DraÏ, zatsal, l’Arche Avril 1991

Le sens des mitsvot: Metsora

In Uncategorized on avril 12, 2019 at 9:48

 

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« Voici quelle sera la règle imposée au lépreux lorsqu’il redeviendra pur: il sera présenté au cohen. Sur l’ordre du cohen on apportera pour l’homme à purifier deux oiseaux vivants, purs, du bois de cèdre, de l’écarlate et de l’hysope… »

Lévitique, 2 à 5. Traduction de la Bible du Rabbinat.

Les règles et les liturgies présentées dans cette paracha, comme dans la paracha précédente, peuvent paraître parmi les plus étranges, les plus « ritualistes » et les moins accessibles à l’analyse de toute la Thora. Est-ce tellement sûr, non seulement en prenant en compte les nombreux commentaires qui leur ont été consacrées au cours des siècles mais en raison même de leur signification la plus contemporaine?

Deux interrogations s’inscrivent en cette direction. La première tient à l’exigence même d’une démarche particulière y compris en cas de plaie non lépreuse. Et l’on pourrait assurément s’interroger sur son bien-fondé et sur son utilité. A quoi pourrait-elle servir puisque en l’occurrence la chair est déclaré saine et non affectée par les risques de pathologie dont il a été déjà question? Le diagnostic certain ne se suffit-il pas?

En réalité tout dépend de la conception que l’on se forge d’un trouble, quel qu’il soit. En l’espèce le trouble redouté n’est pas confirmé mais il n’empêche qu’il ait eu lieu. Etre rassuré ne veut pas dire que l’on n’ait pas été inquiet et que cette inquiétude ne risque pas de laisser ses séquelles. C’est pourquoi il faut s’assurer de la réelle liquidation du trouble, la confirmer, la valider et ainsi inaugurer une période nouvelle de pleine santé. La crainte liée à la lèpre est tellement forte et insistante qu’il s’agit d’en libérer non seulement le corps mais l’esprit et cela ne saurait se faire à part soi. D’où une fois de plus l’intervention nécessaire du cohen. Car la plaie de la lèpre constitue une mésalliance entre le corps et l’esprit qui assujettit la chair à ce qui la corrompt dans le désordre des valeurs et la dislocation des conduites. Par ces rites, le cohen restaure l’Alliance, la Berith entre ce corps et cet esprit, entre l’individu isolé par un langage de dé-liaison et la communauté qui le restitue à ses propres dimensions relationnelles. D’où le contenu particulier des prescriptions requises en ce sens et leur fonction non seulement symbolique, au sens général, mais véritablement transférentielle .

L’être dont la purification est en attente de confirmation doit se pourvoir de deux oiseaux vivants et purs, autrement dit ayant profondément partie liée avec le vivant, et aussi, entre autres, de bois vifs affectés des mêmes significations. L’un des deux oiseaux sera sacrifié le premier au-dessus d’un réceptacle d’argile mais sur de l’eau également vive afin de clairement signifier d’une part que le trouble à l’origine de cette démarche a bien été identifié, qu’il pas été refoulé, et d’autre part qu’il est désormais procédé, ainsi que l’on vient de l’indiquer, à sa liquidation patente de sorte à inaugurer non pas un temps post-traumatique placé dans l’ombre du précédent mais un temps véritablement nouveau. Et c’est pourquoi la liturgie doit se dérouler sur cette eau vive. De sorte que prévale la symbolique du vivant et du fluent dans laquelle s’insère et se délimite la phase de liquidation complète du trouble antérieur. Car il n’est de bonne thérapeutique que celle qui ne laisse traîner ni résidus ni infections latentes. Une guérison qui mérite ce nom doit être exhaustive ou sinon ne pas être qualifiée en tant que telle pour prévenir les désillusions de la rechute[1].

Mais cette liturgie comporte un autre volet. L’oiseau resté vivant doit être plongé dans le sang de l’oiseau préliminairement égorgé avant d’être relâché et d’être remis en liberté, lancé à nouveau à travers champs. Les deux phases de la liturgie sont alors profondément intégrées. Le déni du trouble et celui plus large encore de la pathologie ne doivent pas entraîner celui de la vie elle-même. Celle-ci doit se poursuivre parce qu’elle est la première des créations et quelle se configure dans la mitsva la plus générique.

De sorte que le choc psychologique initial se résorbe vraiment, laisse place à une mémorisation spécifique qui sera moins celle des vulnérabilités qui ont produit le trouble identifié que celle des forces qui ont permis de le surmonter.

Raphaël Draï, zal, 2 Avril 2014

[1] Cf. l’étude de Freud, Analyse avec fin et analyse sans fin.

Chronique Radio J – PRÉSERVER LES IDÉAUX DU SIONISME – 11 mai 2015

In Uncategorized on avril 10, 2019 at 7:16

Après 45 jours de tractations et de marchandages, le gouvernement de l’Etat d’Israël est enfin constitué in extremis. L’on ne peut que s’en réjouir. L’on imaginait mal, compte tenu de l’horizon de menaces qui affecte cet Etat, qu’un round de négociations s’ouvre à nouveau, avec un nouveau candidat au poste de premier Ministre. Pourtant nul ne peut se dissimuler que la majorité obtenue par Benjamin Netanyahou est la plus faible qui soit et que cela préjuge mal de la durée effective du nouveau gouvernement à la merci du basculement dans l’autre camp de deux ou trois voix à peine. Que faut-il mettre en cause dans ces atermoiements et dans ces « deals » obtenus à l’arraché? Le système politique israélien dans son ensemble et notamment sa loi électorale qui permet à de petites formations, tout juste représentatives d’elles mêmes, d’exercer par leur position finalement charnière une influence disproportionnée, confinant parfois à une forme de chantage? Faut-il encore incriminer la psychologie et parfois l’amoralisme d’une classe politique dont la conquête et la conservation du pouvoir pour lui même semble la motivation la plus déterminante et la plus intransigeante? Faut-il ainsi en déduire que l’Etat d’Israël est vraiment devenu un Etat comme les autres et que l’approcher en termes idéalistes c’est désormais s’exposer à d’amères désillusions? Tout dépend de l’idée que l’on se forge d’une république et d’une démocratie. Le débat n’est pas nouveau. Dans un article du Figaro daté du 25 avril 1895 Emile Zola mettait déjà ses lecteurs en garde contre l’idéalisation du régime républicain, contre l’illusion qu’il suffisait d’instaurer un régime de cette sorte pour provoquer un changement radical de la nature humaine et une mutation des passions parfois délétères qui l’animent. A les idéaliser outre mesure la République et la démocratie deviennent sources de profondes déceptions au risque de faire regretter les régimes autocratiques qui les avaient précédé. Pourtant cette analyse, naturaliste et réaliste, comme toute l’oeuvre de Zola, est-elle applicable à l’Etat d’Israël? Le rêve et le défi de tous ses fondateurs, quelle que fût leur attache idéologique, religieuse ou non, était précisément de ne pas en faire, de ce point de vue, un Etat comme les autres mais un Etat ayant tiré des vicissitudes du peuple juif en exil la leçon que ses valeurs étaient vitales et qu’elle devaient comme jamais s’incarner dans des institutions exemplaires et des conduites dignes des exhortations des prophètes bibliques S’agissant de l’Etat d’Israël peut-on réellement s’accommoder d’une vue cynique et de son existence actuelle et par suite d’un souci intermittent de son avenir? Défendre le sionisme contre ses détracteurs extérieurs, et l’on sait à quel point ils sont virulents et acharnés, n’interdit pas de poser ces questions au sein même du peuple juif non pour juger des personnes mais pour vérifier sans cesse et en toute lucidité la nature de l’Etat en lequel tant d’espérances se sont investies depuis 1948 au moins. Depuis qu’il est apparu dans l’Histoire le peuple juif a toujours relié le droit, la politique et la morale, notamment celle du désintéressement. Sans respect de cette dernière, le droit se liquéfie et la politique redevient l’arène des gladiateurs s’entretuant devant César divinisé. Il est temps d’en prendre conscience pour traverser un siècle qui s’annonce, lui, impitoyable.

                 Raphaël Draï, Radio J, 11 mai 2015.

Le sens des mitsvot – Paracha Tazria

In Uncategorized on avril 4, 2019 at 11:15

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Au Rav Dov Elbeze

« Puis le cohen examinera la plaie le septième jour, si la plaie présente le même aspect, si elle n’a pas fait de progrès sur la peau, le cohen la séquestrera (hisguir) une seconde fois(chenit) pour sept jours. Et le cohen au septième jour l’examinera de niveau (chenit): si cette plaie s’est affaiblie et qu’elle n’ait fait aucun progrès sur la peau, le cohen la déclarera pure

… Mais si cette plaie venait à s’étendre sur la peau après qu’il s’est présenté au cohen et qu’il a été déclaré pur, il se fera visiter de nouveau (chenit) par le cohen.. Si la dartre s’est étendue sur la peau, alors il le déclarera impur: c’est la lèpre ». Lévitique, 5à 7. Traduction de la Bible du Rabbinat.

On peut le constater, cette paracha est une méthodique introduction à une «psychosomatique» biblique, les affections de la peau opérant comme les véritables révélateurs de troubles possiblement plus profonds. Ce qui conduit à deux enseignements majeurs.

En premier lieu, il appartient à chacun de veiller à l’état de son épiderme. La peau n’est pas un simple revêtement cutané mais un organe doué d’une vie propre, donc exposé à une symptomatologie spécifique. La peau est un récepteur de sensations, un capteur de multiples sensibilités, en tant que telle un véritable organe social qui se présente normalement dans une certaine conformation vitale: grain, tonus, éclat, irrigation, ductilité.

Lorsque ces traits s’altèrent, c’est signe d’un trouble qui pourrait être plus profond (âmok) et plus grave. Il ne faut pas tarder à s’en préoccuper. Le verbe hisguir ne veut pas dire exactement séquestration ou quarantaine mais plutôt prise au sérieux, constitution en problématique réelle. Le contraire de la désinvolture. Le symptôme est un avertisseur. Il se rapporte à cette modalité du comportement moral préventif: la zehirout, la capacité de faire attention.

A partir de quoi un examen proprement histologique est engagé par le cohen – personne tierce et désintéressée, mais profondément solidaire – qui consiste en une véritable interprétation du signe devenu apparent pour comprendre s’il se constitue ou non en symptôme durable.

C’est au regard de la nécessité d’une pareille interprétation – comme si l’épiderme constituait un texte – que l’expression chenit, qui indique la reprise, la résonance et la réflexion se fait insistance et récurrente.

Toutefois le diagnostic ne saurait être porté dans la hâte. Chacun sait la signification structurale du chiffre sept. Ce diagnostic doit être attentif, réflexif, élaboratif, et sans doute faire l’objet en cas de besoin d’un examen collégial. A l’opposé de «la langue mauvaise » caractérisée par sa jactance pulsionnelle et par l’absence de toute vraie maîtrise de la pensée délibérative.

Si au terme de cette première phase il se confirme que le signe cutané est superficiel, stable, circonscrit et surtout non expansif, il faudra de toutes façons s’accorder une seconde période d’observation réflexive avant de conclure. Car rien n’apparaît jamais complètement au premier regard ni à la première lecture. Dans ces conditions, au cas où il se confirmerait bien que le signe apparu n’est pas involutif, le recouvrement de la vie normale serait aussitôt indiqué.

Au cas contraire où le signe persisterait, qu’il se graverait dans la peau et dans la chair, ce serait l’indication d’une affection plus grave engageant alors un protocole à la fois personnel et social. On observera à cet effet que le qualificatif «profond»: ÂMoK est formé par les mêmes lettres que le mot KeMâ qui désigne le fait de lier. Dans ces nouvelles conditions, un symptôme de cette profondeur indiquerait la corrélation des niveaux épidermiques, sociaux et spirituels de l’affection avec la nécessité d’une intervention combinée à ces trois niveaux.

 Raphaël Draï zal, 26 mars 2014