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Le sens des mitsvot: parachat Vayikra

In Uncategorized on mars 31, 2017 at 1:18

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« … si quelqu’un d’entre vous veut offrir au Seigneur une offrande de bétail (…) il appuiera sa main sur la tête de la victime et elle sera agréée en sa faveur pour lui obtenir propitiation ». (Lv, 2, 4).

«Quelque oblation que vous offriez à l’Eternel, qu’elle ne soit pas fermentée car nulle espèce de levain ni de miel ne doit fumer, comme combustion en l’honneur de l’Eternel». (Lv, 2, 11).

Traduction de la Bible du Rabbinat.

Comme bien des prescriptions contenues dans le Lévitique, le sens de celles-ci pourrait paraître abscons et ésotérique, se rapportant aux fameuses « lois cérémonielles » qui ont suscité les critiques et parfois les sarcasmes des spinozistes notamment. Ce qui définit une exigence spirituelle et pédagogique supplémentaire pour en faire comprendre le sens. En l’occurrence ces versets qui peuvent paraître on ne peut plus « ritualistes » comportent des significations d’une exceptionnelle importance par elles-mêmes et par leur complémentarité. Qu’en est -il des premiers?

Ils situent avant tout la polarité fondamentale d’une responsabilité essentiellement personnelle. Bien sûr, l’édification du Sanctuaire a doté le peuple d’un lieu de rencontre électif avec la Présence divine. Grâce au Sanctuaire, l’approche, la hitkarbout de cette Présence devient effective et praticable. Il n’empêche que, quels que soient les préparatifs et l’assistance des Cohanim, le korban proprement dit relève de la responsabilité singulière de qui doit l’accomplir en s’acquittant des obligations qui y sont liées. C’est pourquoi il devra assurer de ses propres mains le contact avec l’animal dévolu à cet effet, pour bien marquer la continuité à la fois matérielle et symbolique entre cet animal et lui.

Ainsi sont intégrés les différents niveaux du vivant appelé à la sanctification, à la kedoucha. Cependant, et dans tous les cas, il faut conserver le sens de la mesure, éviter toute forme d’exaltation ou d’excitation qui altèrerait ce processus d’approche graduelle, lequel se rapporte à un développement temporalisé de l’esprit et à un contrôle corrélatif des pulsions. Car l’esprit lui-même a ses propres troubles qui interfèrent avec ceux de la vie qualifiée de matérielle.

De ce point de vue, le texte du Lévitique, s’il incite à se libérer des enchaînements pulsionnels et des gravitations de la matérialité, nous met en garde contre les tentations de ce que l’on pourrait appeler le « quintessentiel ». A cet égard, le levain et le miel doivent être exactement dosés car ils indiquent comment les substances changent d’aspect mais sans se transformer et pourquoi les produits purs qui résultent déjà d’une extrême élaboration préalable ne doivent pas en outre servir à une « hyper- purification ». Une sublimation outrancière confinerait à l’ébriété et conduirait si l’on n’y prenait garde à chuter d’aussi haut que l’on avait cru s’élever. Le miel en soi est déjà un produit pour ainsi dire sublime, du goût à l’état pur. Faute d’un dosage exactement mesuré il peut s’avérer vomitoire. Point besoin de le sur-sublimer.

On aura noté enfin l’articulation interne de ces différentes mitsvot. En appuyant ses mains sur la tête de l’animal voué au korban, puis en dosant exactement le levain et le miel, c’est toute l’échelle du vivant et de l’esprit qui l’anime qui se trouve ainsi parcourue. Ce qui explique l’agencement structural des versets correspondants. En commençant par appuyer ses mains sur la tête de l’animal l’on se situe au point de départ d’un travail qui devrait mener jusqu’aux expressions les plus hautes de la spiritualité. Mais attention à ce que les spécialistes de la montagne qualifient « d’ivresse des sommets ». Noé en personne n’a pas su s’en garder et l’on sait ce qui a suivi (Gn, 9, 21 ).

Ce n’est pas pour autant que la première étape soit « primitive » ou triviale. Car c’est bien sur la tête de l’animal que les mains doivent en premier se poser et l’on sait que dans l’univers biblique, aux initiaux degrés du vivant, l’humain et l’animal sont strictement solidaires et requièrent conjointement la sollicitude divine.

 Raphaël Draï, zatsal, 6 mars 2014

Israël – Diaspora : une destination commune?

In Uncategorized on mars 29, 2017 at 11:42

 

La célébration de la Sortie d’Egypte dans la perspective du don de la Torah au Sinaï est propice à une mise en question de nos certitudes les mieux assurées, de nos partis pris les plus inconditionnels. Sitôt la mer Rouge traversée, les Bné Israël se sont mis à récriminer comme s’ils avaient oublié qu’ils venaient d’être libérés. Sitôt la Torah entendue directement de la voix de Dieu, l’impatience leur fit confectionner l’idole du Veau d’Or sous les yeux d’un Aaron désemparé.

Que dire de la présente période de l’histoire du peuple juif? Comment pouvoir se déclarer à ce propos, et tout à trac, de droite ou de gauche, sioniste enraciné ou diasporiste itinérant ? Ces oppositions antinomiques avaient encore un sens avant la création de l’Etat d’Israël, lorsque le sionisme n’était qu’une espérance et une utopie non encore confrontées à leurs réalisations effectives.

L’année prochaine, le mouvement sioniste aura officiellement cent ans. Cette durée est désormais assez longue, au sens de Braudel, pour dresser quelques bilans, pour inciter à quelques salutaires exercices de conscience. Quant aux notions générales de droite et de gauche, depuis l’effondrement des régimes communistes et la conversion des gouvernants socialistes au réalisme monétaire il serait déraisonnable de s’en servir comme de points de repère identitaires.

Cela ne signifie pas qu’il faille renoncer à nos convictions et nous fondre dans le mondialisme ambiant ou dans le cyberespace d’Internet. Ces considérations nous font surtout obligation d’être attentif au point de vue d’autrui, de tirer enseignement historique de sa biographie dans un monde qui ne sait plus trouver son chemin entre les fosses communes des génocides et ethnocides et entre les magmas verbaux de la nouvelle babélisation. Aujourd’hui, tant de mots et de phrases toutes faites ressemblent à ces oiseaux englués de mazout que font les marées noires. Alors, Israël ou Diaspora ? Par où passe l’avenir de l’existence juive ? Ce choix n’en est pas un pour les idéologues d’au-delà toutes les murailles des Chines intérieures.

Lors de la dernière assemblée du Congrès juif mondial à Jérusalem, le romancier A.B. Yehoshua s’est voulu tranchant et provocant : l’Etat d’Israël n’aurait que faire d’une Diaspora censée lui servir d’arrière-garde mais qu’il traîne en fait comme un boulet. Face aux réactions suscitées par ses propos, A.B. Yehoshua a protesté qu’on ne l’avait pas compris. Signe que le débat reste ouvert, à vif, et qu’on ne saurait le résoudre par pensées abrégées et phrases-choc. Comment ne pas comprendre son point de vue ? Les Juifs n’ont-ils rien oublié et rien appris de l’entre-deux-guerres ? S’imaginent-ils que les analyses de Herzl, d’Ahad Haam ou de Syrkin ne sont que paille et vieux papiers ?

Se croient-ils à l’abri dans une Diaspora qui a toujours tant de peine à liquider son antisémitisme consubstantiel et comprimé, celui qui se dénote dans tous les livres de l’Occident, de l’Evangile à peine expurgé jusqu’à Shakespeare et Voltaire ?

La croix érigée en 1986 sur le site d’Auschwitz le domine toujours, et en 1996 il faut que toutes les organisations juives se mobilisent pour éviter l’installation d’un supermarché aux abords immédiats du camp devenu symbole de la Shoah. Si nul ne songe à nier les progrès du dialogue entre Juifs et chrétiens, ne faut-il pas prendre garde cependant que l’affirmation d’une identité juive autonome renforce les résistances irrationnelles de celles qui se sont constituées, au long des siècles, sur l’axiome de sa disparition ou la proclamation

de sa caducité ? Pourtant, laissons de côté l’argument de la peur qui conduit à la trop triste représentation de l’Etat d’Israël comme « asile de nuit », encore que des milliers et des milliers de Juifs d’ex-Union soviétique en aient éprouvé récemment les bienfaits immédiats.

LE DIALOGUE CACHE

Mais les Juifs de Diaspora ne savent-ils plus ce que veut dire partager le sort réel de leur peuple,  lehih ‘alek , selon le verbe usité par le prophète Jérémie? Tel est l’argument utilisé cette fois par Zeev Sternhell pour fonder ce que l’on pourrait appeler son point de vue prioritaire de citoyen à part entière concernant l’avenir de l’Etat d’Israël, surtout depuis les Accords d’Oslo signés avec l’OLP. Il faut s’être battu au corps à corps avec l’ennemi pour décider de la perpétuation de la guerre ou au contraire de l’établissement de la paix avec lui. L’argument est de poids et la cruauté serait facile à l’encontre des jusqu’au-boutistes des salons parisiens ou des lobbies américains prêts à en découdre jusqu’au dernier soldat de Tsahal. Encore que les bombes islamistes, qu’elles explosent à Paris, à Buenos Aires ou à Jérusalem et Tel-Aviv, égalisent actuellement l’ensemble des Juifs du monde entier face aux moudjahidines-suicidaires.

En réalité, le débat Israel-Diaspora en recouvre un autre, au risque de les voir s’obscurcir tous deux : celui de l’Etat d’lsraël-Etat juif et celui de l’Etat d’Israël-Etat israélien, c’est-à-dire progressivement non-juif. L’assassinat de Rabin par Igal Amir en a exacerbé les dilemmes. Pour le meurtrier et ceux qui voudraient comprendre son geste, la paix signée entre Rabin, Pérès et Arafat l’a été au prix de l’abandon d’une partie des symboles et supports inaliénables de l’identité réelle, non circonstancielle, d’Israël. L’évacuation de villes comme Bethléem et Hébron, les incertitudes planant sur Jérusalem, les références agressives à un Etat qui se voudrait ‘laïc’, c’est-à-dire amnésique, c’est-à-dire encore anonymement israélien mais non plus généalogiquement juif, conduisent à s’interroger sur l’anormalité d’une telle « normalisation ». Quand l’objectif du mouvement sioniste reste de rassembler, si possible, les Juifs du monde entier en terre d’Israël, la formulation même d’un pareil objectif s’avèrera de plus en plus absurde et hasardeuse, au fur et à mesure que la terre d’Israël verra s’effacer ses signes identificatoires. Le retrait de territoires qui portent en eux cette immémoriale identité se compensera-t-il par l’invocation à un Etat ‘moderne’, c’est-à-dire qui ressemble à tous les autres, en adopte les finalités, en mime les structures, en ingère les éléments destructeurs?

UN ETAT ‘GALOUTIQUE’?    

Autrement dit, si l’Etat d’Israël doit être, de facto, un Etat pseudo américain, un Etat non plus sioniste mais assimilationniste, en ce sens plus galoutique que toute la Diaspora réunie, pourquoi quitter les Etats-Unis ou la France ? Sans compter que cet Etat moderne, ses promoteurs mêmes ne cessent de saper ses bases en affirmant qu’il s’est constitué dès l’origine à rebours de ses valeurs affichées, que son utopie égalitaire et son idéologie socialiste n’étaient que les masques d’un nationalisme comparables à tous ceux, machiavéliens, des cent dernières années. Etrange critique au demeurant, présupposant qu’il existe, ou aurait existé, un modèle de l’égalitarisme pur et du socialisme intégral dont un Israël placé dans des conditions optimales se serait éloigné pour des raisons au fond inavouables.

LA CROISEE DES CHEMINS

Entre la critique salutaire et l’auto-dénigrement suicidaire, par où se dessinent les nouveaux chemins de l’histoire juive ? La question passe d’un camp à l’autre comme la navette du tisserand pressé. Cette fois, pour les défenseurs de l’identité judéo-juive de l’Etat d’Israël, quel contenu recouvre ce qualificatif? Etre Juif, cela se réduit-il à des signes identitaires externes (kippa, cacherout), à des contraintes jugées parfois insupportables (la manière dont cette identité est religieusement conférée), à des vues nébuleuses sur l’organisation économique et sociale d’une société qualifiée tautologiquement de juive ? Que signifient tsédek et tsédaka dans l’actuel processus de mondialisation économique et informationnel ? Quelle est la signification effective du yovel, de l’année jubilaire, dans un monde où la sphère financière vit de son existence propre, ne connaît ni frontières nationales ni priorités sociales, et fait chuter les cours de la bourse lorsque tombe la nouvelle que le chômage va diminuer ?

Dans un pareil débat, chacun doit s’imposer le respect profond de ses interlocuteurs. Entre les deux guerres, un historien de la dimension de Doubnov a profondément cru à l’autonomie culturelle de la Diaspora en même temps qu’à la légitimité d’un Etat juif. A ses yeux, l’entité transcendante restait le peuple juif, c’est-à-dire l’ensemble constitué par la Diaspora et un Etat possiblement indépendant de ce peuple mais qu ne s’y réduirait pas. Vue admirable d’un humanisme si universel qu’il finissait pas oublier les erratismes du temps présent. Doubnov périt dans le ghetto de Riga. Les bêtes fauves du Illème Reich avaient alors entrepris de transformer les îles de la Diaspora en archipel de l’annihilation. Mais il y a tant d’autres manières de disparaître aujourd’hui. Près d’un demi-siècle après sa création en droit international, l’Etat d’Israël est reconnu par la chrétienté, par l’islam, par l’immense majorité des nations représentées à l’ONU. Cette reconnaissance lui a été si difficilement consentie qu’il est prêt à en jouir comme d’une fin en soi. Mais la fin tout court est toujours près de la fin en soi. Au long de leur tumultueuse histoire, le peuple juif puis, plus récemment, le mouvement sioniste ont connu de pareils moments : celui de la bifurcation des chemins (parachat derakhim) et du partage des esprits. Heureusement, il s’est presque toujours trouvé des responsables inspirés pour que le peuple ne s’y divise pas au risque de perdre en route une partie supplémentaire du restant des douze tribus. Nous sommes à une nouvelle croisée des chemins. Le pire serait que, les uns et les autres, nous choisissions notre destination dans le mutisme et le ressentiment. Il nous faut trouver les ressources spirituelles nécessaires pour parler ensemble de notre prochaine étape et si possible de notre commune destination.

Raphaël Draï zal, Arche Mai 1996

LE SENS DES MITSVOT: Paracha Vayekhel

In Uncategorized on mars 23, 2017 at 8:46

 

22vayakhel14 BIS

«Pendant six jours on travaillera mais au septième jour vous aurez une solennité sainte (kodech chabbat chabbaton) en l’honneur de l’Eternel; quiconque travaillera en ce jour sera mis à mort (youmat). Vous ne ferez point de feu (lo tébaârou ech) dans aucune de vos demeures ce jour là »… «Puis, que tous les plus industrieux d’entre vous (col h’akham lev) se présentent pour exécuter ce qu’a ordonné l’Eternel ». (Ex, 35, 2, 3 et 10).

Traduction de la Bible du Rabbinat.

Point n’est besoin de revenir sur l’insertion des prescriptions concernant le chabbat lors de la construction puis de l’édification du Sanctuaire[1]. Cependant, il faut s’interroger sur la reprise de ces prescriptions en même temps que sont récapitulés les différents éléments entrant dans cette construction. Ils sont récapitulés de nouveau parce que cette fois Moïse s’adresse au peuple après la faute du Veau d’or, au peuple muni des secondes tables de la Thora, au peuple édifié lui même moralement par la commission de cette transgression inouïe qui a failli lui être fatale. Et ce peuple – on l’a déjà explique aussi, est abordé comme KaHaL, doté des deux lettres hei et lamed, que l’on retrouve dans la louange du HaLeL.

Ce peuple n’est pas doté d’une mémoire exclusivement factuelle mais d’une mémoire transcendante. Il est en mesure de se souvenir non pour répéter mais pour se dépasser. A cette fin, il doit conjoindre deux attitudes et deux aptitudes qui d’ordinaire sont difficilement conciliables: la maîtrise de soi, soulignée par la reprise de l’interdit chabbatique, et la capacité de créer, d’où la référence aux « savants de cœur ».

Rachi s’interroge d’ailleurs sur la signification de cet interdit en ce point du récit biblique: serait-ce pour signifier que faire du feu le jour du chabbat relève d’une défense spécifique? Ou bien pour rappeler de manière plus générique encore la catégorie même des interdits opérants ce jour là? Il faut sans doute relier ces deux lectures. La seconde concernerait la référence formelle à ces prohibitions. La première, elle, soulignerait la dynamique interne, la contagiosité des transgressions. En ce sens, l’interdit de faire du feu comporte bien sûr un sens en soi mais aussi au regard du fait qu’une fois allumé un feu se propage, pour peu qu’il trouve sur son passage des matières à brûler.

La langue hébraïque l’indique par le verbe BoÊR: consumer, dont la racine constitue la « décombinaison » de la racine ÂBR qui désigne au contraire le déplacement progressif et se rapporte à l’état d’esprit du ÎVRi, de l’être-hébraïque capable en ses déplacements de relier le point de départ et le point d’arrivée, le passé et l’avenir. L’ombre du Veau d’or se discerne dans cette préfiguration du principe de précaution dont on sait la portée dans les dispositifs juridiques et éthiques contemporains. S’agissant du Veau d’or, le processus avait commencé par une injonction verbale en direction d’Aharon, durant l’absence de Moïse. Il s’est terminé par la brisure des Tables et, n’eût été l’inoubliable intervention de Moïse en personne, il se fût achevé par l’effacement du peuple de l’Alliance divine.

Toutefois, le principe de précaution ainsi entendu ne doit pas aboutir à l’inhibition du peuple rendu timoré, pusillanime et ayant peur en effet de son ombre. C’est pourquoi, suivant immédiatement le rappel des règles du chabbat et, on l’a dit, plus particulièrement de l’interdit d’allumer du feu, sont reprises les prescriptions relatives à la construction du Sanctuaire. L’on comprend mieux ainsi comment opère le récit biblique dans ses intentions didactiques: il met chaque fois l’accent, en tant que de besoin, sur les parties du comportement individuel et collectif à propos desquelles inattentions ou négligences, sans mêmes parler de transgressions, seraient certainement dommageables et mêmes irrémédiables. Agir sans précaution peut s’avérer destructeur, activement. S’entourer de tant de précautions qu’il devienne impossible d’agir serait tout aussi destructeur, quoique passivement.

Le début de la paracha Vayakhel conjoint donc ces deux attitudes. Il ne faut pas oublier d’abord que l’interdit précité est un interdit de finalité chabbatique et non pas une prohibition strictement arbitraire. L’expression chabbat chabbaton, par sa répétition, fait pièce à l’expressions symétrique et antagoniste, usitée dans la précédente parachamot youmat. Celle-ci désigne non pas seulement la peine de mort au sens juridictionnel, avec son encadrement procédural, mais la mortalité et même la morbidité d’un esprit, d’une institution, d’une forme sociale ou d’un régime politique. Celle-là se rapporte non pas seulement à la vie, à l’existence, mais aussi à ce qui fait que la vie soit vivante, à la « vivance », à ce que le Rav Kook nommera: h’ey hah’aym, la vie de la vie. C’est pourquoi, le récit biblique rappelle que les travaux du Sanctuaire doivent être confiés non pas seulement à des artisans «industrieux» mais à des « savants de cœur » qui sachent mettre le leur dans ce qu’ils accomplissent, avec vigueur et avec rigueur pour eux-mêmes et pour leur Prochain.

Encore une observation concernant cette fois les dimensions propres de l’anthropologie biblique. La transgression du Veau d’or ne fut certes pas vénielle ni anecdotique. Elle ravivait par sa violence et par ses caractères de passage à l’acte la transgression originelle commise au Gan Êden, celle des deux prescriptions constitutionnelles qui en garantissaient la viabilité: travailler (leôvdah) et préserver (lechomrah) (Gn,2, 15). C’est bien ce doublet intimement équilibrant qui se retrouve dans la présente paracha: attention au feu qui dévore, mais simultanément attention à la passivité qui dissout. Tous les chemins de la Création exigent cette illumination à deux degrés.

Raphaël Draï zatsal, 24 février 2014


[1] Cf. commentaire sur Tétsavé.

Meurtres de Toulouse : Retour sur une tragédie française (vidéo)

In Uncategorized on mars 20, 2017 at 10:27

Conférence du Dimanche 24 Juin 2012 organisée par « La Règle du Jeu »

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  • avec Éric Marty, Jean-Jacques Moscovitz et Raphaël Drai
  • modéré par Alexis Lacroix

Cliquer sur le lien ci-dessous pour visionner la conférence:

Meurtres de Toulouse : Retour sur une tragédie française

 

  AMALGAMES ET CONFUSIONS

In Uncategorized on mars 16, 2017 at 11:49

Je dédie cette chronique à la mémoire de Jonathan Sandler et des enfants massacrés dans les circonstances que l’on sait dans l’école Otzar Hathora de Toulouse. Il avait suivi le cours de pensée juive que j’avais donné sur « Le concept de dignité humaine dans la Thora » au Beth Halimoud de Bordeaux le 6 mars dernier (2012).

Dans la langue de bois la plus récente, le mot qui fait fureur est le mot « amalgame ». Sitôt dévoilée l’identité du tueur, alors présumé, de Montauban et de Toulouse, tous les micros et caméras ont été mobilisés selon le mot d’ordre: «  surtout pas d’amalgame » entre Mohamed Merah et les musulmans de France. Il faut  reconnaître que dans cet exercice les dirigeants de la communauté juive ont fait preuve de grand empressement, à se demander s’ils n’étaient pas en déficit de sympathie réelle avec leurs collègues du culte musulman. A vrai dire, depuis des années, en France, les relations entre juifs et musulmans  ne relèvent  plus du simple dialogue. Si les circonstances  n’étaient  pas aussi dramatiques, l’on dirait même qu’elles confinent au tango argentin. Dans ces conditions qui donc dans notre belle communauté aurait eu l’esprit assez tordu pour se livrer à  la moindre confusion entre musulman et islamiste? Cependant, à force d’éviter cet amalgame là, l’on ne fait plus attention à tous ceux dont pâtit cette fois et  bel et bien la communauté juive. A commencer par celui, abject, entre les victimes de l’école Otzar Hathora et les enfants palestiniens victimes  selon le journal algérien de langue française « Expressions » d’une aviation israélienne aux pulsions infanticides. Rappelons que l’autorité palestinienne elle même a rejeté cet amalgame  méprisable. Et que dire de cet autre amalgame: celui qui sévit entre cacherout et h’alal  et qui mobilise aveuglément contre l’alimentation cachère nos amis des bêtes qui traitent la culture juive comme l’on n’ose plus traiter les  indigènes  d’Amazonie ou ce qu’il en reste?

Les occasions de marquer notre solidarité avec  ceux des membres de la population musulmane souffrant de violences et d’avanies sont assez nombreuses pour que la communauté juive affirme en l’occurrence son irréductible singularité auprès des vétérinaires déculturés comme auprès des écologistes en voie de totémisation. Il n’en va pas autrement de l’épithète communautariste, stigmatisante et collante comme ces morceaux de scotch  à la fin du rouleau. On la retrouve au plus haut sommet de l’Etat où en réalité dans son usage à double entente l’on pense essentiellement au communautarisme prosélytique qui sévit dans ces quartiers hors – droit qui relèvent de facto des règlements du « Dar el Islam »  version Mohamed Merah. Pourquoi ce déni de langage et  cet aveuglement devant le réel? Pourquoi ne s’autorise t-on jamais à appeler les choses par leur nom sans les avoir auparavant amalgamées, c’est vraiment le cas de le dire, à la situation de la communauté juive? Désormais l’on n’ose plus évoquer la situation propre des musulmans sans devoir aussitôt la lester d’une référence abrasive à la communauté juive afin de faire partager aux adeptes de l’Islam français la clause paraît-il enviable de « la victime la plus favorisée ». Ces amalgames dangereux, ces fausses symétries pernicieuses trahissent un véritable trouble de la pensée et la baisse des seuils de la lucidité minimale dans l’approche d’une réalité de plus en plus préoccupante. Car qu’on ne s’y trompe guère: aucun défilé le cœur à la boutonnière ne saurait effacer cette réalité: dans maints quartiers Mohamed Merah passe désormais pour un héros, la vraie victime des hommes du Raid. Mais, dira t-on, et les victimes de Montauban et Toulouse? Allons! Évitons les amalgames.

                          Raphaël Draï, Chronique de radio J, le 26 mars 2012

 

 

 

 

 

 

 

Le Sens des Mitsvot: Parachat Ki Tissa

In Uncategorized on mars 16, 2017 at 11:39

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« L’Eternel parla ainsi à Moïse: « Et toi, parle aux enfants d’Israël en ces termes: Toutefois observez ( tichmorou ) mes sabbats, car c’est un symbole de moi à vous ( oth hi beyni ou beynekhem) dans toutes vos générations pour qu’on sache que c’est moi l’Eternel qui vous sanctifie. Gardez donc le sabbat, car c’est chose sainte pour vous (kodech hou lakhem)! Qui le violera (meh’aleleha) sera puni de mort (mot youmat) ; toute personne même qui fera un travail, ce jour sera retranchée (nikhreta) du milieu de son peuple » ( Ex, 12 à 14). Traduction de la Bible du Rabbinat.

L’importance de cette mitsva, en forme de rappel, tient à sa position dans cette paracha, elle même d’une importance exceptionnelle puisqu’elle relate la transgression du veau d’Or et ensuite le pardon obtenu par Moïse pour les anciens esclaves qui peinent à se libérer de leur état d’esprit et de leurs conditionnements antérieurs. Cette paracha poursuit en effet la description des éléments constitutifs du Michkane, du Sanctuaire, une description qui avait commencé dans la paracha Térouma. Pourquoi  cette soudaine insertion des règles du chabbat à ce propos? Ne dirait-on pas un ajout superflu produisant une rupture de ton, une cassure logique, un parasitage du récit? Il ne le semble pas.

Ce rappel en est bien un, mais dont il faut comprendre la finalité avant de revenir sur son contenu propre. Quel malentendu risquait d’entacher la confection puis l’édification du Michkane? Précisément d’en faire une chose en soi, un but ultime, l’équivalent d’un mausolée des Choses saintes, elles-mêmes fétichisées. C’eût été un comble de lutter contre les rémanences de l’idolâtrie par une oeuvre érigée à son tour,  directement ou subrepticement, en idole. Il fallait alors que la véritable finalité de l’entreprise fût rappelée.

Oeuvre de pensée et oeuvre collective, le Sanctuaire demeurait toutefois une oeuvre  accomplie de main et d’esprit humains  et en tant que telle susceptible de leur imposer ses rythmes et ses cadences, sa logique interne et ses entraînements, de l’autonomiser et de l’hétéronomiser en même temps. D’où, ici même, le rappel des règles du chabbat, de sa raison d’être et de ses finalités propres. On observera d’ailleurs que la nomenclature talmudique des actes prohibés le jour du chabbat et de leurs dérivés se raccorde expressément à la construction du Sanctuaire et à la nomenclature des actes qui y étaient interdits ce jour-là. Autrement dit encore, la signification du Sanctuaire et celle du chabbat se rapportent réciproquement l’une à l’autre.

Au demeurant, la signification du chabbat  ne se réduit pas à la somme négative des travaux interdits ce jour. D’abord et avant tout, le chabbat est un signe, mieux un symbole, et un symbole exhaustif qui permet la remémoration et l’actualisation perpétuelle de l’Alliance nouée entre le Créateur et le peuple appelé à mettre en oeuvre la Loi donnée au Sinaï, celle qui se rapporte à l’Oeuvre de la Genèse, au Maâssé Beréchit. Le lien entre la Loi du Sinaï et la situation de l’Humain dans le Gan Êden se trouve dans l’emploi du verbe LiChMoR: garder et sauvegarder (Gn, 2, 15). Ce qui conduit à bien comprendre ce que signifie « interdit » dans les deux contextes puisque d’autres interdits, non limités au chabbat, se trouvent énoncés par exemple dans les deux Tables.

L’interdit se dénote en hébreu par la préposition LO et s’écrit par les deux lettres conjointes: le lamed et le aleph, à ne pas confondre avec le pronom personnel: LoV  qui s’inscrit par la conjonction du lamed et du vav et qui veut dire: « lui ». La lecture en sens inverse, en hipoukh, de LO –  donc aleph – lamed,  donne EL qui désigne toujours une direction, un vecteur, une orientation. Dans le système juridique d’Israël, dans sa compréhension particulière de ce qu’est une Loi, un interdit ou une défense ne doit pas se comprendre comme une restriction et encore moins comme une atteinte au principe de liberté. Un  interdit barre une route sans issue tout en ouvrant une voie alternative. En l’occurrence, le chabbat dont la structure est mutualisante, puisqu’il lie le  Créateur  et le peuple qui l’écoute, est également sanctificateur. La sainteté doit être comprise selon l’économie politique et psychique instaurée par la Thora donnée Sinaï. Elle détermine un niveau supérieur de l’être dont toutes les facultés reçoivent ainsi leur plus haute expression. Après Maimonide, le Rav Kook insistera à ce propos sur la libération notamment de la faculté imaginative, corrélée à la faculté de raison, de sorte qu’elle développe son potentiel créateur du fait même qu’elle ne soit plus assignée à une tâche et à une seule[1].

Pourquoi ensuite l’annonce d’une sanction pénale aussi dure puisqu’elle confine à la peine de mort et à l’équivalent d’une excommunication? Une fois de plus, il importe de relier des énoncés juridiques aux principes vitaux qui leur donnent plein sens. On l’a dit, la construction du Michkane se rapporte à la situation de l’Humain dans le Gan Êden. C’est là que la première sanction au sens juridique a été énoncée sans qu’il soit sûr qu’elle eût été entendue. Dans le Gan Êden, et au titre de la responsabilité qui lui incombait, l’Humain (Haadam) devait à la fois transformer (leôvdah) ce site et le sauvegarder (léchomrah) ( Gn, 2, 14, 15) avec l’interdit du passage à l’acte sur l’Arbre de la Connaissance. Autrement, au lieu de s’inscrire dans le chenal de la vie, il se projetterait dans son contraire. L’expression alors usité, et que l’on retrouve dans la présent paracha: « mot tamout » ne se rapporte pas expressément à la peine de mort au sens judicaire mais à une inévitable et incoercible mortalité, à ce que les physiciens nomment parfois l’entropie, à la dégradation irréversible de l’énergie dans les systèmes clos.

La sanctification chabbatique permet  de retrouver le chenal d’une création infinie puisqu’elle trouve sa source dans l’infini de la Présence divine. Il n’en va pas autrement de la peine de kareth, du retranchement. Il suffira à ce sujet de noter que la racine de ce vocable KRTh est l’exacte dé-combinaison, si l’on peut dire, de la racine KThR qui désigne la Couronne royale: KeTheR, sachant qu’il n’est d’autre Roi que celui dont la désir de vie sort de sa parole  aimante.

Raphaël Draï zatsal 13 février 2014


[1] Orot Hakodech.

Le sens des mitsvot: Parachat Testavé

In Uncategorized on mars 9, 2017 at 10:10

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(Ex, 27, 20 et sq)

«Tu feras confectionner pour Aaron ton frère (ah’ikha) des vêtements sacrés (bighdé kodech), insignes d’honneur (lechabod) et de majesté (oultif’éret). Tu enjoindras donc à tous les artisans habiles (h’akhmei lev) que j’ai doués du génie de l’art (rouah’hokhma), qu’ils exécutent le costume d’Aaron, afin de le consacrer à mon sacerdoce »

(Ex, 2 à 4). Traduction de la Bible du Rabbinat.

Les termes hébraïques originaux mis entre parenthèses indiquent à quel point la traduction précitée, fort approximative, ne rend pas compte de leur signification véritable. ll faut donc y revenir.

La précédente mitsva incombe à Moïse désigné ici comme le « frère d’Aharon », lequel doit officier comme Cohen Gadol, le Grand Prêtre. Chaque fois que des termes fondamentaux sont utilisés dans les quatre livres qui suivent le sépher Beréchit, il faut se reporter à ce livre pour en comprendre les significations initiales. Ainsi des mots vêtement (BeGeD) et du mot frère (AH’). La première fois qu’il soit question d’un vêtement dans la Thora c’est à propos du premier couple, après la transgression initiale du commandement de ne pas consommer du fruit de l’Arbre de la connaissance du bien et du mal. Cette transgression met pour ainsi dire l’Humain à nu et à découvert. Pour se recouvrir Adam et Eve cousent ensemble des feuilles d’autres arbres et s’en font des « pagnes », comme traduit encore la Bible du Rabbinat (Gn,3, 7). Sans doute ces feuilles-là désignent-elles d’autres modes de connaissance.

Sans entrer une fois de plus dans des questions complexes de traduction, il suffit de comprendre que la notion de vêtement se rapporte physiquement et moralement à cette transgression générique qu’elle a charge de recouvrir et non de dissimuler. La confection des vêtements du Grand Prêtre ne s’y limitera pas. Il s’agit à leur propos d’aller plus loin: de réparer d’abord, de sublimer ensuite.

Les mêmes observations s’imposent à propos de la notion de frère, de ah’. Ne savons-nous pas qu’Aharon et Moïse sont frères de père et de mère? La mention du mot ah’ désigne en réalité un élément problématique découlant du premier fratricide. En d’autres termes, les mitsvot relatives à la confection des vêtements inhérents au sacerdoce sont voués à la réparation et au dépassement des deux transgressions initiales. Il ne s’agit pas non plus et seulement de decorum. C’est pourquoi la vêture du Grand Prêtre est elle même référée à l’idée de sainteté qui n’apparaît pas explicitement dans la traduction précédente.

Dans l’univers biblique la sainteté se rapporte chaque fois qu’elle est mentionnée, sous quelque modalité que ce soit, au choix de la vie, à son établissement pérenne. De ce point de vue, la confection de cette vêture importe tant par son objet que par les procédés mis en oeuvre. On observera que cette confection est confiée à des artisans, pour reprendre cette terminologie, qui ne doivent pas seulement faire preuve d’«habileté». Ils doivent être doués de facultés d’un tout autre niveau, être d’une part des savants de cœur (h’akhmei lev) et, d’autre part, être doués non seulement de sagesse mais d’esprit de sagesse (rouah’h’okhma). Ce qui conduit au passage à cette observation: il se trouvait donc au sein du peuple des esclaves à peine libérés de la servitude pharaonique des êtres de cette stature qu’il fallait savoir discerner, tout comme il avait fallu savoir le faire pour les juges et autres dirigeants du peuple selon la paracha Ytro (Ex,18, 21).

Que faut-il entendre par sagesse de cœur? Une sagesse qui transcende la simple intelligence technique. Comme l’expliquera plus tard le rav Kook, toute spécialisation (miktsoâ), efficiente dans son domaine propre, risque d’enfermer le spécialiste concerné dans les bornes de son savoir. Pour participer à une oeuvre collective, il doit s’avérer capable de relier sa connaissance à celle d’autrui de sorte à former une échelle de savoir complémentaire et supplémentaire, compatible avec ce niveau de l’oeuvre. En l’occurrence il s’agit de la construction et de l’édification du Sanctuaire, oeuvre homothétique à celle de la Création. A cet égard le Maâssé Hamichkane devient assurément l’homologue de l’oeuvre de la Création, du Maâssé Beréchit, et de l’Oeuvre de la Structure, du Maâssé Mercava.

C’est pourquoi les hommes et les femmes de l’art attachés à cette réalisation doivent également faire preuve d’esprit de sagesse afin que celle-ci ne se réduise jamais à ses modes opératoires, qu’elle ne cesse de se transcender jusqu’à atteindre les degrés de la Création nommé Cavod et Tif’éret. Chacun aura compris que des vocables, comme ceux de H’okhma, de Rouah’et de Tif’éret procèdent chacun et ensemble de l’univers des séphirot par lesquelles l’oeuvre de la Création divine devient accessible à l’entendement humain, sachant que depuis sa propre naissance l’Humain est le coopérateur (choutaf) du Créateur pour le parachèvement de cette Création.

Si les différents vêtements constituant la vêture du Cohen Gadol soulignent sa position singulière, particulièrement élevée, dans le processus de la Création sanctifiée ils ne doivent pas l’isoler du klal Israël. C’est pourquoi, ces vêtements sont confectionnés par des membres du peuple qui ne doivent pas être considérés comme de simples exécutants. C’est l’esprit du peuple, à son plus haut niveau, qui se transfère dans cette vêture. La prêtrise au sens biblique n’est pas une caste. Pareil dispositif se retrouvera d’ailleurs à propos de « la bénédiction des Cohanim » dont on sait qu’elle n’est pas unilatérale, descendant des prêtres jusqu’au peuple, mais qu’elle se formule en sanctification réciproque et dialoguée.

Raphaël Draï zatsal 6 février 2014

PAR TEMPS D’EPREUVE: L’ESPRIT DE POURIM

In Uncategorized on mars 6, 2017 at 11:24

Alors que la communauté juive de France s’interroge sur son avenir, il importe de garder à l’esprit des repères essentiels, et cela sans s’adonner au mélange des genres, celui qui mène à substituer la théologie à la politique. La célébration de Pourim en donne l’occasion. Elle marque en premier lieu la conversion sensible et palpable de l’hiver au printemps. Cette conversion là n’est pas seulement climatique. Elle souligne en effet un état d’esprit, celui qui inspire une forme aigue et intense de résistance morale face aux multiples visages et langages de l’antisémitisme. Il faut bien comprendre que ce fléau n’est ni circonstanciel, ni accessible à la raison. Il est inhérent à la manière aberrante dont s’est constituée l’identité occidentale durant plus deux millénaires. Lutter contre l’antisémitisme exige que l’on ait le souffle long et qu’on ne s’étonne pas, après chaque victoire contre ses sbires, qu’il reprenne sans cesse, si l’on peut dire, du poil de la bête, et quelle bête puisque le livre de Job laisse le choix entre Léviathan et Béhémoth! Pourtant nous ne vivons plus au temps de Pharaon ou de Haman. Nous vivons au temps de l’Etat d’Israël ressuscité après vingt siècles d’exil et de dispersion. Déjà, lorsque le peuple juif s’est retrouvé pulvérisé parmi les nations et exposé aux lubies de potentats divinisés, il s’est trouvé des êtres à la fois inflexibles et capables de prier, comme Mardochée et Esther lorsqu’ils surent faire face à une adversité qui s’annonçait fatale. Rien ne les fit plier, pas même le sentiment de peur sans lequel un être de sang et de chair ne saurait pas vraiment ce qu’est la condition humaine. Cette capacité de résistance morale procédait également et indissociablement d’une intelligence vive de la situation du peuple juif et de son environnement mortel. Car cet environnement là était simultanément traversé par des contradictions majeures entre intérêts personnels, statuts politiques, ambitions forcenées, qui ne tarderaient pas à se manifester férocement. En ce sens, Mardochée comme Esther furent des personnalités prophétiques si le prophète se définit aussi par la capacité de percevoir l’instant décisif, celui à partir duquel une époque bascule, une situation se renverse et que les juges du trop fameux tribunal de l’Histoire réalisent qu’ils vont à leur tour être jugés. Aujourd’hui en France, la communauté juive vit pratiquement en état de siège. Nul ne peut prédire l’impact de cette « bunkérisation » insensée en plein XXIème siècle sur le psychisme d’enfants qui doivent de toutes façons ne pas manquer la classe. La stratégie des antisémites de tous acabit est de leur mettre la vie à charge. C’est justement dans ces circonstances que sa propre histoire spirituelle lui procure les ressources d’une résistance exemplaire. Car statistiquement parlant tous ceux qui au long des siècles ont tenté de l’exterminer ont fini pendus ou carbonisés. En attendant, il faut discerner les deux affects essentiels de Pourim et s’y tenir fortement: le courage et la joie. Car comme y insistent les Sages d’Israël: si la peur est contagieuse, la joie est communicative.

 

Raphaël Draï zal, Radio J, 2 mars 2015.

Le Sens des mitsvot : parachat Térouma

In Uncategorized on mars 2, 2017 at 10:14

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(Ex, 25, 23 à 30)

A la mémoire de notre ami  Alain Nabet (zal), du groupe des EIF de Montpellier, recréé  en 1963.

«  Et tu feras ensuite une table en bois de « chtitim », longue de deux coudées, haute d’une coudée et demie, tu la recouvriras d’or pur (…) Et tu placeras sur  cette table des  pains de propositions (leh’em panim), en permanence devant moi (lephanai tamid) » (Ex, 25, 23 à 30). (Bible du Rabbinat).

Sans disjoindre ces différents plans de l’existence charnellement humaine mais vouée à une transcendance, la paracha Michpatim concernait les règles de la « société civile hébraïque », avec son état de droit primordial et sa représentation de « l’être ensemble ». La paracha Térouma, elle, concerne  la  sainteté du peuple.

Ce n’est pas que la vie sociale ou que l’immanence soient des niveaux secondaires ou triviaux de l’être, mais l’humain n’est pas statique, ni corporellement ni intellectuellement. Il se déplace et il se dépasse. La coexistence civile est à la fois une fin en soi, pour éviter le « tous contre tous » (P.A. III, 2) et le point de départ d’une vie d’un niveau encore supérieur, celui de la sanctification, de la kedoucha, selon la proposition faite plus haut: « Vous serez pour moi une souveraineté de pontifes et un peuple sanctifié (goï kadoch) (Ex, 19, 6). En quoi consiste cette sanctification pour qu’elle n’apparaisse pas «  mystique » ou éthérée?

Les versets précédents l’indiquent avec les mitsvot qu’ils énoncent. La « Table » dont il est question est à double dimension, comme le Sanctuaire, le « Mikdach » dont elle est un élément,  avec l’Arche de la Loi et la Ménorah, le Luminaire. Le « Mikdach » doit être construit et agencé selon un modèle, un tavnit, qui s’inscrit dans le Monde d’en-haut. Il doit opérer la translation, au sens quasi-mathématique, de sa structure et de ses fonctions dans le Monde d’en-bas afin de le transcender. Le mot « table » (choulh’an) est donc à  entendre selon deux sens, au sens matériel et au sens conceptuel lorsque l’on parle par exemple de table d’orientation ou de table de logarithmes. Construit sur la racine ChLH’, ce terme désigne non pas un plan fixe mais un plan dynamique et vectorisé, littéralement « mandaté » comme l’est le chaliah’, l’envoyé, en droit hébraïque. On relèvera aussi les  contiguïtés phonétiques et de signification entre les racines ChLH’et ChLKh, la seconde désignant le «tien», l’appropriation légale, moralement légitime. Que cette table soit recouverte d’or, qui représente le matériau pur par excellence,  marque la connexion entre  la pureté (tahara) et la sainteté (kedoucha); et l’on sait en outre qu’il s’agit là de deux des six Traités de la Michna, de la Loi Orale.

Sur cette Table située au Sud du Sanctuaire, et sanctifiant cette direction qui n’est plus exclusivement  topographique ou tellurique, doivent être disposées deux  rangées de six pains chacune. Donc, dans le Sanctuaire sont mis en relation les éléments les plus immatériels de la Création: la pensée, avec l’Arche de la Loi et la lumière, avec la Ménorah d’une part; et l’élément le plus matériel: le pain, symbole de toute nourriture humainement élaborée et cela, soulignons le aussi,  lors de la période même du don de la manne, de la nourriture la plus spiritualisée durant la Traversée du désert. Une nouvelle fois les Pirkéi Avot  insisteront sur cette connexion profonde « S’il n’y pas de Thora, il n’y a pas de farine; s’il n’y pas de farine, il n’y pas de Thora » (P.A.III, 21), exemple type de cognition «simultanée» dont les termes doivent être posés l’un après l’autre dans l’espace pédagogique mais qui doivent être pensés ensemble.

C’est dans le Lévitique que seront données d’autres indications relatives à ces pains immédiatement qualifiés de « pains de visage »  pour bien indiquer qu’il s’agit non pas exclusivement d’une nourriture « physiologique » mais bien d’une nourriture à visée sociale et, à la lettre, conviviale (Lev, 24, 5 à 9). Ces pains, appelés aussi h’alot, doivent être au nombre de douze, autant que le nombre des tribus d’Israël. Ils doivent non pas constituer un amas compact mais être distribués en deux rangées de six, chacune correspondant aux six jours «oeuvrables» de la semaine. Chaque pain est donc l’élément particulier d’un ensemble cohérent, séparé des autres par un intervalle distinctif mais en même temps relié à l’ensemble des douze. Sur chaque rangée devait brûler de l’encens, lequel indique la dimension de sublimation de cette alimentation ainsi sanctifiée.

Les pains étaient changés chaque chabbat de la manière suivante: sur un groupe de huit prêtres, deux portaient les pains nouveaux (six chacun) et deux  portaient des encensoirs. Les autres avaient les mains libres. Les deux premiers devaient disposer ces pains nouveaux sur la Table du Sanctuaire au fur et à mesure que les prêtres  aux mains libres ôtaient ceux de la semaine passée de sorte que la Table ne se trouve jamais vide. Puis l’on procédait au renouvellement de l’encens selon la même gestuelle. Il fallait ainsi que les mouvements des uns et des autres fussent parfaitement coordonnées[1]. Cette fois le lien n’est plus établi entre l’élément particulier et l’ensemble auquel il appartient, mais entre le discontinu et le continu. La succession des semaines, scandée par le jour du chabbat, est évidemment discontinue mais la coordination des mouvements de deux sizaines de prêtres rétablit  par elle même la dimension de continuité.

Enfin, les pains ôtés chaque semaine devaient être consommés à l’extérieur du Saint des Saints, six en priorité par les grands prêtres, par les cohanim, en raison du degré de sainteté auquel ils étaient d’ores et déjà dévolus depuis Aharon. Les autres étaient distribués aux prêtres ordinaires qui eux mêmes formaient transition et continuité avec le peuple tout entier en vue de sa sanctification propre.

Raphaël Draï zatsal, 29 janvier 2014

 


[1] Cf.Abraham Chill, The Mitsvot, Keter, Jérusalem, 2000, p. 119.