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PARACHA NASSO

In Uncategorized on Mai 28, 2020 at 3:17

34 Nasso.

L’entame de cette paracha qui suit celle de Bémidbar – selon l’épellation effective – peut donner l’impression d’une simple nomenclature de familles et d’une description purement linéaire de tâches et de fonctions, affectées d’abord aux Kéhatites puis aux Guirchounites ou à la famille de Mérari. Il faut aller au delà de cette impression et comprendre, une fois encore, la logique interne de ce mode d’exposition.

La paracha précédente avait pour objet la disposition dans l’espace des diverses composantes du peuple d’Israël, selon les quatre points cardinaux habituels mais aussi en regard de l’En-haut et au regard d’une projection vers l’en-suite de l’Histoire à venir, les lévites ayant, eux, vocation à être dispersés dans le reste du peuple. Cette fois, il est question des missions dévolues aux principales familles de ce peuple compte tenu de leurs propres dispositions d’esprit et de leur insertion dans ce plan d’ensemble, sachant que le Sanctuaire en constitue le pôle et le moyeu, pour prendre ces images.

Ces fonctions ne sont d’ailleurs pas dévolues indistinctement à l’intégralité des membres des dites familles. Une chaîne généalogique sûre et seuil d’âge sont requis – de 30 à 50 ans – avec une aptitude supplémentaire: il faut à chacun des membres concernés être « sortant à l’armée » (yotsé la tsava). Cette traduction prête d’ailleurs à confusion, elle même procédant d’un solide stéréotype: l’aptitude à servir au Sanctuaire serait liée à une aptitude militaire corrélative. Le stéréotype ainsi réactivé, on l’aura compris, est celui du « Dieu des armées de l’Ancien Testament », lui même surgeon de l’autre stéréotype, non moins générique, celui du « Dieu vengeur » du même Ancien Testament.

Il est sûr que tsava désigne aussi en hébreu une armée mais parce qu’une armée est un corps organisé, doté d’une cohérence interne et d’un commandement unifié. L’accent n’est pas mis prioritairement sur les armes dont elle dispose ni sur la violence qu’elle peut exercer. C’est pourquoi également dans les textes bibliques ou dans les prières juives il est fait invocation à «l’armée des cieux» (tsva hachamaïm), et que le Créateur est lui même nommé, pour autant qu’il puisse l’être: Hachem tsévaot. La consultation de l’ensemble du lexique hébraïque biblique le confirmerait en cas de besoin.

Pour prendre une autre image, tout se passe comme si le récit biblique décrivait la structure d’un navire et la disposition de l’équipage ainsi que les instruments devant servir à discerner son itinéraire avant qu’il ne gagne la haute mer, avec ses tempêtes, mais aussi ses calme-plats, ses pêches fructueuses mais aussi avec ses filets vides ou déchirés, toutes métaphores des révélations d’une Histoire se faisant et non pas figée.

Aussi le début de la paracha concerne t-il les tâches que les différentes familles précitées doivent accomplir dans le montage et le démontage du Sanctuaire lors de la Traversée d’un désert aussi propices en crises que la haute mer en tempêtes. Aucune de ces familles n’est affectée exclusivement à l’intégralité ce service, ce qui l’eût dotée d’un privilège exorbitant, lui même générateur de tensions et de confrontations. On le verra lors du commentaire de la parachat Korah’. Pourtant cette réparation de tâches, sinon cette division des fonctions, n’est que le verso, si l’on peut dire, d’un dispositif dont il faut considérer aussi le recto: à savoir que le remontage du Sanctuaire, après qu’ont été démontés, puis transportées ses différents éléments, d’étape en étape, nécessitera, à nouveau, la coopération et le concours des familles concernées. Ainsi se retrouveront les gestes et se reconstituera l’esprit qui furent ceux du tout premier montage du Sanctuaire et notamment de la Tente d’Assignation, du Ohel moêd, du lieu de la convergence vécue et de la réunification effective du peuple porteur de la Thora.

Ce qui exige cette fois une disposition d’esprit bien particulière qu’on pourrait qualifier d’esprit de suite. Il se caractérise par les deux traits suivants. Un être humain est une existence mouvante. Un être humain se déplace. Mais ce déplacement, ne doit pas se transformer en errance ni en fuite. D’où l’ambivalence de l’adjectif «déplacée» appliqué à la personne. Lorsqu’il passe d’un point à un autre, un être humain ne doit pas se trouver dans la nécessité de se délester de ce qui lui appartient, des acquis de son travail, des fruits de son oeuvre. Encore faut-il que ce transport lui même n’alourdisse pas ou ne complique pas ce trajet. D’où la parfois nécessité d’un démontage méthodique lequel ne doit pas se transformer non plus en démembrement et en dislocation.

Il s’ensuit que toute opération de démontage doit s’effectuer en sachant qu’elle sera suivie inéluctablement par une opération de remontage, une opération décisive qu’elle doit faciliter et non pas décourager ou rendre impossible. Telle était la « didactique » qui inspirait le démontage, le transport puis le remontage du Sanctuaire, de sorte qu’à la fin du parcours, d’une part le trajet envisagé avait bel et bien été effectué, mais aussi que chacun et que chacune, au terme de celui ci, n’eût pas été rendu étranger, à lui même et à autrui.

D’autres commentaires sont encore possible, ce qui nous conduira en conclusion provisoire, et en prévision de la célébration de Chavouôt, à rappeler une observation du Rav Kook relative au début des Pirké Avot: « Moïse reçut (la) Thora du Sinaï.. » Si l’on a mis l’article « la » entre parenthèses c’est que la phrase originale n’en use pas et devrait être lue : « Moïse reçut Thora du Sinaï ». LA Thora, avec l’article défini, se révèlera, précisément dans la chaîne de transmission qui s’ensuit. Révélations futures pour la suite des générations qu’engendre le perpétuel, l’incessible choix de la vie.

                                                Raphaël Draï zal, 17 mai 2013

SPLENDEUR DE RUTH

In Uncategorized on Mai 28, 2020 at 1:44

La libération d’Egypte du peuple hébreu réduit à un esclavage destructeur, génocidaire, trouve sa cause essentielle dans le don et l’acceptation de la Loi au Sinaï. Autant dire que dans la liturgie juive, les célébrations de Pessa’h et de Chavouot sont chevillées comme l’étaient les panneaux du Sanctuaire lors de la traversée du désert. Autant dire aussi que le Livre de Ruth, qui doit être lu à Chavouot, est d’importance comparable à la Haggada de Pessah, même s’il est beaucoup plus court, même s’il est récité de manière moins cérémonielle.

Si la Haggada de Pessah relate les circonstances et les perspectives de la liberté, le Livre de Ruth explique les raisons pour lesquelles nous méritons de rester libres, de ne pas retomber dans l’Egypte intérieure, pire que l’Egypte pharaonique, parce que là règne la dureté du cœur, l’inattention qui aggrave la solitude et la détresse d’autrui. A la solitude doit faire face la sollicitude, à la détresse, la solidarité. C’est parce qu’une femme, une étrangère, Ruth, sut faire preuve et de sollicitude et de solidarité vis-à-vis d’une mère meurtrie par la mort de son époux et de ses fils, puis vis-à-vis d’un vieillard dont la notabilité ne masquait plus son esseulement, qu’elle mérite d’être appelée splendide et de voir son nom et ses actes chaque fois racontés à propos du don de la Torah. Pourtant, les temps étaient si durs, l’époque si noire que le « chacun pour soi  » eut été sinon excusable, en tout cas explicable.

C’était en effet en Israël un temps d’anarchie puisque les Juges méritaient de passer en jugement. Comme un malheur en engendre un autre, une terrible famine se déclara dans la région de Bethléem. Famine d’avertissement : elle sévit dans une ville qui s’appelle Maison du Pain ou de la Subsistance (léh’em). Dans ces circonstances, à peine survivant en un lieu au-dessus duquel le ciel s’est refermé, un couple de Judéens, Elimelekh et sa femme Noémie, prennent la décision d’émigrer. Vers où? Vers des terres sombres mais moins faméliques, vers Moab, la contrée fondée par les fils incestueux de Loth et de ses filles, rescapées de Sodome et de Gomorrhe, qui commirent l’acte abominable pour se donner une descendance tandis qu’elles croyaient advenue la fin du monde (Gen., 19, 36).

Le couple d’émigrés a deux fils aux noms bien pessimistes, conférés en temps de famine, Mah’lon (le Profane) et Khilion (l’Aboli). Apres l’installation à Moab, Elimelekh décède. Noemie reste seule. Ses deux fils prendront respectivement pour épouses les Moabites Ruth et Ôrpa. Mais le malheur est infatigable. Les deux fils décèdent à leur tour et voici trois femmes seules, sans ressources. Comment faire face à la misère et à cette solitude, car nul voisin ne s’est manifesté pour les soutenir?

Entre-temps, Dieu s’est ressouvenu de la vocation de Bethleem. Le pain y est réapparu avec la fin de la famine. L’ayant appris, Noemie prend la décision de « désemigrer », si l’on peut dire, de s’en revenir en son établissement initial. Quel sort sera réservé là aux deux jeunes veuves étrangères qui demeurent avec elle ? Elle ne saurait le dire. C’est pourquoi elle tente de les délier du lien qui les unit ensemble mais à titre posthume. Que chacune se sente libre de s’en retoumer chez soi : Noemie est trop âgée pour espérer enfanter de nouveau et leur donner des époux de substitution au titre du lévirat, d’un lévirat entendu de la manière la plus large possible. Finalement, Ôrpa ne résistera pas aux raisons invoquées par la mère-veuve. Ruth choisira de lui rester attachée, coûte que coûte, de partager non seulement sa vie, mais, en cas de besoin, sa mort.

Première splendeur de Ruth : à ses yeux, l’épreuve ne corrode pas le lien avant de le briser. Au contraire : elle le renforce en tout ce qui le tresse : « Ton peuple, mon peuple ; ton Dieu, mon Dieu » (1,16). Les deux femmes à jamais unies arrivent enfin à Bethléem désormais la bien nommée, la bien-aimée. Ce retour ne va pas sans susciter quelques remarques dans le voisinage.

Nouvelle urgence : comment à présent se nourrir ? La loi d’Israël prévoit que les pauvres, ceux que le sort a marqués du sceau du fer rouge, ont le droit de glaner dans la partie du champ que la loi de bonté, de h ’essed, leur réserve. En toute propriété humaine, l’origine divine des bienfaits qu’elle représente doit être préservée. Noemie n’ignore pas qu’à Bethleem — où elle a conservé la propriété d’un champ formellement en déshérence —elle est parente d’un des personnages les plus notables de la cite, Boaz, désormais avancé en honneurs, en richesses, mais aussi en âge. C’est sur le champ de Boaz qu’elle invite Ruth à s’en aller glaner pour les nourrir toutes deux dignement, pour échapper à la mendicité.

Ruth entend l’invitation de Noémie comme l’on entend un son qui va plus loin qu’on ne l’imagine. Elle se met à glaner. Boaz vient. Les salutations qu’il échange avec les autres moissonneurs sont des bénédictions de vaste portée aussi, qui en appellent chaque fois à la Présence divine (2, 4). Aux yeux de Boaz, les moissonneurs ne constituent pas une masse humaine indistincte. La présence de Ruth attire son attention. On lui dit qui elle est, d’où elle vient. De cette Histoire dévoilée, Boaz conclut à ses propres devoirs. Il s’adresse directement à Ruth. L’appelle tout de suite « ma fille » ; l’assure qu’elle peut glaner afin de manger aujourd’hui mais aussi pour atténuer en elle la peur du lendemain.

Une pareille générosité suscite une reconnaissance d’ampleur analogue. Ruth relève la grandeur de Boaz : il l’a reconnue quoiqu’étrangère, parce qu’étrangère (2, 10). Etrangère? Ainsi Ruth n’a retiré aucun avantage de son attachement à Noémie ? Un tel désintéressement ne restera pas sans suite. Informée de l’aube humaine renaissante, Noémie pressent qu’autre chose est en train de germer. Elle pousse Ruth à la rencontre de cet avenir qui s’ajoutera à la moisson actuelle des champs de Bethléem. Il faut faire lever les récoltes de la reconnaissance mutuelle qui vient d’advenir entre la jeune veuve et le vieillard sans descendance. Et comme souvent dans le recit biblique, lorsque l’Histoire doit passer par le chas d’une aiguille, la nuit et le sommeil sont les matrices du futur.

Ruth ira se porter et se poster aux pieds de Boaz dormant dans son champ, avec pour seule couche la clarté des étoiles. Le dormeur ressent cette présence. Son sommeil est interrompu par un élancement de frayeur qui se renforce lorsqu’il découvre la Moabite près de son propre corps. Toutefois, l’équivoque se dissipe instantanément. Dans cette proximité, Boaz ne voit pas la tentative de rééditer l’acte commis par les filles de Loth avec leur père mais la confirmation du mouvement de reconnaissance commencé en plein jour. A la générosité de Boaz, l’homme puissant et riche mais vieux et seul, Ruth répond en lui offrant ce qu’elle est : une femme qui peut encore porter le futur dans ses flancs.

Boaz accepte ce qui n’est autre qu’une alliance. Mais rien en lui ne se débonde d’une passion trop longtemps contenue. La conscience de ses devoirs reste intacte. S’il faut sauver Ruth, il faut le faire en sauvant Noemie et en respectant les règles qu’enseigne la Loi de vie. Quel que soit l’élan qui porte Ruth vers l’être qui fut capable de reconnaitre l’Anonyme, Boaz doit d’abord solliciter celui dont il sait qu’il a meilleur titre que lui à accomplir cette salvation parce qu’il est plus proche parent encore de Noemie. Mais que le contrat soit clairement entendu : l’on ne saurait acquérir le champ de Noemie sans Noemie et Noémie sans Ruth, de sorte que le nom du fils défunt, Mah’lon, ne soit pas abrogé de la mémoire d’Israel. Dûment averti et de ses droits et de ses obligations, ce plus proche parent se désiste.

Alors, et alors seulement, Boaz confirme l’alliance suscitée par Noémie et mise en œuvre par l’étrangère solidaire et désintéressée. Boaz la prendra pour épouse. Le peuple tout entier voudra porter témoignage des conditions et des espérances de cette Alliance qu’il rattache à Rachel et à Léa. Alliance que Dieu confirme, puisque Ruth conçoit et qu’elle enfante un fils. Cependant, son nom ne lui sera pas immédiatement conféré. En attendant, qui le nourrira ? Ruth ? La splendeur de Ruth irradie dans l’immensité de nouveau prolongée de son désintéressement total : « Noémie prit le nouveau-né, le mit sur sa poitrine, et lui donna ses soins maternels. » Le voisinage a compris la portée d’un tel geste que Ruth laisse faire. Il déclare : « Un fils est né à Noémie » (4,17).

Par l’union entre Ruth et Boaz, deux actes essentiels de générosité futurante ont simultanément été accomplis. Le nom du fils décédé est maintenu vivant. Mais le nom de la mère-veuve, si durement éprouvée, si intensément clairvoyante, sera inscrit également dans l’Histoire. Ce fils s’appellera désormais Ôved, le Serviteur. De lui naîtra le roi David. Et de lui, toujours pour ces raisons, devra naître l’être que l’espérance humaine dénomme le Messie.

Raphaël Draï zal, L’Arche Juin 1997

Yeroushalaïm et Tsion, Les deux noms de Jérusalem dans le Zohar

In Uncategorized on Mai 21, 2020 at 11:55

Au moment où les accords de paix entre Israéliens et Palestiniens conduisent à poser la question d`un futur statut de Jérusalem, l’affrontement politique et peut-être militaire guette ceux qui se feraient d’un tel statut une représentation sans aucun lien avec les autres. Par suite, la ville unanimement qualifiée de Sainte semble se rétracter et se contrister comme un visage qui va pleurer, comme un poing qui se ferme. La paix dépend alors d`un élargissement de telles représentations conflictuelles, non pas d’une fuite politique dans la mystique mais d’un recours à toutes les ressources intellectuelles et spirituelles permettant que la paix conserve ses assises en nos esprits, qu’elle puisse demeurer hospitalière à nos âmes.

D`un point de vue juif, qui n`en exclut aucun autre mais qui se place en position de face-à-face éthique avec tous, le Zohar permet que se produise un tel élargissement à condition de ne pas s`y croire en terrain ésotérique ou initiatique, à condition de comprendre que si le Zohar et toute la tradition kabbalistique d’Israël ouvrent vers un monde d’en-haut, c’est pour mieux éclairer les difficultés du monde d’en-bas en vue de les conduire vers leur solution vitale. Ainsi Jérusalem pourra répondre à cette première affirmation zoharique : lors de la résurrection des morts ses murailles s’élargiront pour accueillir tous les ressuscités dont aucun ne ressentira, revenu à la vie, qu’il n`aura fait qu’échanger un tombeau contre un autre.

Cette affirmation ne doit pas être considérée isolement mais sous trois angles de vue principaux. D’abord, que pouvons-nous apprendre des deux dénominations essentielles de cette ville : Yeroushalaïm et Tsion ? Ensuite, quelle est la position de ce site au regard du cosmos tout entier dont rien moins que l’équilibre en dépendrait ? Enfin, Yeroushalaïm et Tsion font-elles leur place légitime à Athènes et Rome, aux deux autres villes matricielles d’où se dit également issu un Occident qui ressemble parfois à un enfant né de parents inconnus ?

Yeroushalaïm : l’euphonie du mot, pareille à celle de Vézelay, Firenze ou New Delhi, suffirait à faire comprendre qu’il va bien au-delà de lui-même

Yeroushalaïm et Tsion  – ירושלים – enveloppe de Tsion – ציון –est une dénomination programmatique et ce programme fait appel à nous, dans le clignotement et la combinatoire de ses lettres – ce qui n’est possible, à notre connaissance sur un registre aussi vaste, que pour cette seule capitale, même si lu à l’envers, Roma fait apparaitre Amor. Les combinatoires permises par les lettres de Yeroushalaïm sont innombrables. On ne retiendra que celles qui veulent bien demeurer dans les limites de notre dessin.

Que Signifie « Yerousha » ?

Yeroushalaïm peut se lire comme Yeroush-Chalaïm, soit : « l’héritage de la paix », ou plus exactement la transmission des paix, au pluriel. Pourquoi ce pluriel-là?

Auparavant, il faut comprendre ce que signifie Yerousha, que l’on tente de traduire par « héritage ». Cette traduction serait non pas complétement inexacte mais malencontreusement défectueuse. L’héritage implique ce qu’en droit l’on désigne par un cujus, celui ou celle dont le patrimoine éventuel doit se transférer à ses non moins éventuels descendants mais pour une cause primordiale de mort, Yerousha met l’accent sur d’autres significations. Surtout sur la continuité de l’histoire, sur la non-interruption des toldot : par la yerousha, les générations sont simultanément différentes mais conservent toutefois entre elles le lien intrinsèque et vivant qui les relie dans l’éternité, celle d’un Sens sur lequel aucun soleil, celui d’en-bas comme celui d’en-haut, ne se couche jamais.

La portée de cette traduction est déterminante. Elle récuse les conceptions dc l’histoire, sainte ou autre, en termes de succession mortuaire, le Nouveau se subrogeant à l’Ancien, en attendant d’être supplanté à son tour par plus Nouveau que soi, tandis que l’Ancien, prématurément enterré, ne cesse de briser le couvercle de sa tombe et de venir hanter les nuits et les jours de ses croque-morts trop pressés. Yeroushalaïm n’est pas chiche d’espace et l‘avenir ne la rend pas avaricieuse. Car ce dont elle est le vecteur n’est pas l’idée d’un Empire érigé sur la mort des peuples vaincus ou la survivance de ceux qui se sont désistés, mais l’idée de paix, du chalom certes mais au pluriel, comme sont immédiatement au pluriel les mots maïm (« eau ») ou panim (« visage »).

l.e programme zoharique et l’action politique

Qu’est-ce que la paix ? L‘absence de guerre ? Comment laisse-t-on ou remet-on l‘épée au fourreau ? Chalom désigne Ia paix parce que celle-ci résulte de la juste attribution à chacun de ce qui lui revient, de ce qui est chelo, a quoi correspond dans le Décalogue le « Tu ne voleras pas », avec tous ces dérivés : Tu ne duperas pas, Tu ne grugeras pas, etc… Cercle vicieux ? Pour établir la paix, chacun doit se voir reconnaitre ce qui est sien et pouvoir en disposer. Mais à cette fin, la paix justement est requise ! Où est l’issue ? Yeroushalaïm ne désigne pas une chose ou un état mais un processus, un cheminement qui reste orienté par la préoccupation du chaiom, dont la paix demeure l‘intention épinière. et non pas la dénomination ou la guerre le but inavoué. C’est ce qui explique pourquoi la paix est au pluriel. Ce pluriel vise la paix dans les arrière-pensées. Paix pacifiante, plénière : chalom –chalem.

Ce qui conduit à Tsion. Ce mot a tellement été polémisé, vilipendé, dénaturé qu‘il faut lui restituer sa teneur originelle. Quel rapport entre Tsion et chalom?

Tsion désigne en hébreu l’indication, la notation, ce qui se place dans l’espace infinitésimal entre le point d‘émergence, la nekouda, et le trait qui étend ce point, ce qui requiert la finesse du regard, la ductilité de l’idée. La paix résulte ainsi d’une manière particulière de penser et d’agir, celle qui justement évite de tracer des traits définitifs, qui n‘impose pas la parole pesante qui s‘exprime dans la diplomatie du diktat et la politique de la main gantée de fer. C’est pourquoi la racine TsN de Tsion se retrouve notamment dans Tsinor, le chenal, ce qui conduit à l’énergie créatrice au lieu de s’en emparer pour l’accaparer et la dénaturer, telle un pain durci devenu immangeable faute d‘avoir été distribué à temps, et dans TsiNoût. le retrait, la réserve, l’humilité invisible, celle qui permet que le moi ne soit obstacle pour rien et n’obstrue pas le chenal de la vie. Aussi pour le Zohar, Tsion est l’autre nom de YeroushaIaïm, le nom de Yeroushalaïm intérieure, l’intériorité, la pnimiout désignant dans la pensée juive le lieu électif de l’âme avérée. L’envers de cette racine comporte des indications tout aussi créatrices puisque cette fois la racine TsN se retrouve de NetS (« le bourgeonnement »), cher au cantique des cantiques (II,12), à Netzah (« l’éternité »), jusqu‘au menaTseaH des psaumes, à l‘être d’harmonie qui sait faire jouer harmonieusement le concert de la création pour que chante le chant, le chir latent dans ceux des lettres de Yeroushalaïm.

Car YeroushalaïmTsion occupe une position particulière dans la création. Une fois de plus, l‘on ne peut qu’y faire allusion, le programme zoharique laisse plein champ à l’action politique. Le Zohar ne cesse de souligner ce qui est son thème constant : la dimension fondatrice de l’univers n‘est ni la droite ni la gauche, ni l‘avant ni l‘après mais la médiane, et au plan des comportements la médiatrice: l’emtsa. L’axe de l’univers, l’axis mundi, n‘est autre que cette médiatrice là, qui se condense en effet à Yeroushalaïm, en y liant l’en-bas et l’en-haut.

En premier lieu, la terre (haarets) est non pas au centre, impérial et narcissique, de l’univers (olam). mais sa médiatrice. Autrement dit, si l‘univers ne se disloque pas, c’est que la terre en assure l‘intime conjonction. Mais l’intime conjonction de la terre elle-même est assurée par Eretz Israël, et l’intérieur d’Eretz Israël précisément par ce que signifie Yeroushalaïm, et à l’intérieur de ce que signifie Yeroushalaïm par la signification de Tsion, laquelle devient intensément perceptible dans le temple compris non pas au sens monumental, à l’image des pyramides pharaoniques ou les ziggourat babéliques, mais au sens de Beth Hamikdash, de la maison de sanctification. Qu’est-ce que la sanctification ? Ce qui encore et toujours se trouve la médiatrice du sanctuaire lui-même (Ex, XXV, 19): soit non pas les deux keroubim proprement dits mais la position qu’ils occupent : visage fraternel tourné vers visage fraternel, l’un allant à la rencontre de l’autre et par cette position conférant tout son sens à l’idée de fraternité. Du cœur battant de Tsion l’onde médiatrice assure la constitution de l’univers en autre chose qu’un nuage de poussières, seraient-elles d’étoiles.

Mais de médiatrice en médiatrice, Yeroushalaïm ne finit-elle pas par se retrouver au centre du monde, excluant toute autre source de significations qui veulent relier l’en-haut et l’en-bas, lemonde des êtres, des choses et celui du Sens qui s’infuse en elles et les fait briller d’une lumière intérieure ? Que devient surtout Athènes dont Rome a bu le meilleur lait? Dans la Tradition zoharique, une seule lettre, par sa présence ou par son absence, éclaire jusqu’aux confins de l’univers. A cette interrogation, c’est une coquille typographique qui, involontairement, confirme l’enseignement du Zohar.

ll était une fois l’auteur d’un livre d’histoire qui voulait écrire le mot Tsion dans sa typographie hébraïque. Ce mot eût dû être composé ציון. Mais à la composition, la première lettre sauta et demeurèrent les trois suivantes : יון . Seraient-elles privées de sens ? En ces trois lettres se lit rien de moins que le nom hébraïque de la Grèce : Yavan, Tsion et Yéroushalaïm n’excluent pas la Grèce. Elles s’y lient par ce lien incomparable : par la lettre tsadik, lettre de l’émergence, de la yetsia, donc de la liberté, et lettre de la justice juridictionnelle et économique, du tsedek et de la tsedaka. Yavan habite en Tsion. Les deux peuvent se penser ensemble. Modalité subtile de l’hégémonie masquée, de l’ingestion spirituelle ? Au contraire : immense leçon de réserve et appel à la conscience exacte de ce que l’on vaut.

Car Israël ne « dépasse » la Grèce et l’Occident, en quoi tout l’univers est en train de se résorber, qu’à la condition d’incarner ce que le Tsadik signifie. Autrement, comme l’aurait dit Albert Camus, quoi que nous prétendions être, nous sommes tous des Grecs, non pas au sens élaboré de Platon mais au sens archaïque d’Hésiode qui décrit dans sa Théogonie l’impossibilité de la coexistence, la violence inexorable, la dissimulation et le meurtre, promesses d’autres tueries. Ce serait la négation de la révélation à laquelle, dans tous les ordres de la pensée et de l’activité humaines, nous convie Yeroushalaïm-Tsion, scintillantes balises du monde d’en-haut à l’adresse des diplomates et des chefs d’Etats, et qui ne les dispense d‘aucune de leurs responsabilités dans le monde d’en-bas. En tous cas, pour le Zohar ainsi entendu, la résurrection des morts que Yeroushalaïm se dispose à accueillir commence par la résurrection des mots. C’est dans cette seule intention que le Zohar affirme que l’univers a été créé en hébreu, pour qui sait aussi en entendre les accords.

Raphaël Draï zal, L’Arche Octobre 1995

PARACHA BAMIDBAR

In Uncategorized on Mai 21, 2020 at 10:21
33 Bamidbar.

Cette paracha  inaugure le livre du même nom dans le Pentateuque et présente plusieurs caractéristiques. Elle inaugure en effet un livre remarquable par le nombre et par la densité des événements qui ne vont pas tarder à se produire : médisance des explorateurs, révolte  de Korah, guerre «contre-prophétique» menée par Bilaâm, et tant et tant d’autres épisodes appelant l’analyse, la réflexion, le commentaire et le commentaire  du commentaire, à plusieurs voix, au long  des siècles.Ce même livre présente néanmoins quatre caractéristiques. D’abord son articulation, de ce fait même, avec au moins les deux livres précédents. Pourquoi? L’on pourrait dire que la dominante du livre de Chemot est celle de la loi et du droit ; que celle de Vaykra est celle de la sanctification et de la purification. Le lien entre Chemot et Vaykra  devient ainsi et ensuite manifeste puisque dans la conception juive de la vie le droit régule son niveau social, tandis que la sainteté se rapporte à son niveau éthique, chacun, en relation de réciprocité, faisant preuve de l’autre. Cette articulation se retrouvera d’ailleurs dans l’organisation des matières  et des titres de la Michna et du Talmud.

Et Bamidbar? Bamidbar constitue rien de moins que la mise à l’épreuve du réel de ces deux dimensions corrélées suivant le  paradigme énoncé dans le livre de Chemot «Nous accomplirions – et- nous- écouterons». Cette sentence est, ne l’oublions pas, d’un seul tenant. Telle est alors la troisième de ces caractéristiques: la Loi d’Israël ne se réduit pas à ses énoncés verbaux, à ses expressions rhétoriques. Elle doit s’inscrire, on ne le répètera jamais assez, non seulement dans l’épure des modèles institutionnels, somme toute idéaux, mais aussi et surtout dans les manières d’être, dans les façons de se conduire, dans la mise en oeuvre de la Loi et dans la réalisation des objectifs éthiques. Sous ce seul point de vue le livre de Bamidbar devrait être considéré comme un classique de la science politique en ce qu’il relate précisément, par des épisodes-types, des mises à l’épreuve quasiment modélisées, combien il est difficile justement de passer d’une Loi céleste, d’une éthique idéale, aux conduites et aux comportements qui les valident réellement. L’on définit souvent les régimes démocratiques, négativement, par opposition aux régimes dictatoriaux, ceux qui interdisent l’usage de la pensée et de la parole libres, et, positivement,  comme se fondant sur la délibération, le dialogue. Ce qu’enseigne le livre de Bamidbar c’est à quel point l’usage collectif de la parole ne va pas de soi s’il s’agit d’ajuster entre elles des aspirations libres, de concilier des désirs subjectifs, de cohérer des volontés souveraines. Si « parler c’est dire », les explorateurs médiront, Korah’ contredira, Bilâam maudira. Jusqu’au moment quasiment céleste où confrontées au contentieux non encore résolu relatif à l’héritage de leur père, les filles de Tséloph’ad se contenteront d’en parler, raisonnablement,  à Moïse, de sorte que cette fois leur question appelle une réponse au lieu de la rebuter ou de la dévoyer. On doit toutefois s’interroger sur l’entame de cette paracha qui énumère dans le détail de leur nom l’investiture officielle des responsables du peuple d’Israël et la constitution de ceux-ci en tsévaot, terme traduit à  contre-sens par armée, au sens militaire, alors que ce terme désigne génériquement l’organisation cohérente de groupements en fonction de leurs objectifs, de leurs compétences, de leur expérience. Dès lors, il est possible de lire cette entame sur le plan strictement institutionnel, comme un chapitre de l’histoire du droit et des institutions de l’Antiquité.Une autre lecture est cependant possible car dés lors aussi que des vocables comme tsava, ou lispor apparaissent, et qu’ils sont également utilisés pour désigner des entités ou des réalités d’un autre ordre, qui se rapportent au Créateur ( Hachem Tsevaot ) ou à la structure et au fonctionnement de l’Univers (ôlam hasephirot),  il faut comprendre que le champ d’Israël ( Mah’ané Israêl ) et que le champ divin se correspondent, sont homothétiques. Ce qui se  déroule dans le monde d’en-bas affecte donc nécessairement le monde d’en- haut. Chaque événement ne notre vie concrète se réverbère selon une tout autre dimension, celle de hauteur, par laquelle se révèle son impact réel. D’où l’appel constant à ne jamais s’installer dans l’indifférence ou à imaginer que nos actes s’inscrivent dans notre aire existentielle exclusive; qu’ils ne tirent pas à conséquences; qu’ils n’engagent pas notre responsabilité « outre-mesure», comme le dit si bien cette expression courante. Il faut alors être soucieux de ce qui, là encore et justement, outre- passe, par la force des choses, ce qui nous semble juste et à droit mais «à nos yeux».Tel est alors le point commun de tous les épisodes, heureux ou malheureux, qu’agencent entre eux le livre de Bamidbar : au delà de leur occurrence, ils engagent l’avenir d’Israël pour longtemps, jusqu’à nos jours. D’où la nécessité de les aborder avec attention et de les scruter jusque dans leur téâmim.

Raphaël Draï zal 9 Mai 2013

UNIQUE ET UNIE, JERUSALEM

In Uncategorized on Mai 20, 2020 at 5:17

Yom-Yerushalaim

Comment éviter les lieux communs en évoquant Jérusalem? Aucune ville au monde ne se trouve autant au confluent de la politique et du spirituel  pour ne pas dire de la mystique. Cependant, si les trois religions dites du Livre la revendiquent pour leur capitale, le langage a ses contraintes que l’on ne peut nier qu’en se coupant du réel. Qu’on le veuille ou non, Jérusalem  correspond à un nom hébraïque: Yérouchalaïm, la Ville de la paix double, celle des corps et des cœurs, celle du monde d’en-haut et du monde d’en-bas, une paix toujours à construire et à parachever. Il est probable que sur ce site d’autres peuples aient vécu mais à l’opposé de ces significations qui engagent l’idée même de l’humain et  ses tensions vers ce qui le dépasse. Lorsque le peuple juif revendique Yérouchalaïm pour capitale, il ne revendique pas un lopin de terre seulement. Il demande que soient reconnues ce qui en Yérouchalaïm fait sens à partir de lui pour l’univers des hommes. Et c’est précisément  afin de signifier au peuple juif qu’il n’existait plus en tant que tel, qu’il était exproprié de sa terre, de son histoire et de sa pensée, que la Rome impériale détruisit le Temple attestant de la Présence d’un Dieu qui n’était pas le Dieu Mars, puis le recouvrit  par d’autres édifices et monuments voués à effacer cette mémoire là. Le peuple juif n’a jamais consenti à une pareille oblitération. Si Rome avait vaincu grâce à sa  force militaire, un jour elle serait détruite par une force qui outrepasserait celle de ses légions. Ainsi d’autres puissances lui succédèrent, chrétiennes ou musulmanes. Chacune tenta d’imposer à cette ville des rites, des cultes, des droits antagonistes ayant pourtant ce point commun: les Juifs n’y disposeraient jamais d’autre place que celle concédée par la commisération envers ceux qui semblent plus démunis que des bêtes abandonnées. En  découvrant la Jérusalem turque et la condition  des «dhimmis» qui y végétaient Pierre Loti écrit: « Nous pleurerions avec eux s’ils n’étaient Juifs ».Pour souligner à quel point la disqualification théologique engage la dégradation des sentiments d’humanité… La constance et la force d’âme d’Israël s’avérèrent à la mesure de ces dénis. Aucun substitut de la Ville magnifiée par David ne fut jamais accepté. Lorsqu’à la fin du XIXème siècle, le peuple juif, mû par Herzl, revint dans l’histoire du monde afin de rétablir sa souveraineté politique, Jérusalem demeurera le point de ralliement des sensibilités que le journaliste autrichien aux intuitions fulgurantes su fédérer en y épuisant sa jeune vie. Les puissances du temps n’y consentirent jamais spontanément, ni sans arrière pensées. La géo-politique était toujours déterminée par ses  tropismes confessionnels. Les Juifs à nouveau maîtres de Jérusalem? C’eût été déjuger deux millénaires d’« enseignement du mépris » à leur encontre, qu’il fût dispensé en grec, en latin ou en langue coranique. Les responsables du mouvement sioniste mondial se sentaient néanmoins dans leur droit. Ils ne réclamaient ni Rome, ni Constantinople, ni la Mecque mais uniquement la cité-source de leur mémoire vivace, le phare de leur espérance. Ils tinrent bon en dépit des circonstances adverses, avec un sens aigu du temps politique et des fautes commises par leurs ennemis, des fautes qui n’étaient imputables qu’aux contre- sens que ces derniers ne cessaient de commettre sur l’orientation de  l’histoire d’Israël et sur l’attachement à ce lieu  comme à nul autre. En juin 1967, à la suite d’une guerre que l’Etat d’Israël n’avait pas cherchée, la partie Est de la Ville que la Jordanie s’était illégalement appropriée en 1948 fut enfin réunie à sa partie Ouest. Comme il  fallait s’y attendre, le religieux dictant la ligne consciente ou non du politique, ce qu’il est convenu d’appeler la société internationale refusa de reconnaître  cette réunification et se réservait Jérusalem- Est à titre de dot pour un Etat palestinien recevant son nom propre directement de la Rome qui avait déjudaïsé cette terre. L’Etat d’Israël y réagit en 1980 par une Loi fondamentale établissant Jérusalem pour sa capitale unie et éternelle. Loi fondamentale que ni le Conseil de sécurité ni l’Assemblée  générale des Nations unies, avec ses majorités automatiques et grégaires, ne reconnaissent. Quoi qu’il en soit, c’est bien la première fois depuis deux mille ans qu’au titre de la souveraineté d’Israël, les trois religions coexistent réellement à Yérouchaïm, enfin la bien-nommée. La Ville-Monde  mérite ainsi le sceau de la sainteté. Pourquoi ne pas l’admettre loyalement? Et qui oserait  la démembrer à nouveau?

                                                              Raphaël Draï zal , Arche Mai 2013

PARACHIOT BEHAR-BEHOUKOTAI

In Uncategorized on Mai 14, 2020 at 9:16

 31 Béhar.

Sous ses apparences ritualistes, le livre de Vaykra, du Lévitique, qui à présent s’achève, dessine en réalité les chemins  praticables d’une sainteté concrète. La théorie des korbanot  se comprend par la nécessité de rapprocher l’homme et son prochain, et l’un et l’autre avec le Créateur lorsque leur relation s’est distendue ou même rompue, au risque d’une pulvérisation de l’Alliance. L’on aura compris également que cette sanctification ne se réduit pas à des concepts inatteignables pour le commun des mortels, ni à des formes d’excursions mystiques; qu’elle se rapporte à la définition de pratiques, de conduites, de comportements, de démarches, visibles et vérifiables, et à des formes d’institution par lesquelles la notion de peuple, de âm, trouve son plein sens. C’est la raison pour laquelle ce livre médian  se conclue progressivement en une paracha pénultième désignée par ce titre « Behar» que l’on peut traduire par « sur la montagne » ou « par la montagne ». Ce qui conduit à écarter une première interprétation par trop géologique. A l’évidence, le mot har désigne un mont, une montagne, et plus généralement tout lieu situé en hauteur. L’image est déjà parlante puisque, de l’avoir suivi pas à pas, le trajet désigné par le Lévitique conduit à cette altitude d’où un autre paysage de pensée va s’apercevoir.

Cependant, le mot HaR comporte d’autres significations dont on relèvera les deux principales qui correspondent à la suite de des versets constituant cette  péricope. La racine HR se retrouve en effet dans le verbe HaRah qui désigne la conception biologique mais aussi la conceptualisation intellectuelle. A la manière de Chimchon Raphaël Hirsch on notera que la racine HR est connexe à la racine ÊR qui désigne l’éveil, la stimulation de conscience, d’où la sonnerie du chophar nommée TéRouÂ. De  quoi est-il question à propos de HaR? De l’institution chabbatique selon ses trois modalités : hebdomadaire, septennale et jubilaire. La série des parachiot précédentes semble  orientée  méthodiquement vers celle-ci, même si, bien sûr, explicitement ou implicitement, la présence du chabbat a été constante tout au long de ce livre. Pourquoi cette insistance?

Elle se rapporte au paradigme suivant : selon la séquence vitale constituée par les sept jours de la semaine, les six premiers jours doivent être œuvrés  et le septième doit être non pas désœuvré, au sens d’un chômage banal, dont on sait la plaie qu’il représente dans les société contemporaines, mais au sens d’un temps de réflexion, de reprise quasiment analytique du sens de l’oeuvre précédemment accomplie. Le septième jour n’est pas un jour vide mais un jour de pensée qui présuppose la plénitude des précédents. Comme y insistent quelques uns des plus grands penseurs contemporains, il n’est pas de pensée sans conscience et pas de conscience sans objet. Objet non pas au sens de la chose inerte mais de matière primaire à travailler. A  cette condition l’objet ainsi œuvré devient «  oeuvre de pensée », vivace et durable, « maâssé h’ochev »  comme il est dit à propos de la confection du Sanctuaire.

L’institution chabbatique est structurée en trois temps, en trois longueurs d’ondes. La première est à l’échelle individuelle – encore que dans la pensée d’Israël cette échelle là ne se dissocie jamais de l’échelle collective, selon l’articulation du perat et du clal. Elle implique l’abstention de tout  travail en apparence créateur mais qui serait surtout emporté par son propre élan dans le ressort de la propriété individuelle, même si celle –ci s’articule aux autres «  champs » physiques et intellectuels   personnels.

La seconde sollicite un autre coefficient : il s’agit d’un chabbat « au carré » puisque durant la septième année  toute la terre cette fois devra bénéficier d’une relâche, laquelle n’en fait pas une res nulius mais la rend disponible pour  les catégories de la population qui précisément ne disposent pas des facilités et des bénéfices de la propriété personnelle; les nécessiteux, les étrangers, mais aussi dans un autre ordre du vivant : les animaux, y compris – belle leçon d’écologie pérenne –  les bêtes dites sauvages qui ne le sont qu’au regard de la possible sauvagerie humaine.

Enfin à la fin de la 49ème année, est proclamé le Yovel, le Jubilé, l’année non pas de la dépossession mais de la dé-propritation, si l’on pouvait aussi user de ce néologisme ; une cinquantième année durant laquelle prennent fin toutes les formes d’aliénation des patrimoines et des personnes ; l’année de la restitution de chacun et de chacune à la part qui lui revient par nature dans le champ de la création divine, confiée à la responsabilité humaine. L’année du dror, de la liberté effective.

Si jusqu’à présent le peuple d’Israël a pu accéder aux deux premiers étages de l’institution chabbatique,  le troisième requiert  toujours de sa part d’autres efforts. Mais qui a jamais prétendu que son histoire était terminée? C’est donc à partir des  dispositions contenues dans la paracha Behar que l’on peur comprendre un verset antécédent contenu dans la parachat Ytro, celle qui relate la don de la Thora : «  Dans la  sonnerie du chophar ( bimchokh hayovel) eux monteront sur la montagne( yaâlou bahar ) ( Ex,19, 30 ).»

Ce verset peut se comprendre d’une autre manière à présent : « Par la réalisation de l’année jubilaire, ils s’élèveront dans la pensée vive ». Forme de pensée supérieure qui met en relation surgénératrice  les niveaux de l’être en sa plénitude : le corps, la pensée discursive, la conscience de notre divine origine. Et c’est en ce sens que l’institution chabbatique constitue un h’ok, un principe générique, au sens des h’oukim dont traite précisément la paracha qui suit, textuellement et logiquement, celle-là.

Raphaël Draï zal, 1er mai 2013

PARACHA EMOR

In Uncategorized on Mai 7, 2020 at 6:27

ILL  Emor.

De nombreux malentendus et contre-sens peuvent être commis à propos du cohénat dans la Tradition d’Israël. A commencer par la confusion entre ce groupe humain et une caste séparée de l’ensemble du peuple, jouissant de privilèges exorbitants dont les «exclusivités» sexuelles  ne seraient pas les moins choquantes. Pour éviter ces écueils il importe de se replacer dans l’esprit et la lettre des prescriptions qui concernent les grands prêtres, les cohanim.

Ces prescriptions ne se dissocient pas de celles relatives à la sanctification du peuple dans son ensemble et qui font la matière de la paracha précédente, de Kedochim. Les cohanim sont d’abord et avant tout des Bnei Israël. Cependant, le concept de sanctification n’est pas simple et peut, lui aussi, nourrir bien des malentendus. Être saint, ce n’est pas participer d’une essence différente de celle des autres être humains. C’est la porter au plus haut niveau qui se puisse concevoir. En ce sens il est possible de parler d’effort spirituel comme Bergson parlait d’effort intellectuel, lequel résulte d’une attention soutenue et d’un exercice sans temps morts. De ce point de vue, seul Dieu est véritablement saint, Kadoch. Les êtres qu’il a créés sont, eux, portés à une perpétuelle sanctification. Celle-ci se décline en une série d’attitudes, de conduites, de comportements qui font par eux même la preuve des valeurs qui les inspirent. Autrement celles-ci resteraient abstraites et illusoires. Cet ensemble de conduites  culmine  dans l’invite à «aimer son prochain comme soi même» (Lv,19,18), encore que ce verset qui se relie à tous ceux concernant l’interdit de l’inceste (Lv,18) soit susceptible de nombreuses autres traductions et interprétations.

Les cohanim doivent donc d’abord et avant tout donner l’exemple de l’observance concrète et  probante de ces premières conduites et comportements par lesquels la sainteté divine s’infuse déjà dans tout le peuple. Ils sont en outre astreints à l’observance de prescriptions supplémentaires donnant sens à leur fonction, autrement dit à leur responsabilité particulière au sein des Bnei Israël. On en découvrira le détail précisément dans cette paracha. Ici l’on mettra en évidence leur logique interne  qui se discerne dans le verset: «Et je le sanctifierai car, lui, doit faire approche du pain de ton Dieu; il sera saint pour toi car je suis saint, Eternel qui vous sanctifie (Lv, 21, 8) ». Ce verset met clairement en évidence le mouvement circulatoire de la sanctification à laquelle les cohanim sont affectés. S’ils doivent en assumer le double degré, c’est parce qu’ils sont voués à approcher le «pain de Dieu», ce que l’on n’oserait appeler sa substance, en tous cas ce qui nourrit, sustente et conforte l’idée qui s’y attache et la Présence à laquelle cette idée conduit. C’est parce que toute sanctification procède directement de la sainteté divine que les cohanim qui en sont actuellement le relais doivent veiller ce que rien en eux, corporellement, psychiquement et  spirituellement, ne viennent y faire obstacle et s’y interposer  en écran réfractaire ou déformant.

C’est selon cette logique profonde que se comprennent ensuite les deux groupes  de prescriptions axiales  qui s’imposent à eux. Les premières sont relatives aux règles du deuil. Quant l’un de leurs plus proches parents vient à décéder, et à condition d’être assurés que celui-ci sera inhumé conformément à sa dignité de créature de divine origine, ils prendront soin de ne pas entrer en contact avec le corps du défunt. A la place qui est la sienne, la position ontologique du cohen le place tout entier, sans réserve ni exception, du côté de la vie. Il doit en être l’incarnation perpétuelle, y compris et surtout dans les circonstances où cette vie semble déjugée par l’événement le plus  irrémissible qui soit. Rémanence de la mentalité du tabou? Séquelle de conduite phobique? Le choc produit sur Aharon par la mort de ses enfants Nadav et Avihou atteste qu’un événement de cette sorte ne l’a trouvé ni insensible ni indifférent. La maîtrise de soi dont il su faire preuve témoigne au contraire que nul mieux que lui n’était à même d’exercer les fonctions continûment orientées vers autrui qui lui étaient dévolues.

Les autres règles sont relatives aux  femmes qu’un cohen ne saurait épouser et plus particulièrement  celles dont la fidélité reste improbable ou celles ou qui ont déjà connu la rupture d’un lien conjugal. Il faut garder présent à l’esprit que le Décalogue est considéré comme un authentique contrat de mariage (kétouva) entre le Créateur et le peuple d’Israël, représentant de l’humaine condition. Pour justifier sa dénomination, le propre d’une alliance est de ne souffrir ni exception ni violation d’aucune  sorte. Pas plus que la vérité, la fidélité et la constance ne sauraient s’accommoder de mises entre parenthèses. Un cohen se doit d’épouser une jeune femme vierge au sens  hébraïque, en tant qu’elle est qualifiée de béthoula. La dimension proprement physiologique d’une telle virginité n’est pas l’essentiel. Celui-ci se trouve indiqué par l’étymologie hébraïque de BeThouLa que l’on peut lire également comme : La Beth El: vers la Maison de Dieu.

Le Dieu d’Israël, celui du Beréchit originel, est bien un Dieu exclusif, comme l’est tout véritable amour. L’amour «non exclusif», s’il pouvait se concevoir, se distinguerait mal de la prostitution (zenout), que celle ci fût triviale ou «sacrée».

Raphaël Draï zal ,22 avril 2013