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FANATISME ET FORCE D’AME – Chronique Radio J Sep 14

In Uncategorized on septembre 30, 2014 at 9:43

Dans une chronique radiophonique inscrite entre Roch Hachana et Yom Kippour, dans ces jours qualifiés de « jours redoutables », il faut à la fois se préoccuper des affaires du monde et en chemin ne pas oublier notre âme.

Pour le vaste monde qu’en dire? Sinon qu’enfin les nations démocratiques et les pays soucieux de leur survie ont décidé de mettre un terme à l’équipée sanguinaire du Calife El Baghdadi avec son pseudo Etat Islamique. Les Etats-Unis lancent déjà des raids contre les positions de cette entité cauchemardesque. Barack Obama en personne a décidé qu’il n’aurait de cesse que l’Etat pirate ne soit fumée et cendres. L’important est que d’autres Etats lui emboîtent le pas. Et la France en première ligne. A cet égard les débats à l’Assemblée nationale ont mis en évidence un consensus qui relève de l’intérêt bien compris de la République. Chacun réalise que la dangerosité mortelle de ce prétendu Etat islamique ne tient pas seulement dans ses forces propres et dans ses capacités de financement pour ainsi dire intarissables tant il a déjà accompli de conquêtes et constitué de réserves. Elle tient aussi dans son essaimage partout où se trouvent des populations confessant l’Islam, notamment en Europe.

Comme l’affaire Nemmouche l’a démontré, certains djihadistes de nationalité française, britannique ou allemande ne se sentent nullement et à proprement parler des citoyens de ces pays. Ils utilisent leur nationalité comme bouclier juridique ou comme passe – partout pour rejoindre le théâtre de leurs opérations. Quant aux sentiments qui les animent, si l’on peut parler de sentiments en ces affaires, on en a eu un nouvel exemple avec la décapitation en Algérie du malheureux Hervé Gourdel par des assassins qui s’imaginent, hélas, agir au nom de Dieu.

Pour faire front, est requise à l’évidence une détermination politique et militaire à toute épreuve. Cette détermination pour les Juifs du monde entier, et quel que soit leur degré d’observance, n’est pas dissociable de leur force d’âme. La force d’âme est l’exact contraire du fanatisme exterminateur. Un fanatique ne se pose aucune question. Il ne doute de rien et surtout pas de lui même. Il simplifie les dilemmes comme il tranche les gorges et coupe les têtes. La force d’âme n’est, elle, jamais donnée par avance. Elle résulte de la confrontation par chacun de ce qu’il sait des lois et des normes, divines, naturelles et humaines, puis de ce qu’il en a accompli ou au contraire méconnu. Chaque être ainsi constitué débat profondément à part soi et avec autrui et va jusqu’à examiner les raisons de ses ennemis. Après quoi, il passe à l’action jusqu’au moment décisif.

Entre Roch Hachana et Kippour, c’est au renforcement des âmes que l’on s’attache méthodiquement, sans réserve mentale, sans mauvais plaidoyer à usage personnel. Ce n’est pas le culte de la mort que l’on exalte mais au contraire la vie que l’on glorifie. Quiconque l’a compris ne redoute plus aucune épreuve. Il faut savoir s’y préparer car le monde qui s’annonce n’en sera pas avare.

                                       H’atima tova

 

                           Raphaël Draï, Radio J, le 29 septembre 2014

Bloc-Notes: Semaine du 15 Septembre 2014

In Uncategorized on septembre 28, 2014 at 9:53

16 septembre.

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Conférence de presse du chef de l’Etat, comme on a pris la mauvaise habitude de désigner le président de la République. Ses conseillers y comptent beaucoup pour rétablir François Hollande sur sa selle et l’affermir dans ses étriers. Dès le début l’impétrant était trop tendu, d’où lapsus et bafouillages. Vite repris car quoi qu’en en pense, le métier est là. Pourtant lorsque les éléments externes s’en mêlent, plus rien ne va. Cette fois, ce n’était pas comme lors de l’allocution à l’Île de Sein, une pluie diluvienne mais sans doute un mauvais réglage de la climatisation élyséenne. Il en est résulté que le président apparaissait devant les caméras suant et suintant, dans l’impossibilité de s’éponger sans cesse. Images cruellement symboliques de cette première moitié de quinquennat dans laquelle les calamités ont succédé aux mauvais coups, avec un mixage sans précédent de vie publique et de vie privée. En réalité les esprits étaient orientés vers l’intervention télévisée de Nicolas Sarkozy annoncée pour la fin de semaine. Cette fois le « retour » ne fait plus de doute et le timing a été respecté après une phase de suspense et de rumeurs savamment distillées. « Politique- spectacle »? La politique est aveugle lorsqu’elle se réduit aux vengeances personnelles. La France n’est plus la même qu’en 2012 au soir de la défaite de l’ancien président. Il ne suffit pas de relever que la situation générale du pays s’est aggravée. Cette aggravation engendre plus qu’un malaise: un état d’esprit difficile à définir. L’impuissance s’y mélange à l’idée que « tous se valent » et « qu’ensemble ils ne valent pas grand chose ». Le gouvernement, après le vote de confiance arraché par Manuel Valls, recule devant toute réaction dite catégorielle ou corporatiste. Il n’a plus les moyens de faire front. La chose se sait et se propage. Hier les huissiers ont eu gain de cause tandis que les pilotes d’Air France menacent de laisser leurs avions sur les tarmacs. C’est dans ce « contexte » que Nicolas Sarkozy interviendra et l’on sera attentif non pas à l’inévitable numéro de l’excellent acteur qu’il sait être mais aux solutions qu’il préconise et surtout à celles qu’il serait véritablement en mesure de mettre en oeuvre. Et d’ailleurs avec qui? Là encore nous ne sommes plus en 2012. L’UMP est en lambeaux. Les candidats de cette mouvance à l’élection de 2017 sont nombreux, virulents et… amnésiques: Juppé, Fillon, Le Maire, d’autres encore. L’on peut douter qu’ils se rendent facilement. Chacun s’imagine que dans la déliquescence de François Hollande l’alternance est inéluctable en 2017 et qu’il suffira de se baisser pour ramasser la présidence de la République. Voire… Dans la vie politique française les ambitions débridées et irréductibles sont également des formes d’auto-destruction. Nicolas Sarkozy le sait. S’il a décidé de revenir c’est sans doute parce qu’il a déjà médité à la manière d’ôter tous ces bâtons de ses roues, lui qui aime tant le vélo…

19 septembre.

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Après une nuit de véritable suspense, les Ecossais ont voté pour le maintien dans l’Union. On retiendra de cette campagne fort disputée le plaidoyer historique de l’ancien premier Ministre, Gordon Brown, Ecossais lui même, pour la préservation du bien nommé Royaume Uni. On ne peut d’un côté s’échiner pour constituer de grands ensembles politiques comme l’Union Européenne, quitte à en faire partie avec des clauses particulières, et de l’autre laisser le continent européen s’en aller en morceaux. Bien sûr l’époque est à la promotion des «identités» surtout lorsqu’elles ont été longtemps, trop longtemps, méconnues, bafouées ou réprimées. Cependant la notion de prescription ne doit elle pas jouer aussi dans la vie politique? Vient un temps où ce à quoi tel ou tel prétend n’est plus de mise. C’est pourquoi malgré ses partisans les plus farouches le Québec n’a pu accéder à une indépendance qui pour l’ensemble du Canada ne serait qu’une manière de sécession, sans véritable lendemain. Il n’en a pas été autrement pour la Catalogne. Une identité quelle qu’elle soit ne se conçoit jamais à l’état isolé et si pour des raisons plausibles l’on entreprend de promouvoir la sienne propre il faut sans tarder songer aux appartenances plus larges de remplacement. Autrement guette la pulvérisation des économes et l’atomisation des espaces géopolitiques, alors que sous nos yeux se constituent d’autres impérialismes, ceux du fanatisme conquérant et du délire sanguinaires érigées en « volonté de Dieu ».

21 septembre.

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Après un bref moment de résistance, revu « Samson et Dalila » de Cecil B. de Mille (1949). Le film n’a pas pris une ride. Les deux acteurs principaux, Victor Mature et Hedy Lamarr, incarnent au sens le plus visuel les deux principaux protagonistes de ce drame biblique qui aurait pu virer au péplum. Or précisément, Victor Mature, massif mais non pas sculptural, n’est pas Steve Reeves et si Hedy Lamarr est belle à faire rêver ce qu’elle manifeste de vipérin ramène rapidement aux réalités morales. On n’omettra pas de signaler la performance de George Sanders dans le rôle du roi des Philistins, jouisseur mais implacable, revenu de tout mais qui sait se servir de Dalila comme elle même croit pouvoir se jouer de lui. Et puis, comment rater la scène finale lorsque dans le temple de Dagon, bourré jusqu’aux derniers gradins par les ennemis de Samson venus assister à sa génuflexion devant l’idole, dans les insultes et les quolibets, dans les cris de triomphe et les moqueries à l’encontre du Danite, soudain s’entend le bruit de la colonne du temple glissant sur sa base sous la poussée du divin aveugle et que d’un coup le silence se fait, sidéré, accentuant ce bruit avant l’écroulement final dans la panique et l’impossibilité de fuir ! Le film incite à se reporter au récit biblique lui même qui enseigne la faillibilité des êtres réputés les plus forts, physiquement et spirituellement, lorsque l’esprit de sagesse les a quittés. Saluons enfin le doublage de Victor Mature par Jean Davy qui ne se contente pas d’engainer la voix de l’acteur américain dans les mots de la langue française : en réalité, il rejoue le personnage dans cette langue.

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NICOLAS SARKOZY II ET LA COMMUNAUTE JUIVE DE FRANCE – Radio J 22 Septembre 2014

In Uncategorized on septembre 22, 2014 at 8:35

Le retour de Nicolas Sarkozy à la compétition politique pose autant de questions qu’elle est censée en résoudre. La France d’aujourd’hui, il ne peut l’ignorer, n’est pas celle des années 2007 à 2012. Les problèmes sociaux, économiques, culturels, confessionnels et moraux s’y sont aggravés, comme l’a montré la dernière conférence de presse de François Hollande. Pour la communauté juive la question se présente en deux volets.

Nicolas Sarkozy II a t-il l’intention de reprendre à son compte et telle qu’elle la fameuse politique arabe de la France, décrétée par de Gaulle en 1967 dans les circonstances traumatiques que beaucoup ne sont pas prêts d’oublier? Le monde arabe n’est plus le même que celui d’il y a un demi-siècle, au temps de Nasser et de la Guerre froide. Le monde arabe actuel est plus divisé que jamais et il serait abusif de parler à son propos d’une politique et d’une seule. Qui se doutait il y a quelques mois à peine qu’un Etat pirate islamique aux ramifications internationales allait mettre à nouveau la région à feu et à sang et que la France allait de son propre chef participer à des frappes aériennes en Irak? Le relever c’est souligner en même temps les extraordinaires défis que doit assumer la démocratie israélienne dans un pareil environnement, comme on vient de le voir lors de la confrontation avec le Hamas à Gaza. Il importe alors que la France cesse de stigmatiser Israël lorsque celui-ci doit se défendre, comme si c’était un Etat de l’Europe tempérée, bénéficiant d’un voisinage convivial tout entier voué à bâtir une civilisation de paix. Nicolas Sarkozy y est-il disposé? Ou l’entendra t-on une fois encore reprendre les thématiques récurrentes d’un gaullisme retors sur ce plan?

Il n’en va pas autrement s’agissant de la sécurité de la communauté juive de France. Si la France a décidé de faire la guerre à l’Etat Islamique c’est que ses plus hautes autorités ont mesuré les risques que le djihadisme fait courir désormais sur le territoire français proprement dit. La sécurité est une des conditions de la dignité. Si, en effet, des Juifs quittent la France ce n’est pas seulement parce qu’il ne s’y sentent plus en sécurité notamment depuis les affaires Mérah, Nemouche ou Dieudonné mais parce que vivre dans cette insécurité permanente devient une atteinte gravissime à leur condition de citoyen et qu’il n’est pas question de revivre, en gros ou en détail, les années 40.

Tout cela Nicolas Sarkozy doit le comprendre et l’intégrer et ne pas se contenter de condamner dans l’abstrait « les communautarismes » pour n’avoir pas à affronter en toute clarté l’islamisme anti-juif et anti-républicain qui rêve d’établir le règne du Califat de Roubaix à Marseille. Le reste relève de la conscience personnelle de l’ancien président de la République et du choix des Français, sachant qu’en général, et sauf exceptionnelle capacité de dépassement, il est peu de retours gagnants et surtout durables dans l’histoire politique de la France.

                   Raphaël Draï, Radio J, 22 septembre 2014.

LA CHANCE D’ETRE TOURISTE A LA SYNAGOGUE – Par Rav Dov Elbeze

In Uncategorized on septembre 21, 2014 at 9:29

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Il est une coutume répandue dans les synagogues qui consiste à entonner chaque jour, depuis Roch ‘Hodech Eloul jusqu’à la fin des fêtes de Tichri, le Psaume 27, et ce à deux reprises : à l’ouverture de l’office de Arvit et au terme de celui de Cha’harit.

Dans ce Téhilim, le Roi David déclare (verset 4) : « Je demande une chose à l’Eternel : […], de demeurer dans la maison de l’Eternel tous les jours de ma vie, de contempler la splendeur de l’Eternel et de visiter Son sanctuaire. »

Nous pouvons constater, semble-t-il, deux anomalies dans cette requête.

Tout d’abord, David prétend ne revendiquer qu’une seule chose et en réclame finalement trois : demeurer constamment dans la maison de l’Eternel, contempler Sa splendeur, et visiter Son sanctuaire.

De plus, une contradiction saute aux yeux. En effet, sachant qu’il n’est aucune différence entre le sanctuaire et la maison de Dieu, comment aspirer à être à la fois « résident de la maison de l’Eternel » – soit occupant permanent du lieu – et n’être que « visiteur » ?

Une attitude singulière

 Pour répondre à ces interrogations, analysons la réaction d’un individu se retrouvant pour la première fois dans une pièce : il se met à scruter les moindres détails qui l’entourent, observe, admire, critique, juge le mobilier, la décoration, se surprend même parfois à imaginer de quelle manière il aurait placé tel objet ou tel tableau… Puis, après quelques instants, cette attention disparaît… Ceci se vérifie souvent dans les salles d’attentes.

De façon plus générale, il semblerait que tout environnement étranger crée, par son caractère exceptionnel, une fascination certaine. Pourquoi le touriste chinois prend-il des centaines de clichés de la tour Eiffel quand le parisien qui passe chaque jour devant n’y porte pas plus d’attention que cela ?

Il convient de dire que c’est la rareté d’un évènement ou d’une circonstance qui suscite l’envoûtement. Et c’est l’habitude qui finit par atténuer l’intérêt que l’on porte à une chose, jusqu’à l’estomper totalement.

Une accommodation dangereuse

Aussi, lorsque nous entrons pour la première fois dans une synagogue, nous sommes emprunt d’une vénération et émotion évidentes, et ce, quelque soit notre degré de pratique religieuse. Car chaque juif se retrouve dans la maison de Dieu. L’exemple du Mur des Lamentations est le plus frappant. On se recueille avec ferveur, on prie, on demeure réservé, on ressent profondément l’atmosphère de Kédoucha et de sérénité qui habitent ce lieu. On reste admiratif devant la somptuosité des ornements qui l’habillent, incrédule devant l’imposante arche qui renferme les rouleaux de la Torah…

Et puis malheureusement, une routine s’installe progressivement. Notre sensibilité se dissipe. On ne prête plus attention au caractère sacré de la synagogue. On oublie la Présence Divine qui y réside, jusqu’à y adopter un comportement qui a perdu toute dignité ; on s’esclaffe, on papote, on croise les jambes… la vénération et l’exaltation ont laissé place à l’incorrection et l’impertinence.

Nous serons tous présents durant ces fêtes, dans les synagogues. Ensemble, nous ferons preuve de concentration et de ferveur, méditant sur notre conduite de l’année passée afin de corriger nos torts et améliorer notre condition spirituelle. Nous vivrons Roch Hachana et Kippour intensément. Nous serons en totale symbiose avec le Créateur. Il nous jugera favorablement et nous inscrira dans le Livre des vivants. Souccot sera synonyme d’allégresse, Sim’hat Torah d’union passionnelle avec Hachem. Une année de douceur débutera. Une année avec ses bonnes résolutions où notre intimité avec l’Eternel devra être à l’image de celle du mois de Tichri. Fusionnelle.

Mais comment alors ne pas devenir indifférent, à la longue, à cette relation d’osmose ?

Tel était le tracas du Roi David : « S’il était une seule chose que je devais Te demander ô Hachem, ce serait de pouvoir vivre dans Ta maison constamment et d’être investi en permanence de la retenue et du respect dont ferait preuve tout visiteur. Etre capable d’admirer Ta Splendeur s’en jamais m’en lasser ».

Un si beau souci…

Dov Elbeze.

LE SENS DES MITSVOT: PARACHA HAAZINOU

In Uncategorized on septembre 21, 2014 at 6:49

   Chana tova 5775

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« Souviens toi des jours d’antan, méditez sur les années, de génération en génération. Interroge ton père et il te dira, les Anciens et ils te diront … » (Dt, 32, 7).

Cette paracha est l’avant-dernière de la Thora. Elle délivre le témoignage prophétique de Moïse à un niveau spirituel et dans un langage qui exige qu’on y revienne dans un mouvement d’étude inlassable. Ce langage on ne saurait la qualifier autrement que de nucléaire tant il comporte de significations intimes et cosmiques. Et pourtant il faut tenter de les élucider de sorte que ces significations si denses éclairent conduites et comportements quotidiens.

Pourquoi, à ce moment du trajet, ce rappel relatif à ce qu’aujourd’hui l’on qualifierait de « devoir de mémoire » ? La mémoire, tant de philosophes l’ont dit et commenté, n’est pas la simple évocation d’un passé révolu et devenu fantomatique. La notion de mémoire n’a pas de sens en soi mais un sens corrélé à celui de projet pour l’avenir et de décision pour le présent. L’histoire humaine – en est-il d’autre? – se déroule de génération en génération. La notion de génération à son tour n’a guère de signification en elle même. Pour en avoir une il lui faut a minima être corrélée à une génération antécédente d’une part, et à une génération émergente d’autre part. Lorsque cette corrélation n’est pas assurée le risque est celui de l’amnésie et de la dérive, comme ce fut le cas pour la civilisation de Babel (Gn, 11, 2). C’est pourquoi Moïse y insiste tant au moment de quitter le peuple qu’il a conduit quarante années durant dans le désert extérieur et intérieur, l’équivalent de quarante siècles, tant la traversée parfois fut dure, au bord de l’anéantissement.

Au moment de traverser le Jourdain, surtout que ce peuple adulte ne s’imagine pas né de lui même, réduit à son temps présent, sans généalogie et sans perspective. Bien sûr, il lui faut décider chaque fois dans le temps d’aujourd’hui, avec les autorités dont il est alors doté. Cependant aucune décision ne se renferme dans l’instant où elle est conçue et dans celui où elle est appliquée. Le présent décervelé peut à nouveau conduire à la destruction. C’est pourquoi il faut maintenir ce lien de mémoire informative et active. Tout comportement doit être orienté et toute pensée doit aussi se diriger selon des repères sûrs. Aussi, comme l’indiquent les parachiot précédentes, les événements les plus importants doivent faire l’objet d’une relation par écrit, d’une translation dans un récit que l’on pourra en cas de besoin consulter. L’écrit trouve ici sa fonction vitale. C’est en passant par les lettres de l’alphabet, écrites avec de l’encre, que l’événement présent s’inscrira dans une durée aussi pérenne que cette encre. L’eau s’évapore; l’encre, non. La lettre écrite avec de l’encre (dio) se grave dans la conscience et elle y persiste. Pour autant l’écrit ne doit pas devenir anonyme. La mémoire longue ne se réduit pas non plus à l’archive antique, devenue indéchiffrable.

Si la mise en mémoire passe par la transcription, il importe que la remémoration lorsqu’elle devient à nouveau indispensable retrouve la voie de la voix, la voix du père et de la mère, dans le cercle familial, et la voix des Anciens dans le cercle plus large de l’ensemble du peuple. La mémoire n’est ni discrétionnaire, ni robotique. La mémoire vivante est incarnée. C’est en prenant la voix de son père, Âmram, que le Créateur, se révèle à Moïse au Buisson ardent. L’équivalent pour chaque être humain de ce buisson qui brûlait mais qui ne se consumait pas est la question qu’il se pose, et qu’il se pose non pour tourmenter son esprit mais pour trouver le chemin qui s’y annonce mais s’y cache aussi. Bien sûr, comme l’affirment les Proverbes, « la gloire de Dieu est de receler la chose et l’honneur de l’homme de la découvrir ». A cette fin, il ne suffit pas de s’interroger à part soi, comme si l’on était seul au monde. La mémoire est parentale, intimement généalogique. L’enfant interroge son père et sa mère et ceux-ci à leur tour interrogent leurs géniteurs. En remontant aussi loin et aussi faut qu’il soit possible. Et c’est à ce moment que l’on retrouve à nouveau l’écrit. La mémoire incarnée ne saurait remonter plus haut que la quatrième génération des ascendants et lorsque cette génération n’est plus en mesure d’en témoigner, il faut se référer à sa propre mémoire écrite, transmise dans un langage qui échappe à l’anachronisme. C’est pourquoi il importe à titre d’exemple de revenir à la paracha Haazinou. Le langage prophétique n’est pas un langage de surface. Il se creuse et s’approfondit jusqu’au moment où il délivre ses sources d’eau vives, édéniques.

Raphaël Draï zal, 21 Septembre 2014

SUR LA RESURRECTION DES MORTS SELON LA VISION JUIVE – Chana tova 5775

In Uncategorized on septembre 19, 2014 at 12:06

  1. PENSER LA RESURRECTION, AVEC DISCERNEMENT.

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Le judaïsme, pour le désigner par ce terme générique, a suscité tant de pensées aberrantes que le travail de plusieurs générations suffirait à peine pour en nettoyer les incuries. Parmi ces aberrations, l’affirmation obtuse selon laquelle le judaïsme n’admettrait pas la résurrection des morts, qu’il en a fallu lui en implanter l’idée par le moyen du christianisme et cela non sans qu’il continue de renâcler et d’en rabattre. Par où l’on peut une fois de plus mesurer la malfaisance des stéréotypes et continuer de s’interroger sur les mobiles de qui les invente, les promeut et les propage. Car de cette même pierre deux mauvais coups sont simultanément portés, d’une part contre la réalité de la pensée juive sur un tel sujet mais d’autre part sur la qualité morale d’un christianisme qui serait porté pour se faire valoir à soutenir une pareille contre-vérité. A n’en pas douter, la résurrection tient une place essentielle dans le christianisme mais d’où ce corps de croyance la tient-il, généalogiquement, sinon de la pensée d’Israël? Ce qui n’empêche pas de s’interroger sur ce que le judaïsme entend, le plus exactement possible, par cette expression érigée néanmoins en article de foi: « la résurrection des morts », en hébreu « téh’iat hamétim », littéralement la reviviscence des morts, leur re-vie, si l’on pouvait ainsi s’exprimer. L’on procèdera à cette investigation en trois temps: comment le judaïsme aborde t-il une question aussi « limite »? Ensuite, puisque la résurrection en question est bien celle des morts, que faut-il entendre par ce terme: méthim? Enfin, cela mieux compris, quelle est l’intentionnalité du concept de résurrection des morts, de téh’iat hamétim?

Est-il indispensable d’ajouter que les vues à venir en un tel domaine sont strictement exploratoires, qu’elles ne prétendent à aucune inculcation doctrinale. Elles se veulent strictes matière à penser mais à penser aussi juste qu’il soit possible, justesse factuelle et justice morale car l’on ne finira pas de s’étonner en songeant que la peuple qui s’est tant attaché à l’idée de « re-vie » a été celui que les menaces d’extermination ont sans cesse placé à rebours de ses dilections les plus fondamentales et les plus fondatrices.

Prenons en ce sens notre point de départ chez Maïmonide, l’auteur des « 13 articles de foi » par lesquels s’expriment les croyances et les espérances d’Israël, pour ne pas dire ses certitudes. La résurrection des morts fait partie de cette tabulation qui complète les dix Paroles du Sinaï. Ne pas donner corps à la certitude que cette résurrection assurément adviendra serait renier la foi juive, parjurer l’enseignement de la Thora et renier Dieu. Autant se le tenir pour dit: aborder un pareil sujet commande vraiment d’en discerner toute la portée. Qui peut ignorer que l’homme soit mortel? Que sa durée de vie, serait- elle celle de Mathusalem, n’est pas inextensible? Qu’elle est caractérisée par une finitude ontologiquement prédéterminée et biologiquement « programmée »? Ce fait une fois admis n’empêche pas d’en discerner les modulations, à commencer par celle-ci: certes l’homme est mortel, mais il l’est au degré individuel. Peut-on extrapoler cette mortalité au degré cette fois de l’Humain, car il faut bien distinguer dans le récit de la Genèse tout particulièrement, l’homme individuel, adam, et l’Humain, au sens générique: Haadam.

Grammaticalement, l’article défini fonde également toute la différence ontologique. Les hommes individuels meurent. L’Humain leur survit et se proroge par le biais de ce qu’il est convenu de nommer les générations: en hébreu toldot, et l’on observera que le mot est employé pour la première fois dans ce récit biblique non pas directement à propos de l’Humain mais à propos des engendrements des cieux et de la terre (Gn,2,4). Comme s’il était d’ores et déjà donné à comprendre que la vie – terme que nous allons retrouver maintes fois – n’était pas unimodale, unidimensionnelle, immuable, sans pour autant se faire inconstante et dissipative. Il convient de le relever sans tarder pour éviter l’erreur selon laquelle ce schéma aurait été élaboré après -coup et à titre rétroactif pour conjurer l’idée de mort apparue dans la Création en y provoquant perplexité, sidération et peur parfois panique.Ainsi pour Maimonide la résurrection des mort est partie intégrale de la foi d’Israël considérée comme attestation (êdout) relative à la consistance de la Vie, à ce qu’est la Création en tant que telle. Et pourtant, du même mouvement, ce sujet est de ceux auxquels l’auteur du « Michné Thora » recommande instamment de pas s’attarder, de ne pas s’y croire en promenade. Avec celui du Messie il faut en saisir la tonalité, les données essentielles, et puis s’occuper de tout ce qui constitue la vie présente, avec ses obligations, ses normes, ses règles, son intelligence. En quelque sorte vivre une vie pleine, exhaustive, si l’on osait dire comme s’il n’y avait pas de résurrection dont l’anticipation de l’idée risquerait de diminuer l’intensité de la vie présente mais savoir que cette résurrection est de volonté divine, qu’elle adviendra selon cette volonté et dans le temps de Dieu. Alors, modérantisme, pusillanimité, et pourquoi pas appréhension par le penseur de se confronter à l’idée de sa propre mort?

Il ne le semble pas puisque remontant de Maimonide à ses sources, il faut relever que l’affirmation du principe de la résurrection des morts se trouve explicitement dans le « Siddour », dans le livre des prières quotidiennes, au moins à trois reprises: lors des prières successives et complémentaires du matin, de l’après-midi et du soir, et cela dans les termes qui ne sont pas superficiels de la prière sans doute la plus axiale de tout le rituel: le Chemonéi Êsrei, « les 18 bénédictions », et l’on relèvera sans attendre que le chiffre 18 en cette numérologie correspond exactement au mot « vivant »: h’ay.

Le texte de la prière du matin, de chaha’rit, dispose ainsi exactement et structuralement:

« Tu es fort (guibor) universellement (léôlam) Maître (Adonaï), Tu fais revivre les morts, Toi … ».

Suivent deux modulations, l’une pour les saisons pluvieuses, l’autre pour la saison de rosée. Et la prière continue par ces mots:

« Tu sustentes la vie par bénévolence, tu fais revivre les morts par compassions nombreuses, tu soutiens ceux qui tombent, tu soignes les malades, tu libères les prisonniers, et tu relèves confiance en toi chez ceux qui gisent dans la poussière; qui est comme toi Maître des forces et qui pourrait être comparé, souverain qui fait mourir et qui fait revivre et qui fait germer les salvations ».

D’où ces deux axiomes emboîtés:

   « Tu fais foi (nééman) au sujet de la résurrection des morts.

   « Béni sois tu Eternel qui fait revivre (meh’ayé) les morts ».

Ce véritable paradigme se retrouvera dans toutes les autres prières de la journée et dans celles du chabbat. L’affirmation est loin d’être annexe, anecdotique ou allusive. Il s’agit d’une quintuple déclaration, d’une proclamation qui donne leur ton et leurs sens aux autres bénédictions qui vont se déployer désormais.

On aura néanmoins prêté attention à une formulation particulière et spécifique du principe: « Souverain qui fait mourir et qui fait revivre ». Elle est décisive puisqu’elle rapporte le fait de la mort au Créateur lui même, la résurrection apparaissant mais ensuite, comme s’il fallait que les deux choses fussent liées et qu’elles le soient de sorte que la mort, sans être déniée, fût immédiatement profilée dans l’affirmation corrélative de résurrection dont le contenu reste à élucider.

Une autre observation s’impose à propos de cette prière méticuleusement élaborée à l’époque du second Temple, lui même symbolique d’une reconstruction, si ce n’est d’une résurrection. La résurrection des morts n’y est pas évoquée de manière exclusive ou isolée: elle ouvre à une série d’affirmations qui concernent toutes la résistance de la vie, qu’elle soit corporelle ou spirituelle, individuelle ou collective, à ce qui la contre-bat: maladie, misère, captivité. Là encore, comme si la résurrection constituait une tête de chapitre dont tous les paragraphes fussent cohérents entre eux et synergisent les forces, les guévourot, dont le Créateur est la source, la guévoura désignant la force effective mais régulée, consciente: la force créatrice.

 2. LA VIE ET LA MORT, LA VITALITE ET LA MORTALITE.

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Parfois, pour se donner de meilleures chances de comprendre une question difficile, il vaut mieux se reporter aux processus qui la caractérisent qu’aux substantifs qui risquent de d’en figer l’intelligence. Ainsi en ira t-il des concepts de vie et de mort dont on étayera l’exploration par ceux, processifs, de vitalité et de mortalité[1]. Pour valider cette approche on se contentera d’observer qu’en hébreu le mot « vie », h’aym est un pluriel, et que le mot mort, maveth, au moins selon l’une de ses lectures primaires, est un singulier, pour ne pas dire un isolat. Dans ces conditions, et en rappelant l’observation précédente sur l’articulation de la mortalité et de la vitalité dans les « 18 bénédictions », l’on notera que si dans le langage courant d’origine grecque, les hommes sont considérées comme des « mortels », dans la terminologie d’Israël ils sont considérés comme des « vivants »: h’aym, d’où, et entre autres, ce principe générique (clal gadol): «.. et tu choisiras la vie » (Dt, 30) qui peut également se lire et se comprendre, selon Elie Wiesel: «.. et tu choisiras les vivants ». Et nous savons, selon les termes mêmes du chemonei êsrei, que ces « vivants » sont eux aussi exposés à la mortalité qu’il ne faut pas confondre comme on le verra avec la morbidité. Une fois encore, il ne s’agit pas d’une simple variation linguistique mais de deux façons, à tout le moins, de concevoir les formes de résistances, qu’elles soient conscientes ou instinctives, à la mort. Et c’est en ce point que se distinguent radicalement l’aspiration à l’immortalité et la foi en la résurrection des morts.

Les psychanalystes considèreraient que les deux situations se soutiennent d’un fantasme mais les fantasmes ne sont pas tous homologues même s’ils semblent issus d’un même terroir psychique. Pour l’exprimer en termes cursifs, selon la conception grecque l’humain aspire à l’immortalité, l’on ira jusqu’à dire à l’amortalité, car telle est la condition des dieux avec lesquelles il rivalise pour des mobiles que le personnage de Prométhée incarne. En somme, la conception grecque, ainsi entendue de nos jours, serait binaire: mortalité, immortalité, tandis que la conception hébraïque serait ternaire: vitalité, mortalité, reviviscence. Bien sûr et pour reprendre notre observation de facture psychanalytique, si l’on peut vérifier en l’occurrence la flagrance de la fantasmatique à l’oeuvre: celle d’un déni du réel et d’une exacerbation narcissique, il semble bien que l’appareil conceptuel et que l’outillage mental mobilisés ne soient pas tout à fait homologues dans les deux cas. C’est pourquoi, et puisque l’objet principal de cette exploration porte sur la pensée juive, il importe de revenir au récit de la Genèse relatif à l’apparition de la mort dans la Création, car il s’agit bien d’une survenue que l’on serait en droit de considérer comme accidentelle si l’Humain, Haadam, n’avait pas au préalable fait justement l’objet d’un avertissement, conçu en ces termes: « L’Eternel-Dieu prit l’homme et l’établit dans le Jardin d’Eden pour le cultiver et le soigner. L’Eternel-Dieu donna un ordre à l’homme en disant: « Tous les arbres du jardin tu peux t’en nourrir, mais l’arbre de la science du bien et du mal, tu n’en mangeras point car du jour où tu en mangeras, tu dois mourir » (Gn, 2, 15 à 17).

Cette traduction dite du Rabbinat appellerait bien des reprises et des commentaires. On y relèvera surtout la connexion causale entre nourrir et mourir, d’une part, et de l’autre la formulation grammaticale de la sanction annoncée. Selon la Bible du Rabbinat cette sanction n’est pas formulée au conditionnel ou à l’optatif: « tu en mourrais » mais bel et bien à l’indicatif sinon même à l’impératif: «Tu en mourras ». Assurément. Toutefois, comment devient mortelle une créature dont la Genèse vient d’affirmer qu’elle a été créée à la semblance de Dieu (betselem Elohim) et comme son représentant dans la Création (Gn, 1, 27)? Incohérence? Contradiction? Retour du réel refoulé par un fantasme de « théification »?

C’est en ce point qu’il faut sans doute distinguer la vie conçue comme état, et la vitalité, ou la « vivance » comme processus à préserver et à entretenir. L’Humain selon le récit biblique est formé et conformé à partir de l’humus fertile de la terre (âphar) qui est en somme sa matière première, celle de sa morphogenèse. Pourtant sa création ne s’y limite pas. L’Humain fait ensuite l’objet d’une insufflation, et pas de n’importe quel souffle: d’un souffle précisément de vie: nichmat h’aym, littéralement d’« une âme de vie », qui fait de lui, à la lettre un vivant: nephech h’aya (Gn, 2, 7). Pareille conception de la « vivance » correspond à une organisation en niveaux emboîtés les uns dans les autres et se conditionnant mutuellement. Si la morphogenèse est matérielle, mais d’une matérialité si l’on peut dire transcendante, transformable, l’Humain est défini surtout par son « âme de vie », locution qu’il faut tenter d’éclairer.

Pourquoi « âme » se dit en hébreu nechama? Ce mot en condense deux autres: chem, et cham. Chem veut dire « là-bas », et Chem désigne le nom. Un être vivant et viable doit pouvoir nommer et être nommé, la nomination et la dénomination l’inscrivant dans un projet, dans une trajectoire. C’est pourquoi selon une observation devenue classique, le Targoum, la paraphrase araméenne de la Thora, traduit nichmat h’aym par rouah’melalela: « esprit de parole ». En tant que tel l’Humain parle et parlant fait parler à son tour. Telles sont les données du chapitre 2 de la Genèse concernant la conception de l’Humain vivant et le principe de sa vie. Mais comment sa vitalité, au sens processuel, est elle assurée?

Par sa situation dans la Création en général. Tel est l’objet d’autres versets du même chapitre 2 de ce récit relatif à ce que l’on pourrait appeler la logistique de la Création et de la vitalité de l’Humain. Il s’agit en premier lieu de son site vital: « l’Eternel Dieu planta un jardin (gan) en Eden, vers l’orient, mikedem, et il y plaça (vayassem cham) l’homme qu’il avait façonné »(Gn, 2, 15). En ce verset revient assurément le mot cham dont nous connaissons le sens et la portée. C’est afin de demeurer « âme vivante » que l’Humain est situé à cet endroit de la Création caractérisé par ces deux coordonnées, en un lieu nommé à son tour « Gan Eden ». Au delà de l’imagerie traditionnelle que signifie cette locution?

On a maintes fois souligné la convergence des radicaux grec et hébraïque à ce propos. Dans les deux registres linguistiques, la racine GN correspond à l’étymologie du vivant en sa source même: du vivant générique, si cette expression ne formait pas pléonasme. D’où le mot souche: GeNèse lui même. Qu’implique alors KeDeM? L’antériorité, comme si l’influx vital conférant sa vitalité à l’Humain provenait d’avant la création de celui-ci en son amont, et que ce flux là devait être préservé pour préserver en même temps la vivance de la créature. Il est loisible de considérer ces données comme « littéraires » ou « fabuleuses », ne correspondant que fortuitement et de manière inégale à ce que la biologie actuelle enseigne ou ce sur quoi elle renseigne. On peut néanmoins les aborder aussi comme une construction de l’esprit élaborant les conditions de sa propre fondation. En tous les cas la perpétuation de la vie est conditionnée par le respect de ces principes vitaux lesquels se prolongent dans les considérations suivantes: « L’Eternel-Dieu fit surgir du sol toute espèce d’arbre beaux à voir et propres à la nourriture (tov lemaakhal) et l’arbre de vie au milieu du jardin avec l’arbre de la science du bien et du mal »(Gn, 2, 9). Que faut-il en comprendre sinon et entre autres que les arbres vitalement nourriciers, qualifiés de « propres à la nourriture » procèdent du même principe que celui qui assure, phase après phase, la vitalité de la Création scandée par le qualificatif: bon, tov, dès la création de la lumière (or) (Gn, 1, 2, 3).

Ce site présente néanmoins deux particularités: en son centre un dispositif qualifié « d’arbre de vie » est jouxté par un autre, qualifié lui « d’arbre de la connaissance du bien et du mal ». Et l’on se retrouve là en présence d’une des énigmes les plus profondes de la conscience humaine[2]. Au regard des conséquences à venir quelques remarques mêmes cursives importent.

Le premier des deux dispositifs ainsi présenté, celui qui conditionne le reste est donc bel et bien l’arbre de vie. Entendons le mort « arbre » (ÊTs) dans le sens d’une arborescence générique dont l’arborescence botanique n’est qu’une des configurations. C’est en lui et par lui que le site qualifié de Gan Êden trouve sa vivance et la draine dans le reste de la Création. Si la vivance propre de cet arbre est atteinte, toute la Création, à commencer par l’Humain, le sera ensuite et immanquablement. L’on pourrait presque affirmer à ce propos qu’il s’agit de la définition d’un principe de réalité qui, telle qu’elle est, doit être respectée. Comme on l’a dit, cet arbre de vie n’est pas le seul: il est jouxté par celui de la connaissance du bien et du mal dont il serait bien aventureux de conjecturer la nature, générique, botanique et même métaphorique sauf, une fois de plus, à observer qu’à la différence du précédent, parfaitement simple et homogène, ce êts là est composite et surtout contradictoire pour autant que le soient le bien, déjà rencontré, le tov, et son antonyme le mal, ici nommé .

Ce qui conduit selon ce récit à en prendre acte: la vie n’est pas viable de soi. Elle est contredite par un élément différent, hétérogène, dont il faut tenir compte et à propos duquel un avertissement, déjà rencontré, est délivré: « De tous les arbres du jardin tu peux t’en nourrir mais l’arbre de la science du bien et du mal, tu n’en mangeras point car du jour où tu en mangeras tu dois mourir » (Bible du Rabbinat). La suite du récit relatera comment l’Humain croira pouvoir passer outre à cette défense et comment il en deviendra en effet mortel, laissant béante la question portant sur le point de savoir en quoi la consommation du fruit de ce second arbre pouvait entraîner des conséquences létales. Faut-il admettre l’idée que ce second arbre, dans l’ordre où le récit biblique les mentionne, est en réalité le plus originel, ou le plus archaïque? Celui qui atteste du chaos antérieur à la Création et qui lui résiste, juxtaposant sans les synthétiser la valeur de vie et l’attraction de cela: tropisme, force, ou inertie, qui refuse qu’elle n’advienne?

Mais que faut-il exactement entendre par cette autre formule: mot tamout, traduite dans la BR par «tu dois mourir»? Cette traduction ne restitue pas complètement la formulation hébraïque originelle: mot tamout, que l’on peut mieux approcher ainsi: « de mort tu mourras ». La différence est notable. Dans la première traduction il s’agit d’un décret fatal, d’une issue inévitable opérant comme un couperet, tandis que dans l’autre il s’agit bien d’un processus lequel s’inscrit dans une temporalité récessive. En ce sens le verset en question énonce moins une sanction qu’il ne décrit une évolution ou plus exactement une involution, comme si, une fois cette transgression consommée, dans tous les sens du terme, le vecteur de la Création se rétro-versait ou même s’inversait, la Création devenant entropique.C’est sans doute pourquoi le récit enchaîne sans désemparer: « L’Eternel Dieu dit: « Il n’est pas bon que l’homme soit isolé (levado) » (Gn, 2, 18), sachant que l’entropie caractérise l’état de dégradation d’un système devenu clos et auto-consummatoire, auto- phage.

Une fois la transgression commise, et la mort instaurée dans la Création, celle-ci apparaîtra t-elle désormais comme en simple sursis? Quelle en serait alors la valeur intrinsèque, le bien-fondé et finalement la cause génératrice? A quoi bon la Création pour, dés l’origine et dans sa conception même, l’avoir exposée à un aléa aussi fatal?

C’est ici que réapparaît alors la formule rencontrée dans les « 18 bénédictions » à propos du Créateur: « Qui fait mourir (mémit) et qui fait survivre (ou meh’ayé) ». L’entropie n’est pas fatale. Elle est susceptible à son tour de s’inverser. La mortalité peut se transformer à nouveau en vitalité et la Création conserver sa prévalence irréfragable. Ce nouveau processus est nommé en hébreu téchouva: retour et revenance, réflexion et réparation. Quoi qu’il en soit, le contraire de l’irréversible et du « fatal-létal ». La transgression éloigne le vivant de l’arbre de vie. Elle le rétrocède au chaos. La téchouva l’y ré-oriente et l’y greffe à nouveau. A condition que la greffe fût compatible, ce qui forme tout l’objet des traités « agricoles » de la Michna et du Talmud de Jérusalem. La « remédiation, si l’on pouvait ainsi la qualifier, se déduit des « contre- mesures » qui suivent la transgression originelle pour pallier ses conséquences mortifères: le travail pour l’homme et la gésine et la gestation pour la femme. Il faut n’avoir rien compris au récit de la Genèse pour les interpréter comme sanction, punition ou pire encore: damnation.C’est tout le contraire que le Créateur met en oeuvre justement pour y remédier, que le Créateur devient médecin, rofé.Pour le Zohar dans le commentaire de la paracha intitulée précisément: « Ah’aré moth (Après la mort [3]) », s’agissant de la vision d’Ezéchiel, seul Raphaël (Dieu guérit) correspond non pas à une effigie emblématique d’animal (aigle, buffle, lion) mais simplement à l’Humain (adam).Tout remède procède de l’arbre de vie et de ce point de vue la médication s’inscrit non pas seulement dans l’ordre de la « réparation de l’univers » (tikkou haôlam) mais dans celui de sa création perpétuée (beriat haôlam). En ce sens encore, et comme l’explique le Zohar, suivant Le Cantique des Cantiques, le fruit de l’arbre de vie, nommé tapouah’, est le remède par excellence parce qu’il réunit tout à la fois belle apparence, sapidité, odeur suave et substance nourrissante. On remarquera que les lettres formant le nom de ce fruit sont les mêmes que celle formant le qualificatif d’« ouvert »: patoah’, d’où l’injonction du Deutéronome: « Ouvert (patoah’) tu ouvriras (tiphtah’) ta main [4]de peur qu’il n’y ait quelque chose (davar) avec ton cœur-connaissant (levavekha): sans ascendance (bli yaâl) ». Bliyaâl pourrait également se traduire par inerte, non- transcendant, « catamorphique « et non pas méta-morphique.

Car quelle est la condition de l’Humain après la première transgression? Le récit biblique le qualifie par ce mot difficilement traduisible: il est âroum, terme généralement rendu par « nu » (Gn, 3,7).Quelle sorte de nudité? Désespérante. Celle qui le prive de son sceau divin, de son tselem et de sa demout, de sa corrélation avec le Créateur. L’Humain est devenu en somme un mort- spirituel vivant, survivant matériellement, ou pour le dire dans la conceptualisation éthique hébraïque: un corps sans âme: gouf bli néchama. La question surgit alors: pourquoi le laisser ainsi survivre, pour ne pas dire végéter? Pour le Créateur, au titre de sa bonté créatrice, il s’agit maintenant de le ressusciter, non pas dans le sens ordinaire du mot résurrection mais dans son sens génésiaque: il faut susciter à nouveau ce qui en lui est resté compatible avec la Création divine.

Il faudrait alors s’interroger sur la « méthodologie » du Créateur pour qui la faute commise n’est imputable qu’à une partie de l’Humain, à un moment de son trajet. C’est pourquoi après les générations cosmiques, les toldot, apparaissent ici les générations, les engendrements proprement humains. La génération à venir relèvera la génération présente de ses défections ou de ses insuffisances. L’essentiel est que l’insufflation initiale se poursuive et que l’Humain finalement advienne comme co-créateur (choutaf) selon sa vocation première. Aussi, et là encore sans désemparer, apparaît le nom d’Eve « parce qu’elle est la mère de tous les vivants » (BR) ou plus exactement parce qu’elle est cause de tout ce qui vit (em col h’ay) (Gn, 3, 20). Les générations à venir procèderont des engendrements conjoints de l’homme, qualifié d’Adam, et de la femme, nommée Eve. Le vivant n’est plus générique ni anonyme: il est bel et bien personnalisé. Le relais des générations palliera la mortalité provoquée par l’une d’entre elles.

Mais par lui même le premier engendrement ainsi conçu ne réussit pas. Si l’Humain (haadam) enfin connut non pas Eve mais si l’on peut dire l’« évisme (eth- h’ava) » il en résulte un être qu’il ne faut pas se hâter de considérer comme parfait: Kaïn puisqu’il se révèlera l’auteur du premier fratricide. Tout se passe comme si la Création procédait par essais, erreurs et rectification. Le premier couple de (pseudo) frères non seulement ne sera pas résurrecteur mais il reproduira la mort dans la Création.Non pas la mort lente, par extinction et exténuation de l’énergie vitale, de la hachpaâ, mais de la mort violente, par assassinat. Serait- ce signifier que le remède envisagé par le Créateur vient à son tour d’échouer?

A ce moment l’on serait conduit à envisager la fin du sursis dont il a été fait état, le terminus de la Création. Or celle ci va reprendre à la suite d’une nouvelle tentative. Après les deux frères fratricides, un troisième advient qui présente trois caractéristiques absentes chez les deux précédents. Cette fois, et au regard du relais inter- générationnel précité, il est expressément qualifié de « fils », ou d’enfant, de ben; en plus il est doté d’un nom, d’un chem, donc d’une âme, d’une néchama, et il est nommé Chet, terme qui désigne la résonance, le retentissement, la réflexion, tout le contraire de l’impulsivité et de la décharge sensorielle (Gn, 5, 1 et sq).

Le récit biblique reviendra plus d’une fois sur la naissance de Chet. Les indications contenues au chapitre 5 sont capitales: « Adam ayant vécu 130 ans produisit un être à son image et selon sa forme (bidmouto betsalmo) et lui donna pour nom Chet » (Gn, 5, 3) ». Indications capitales puisque nous voyons reconstitué le sceau divin sur la Créature humaine enfin réinstaurée dans ses capacités et dans sa vocation initiales. En ce sens, il est possible de dire que l’Humain est re-suscité. Si la contre-création procède par itérations inlassables, la Création opère par insistance endurante[5]. Et les auteurs de la prière du matin, de chah’arit pourront y déployer cette action de grâce: «Béni sois tu Eternel qui par ta bonté renouvelle perpétuellement l’oeuvre de la Création (maâssé Beréchit) ». Ainsi l’Humain est à la lettre ressuscité dès lors que se reconstituent en lui ces dimensions créationnelles.

Et la question se pose: où Adam et Eve trouvèrent-ils les ressources de cette re- naissance? Il faut bien envisager à la suite du Zohar un regain, un surgeon, une repousse de l’Arbre de vie en dehors du Gan Eden, ce qui tendrait à démontrer que le séjour du premier couple en ce lieu vital, en ce topos, y avait laissé sa marque et sa semence. D’où la nécessité éthique cette fois pour chaque être humain de se préoccuper de son âme, homothétique du Gan Eden, de son vivant, au sens d’une chronologie primaire. Dans le fameux chapitre 11, le chapitre dit H’elek du Traité Sanhédrin les civilisations et générations qui n’ont pas accès « au monde qui vient » sont précisément celles pour lesquelles l’âme est ou a été quantité négligeable, alors qu’elle est à la vie ce que la mèche huilée d’huile pure (ner) est au Candélabre.

En l’Humain, répétons-le, l’âme seule, initialement vouée à l’éternité, est demeurée hors des emprises de la mort. Encore faut-il l’y maintenir et l’en préserver. L’être qui y parvient est qualifié de TaM, terme que l’on traduit généralement par « intègre ». Tout dépend de ce que l’on recouvre sous ce qualificatif dont on observera qu’en hébreu il est formé par les mêmes lettres que le mot « mort » (MeT) mais lues à l’envers. C’est en ce sens que des êtres comme Enoch, le premier fils de Seth, mais également Jacob ou Elie sont considérés comme n’étant pas morts pour signifier sans doute qu’en eux tout survit ou mérite de survivre.On relèvera à leur propos qu’ils sont tous considérés comme s’étant comportés selon l’observance divine. Le verbe HaLaKh est décisif ici puisqu’il désigne simultanément la façon si l’on ose dire dont le Créateur lui même se comporte (mithalekh) (Gn, 3, 8). Etre « mithalekh » c’est bel est bien se comporter de manière homologue au comportement du Créateur, donateur de la vie et dispensateur de la survie, du méh’ayé comme le désigne le Livre des Chroniques repris dans la prière du matin. Aussi dans le fameux chapitre 11 du Traité Sanhédrin du Talmud de Babylone est-il indiqué que tout ce qui dans le texte biblique s’énonce au futur grammatical se rapporte à la résurrection. Envisager l’avenir c’est bel et bien après avoir été re-suscité.

3. REVIVISCENCE ET RESURRECTIONLA VISION D’EZECHIEL.

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Mais par de tels développements ne sommes-nous pas portés à biaiser avec la question véritablement posée: la résurrection des morts est elle concevable, non pas dans le sens qui vient d’être indiqué et qui, si l’on n’y prend garde, ne fait que déplacer la difficulté du plan individuel à celui de l’espèce pour mieux éluder les difficultés de l’interrogation sur le seul plan qui compte, le plan personnel? Pour l’exprimer en termes encore plus radicaux, est-il envisageable qu’un mort revienne à la vie, à la vie non pas au sens symbolique ou métaphorique mais à la vie « tout court »? En d’autres termes encore, la mort n’est-elle pas irréversible?

La question ne saurait être éludée puisque, hormis les personnages que l’on vient de mentionner, le récit biblique comporte plusieurs épisodes de résurrection et l’on retiendra ceux mentionnés à propos des prophètes Elie et Elisée et surtout le fameux chapitre de la prophétie d’Ezéchiel sur « la vallée des ossements » qui retournent effectivement à la vie conférant sa signification plénière à l’idée de téh’iat hamétim. Encore faut-il ne pas commettre d’erreur à propos d’un diagnostic de mort clinique comme l’enseignent précisément les épisodes précités d’Elie et d’Elisée et de retour non pas à la vie biologique disparue mais à la conscience de ceux que l’on croyait passés définitivement par les voies sans retour du trépas.

S’agissant du prophète Elie (IR, 17, 17), face à la « mort » proclamée de l’enfant qui pourtant fut tant attendu, le diagnostic est on ne peut plus précis. Le mal qui l’afflige ne laisse subsister en lui presque plus rien de sa néchama, donc comme on l’a dit, de son âme, au sens de la Genèse. Face à la révolte de la mère comment le prophète procède t-il? En tout premier lieu, il souligne face au Créateur en quoi la mort de l’enfant dans ces conditions serait moralement inacceptable. Après quoi interviennent des gestes thaumaturgiques dont le sens ne pourrait être restitué que par de véritables émules du prophète, notamment le « redimensionnement » de l’enfant moribond selon le corps et l’esprit d’Elie. Quoi qu’il en soit, la prière résurréctrice portera non pas sur la néchama proprement dite de l’enfant mais à un degré moindre sur son néphech, sur son principe vital. Et la prière d’Elie est exhaussée dans es termes exacts suivants: « L’Eternel entendit la voix d’Elie et la force de vie (nephech) de l’enfant revint en lui et il vécut ». Ce qui confirme clairement qu’en l’occurrence il s’agisse non pas d’une résurrection mais bien d’une reviviscence et il importait éthiquement qu’Elie ne fût pas surdimensionné tel un démiurge aux yeux de la mère et de son pauvre enfant.

Il n’en ira pas autrement dans l’épisode analogue concernant le disciple d’Elie, le prophète Elisée. Cette fois, l’enfant est frappé aux champs par une insolation et il mourut (vayamout). Une fois sollicité comment intervient le prophète? Selon la traduction de la BR, Elisée se munit de son bâton qu’il posa sur le visage de l’enfant mais « pas un souffle, pas un mouvement ». Le texte original ne dit pas exactement cela mais « pas de son (ein kol), pas de voix et pas de regard (ein kechev) » L’inertie et la perte d’attention deviennent les signes d’une perte de conscience mais celle-ci équivaut elle à une mort clinique? Quoi qu’il en soit l’enfant à ce moment ne revient pas à lui, il ne se réveille pas. C’est alors mais alors seulement que l’enfant est considéré mort (meth), « ayant été étendu sur sa couche ».

Suivent des gestes opératoires appelant les mêmes observations qu’à propos d’Elie. A la lettre, Elisée translate « son être vers celui de l’enfant considéré comme mort et celui ci « éternua par sept fois et ouvrit les yeux » avant d’être restitué à sa mère. Le plus significatif reste alors le verbe hébraïque rendu ici par « translaté »: « vayghar » construit sur la racine HR qui désigne la conception et la conceptualisation mais également une disposition particulière de l’esprit, sa disposition sans doute la plus vitale que restitue le proverbe de Salomon: « Le cœur empli de joie (lev saméah’) favorise la guérison (yetiv guéhé) (Pv, 17, 22). Et Radak de commenter, confortant une de nos précédentes notations: le cœur heureux est bénéfique pour le corps comme l’est la médication, la rephoua. Quels qu’en soient les degrés, la résurrection a partie liée avec la joie en ce que celle–ci est l’affect électif du vivant, son affect originellement inductif ou sinon reconstituant, selon les situations.

Ainsi en arrive t-on à la vision d’Ezéchiel dans « la vallée des ossements ». Le chapitre 37 d’Ezéchiel déploie à cet égard une des visions les plus quintessentielles de la conscience humaine. Un ouvrage entier ne suffirait point pour en rendre compte et l’on n’en proposera pas une analyse exhaustive dont in trouvera maints éléments dans d’autres commentaires encore qu’ils s’assujettissent tous aux considérations du Traité H’agiga du Talmud. Seuls nous retiendront les éléments de ce récit visionnaire relatifs à la résurrection des morts, expressis verbis, selon les termes mêmes de l’injonction divine lorsqu’elle eut disposé le prophète de l’exil face aux amoncellements d’ossatures en apparence plus sèches que du bois mort: « Il me dit: « Fils de l’homme (ben adam), ces ossements (âtsamot) peuvent-ils revivre (hatih’yéna)? ».L’interrogation est explicite: elle s’adresse à Ezéchiel en tant que « fils de l’Homme », replacé de la sorte dans l’interrogation initiale adressée alors à Adam «: « Où es tu? » et à laquelle il n’avait pas su ou n’avait pas cru devoir répondre, avec les conséquences que l’on sait.

Tout se passe comme si dans cet ossuaire, était élevé l’appel, au sens juridique et prophétique, contre la défection initiale relatée par la Genèse. Et cette fois le prophète de répondre, comme s’il se situait avant la consommation létale du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, devenus indiscernables: « Je répondis: « Seigneur Dieu, toi tu le sais ». La fauté générique, celle de la connaissance fallacieuse, ne se répètera pas. D’où ce qui suit: « Il me dit: « Prophétise sur ces ossements et dis leur: « Ossements desséchés, écoutez la parole de l’Eternel ». La réduction à l’état de squelette ne signifie pas l’extinction absolue de toute vie. Un reste subsiste perceptible pas un esprit doué de prophétie, de nevoua, ce qui conduit par cette voie à une autre définition de celle-ci qui ne l’associe pas exclusivement à la capacité de prédire ou d’annoncer mais à celle de discerner les moindres traces du vivant là où on l’y chercherait le moins. Car en hébreu si êtsem désigne l’os il désigne aussi l’essence non dégradable des êtres et des choses et l’on observera qu’une des étymologies possible de ce mot le relie à Êts(M): l’arbre.

Après quoi les opérations résurrectrices s’enchaînent. Plusieurs verbes qui interpellent directement ces ossements les décrivent. Ils forment entre eux, méthodiquement, une première séquence: « Voici je vais faire passer en vous un souffle (rouah’) et vous (re) vivrez (h’éytem) ». L’insufflation constitue l’opération princeps. Elle sera suivie de cinq autres: «Je mettrai (natati) sur vous des nerfs(guidim) et je ferai monter sur vous(vééâléti) de la chair (bassar), et je vous envelopperai (vékaramti) d’une peau (ôr) puis je mettrai en vous (natati) l’esprit (rouah’) et vous vivrez et vous saurez que je suis l’Eternel ». L’ordre dans lequel ces verbes sont successivement énoncés reconstitue celui des opérations résurrectrices. Dans le cadre de cette étude nous nous contenterons d’en prendre acte. On soulignera néanmoins que le dernier des verbes ainsi énoncés concerne la connaissance de Dieu qui relève l’Humain de sa propre pseudo- connaissance tandis que la connaissance vivante et proprement dite est remise à sa juste et pleine place.

Après quoi une deuxième séquence intervient, non plus anatomique, si l’on peut ainsi s’exprimer, mais phonique, langagière, sollicitant à nouveau l’Humain réduit à cette dessiccation, en cet être de paroles (rouah’melalela) qui atteste de l’apposition du sceau divin, du tselem elohim. Le prophète prophétise comme le Résurrecteur le lui a demandé et il en résulta « une voix (kol) et du bruit (raâch) » produisant une reconfiguration des ossements, un rajointement précis et non pas aléatoire des os épars: « un os en fonction de son os (êtsem el âtsmo) ». Cependant, si les opérations annoncés dans la séquence précédente se réalisent toutes, l’insufflation elle n’a toujours pas lieu, ce qui souligne fortement qu’elle reste la plus décisive, que les autres n’en sont que les préparatifs.

A cette fin, une nouvelle « injection » prophétique est indispensable dont il faut bien saisir le sens: il importe cette fois que le prophète prophétise sur l’esprit prophétique dont se découvre une échelle double qu’il faut apprendre à conceptualiser selon ses résonances: « Il me dit: Prophétise sur l’Esprit, prophétise fils de l’Homme ». Et le prophète met en oeuvre à ce degré, incommensurable, l’injonction résurrectrice: « Et je dis à l’Esprit (rouah’): « Ainsi parle le Seigneur Dieu: « Des quatre Esprits (ou directions): viens Esprit et inspire ces assassinés (harouguim) et ceux là vivront ».

Le prophète accomplit ce qui lui a été demandé: « Et il advint en eux l’Esprit et ils se mirent à vivre et ils se (re) dressèrent sur leurs pieds en une innumérable configuration de vie (h’ayl) ». La contiguïté alphabétique des mots h’ayl et h’aym est on ne peut plus frappante. Si la résurrection « technique » ou opérationnelle se parachève de la sorte, elle n’est pas encore accomplie selon sa signification, laquelle à présent doit se délivrer: « Alors il me dit: Fils de l’Homme, ces ossements c’est toute la Maison d’Israël ».

Deux niveaux de résurrection se discernent à cette fin et le second eût risqué de se réduire à une métaphore ou à une allégorie si le premier n’avait pas été décrit de manière aussi précise et aussi méthodique car il n’est de mort certaine, de mort absolue et cette fois irréversible que celle engendrée par le désespoir, l’abdication de toute espérance (avda tikvaténou) ». Il faudrait d’ailleurs en reconsidérer plus amplement et plus profondément qu’il n’est fait habituellement les incidences lors de la transgression originelle. La désespérance annihilatrice prendra fin et les tombeaux se rouvriront. De sépultures redeviendront des matrices de vie. Les corps individuellement ressuscités inciteront à la résurrection du peuple proprement dit, selon son échelle spécifique ; ce peuple né à nouveau qui s’en reviendra de l’exil létal auquel il semblait avoir été condamné sans aucune instance d’appel qui puisse l’entendre. Et là non plus, il ne s’agit pas d’allégorie ou de métaphore mais de résurrection plénière: « Je mettrai mon esprit (rouh’i) en vous et vous (re) vivrez (h’eytem) et je vous ferai trouver le repos (hinah’ti) sur votre terre et vous aurez connaissance (yadaâtem) que je suis l’Eternel qui a parlé et qui a accompli, affirmation de l’Eternel ».

On aurait pu penser que la vision prophétique d’Ezéchiel trouve elle aussi en ce point son parachèvement. Pourtant elle se poursuit et se prolonge, ce qui ne saurait avoir d’autre sens que de la raccorder à l’histoire du genre humain puisque c’est en lui et par lui que la mortalité s’est instituée dans l’humanité par la consommation du fruit létal de l’arbre que l’on sait. Ce sera donc en ce point d’origine qu’il faudra remonter.

La parole de l’Eternel advint à nouveau au prophète. Que lui enjoint elle? Il faut alors traduire aussi rigoureusement que possible: « Or toi fils de l’l’homme prends une pièce de bois (êts eh’ad) et écrit dessus: « Pour Juda et pour les enfants d’Israël ses associés (son compagnon): « h’avéro » (BR). Il est à craindre que pour aussi méritoire qu’elle soit cette traduction fût inexacte et source de contre-sens. Car à l’évidence ÊTs eh’ad ne veut pas dire « pièce de bois » mais « arbre unique » ou plus précisément encore: « arbre-un », sans équivalent. On voit mieux comment la traduction de la BR éloigne du récit de Béréchit et comment l’autre y reconduit directement. Ce que confirme la suite de la prophétie en cours puisque Ezéchiel est incité à prendre à nouveau non pas « une autre pièce de bois » mais un nouvel « arbre- un », relatif cette fois à Joseph et à Ephraïm, dans la fraternité difficultueuse de Juda, et d’y porter une mention homologue. N’assistons nous pas ici simplement à une opération de symbolisation? Certainement, à condition de ne pas en abraser le niveau puisque l’opération se poursuit en ce nouveau geste qu’il faut traduire conceptuellement sans se laisser déconcerter par les singularités grammaticales du verset qui les restitue et qu’il faut savoir entendre: « Rapproche ces pièces l’une de l’autre (karav otham éh’ad el éh’ad) pour n’avoir qu’une pièce unique (leêts éh’ad) et elles seront réunies dans ta main (véh’ayou laah’adim beyadehha) ». Retraduit conceptuellement et linguistiquement, le texte originel dispose en réalité: « Approche les l’un vers l’un pour avoir un arbre -un et ils seront unifiés en ta main ».

On mesure mieux à quel point en cette vision apparaît prégnante non pas l’obligation banale de complémentarité- l’un complétant l’autre, comme il se doit – mais celle de reconstituer de plus hauts degrés et de plus fortes densités de l’unité elle même puisque « l’un » doit se conjoindre non pas à l’autre mais à l’« un » pour former un « un » encore plus unifié qui ne se confonde avec nul isolat [6].Ce qui est destiné précisément à susciter le questionnement d’Israël en direction de l’Eternel: « Ne nous diras – tu pas ce que ceux là sont pour toi »? N’est- ce pas à ce moment précis que l’Humain est relevé de ce qui fut son désistement devant la toute première question que le Créateur lui adressa: « Où es tu? » et à laquelle il ne répondit pas? La réponse divine, elle, s’énonce maintenant en ces termes: « Je vais prendre l’arbre de Joseph qui est dans la main d’Ephraïm et des rameaux d’Israël son compagnon et je lui assignerai l’arbre de Juda et j’en ferai un arbre -un (êts éhad) et ils seront un dans ma main ».

N’eût été la récurrence de l’« arbre-un », il eût été loisible de trouver déjà en cette vision et dans le récit qui la restitue l’aspiration à la reconstitution ethnique d’un peuple se refusant de toutes ses forces à se dissoudre dans une histoire désespérée, dans un exil fatal. Les dimensions de cette vision sont telles qu’en réalité elles en font remonter les témoins en deça des survenues de la mort, lorsque l’Humain, plutôt que de consommer du seul arbre de vie, du seul « arbre-un », dirigea sa prise vers l’arbre contraire, diffractif et composite, vénéneux et rémanence du tohu-bohu, en lequel le bien et le mal » copulent, se mêlent au point de devenir indiscernables, le bien devenant mal et le mal se faisant « bien » ; vers cet arbre sans orient, agrippé au chaos: celui du « bien – et – du – mal », comme s’ils étaient équivalents, équipollents et homologues, aucune durée de vie ne suffisant plus pour en clarifier les opacités et en démêler les contre-sens.

Jusqu’au moment où à nouveau le Créateur vient faire prévaloir les droits imprescriptibles de la Création et de l’irréfragable bénédiction qui – ne l’oublions jamais – s’y attache. La mort marque un terme. Elle n’est pas un horizon et si elle venait à obscurcir celui de la vie, la résurrection y replacerait sa lumière première, bonne et incorruptible.

                               Raphaël Draï

[1]Cf. Alfred North Whitehead, Procès et réalité, Gallimard,1995.

[2] Cf. Raphaël Draï, Totem et Thora. L’énigme de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, Hermann, 2011.

[3] Celle des enfants d’Aaron, Nadav et Avihou (Lv, 16).Le commentaire du Zohar sur la paracha concernée(Ah’aré moth) est décisif au regard des questions ici abordées.

[4] Ici organe de l’emprise.

[5] Il faudrait reprendre sous cet angle l’institution du lévirat, du yboum et tout le Traité Yévamot du Talmud.

[6] Pour le Zohar (Kedochim) le Un ainsi entendu ne se conçoit que dans la complétude fructifère du masculin et du féminin, de même que sont considérés comme « Un » les téphiline, les phylactères complémentaires et coordonnés de la tête et du bras qui s’ajustent puis se détachent néanmoins dans l’ordre, le séder, suivant: pour les attacher l’on commence par celui de la tête et l’on finit par celui du bras,mais pour les détacher l’on commence par celui du bras. C’est cet ordre- là qui est transgressé par l’emprise exercée sur l’arbre de la connaissance (du) bien et (du) mal que précède dans l’implantation édénique l’arbre de vie, selon le schème suivant: 1) arbre de vie, 2) arbre de la connaissance, d’abord du bien et ensuite seulement 3) du mal.Le renversement de cette Loi aboutit à instaurer la prévalence du mal sur le bien, et celle de leur mixture sur l’arborescence de vie qui recommencera pourtant avec la conception, la naissance et la qualification de Chet, l’enfant de la connaissance et de la reconnaissance.

LE SENS DES MITSVOT: PARACHIOT NITSAVIM-VAYELEKH

In Uncategorized on septembre 18, 2014 at 8:26

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« Vous êtes placés (nitsavim) aujourd’hui, vous tous, en présence de l’Eternel votre Dieu: vos chefs de tribus, vos anciens, vos préposés, chaque citoyen d’Israël ; vos femmes, vos enfants et l’étranger qui est dans tes camps, depuis le fendeur de bois jusqu’au porteur d’eau, afin d’entrer dans l’Alliance de l’Eternel ton Dieu (Berith Hachem Elohékha) ». Dt, 29, 9 à 11. Bible du Rabbinat.

 

Le mot déterminant est ici NiTsAVim, approximativement traduit par « placés ». Mais que signifie justement ce placement? Il faut s’arrêter à la racine de ce terme: TsB(V) que l’on retrouve précisément dans MiTsVa. La disposition actuelle du peuple d’Israël n’est pas seulement géographique ou topographique. Nitsavim désigne autant une disposition physique qu’un état de l’Être. Que les Bnei Israël, en ces parachiot conclusives, soient caractérisés par ce terme signifie alors qu’ils se trouvent intégralement dans les liens de l’Alliance, obligés par une Loi qui transcende les catégories sociales et qui concerne autant le citoyen, l’ezrah’, que l’étranger, le guer. Autrement dit encore, le peuple qui s’apprête à traverser le Jourdain pour investir la terre de Canaan et la restituer à sa vocation première, ce peuple n’est certes plus celui du Veau d’or ou des récriminations incessantes, toujours sous l’emprise parfois hallucinatoire de ses désirs et sa fallacieuse nostalgie d’une Egypte imaginaire. Ce peuple est devenu, après maintes épreuves, celui de la Thora, des 613 mitsvot, et c’est en ce sens précis que tous ses membres, sans exception, sont qualifiés de nitsavim. En eux, la Thora s’incarne. Par eux elle devient effective et efficiente car, et on le répétera jamais assez, en entrant en terre de Canaan ils sont pour mission d’en faire Eretz Israël et non pas de devenir à leur tour des Bnei Canaan. Les Livres des Juges et des Rois relateront d’ailleurs à quel point cette tâche fut difficile et les échecs auxquels elle se heurta.

Cependant, il est possible de soutenir que cette qualification des Bnei Israël, au moment où Moïse s’apprête, non sans arrachement, à les quitter, ayant passé le relais à Josué, va bien plus loin que leur propre condition. Elle concerne l’être même de l’Humain, de Haadam. Souvenons-nous de la manière dont celui-ci fut situé dans le Jardin d’Eden – pour employer cette image: « L’Eternel-Dieu prit donc l’homme et l’établit dans le Jardin d’Eden pour le cultiver et le soigner.L’Eternel Dieu donna un ordre à l’homme (VaYTsaV Hachem Elohim âl Haadam), en disant : « Tous les arbres du Jardin, tu pourras t’en nourrir, mais l’arbre de la science du bien et du mal tu n’en mangeras point; car du jour où tu en mangeras, tu dois mourir » (Gn, 2, 15 à 17) (Bible du Rabbinat).

Que constate t-on? C’est pratiquement un même terme qui désigne la situation de l’Humain au Jardin d’Eden, où il apparaît déjà comme le sujet d’une Loi, d’une MiTsVa générique, qui se décline selon le Midrach en plusieurs catégories de mitsvot spécifiques, et qui caractérise la situation des Bnei Israël au moment de traverser le Jourdain dans le but que l’on a rappelé. Cette identité de terme signifierait que si l’Humain au Jardin d’Eden n’a pas su assumer et mettre en oeuvre la Mitsva générique formulée par le Créateur à son intention, et s’il en est résulté d’une part l’apparition de la mortalité parmi les hommes, et d’autre part, l’externalisation de l’Humain du Jardin vital où il avait placé, à présent, les Bnei Israël, au terme de quarante années d’un incessant travail sur soi, sont en mesure de relever l’humanité première de ses défaillances initiales. L’Humain premier était en quelque sorte MouTsaV, assigné à une loi – et l’on retrouvera toute cette terminologie à propos de l’Echelle de Jacob (Gn, 28, 12) – mais il n’a pas tardé à céder à d’autres impulsions.

A présent ces impulsions-là, même si elles n’ont pas été complètement liquidées, se retrouvent néanmoins liées par une Alliance particulière, l’Alliance de la Thora, qui n’est « ni au delà des mers ni au delà des cieux » mais qui se trouve au plus proche de notre âme et de nos capacités réflexives.

R. D.

BLOC-NOTES: SEMAINE DU 8 SEPTEMBRE 2014

In Uncategorized on septembre 15, 2014 at 9:16

9 septembre.

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Qui l’eût cru? Arnaud Montebourg et Aurélie Fillipetti, main dans la main, pour nous contenter d’une litote, en Californie, après leur éjection du gouvernement Valls II ! Par les temps actuels, plus rien n’étonne mais l’on peut se demander si ce couple-là donne l’image la plus convaincante du socialisme pur et dur auquel il se réfère sans cesse. En réalité, et tant qu’à évoquer des images, celles que véhicule l’hebdomadaire qui a vendu la mèche, est celle d’êtres pour lesquels l’idée de lien et la notion d’obligation semblent sans signification ou en tous cas sans portée personnelle. D’abord, comment s’autorise t-on à nouer de telles relations alors que l’on se trouve en charge de ministères importants qui semblent tout de même requérir un tout autre état d’esprit? Et ensuite, alors que le chômage et la précarité ne cessent de s’étendre, comment ose t-on s’accorder aux frais de l’Etat – les ministres remerciés conservent leur traitement durant six mois – des vacances de stars aux Etats-Unis, comme si l’on n’avait aucun compte à rendre, à personne? En réalité, pour cette mouvance, seule compte la conquête du Pouvoir, au somment de l’Etat s’il se peut. « Droite » et « gauche » ne désignent que les voies pour y parvenir et si l’une a été empruntée c’est tout simplement parce que l’autre était encombrée. Entre-temps, et s’agissant des dégâts de sa propre gestion ministérielle, Arnaud Montebourg aura coalisé contre le gouvernement actuel l’ensemble des professions dites libérales, menacées du fouet au motif que notaires, huissiers, médecins, pharmaciens, greffiers, etc.. s’en mettent plein les poches et qu’il faut leur faire rendre gorge. Ici, c’est l’analphabétisme social et politique qui frappe. La plupart de ces professions exigent pour leurs titulaires des études fort longues et donc une entrée tardive dans la vie active. Ensuite il faut lourdement s’endetter pour acquérir étude, fonds, officine, cabinet. Tel est le principe de réalité. A quoi il faut ajouter que ces professions pour la plupart sont intensément sociétales; que ces cabinets, officines, études etc.. sont d’éminents lieux relationnels où la parole peut librement s’exprimer avec ce qu’elle charrie parfois de désarroi ou de détresse. Voilà à quoi s’attaque à présent une politique qui faute de savoir construire ne sait que déprécier et détruire. L’Etat major du FN l’a bien compris. Il se tourne vers ces professions agressées qui annoncent une grève inaugurale et collective pour le 30 de ce mois. François Hollande engagé en première ligne contre les forces de l’Etat Islamique, doit y prendre garde: vouloir être chef de guerre exige une plus grande cohérence institutionnelle et personnelle. Faute de quoi, au lieu d’impressionner l’ennemi l’on provoque ses dérisions et l’on encourage ses pires audaces.

11 septembre.

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Tandis que Barack Obama vient de déclarer verbalement la guerre totale contre l’Etat islamique auquel il n’assigne, toujours verbalement, qu’un seul destin: l’annihilation, ses alliés potentiels éprouvent quelque difficulté pour ajuster leur propre position dans l’entreprise. Ainsi le Premier ministre britannique s’est vu contraint de déjuger son ministre de la défense après que celui-ci avait déclaré que l’armée britannique ne procèderait jamais à des frappes dans la région. Il est vrai que depuis quelques semaines David Cameron a pour ainsi dire la tête ailleurs. L’Ecosse doit voter pour ou contre son indépendance. Vieille histoire dont on peut retrouver les dilemmes et les héros notamment dans les romans de Walter Scott. Mais la revendication indépendantiste écossaise révèle aussi des tendances et propensions plus actuelles: celles qui incitent d’anciennes nations, transformées en régions à configuration plus ou moins étatique, à sauter le pas et à reprendre leur statut d’antan. Rien n’assure cependant que de telles tentatives ne conduisent pas à changer de sujétion. L’irrationnel est bien une donnée immédiate de la vie politique, notamment internationale. La sagesse consistera donc pour les responsables en charge de ces affaires de ne pas attendre la dernière minute afin aménager ce qui doit l’être. On imagine difficilement l’Angleterre sans l’Ecosse et l’Ecosse sans l’Angleterre. Sans parler du Pays de Galles, l’Irlande soulevant d’autres questions plus graves et douloureuses. La leçon vaut pour d’autres parties du monde. On le constate avec l’Ukraine. Sans parler de l’Irak. La Russie est elle même constituée de plusieurs dizaines d’autres entités. Que deviendrait la nation russe si chacune revendiquait son indépendance? Il faut relire le conte de Daudet: « La chèvre de Monsieur Seguin ».

14 septembre.

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Les grandes œuvres découvertes une première fois, intégralement, puis relues, et relues encore, incitent ensuite à de brefs passage dans telle ou telle de leurs avenues ou de leurs paysages. Repris pour quelques heures le tout début d’« A la recherche du temps perdu », de Proust. Plus que jamais ce début qui relate un endormissement puis un soudain réveil déconcerte et émerveille par son imprévisibilité et par sa volumétrie. En apparence quoi de plus simple et banal que de se mettre au lit et de s’endormir, pour se réveiller, identique à soi même, le matin venu ou revenu? Selon Proust, il en va tout autrement. S’endormir, c’est se désancrer difficilement d’un monde dont l’on est une partie vivante. D’où la difficulté d’un pareil détachement. Le rapide retour de vie vigile intervient alors dans un univers qu’il faut reconstituer, un élément après l’autre. On ne se réveille jamais seul mais avec cet univers qui fut à chaque instant construit, dont on fait partie et auquel nous relie un visage aimé, une main rassurante. D’où pour le narrateur le besoin indéfectible de la présence maternelle. Pour la Mère, venir chaque soit dire « bonsoir » à l’enfant qu’il fut, c’est l’assurer qu’après avoir gagné la haute mer du sommeil, il reviendra toujours au port, heureux d’avoir accompli ce périple sombre durant lequel l’âme se détache du corps et ne se manifeste plus que par nos rêves qu’il faut toutefois apprendre à déchiffrer.

L’ETAT ISLAMIQUE ET LA PROCHAINE « SALE GUERRE » – Radio J – Sep 14

In Uncategorized on septembre 15, 2014 at 8:28

Enfin, après des mois et des mois de tergiversations et d’atermoiements, Barack Obama, avec un grand nombre de pays européens et de pays arabes, a décidé de mener une guerre à outrance contre l’Etat Islamique du calife El Baghdadi. Chacun semble avoir maintenant compris le danger mortel que représente cet Etat que le qualificatif de « barbare » ne suffit pas à caractériser. Cet Etat – encore que, pour ce qui le concerne, ce terme soit juridiquement impropre – cet Etat donc, pour le nommer ainsi, se prévaut d’un principe: celui de n’en respecter aucun. Est considéré comme loi ce qu’il décrète tel. Cette loi est simple: l’Islam, et l’Islam tel qu’il le comprend, pour toute la planète! Autrement, il n’est d’autre issue que la mort dans les conditions les plus abjectes, sans aucun respect, y compris pour les cadavres.

Pour l’instant, seules les forces irakiennes et kurdes sont engagées, militairement parlant, contre les unités de l’Etat islamique. Et il semble bien que la guerre en cours, là encore, soit menée à outrance. Ce n’est peut être pas le moment de faire des comparaisons avec l’opération israélienne menée contre le Hamas à Gaza mais puisque l’on évoque à ce propos d’éventuels « crimes de guerre » commis par l’armée israélienne sur ce théâtre d’opérations, il faut savoir qu’en Irak, du fait de la dissémination une fois de plus d’élément armés parmi les populations civiles, les bombardements de l’armée irakienne ont déjà causé un nombre considérable de victimes civiles, infiniment plus nombreuses qu’à Gaza.

S’agissant de la guerre décidée par les Etats Unis, l’on attend également de voir aussi comment elle sera menée. En l’occurrence, il ne s’agit ni de Sadam Hussein ni de Kaddafi. On l’a dit, l’Etat islamique ne respecte aucun principe, ne reconnaît aucune loi. Il inculque à ses adeptes le mépris de la mort et même sa recherche intentionnelle. Ce qui conditionne sa manière de combattre alors qu’il exerce son emprise sur d’importants contingents d’otages dont il n’hésitera pas un seul instant, en cas de nécessité, à faire l’usage que l’on peut imaginer sans peine. Sur les territoires dont il s’est emparé par de véritables actes de piraterie internationale, nul doute non plus qu’il saura dissimuler ses forces au sein des populations locales de sorte à pousser la coalition à commettre ce qu’il qualifiera cyniquement ensuite de « crimes de guerre ».

Pour l’instant, Obama en est au montage de cette coalition complexe pour ne pas dire hétéroclite où l’Iran traîne déjà des pieds et il doit y consacrer un temps considérable que l’Etat Islamique utilise d’ores et déjà pour parer à ses futures opérations. Des opérations dans lesquelles la France engagée au Mali et en centre Afrique se porte en première ligne, avec tous les risques sécuritaires qui s’ensuivent sur son territoire national, à commencer pour la communauté juive. Prés de 1000 djihadistes de nationalité française opèrent déjà pour le compte de l’Etat islamique. Autant en être conscients et s’y préparer.

                         Raphaël Draï zal, Radio J, 15 septembre 2014

LE SENS DES MITSVOT: PARACHA KI TAVO

In Uncategorized on septembre 11, 2014 at 2:06

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« Or, quand seront survenus tous ces événements, la bénédiction et la malédiction que j’offre à ton choix (…), que tu retournes (véhachévota) à l’Eternel ton Dieu et que tu obéisses à sa voix en tout ce que je te recommande aujourd’hui (…) ton Dieu te prenant en pitié mettra un terme à ton exil (vechav Hachem Eloheikha) et il te rassemblera du sein des peuples parmi lesquels il t’aura dispersé » (Dt, 30, 1 à 3).

Bible du Rabbinat.

 

Tout au long des précédentes parachiot l’on a reconnu à quel point importait pour les Bnei Israël, l’esprit de suite, le sens des conséquences attachés à nos actes, l’esprit de responsabilité, individuelle et collective. Autrement, il ne faut pas imaginer, comme on l’a vu aussi, qu’il ne se passera rien, que la loi divine resterait lettre morte. Le choix est pour chacun: soit l’observance et la mise en pratique de la loi, soit le rejet de celle-ci. Dans ce dernier cas, l’issue est inévitable: la dispersion parmi les nations lesquelles imposeront aux exilés leur propre loi dont il n’est pas sûr qu’elle s’avèrera loi de justice et de mansuétude. Dans ce cas rien d’autre n’attendrait le peuple du Sinaï que la désespérance et la déréliction?

C’est ici qu’intervient un concept majeur de la pensée hébraïque, sans doute sans équivalent dans toutes les autres formes de pensée et de culture: celui de téchouva, de retour, de «revenance» qui présente ceci de particulier: la téchouva de l’homme suscite la téchouva de Dieu.

Quel est avant tout le sens même de ce concept? Il se discerne, certes, dans celui de retour. Le retour n’est pas la répétition mécanique. S’en retourner, revenir sur ses pas, signifie que l’on dispose d’une réelle liberté de mouvement; qu’il n’est rien d’irréversible, qu’il n’est rien d’irréparable, qu’il n’est rien de fatal. L’être qui se trompe de chemin et qui ne peut revenir en arrière est condamné à une angoissante errance. Au contraire, s’il peut s’en retourner, il retrouvera peut être d’autres repères, d’autres balises qui lui permettront de reprendre plus sûrement son cheminement vers l’avenir.

Telle est la caractéristique de l’être humain conçu comme créature divine. Il fait partie d’un univers dont les mouvements profonds ne sont pas à sens unique. Ce qui découle de l’institution originelle du chabbat. TeChouVa et ChaBBaT sont deux vocables construits sur la même racine : ChB (V). Le septième jour, ou la septième phase de la Création est celle au cours de laquelle la réflexion prend le relais de l’action, la pensée celui de l’agir. Autrement, la Création se réduirait à un fait accompli déterminant de soi les phases à venir sans possibilité de modification, de correction, d’adaptation. C’est surtout de cet enchaînement dont il est question dans la paracha dite des kélalot, des malédictions. Celles-ci se substituent à la bénédiction lorsque, faute de préserver pour soi même mais également pour autrui, cette capacité de choix, cette aptitude à la réversibilité, l’on s’abandonne au cours des événements, qu’on en devient le jouet, bientôt brisé.

Pareille leçon n’a pas été comprise précisément par les nations au sein desquelles par deux fois le peuple d’Israël a été exilé, faute d’avoir observé comme il le devait – puisqu’il s’y était engagé – les termes de l’Alliance, de la Berith .Pourtant, si l’exil fait partie de la condition humaine il n’a rien d’irréversible non plus. La présence des Bnei Israël sur la terre que Dieu a dévolue à leurs pères reste conditionnelle mais l’exil est également conditionnel et persiste pour autant que le peuple qui en est affligé n’est pas revenu sur ses pas, n’a pas fait oeuvre de réflexion, n’a pas réfléchi aux erreurs qui ont marqué son trajet pour le mener dans les sables mouvants de l’Histoire.

Dès lors qu’il redevient capable de téchouva, plus rien ne demeure figé et irréversible puisque lui même ayant recouvré son aptitude à penser, et donc sa capacité de décision, l’être humain n’est plus une chose parmi les choses mais redevient un sujet actif et conscient de l’Histoire. Toute téchouva est marquée du signe de la réciprocité: dès l’instant où l’homme réactive la sienne, le Créateur de son côté n’est pas de reste et par sa propre « revenance », par son aptitude à la compassion et au pardon, accentuera et renforcera ce mouvement initial.

Telle est la leçon des mois de Eloul et de Tichri. Si Pessah commémore le recouvrement de la liberté des corps, Eloul et Tichri commémorent le recouvrement de la liberté plénière de l’esprit.

R.D.

Bloc-Notes: Semaine du 1er Septembre 2014

In Uncategorized on septembre 8, 2014 at 10:59

2 septembre.

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Que dire du bouquin de l’ex-première dame de France et qui n’ajouterait pas à la nausée ambiante? En aurait-on parlé autant si l’ « auteure » n’avait occupé les fonctions qui furent les siennes et si elle n’avait pas été la concubine en titre de l’actuel chef de l’Etat? L’énormité du tirage initial permet de vérifier une fois de plus l’assertion de Moréno, l’inventeur du psychodrame: le prolétariat économique n’est rien à côté du prolétariat moral qui traverse toutes les classes et toutes les catégories socio-professionnelles. Aucune réponse véritable de François Hollande. Sens de l’Etat ou nouvelle manifestation d’impuissance? François Hollande fait penser à ces boxeurs qui se bourrent d’analgésiques pour ne plus sentir les coups qui leur sont assénés. A l’université d’été du PS à la Rochelle son nom a été cité a minima et par le seul Manuel Valls qui dévisse lui aussi dans l’opinion publique. Un parachute pour deux ne semble plus suffisant pour les responsables principaux de l’Exécutif. Bien sûr et institutionnellement parlant François Hollande, élu au suffrage universel en 2012, est en poste jusqu’en 2017. Nul n’est en mesure de le déloger contre sa volonté de l’Elysée. Mais à 13% d’opinions favorables, les débats de conscience deviennent inévitables et sont même salutaires pour la sauvegarde du bien public. Encore faut-il qu’en face une opposition véritable soit constituée. Du côté de Nicolas Sarkozy, ce n’est que silence. L’ancien président doit lui aussi y prendre garde. Si son silence est tactique, il pourrait également passer pour indécision et mise en balance calculatrice de ses intérêts personnels et du bien public. Et puis le temps politique va tellement vite que le visage de Nicolas Sarkozy s’efface de plus en plus dans la mémoire collective. Si Alain Juppé, François Fillon, Hervé Mariton entendent occuper le terrain, on les sent étroitement entravés par les supputations sur le «retour» de leur ancien chef. Qui donc profite alors pleinement de la situation? A n’en pas douter le Front National qui réussit à agréger autour de son état-major des têtes nouvelles. Marine le Pen bénéficie de sondages paradisiaques. Tous la placent en tête au premier tour d’une présidentielle qui se déroulerait, il est vrai, dans l’immédiate configuration politique, sociale et morale de la France. On peut se rassurer à bon compte en se disant que dans la société du vide un événement chasse l’autre et que dans un mois plus personne n’évoquera plus les scandales du Palais adultérin. Il faut pourtant prendre garde aux effets de masse. Depuis plus de deux années, le Président «normal» marche sur la tête et il semble être le seul à ne pas s’en rendre compte.

  

4 septembre.

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L’OTAN change de Secrétaire Général et à cette occasion redéfinit ses missions. Il semble loin, bien loin le temps de la Guerre froide, lorsque se faisaient face comme deux bêtes de l’Apocalypse, l’OTAN, l’organisation politique et militaire du monde libre, et les forces du Pacte de Varsovie. Depuis l’engloutissement de l’URSS et des démocraties populaires dans le néant de l’Histoire, l’on pouvait croire et espérer que l’OTAN aussi n’avait plus de raison d’être. Il n’en est rien. Deux nouveaux dangers menacent le monde libre, ou ce qu’il en reste: le djihadisme mondialisé et le «poutinisme» inébranlable. Il est vrai que les deux menaces ne sont pas de même nature. Poutine veut reconstituer la Russie de Pierre le Grand, si ce n’est de Staline. Il entend que le pays dont il est devenu le Maître soit considéré comme une véritable et incontestable grande puissance. A cet égard, il ne fait aucun sentiment et répond aux sanctions que l’UE ou que les Etats-Unis prétendent lui imposer par des sanctions analogues et par des représailles symétriques. C’est pourquoi il ne considère pas d’un bon œil les nouveaux réagencements de l’OTAN surtout lorsque les anciennes démocraties populaires sont sollicitées pour la rejoindre. L’Ukraine, entre autres, est devenu le théâtre de ce bras de fer et l’on constate en direct ce qui lui en coûte. Quant au Khalifat mondial, Obama s’est enfin engagé à détruire le monstre. Pour l’heure, il tente de constituer une coalition ad hoc dans laquelle devraient figurer nombre de pays arabes. Lorsque l’on s’en va combattre dans le désert il faut avant tout ne pas oublier son parapluie.

 

7 septembre.

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Repris le dernier volume de L’Histoire de France, le monument historiographique et littéraire de Michelet. A propos de la Révolution Française, une question ne cesse d’intriguer: comment passe t-on, en un peu plus de trois ans, de la réunion bonasse des Etats Généraux à la décapitation de Louis XVI, en attendant les massacres fratricides et délirants de la Terreur? Pour s’en faire une idée il faut lire ou relire ce que Michelet décrit dans ce volume, notamment dans les chapitres consacrés à «l’agonie de la monarchie». Bien sûr, il y eut la banqueroute financière mais celle-ci eut été réparable si, en son temps, Louis XV n’avait pas réduit la Royauté à ses déjections orgiaques et même – Michelet le laisse entendre – à des pratiques incestueuses. Le crédit financier n’est qu’une dérivée du crédit moral. Louis XVI de ce point de vue se montrera infiniment moins dépravé que son grand- père et n’entretenait pas de harem pédophilique. Mais au printemps de 1789, il était sans doute déjà trop tard. L’institution monarchique se trouvait moralement en ruines. Tout lui fut désormais imputé comptant. Le ci-devant Roi n’eut pas même droit à un véritable procès. Ce qui est présenté sous ce nom ne fut qu’un assassinat rituel. Parmi ses assassins, Robespierre et Saint-Just périront à leur tour sous le couperet de la guillotine. Agonie de la monarchie, dévoiement de la Révolution: dans les affaires humaines rien ne peut remplacer le sens de la mesure et l’exercice de la sagesse.

RD

LE SENS DES MITSVOT: KI TETSE

In Uncategorized on septembre 3, 2014 at 4:42

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« Quand tu entreras dans la vigne de ton prochain (réêkha), tu pourras manger des raisins à ton appétit (kénaphchékha), jusqu’à t’en rassasier, mais tu n’en mettras pas dans ton panier. Quand tu entreras dans les blés de ton prochain, tu pourras avec la main arracher des épis mais tu ne porteras pas la faucille (rémech) sur les blés de ton prochain »

Dt, 23, 25, 26. Bible du Rabbinat.

 

Selon Rachi, ces règles concernent l’ouvrier qui s’en vient travailler dans la vigne appartenant à autrui ou dans son champ de blé, à l’époque donc de la vendange et de la moisson. Dans les deux cas elles éclairent les particularités du droit social d’Israël, avec ses ouvertures mais aussi avec ses limites sans lesquelles il perdrait de son sens. D’où cette première observation.

Aussi bien dans le cas de la vigne que du champ de blé, le propriétaire n’est désigné par aucun autre terme qu’un terme intensément éthique, pour ne pas dire le terme éthique par excellence: celui de prochain, de réâ. Cette première observation est de longue portée. Elle permet de constater que la désignation d’autrui comme prochain est irréductible à aucune autre, sur aucun autre plan: social, patrimonial, fonctionnel. On pourrait juger cette vision naïve et illusoire, destinée à masquer les oppositions de classe, les distorsions patrimoniales. Sans doute mais l’on sait aussi où ont conduit toutes les politiques conçues en termes d’affrontements sans merci entre possédants et non-possédants, jusqu’à les constituer les uns vis à vis des autres en ennemis mortels. Toute l’histoire des révolutions abonde en exemples malheureusement destructeurs.

La particularité des institutions d’Israël est précisément de ne jamais perdre de vue la qualité de prochain dans quelque domaine où l’on se trouve, de prochain au sens du Lévitique

« et tu aimeras ton prochain comme toi même: Je suis l’Eternel »(19, 18). La qualité de prochain se valide par un amour probant lequel ne peut l’être qu’en actes. Les fortunes se font et se défont. Les patrimoines fondent parfois comme neige au soleil. Le sort d’un être fait à la semblance divine ne peut pas dépendre de tels aléas ou coups du sort. Et lorsqu’il semble que le sort s’acharne sur lui, il appartient à qui jouit d’une meilleure fortune d’une part d’alléger ses tourments, d’autre part de tout faire pour y mettre un terme.

C’est pourquoi un ouvrier vendangeur, une fois qu’il a pénétré dans la vigne du propriétaire est considéré a priori par lui non comme un animal que l’on doit museler mais comme un prochain au plein sens du mot. Il est donc autorisé à manger du raisin de la vigne jusqu’à ce qu’il en soit rassasié. Il en va de même pour l’ouvrier moissonneur qui pourra arracher des épis mais avec la main seulement sans user de sa faucille. On le constate dans les deux cas, au regard du propriétaire, l’ouvrier est avant tout considéré comme un égal en dignité. Cependant l’inverse est également vrai.

Que ce soit dans la vigne ou dans le champ de blé il importe que le propriétaire soit considéré réciproquement non comme l’exploiteur à l’encontre duquel on éprouvera du ressentiment si ce n’est de la haine mais là encore comme le prochain, au sens plein, de l’ouvrier. Pouvoir profiter de l’abondance de sa vigne ou de son champ n’autorise d’aucune manière des comportements qui seraient abusifs, comme celui de rogner sur sa vendange ou de ponctionner sa récolte, comme si l’on disposait de son bien propre alors qu’en réalité on l’aliène sans qu’il y ait consenti.

Il faut également concevoir la démultiplication de pareils abus au nombre d’ouvriers travaillant dans la vigne ou dans le champ de blé. Que risque t-il de s’ensuivre? Une réaction de fermeture, physique et spirituelle, avec une atteinte grave portée précisément à la conception d’autrui comme prochain. Cette conception il faut y insister, repose sur un principe capital: celui de réciprocité qu’il ne faut pas confondre avec celui du donnant-donnant. Reconnaître autrui comme prochain c’est reconnaître ce qui fonde et exprime son existence à tous les niveaux où elle se constitue, sans se faire juge et partie de ce qui devrait ou non lui revenir légitimement avant de passer à l’acte personnellement ou de parachever par soi même l’empiétement commencé. Autrement, ce n’est rien d’autre que la convoitise (taava) qui l’aura emporté, dont on sait qu’elle est strictement prohibée dans le Décalogue (Dt, 5, 18);

RD

Bloc-Notes: Semaine du 25 août

In Uncategorized on septembre 2, 2014 at 9:52

25 août.

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Révolution de palais? Coup d’Etat? Massacre des Janissaires? On ne peut pas dire que Arnaud Montebourg, Aurélie Filippetti et Benoît Hamon aient été « démissionnés » cette nuit. Ils ont été littéralement vidés du gouvernement Valls, sans égard et sans préavis. Il faut reconnaître qu’ils l’ont cherché, surtout pour le premier qui aura été victime, là encore, d’un narcissisme invétéré et d’une croyance exagérée dans l’impunité de son personnage. En utilisant ces termes, l’on rappellera qu’ils ne concernent que des êtres de consistance médiatique, jamais rencontrés en personne. Mais, on ne le répètera jamais assez, il n’est pas d’institutions républicaines ni de vie réellement démocratique sans un peu d’humilité personnelle, et sans désintéressement. Il faut le marteler avec d’autant plus de force qu’aujourd’hui il est possible de devenir ministre, à tout le moins, sans avoir jamais exercé auparavant de véritable profession, dans aucun secteur d’activité. Naguère l’on était appelé à ces postes pour faits d’armes, pour avoir accompli une oeuvre, pour avoir contribué à la prospérité nationale. Aujourd’hui, il suffit de s’inscrire à un parti, d’y grenouiller et de s’y faire valoir pour accéder à un poste-clef. Ensuite, en cas de victoire électorale, le reste se fait mécaniquement et vous voici projeté au sommet de l’Etat. Il importe alors de s’y maintenir assez longtemps et avec une activité suffisamment probante pour ne pas chuter de haut et sombrer dans le ridicule. La leçon méritera d’être méditée surtout par les députés socialistes frondeurs dont on voit bien sur quoi portent les surenchères idéologiques mais moins bien par quelles recettes ils les couvriraient. Que le temps de l’idéologie soit mort et archi-mort se symbolise par la nomination au Ministère de l’Economie d’Emmanuel Macron, qu’on ne désobligera pas en disant qu’il ne sort pas tout droit des romans de Jules Vallès: élève des Jésuites, Henri IV, IEP, ENA, Banque Rothschild. Il a de quoi faire avaler leur chapeau à tous les sectateurs de la Gauche de la Gauche. Ô conscience de classe! Et Manuel Valls qui se fait ovationné par le MEDEF debout! En un certain sens, le remaniement-vidage de ce jour fait songer en image inversée à celui où a été déclaré sous le gouvernement de Pierre Mauroy en 1983 « le tournant de la rigueur ». Depuis, il y aura eu un avant et un après. On se demande bien dans quel espace Martine Aubry, elle aussi confite dans son rôle de vestale de la Gauche pure, pourrait désormais se faufiler. Au delà de ces collisions d’ambitions, la nouvelle équipe saura t-elle infléchir rapidement la courbe devenue auto-céphale du chômage? En juillet prés de 30.000 chômeurs supplémentaires sont venus grossir les rangs de leurs congénères en souffrance individuelle et perte d’avenir. Selon la manière de compter il faut estimer entre 3 millions et demi et cinq millionsle nombre de personnes sans emploi. C’est donc à l’oeuvre que l’on jugera le nouveau ministre de l’Economie et non pas sur ses seuls et brillants diplômes. Rendez vous dimanche à La Rochelle!

 

26 Août.

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Le cessez-le-feu accepté par le Hamas et l’Etat d’Israël tiendra t-il cette fois? Espérons le pour les populations concernées même si le Hamas n’est pas seul à décider. A ce propos il faut s’interroger sur l’implication dans ce conflit de l’Emirat de Qatar qui a fait longtemps obstacle à cet accord, pour aussi précaire qu’il apparaisse. Le Qatar est l’un des principaux financiers du Hamas djihadiste. Va t-il de soi qu’un Etat – puisque juridiquement c’en est un – créé en 1971, aussi lilliputien mais qui dispose par pur effet d’aubaine géographique d’un Eden pétrolifère et gazier s’implique dans une guerre contre un autre Etat membre de l’ONU et cela impunément? Disposant d’énormes ressources financières l’Emir du Qatar s’est convaincu que tout s’achète, pourvu qu’on y mette le prix. Et ce qu’il n’est pas en mesure de produire matériellement et humainement dans ses frontières propres, il l’acquiert à l’extérieur, ayant compris que les empires les plus invulnérable sont les empires patrimoniaux: immobiliers, équipes de foot, réseaux bancaires etc… Ainsi, et en un temps très bref, a t-il constitué à l’échelle mondiale ce que les économistes nomment des «structures de dépendance» qui l’emportent sur les prétentions nationales ou régionales à l’indépendance et à l’autonomie. Il suffit juste en cas de besoin et le moment venu de tirer sur la laisse. Ne serait-il pas indispensable de le rappeler également aux obligations de la Charte à laquelle il a librement souscrit?

 

29 août.

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Repris les Poésies de Verlaine. Nécessité de trouver le bon équilibre entre ce que l’actualité charrie de violent et de mortifère et ce que la vie, conçue sous un autre plan, apporte de vérité profonde, de beauté sans ostentation, d’incessante création. Dieu sait si l’existence de Verlaine fut chaotique, tourmentée et carcérale mais à la différence de Baudelaire dont les poésies expriment directement les tourments et les répulsions, chez Verlaine, le poème marque souvent – sauf certains des Poèmes saturniens – un retour au calme, sans doute parce qu’il s’écrit à même l’âme. En soi le nom même de « Verlaine » est poétique, intiment euphonique. Il pourrait se répéter inlassablement. Le mieux est sans doute encore de citer quelques vers, par exemple de « La bonne Chanson » :

 

Le foyer, la lueur étroite de la lampe;

La rêverie avec le doigt contre la tempe

Et les yeux se perdant parmi les yeux aimés,

L’heure du thé fumant et des livres fermés …

 

Pour quelques instants, laissons-nous bercer par ces vagues là …

RD