« L’Eternel parla à Moïse en ces termes: « Parle aussi aux Lévites et dis leur: « Lorsque vous aurez reçu des enfants d’Israël la dîme (maâsser) que je vous donne de leur part, pour votre héritage, vous prélèverez là dessus, comme impôt (térouma) de l’Eternel, la dîme de la dîme (maâsser min hamaâsser) » » »
(Nb, 18, 25, 26). Bible du Rabbinat
Certaines traductions du texte de la Thora sont réellement problématiques non seulement à cause de leurs contre–sens ou de leurs approximations mais en raison du pli qu’elles impriment aux dispositions précises et pratiques de ce texte. Ainsi en va-t-il de la traduction précitée qui imprime aux prescriptions de volonté divine une tonalité surtout fiscale, engagée par la traduction de « térouma » en « impôt », alors que ce mot signifie offrande, comme le précise au demeurant cette même traduction à la paracha intitulée « Térouma ».
Et c’est donc cette tonalité fiscaliste qui risque de fausser le sens de l’institution nommée maâsser, traduit plus exactement cette fois par « dîme ». D’où ces deux questions emboîtées: quel est le sens de ce prélèvement, ou de cette contribution, pour tout Israël, et pourquoi les Lévites qui en étaient les destinataires devaient à leur tour et à leur niveau s’en acquitter également?
Le premier contre-sens est signalé par Chimchon Raphaël Hirsch. Pour le sens commun, la dîme consiste à prélever sur une quantité donnée le dixième de celle–ci. Ce sens là ne correspond pas à l’institution en question puisqu’un tel prélèvement se ramène finalement à réduire la quantité initialement donnée à 9 dixièmes de ce qu’elle représentait. L’opération est donc diminutive, amputatrice, d’où l’étymologie du verbe « décimer », de sombre résonance. Or l’institution de la dîme, entendu bibliquement comme maâsser, recèle une tout autre signification.
Il s’agit certes d’un décompte mais accompli de telle sorte que la dixième unité qui le constitue le constitue précisément non pas en une succession linéaire mais en un ensemble. Nul n’ignore en effet la symbolique du chiffre 10 dans la pensée biblique sinaïtique, qu’il s’agisse de la Création ou du Décalogue.
Le chiffre 10, marque le passage d’un ordre, celui des unités, distinctes les unes des autres, à un autre ordre, celui des dizaines qui les configure, on l’a dit, en ensemble d’un niveau supérieur. C’est pourquoi le mâasser ne se réduit pas à une opération fiscale mais concerne la formation du lien social, celui par lequel la subjectivité individuelle, reliée à celle d’autrui, devient inter-subjectivité, celle d’un peuple, d’un âm. De ce point de vue la racine ÂSseR est affine à la racine ÂTseR, que l’on retrouve notamment dans la solennité de Chemini Âtséret qui marque non pas la fin, au sens chronologique, des liturgies de Tichri mais leur aboutissement spirituel, leur accomplissement liturgique et leur plénitude sociétale.
C’est pourquoi les Lévites n’en étaient pas exemptés. Autrement c’eût été les exclure du modèle social et spirituel d’Israël. Il était bon de le préciser au regard, justement, des difficiles événements relatés au début de la paracha, relativement au coup de force tenté par Korah’ et ses affidés, eux aussi Lévites mais ayant, au moins pour un temps, perdu le sens de leur vocation et de leur mission. A aucun prix les Lévites ne doivent s’imaginer qu’ils forment un groupe singulier, séparé, si ce n’est une caste. Certes, ne disposant d’aucune possession personnelle ils sont confiés à la solidarité de leurs concitoyens. Mais ce statut ne les dispense pas de contribuer à leur tour, et dans leur orbe propre, à la formation du lien social qui relie entre eux tous les descendants de Jacob–Israël.
Avec une différence qui n’est pas une simple nuance. Comme le verset concerné l’indique, ils auront à prélever la dîme de la dîme. L’expression en hébreu n’est pas non plus simplement quantitative. Il ne s’agit pas d’ailleurs d’un prélèvement physique mais bien d’une extraction essentielle, d’une dîme au carré, si l’on pouvait user de cette expression, qui concerne la dîme elle même et non plus ses éléments matériels premiers.
Les Lévites sont les desservants électifs du Sanctuaire. Lorsqu’ils procèdent à leur propre maâsser ils forment non plus seulement des ensembles sociaux mais des entités spirituelles susceptibles de s’approcher de la Présence divine et de devenir le réceptacle des bénédictions qui en émanent, et cela chaque fois que l’aube réapparaît dans l’univers et plus particulièrement dans la conscience humaine.
Raphaël Draï zal 19 juin 2014
A Daniel Draï, en souvenir de sa bar–mitsva