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Paracha Pinh’ass par Raphaël Draï zatsal

In Uncategorized on juillet 28, 2016 at 7:11

40 Pin'has .

Cette paracha est intimement articulée à celle qui la précède. La fin de la parachat Balak relate comment les Midianites, constatant que la tentative de malédiction ourdie par Balak et mise en oeuvre par Bilaâm avait tourné court, et même qu’elle avait muté en bénédiction, décident d’employer, si l’on peut dire,  les grand moyens. Ils font affluer vers le peuple d’Israël des escouades de prostituées afin d’inciter le peuple de l’Alliance à l’orgie sexuelle et ainsi de renier cette Alliance avec le Dieu qui la promeut et par laquelle s’atteste sa Présence. Un grand nombre de Bnei Israël s’y laissent aller dans la sidération des dirigeants du peuple, Moïse et Aharon compris, Moïse qui lui même avait décidé de se séparer de sa femme depuis le don de la Thora, sachant que la Parole divine pouvait lui être adressée à n’importe quel moment. C’est alors que Pinh’ass, fils d’Eléazar, et  petit fils d’Aharon, mû par une autre passion: celle de Dieu, se saisit d’une lance et embroche   le couple de meneurs qui fautait au regard de l’Eternel, comme s’ils avaient décidé de souiller sa Loi en toute impunité. Et le fléau qui avait entre temps frappé le peuple cessa, fléau physique et  plaie mentale.

Il faut bien mesurer la gravité d’une pareille transgression. Elle afflige le peuple au moment où celui-ci après quarante années de pérégrination se trouve sur le point de franchir le Jourdain pour investir la terre de Canaan que le  Créateur avait originellement dévolue à ses Pères. Durant toutes ces années, ce peuple d’anciens esclaves a appris à réguler ses pulsions, à modérer ses emportements, à apprendre l’usage de la parole interhumaine. On le croyait sorti de l’état pulsionnel et voilà que les Midianites tentent de l’y replonger, et cela de manière irréversible puisque la prostitution à laquelle il est incité n’est pas seulement sexuelle. Elle implique aussi des pratiques idolâtriques. Dans de telles circonstance, si Pinh’ass ne s’était trouvé là, lucide, attentif et zélé, ce que la Mer Rouge n’avait pu engloutir, les plaines  de Moab l’eussent anéanti. Et c’est pourquoi Pinh’ass en est loué par le Créateur, aux oreilles de Moïse  de sorte que celui-ci le proclame à tout Israël. La Tradition juive verra dans Pinh’ass une préfiguration du prophète Elie, lui aussi  brûlant  de zèle pour Dieu face à Ah’ab et à Jézabel, le couple de rois oublieux de l’Alliance, au point de fermer les  Portes de la pluie.

Et pourtant  Pinh’ass n’est pas érigé en exemple par la Thora. Plus exactement, si son acte est jugé digne de louange, il  doit demeurer une exception. Deux allusions scripturaires le donnent à comprendre. En premier lieu, le nom de Pinh’ass lui même est transcrit, étonnamment, avec un «youd» minuscule. Comme s’il fallait en déduire une incomplétude constitutionnelle. On sait qu’en hébreu la lettre « youd », qui correspond au chiffre 10, est justement celle de l’accomplissement. Le Décalogue comporte à cet égard 10 lois, et non pas 9 ou 11. Cette réduction de taille atteste au passage à quel point dans la Thora, lue en sa langue originelle, la lettre est riche de sens et d’enseignements. Ce «youd» rapetissé est sans doute le signe que la connaissance de la Thora chez Pinh’ass en était à ses commencements. Si le zèle est louable il est aussi symptôme d’immaturité. Pour le dire autrement, le comportement de Pinh’ass est loué à cause des circonstances d’extrême urgence où il s’est produit  et à cause de la passivité des responsables institué du peuple d’Israël. Il ne saurait constituer un précédent ni un exemple à suivre pour les temps courants.

Une autre particularité de la transcription graphique du récit biblique le confirme. Le Créateur accordera à Pinh’ass et à sa descendance une Alliance particulière: l’Alliance de paix: Bérith Chalom. Cependant, dans le Sépher Thora d’une part les mots bérith et  chalom ne sont pas reliés entre eux, ne sont pas interconnectés mais légèrement disjoints, d’autre part le vav de chalom est lui même brisé par le milieu et non pas écrit  d’une seul trait, comme il  aurait dû l’être. Même justifiée, la violence n’est pas érigée en but ultime, en comportement ordinaire. Lorsqu’elle s’exerce, fût ce à juste titre, elle laisse des séquelles et des cicatrices. D’autant que Pinh’ass est fils et petit fils de cohanim et que la fonction élective du cohen est la réconciliation, le recouvrement de la paix sociale après celle des esprits.

Et c’est sans doute pourquoi cette même paracha relate un épisode de sens opposé, celui qui concerne d’autres femmes, les filles de Tséloph’ad. Elles s’en viennent questionner Moïse, aprés le décès de leur père, et en l’absence de fils, sur les règles régissant l’héritage des filles. Cependant elles s’en acquittent sans violence, sans acrimonie, laissant à Moïse le temps d’y réfléchir et la possibilité de leur répondre de manière compréhensible pour les temps à venir également. Moïse en est si heureux qu’il décide d’« approcher (vayakrev) » leur demande face à l’Eternel ; de la considérer comme un véritable korban digne d’être présenté devant le Créateur. Les filles de Tséloph’ad ont démontré, au terme de cette si longue, tumultueuse et éprouvante Traversée du désert que le peuple d’Israël venait enfin- lui qui avait été condamné en Egypte esclavagiste à des siècles de mutisme – de recouvrer le sens de la parole dialoguée, la seule qui permette de fonder  et de faire vivre des ensemble  humains dignes de ce nom.

Raphaël Draï zatsal, 26 juin 2013

Conference Mercredi 27 Juillet – Synagogue Magen David Ahavat Shalom

In Uncategorized on juillet 26, 2016 at 11:30

 

Conférence organisée par la synagogue Maguen David Ahavat Shalom

Mercredi 27 juillet 2016

Grande conférence
Public mixte

à Maguen David Ahavat Shalom,
77 avenue de Versailles 75016 Paris

Du Professeur Raphael Draï Zal
(Vidéo de la conférence du college des etudes juives de l’AIO, 36 minutes)

« Les événements messianiques et le bouleversement de la nature »
et du Grand Rabbin de Paris David Messas Zal

Interventions à la radio sur les parachas
Balak Pinhas et Matot (30 minutes)
Vie, mort ; pureté impureté.
Les qualités d’un dirigeant du peuple en Israel.
La relation du juif envers Israel.

Programme

20h Minha et Arvit
20h45 ouverture
Rav Ariel Messas et Dan Draï

21h00 Projection des conférences

22h00 Débat
22h30 (environ) Collation

Pour des questions d’organisation

Réponse souhaitée par retour de message à ahavatshalom.paris@yahoo.fr

Merci
Nous vous attendons nombreux
Grande soirée en perspective !!!

Rav Ariel Messas

Tu les manduqueras à tes enfant- L’Arche 28/06/2016

In Uncategorized on juillet 25, 2016 at 5:17

Par Docteur Patrick Abehsera

Dentition humaine et pensée juive, et pourquoi les serpents n’ont pas de molaires. C’était le thème d’une des dernières conférences prononcées par le professeur Raphaël Draï.

ll nous a semblé opportun, à l’aube de l’anniversaire de son décès, de rédiger les éléments essentiels de ce débat, en hommage à sa personne et à la profondeur de sa pensée. Cette conférence se proposait de mettre en relation la dentition humaine et la pensée juive. En quoi le domaine de la pensée juive et le domaine de la dentisterie ont-ils des champs communs ?

L’intégrité de la dentition humaine se trouve être un élément essentiel de la santé personnelle. Située dans le massif facial, la dentition est en relation avec les os du crâne et assure un rôle déterminant dans le processus de digestion physiologique. La pensée juive s’exerce à partir d’un jeu de 22 lettres de l’alphabet et 10 chiffres-lettres soit 32 éléments, ce chiffre correspondant au nombre de dents chez l’homme. Cela ne serait effectivement qu’une coïncidence si l’enseignement en hébreu ne participait pas du vocabulaire de la manducation : « véchinantame levanekha » : tu les enseigneras à tes enfants (Deut, 6-5). On notera la racine du verbe shana (enseigner) qui comporte le préfixe cheine qui veut dire une dent.

Dans le livre de Rabbi Akiva (Otiyote de Rabi Akiva) qui traite de la symbolique des lettres, la lettre chine symbolise la dent. C’est une lettre à trois branches. De même il existe chez l’homme trois sortes de dents :

  • les incisives
  • les canines
  • les cuspidées (prè-molaires et molaires)

Par ailleurs, une bonne dentition permet la première élaboration de la nourriture qui se poursuivra dans le reste du système digestif pour produire l’élément vital assimilable par l’être humain. Cette alimentation élaborée, devient le symbole de la pensée humaine qui doit également être élaborée et non pas impulsive.

Démonstration

L’incisive se dit en hébreu chene hotekhette : dent qui coupe, qui distingue, qui individualise. La molaire se dit en hébreu chene hatohenete : dent qui broie, qui meule. La canine se dit en hébreuchene hakelev : dent du chien. C’est donc la canine qui fait la connexion entre le règne animal et le règne humain. Elle se trouve située dans la mâchoire, à l’interface des deux ordres du vivant ; la molaire symbolisant la dent humaine.

Il est intéressant de remarquer que dans le monde du vivant, seul l’être humain possède ces trois groupes de dents. Ces trois groupes correspondent aussi à trois opérations cognitives : L’incisive donne une fonction d’individualisation (klal ou perat, général et particulier). La canine, qui dissèque, donne la fonction analytique. La molaire qui broie, qui malaxe, a une surface triturante plus large : c’est l’élaboration de la pensée.

On comprendra donc maintenant pourquoi le serpent, qui avale et qui gobe ses proies, n’a pas de molaires, il n’élabore pas sa nourriture. Aussi, la dentition du serpent met-elle en évidence des incisives qui sont dirigées vers l’arrière. La proie piégée dans la mâchoire du serpent ne peut pas s’échapper. Le serpent ne peut pas dégurgiter. Il ne peut qu’ingurgiter. La régurgitation est propre à l’homme.

La manducation décrit un processus physiologique très élaboré. À la différence de l’action de manger, qui décrit une action spontanée et impulsive, la manducation se fait en trois étapes, la première étape consiste à malaxer les aliments qui se mélangent à la salive créant un bol alimentaire.

Il est intéressant de noter que chez les herbivores – seuls animaux cachers à la consommation – ce processus se fait en trois temps :

  • les animaux coupent l’herbe et la portent à la bouche = première élaboration
  • ingestion de ce bol alimentaire dans la panse = véritable usine chimique de traitement
  • le bol alimentaire remonte dans la bouche (contrairement au serpent qui ne peut qu’ingérer) réalisant la troisième élaboration du traitement de la nourriture.

La jonction avec la pensée juive

La création du monde s’est faite au moyen de dix paroles utilisant 22 lettres et 10 chiffres-lettres. Ce que nous appellerons l’algébraïque.

Comme on le sait, il existe quatre types de lettres : Les quiescentes, les gutturales, les labiales et les dentales, dont le chine est la lettre symbolique par excellence.

Étant entendu que les dents participent de la mastication et de l’élocution, il nous faut développer la structure du chine. La lettre chineest composée de trois branches, comparables à trois vecteurs ascensionnels qui trouvent leur cohésion dans le support : l’os de la mâchoire. La position de la dent est ascensionnelle. La lettre est vectorisée vers le haut.

D’autre part, que ce soit pour les dents ou pour les mots, nous parlons de chorech, de racine. Ce que nous ingérons dans l’alimentation juive possède deux dimensions, une dimension du manger et une dimension du parler.

Tout repas est aussi repas de parole (parole qui ait du sens). Quand nous parlons, nous mélangeons de l’aliment et des mots. Le point commun structural entre les dents et les mots, c’est que les mots ont des racines à trois lettres, et que la molaire supérieure, symbolisant la denture humaine par excellence, a trois racines.

D’autre part, un être humain doit être vectorisé. Selon le Ben Ich Haï (Rabbi Yossef Haim de Bagdad), le juif prie debout et il décolle les talons en s’adressant au divin. L’homme est dans une vection (la tête vectorise l’être humain vers le haut). Parallèlement, les dents sont situées dans la partie la plus noble et la plus supérieure de l’homme, c’est-à-dire le massif facial.

Par ailleurs, les dents supérieures sont en relation avec les dents de la mâchoire inférieure, et de cette corrélation naît une plus-value. Il est à noter qu’il existe un intervalle entre les dents du haut et celles du bas, symbolisé par deux chine qui s’emboîtent au niveau des molaires.

Quand la lettre chine est tracée sur une feuille blanche, elle se lit dans le plein du noir et dans le creux du blanc. Cela crée alors une lettre à trois branches et à quatre espaces. Comme les deux mâchoires qui se mettent l’une sur l’autre, il se crée un intervalle respiratoire. De la même façon, sur le plan de la pensée, le passage du 3 au 4 constitue le début de la mahachava : de la pensée. Le Maharal de Prague développe beaucoup cette thématique en expliquant que le trois est le chiffre de la stabilité, de l’équilibre.

Nous avons le 1 puis le 2 qui se dit chéni et qui nous donne une idée du chinouil (changement). Quand il y a changement, il y a trouble et incertitude. C’est le troisième élément qui stabilise l’équation. Il assure l’équilibration. En philosophie, on parle de thèse – antithèse – prothèse, pardon synthèse (notez l’humour du professeur Draï).

Une fois que ces trois termes sont en équilibre, peut s’ouvrir la dimension du 4, dimension qui transcende. On comprendra aisément que, par rapport à l’alimentation cachère, on ne peut pas mettre en contact avec les dents une quelconque alimentation parce que les dents ont cette symbolique-là. L’humain, avec cette triple dentition, le rappelle sans cesse à ce qui le dépasse (passage du trois au quatre).

Rabbi Néhonia Ben Akana fait remarquer dans son ouvrage que la sagesse se décline de trois façons : la hohma (sagesse), la bina(intelligence), le daat (connaissance). La molaire, la dent qui broie, relève plus de l’intelligence c’est-à-dire de ce qui fait sortir une chose d’une autre. De la même façon pour faire du vin, il faut fouler le raisin ; la molaire symbolise le jus des choses, l’élaboration d’une pensée. On comprendra donc, nous rappelle le professeur Draï, que la manducation est intrinsèquement corrélée au processus de production de la connaissance.

Ces éléments se trouvent synthétisés dans son livre Totem et Thoraquand il écrit que la principale caractéristique du judaïsme est bel et bien celle-ci : le renoncement à la satisfaction immédiate de la pulsion avec « intercalation d’un temps d’attente » symbolisée dans ce débat par la molaire supérieure qui a pour tâche de broyer, de malaxer et de mastiquer les aliments. Il est intéressant de remarquer que le philosophe Alain Finkielkraut a choisi comme symbole de son épée d’académicien, outre l’aleph, une tête de vache, symbole de la rumination de la pensée.

Texte repris et rédigé à partir d’une conférence prononcée le 30 janvier 2013 à la synagogue Maguen David-Ahavat Shalom à Paris, synagogue dont Raphaël Draï était un des fidèles.

Tu les manduqueras à tes enfants

 

Paracha Balak par Pr Raphaël Draï zatsal

In Uncategorized on juillet 22, 2016 at 8:51

( Nb,22, 2 et sq )

39 Balak.

Si toutes les parachiot de la Thora ont leur singularité, la paracha Balak conserve incontestablement celle de l’étrange. Elle relate la tentative de destruction du peuple d’Israël par la profération d’une malédiction dévastatrice à son encontre. Dans quelles circonstances? Le Roi moabite, Balak, ayant pris connaissance de l’avancée d’Israël et des succès de ses armes, tente de circonvenir le prophète Bilaâm afin qu’il mette un terme à cette progression inexorable. Dans ce but, il ne lui demandera pas de mobiliser des armées innombrables, ni de soudoyer des diplomaties entières. Il sollicite de sa part qu’il maudisse, qu’il rende arour, ce peuple sorti d’Egypte et qui à présent offusque la face de la terre. Etrange procédé! Il rebute la mentalité d’aujourd’hui qui n’adhère plus à cette sorte d’action où la magie et la superstition se mêlent pour former un produit quasiment hallucinogène. En allait-il ainsi de ce temps? L’on a souvent repris cette remarque de Lucien Febvre: le psychisme humain n’a pas été identique à lui même durant les siècles et les millénaires. Il faut sans doute former cette hypothèse: à l’époque où ces faits se déroulent, la magie était efficiente et l’esprit humain régissait fortement à ses opérations. Par quels éléments expliquer néanmoins la réaction paniquée de Balak? Certes par tous les prodiges qui ont précédé, accompagné et suivi  la sortie d’Egypte. Mais aussi et surtout par la défaite  des armées qui avaient prétendu barrer il y a peu le passage à Israël, lançant une guerre sans  merci contre lui. Ainsi que le relate la paracha H’oukat, mal leur en a pris. La capture et l’entrée en possession par le peuple d’Israël de la terre qu’ils occupaient  a sanctionné leur agression. Il est toujours possible de pratiquer à ce propos la stratégie du «soupçon» et d’interpréter les récits correspondants comme autant de justification a posteriori des actes de conquête et de captation imputables à ce peuple. Il faut simplement prendre garde que cette stratégie là ne s’abouche pas aux stéréotypes millénaires amassés autour de la figure d’Israël et qui conduisent à ne lui faire crédit de rien, à lui imputer le pire du pire de la condition humaine.

Quoi qu’il en soit, Balak ne se le fait pas répéter. Il veut atteindre Israël à l’endroit  qu’il juge le plus vulnérable: la bénédiction dont le Créateur l’a doté. A aucun moment le roi moabite ne cherche à établir le contact avec le peuple d’Israël, en entrer en discussion avec lui. C’est pourquoi son attitude n’est pas substantiellement différente de celle des cananéens et des amorites. Elle se déploie sur un autre plan: le plan psychique et spirituel. Deux remarques s’imposent encore. La première concerne le nom même du roi de Moab: BaLaK. Les lettres qui le forment sont identiques à celle qui forment le mot « recevoir »: KaBeL, mais dans le désordre. Cette observation étymologique conforte la remarque précédente. Balak  récuse tout accueil du peuple d’Israël. Il choisit de pratiquer la guerre préemptive, comme l’on dirait de nos jours. De cette manière il pense remédier à la dissymétrie des forces en présence vis à vis de ce groupe humain dont il  clame qu’il est «  plus puissant » que lui. Etrange évaluation qui n’est pas sans rappeler celle, catastrophique, qu’avaient formule les explorateurs envoyés par Moïse, comme le relate cette fois, la paracha Chelah’Lekha. Avant toute confrontation, le  rapport des forces en présence  est majoré pour les uns, minoré pour les autres, au point d’induire cette désespérance qui à son tour active les logiques du pire.

C’est dans ce but que Balak sollicite le prophète Bilaâm, quitte à le soudoyer et à le corrompre, afin qu’il obstrue par les malédictions dont il a le secret le chenal qui selon le roi de Moab conduit la force sur -naturelle dont fait preuve le peuple sorti d’Egypte. Etrangeté du personnage de Bilaâm dont le nom peut s’entendre également comme Bli-Âm: sans peuple ;  individu réduit à lui même et ne sachant au bénéfice de qui exercer son don de prophétie. Le  renversant sur lui même il en corrompt la nature et en altère les effets. Cependant, l’on ne saurait être à la fois prophète, fût-ce de cette  espèce, et ne pas être relié au Créateur au point d’en méconnaître les injonctions. Celles ci ne tarderont pas: Bilaâm s’entend interdire de maudire le peuple d’Israël «parce qu’il est béni». La formulation de cette injonction drastique pourrait sembler redondante. Tel n’est pas le cas. Il faut entendre cette sentence selon sa structure logique: c’est parce que ce peuple est béni par Dieu qu’aucune malédiction ne saurait avoir prise sur lui. La bénédiction divine, insufflée notamment lors de la prière des cohanim, n’est ni superficielle ni de circonstance. Elle est d’essence et de durée divines, si l’on pouvait s’exprimer de la sorte. A force de corruption matérielle et psychologique, Bilaâm cédera toutefois aux objurgations de Balak et se mettra en position de maudire Israël. Pourtant, comme le bâton d’Aharon, transformé en serpent, avait englouti le bâton – boa des magiciens égyptiens, la malédiction proférée par Bilaâm, se heurtant à la bénédiction divine, se transformera en son inverse. Elle viendra renforcer celle-ci pour former les mots d’un des hymnes les plus fervents et les plus mémorables jamais conçus en l’honneur du peuple sinaïtique. Entre-temps c’est l’ânesse de Bilaâm, pourtant maltraitée, et sans doute à cause de cette maltraitance, qui l’aura remis dans la bonne voie. D’où cet enseignement: lorsque l’être humain n’assume pas sa vocation propre, il régresse en deçà même de l’animalité et se fait l’âne de son âne. La leçon ne se limite pas aux temps antiques.

Raphaël Draï zatsal, 19 juin 2013

PARACHA H’OUKAT – Par Raphaël Draï zatsal

In Uncategorized on juillet 15, 2016 at 10:52

38 Houkat.

Cette paracha, celle qui concerne ce qu’il est convenu d’appeler « la vache rousse », est sans doute, en son commencement, l’une des plus énigmatiques, pour ne pas dire l’une des plus impénétrables de tout le H’oumach. Comment comprendre cette liturgie qui incite le grand Prêtre Eléazar à se procurer une vache qui fût complètement de cette couleur mais aussi qui n’ait jamais porté ni faix ni joug pour ensuite la mener à l’extérieur du camp, et là, la réduire en cendres –  chair, os et peau- recueillir ces cendres, les répandre dans de l’eau, pour ensuite, en cas de faute portée à la connaissance du pontife, asperger de cette eau le transgresseur, de sorte à le purifier? Sauf qu’au terme de cette liturgie opaque et destinée à un acte de purification, le cohen deviendra temporairement impur ainsi que l’officiant qui l’aura assisté.  Parmi toutes les tentatives d’explication, et sans y insister ici, l’on se reportera surtout à celle qui nous semble la plus plausible, celle de Samson – Raphaël Hirsch  ad. loc). Pour le présent commentaire deux éléments déterminants sont à souligner.

En premier lieu, et en prenant acte que le récit de la Thora ne procède pas par sauts, il faut se demander quel est le lien entre cette liturgie et la fin de la paracha précédente qui insistait à son tour sur les deux points suivants: la tribu de Lévi n’aura  pas de part territoriale en Israël, ni de patrimoine, à proprement parler. Le Créateur sera cette part et constituera tout leur patrimoine. Une telle déclaration pourrait sembler ambiguë. Si la tribu de Lévi semble  dépossédée  d’une sorte de bien, la voici pourvue d’un bien sans doute inestimable: rien de moins que la part divine. La tentation qui se profile pour elle est de s’ériger en caste, elle aussi divinisée, coupée du peuple: une aristocratie pontificale. L’hypothèse se forme alors selon laquelle  les règles concernant la vache rousse et qui font immédiatement suite à ces dispositions, si elles comportent une signification intrinsèque,  ont sans doute également pour but de prévenir cette tentation puisque les gestes auxquels elles obligent le  grand prêtre le rendent impur, ce qui atteste clairement qu’il n’est par pur par nature, que de ce fait il reste lié au reste du peuple, qu’il n’est pas d’une essence différente  de la sienne.

Quel peut être alors le sens  profond d’une liturgie qui rend impur l’un pour purifier l’autre? Faut-il, en termes d’anthropologie des religions, concevoir que se produit à cette occasion un véritable transfert cathartique de l’un à l’autre? Il ne faut jamais oublier la remarque de l’historien Lucien Fèbvre selon lequel le psychisme humain n’a pas été identique à lui même au cours des siècles et des millénaires et que l’efficace des rites en dépend. Il n’en reste pas moins que cette dialectique là, entre le pur et l’impur, comporte elle aussi ses enseignements éthiques et sociaux.

Le pur et l’impur doivent être distingués, certes, mais pas au point de donner à penser qu’ils se rapportent mutuellement à deux créations différentes, ou à une création scindée, clivée, dont les deux parties ne pourraient plus jamais être réunies. L’étymologie du mot « diable » conduit à cette vision puisqu’elle signifie partition, division irrémédiable. Il n’est aucune pureté ou impureté pour ainsi dire d’état? L’une et l’autre sont liées au temps qu’elles marquent, sachant que le temps suivant peut les effacer ou les transformer en leur inverse. D’où à la fois l’extrême vigilance éthique requise par ces possibles commutations, et le rejet de toute forme de pensée obsessionnelle ou phobique  symptomatiques d’une religion du tabou. Il n’est pas impossible alors de relier la vache rousse et le veau d’or, comme si la révolte de Korah’ et ses suites devaient être imputées à une rémanence de cette dernière idole que l’on croyait avoir été pulvérisée par Moïse avant, l’on s’en souvient, qu’il ne la réduise déjà en poudre, noyée dans une eau  à boire, une eau de mise à l’épreuve de la fidélité envers le Créateur, donateur de la Loi.

Une dernière observation au sujet du caractère énigmatique de cette liturgie. La tradition juive affirme que le Roi en personne n’a su en discerner le sens véritable. Qu’est-ce qu’un despote, ou un tyran, ou un dictateur? Un individu absolutisé, qui prétend n’avoir rien ni personne au dessus de lui et qui s’identifie à la Loi totale dont il prétend être l’incarnation vivante, la source indiscutable. Les règles relatives à la vache rousse démentent cette prétention absolutiste. Il y est question non pas simplement de Thora mais de h’oukat hathora, littéralement de «Thora sous sa modalité légale», de h’ok. Qu’elle comporte une part qui d’elle même échappe à la plus haute des intelligence démontre bien son caractère non captable en totalité. Il en demeurera une part toujours accessible au questionnement et qui récuse par là même toute prétention à un éventuel pouvoir absolu. C’est bien cette part d’inexpliqué  qui préserve la liberté de l’esprit et partant  celle des corps.

A méditer pour les temps actuels, face aux dangers de la théocratie sachant que toutes les théocraties ne sont pas forcément confessionnelles.

Raphaël Draï zatsal, 11 Juin 2013

Le Sens des Mitsvot: Parachat Korah’

In Uncategorized on juillet 8, 2016 at 9:47

A Daniel Draï, en souvenir de sa bar–mitsva

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« L’Eternel parla à Moïse en ces termes: « Parle aussi aux Lévites et dis leur: « Lorsque vous aurez reçu des enfants d’Israël la dîme (maâsser) que je vous donne de leur part, pour votre héritage, vous prélèverez là dessus, comme impôt (térouma) de l’Eternel, la dîme de la dîme (maâsser min hamaâsser) » »  (Nb, 18, 25, 26).  Bible du Rabbinat.

Certaines traductions du texte de la Thora sont réellement problématiques non seulement à cause de leurs contre–sens ou de leurs approximations mais en raison du pli qu’elles impriment aux dispositions précises et pratiques de ce texte. Ainsi en va t-il de la traduction précitée qui imprime aux prescriptions de volonté divine une tonalité surtout fiscale, engagée par la traduction de « térouma » en « impôt », alors que ce mot signifie offrande, comme le précise au demeurant cette même traduction à la paracha intitulée « Térouma ».

Et c’est donc cette tonalité fiscaliste qui risque de fausser le sens de l’institution nommée maâsser, traduit plus exactement cette fois par « dîme ». D’où ces deux questions emboîtées: quel est le sens de ce prélèvement, ou de cette contribution, pour tout Israël, et pourquoi les Lévites qui en étaient les destinataires devaient à leur tour et à leur niveau s’en acquitter également?

Le premier contre-sens est signalé par Chimchon Raphaël Hirsch.Pour le sens commun, la dîme consiste à prélever sur une quantité donnée le dixième de celle–ci. Ce sens là ne correspond pas à l’institution en question puisqu’un tel prélèvement se ramène finalement à réduire la quantité initiale ment donnée à 9 dixièmes de ce qu’elle représentait. L’opération est donc diminutive, amputatrice, d’où l’étymologie du verbe « décimer », de sombre résonance. Or l’institution de la dîme, entendu bibliquement comme maâsser, recèle une tout autre signification.

Il s’agit certes d’un décompte mais accompli de telle sorte que la dixième unité qui le constitue le constitue précisément non pas en une succession linéaire mais en un ensemble. Nul n’ignore en effet la symbolique du chiffre 10 dans la pensée biblique sinaïtique, qu’il s’agisse de la Création ou du Décalogue.

Le chiffre 10, marque le passage d’un ordre, celui des unités, distinctes les unes des autres, à un autre ordre, celui des dizaines qui les configure, on l’a dit, en ensemble d’un niveau supérieur. C’est pourquoi le mâasser ne se réduit pas à une opération fiscale mais concerne la formation du lien social, celui par lequel la subjectivité individuelle, reliée à celle d’autrui, devient inter-subjectivité, celle d’un peuple, d’un âm. De ce point de vue la racine ÂSseR est affine à la racine ÂTseR, que l’on retrouve notamment dans la solennité de Chemini Âtséret qui marque non pas la fin, au sens chronologique, des liturgies de Tichri mais leur aboutissement spirituel, leur accomplissement liturgique et leur plénitude sociétale.

C’est pourquoi les Lévites n’en étaient pas exemptés. Autrement c’eût été les exclure du modèle social et spirituel d’Israël. Il était bon de le préciser au regard, justement, des difficiles événements relatés au début de la paracha, relativement au coup de force tenté par Korah’ et ses affidés, eux aussi Lévites mais ayant, au moins pour un temps, perdu le sens de leur vocation et de leur mission. A aucun prix les Lévites ne doivent s’imaginer qu’ils forment un groupe singulier, séparé, si ce n’est une caste. Certes, ne disposant d’aucune possession personnelle ils sont confiés à la solidarité de leurs concitoyens. Mais ce statut ne les dispense pas de contribuer à leur tour, et dans leur orbe propre, à la formation du lien social qui relie entre eux tous les descendants de Jacob–Israël.

Avec une différence qui n’est pas une simple nuance. Comme le verset concerné l’indique, ils auront à prélever la dîme de la dîme. L’expression en hébreu n’est pas non plus simplement quantitative. Il ne s’agit pas d’ailleurs d’un prélèvement physique mais bien d’une extraction essentielle, d’une dîme au carré, si l’on pouvait user de cette expression, qui concerne la dîme elle même et non plus ses éléments matériels premiers.

Les Lévites sont les desservants électifs du Sanctuaire. Lorsqu’ils procèdent à leur propre maâsser ils forment non plus seulement des ensembles sociaux mais des entités spirituelles susceptibles de s’approcher de la Présence divine et de devenir le réceptacle des bénédictions qui en émanent, et cela chaque fois que l’aube réapparaît dans l’univers et plus particulièrement dans la conscience humaine.

                                                 Raphaël Draï zatsal, 19 juin 2014