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POURIM « CINQ–SIX »

In Uncategorized on février 27, 2015 at 12:35

Comment peindre Constantine durant Pourim,

Trouver les mots – parfums, les couleurs et les rimes…

L’hiver neigeux y laissait ses traces de froid

Et dans les rues pentues courraient les enfants rois


Qui faisaient bouquets de narcisses et mimosas

Pour Tata Fortune ou pour Mémé Rosa

Avant de pavoiser les cours et les fenêtres

Ouvertes sur le printemps d’un oublieux bien-être.


Dans les oratoires se lisait la Méguila

Pour fustiger Haman, ses sbires au coutelas,

Et magnifier Esther qui su vaincre sa peur,

Notre Esther Hamalka qui se fit mère et sœur


Et nous louangions son oncle Mardoché

Qui ne plia genou aux auvents du marché

Sachant que Yéhoudi est un titre de vie

Qui provoque la haine mais suscite l’envie.


Sur les tables nappées nous lancions les deux dés

Les douadèches blancs et noirs aux points non décidés,

L’as-doch disait la perte et le cinq-six le gain,

Le plaisir de la vie bruissait en son regain.


Sur la ville en fête s’épandaient les lumières

Où nos yeux se perdaient de toutes les manières

Mais le sort nous saisit puis il nous projeta

Loin des ravins ombreux de l’étrange Cirta


Et nous avons roulé hors des maisons natales

Comme les dés battus par d’autres mains fatales,

Très longtemps le futur nous parut indécis

Jusqu’au moment heureux où sortit le cinq–six.


Aujourd’hui des Hamans refont assaut de haine

L’engeance du dément reste hélas bien pérenne

Mais nous savons d’Esther qui domina sa peur

Que le salut divin peut « s’annoncer d’Ailleurs ».


Pourim Saméa’h

Raphaël Draï

(écrit dans le TGV Paris- Bordeaux )

COMMENTAIRE DE LA HAPHTARA TETSAVE (Ez, 43, 10 et sq.)

In Uncategorized on février 26, 2015 at 11:55

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En résonance avec la paracha Tétsavé, par laquelle se poursuit la description de l’édification du Sanctuaire au Désert, du Michkane, comme toujours, à des siècles de distance, et comme si le temps prophétique n’était pas sous la juridiction du temps chronologique, ce passage du prophète Ezéchiel vient à la fois marquer la continuité de l’histoire chronologique d’Israël et déployer cette histoire dans un espace-temps différent, celui de la vision prophétique, de la névoua. Ce qui conduit aux observations suivantes.

La prophétie d’Ezéchiel est sans doute la plus incandescente, la plus énigmatique, celle qui déploie l’esprit prophétique jusqu’à des limites jamais atteintes jusqu’alors – que l’on songe aux visions concernant Gog et Magog et celle relative à la résurrection des morts. Et pourtant le prophète y est désigne par la parole divine comme « Fils de l’Homme » (ben Adam). Ce qui tend à établir la dimension universelle de cette prophétie puisqu’il y est question de rétablir le peuple d’Israël en ses véritables assises mais également l’Humain sur les siennes. D’où l’attention que l’on doit porter au contenu de cette prophétie.

Par ailleurs, et c’est en cela qu’elle concerne directement la paracha homologue, il y est question de la construction d’un nouveau Temple dont on se demandera, au regard de la période où Ezéchiel intervient: après la conquête de Jérusalem par Nabuchodonosor et la déportation d’une très grande partie de sa population, s’il s’agit du second Temple, du Baït cheni, ou d’ores et déjà du troisième Temple. Dans tous les cas, il est donné à comprendre que cette succession n’est pas strictement linéaire mais, une nouvelle fois prophétique. Dans la pensée prophétique – et le moment venu la pensée talmudique en prendra le relais – le 2 ne succède pas mécaniquement au 1 tout en précédant le 3 et les chiffres qui s’ensuivent. En réalité cette succession souligne une élaboration, une décantation, un affinement.

Le 1 marque le commencement du processus.

Le 2 sa modification.

Le 3 sa phase synthétique.

Encore faut –il déployer les efforts personnels et collectifs, matériels et spirituels, qui permettent à ce processus de se développer au lieu de se trouver bloqué sur une des phases antérieures.

Le premier Temple, bâti par Salomon, comme on l’a vu dans la précédente haphtara, a été détruit par les armées venues du Nord. Un autre temple sera reconstruit après le retour de l’exil babylonien et ce Temple sera détruit à son tour par les légions romaines. La prophétie d’Ezéchiel saute t-elle, si l’on ose dire, cette étape pour décrire les caractéristiques non pas d’un autre Temple mais d’un Temple autre dont nombre de ses caractéristiques, dimensions et aménagements font justement l’objet d’une grande partie du livre d’Ezéchiel, jusqu’à sa vision conclusive? Faut-il en déduire que les temples, une fois détruits, se remplacent et se rebâtissent comme des bâtiments ordinaires et qu’il n’y faut pas chercher d’autres enseignements qu’architectoniques?

On serait tenté de le penser par une lecture rapide et superficielle des versets constituant cette haphtara où il sera question, certes, de la construction physique de l’édifice mais de telle sorte qu’il devienne ou redevienne apte à recevoir les purs sacrifices, les korbanot, des Prêtres, des Cohanim, assistés des Lévites; les uns et les autres reconnus dignes d’assumer cette responsabilité sacerdotale, celle par laquelle un double rapprochement est opéré entre les Créateur et ses créatures, et entres les êtres humains, es qualités.

On ne saurait s’y méprendre: la présente haphtara prolonge effectivement la précédente dans sa lettre et dans son esprit tout comme la paracha Tétsavé prolonge la paracha Térouma. Ce qui se déduit des termes mêmes employés par le prophète Ezéchiel dès le verset 11 lorsqu’au nom du Créateur il précise l’état d’esprit dans lequel sera conduite la nouvelle entreprise: « Et s’ils ont vergogne de tout ce qu’ils ont fait, donne leur intelligence de la Forme primordiale (Tsoura) de la Maison, de ses installations, de ses voies d’accès et de ses issues et de toutes ses autres formes et de toutes mes principes légaux (h’oukotaiv) et de toute ma Loi générique (Torotaiv); donne leur connaissance et écris les à leurs yeux et ils observeront toutes ces formes et tous ces principes légaux et ils les accompliront » (Ez, 43, 11).

Selon les termes de ce verset particulièrement significatif, le vocabulaire proprement architectural avec le vocabulaire juridique et spirituel s’entremêlent comme si l’on avait voulu former par leur mixage un matériau d’un genre nouveau, particulièrement solide et inaltérable.

L’architecture matérielle n’a pas d’avenir tant qu’elle ne bénéficie pas de cette armature légale et spirituelle.

                         R.D.

Bloc-Notes: Semaine du 16 février 2015

In Uncategorized on février 26, 2015 at 1:27

17 février.

220px-Cannon,_Château_du_Haut-Koenigsbourg,_France

« Faites ce que je dis; ne faites pas ce que je fais ». Le Président « normal », soucieux en 2012 de restituer ses prérogatives au Parlement, n’hésite pas à faire pression en 2015 sur sa majorité et à dégainer l’article 49,3 de la constitution. Rappelons que cet article, avec l’article 38 concernant les ordonnances, avait été prévu et élaboré par le Général de Gaulle pour mettre un terme aux turpitudes de la IVème République laquelle avait viré de régime parlementaire au gouvernement d’assemblée. Mais de même qu’après l’avoir critiquée avec de la guérilla menée par la trentaine de députés constituant la gauche de la gauche, pure et dure, et qui font violence au reste du marais PS. Mais le fer est dans le tronc et si le silence s’est fait dans les rangs, il peut annoncer des orages plus rudes. Est-ce tellement sûr? Les frondeurs, comme on les qualifie, savent planter des banderilles. Savent-ils réellement toréer? On les sent teigneux, hargneux. Leur hardiesse ne va pas jusqu’à la témérité, au véhémence dans « Le coup d’Etat permanent », François Mitterrand avait su se couler quatorze années durant dans la constitution de la Vème République, François Hollande et Manuel Valls forcent la décision parlementaire avec la même arme gaullienne et obtiendront à n’en pas douter un blanc seing du plus gros de leurs troupes. Comme quoi, et à condition de trouver le bon habillage rhétorique, le cynisme a de beaux jours devant lui. Bien sûr, l’on se prévaudra point que Manuel Valls les traite d’« infantiles ». La loi Macron valait-elle pareil raffut? Autant que le projet de loi proprement dit, la personnalité, indissociable de ses antécédents professionnels, du jeune ministre se révèle urticante pour les « infantiles ». On ne saurait même pas évoquer à son sujet la fameuse « gauche caviar » puisque le Ministre de l’économie se prévaut autant des Rothschild que de Paul Ricoeur. Reste à savoir quels seront les effets post-traumatiques du recours à cet article-bâillon sur « l’image » d’un président de la République auquel les virages en épingles à cheveu ne font pas peur. De son discours de 2012 au Bourget où il fustigeait la finance internationale, il est passé, trois années plus tard, à la vente d’avions « Rafale » au pouvoir égyptien. De la Présidence bonhomme décrite lors de son débat télévisé avec Nicolas Sarkozy, il est passé au Président fouettard qui exige le silence dans les rangs. Pendant ce temps Nicolas Sarkozy patine et Marine le Pen suppute un glorieux résultat aux proches élections départementales. En attendant mieux. Au train où vont les choses, ce n’est pas à la VIème République qu’il faut déjà songer mais à la VIIème…

 19 février.

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Négociations difficiles entre la Grèce de Tsipras et les institutions européennes. Le premier se prévaut de sa légitimité électorale toute neuve. Les autres de la parole donnée et de la logique des dites institutions. N’est-il pas abusif de laisser croire au nouveau gouvernement grec, que «riche de sa dette», il pourrait faire pression sur les autres membres de l’Union Européenne pour l’effacer? La menace d’une sortie de l’euro a été vite épointée. La Grèce restera dans l’orbe de la monnaie européenne. En sortir, comme n’hésitent pas à le préconiser certaines hautes voix, peut paraître expédient mais ce serait risquer une sorte d’effet de dominos et s’exposer à voir l’Union Européenne se détricoter fatalement. Ce qui équivaudrait à un désastre économique et financier puis à l’effondrement politique d’une entreprise lancée à quelques Etats au lendemain de la pire guerre qu’ait traversé l’humanité… Après plus de 70 années d’existence, d’élargissement en élargissement, l’Union Européenne n’est toujours pas passée au stade indispensable de l’Etat fédéral. Elle ne constitue même pas à proprement parler une confédération. Sa configuration institutionnelle reste indéterminée, mi-chair, mi-poisson. Elle subsiste parce que durant ces sept décennies, elle s’est dotée d’une bureaucratie qui l’enserre dans un réseau de filins tellement serrés que cette Union invertébrée paraît tenir debout toute seule. Les fondateurs de l’Europe avaient ce qu’il est convenu d’appeler une vision, stimulante et porteuse. A présent ce continent acéphale n’a plus que des « plans » où l’on chercherait en vain, à percevoir le vent du large.

22 février.

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« Le Rhin ». Ce n’est en général pas le livre de Victor Hugo que l’on découvre en toute priorité. Néanmoins, le périple vaut d’être accompli des bords parisiens de la Seine jusqu’à l’Allemagne la plus profonde. Rien à voir avec le récit de Joseph Conrad: « Voyage au cœur des ténèbres ».Le voyage sur le Rhin procure le plaisir de découvrir les burgs et les citadelles qui le jalonnent mais à chaque halte commence autant une exploration des rives rhénanes que de l’histoire des cités multiséculaires toujours vivaces ou déjà fantomatiques qui y subsistent. Victor Hugo les nomme avec une précision d’historien professionnel mais autant que la précision du voyageur informé et supérieurement cultive lui importe de dire ces noms, pour leur sonorité, pour leur étrangeté. En réalité le livre se dédouble en deux fleuves : le fleuve aux eaux profondes où ont été engloutis tant de barbares et de romains, et le fleuve de mots que l’écrivain sait diriger vers un grand morceau de poésie en prose. La légende du Fleuve

R.D.

OU EST LA « VRAIE PLACE » DES JUIFS DE FRANCE? – Radio J, 23 février 15

In Uncategorized on février 23, 2015 at 2:49

Le plus préoccupant dans les manifestations d’antisémitisme qui ont marqué les 15 et 16 février derniers est bien le lien qui les relie et qui n’apparaît pas au premier regard. La tuerie de Copenhague démontre en effet qu’il n’y a de sécurité réelle nulle part en Europe pour les communautés juives qui y vivent ou qui y survivent. Quant au saccage profanateur du cimetière juif de Sarre-Union et aux déclarations de Roland Dumas concernant « les influences juives » qui s’exerceraient sur le Premier ministre du fait de son mariage, ces forfaits matériels ou verbaux sont bien sûr graves en eux mêmes mais ils le sont également par la sombre transversale qu’ils font apercevoir entre les générations. Car, si l’on suit les commencements de l’enquête concernant le cimetière de Sarre-Union, cette profanation serait imputable à des lycéens, à des adolescents dont on se demande ce qu’ils savent vraiment de la vie en général et de la vie juive en particulier. Le plus frappant est la quasi-concomitance dans le temps, du dimanche soir au lundi matin suivant, d’une part de ces actes insensés dont on se demande toujours quel est le mobile psychique réel, et d’autre part des déclarations de Roland Dumas.

D’un côté, des jeunes à peine engagés sur les chemins de la vie et qui choisissent les pires de ces voies, de l’autre un nonagénaire qui use du vocable de « juif » ou de « juive » dans l’esprit, si l’on peut dire des années 30, et comme s’il s’agissait d’une tare contagieuse.

Certes, la réaction des pouvoirs publics n’a pas tardé, et si elle a été sans équivoque elle ne saurait empêcher que se pose une nouvelle fois, et serait-ce au corps défendant des intéressés, la question qui fâche ou qui dérange: où est la véritable place des Juifs de France? En France même? En Israël? A Shangaï? A Montréal? A Miami? Chacun est tenté d’y aller de sa profession de foi, y compris parfois au sein du rabbinat. Existentiellement parlant, une « place » ne se définit pas dans l’abstrait mais au regard des réelles conditions de vie des êtres de chair et de sang qui l’occupent. La communauté juive est traversée sur ce sujet décisif par des mouvements divers mais au bout du compte les décisions à prendre et qui engagent les générations à venir relèvent de la seule responsabilité individuelle. Je me souviens d’une discussion qui opposait en pleine guerre d’Algérie des membres actifs de la communauté juive de ma ville natale. C’était en 1956 et l’un d’entre eux avait fait part de sa décision longuement mûrie de quitter cette ville. Ce qui entraîna cette réaction de l’auditoire: « Vous êtes fous de partir ». A quoi il répliqua « Vous êtes fous de rester ». A coup sûr les années 50 ne doivent pas être confondues avec les années 2010. Pourtant les tempêtes sous les crânes ne sont pas moins tumultueuses. Car à constater comment procède le terrorisme physique, moral ou verbal; à constater aussi comment vit désormais la communauté juive de France: pratiquement en état de siège, qui peut actuellement se porter garant de la vie d’autrui au point de lui assigner sa place obligée dans l’espace et dans l’Histoire? Plutôt que de se limiter en ce domaine à des déclarations péremptoires, le plus sage n’est-il pas de nourrir les débats en cours et d’informer autant que possible ceux et celles qui s’interrogent à présent et légitimement sur les chemins de leur avenir?

               Raphaël Draï, Radio J, 23 février 2015.

ETATS A LA DECOUPE – Actu J 19 Février 2015  

In Uncategorized on février 19, 2015 at 9:24

Pendant que la campagne électorale bat son plein en Israël et prend de plus en plus les aspects d’un front anti-Nétanyahou où les phobies personnelles l’emportent sur la crédibilité des programmes, bien des régions du monde sont exposées à des bouleversements qui devraient faire réfléchir sérieusement le corps électoral israélien et de manière générale les hommes et les femmes qui affirment leur appartenance au peuple juif. Quelles que soient les antipathies personnelles, les emportements passionnels ou les convictions idéologiques, l’essentiel ne doit jamais être perdu de vue, à savoir que l’Etat d’Israël doit se renforcer comme jamais dans une région du monde exposée au chaos et, plus largement encore, dans un univers géo-politique où le cynisme et le fanatisme dictent de plus en plus cruellement la loi de Béhémoth. Dans cet univers là, il ne suffit pas de se constituer juridiquement en Etat et d’être reconnu par les instances compétentes de l’ONU. Il faut ensuite assumer véritablement cette qualité en préservant les frontières qui nous circonscrivent légalement au regard des Etats voisins tout en protégeant les populations civiles concernées dans leur existence quotidienne. Il suffit de regarder la carte actuelle du Moyen Orient, celle de l’Afrique et désormais celle de l’Europe aussi pour constater à quel point les réalités sont inverses. Nombre de pays qui y figurent formellement vacillent sur leurs bases et apparaissent comme autant d’Etats à la découpe, menacés dans leur intégrité territoriale et dans leur existence par d’autres Etats ou entités intervenant à visage découvert ou par le biais de milices ethniques à visées sécessionnistes. Depuis qu’il s’est déclenché à ciel ouvert le conflit syrien en est un premier exemple. Des parties entières du territoire de la Syrie sont désormais régentées par les miliciens de « Daech » qui y interviennent en maîtres, mettent les ressources qui s’y trouvent en coupe réglée et y persécutent à mort les minorités qui confessent une autre foi que cet islamisme déshumanisé. Et que dire de l’Irak dont, là encore, des parties entières de son territoire officiellement reconnu par le droit international se retrouvent sous l’emprise d’un « Etat islamique » qui cède momentanément sous les frappes aériennes de la Coalition pour mieux se reconstituer ailleurs en bénéficiant de l’afflux de troupes fraîches! Il n’en va pas autrement d’une grande partie de l’Afrique où cette fois des groupes d’Etats doivent faire face aux assauts incessants et impitoyables des sbires islamistes de Boko Haram: le Mali, le Nigéria, le Cameroun, la République centrafricaine, en attendant d’autres Etats de cette sorte, comme la Libye et le Yémen, qui ne peuvent assurer à eux seuls les exigences d’une souveraineté qui ne soit pas de papier. Déjà lourdement engagée sur de nombreux fronts extérieurs la France ne peut éteindre l’ensemble de ces incendies. Qu’adviendra-t-il lorsqu’il faudra engager des troupes au sol? Barack Obama ne semble plus l’exclure. A l’est de l’Europe un autre foyer d’incendie s’avère particulièrement préoccupant: celui de l’Ukraine. Certes François Hollande et Angela Merkel ont pu se réunir à Minsk avec les présidents ennemis, l’ukrainien Porochenko et le russe Poutine. Après des négociations tendues un accord de cessez-le feu a été arraché aux principaux protagonistes. Cependant les « séparatistes pro-russes » ont juré que leur drapeau finira par flotter sur Kiev! Tout cela à deux heures d’avion de Paris. Dans cet univers de pure force où l’idée de Loi est devenue spectrale nombre d’Etats sont en vérité des Etats en sursis qui seraient d’ores et déjà complètement démembrés si les forces qui les attaquent ou qui les sapent avaient pleine marge de manoeuvre. Jusqu’à quand seront-elles encore bridées par des Etats démocratiques, jouant les gendarmes au risque de se voir déstabilisés par des actions terroristes dont le dernier en date vient d’ensanglanter Copenhague et sa communauté juive? Ces réalités ne sauraient être absentes de l’actuel débat électoral qui décidera de la composition de la XXème Knesset. La notion d’intérêt général ne peut rester une formule creuse. Mis à part quelques militants spécialistes de l’outrance, toutes les convictions idéologiques désintéressées sont respectables. Par définition un parti, quel qu’il soit, ne représente qu’une partie d’un peuple aux visages tellement diversifiés. Pour l’ensemble des formations politiques israéliennes, lorsque sévit la diplomatie bouchère en cours, il faut oeuvrer inlassablement à l’unité la plus large et la plus solide de l’Etat créé en 1948. Être bâtisseur d’avenir vaut mieux que d’être le boutiquier d’ambitions médiocres. Il reste encore peu de semaines pour le marteler.

                       Raphaël Draï

COMMENTAIRE DE LA HAPHTARA TEROUMA (Rois V, 26 et sq)

In Uncategorized on février 19, 2015 at 9:03

19Térouma15

                                                          A la mémoire de Robert Attal,

         Mémorialiste scrupuleux du pogrom qui ensanglanta Constantine le 5 août 34.

 

Cette haphtara entre en résonance avec la paracha Térouma qui décrit les modalités de construction du Sanctuaire, du Michkane, dans le désert, après la libération de l’Egypte esclavagiste. Encore qu’il ne faille pas se méprendre sur l’intention directrice de cette oeuvre collective: « Ils me feront un sanctuaire et je résiderai en eux « (Ex, 25, 8). « En eux », dans leur milieu cordial et hospitalier, et non pas à proprement parler dans cette installation qui n’en est, si l’on peut dire, que le corridor spirituel, serait-il s’une splendeur inégalée. A des siècles de distance, alors que le peuple d’Israël s’est doté d’un roi et même d’une dynastie royale, et alors que le Roi Salomon, fils du Roi David a été autorisé à édifier un temple « en dur » dans Jérusalem, s’entend la même condition pour éviter le malentendu selon lequel le Dieu du Sinaï serait localisable et logé à demeure, pour ne pas dire assigné à résidence en un lieu déterminé.

La Haphtara commence par un rappel: conformément à son engagement, lequel suivait la demande particulière du jeune Roi en ce sens, Dieu a fait dévolution de la faculté de sagesse (h’okhma) à Salomon. Il s’ensuit très directement un état de concorde et de paix entre lui et le phénicien H’iram au point qu’ensemble ils concluent une alliance (berith). Quel en est l’impact sur le peuple d’Israël? Celui-ci sera t-il impliqué de corps et de cœur dans la construction du Temple comme le furent ses ancêtres au désert lors de la construction du Michkane?

Le Livre des Rois souligne à ce propos un changement radical, une régression préoccupante. En premier lieu les fonctions de H’iram en cette entreprise ne sont pas clairement définies. Etait-il simple conseiller et maître d’oeuvre ou avait-il une part décisive dans la conception spirituelle de l’édifice, ce qui en eût modifié l’intention première? Ensuite, la première des mesures prises par Salomon pour mener à bien cette tâche ne consiste guère à solliciter le concours volontaire du peuple mais à lever de lourds impôts (mass) et à expédier des corvées (10.000 hommes en rotation mensuelle) jusqu’au Liban pour s’y procurer les matériaux requis par cette construction. Adoniram est chargé de leur bonne marche. Salomon va également commander le port de lourds blocs de pierre qui serviront comme on l’a dit à la construction en dur, dans tous les sens de l’adjectif, de l’édifice.

Le texte croit devoir préciser que l’entreprise se déroulait 480 ans après la Sortie d’Egypte. Simple indication chronologique? Ou bien, là encore, observation de portée spirituelle pour indiquer, comme dans la haphtara précédente, la présence mentale, la prégnance consciente et inconsciente de l’Egypte sur les dirigeants d’Israël – comme sur tous ceux de cette partie de l’Univers – en dépit du don divin de la Sagesse qui leur a été départi, on l’a vu, à leur propre demande? Il s’ensuit également à partir du chapitre VI une série d’indications particulièrement précises sur le plan du Temple, sur ses dimensions portantes (middot) et sur ses aménagements internes. Au regard de la référence précédente à l’Egypte il s’agit de savoir quelle est la nature exacte de ces middot. Se réduisent-elles à leur projection spatiale ou bien comportent t-elles une énergie spirituelle transcendante? Aussi la Parole divine advient-elle une nouvelle fois au Roi Salomon pour dissiper tout malentendu à ce sujet.

A elle seule la construction du Temple ne suffit pas à garantir la Présence divine au sein du peuple. La condition déterminante se trouve énoncée à nouveau et elle s’avère d’une extrême clarté sur le mode « si.. alors »: « Cette Maison que toi tu construit, si tu te comportes (telekh) selon mes statuts (béh’oukotaiv) et que tu accomplisses mes jugements (michpataiv), et que tu observes l’ensemble de mes commandements (eth col mitsvotaiv) pour te comporter selon eux, alors je donnerai envers toi consistance à ma Parole selon ce que j’avais dit à David ton père ».

C’est à cette condition et à cette condition seulement que la Présence divine sera bien présente au cœur du peuple d’Israël et que Dieu n’abandonnera jamais ce peuple qu’il appelle « mon peuple » pour bien marquer, le cas échéant, que Salomon n’en est le Roi que pour autant qu’il observe la Loi entérinée par ce peuple sacerdotal au Sinaï; une Loi qui continue d’orienter son existence dans le sens de la vie en dépit des cahots de celle-ci et des éventuelles vicissitudes d’une Histoire qui demeure celle.d’une indéfectible Alliance.

 R. D.

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BLOC-NOTES: SEMAINE DU 9 FEVRIER

In Uncategorized on février 18, 2015 at 6:38

9 février.

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Le boulet est passé très près dans la 4eme circonscription du Doubs devenue laboratoire expérimental de la France électorale. Frédéric Barbier ne l’a emporté sur Sophie Montel, la candidate du FN, que d’un pour cent des voix. Pas de quoi pavoiser, sûrement. Si en démocratie une victoire, serait elle obtenue à une voix de majorité, est une victoire les commentaires allaient plutôt dans le sens d’une défaite au moins morale du successeur de Pierre Moscovici. Sophie Montel tentait de se consoler, au bord de la fanfaronnade, en affirmant tout de même que le résultat de cette élection démontrait que la France politique n’en était plus au tripartisme: PS, UMP, FN mais déjà au bipartisme: d’un côté le FN, de l’autre « l’UMPS ». La formule fait mouche. Comme à l’évidence « l’esprit du 11 janvier » ne souffle pas sur l’ensemble du territoire français. Les sondages relatifs à la présidentielle indiquent la même tendance: Marine le Pen arrivera en tête au premier tour. Et après? Après, on verra. Deux années nous séparent théoriquement de cette consultation axiale pour la vie politique française et beaucoup d’eau coulera sous les ponts. D’autant qu’une partie de l’électorat UMP ne se pince plus le nez en évoquant des alliances possibles, locales et circonstancielles, avec le FN même si Alain Juppé ne cesse de crier au feu en répétant que le programme du FN c’est d’avoir la peau de l’UMP. Sarkozy n’en pense pas moins. Il doit jouer les équilibristes au sein de la formation dont il a voulu redevenir le chef et où, pour l’instant, il donne le sentiment de s’embourber tandis qu’Alain Juppé qui a de la suite dans les idées pousse ses pions et dispose ses batteries en ligne de feu pour les primaires. Voilà pour l’avant-scène. A l’arrière plan, l’on perçoit de sinistres craquements. Tableau. Devant tous les lieux de culte et les établissements juifs des militaires prennent la garde, armes à la bretelle, prêts à tirer en cas de nécessité. La fameuse courbe du chômage cède aux mêmes tropismes qu’en 2012. On se dispute sur le sens des mots « intégration » et « assimilation ». La CGT s’est donnée un nouveau chef remarquable par sa paire de moustaches à la gauloise. On en verra les effets réels sur les créations d’emploi. François Hollande pour sa part met en oeuvre sa nouvelle stratégie médiatique: souffler sur les braises, déjà refroidies du 11 janvier, et jouer les présidents planétaires. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir des convictions opératoires à propos de l’Ukraine et du feu qui menace l’est de l’Europe. Quoi qu’il en pense, il doit s’en remettre à Poutine pour qui, dans des dispositions d’esprit symétriques, l’est de l’Europe coïncide exactement avec l’ouest de la Sainte Russie…

  

12 février.

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Nombreuses émissions sur Daech et le djihadisme. Comment en juger les effets véritables? Comment séparer l’information nécessaire et l’incitation perverse à rejoindre les islamistes exterminateurs? Les sbires de Daech n’ont pas hésité à brûler vif le pilote jordanien capturé par eux, devant leurs caméras, après avoir décapité un journaliste japonais. En représailles, le roi de Jordanie a ordonné l’exécution sans délai de deux terroristes – dont une femme – auteurs d’attentats-suicides sur le sol du royaume avant que l’aviation royale s’en aille bombarder des positions de l’Etat Islamiste. Assad, lui, se maintient au pouvoir, conforté par l’arc-boutant russe, et l’on ne peut douter que ceux-là mêmes qui avaient jurés sa perte, sollicitent en sous-main ses services ou regrettent ouvertement de ne pouvoir en bénéficier, notamment en matière de renseignement. L’Etat d’Israël scrute sa frontière nord et doit s’en remettre aux autorités libanaises pour maintenir tant bien que mal le cessez-le feu négocié dans la douleur en 2006. Comprenne qui pourra. En vain cherche t-on les repères, les schèmes qui permettraient de comprendre cette époque qui semble céder de tout son poids à la logique du pire. Les forces du Calife ont été repoussées à Kobané mais c’est une cité en ruines que les Peshmergas – combattants et combattantes – ont récupéré. Ce que les djihadistes perdent d’un côté est regagné par eux de l’autre. A présent ils progressent en Libye et s’implantent systématiquement sur les terres à l’abandon de ce pseudo-Etat, fantomatique et impotent, à quelques encablures de la Tunisie, le regard tourné vers la toute proche Italie…

 

15 février.

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N’ayant pas ce qu’il est convenu d’appeler « la main verte » je ne faisais plus attention à ces deux pots de terreau moussu placé au bord de la fenêtre. Je les conservais là, en souvenir de bons moments passés avec des visiteurs amicaux. Et puis, à ma grande surprise, les tiges d’orchidées qui semblaient s’y dessécher, puisant la force de leur sève l’on ne sait à quelle profondeur, ont commencé à bourgeonner puis ont fleuri, superbes circonvolutions blanches nacrées et mauves. Le ciel gris qui leur sert de fond en devient glorieux. Pourquoi s’y montrer attentif? Plus les temps actuels semblent asservis à la pulsion de mort, surtout lorsqu’elle se réfère à la Parole divine, plus il importe de discerner les signes de la pulsion contraire, de la pulsion de vie. Toute l’intelligence humaine doit être portée vers ce discernement sans alternative. En ce sens, le langage des fleurs ouvre à celui de la plus profonde pensée philosophique ou théologique. On pensait, un peu distraitement, que l’hiver avait engendré d’irréversibles nécroses. Avant même que ne s’achève sa séquence chronologique, le printemps vient préempter notre irréductible espérance avec l’imprescriptible désir de vivre, vie reçue, vie donnée.

R.D.

KADDICH A ALGER – Radio J -16 Février 2015

In Uncategorized on février 16, 2015 at 12:36

Les dernières volontés d’un être appelé à rejoindre son Créateur, doivent être respectées comme l’image ultime qu’il veut laisser de lui même. Elles ont force de loi. A ce titre l’immense acteur que fut Roger Hanin a voulu être inhumé à Alger dans le cimetière traditionnellement appelé cimetière Saint-Eugène, auprès de son père. Il faut avoir vu « Soleil », le film que le fils devenu homme de cinéma et de théâtre a consacré à ses parents pour mesurer la portée du geste. Roger Hanin, né Lévi, faisait partie de cette génération pour laquelle les termes qui désignent la parenté appartiennent à une terminologie sacrée et sanctifiante. Il n’est pas question de sur-interpréter la portée d’un tel acte mais en un temps où les familles se décomposent, où les références parentales tendent à s’effacer, il peut être bénéfique de rappeler cette dimension vitale de la condition humaine: la continuité des générations. Dans toute réussite, mondaine, financière, intellectuelle, artistique, se reconnaît parfois un élément de revanche sur le sort, sur ce que peut avoir eu d’injustement humiliant le fait de naître au bas de la société quand ce n’est pas dans ses bas-fonds. C’est ainsi que certaines « ascensions », comme on les qualifie, équivalent si l’on n’y prend garde, à des reniements et aboutissent au véritable exil, géographique et humain, de ceux et celles qui y consument leur existence. Dans les obsèques voulues par celui qui su incarner simultanément un chef de gang et un commissaire de police plus vrai que vrai, qui donna corps avec Claude Chabrol au personnage castagneur du « Tigre » mais qui interpréta également Beckett et Claudel, il faut sans doute reconnaître le signe d’une fidélité indéfectible à une terre natale et à des parents affectivement adorés. De même chacun, jugera comme il l’entend l’accueil cérémoniel de sa dépouille par les autorités algériennes une veille de chabbat. Cependant, pour aussi émouvante que fut cette inhumation, sanctifiée sur place par la récitation du kaddich, elle ne saurait faire oublier une situation générale plus attristante: celle qui interdit de fait la visite strictement religieuse des cimetières juifs d’Algérie par ceux et celles qui voudraient eux aussi pouvoir y réciter le kaddich sur les tombes d’êtres chers. Tant de démarches à cette fin ont été rebutées ou découragées, parfois à la dernière minute et sans un mot d’explication, qu’il a fallu, à titre compensatoire, ériger une stèle du souvenir au cimetière parisien de Pantin. Il est des contentieux de nature judiciaire, d’autres de caractère politique. Celui sur lequel nous n’avons cessé d’insister depuis des années n’est plus seulement de nature diplomatique. Il en appelle désormais à la justice céleste, si l’on y croit, et en ce domaine il ne faut jamais désespérer des sentences finales de la Providence. Puisse alors l’inhumation de Roger Hanin dans ce cimetière algérois qui est aussi un irradiant lieu de mémoire ne pas constituer l’exception qui confirme une règle de moins en moins supportable. Et puisse ce kaddich exceptionnel en susciter d’autres pendant qu’il en est encore temps lorsque le dernier devoir est devenu le tout premier.

                         Raphaël Draï, Radio J, 16 février 2015.

COMMENTAIRE DE LA HAPHTARA: MICHPATIM (Jérémie 34 ; 8 à 22 et 33 ; 25, 26)

In Uncategorized on février 12, 2015 at 9:46

Après un cycle de deux années consacrées aux parachiot s’engage à présent le cycle des haphtarot. Rappelons que la haphtara reprend les thèmes principaux de la paracha afin de leur conférer parfois à des siècles de distance validité historique et résonance morale. Pour la bonne compréhension des commentaires à venir l’on voudra bien se reporter au texte intégral de la haphtara concernée dont les références seront chaque fois indiquées. Il ne s’agira pas ici d’un commentaire systématique mais de celui des points les plus saillants d’un texte dont on pourrait dire en langage mathématique qu’il est homothétique à celui de la paracha.

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La paracha Michpatim s’inaugure par la prescription capitale selon laquelle tout travailleur ayant engagé sa force de travail pour des raisons diverses doit obligatoirement être rendu à sa liberté la septième année (Ex, 21, 2). On mesure l’impact de cette prescription inaugurale sur le modèle politique, social et économique d’Israël. La présent haphtara souligne à quel point pareil modèle se veut intransgressible. Elle est tirée du livre de Jérémie, avec Esaïe et Ezéchiel un des trois « grands prophètes » – grand par la dimension des textes en question – de l’Israël devenu souverain sur la terre dont Dieu a fait dévolution aux Patriarches.

Selon l’enseignement d’André Neher la mission prophétique consiste non pas à prédire l’avenir mais à préserver les termes de l’Alliance du Sinaï, à les restituer en cas de besoin dans leur sens réel, quitte à destituer le Roi qui les méconnaît ou qui les transgresse. Ainsi en va t-il de la libération des travailleurs hébreux après les six années maximales de leur emploi, lui même régi par un minutieux droit du travail. Cette libération, nommée dror, n’est ni négociable, ni susceptible d’« aménagements ». L’être humain doit assumer sa liberté sans laquelle il n’est pas de responsabilité digne de ce nom. D’aucune manière la conjoncture, aussi contraignante qu’elle soit à titre personnel, ne doit porter atteinte à cette vocation.

C’est à ce rappel que procède Jérémie, au VIème siècle avant l’ère actuelle et prés de deux millénaires après la promulgation du michpat précité. Quant à la conjoncture historique l’injonction du navi intervient à la suite du schisme qui a clivé la terre d’Israël entre deux tronçons de royaume: celui d’Israël et celui de Juda dans le ressort duquel se trouve la capitale: Jérusalem. Profitant des dissensions entre ces deux demi-royaumes, les armées de Nabuchodonosor ont envahi leur territoire et s’approchent de la capitale pour la subjuguer. Comment leur faire face?

Pour le prophète Jérémie chercher de nouvelles alliances serait de nul effet. Il faut bien le comprendre: la force militaire de Nabuchodonosor n’est qu’une conséquence de l’affaiblissement moral du peuple d’Israël devenu irrespectueux de l’Alliance sinaïtique. Il semble que le roi de l’époque, Sédécias, en ait été convaincu. C’est pourquoi il incite tout ce qui est devenu l’aristocratie du Royaume, qui transgresse le principal capital du dror, à le rétablir immédiatement, à revigorer l’Alliance, la Berith, à libérer les hommes et les femmes qui se trouvent encore indûment liés à ceux qui sont devenu leur « maîtres » au delà des six années légales.

La haphtara décrit les deux mouvements contrastés qui s’ensuivent et là se trouve une première leçon. Dans un premier temps, mus par un sentiment où se mêlent culpabilité et enthousiasme moral, les nouveaux maîtres obéissent à cette injonction, mais dans un second temps qui annule le premier ils se ravisent et se saisissent à nouveau des travailleurs qu’ils avaient libérés. Ce retournement mental fait alors penser irrésistiblement à celui du Pharaon et de sa caste une fois qu’ils s’étaient résignés à laisser s’en aller le peuple des hébreux (Ex, 14, 5). Signe que l’Egypte esclavagiste s’était reconstituée au sein même du peuple d’Israël.

Cependant, comme on y a souvent insisté, l’Alliance comporte sa propre logique interne. On ne saurait s’en délier pour les obligations à quoi elle engage et vouloir bénéficier des bénédictions qu’elle induit. Cette logique va s’appliquer ici en pleine responsabilité, d’où l’emploi du terme lakhen qui veut dire: par suite, par conséquent, de ce fait même (Jr, 34, 17). Cette caste se prétend libérée de l’Alliance? Elle le sera aussi de la sollicitude divine et se verra inexorablement livrée à l’arbitraire d’un potentat dont la seule loi est celle de sa volonté.

Faut-il alors se résoudre à reconnaître dans ces représailles l’action du « Dieu vengeur de l’Ancien Testament »? Certainement pas. Les deux versets de conclusion, tirés, eux, d’un chapitre antérieur de la prophétie de Jérémie (33; 25, 26) rappelle que toute sanction divine est destinée à ramener le peuple sur les voies de la vie et que l’amour de Dieu pour ce peuple, pour son peuple, est imprescriptible (Jr ; 2, 2). C’est sur le fond de cet amour sans intermittences que le peuple doit trouver la force de s’en revenir des chemins sans issue où il avait cru pouvoir inconsidérément s’engager.

Raphaël Draï, zal, 12 février 2015

BLOC-NOTES: Semaine du 2 février 2015

In Uncategorized on février 12, 2015 at 12:03

4 février.

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Conférence de presse à l’Elysée dans le grand salon où dominent les couleurs rouge et or. Qu’en attendre? Un François Hollande en Imperator, revenu victorieux de ses campagnes contre les Sarrasins? Frappait d’abord le groupe des ministres rangés de côté et qui semblaient réellement faire de la figuration ou se préparer à une claque aux passages fixés d’avance. A l’évidence François Hollande voudrait faire croire qu’il a changé, qu’il n’est plus le président si « normal » qu’il en devenait falot de ces derniers mois, lorsqu’on ne donnait pas cher de la fin du mandat présidentiel auquel il avait indûment prétendu. La posture médiatique avait été délibérée: reléguer en sous-paragraphe les questions économiques pour se poser en chef de l’Etat et chef de guerre dont le champ d’action électif se dessine sur la planète entière. L’esprit du 11 janvier doit continuer de souffler sur les sommets! Mais comme eût dit Victor Hugo la conjoncture est impertinente. Dimanche dans la 4ème circonscription du Doubs où avait labouré Pierre Moscovici, à l’élection législative partielle, au rebours de bien des prévisions, le candidat socialiste a devancé le candidat UMP mais se trouve lui même devancé – et largement – par la candidate du Font National seule en droit de pavoiser. Retour sur terre et plus particulièrement dans le Jura… Que décider pour dimanche prochain? L’UMP n’est pas unanime. Pour les uns, il faut faire barrage à Marine le Pen. Pour les autres, il faut punir le PS qui se sert précisément du FN pour faire fructifier ses petites affaires électorales. Entre les deux Nicolas Sarkozy balance et doit se demander, devant ces crêpages de chignon en public, s’il était avisé de revenir aux affaires en passant par la présidence d’un parti où chacun se prend pour un avatar du général de Gaulle. Entre deux, le président de l’UMP fait un saut à Abou Dhabi pour donner une conférence dont la seule chose qu’on en sache est qu’elle a été grassement rémunérée. Bien sûr il en a le droit théorique. Pourtant ce qui a perpétuellement nuit à l’ancien président de la République n’est-ce pas précisément le mélange des genres entre l’affectif et le politique, la sphère publique et la sphère privée? Il doit y prendre garde: Alain Juppé qui n’est pas tombé de la dernière averse bordelaise se profile de plus en plus en grand Frère, sage et désintéressé, qui voudrait rénover la France comme il a rejouvencé Bordeaux. Quant à François Hollande on le sentait déjà mentalement projeté dans l’avion qui devait le conduire avec Angela Merkel d’abord en Ukraine puis à Moscou pour tenter d’éteindre un périlleux incendie. Pas plus que ne s’éteint l’autre feu de brousse: la dette grecque que le nouveau Ministre des finances hellène est venu reconfigurer dimanche à Paris avec Michel Sapin privé de la finale télévisée du championnat du monde de handball gagnée une fois de plus par l’équipe de France. Tout en se montrant fort cordial et pratiquant le bras dessus – bras dessous, Michel Sapin est resté clair: vive la Grèce mais il n’est pas question de faire porter le poids de sa dette par le contribuable français. En somme: Syriza m’était compté…

6 février.

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La démarche étonne: le président français et la chancelière allemande, d’ordinaire et sauf circonstances exceptionnelles se posant l’un pour l’autre en chiens de faïence, forment la paire pour tenter de convaincre le président ukrainien et le président russe qu’à force de jouer avec les allumettes ils risquent de mettre le feu au continent. La France et l’Allemagne souvent opposées ont fini par fixer les limites de leurs ambitions concurrentes dont on sait les malheurs qu’elles ont causés, au delà du continent européen, pour l’univers entier. En va t-il de même entre l’Ukraine et la Russie, l’Ukraine qui voudrait conquérir une véritable et complète indépendance et pour laquelle, contrairement aux apparences, l’Empire soviétique se survit fortement; la Russie qui ne veut pas entendre parler d’une intégration de l’Ukraine dans l’Union européenne et surtout dans l’OTAN? Que sortira t-il de cette médiation? Tous les jours de nouvelles victimes s’ajoutent à un décompte funèbre et déplorable. Dans ces affrontements, où il semble que la raison n’ait pas de prise, s’entremêlent de féroces et gigantesques conflits d’intérêts et les séquelles inguérissables de conflits passés. Kiev ne peut oublier ce que fut la colonisation soviétique, Moscou ne veut passer l’éponge sur le passé nazi des ukrainiens. Ce qui fait penser à l’interjection d’Œdipe dans la pièce de Sophocle: «Générations vous n’êtes rien!».

8 février.

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S’il fait encore très froid, déjà les arbres fleurissent et l’on sent la sève pulser dans toutes les branches. Jusqu’ici le ciel vu à travers les branchages noirs et dénudés, luisant de pluie, semblait pris sous un grillage. A présent, le grillage se transforme en résille, fine, dentelée et l’on s’attend au reverdissement de l’univers. Être attentif à ces signes de vie permet de résister à la nécrose ambiante où l’on ne sait plus parler que de crise, de déficit, d’affrontements, de lendemains qui s’annoncent pire que les hiers. Et puis à la télévision, un concert donné à Nantes par un orchestre varsovien. Le concerto no 2 de Chopin comme si on l’entendait pour la première fois et une jeune pianiste dont on voyait bien qu’elle recréait ce morceau d’anthologie comme si elle en était la parturiente. Rassuré par tout ce qui pulse de vivant dans les arbres et dans les esprits. On n’y insistera jamais assez: nos existences ne seraient que des sursis du néant si chacun à notre mesure et avec les dons qui nous ont été départis nous abdiquions notre vocation créatrice partout où elle peut s’exprimer.

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LE FINANCEMENT DU CULTE ET SES REFERENTS SYMBOLIQUES ORIGINELS DANS LA TRADITION JUIVE[1]

In Uncategorized on février 10, 2015 at 1:19

La formulation même de cet intitulé en souligne le décalage actuel au regard de ses références hébraïques initiales. « Financement » est un terme récent qui ramène le verbe « financer » à sa composante exclusivement monétaire et matérielle. Quant au mot « culte », il se rapporte aussi à une définition datée, institutionnelle et même administrative, de la pratique religieuse. De ce point de vue, le financement du « culte juif » en France, en Europe, et dans l’Etat d’Israël, est assuré selon la législation et la réglementation des pays concernés et selon leur degré de « laïcité », conviviale ou non. On y retrouve des rubriques comparables: financement public lorsqu’il est autorisé, financement selon le droit associatif en vigueur, financement par le biais de fondations, dons et legs, le tout contrôlé selon, là encore, les législations en question.. Il n’est pas sûr que cette approche, pour ainsi indispensable qu’elle soit en droit positif, rende complètement compte des causes et de la manière dont le peuple hébreu – les Bnei Israël – affectait une part importante des ressources de ses membres au fonctionnement du Temple de Jérusalem et des institutions qui lui étaient attachées, ainsi qu’au soutien et à l’entretien de la tribu de Lévi d’où étaient issus les cohanim, les prêtres et, au sein de ceux – ci, les grands prêtres, les cohanim guedolim, d’où le grand prêtre, le cohen gadol était issu lui même. Pourtant, reprendre cette formulation mais en la replaçant dans le contexte, comme l’on dit, des institutions bibliques, pour employer cette expression dans son sens le plus large qu’il faudra préciser chemin faisant, n’a pas qu’un intérêt documentaire éclairant un pan sans doute instructif mais à la fois archaïque et exotique de l’histoire des religions. Cette reformulation, engageant une recherche soucieuse de comprendre le concepts originaux et les pratiques singulières du monde hébraïque en ce domaine, contribuera sans doute aussi à mieux éclairer non seulement le sens des deux vocables utilisés en cette formulation initiale: « financement » et « culte », mais, plus largement encore, de mieux saisir comment une collectivité humaine invigore sa propre transcendance par la manière dont elle veille à ses relations avec son Dieu: relations d’hospitalité et d’accueil, validées par la façon dont elle se comporte vis à vis du groupe sacerdotal en charge de cet accueil, et cela sans interruption et sans intermittence. Ce qui conduit aux deux interrogations qui constitueront l’essentiel de cette investigation.

En premier lieu, ce groupe sacerdotal, pour le désigner par le terme le plus utilitaire et le plus neutre qui soit, constitue t –il réellement une « caste », à la charge du peuple tout entier dont il serait, sans aucun euphémisme, le prébendier et le parasite [2]? Ensuite, si tel n’est pas le cas, comment le groupe des lévites et des cohanim restitue t-il au peuple ce dont celui-ci lui a fait dévolution? Car est telle est la différence la plus notable entre la tribu des leviim et une caste, au sens dépréciatif qui affecte ce terme dans le vocabulaire courant: c’est bien un échange qui se produit entre ces deux parties du peuple des Bnei Israël selon les modalités et pour les raisons que nous aurons à examiner. Et l’on comprendra qu’en réalité, à travers la relation entre léviim, cohanim et israélim c’est une certaine conception de la société dans ses relations avec l’économique et la transcendance qui se propose à l’analyste.

I. L’institution « cultuelle » dans les institutions bibliques hébraïques.

 La notion de culte est si fortement sur-impressionnée par celle de caste ou d’appareil ecclésiastique qu’il faut en tout premier lieu reconnaître la spécificité de la tribu de Lévi, la tribu sacerdotale par excellence, instituée de parole divine (Nb, 18). Quelle est la généalogie de cette institution? Il faut noter avant tout qu’elle n’est pas originelle mais dérivée, et dérivée à partir d’un gravissime accident du peuple d’Israël: l’adoration du Veau d’Or, survenu tout juste après la libération de l’Egypte esclavagiste. Dérivée et dérivée seulement car initialement c’est le peuple tout entier, et en tant que tel, que Dieu – pour le désigner par son nom dans le récit biblique – institue comme entité sacerdotale, face au Sinaï, et en préparation au don de la Thora, du Décalogue: « Et désormais, si vous êtes attentifs à ma voix et si vous gardez mon Alliance, vous serez pour moi trésor parmi tous les peuples car toute la terre est mienne. Et me serez une souveraineté de pontifes et un peuple saint.. » (Ex, 19, 5, 6). C’est bien le peuple tout entier, et aux conditions prescrites, qui fait l’objet du choix divin et de cette dilection sacerdotale, cela aux conditions prescrites dont la principale d’entre elles et qui collige toutes les autres est l’observance de l’Alliance, déclinée dans les dix Paroles du Décalogue avec les règles positives, les michpatim, destinées à les mettre en pratique. Ce qui signifie, qu’aux termes de ce récit, Le peuple des Bnei Israël devient pour ainsi dire le pontifex de l’humanité, voué à y diffuser la connaissance du Dieu Un, du Dieu unifiant, celui qui créa l’Humain en corrélation avec lui (Gn, 1, 26). Cette institutionnalisation n’implique aucune des connotations parasitaires du mot « caste » puisqu’il est rappelé, en même temps, que la terre appartient à Dieu et à Dieu seul. Et c’est par l’exercice d’un tel sacerdoce que cette appartenance se verra reconnue et consacrée ou plutôt sanctifiée[3].Dans quelles circonstances et pour quelles raisons la tribu de Lévi se verra t-elle distinguée au sein de ce peuple? Et cette distinction la constitue t-elle en caste? Il faut revenir au récit biblique du Veau d’or.

Cet accident spirituel, à comprendre comme une gravissime régression idolâtrique, se produit alors que Moïse se trouve sur le Sinaï où Dieu l’a appelé afin de lui transmettre la Thora. Certes les dix Paroles ont fait déjà l’objet d’une révélation collective préalable. Néanmoins, Moïse a été appelé directement auprès de Dieu afin de se voir enseigner comment appliquer ces dix Paroles principielles, pour les faire passer de l’idéal dans la réalité, afin de les rendre effectives. Cependant quelques heures à peine avant le retour prévu de Moïse, le peuple se trouve saisi dans un raptus d’impatience qu’il ne peut maîtriser. Un tel raptus se traduit, de manière comminatoire, auprès d’Aharon, le frère de Moïse, issu comme lui de la tribu de Lévi: qu’il confectionne une effigie qui tienne lieu aux émeutiers de Dieu guidant et tutélaire ! Et c’est sous le coup de cette menace, après avoir usé de tous les moyens dilatoires possibles en attendant le retour assuré à ses yeux de Moïse, qu’Aharon confectionne cette effigie, sous la forme d’une figurine compacte, celle d’un Veau d’or.Et le peuple s’adonne à l’« hilarion » régressif[4], comme si quelques semaines à peine auparavant, face à la proposition divine concernant la Thora, il n’avait pas répondu d’une seule voix: « Nous ferons et nous écouterons ». Moïse en est averti et la suite est connue: la descente – l’on dirait presque l’atterrissage du Sinaï, la brisure des tables, la pulvérisation de l’idole, et le jugement du peuple. Mais avant ce jugement Moïse avait incité chacun à se déclarer sans ambiguité: « Moïse se posta à la porte du camp et il dit: « Qui est à Dieu soit vers moi. Et tous les enfants de Lévi s’adjoignirent à lui » » (Ex, 32, 26).Dans ces circonstances, la tribu de Lévi n’est pas distinguée a priori, de manière discriminatoire. En somme, c’est le reste du peuple, pourtant convoqué de manière collective, qui l’a distinguée par défaut. Il reste à comprendre les raisons de ce choix, les mobiles de cette attitude. La comparaison des deux bénédictions dont cette tribu est la destinataire dans le récit biblique y contribuera.

La première se trouve dans la bénédiction à la fois générale et individuelle que Jacob, au seuil de la mort, adresse à ses fils enfin réunis, ensemble, et à chacun d’eux personnellement (Gn, 49).Arrivé à Lévi, indissociable de son frère Siméon, il prononce ces paroles sans ambages: « Siméon et Lévi, digne couple de frères, leur armes sont des instruments de violence: ne t’associe point à leurs desseins ô mon âme ». En matière de « bénédiction » l’on se fût attendu à de tout autres propos. Ceux de Jacob se justifient néanmoins par le massacre des habitants de Sichem auquel deux frères s’étaient livrés après que leur sœur Dinah eût été violée et traitée comme une prostituée par le fils du roi de Sichem. D’aucune manière leur père ne prend à son compte cette violence, sans déjuger absolument les intentions qui y avaient conduit ce binôme ombrageux s’agissant de la dignité de leur sœur. Et c’est pourquoi Jacob ajoute cette phrase que nous retrouverons, mais dégagée de ce contexte là – et il importe de traduire ici au plus prés: « Je veux les répartir (ah’alkem) dans Jacob, les disséminer en Israël » (Gn, 49, 5, 6, 7). La vocation des deux frères, une vocation qui sera assumée finalement par Lévi seul, est donc bien cette dispersion non pas hasardeuse mais d’ensemencement au sein des autres tribus, comme s’ils devaient en devenir le sel ou le levain.

La transformation de ce que Lévi incarne se reconnaîtra, des siècles plus tard, après la libération d’Egypte et la traversée du désert, au moment d’entrer en terre de Canaan dans la bénédiction, en forme de viatique spirituel, de Moïse cette fois: « Uniquement fidèle à ta parole, gardien de ton Alliance ils enseignent tes lois à Jacob et ta Thora à Israël ; présentent l’encens devant toi et la liturgie de cohésion (kalil) sur ton autel » (Dt, 9, 10), ce qui les désigne d’ailleurs à la vindicte de leurs ennemis, autrement dit de ceux qui dénient ce sacerdoce. De l’une à l’autre bénédiction l’on est conduit à comprendre que la tribu de Lévi n’est pas distinguée ontologiquement ou génétiquement de l’ensemble du peuple qu’au contraire elle représente et élève au niveau qui est devenu le sien. Comment ce niveau a t –il été atteint? Non par mutation imprévisible ou par commutation magique mais à la suite d’un considérable travail sur soi ; d’une profonde, intense, large et communicative prise de conscience qui a conduits les leviim à l’élaboration psychique et morale de cette violence impulsive, quels qu’aient pu en être les motifs légitimes ; un travail intime qui les prémunit désormais contre les emportements destructeurs ou les enthousiasmes rétroversifs. La tribu de Lévi sera celle de la fidélité et de la constance ; celle qui sait assumer un engagement et soutenir une promesse. Ce sera la tribu balancier des Bnei Israël. Elle ne cèdera pour autant à aucun arrivisme parce qu’elle ne s’estime pas parfaite mais veille à son perfectionnement. Elle même n’est pas à l’abri d’une régression à des états qu’on aurait cru dépassés comme l’atteste le coup de force tenté contre Moïse et Aharon par d’autres léviim, ceux issus de Korah’et de ses affidés, lesquels précisément estimaient qu’il en était « assez » de Moïse et d’Aharon car le peuple en général avait déjà atteint le degré de la sainteté complète, individuellement et collectivement. En quoi ils seront durement déjugés et sanctionnés (Nb, 16, 32).

C’est en ce sens que les léviim dont sont issus, répétons le, les cohanim, assument une mission proprement sacerdotale au seins des Bnei Israël. Les actes, liturgies et fonctions qui leur sont dévolus à cet effet et que nous aurons à examiner ne trouvent leur véritable signification qu’au regard et dans le constant rappel de cette mission qui ne cède à aucune mystagogie. Le caractère proprement sacerdotal de cette tribu se reconnaît à son exemplarité. C’est à ce titre qu’elle doit être répartie et disséminée au sein du peuple et non pas s’y constituer en enclave ni en citadelle mystérieuse. Les léviim confèrent aux Bnei Israël l’aspiration à l’élévation qui les anime eux mêmes. Ils sont le giron des cohanim dont ils deviendront les desservants au sein d’un peuple dont ils ne se dissocient nullement puisqu’ils sont commis à sa sollicitude et dépendent de sa solidarité. Les rabbins d’aujourd’hui en seraient les équivalents.

En quoi consiste plus spécifiquement le cohénat? Selon les processus cognitifs sollicités par l’exégèse hébraïque, ce terme s’éclaire par les lettres formant le nom qui les désigne: CHN. La lettre médiane, le hei, est symbolique de la présence divine, de ce qui se nomme aussi la Chékhina. Elle est encadrée par les lettres caph et noun, qui reliées, signifient l’affirmation, le « oui », la confirmation et la validation.Ce terme valide dans le récit de La Genèse les phases successives de la Création. Autrement dit, et sous cette forme algorithmique, la mission des cohanim, au sein de la tribu de Lévi, est d’accueillir la présence divine au sein, dans le tokh, des Bnei Israël en lequel cette tribu on l’a dit a été répartie et disséminée. Cet accueil revêt une gravité particulière le jour de Kippour, appelé de ce fait « Le jour » (yoma). Ce jour là, il appartient au cohen gadol, au grand prêtre et à lui seul, de pénétrer dans le Saint des Saints pour y prononcer, ce qui relève de sa seule autorité et de sa seule responsabilité, mais à ses seuls risques aussi, le Nom explicité de Dieu: le Chem Hamephorach afin d’obtenir le pardon des fautes et manquements éventuels du peuple tout entier dans lequel il se compte intrinsèquement, duquel il ne s’excepte pas. Et c’est également sous cet angle de vue que peut mieux se comprendre la fonction du Temple et le service qu’y accomplissait la tribu de Lévi, du moins pour ceux de ses membres qui y étaient spécifiquement affectés, le reste, se trouvant disséminé sur tout le territoire d’Israël.

II. La synagogue et le Temple.

De nos jours, le financement dont il est question concerne ce qu’il est convenu d’appeler les synagogues, terme de consonance hellénique sinon d’esprit grec qui signifie: enseignement et mode de vie commun. Toute synagogue envisagée en ce sens est indissociablement un lieu de prière (beth knesset) et un lieu d’études (beth hamidrach). Ces institutions ne constituent pas des entités autonomes. Elles sont pour ainsi dire homothétiques au Temple de Jérusalem, appelé Beth Hamikdach, « la Maison du Sanctuaire », ou encore Beth Habéh’ira, « la Maison du choix », et lui sont reliées.Aux temps où la Judée était indépendante et souveraine, à chaque synagogue locale comme au Temple de Jérusalem était attaché le tribunal où chacun avait l’obligation de faire juger ses différents avec autrui, juif ou non[5].Autant dire que, depuis, toute construction et tout aménagement de synagogue doivent s’accomplir conformément à la construction du Sanctuaire dans le désert d’abord, des deux Temple de Jérusalem ensuite, en attendant le troisième Temple de la vision prophétique d’Ezéchiel.

L’architecture du Sanctuaire initial et des deux Temples ont donné lieu à de nombreux commentaires. Il faut en saisir l’esprit général et les intentionnalités. Elles commandent bien sûr la construction et la gestion des synagogues d’aujourd’hui, du moins en France et selon le droit français – lequel fait toute sa part au droit de la Communauté européenne, comme on le constate avec les débats relatifs à la circoncision ou à l’abattage rituel. Pourquoi et comment a été construit le Sanctuaire du Désert? Le (contre) sens commun l’attribue à la volonté d’édifier une demeure pour la Présence divine, dans l’intérieur de laquelle celle –ci résiderait, pourrait être consultée et, pourquoi pas, se rencontrer, au moins spirituellement, si ce n’est de manière extatique. Telle n’est pas l’intention générique du Sanctuaire, puis celle des deux Temples de Jérusalem, suivant le principe selon lequel Dieu est libre de se manifester et de se révéler au lieu de son choix. S’il a fait prédilection de Jérusalem c’est, selon les caractéristiques d’une géographie biblique de la sainteté, et sans pouvoir entrer plus avant dans les détails, parce que ce lieu est réputé à la médiatrice de l’univers dont il constitue le point d’équilibre générique.

Dans le récit de L’Exode, les instructions concernant la construction, le montage puis l’édification du Sanctuaire, obéissent à l’invite suivante: « Ils ne feront un Sanctuaire et je résiderai au milieu d’eux (betokham) (Ex, 25, 8). Les commentateurs de la Tradition juive l’entendent ainsi: « Ils me feront un sanctuaire afin que je réside non pas dans ce sanctuaire mais dans leur propre intimité, individuelle et collective ». Encore faut –il avoir construit ce « eux », ce site d’accueil intérieur, d’hospitalité humaine pour la présence divine. En l’occurrence, la mise oeuvre du Sanctuaire est au moins aussi importante que son aboutissement, précisément parce qu’elle incarne une oeuvre accomplie par un ensemble humain, par un peuple, un âm, digne de ce nom. Un véritable working through de la propension idolâtrique.Ce qui renouvelle la question précédente? Pourquoi, poursuivant la libération des Bnei Israël de la maison d’esclavage pharaonique, ce projet a t-il été rendu indispensable? On a commencé d’y répondre: à cause de la régression du Veau d’or dont l’une des multiples causes gîte dans la mentalité d’esclaves dont les Bnei Israël ne s’étaient pas encore complètement délestés. Le façonnage de cette effigie massive et opaque a été le fait d’une foule ameutée contre Moïse et son frère[6].L’ordre sans réplique en a été donné à Aharon: « Fais nous un Dieu qui marche à notre tête ».S’ensuit la reconstitution fallacieuse de l’histoire pourtant immédiate puis le culte orgiaque d’un simulacre de métal, tandis que l’« hilarion », comme on l’a vu, consomme la perte de conscience et la déchéance morale de ceux et celles qui s’y livrent. Jusqu’au moment de la sanction. Elle laisse le peuple désemparé, « découronné », avant que Moïse, confirmant le pardon divin qu’il avait sur le champ sollicité, n’obtienne les secondes tables de la Loi. Or c’est précisément du lieu où celles ci – doivent être déposées, de manière tout aussi symbolique, dont il est surtout question avec le projet et le plan de construction du Sanctuaire dont la construction de tout lieu de culte juif doit s’inspirer.

Comment les matériaux en seront-il réunis? Non par impositions et prélèvements obligatoires mais par offrandes et dons volontaires, accomplis avec l’intention de l’esprit ouvert et la volition du cœur. En réalité il s’agit d’opérer à rebours des actes et des intentions qui ont conduit au Veau d’or. L’or seul n’y suffira pas. Tous les autres minerais et matériaux devront y concourir, de sorte que l’ensemble des éléments de la Création y soient représentés.

Toutefois, et si naturellement le travail requis à cette fin doit e être confié à un maître d’oeuvre doté du savoir indispensable à cet effet, Bétsalel pour ne pas le nommer, on relèvera, au regard de nos développements précédents, que celui –ci n’appartient justement pas à la tribu de Lévi, qu’il est issu de celle de Juda, pour bien signifier que ce Sanctuaire ne sera pas l’apanage d’une tribu démarquée des autres encline à se constituer en caste. Par ailleurs, si Bétsalel (Ex, 31, 2) est bien le maître d’oeuvre et le chef de chantier, l’oeuvre aboutissant au Sanctuaire devra être confiée à quiconque dans l’ensemble du peuple, hommes et femmes, s’y trouve disposé par cette qualité essentielle: la sagesse de cœur. La terminologie même d’un tel travail en indique l’esprit puisque, et entre autres, les assemblages de panneaux et de tentures se feront selon le vocabulaire de la fraternité (Ex, 36, 29).Cette symbolique et cette terminologie sont celles qui prévalent jusqu’aujourd’hui lorsqu’il s’agit de construire une synagogue nouvelle ou d’en réaménager une préexistante, afin d’inspirer les comportements des officiants et de leurs fidèles.

Quant aux éléments symboliques qui seront disposés à l’intérieur du Temple il convient de ne pas commettre non plus de confusion et de contre sens.En s’approchant de plus en plus de ce qui se nomme le Saint des Saints (Kodech hakodachim), l’on reconnaître d’abord l’Autel des sacrifices, qu’il vaudrait mieux appeler pour les raisons que nous allons voir, l’Autel des « liturgies de rapprochement »: des korbanot. Puis dans un lieu moins découvert, plus intime, trois éléments principaux doivent être disposés selon trois des quatre points cardinaux qui sont aussi des directions de l’esprit: le Chandelier à sept branches représentant les sept facultés principales de la conscience humaine en mesure de percevoir et d’accueillir la Présence divine ; les Tables accueillants les « pains de visage » (leh’em panim) que l’on peut considérer comme symboles éloquents du lien social, et l’Arche sainte où étaient déposées les secondes Tables de Loi avec les fragments des premières [7], ces deux types de Tables se correspondant et formant structure.A propos du Candélabre, il faut souligner que s’il devait être quotidiennement illuminé, cet allumage revenait aux membres du peuple et non pas aux cohanim ou aux léviim lesquels étaient exclusivement chargés de préparer cette montée de lumière, individuelle et collective dont on comprend mieux la finalité.Quant au quatrième point cardinal, quant à l’Est, la direction de l’origine, de l’Antérieur, et d’où l’on entrait, selon les procédures requises, dans le Temple, il devait rester complètement libre et ouvert, ce qui aussi se passe de commentaire. Quant au Saint des Saints, où seul le Cohen Gadol était autorisé à pénétrer le jour de Kippour, pour les raisons que l’on sait, il devait demeurer non pas vide, au sens négatif mais libre, disponible, correspondant à l’espace d’accueil de la présence divine, homologue à celui que le Créateur avait su ménager pour que la Création elle même puisse avoir lieu.

Telles sont jusqu’aujourd’hui les règles présidant à l’édification et à l’aménagement des synagogues et les moyens matériels requis à cette fin doivent en être inspirées. On peut alors se demander à quel endroit a été translaté le Saint des Saints? Est ce dans l’ékhal, dans le lieu où sont désormais déposés les Sifrei Thora, les rouleaux de la Loi, homologues au Tables du Décalogue? Ou bien sur la bama, sur l’estrade ou ces rouleaux sont déroulés puis lus? Sans doute en ces deux endroits, sans oublier le trajet qui mène de l’un à l’autre.

Quelles sont ainsi les fonctions particulières dévolues à Moïse puis à Aharon? Moïse avait pour mission – ce mot est préférable à celui de « charge »- de veiller d’abord à l’adéquation de l’oeuvre en cours avec le schéma divin qui l’avait inspiré, puis d’effectuer l’assemblage de ses éléments et enfin d’en assurer le montage avant l’édification conclusive, chaque phase comportant ses risques spécifiques. Le livre de L’Exode relate ces différentes étapes et la manière dont Moïse s’en acquitta jusqu’au moment de la surabondante consécration divine (Ex, 40, 34).

Quant à Aharon, sa mission, que les leviim affectés au Sanctuaire assisteront, est qualifiée de âvodat hakodech, de « service saint ». Pour le dire en termes forcément cursifs, elle consiste à accomplir les korbanot précités, et à bénir le peuple selon des modalités bien particulières. Les korbanot ne sont pas des sacrifices au sens habituel. Le mot korban est construit sur la racine KRB qui désigne le rapprochement, la réduction d’une fracture, l’accourcissement d’une distance physique, psychique, affective et spirituelle. La nomenclature et la typologie précises de ces korbanot – dont l’un était qualifié de tamid, de perpétuel – pour marquer la continuité de l’histoire d’un tel peuple et l’esprit de suite qualifiant ses états de conscience – se trouve dans les traités correspondants du Talmud et dans le « Michné Thora » de Maïmonide. Leur logique interne n’est pas inaccessible et peut se comprendre comme suit: à chaque incident heureux ou malheureux de l’existence individuelle ou collective et dans le deuxième cas surtout lorsqu’un éloignement ou une cassure pouvait en résulter, les protagonistes avaient deux obligations. La première, si un conflit était déjà déclaré, celle de le porter devant un tribunal. Le Sanhédrin, à la fois cour suprême et parlement, siégeait à Jérusalem, ce siège jouxtant, matériellement et symboliquement, le Temple. L’autre les incitait à se rendre au Temple proprement dit afin d’y rencontrer un lévite ou un cohen et s’entretenir avec lui des raisons de cette venue, d’élucider en cas de besoin les causes extra-judicaires du différent ou du conflit en cours et de décider parmi tous les korbanot celui dont l’accomplissement permettrait de recouvrer ses esprits et si possible de retrouver les voies de la réconciliation avec une nouvelle quiétude de l’esprit. Il faut d’ailleurs relever que dans son ordre propre telle était la finalité du procès proprement juridictionnel.

Depuis la destruction du Temple de Jérusalem et l’impossibilité d’accomplir ces korbanot, selon leurs modes opératoires particuliers, les fonctions correspondantes n’ont pas été abandonnées et ne sont pas tombées en désuétude. Elles ont été transférées dans la liturgie synagogale et ses prières afférentes. Tous les jours y sont méthodiquement remémorées ces korbanot de sorte que leur esprit, si l’on peut ainsi le qualifier, se retrouve non seulement dans les fonctions actualisées des dites synagogues mais aussi dans le comportement des fidèles, ce qui explique, notamment, que les synagogues fussent également des lieux d’étude, et d’une étude qui ne soit pas « académique ».En y étudiant la signification des liturgies et les gestes consacrés correspondant à l’accomplissement des dits korbanot l’on s’engage également à comprendre également les causes des conflits inter- individuels ou sociaux, éventuellement celles des cassures et des clivages en cours, de sorte à en prévenir les prorogations et les itérations. C’est en ce sens que l’aménagement, le fonctionnement et la gestion des synagogues se profile dans l’espérance jamais renoncée de la construction du troisième Temple et de la ré- instauration de ces liturgies de rapprochement dont ceux accomplis lors de la fête de Souccot à destination de l’ensemble des autres nations de la terre et du genre humain. On mesure mieux les conséquences de la réunion du « Sanhédrin » par Napoléon en 1807, dans l’intention de contraindre les Juifs de l’Empire à se désister de cette espérance qui n’était certainement pas ethnocentrée. Il faut rappeler que l’accès du Temple de Jérusalem était autorisé aux étrangers, du moins à ceux qui respectaient les lois noachides, et que ceux ci pouvaient y accomplir des korbanot adéquats. Ce qui conduit à éclairer maintenant les conditions matérielles de fonctionnement du Temple de Jérusalem qui inspirent ou doivent inspirer celle de la moindre des synagogues d’Israël et de diaspora.

III. Eléments de gestion sacerdotale

Les cohanim et les léviim, comme on l’a dit, étaient chargés de l’entretien et du fonctionnement du Temple de Jérusalem. Comme ils ne pouvaient dans ce cadre exercer d’autres fonctions, comment était- il pourvu à leur existence quotidienne? Celle-ci était commise à la solidarité des autres membres de la collectivité. Cependant, il s’agissait non d’une forme de parasitisme mais d’un échange de biens – s’il faut conserver ce terme à propos de « biens de l’âme » – assurant le mouvement incessant du matériel au spirituel, du donné brut, ou à peine travaillé, à sa « sublimation ». Il appartenait en effet au cohanim d’assumer la liturgie de la kétoret, de l’encens, qui peut également se comprendre comme l’étape sublimatoire des phases qui l’on précédée.

Sans pouvoir détailler les modalités de cet entretien, les cohanim avaient droit, avant tout, aux offrandes nommées téroumot, de même nature que celles ayant servi à la construction du premier Sanctuaire dans le désert, et selon la même intentionnalités. Les téroumot ne sont pas de simples dons mais des offrandes dédiées à la sanctification de leur auteur, à leur élévation spirituelle au degré où le cohen est censé se trouver. Comment caractériser de degré là? On ne retiendra qu’un seul critère: le cohénat implique un déliement de quoi que ce soit qui serait lié à la mort, à la morbidité ou à la rupture et à la cassure. Il incarne le choix décisif de la vie dans un champ existentiel où un choix inverse et adverse reste concevable. Lui en coûterait-il affectivement, un cohen n’est pas autorisé à pénétrer dans un cimetière, y compris pour l’inhumation des ses parents proches. Le cohen doit demeurer l’incarnation de la vie. Une seule exception est possible: lorsque nul n’est en mesure de veiller à l’inhumation décente, au raccompagnement à sa dernière demeure –l’accompagnement, physique, social et affectif apparaît comme l’une des conduites les plus caractéristiques du lévitisme – d’un défunt qui serait privé de famille ou de toute autre forme d’assistance. Pour les mêmes raisons, il est interdit à un cohen d’épouser une femme déjà divorcée, une femme qui a connu la rupture et certainement le déchirement, lui qui sera chargé de reconstituer le lien social et de précéder aux réconciliations intra – et intersubjectives, sachant que son épouse sera légalement et spirituellement autorisée à consommer les téroumot. L’exemplarité ne va pas sans l’exigence de la cohérence. Autrement, elle s’avère fictive et s’expose à la dérision. Au demeurant, et au moins pour cette dernière interdiction, ces règles restent aujourd’hui valables pour tous les Juifs s’appelant « Cohen », puisque ce terme qui désignait à l’origine la fonction ici présentée est devenu un nom de famille, un nom dont la généalogie a été validée de siècle en siècle, particulièrement depuis le premier exil à Babylone et la première dispersion, au sens sociologique et historique, du peuple d’Israël. Encore de nos jours, lors des montées à la Thora, quiconque se nomme « Cohen » y précèdera quiconque se nomme Lévi, avant que n’y soient appelés les fidèles portant d’autres noms. Cet ordre de passage ne correspond à aucun « privilège » plus ou moins suranné. Il reconstitue l’ordre des fonctions qui avaient cours au Temple de Jérusalem..Par cette voie il rappelle à toute synagogue et même à tout oratoire de moindre importance son imprescriptible homothétie dans le temps et dans l’espace avec la matricielle Maison de sainteté à Jérusalem.

Précisions que le mot TeRouMa est significativement construit sur une racine RM qui signifie « élever » – on la retrouve dans le nom d’AbRahaM, l’incarnation de la sollicitude humaine à l’exemple de la sollicitude divine. Les téroumot proviennent de la part obligatoirement prélevée sur les biens produits par l’ensemble du peuple et affectés par la même à une autre destination que celle de l’immédiate consommation, à l’instar de cette portion nommée h’alla prélevée par la femme pétrissant son pain et rappelant que l’humain ne se nourrit pas exclusivement de ce pain, dont par ailleurs, et naturellement il ne saurait manquer matériellement. Aux téroumot, et en dehors d’elles, s’ajoutaient les autres dons ou affectations volontaires de biens regroupés sous le qualificatif de h’ekdech, dévolus également au bon fonctionnement du Temple, des biens « consacrés » ou plutôt « sanctifiés » dés lors qu’il satisfaisaient, dans leur nature et leur mode initial d’acquisition, aux conditions requises pour cet usage et à cette fin.

En outre les cohanim, dans toute bête pure dédiée au korbanot devaient en recevoir des portions bien déterminées, parties de droite ou de gauche, selon ces deux directions correspondant à deux des attributs les plus essentiels de la Présence divine: l’attribut de justice à gauche et l’attribut de compassion à droite, ces deux attributs devant rester étroitement corrélatifs de sorte qu’en cas de besoin et selon la prière des cohanim la symbolique de droite l’emporte sur la symbolique de gauche. Encore fallait-il que le cohen s’implique à son tour personnellement, par sa prière intime, dans cette liturgie, surtout lorsqu’elle s’orientait vers une demande de pardon. L’intercession ainsi entendue et pratiquée requerrait une parfaite ductilité de la pensée, la non opacité du cœur, le souci d’autrui dont les gestes et les opérations de la liturgie proprement dite n’étaient que la manifestation externe et publique. C’est cette séquence sacerdotale que le dénommé Korah’ tentera de dénigrer dans sa tentative de « putsch » contre Moïse et Aharon (Nb, 16) en les accusant précisément de parasitisme et d’exploiter la crédulité d’une collectivité humaine présumée d’ores et déjà totalement sainte à ses yeux, assertion violemment démagogique que son propre comportement démentait à la lettre.

Les leviim affectés au Temple de Jérusalem recevaient des subsides sous forme de parts destinées directement à leur usage et de dons volontaires. C’est dans ce même esprit qu’ils avaient droit au produit des deux premières dîmes, la troisième, nommée la « dîme du pauvre » étant spécialement affectée à soutenir les êtres nécessiteux, quels qu’ils fussent, parmi le peuple d’Israël. Une observation analogue à celle concernant les cohanim les concerne. Les leviim, on y a déjà insisté, ne constituent pas un groupe séparé, enclavé dans une population aux crochets de laquelle ils subsisteraient. Il faut rappeler quelle était la triple mission des descendants de Lévi. Durant la Traversée du désert, ils avaient pour mission, lors des déplacements du peuple, de transporter les éléments du Sanctuaire qu’eux seuls pouvaient démonter, transporter puis remonter afin d’en assurer l’intégrité et d’en respecter la symbolique profonde dans l’esprit dont ils surent faire preuve lors de la crise du Veau d’or et de ses suites. Le Sanctuaire est à l’image du peuple: il n’est pas d’une pièce. Il se configure dans un ensemble cohérent et articulé. Démonter en vue de se déplacer ne revient pas à disloquer. Ceux là mêmes qui n’ont pas participé à la dislocation du peuple durant la crise précitée auront pour mission d’incarner cette unité mais selon deux modalités.

Si les leviim affectés au Temple de Jérusalem devaient ensuite assister les cohanim dans l’exercice de leurs fonctions, ils avaient également pour mission singulière cette fois d’y assurer le service du chant, et notamment de chanter les Psaumes de David, un pour chaque jour de la semaine, et un plus particulier pour le jour du chabbat. Cette mission là ne doit pas être confondue avec celle d’un simple accompagnement musical. Au Temple de Jérusalem, chanter les Psaumes c’était d’abord en rappeler le contenu, lequel se rapportait aux enseignements du Roi David ou de ceux qui s’en réclamaient au regard de la relation à Dieu et des expériences personnelles, inter-humaines, du roi-oint, du Melekh Hamachiah’, du Roi-Messie, ainsi que des épreuves qui avaient mis cette relation parfois à dure épreuve.

Les autres léviim, ceux qui étaient dispersés dans le reste du peuple n’y constituant pas une population mendiante. Une grande partie d’entre eux était dévolue aux villes refuges, aux ârei miklat, où devaient obligatoirement se rendre les auteurs de meurtres accidentels, non prémédités, afin d’être soustrait aux impulsions vengeresses, lorsqu’elles étaient à craindre, de la parentèle de leurs victimes. Ces villes ne se réduisaient pas à de simples cités asilaires. Un meurtrier, eût-il commis son acte par simple inadvertance – quoi qu’il en soit un acte irréversible et en tant que tel irréparable – doit s’interroger sur les causes de celle –ci, tacher d’en élucider les causes psychologiques mais également morales, afin qu’aucune récidive ne soit, elle, prévisible. Les autres léviim disséminés partout ailleurs s’ils ne constituaient pas un ordre mendiant ne figuraient pas non plus un ordre contemplatif. N’ayant pas de propriété personnelle au sein de ce peuple, ils y étaient voués aux actions de soutien social, aux guémilout h’assadim, donnant par leur propre manière d’être l’exemple de la disponibilité et du désintéressement. Ils formaient pour ainsi dire la part mobile et mobilisable de ce peuple, sans le délester de ses propres devoirs de solidarité mais prêchant d’exemple pour qui était encore moins bien pourvus qu’ils pouvaient l’être, pour les visites aux malades, le réconfort des prisonniers en attendant leur libération, pour le « dernier devoir » vis à vis des défunts sans familles. C’est pourquoi l’attribution du produit de la dîme leur revenait de droit. Contrairement à l’idée reçue la signification éminente de la dîme n’est pas fiscale mais sociétale et interhumaine.L’opération de la dîme biblique ne consiste pas à prélever le dixième d’un troupeau ou d’une somme monétaire mais de constituer des ensembles de dix éléments, en hébreu des minianim, propédeutiques de la constitution d’ensembles humains de cette dimension, propices à l’accueil de la présence divine.

Telles sont synthétiquement présentées les références originelles, spirituelles et symboliques, pour ne pas dire métaphysiques, commandant le fonctionnement et l’entretien du Temple de Jérusalem, et servant désormais de repère au financement actuel des lieux du culte juif. Comme on l’a dit en introduction, de nos jours et dans les sociétés concernées, à condition qu’elle satisfassent aux exigences de ce qu’il est convenu d’appeler un Etat de droit, les règles de ce financement obéissent aux législations générales et aux réglementations spécifiques en la matière, puisque le plus souvent il s’agit des lois et règlements relatifs à des associations qualifiées de cultuelles ou culturelles. Ces règles -là prennent toutefois leur sens des lois et règlements (takannot) qui avaient cours au Temple de Jérusalem de sorte qu’en dépit de la perte de l’indépendance politique, surtout à partir du premier siècle de l’ère chrétienne, une translation quasiment terme à terme y soit assurée dans chaque lieu de prière et d’étude, mais aussi dans chaque habitat juif, toute table familiale étant considérer comme « sanctuaire réduit » (mikdach méât), une table – autel où tout repas doit être en principe accompagné de paroles de la Thora, de sorte que la présence divine puisse y être accueillie.

Aucun financement, aucun mode de gestion ne peuvent s’apprécier in abstracto[8]. En rappeler la généalogie c’est aussi en assurer la meilleure adéquation à leur objet actuel.

Raphaël Draï.

Professeur émérite à la faculté de droit et de science politique d’Aix en Provence.

Aix-Marseille Université

[1] L’étude ci jointe vient de paraître en traduction anglaise dans l’ouvrage collectif publié sous la direction de Francis Messner: « Public Funding of Religions in Europe », Ashgate, 2015.
[2] Cf. Louis Dumont, Homo Hierarchicus, Essai sur le système des castes, Gallimard, 1979.
[3] Sans opposer radicalement le sens de ces deux termes, on les distinguera comme suit: le sacré met à distance ; le saint appelle l’approche, mais graduelle, cf. Rudolf Otto,Le sacré, PBPayot, 1969.
[4] Philippe De Felice, Foules en délires, extases collectives.Essai sur quelques formes inférieures de la mystique, Albin Michel, 1947.
[5] S.Safrai and M.Stern (edit), The Jewish People in the First Century. Historical Geopgraphy, Political History, Social, Cultural and Religious Life and Institutions, Van Gorcum Fortress Press, 1974.
[6] Cf. Michel Gad Wolokowicz et alii(edit), La psychologie de masse aujourd’hui, Shibboleth /Actualité de Freud, Les Editions des Rosiers, 2012.
[7] Sans oublier cette fois non plus les ossements de Joseph, mémorial de l’Egypte en ses visages contrastés et celui de la nécessité imprescriptible de s’en libérer justement par les moyens de la Loi.
[8] Cf. René Savatier, Le droit comptable au service de l’homme, Dalloz, 1969.

LECONS NATIONALES D’UNE ELECTION LEGISLATIVE PARTIELLE

In Uncategorized on février 9, 2015 at 1:09

Pendant que la communauté juive de France s’efforce tant bien que mal de survivre en état de siège, ne sachant pas très bien combien de temps celui-ci durera, la vie politique française continue de se dérouler, suscitant doutes et inquiétudes. On pouvait en effet penser que « l’esprit du 11 janvier », comme on se plaît à le dénommer, aller souffler de longs mois encore sur le pays. Force est de déchanter. Dimanche 8 février, dans la 4eme circonscription du Doubs, il s’en est vraiment fallu de peu, de très peu, que la candidate du Front national, Sophie Montel, ne batte le candidat socialiste. Certes, une victoire est une victoire, serait-elle acquise d’une seule voix de majorité, mais il ne faut pas se leurrer: dans « le pays réel » les thèses du parti de Marine le Pen et de Florian Philippot progressent à chaque consultation électorale et il n’est pas rare d’entendre pronostiquer que pour l’échéance de 2017 aucune hypothèse n’est à exclure, non pas même pour le Ier tour de la Présidentielle mais pour le second tour de cette consultation, décisive sous la Vème République. Ce ne serait là au fond qu’exercice de la démocratie puisque le Front National est un parti légal si précisément sa progression n’était le signe d’une usure de celle-ci en ce qui concerne tout au moins ce que l’on qualifie encore – serait-ce par antiphrase – les partis de gouvernement, à savoir le Parti socialiste et l’UMP. Au demeurant, dans son allocution de remerciements Frédéric Barbier, le nouveau député socialiste du Doubs, ne l’a pas dissimulé. Il a senti passer le vent du boulet et en appelle en urgence au sursaut de son parti qui ne saurait se contenter de surfer sur la vague déjà descendante du 11 janvier. Quant à l’UMP, comment ne pas regretter le manque de décision claire qui a marqué les délibérations de ses instances dirigeantes à l’occasion de cette élection partielle certes mais à résonance nationale! Ce qui ouvre la voie à l’expression de doutes graves quant à la porosité de la droite de ce parti aux thèses dites « frontistes ». Faut-il alors entériner le diagnostic préoccupant de Sophie Montel selon lequel la vie politique française est désormais bipolarisée entre d’un côté le parti de Marine et de Jean Marie le Pen, et de l’autre ce qu’elle qualifie cruellement de « reste »?

La communauté juive ne peut pas ne pas s’en préoccuper même si la voix d’un Gilbert Collard tente de la rassurer. Les tueries de janvier ont révélé à quel point la France, laissée à sa ligne de plus grande pente, risquait une lente mais irréversible désintégration. Afin de remonter cette pente dangereuse, il importe que les partis dits de gouvernement assument leur vocation et qu’ils ne se réduisent plus au champ clos où s’affrontent infatigablement des ambitions nues. La communauté juive, partie intégrante de la République française, doit discerner avec lucidité son horizon de menaces dont l’islamisme à l’évidence est une composante majeure et gravissime mais certainement pas exclusive.

Confondre le « vivre ensemble » avec le « survivre ensemble » serait désastreux pour l’avenir.

                         Raphaël Draï zal, Radio J, le 9 février 2015.

LE SENS DES MITSVOT: PARACHA YTRO

In Uncategorized on février 4, 2015 at 11:28

 « Souviens toi du jour du chabbat pour le sanctifier. Six jours tu oeuvreras (taâvod) et tu feras tout ton travail (eth col melakhtékha) mais le septième jour est chabbat pour l’Eternel ton Dieu; tu ne feras aucun travail (melakha), toi, ton fils, ta fille et ton bétail, ni l’étranger qui et dans ta juridiction. Car six jours Dieu a fait le ciel et la terre et la mer et tout ce qui se trouve en eux et il est resté quiet le jour septième, c’est pourquoi Dieu a béni (barekh) le jour du chabbat et l’a sanctifié (vaykadéchéhou) » (Ex, 20, 8).

 17 Yitro15

Les prescriptions concernant le chabbat se trouvent énoncées dans le Décalogue, sur la première des Tables, celle qui concerne les règles régissant les relations directes entre l’Humain et le Créateur. On sait quelles feront l’objet d’attaques incessantes de la part de régimes tyranniques ou de mouvances religieuses qui les déclareront anachroniques et périmées. Pourtant leur position dans le Décalogue souligne leur importance décisive avec le fait qu’elles ne puissent être modifiées ou abrogées arbitrairement. Ne sont-elles pas rattachées à ce que l’on pourrait appeler l’exemple de Dieu, et cela non pas analogie ou par métaphore mais dans le corps du texte? Quelle en est la signification d’abord pour l’Humain, alors représenté par le peuple des Bnei Israël?

Cette collectivité humaine vient d’être libérée d’un long et dur esclavage où son esprit autant que son corps étaient enchaînés. Cette situation est rendue par l’expression kitsour roua’h et par celle de bepharekh. La première se rapporte en effet à l’étrécissement de l’esprit, tellement asservi à sa tache qu’il en devient incapable de penser au delà du champ de boue où piétine le corps qui le porte. L’autre se rapporte à l’atrophie du langage, réduit aux ordres des maîtres de corvée, des ordres auxquels il est impossible de ne pas obéir, sans formuler une seule objection. Telle était la Loi de ce régime là à la suite des bouleversements qui s’y étaient opérés une fois Joseph oublié. C’est pourquoi la libération de l’Egypte carcérale, obtenue après une terrible épreuve de force, n’est pas une fin en soi. Elle se prolonge dans un projet qui constitue sa finalité et qui se trouve formulé précisément dans de Décalogue, qualifié également, selon l’expression originelle hébraïque: « les dix Paroles », en référence notamment avec le régime du bepharekh que l’on a souligné. Ce projet institue l’être humain suivant deux dimensions inséparables.

L’Humain est d’abord un «oeuvrant» mais aussi un «pensant», au terme de la séquence suivante. Durant les six premiers jours de la semaine, il accomplira de manière exhaustive toute son oeuvre (melakha) mais le septième jour sera dévolu non pas au ne-rien-faire mais aux expressions de son esprit. On aura remarqué que deux mots désignent le travail: âvoda et melakha. On pourrait estimer qu’ils s’opposent, que le premier désigne le travail grossier, incurablement servile, un reliquat de l’esclavage antérieur. Ce serait oublier que ce mot désigne aussi et surtout le Service, au sens social et sacerdotal. De ce point de vue tout travail consisterait dans le service désintéressé d’autrui, vis à vis duquel une obligation comparable serait requise. L’autre terme est celui de melakha, bâti sur la racine MLKh qui désigne la souveraineté, laquelle tisse ensemble la liberté individuelle et la préoccupation du bien commun.

L’oeuvre de six jours prédispose alors à vivre pleinement le septième qui est celui du retour sur soi, à la lettre de la réflexion. Ce qui ne se réduit pas à un pur et sec exercice analytique. Le jour du chabbat est celui durant lequel l’oeuvre des jours précédents livre son sens non plus au degré du corps mais à celui de l’âme, laquelle trouve l’espace-temps spirituel qui lui permet de se révéler. C’est pourquoi le chabbat est associé pour Rabbi N’ah’man de Bratslav à la vérité (emeth). La vérité se situe au delà du temps heurté et souvent contradictoire de l’oeuvre quotidienne avec ses ajustements continuels, ses revirement, ses déconvenues et ses ruptures. On en arrive ainsi à douter que l’existence ne soit pas insensée et anarchique. Le jour du chabbat ouvre à un autre point de vue. Non pas qu’il « ré-enchante » comme par magie les six jours précédents mais par cette émergence d’une faculté supérieure de l’Être, il les inscrit à une autre hauteur, dans une autre perspective. Aussi, comme le verset précité l’indique, Le Créateur observe lui aussi le chabbat car une fois qu’il a façonné l’Humain avec de la glaise, il doit l’envisager sous un visage différent, selon sa vocation, comme être parlant et pensant, unique dans sa Création et appelé à parachever celle-ci.

                   Raphaël Draï zal, 4 février 2015

Bloc-Notes: Semaine du 26 Janvier 15

In Uncategorized on février 4, 2015 at 10:35

Le 26 janvier

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Revenir sur la commémoration de la libération des camps d’extermination hitlériens. Nombre de chefs d’Etat et de gouvernements se sont retrouvés sur le site de cette abomination pour proclamer urbi et orbi qu’ils en avaient bien compris l’horreur et qu’il relevait désormais de leur responsabilité d’une part qu’elle ne soit plus déniée, d’autre part qu’elle serve à l’édification des consciences civiques. Le Ciel – serait-il encore maculé de cendres – les entende! La Shoah, pour la nommer ainsi, ne se réduit pas à un immense pogrom, fomenté par des être avinés, sachant qu’il opèreraient en totale impunité. Elle fut accomplie par des appareils d’Etat qui se voulaient l’incarnation même de la rationalité et de l’efficacité. Les chiffres se substituaient aux noms de famille et les ratios aux relations de parenté ou de voisinage. Auschwitz ne se dissocie pas de cette idolâtrie de l’Etat envisagé comme réalité dernière, suprême, absolue, requérant de ses suppôts, selon la formule d’Himmler, une obéissance cadavérique. Pourtant en ce domaine aussi et s’agissant de cette invraisemblable hégémonie de la pulsion de mort, il faut savoir articuler, à la façon de Braudel – lequel heureusement a prodigué son enseignement dans des domaines moins horrifiques – le temps court, le temps moyen et le la longue durée. Le temps court mène de la naissance du nazisme au suicide d’Hitler, soit une vingtaine d’années. Car il faut également se rendre à cette évidence, le nazisme n’a pas été une brève flambée de violence, sévissant comme la Saint Bartélemy en quelques jours avant que le silence se refasse. C’est deux décennies qu’il a duré, opérant avec méthode et profits politiques cumulés, jusqu’à la prise de pouvoir par Hitler en 1933 et ce qui s’ensuivit. Le temps moyen s’étend de 1914, lorsque commence le premier conflit mondial, aux déclarations de guerre qui commencent le second. De nombreuses recherches mettent à présent l’accent sur la continuité de ces deux guerres planétaires, avec de 1914 à 1918 l’institution de la mort anonymement administrée et une sauvagerie homicide qui se nourrissait de ses propres déjections. Cependant, il est une durée encore plus longue, celle de l’anti-judaïsme d’abord théologique puis «philosophique», l’un et l’autre s’acharnant à démontrer que le peuple juif, abandonné de Dieu, devait l’être des hommes ; que sa foi n’était qu’obstination aveugle, sa pensée une émanation du Diable, même si de grands esprits y puisaient largement en sous – main. A la fin de la première Guerre mondiale, le peuple juif apparaissait ainsi privé de toute valeur intrinsèque, de toute lueur faciale. Ceux qui juraient son extermination pouvaient compter sur ceux qui, sans y mettre personnellement la main, eussent trouvé leur « Vernichtung » était dans l’ordre des choses. Bien sûr il se trouva également des Justes, comme on devait les nommer. Mais les meilleurs d’entre eux savent qu’en sauvant des Juifs, ils ont d’abord et avant tout sauvé leur âme. A présent l’anti- judaïsme islamiste a pris en territoire européen le relais du précédent dont nul ne jurera qu’il n’hiberne pas. Il n’y aura pas trop de tous ces serments pour ouvrir la voie à l’espérance contraire.

Le 28 janvier.

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Dimanche dernier le mouvement grec anti-austérité, Syriza, a quasiment obtenu la majorité absolue au Parlement d’Athènes. Quelles réactions contrastées! Pour les uns, surtout en Allemagne, c’est la soupe à la grimace. Pour les autres, notamment en France pour le Front de Gauche, c’est la bouffée lyrique et le désaveu des politiques de verrouillage budgétaire que François Hollande n’a pas eu le cran ni la force non pas même de les combattre mais simplement de les infléchir. Ainsi la voix des peuples que l’on croyait avoir corsetés et placés sous surveillance redevient souveraine et l’on va voir ce que l’on va voir, du Nicaragua au Pirée en passant par Madrid et Lisbonne. Il faudra bien qu’Angela Merkel comprenne qu’elle n’est pas la tutrice de l’Europe, battant des ailes et montrant ses ergots, juchée sur son tas d’or! La politique grecque a fini par lasser ses meilleurs alliés. Trop facile de s’endetter en ne payant pas l’impôt, en se gardant de toucher aux biens du clergé, en ne luttant pas contre l’évasion fiscale puis, la dette étant devenue astronomique, de vouloir la transférer sur le dos de baudet des autres européens. En cette affaire la France officielle a beau vouloir déceler dans la victoire de Tsipras le signe annonciateur des temps nouveaux, elle sait qu’on ne peut gratifier très longtemps l’incurie au détriment de la maîtrise de soi et qu’il faut in fine savoir choisir ses fréquentations. Le budget français ne peut financer toute la misère du monde, misère matérielle ou misère morale. Pour l’instant Tsipras soigne son « look » de chef décoincé et n’arborait même pas de cravate lors de sa prestation de serment. Il doit y prendre garde: si la Grèce a été la terre ancestrale de la démocratie elle a été aussi du même mouvement et trop souvent celle de la démagogie.

30 janvier.

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L’Europe est un continent génocidaire qui doit veiller à ne pas retrouver ses propensions destructrices. Est-ce à cause de la commémoration de la libération des camps d’annihilation? Ouvert « Nuit », le livre témoignage de Edgar Hilsenrath, sachant qu’il serait difficile pour ne pas dire impossible de le lire d’un seul coup. Hilsenrath y décrit ce que l’on n’ose appeler la vie de son principal personnage, et sans doute de son double: Ranek dans un ghetto de Transnistrie. Les êtres en sursis qui tentent de prolonger ce que l’on n’ose appeler leurs jours doivent sustenter d’un croûton moisi en vendant leurs derniers vêtements. Ils les témoins d’une époque qui contraint à redéfinir le concept de folie. Malheur à celui ou à celle dont la police et la milice parvenaient à se saisir. Ces temps là ont eu lieu. Faudrait-il qu’ils se répètent… La lucidité est l’autre profil de l’espérance…

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les témoins d’une époque qui contraint à redéfinir le concept de folie. Malheur à celui ou à celle dont la police et la milice parvenaient à se saisir. Ces temps là ont eu lieu. Faudrait-il qu’ils se répètent… La lucidité est l’autre profil de l’espérance…

DECIDER DE VIVRE  – Radio J, 2 Février 2015

In Uncategorized on février 2, 2015 at 3:02

La commémoration de la libération des camps d’extermination nazie, et particulièrement celui d’Auschwitz, a donné lieu à une émouvante réunion de chefs d’Etat et de gouvernements sur les lieux de cette horreur. Et l’on a entendu des discours fervents, des allocutions en forme d’examen de conscience, des serments pour l’avenir qui, en cette période glaciaire, ont fait chaud au cœur. Pourtant, autant que la célébration des morts importe le souci dirigé vers les vivants. Et c’est en ce point que se décèle une faille dont il ne faut jamais s’accommoder. Elle s’exprime par cette formule: « La condamnation des horreurs du génocide juif ne doit pas empêcher la critique de l’Etat d’Israël ». On a déjà relevé à quel point cette rhétorique était basse et méprisable. Elle sous-entend que les Juifs exploiteraient les sentiments liés à la Shoah pour faire bénéficier l’Etat d’Israël de l’on ne sait quelle coupable impunité. Bien sûr, chacun a le droit de critiquer l’Etat d’Israël et de se proclamer urbi et orbi antisioniste. Mais sur quoi porté exactement cette critique qui en devient souvent obsessionnelle? Sur le principe même de cet Etat, sur sa raison d’être? Sur telle ou telle action de ses gouvernements successifs? Ou bien sur tel ou tel aspect de la société que depuis 1948 il met en oeuvre avec des insuffisances patentes certes mais aussi avec des réussites éclatantes? Et d’ailleurs quel Etat au monde serait soustrait à toute critique, incarne la république idéale, réalise chaque jour la démocratie pure? La France? Les Etats-Unis? Le Qatar? La Grèce? La Chine? Face à de pareils excès l’on en arrive ainsi au point de réclamer symétriquement le droit de ne pas critiquer l’Etat d’Israël selon ce déplorable état d’esprit. Il faut s’attacher à l’expliquer sans relâche. Si le lien direct de causalité entre la Shoah et la création de l’Etat d’Israël reste toujours discuté, ce qui ne saurait l’être est bien le lien entre la création de cet Etat et la volonté des fondateurs du mouvement sioniste de mettre autant qu’il était alors possible les Juifs à l’abri de la «judéopathie», de la démence anti-juive, celle qui s’était manifestée en France durant l’Affaire Dreyfus ou lors des pogroms de Kichinev, pour nous y limiter. Mais jamais les fondateurs et les promoteurs du Mouvement Sioniste naissant n’ont réduit leur projet à l’établissement d’un territoire asilaire. De Pinsker à Gordon, de Ah’ad Haâm au Rav Kook, ce projet étant avant et par dessus tout un projet de civilisation, et de ce projet là, en dépit des guerres de toutes sortes auxquelles il a fait face du moment même de sa création l’Etat d’Israël, pas plus qu’aucun homme juif ou aucune femme juive conscient de sa vocation, ne s’est désisté. Il faudra encore bien du temps pour comprendre vraiment le «pourquoi» de la Shoah si l’on en comprend mieux à présent, grâce à de mémorables travaux, le «comment». Il faut juste garder présent à l’esprit que durant les années où l’extermination se fomentait, des hommes et des femmes de toutes obédiences idéologiques ouvraient contre vents et marées à l’opposé des territoires de la mort les chenaux de la vie, comme leurs devanciers avaient ouvert des millénaires auparavant les eaux de la Mer Rouge. Dans les temps d’incertitude que nous traversons, puisse leur exemple conforter l’espérance d’Israël pour la rendre irrésistible.

Raphaël Draï, Radio J, 2 février 2015.