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LES DROITS DE L’HOMME SONT INDIVISIBLES (Article ActuJ)

In ActuJ, ARTICLES, SUJETS D'ACTUALITE on décembre 27, 2013 at 12:55

En ce mois de décembre  2013, à quelques jours de distance, le Premier ministre, Jean -Marc Ayrault, se trouvait en visite, disons d’affaires, à Alger tandis qu’au cimetière de Pantin était inauguré  le mémorial des cimetières juifs d’Algérie, à l’initiative de l’association EFJA, dont « Actu J » a déjà présenté les motifs principaux, notamment l’impossibilité de réunir un miniane  de dix hommes dans l’un quelconque de ces cimetières, ou ce qu’il en reste,  pour y réciter un kaddich. Au cimetière de Pantin, cette inauguration s’est déroulée en présence des institutions communautaires juives, comme il se doit,  mais également en présence des représentants des ministères et des collectivités locales concernés ainsi que des cultes engagés dans un véritable dialogue inter-religieux avec les Juifs de France. Seuls les représentants de la Mosquée de Paris n’ont pas répondu du moindre mot à la lettre d’invitation, fort amicale, qui leur avait été adressée en temps utile. Silence qui se passe de commentaires, comme si  la Mosquée de Paris avait cru devoir répondre par là même de cette violation d’un des droits de l’Homme les plus immémoriaux, respectés dans toutes les cultures, y compris non monothéistes: inhumer décemment et entretenir les sépultures de ceux et celles qui ont quitté cette vie pour un « au delà » que chacun, selon sa croyance, définit à sa façon. Car, dialogue des cultures et des religions ou non, depuis plus de trois décennies  les demandes visant à la visite des cimetières juifs d’Algérie non pour y faire du tourisme mortuaire mais pour déférer aux obligations de la religion juive restent sans suites, quand bien même toutes les procédures administratives ont été satisfaites à cet effet. Souvent les motifs du refus ne sont pas indiqués. Les recours  sont inconcevables. En réalité, deux sortes d’obstacles sont dressés. Les premiers le sont par des caciques du FLN ou par leurs successeurs, toujours imprégnés d’une idéologie militarisée datant des années 50 et 60. A leurs yeux, et depuis le décret Crémieux de 1870, les Juifs ont fait cause commune avec le régime colonial français et leur exode n’est que mérité. Il est sûr que les historiens de cette époque ne se retrouveront pas dans cette idéologie ad hoc qui a surtout servi et qui sert encore à justifier la volonté sanglante de faire déguerpir de la terre algérienne les non-musulmans au profit d’une Algérie désormais partie intégrante du « Dar el Islam ». Et c’est pourquoi d’ailleurs l’oeuvre d’Albert Camus, universellement étudiée, y est déclarée par eux non grata. L’autre obstacle, issu d’ailleurs du précédent, est formé par les islamistes radicaux qui considèrent, eux, que l’Algérie, quelle que soit la couleur de sa façade, est  terre d’Islam intégral, désormais régie par les lois coraniques et qu’à cet égard toute présence juive, ou d’une autre confession,  doit en être bannie. On relèvera ainsi que si la lutte contre le colonialisme a été menée au nom des droits de l’Homme, ceux-ci sont considérés comme non réciproques, parfaitement divisibles et qu’il est possible de bafouer celui qui autorise des enfants et des petits-enfants, des frères, des cousins, des amis, à se recueillir sur les tombes de leurs proches et de leurs rabbanim, lorsqu’elles ont pu être creusées, car de nombreuses victimes de ces années affreuses sont disparues, sans sépulture. C’est ce que le mémorial  inauguré au cimetière de Pantin signifie: quel que soit le comportement en ce domaine d’autorités algériennes qui se discréditent  aux yeux des croyants dignes de ce nom  et aux yeux de tous ceux qui respectent non seulement la  Déclaration  universelle des Droits de l’Homme de 1948 mais la législation d’inspiration divine qui en procède; quels que soient les obstacles accumulés, les alibis invoqués, les abus de pouvoir politique et bureaucratique ou l’animosité confessionnelle qui tentent de l’en dissuader, la communauté juive ne renoncera pas à l’exercice de ce droit sur les lieux mêmes où il doit s’exercer. Il appartient aux Algériens et aux Algériennes d’en décider, à l’orée d’une nouvelle élection présidentielle, s’ils entendent déjuger l’affirmation d’un politologue en 2000: « L’Algérie n’est pas un Etat, c’est un système ». Un véritable Etat ne se dissocie pas de l’observance de valeurs et de normes aussi essentielles. Quoi qu’il en soit, le mémorial de Pantin servira de lieu de recueillement, de prières et de transmission  du sens inaltérable de cette imprescriptible obligation, de génération en génération, jusqu’au moment où elle sera satisfaite pleinement, pour le repos des esprits des deux côtés de la Méditerranée.

Raphaël Draï

PARACHA VAERA

In RELIGION on décembre 26, 2013 at 11:39

14 Vaéra

(Ex,  6, 2 et sq)

Pharaon et sa cour n’ont pas voulu entendre la demande transmise par Moïse et Aharon, au nom  du Créateur, de laisser le peuple hébreu quitter la terre d’Egypte sans encombres. Pharaon prétend ne pas connaître ce Dieu prétendument libérateur. Et puis comment l’Egypte survivrait-elle sans ces myriades d’esclaves si durement asservis qu’ils en ont presque perdu l’usage de la parole, et dont la conscience s’est tant étrécie…

A la demande formulée de telle manière qu’elle ne porte atteinte à aucune des prérogatives du Pharaon, celui-ci a répliqué par une aggravation sans précédent des conditions de l’esclavage. Au point que Moïse en arrive à mettre en cause le sens de son insistant envoi par le Créateur auprès du Maître de l’Egypte. On pourrait ainsi penser que la réaction du Dieu des Hébreux s’assimile au courroux d’une divinité défiée dans son existence même par un être de chair et de sang, déifié, lui, par un peuple à peine moins esclave que les hébreux qui piétinent du soir jusqu’à la nuit dans les champs de boue. Une autre lecture, là encore, s’ouvre devant l’interprète. Est-il possible de contenir, de refouler une force de vie incommensurable et qui tend à se révéler irrésistiblement au plein jour? Quel barrage lui résisterait longtemps?

Bien des égyptologues considèrent que les récits de L’Exode sont des légendes idéologiquement orientées, quand ils ne sont pas traités de billevesées par ces spécialistes qui n’en trouvent pas trace dans le sol égyptien. Pourtant n’est-il pas arrivé que le Sphynx fût ensablé au point de devenir invisible? Et puis qu’appelle t-on «trace»? Par quelle aberration méthodologique faudrait-il considérer que les récits de L’Exode n’en portent pas aussi, qu’il  faut savoir discerner et suivre? Quoi qu’il en soit, une épreuve de force est maintenant engagée entre d’une part le Pharaon et les divinités qui l’inspirent, et d’autre part le Dieu des hébreux s’exprimant par le chenal fraternel de Moïse et d’Aharon, Moïse qui ne minimise en rien les pouvoirs du maître de l’Egypte, qui sait combien celui-ci sait se montrer intraitable, surhumain, et doué de ruse… Cependant le Créateur l’en assure: Sa main puissante fera s’ouvrir les frontières de l’Egypte carcérale. Alors, il eût mieux valu pour elle que son maître du moment se montre accessible à la demande initiale qui lui avait été adressée.

Vont suivre huit prodiges destinés à forcer ce verrou fermé de l’intérieur qu’est l’esprit de Pharaon. Répétons le: ces prodiges-là peuvent être récusés par d’autres esprits, non moins verrouillés du dedans à leur tour, qui se réclameront d’un positivisme expérimental. Comment croiraient-ils à des « miracles » que l’on serait bien en peine de reproduire expérimentalement aujourd’hui pour établir la preuve de leur véracité! A n’en pas douter, cette preuve serait difficile à administrer telle quelle. Pour cela il faudrait reproduire tout aussi expérimentalement et positivement les conditions à la fois géologiques, sociales, psychiques, de langage et de croyance qui furent celles de ce temps. Toutefois, sachons écouter un récit pour ce qu’il dit et ne pas le récuser pour les éléments qu’il ne contiendrait pas à nos propres yeux. Bien des hypothèses sont concevables et acceptables concernant les causes de ces prodiges et autres « frappes », avec les modes opératoires qui leur ont donné un effet finalement décisif. On s’en est expliqué dans «  La Sortie d’Egypte, l’invention de la liberté [1]». L’essentiel du récit biblique n’en procède pas. Il porte sur deux faits, autant mentaux, qu’éthiques et politiques. Comment un homme – car quoi qu’il prétende Pharaon est un humain – peut-il vouloir en asservir d’autres, les réduire à l’état d’automates terreux et terrifiés? Par ailleurs, et suivant les termes de ce même récit, comment le Dieu qualifié de Créateur peut-il en arriver à endurcir  intentionnellement le cœur de cet homme afin qu’il ne défère pas à Sa parole, qu’il s’enferme dans une  obstination auto- destructrice pour sa personne, pour sa progéniture et pour le peuple qui l’a divinisé? Comment le Dieu de la Thora peut-il avoir créé la capacité originelle de repentir, de téchouva, avant même que l’univers n’advienne, et comme une  condition de son apparition à partir du Rien, et la refuser à  celui qui reste une de ses créatures?

A la stratégie du pire que Pharaon déploie, Dieu répond-il par une théologie de l’omnipotence? D’autres hypothèses notamment psychanalytiques ont également été formées à cet égard et l’on se reportera  particulièrement à celles d’Eric Fromm. Mais ne faut-il pas reconnaître dans  cette épreuve de force une dislocation de l’Alliance, de la Berith originelle que constitue la création de l’Humain à la semblance de Dieu, ou en corrélation avec Lui (betsalmo ou bedemouto) (Gn, 1, 26 )? Lorsque cette Alliance est pleinement vécue, comme elle l’a été entre Dieu et Moïse, la relation qui en découle est un dialogue, mené face à face, à l’instar d’«un homme qui parle à son ami», précise un commentateur de la Thora. Au contraire, lorsqu’elle est déniée, lorsque un homme, serait-il Pharaon, récuse l’existence du Créateur, celui- ci ne disparaîtra pas pour autant mais il vivra, dans l’esprit du négateur, d’une vie refluant à rebours  de la Création, possiblement destructrice, tant cette négation verbale s’assimile à un refoulement psychique d’une extrême violence, propice aux cauchemars, aux hallucinations, à ce qu’Elias Canetti qualifie de «rétromorphoses ». Des siècles plus tard, Nabuchodonosor et Balthazar en seront les impressionnantes illustrations babyloniennes.

En attendant, la paracha « Vaéra », au début de laquelle est annoncée la commutation du nom de Dieu d’El Chaday au Tétragramme, ce qui constitue un incommensurable changement d’échelle, relatera pas moins de sept prodiges introduits par la transformation en serpent du bâton de Moïse  (Ex, 7, 9): le sang, les grenouilles, les poux, les bêtes fauves, la peste, les ulcères, la grêle. A l’évidence, le  chiffre 7 n’est pas aléatoire. On sait ce qu’il représente dans la structure de la Création, à quelque niveau qu’elle soit considérée. Refuser de libérer le peuple hébreu réduit à un esclavage inhumain  et prétendre détenir en Egypte le Dieu créateur du ciel, de la terre et de l’humain, serait vouloir enfermer le feu du monde d’en-haut et du monde d’en -bas dans une coquille de noix. Cela, Pharaon, manoeuvrier comme jamais, semble ne pas le comprendre.

Chabat Chalom

Raphaël Draï zal, 26 décembre 2013


[1] Fayard, première édition 1986.

Bloc-Notes: Semaine du 16 décembre

In BLOC NOTES on décembre 25, 2013 at 11:31

 

 

16 décembre

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Dans « Lucien Leuwen », le héros de Stendhal, pris par la vie de garnison dans le Nancy d’alors, se demande s’il ne vit pas dans « une fausse civilisation ». Il faut se méfier de ces formulations globales, de ces jugements exorbitants du particulier sur tout un ensemble humain. Et pourtant, l’universel,  quel qu’il soit, et le global, n’importe son amplitude, se réfractent forcément dans un esprit singulier, dans « l’homme du commun ». Pourquoi ces interrogations? Usager des transports publics, sur les deux lignes empruntées quotidiennement, les mêmes scènes se regardent depuis quelques semaines. D’une part des voyageurs engoncés dans leurs doudounes ou dans leurs épais pardessus et portant les paquets de cadeaux achetés dans les grands magasins pour Noël; de l’autre, ces « musiciens », venus d’Europe centrale, qui bâclent les plus beaux airs de la chanson française sur des accordéons rafistolés avant de  tendre leur gobelet de carton à des voyageurs qui ne bougent presque pas, sauf lorsque pour l’un d’eux la mélodie, eût elle été massacrée, rappelle l’on se saura jamais quel secret de cœur, quelle inoubliable journée de sa jeunesse.. Sans parler des SDF qui viennent s’étaler, leurs hardes roidies d’urine, parmi ces mêmes passagers lesquels n’ayant pas toujours la possibilité de changer de place, descendent à la prochaine station en attendant le métro  qui suit. Que dire encore de ces hommes et de ces femmes dans la dèche qui tiennent le même boniment stéréotypé sur leurs malheurs professionnels, sur leurs déboires de santé et qui mendient une pièce, un ticket de restaurant  ou même un sourire dans l’indifférence majoritaire des  usagers –usagés  qui croient entendre un disque rayé aux mêmes endroits. La plupart du temps, dès qu’ils se sont assis, ces voyageurs monadiques dégainent leur « IPhone » et le compulsent, mus par un élancement épileptoïde, le casque d’insonorisation branché directement sur leur  encéphale, enfermés dans une véritable camisole numérique qui les isole de toute la puanteur morale ambiante. Temps de misère, misère des temps! A l’entrée des superettes et des supermarchés, à la porte des boulangeries, s’accroupissent des hommes, parfois dans la force de l’âge et des femmes en fichu,  avec des enfants en bas âge, bientôt prostrés dans l’attitude de mendiants non plus même apatrides mais « acosmiques », comme dirait Hanna Arendt, à côté d’arbre de Noël ventrus, emmaillotés chaudement jusqu’à leur plus haute branche. De là où il se trouve, le Père Noël prépare son traîneau bordé d’hermine, tout en regardant dans la boîte à pharmacie pour s’assurer qu’il n’a pas oublié son désinfectant. Jingle bells! Jingle Bells!

 

18 décembre.

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Scènes de violences à Bangui, capitale cauchemardesque de la République Centre Africaine. Suivant le discours officiel, la France n’avait d’autre choix que celui de l’intervention armée pour éviter un nouveau génocide. Dont acte. Et puis les troupes engagées n’ont rien du débarquement des Alliés en Normandie. Pas même un véritable corps expéditionnaire. Pourtant « des voix s’élèvent » pour reprocher à François Hollande de s’être engagé seul dans ce qui risque de devenir un bourbier et un piège, la couverture juridique de l’ONU ne constituant pas à elle seule un efficient appui logistique. Ce pays, ou cet « Etat manqué » comme disent les juristes et les politologues, est en proie à des divisions ethniques, certes, mais aussi à un clivage religieux qui semble irrémédiable entre Centrafricains musulmans – dont la force armée, la Seleca, doit être mise au pas par les troupes françaises – et les Centrafricains chrétiens  qui ne savent guère pratiquer le pardon des offenses. Il est donc à  redouter que la France ne soit accusée de prendre le parti antagoniste de l’Islam, tel qu’il est entendu dans cette région du monde.  Car la France est bel  et bien  le gendarme et le pompier de ses anciennes colonies  qui n’ont pas su rester dans la Communauté prévue par la Constitution de 1958 et qui ont préféré le risque de la déchéance plutôt que le néo-colonialisme. Qu’est t-il demeuré des rêves d’indépendance datant de ces années où l’esprit de libération s’altérait déjà d’illusions dangereuses et de luttes féroces pour la conquête du pouvoir? L’actuel président de la RCA, Michel Djotodia, est maintenu à son poste par la volonté de l’Elysée. Si la France le lâchait, sans avoir préparé l’aéronef qui le transporterait dans les meilleurs délais en des lieux plus sûrs, il pourrait finir comme Mouammar Kaddafi. Raison de plus pour s’interroger sur les véritables critères d’un Etat digne de ce nom et ne pas désigner par ce mot ce qui n’en est que la caricature. Le mot de partition n’est plus tabou en RCA. Quand bien même la cassure serait conjurée territorialement entre le Nord et le Sud, elle sévit déjà dans les partis et dans les  croyances.

22 décembre.

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Plus l’époque est anoxique, plus il faut s’attacher aux courants de la création et aux exemples des grands créateurs, ceux qui ne définissaient pas a priori la dimension d’une oeuvre mais qui la laisse se révéler, sans pour autant se laisser déborder par les mots ou par les images. Aucune lecture ne peut être déterminée par le nombre de pages du bouquin  mais, toutes choses égales d’ailleurs, et pour un même auteur, « La Sonate à Kreutzer », ne peut se comparer à « Guerre et Paix » ni « Le joueur » aux « Frères Karamazov », tandis que « La Peste » de Camus peut être rapprochée, contenu et dimension, des « Souvenirs de la Maison des Morts ».  D’où  ces nouvelles trois heures passées en compagnie du « Guépard » de Luchino Visconti. dans la magnifique version «remastérisée», comme l’on dit en langage technique,  mais en réalité restaurée  puisque pratiquement chaque plan de ce film mémorable veut être l’équivalent d’un tableau de maître, avec des couleurs prises de Vélasquez et de Goya, de Manet pour les fracs et de Boudin et les crinolines. On le sait, ce film est une splendide méditation  sur le Temps. Comme le dit un des personnages, Tancrède, incarné par Alain Delon du temps où il tournait dans des chefs d’oeuvre, en Sicile, lieu de l’action ou plutôt de l’inaction: «il faut que tout bouge pour que rien ne change». Et quelle performance que celle de Burt Lancaster,  à la fois guépard et lion mais qui sait s’ébouer pour secouer de sa crinière la morte poussière! Tels sont les vrais grands acteurs: chaque fois ils font vivre un personnage nouveau au lieu de couler celui que le scénario leur propose dans leur corps habitué, avec leurs tics gestuels et vocaux. L’oeuvre de Visconti est restée inachevé et nos regrets sont immenses qu’il n’ait pu réaliser sa version d’A la recherche du Temps perdu…

BLOC-NOTES: Semaine du 9 décembre

In ARTICLES, BLOC NOTES, SUJETS D'ACTUALITE on décembre 17, 2013 at 11:53

10 décembre.

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«Avez vous pris connaissance des rapports d’experts, consultés en escouades serrées, sur les fondements de la nouvelle «intégration à la française», et mis en ligne sur le site du Premier Ministre?». J’avoue ne pas avoir eu encore de telles fréquentations. Les rapports d’experts sont souvent destinés à les encager dans des commissions ad hoc et, durant le temps de leurs travaux, à s’assurer de leur tranquillité en les rassurant sur leur importance. Mon interlocuteur ne décolère pas: «Ce n’est plus l’intégration à la française mais bel et bien la désintégration de la France! Jugez en: ces experts là  –  un de mes collègues, spécialiste de Lacan, comme cela va se voir, les qualifie d’«ex-pères» – préconisent, notamment, le retour du voile à l’école, la rétrogradation du français comme langue vernaculaire, au même titre que la langue arabe ou les langues africaines, la dénomination de places et de rues inspirée de la nouvelle dimension arabo-orientale de la France, etc.. etc.. En résumé, faire de la France au plan national ce qu’est Montfermeil localement, mais Montfermeil avec Jean-Luc Mélenchon pour maire». L’incrédulité nous saisit. Une fréquentation déjà longue des disciplines constitutives de ce qu’il est convenu d’appeler les sciences humaines et sociales prépare à n’être étonné de rien de ce qui s’y concocte au titre d’un universalisme aussi naïf que dissolvant. Il est loin le temps où la sociologie à la Durkheim n’était rien d’autre que la religion laïque d’une République vertueuse et anti-catholique. Si ces préconisations étaient suivies, elles confineraient au coup d’Etat, au sens le plus strict, puisqu’elles violeraient les dispositions prévues par l’article 1er de la Constitution qui fait de la Vème République une république laïque, avec son corrélat: la neutralité des services publics, et du français sa langue officielle. Passe encore si ces cogitations avaient été publiées sur un site universitaire ou sur celui de ces groupes de recherche dont certains sont réellement stimulants. Les avoir affichées sur le site officiel du Premier Ministre leur confère valeur de documents  préparatoires  ou à tout le moins de ballons d’essais. Ce n’est plus la fiscalité ni même la société civile qui vacille mais l’Etat de droit en personne. Et mon interlocuteur d’ajouter: «Il a l’air fin, notre Ministre de l’intérieur, comme tous ceux qui au PS – parce qu’il y a encore un PS!  –  tentent  de concilier les valeurs de la Gauche et la préservation de l’identité nationale. Le FN  doit en faire ses choux gras!». Puis de conclure, la massue au bout du bras: «Et il faut voir l’orthographe!». S’il fallait, en plus du fond, se soucier de l’orthographe au temps des SMS et des QSQC, il vaudrait  mieux avoir mis du Prozac dans sa poche. Qu’en pensera le Président de la République – faut-il dire «française»?  Sa légère remontée dans les sondages ne méritait pas cette flèche au curare entre les omoplates. Mais comme il n’y a toujours personne en face..

11 décembre.

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Imposantes et infatigables manifestations à Kiev contre le pouvoir en place qui ne tardera pas –  culture post-soviétique oblige – à susciter des contre-manifestations aussi spontanées que le mouvement du soldat qu’on dirait de bois marchant au pas de l’oie. L’Ukraine a longtemps été indépendante de Moscou qui n’a eu de cesse que de l’inféoder. Elle  a repris son indépendance après la dislocation de l’Union soviétique dont elle était l’un des fleurons et l’un des greniers à blés, sans compter ses centaines de kilomètres de pipe-line. Depuis sa nouvelle indépendance, et comme bien des Etats décolonisés, elle peine à trouver son régime propre. Des luttes féroces pour la conquête du pouvoir s’y déroulent, entre deux mouvances. L’une se trouve sous l’influence directe de Moscou et de la République russe – autre vestige de l’ex-URSS. Depuis qu’il en est devenu le maître, avec l’appoint de son  commis principal, le docile Medvedev, Poutine rêve précisément de remembrer  le territoire  de l’empire bréjnevien dont il a été l’un des principaux desservants et qui lui  a instillé une nostalgie que son inénarrable prédécesseur: Boris Nicolaïevitch Eltsine savait noyer dans la vodka. L’autre mouvance est magnétisée par l’Union Européenne et voudrait s’abandonner au tropisme occidental. Ainsi tirée à hue et à dia, l’Ukraine, où se trouvait l’usine emblématique de Tchernobyl, n’a plus l’esprit à son développement. Comme tant de pays de la planète,  devenus de marche arrière en marche arrière des quasi-Etats, elle accumule des années de «retard civilisationnel». De sorte que, le jour où elle cèdera à un camp ou l’autre  elle se retrouvera dans une situation pitoyable qui la mettra finalement à la charge de ce camp  pris à son propre jeu.

13 décembre.

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Entendu dans une boulangerie, le fragment de dialogue suivant:

« Bonjour Madame. Je voudrais une brioche à tête.

«Désolée mais nous n’en faisons plus. Nous faisons à présent ces brioches plates. En voulez vous? »..

Qu’on ne s’y méprenne pas. Il ne s’agit pas là d’une nouvelle politique commerciale de notre boulangère  mais d’un attentat plus grave: la disparition – espérons qu’elle restera locale- d’une forme pâtissière originale sans laquelle la boulange du matin ne serait plus ce qu’elle est.  Qui en douterait  devrait se remettre en mémoire «La brioche à tête », sans doute la plus célèbre de notre histoire de la peinture: celle peinte par Chardin qui a su la rendre vivante, charnue et odorante, l’érigeant en objet digne de l’art le plus haut. Il suffit de la regarder, au Louvre ou même en reproduction, pour constater que Chardin y a déployé les ressources  de son savoir le plus élaboré: des jaunes topaze, des bruns fondants, des ocres croustillants, veinés d’un rouge – feu qu’on n’obtient qu’a force de cuisson idéale. Cette brioche à  tête, cette brioche couronnée, n’est pas du tout peinte en trompe- l’œil. Elle l’est comme le dedans de l’âme. Grâce à ce renflement, on dirait une sorte de santon  sacré. De grâce madame la Boulangère, préservez le conservatoire des formes esthétiques relevant de votre domaine. Ne savez-vous pas que Malraux qui y  fut tellement attentif  a été transféré au Panthéon?  Rendez nous la belle «brioche à tête» et conservez la vôtre, charmante au demeurant  avec  ses yeux ensommeillés   et son petit chignon chinois.

RD

PARACHA CHEMOT

In RELIGION on décembre 17, 2013 at 11:29

 13.Chémoth

(Ex, 1, 1 et sq)

 

La Genèse s’inaugurait par un récit de création. L’Exode commence par un récit de destruction, par la tentative d’extermination d’un groupe humain venu en Egypte du temps de Jacob et qui y était devenu un peuple: le Âm Israël. Pourquoi ce changement de climat, cette mutation de civilisation, si le mot de civilisation pouvait s’accoler à celui d’extermination?

Deux facteurs – clefs doivent être envisagés: la prospérité des descendants de Jacob et le changement de dynastie en Egypte. Pour le premier,  une observation s’impose. Il est dit à propos des Bnei Israël qu’ils prospèrent, (perou), qu’ils se prolifèrent (ychrétsou), qu’ils se multiplièrent (vayrebou) et qu’ils devinrent puissants (vayâtsmou)» (Ex, 1, 7). Cette séquence ne va pas sans rappeler celle évoquée précisément par La Genèse à propos du viatique donnée par le Créateur à l’ Humain: « Il les bénit et dit: « Prospérez ( perou )  et multipliez vous ( ourebou ), peuplez la terre ( mil’ou eth haaretz) et gouvernez  la ( vekibchouha ) » ( Gn, 1, 28) ».

En terre égyptienne, cet ordre, ce séder, n’est pas exactement suivi. S’y est introduit une phase de prolifération, donc dérégulée, tandis qu’y manque la phase de gouvernance, comme si les Bnei  Israël avaient occupé toutes les positions de pouvoir secondaire, sauf la principale. En Egypte ils n’avaient pas pris le pouvoir politique, le laissant en déshérence. D’où ce qui suit: surgit en Egypte un roi «nouveau» dont la principale caractéristique est qu’«il ne connaissait pas Joseph»; un roi né de lui même, sans mémoire, sans tradition et, à la différence d’Assuérus, sans annales non plus. Pour lui le passé n’existe pas. Le monde est né du jour où il a accédé au trône. Les bienfaits que Joseph a dispensés à l’Egypte, surtout au temps de la famine, sont comme s’ils n’avaient pas été accomplis. L’amnésie renforce l’ingratitude qui, en retour, la motive et qui absout ce Pharaon sans généalogie de la malfaisance du projet qu’il conçoit: réduire le Âm Israël à l’impuissance afin qu’il ne se coalise pas, dit-il, avec les ennemis réels ou présumés de l’Egypte et qu’il en vienne à quitter le pays. Comme si telle n’avait pas été la vocation des descendants de Jacob-Israël et de ses fils une fois leur séjour égyptien parvenu au terme prévu.

Ainsi la mentalité paranoïde aggrave la volonté de pouvoir absolu. Néanmoins, ce Pharaon, qui n’a plus rien à voir avec celui qui accueillit Jacob et qui en reçut par deux fois la bénédiction, ce pharaon amnésique n’en a pas moins le sens du temps, du temps stratégique. Il prendra la sien pour transformer une collectivité humaine, féconde et porteuse de bénédictions, en un magma d’esclaves, dépouillés de leur statut antérieur, spoliés de leurs biens justement acquits, réduits à un asservissement décervelant et désespérant, au point de ne plus vouloir assurer leur descendance. Une  propension autodestructrice à laquelle un homme et une femme  lévites vont mettre fin.

Un enfant leur naîtra qu’ils s’empresseront de soustraire au coutelas infanticide des sbires pharaoniques. L’enfant est placé dans un berceau, quasiment homologue à l’arche de Noé, puis confié aux eaux du Nil, sous la surveillance de sa sœur Myriam. L’esquif est remarqué par la fille de Pharaon, recueilli par elle et l’enfant sera sauvé. C’est elle qui lui donnera son nom: «Moché», soit, comme l’explique Samson Raphaël Hirsch, non pas «celui qui fut tiré des eaux», passivement, mais «celui qui tirera des eaux» – celles de l’amertume et de la désespérance – ses frères qu’il aura reconnus. Toutefois, la femme salvatrice, la bien-nommée Bithiah, «la fille de L’Eternel», ne se substituera pas à la vraie mère de son fils adoptif  et c’est Yochébed qui nourrira  l’enfant élevé par ces voies à la fois dans la Tradition d’ Israël et  selon les normes et la culture de l’Egypte.

L’enfant grandit au palais de Pharaon lorsque se produit un événement qui bouleversera le cours de sa vie. Aux abords du palais un maître de corvée bâtonne un esclave hébreu comme on ne maltraiterait pas un âne. La scène traumatisante révolte Moïse qui tue l’Egyptien puis qui le dissimule avant de s’enfuir puisque deux autres esclaves, se querellant, lui font comprendre que son crime – car c’en est un – ne tardera pas à être découvert. Par où se retrouve le mouvement de relégation – révélation dont on a vu qu’il parcourt comme un fil rouge La Genèse.

Moïse trouve refuge au pays de Madian et se fait berger des troupeaux du prêtre de ce lieu, de Yétro dont il épouse la fille Séphora. Et c’est alors qu’il paissait les troupeaux de son beau-père que la voix de l’Eternel, celle de sa conscience aussi, le convoque du plus intime d’un humble buisson pour lui enjoindre de se rendre en Egypte afin de solliciter du Pharaon qu’il laisse s’en aller le peuple d’Israël, qualifié «d’aîné (bekhori) du Créateur. Pourtant Moïse ne se laisse pas convaincre aisément. Il accumule prétexte sur prétexte jusqu’au moment où paraît son frère Aharon qui pourrait bien lui être substitué. Au bout d’un échange sans pareil dans toute la Thora, mis à part la proclamation du Décalogue, et au cours duquel l’Eternel se sera révélé comme «Ehyeh acher Ehyeh», non pas tautologiquement comme: «Je suis celui qui suis» mais: «Je serai qui je serai», un futur de futur rendant possible le recouvrement de l’espérance, Moïse se rend enfin en Egypte où il se fait reconnaître des esclaves hébreux puis est reçu au Palais de Pharaon. Arrivé devant le Maître de l’Egypte il formule à son intention la demande conçue par l’Eternel lui même. Hélas, au lieu d’y accéder, le Pharaon aggrave encore l’asservissement des esclaves dont la condition se dégrade en véritable torture.

Arrivé à ce point d’avilissement, Moïse ne comprend plus le sens de la révélation divine. Etait-ce pour en arriver à ce degré d’au-dessous la Création que l’Eternel, au Buisson ardent, a réduit une à une toutes ses résistances, rétrospectivement légitimées! Moïse interpelle le Créateur: pourquoi (lamah !) laisse t-il  une pareille malfaisance sévir contre ce peuple!

L’interpellation et si forte et tant sentie que la Voix divine l’en assure: on n’en restera pas là et Moïse sera à la fois l’acteur et l’annaliste de ce qu’il va advenir maintenant en Egypte.

Raphaël Draï, zal, 17 décembre 2013

Bloc-Notes: Semaine du 2 Décembre

In BLOC NOTES, SUJETS D'ACTUALITE on décembre 13, 2013 at 12:43

2 décembre.

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Date néfaste dans le calendrier politique de la France puisqu’elle correspond au coup d’Etat du Prince – Président Napoléon décidé au rétablissement de l’Empire avunculaire; Même Victor Hugo fut arrêté, ce qui allait engendrer cette haine tenace vis à vis de l’Usurpateur dont vingt années passées face à l’Océan n’auront pas raison; Il en naîtra Les Châtiments, un poème « épicolérique » qui compte tant de beaux vers mais qui finit par lasser tant l’ire du poète devient une fin en soi, une posture; La France est le pays des instaurations précaires et des restaurations catastrophiques; Toutes celles qui furent tentées, même celle du Général de Gaulle en 1958, se sont mal terminées; Ces pensées habitent-elles l’esprit de Nicolas Sarkozy, toujours engoncé dans sa barbe de trois jours? Les cotes d’impopularité de François Hollande et de Jean-Marc Ayrault sont au plus bas dans les annales de la Vème  République; Et deux importantes échéances électorales approchent à grand pas; Les caisses sont vides; Creuser plus profond dans ce vide ne ferait que l’agrandir, comme dirait Alphonse Allais; Alors Nicolas on y va? Mais avec qui? A l’UMP, si les militants et les sympathisants sont pour le retour de Zorro, les parlementaires et toute la chefferie, même divisée, est moins enthousiaste; Quoi! Attendre plus de sept ans encore, et après même! Il semble peu probable que l’ancien Président, s’il revient vraiment, revienne sur ce rafiot; Nul doute qu’il soit tenté par la création d’un nouveau parti, plus axé sur le Centre et dont il n’est plus exclu que François Bayrou en soit; A gauche, il est impossible de ne pas se faire des cheveux blancs – si l’on n’est pas egg-headed;  Au PS les cordages sont mous ou s’effilochent; Les Verts et les Rouges usent et abusent du fusil à aiguilles et crèvent toutes les baudruches coloriées lancées depuis les  toits de l’Elysée et de Matignon pour donner à la France quelque couleur de fête pour la fin d’année; Et le Front National retient ses pires éléments pour éviter tout faux pas; Seulement ce qui dans l’opinion publique française s’exprimait jusqu’ici par le canal de tels partis se manifeste à présent dans des salles surchauffées où un comique charbonneux et porcin s’adonne en toute impunité à un antisémitisme couleur Vel d’Hiv; Les pouvoirs publics n’y peuvent mais se refusent à toute intervention pour ne pas lui faire davantage de publicité; Où se dessine l’impasse des Démocraties; Les créatures de cet acabit n’y ont plus rien à craindre: où bien elles sont poursuivies et la poursuite se transforme en réclame inespérée, ou bien elles ont le champ libre et peuvent élargir  leur semailles haineuses; Après quoi l’on voudrait qu le Ciel ne s’en mêle pas …

4 décembre

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 Nouvelles alarmistes en provenance d’Afrique du Sud: Nelson Mandela en a fini avec cette vie dont plusieurs années se passèrent au cachot; Depuis qu’il en est sorti Madiba, comme on le prénomme affectueusement, est devenu l’icône non seulement de l’Afrique du Sud mais de toute la planète en mal  d’idéal – du-moi; Espérons, au regard des modes de fonctionnement de la société post-moderne – qui paraît –il n’est même plus une société (Alain  Touraine dixit), qu’il ne se réduise pas à un idéal du mois, celui que la prochaine vedette morale remplacera; Chacun, ou presque, y va de son péan et se prépare à son apothéose dans différents stades sud- africains; Qui ne se réjouirait de la fin du régime odieux de l’Apartheid! Mais il ne faut pas oublier que si Mandela en fut l’un des principaux fossoyeurs, rien n’eût été possible sans le concours de Frederik de Klerk, ce blanc qui ne lisait pas tout à fait la Bible comme ses congénères; Mandela était animé par la doctrine Ubuntu de la réconciliation et il su par la même conserver à l’Afrique du Sud une grande partie de sa population blanche dont le racisme était moins génétique qu’on ne l’eût  imaginé; L’exode des Juifs n’y fut pas exhaustif, ce qui est toujours bon signe pour le pays de non-départ; Qu’en sera t-il une fois son inhumation achevée? L’enterrement politique suivra t-il l’enterrement de la dépouille corporelle?  Le Mali, la République Centre Africaine, le Nigeria, sans parler des pays du « printemps arabe », démontrent que le continent africain est dangereusement volatil, au point que les forces armées des anciens colonisateurs ou que leurs services spéciaux y sont appelés pour éviter massacres et nouveaux exodes pestiférés; Depuis 1948, peu nombreux sont les pays qui ont véritablement honoré leur volonté d’indépendance; Chacun  dressera en ce sens sa liste de choix mais l’objectivité minimale, toute passion domptée, exige que l’on n’y oublie pas l’Etat d’Israël et l’Inde;

7 décembre

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 «Le compagnon du Tour de France» de Georges Sand; Grand oeuvre que celle de cette femme au prénom masculin, de fort tempérament et qui fit tourner bien des têtes!  Ce n’est pas rien d’avoir compté Chopin et Musset parmi ses adorateurs; Mais l’oeuvre de Sand ne se limite pas à ces équipées qui relèveraient aujourd’hui de la presse people; Elle est constituée par des livres qui se lisent facilement  et que l’on peut inscrire au programme du secondaire; Ces mêmes livres se liront à un autre niveau dans les Facultés de droit et les Instituts de science politique; «  Le compagnon du tour de France » est une mine d’enseignements sur le milieu du compagnonnage initiatique, sur ses mythes, ses codes mais également sur la concurrence féroce et les bagarres mortelles entre Compagnons; Il contient des pages d’anthologie relatives à l’idée de peuple ( les riches ont tous les droits, les pauvres tous les devoirs), sur la réalité  des classes ( le respect de la propriété est le barrage le plus sûr entre les marquises échauffées et les Compagnons trop entreprenants ), et enfin sur ce socialisme doctriné par Leroux et que Sand qualifie de «quasi-christianisme»; C’était le temps précisément où l’idée de socialisme sollicitait le meilleur de la pensée tant il était chevillé  à une intense espérance dans la libération du genre humain; Et puis les  Bolcheviks viendront qui y mettront bon ordre, la règle de fer forgée par Hegel et par Marx a la main  pour les douteurs et les récalcitrants; Qu’est devenue cette espérance  aujourd’hui? Le socialisme a commencé par être un évangile sans Jésus ;Aujourd’hui n’est–il pas devenu un évangile sans évangile, comme la peau morte d’un  squamate  après la mue? Il reste de lire ou de relire Sand  et son cénacle, Leroux, Fourier, mais aussi Jaurès et Blum; On ne sera pas toujours d’accord mais au moins on aura respiré …

RD

PARACHA VAYEH’I

In RELIGION on décembre 11, 2013 at 10:19

 

12.Vay'hi

(Gn, 47, 28    et  sq)

 

Cette paracha est la dernière du Sépher Beréchit. Si l’on considère la structure de ce premier livre du Tanakh, l’on observe que la moitié, ou presque, des parachiot, y est dévolue à l’histoire de Jacob, de ses épouses, et de ses enfants. C’est souligner son importance et la nécessité de l’étudier en profondeur.

Une fois reconnu de ses frères, et ayant retrouvé son père venu en Egypte à sa rencontre, Joseph continue de gouverner le pays sans doute le plus puissant de l’univers habité. Mais si Jacob dans ce même pays, affligé par une famine qui a conduit tout un peuple à se placer en servitude sous le pouvoir de Pharaon, si Jacob peut prendre quelque repos, il entre dans l’ultime phase de la vieillesse, celle qui le rapproche du terme inéluctable. Il lui faut ainsi veiller à la transmission de la bénédiction dont il est le porteur depuis Abraham et Isaac, et avant eux depuis le  premier Homme. Il n’est pas question  de flatter tel ou tel de ses fils. Il lui faut discerner celui d’entre eux qui sera le plus apte à poursuivre en effet cette trans-mission. C’est pourquoi son entretien électif le disposera, sur son lit d’agonie, et tandis que son regard s’obscurcit – comme s’était obscurci le regard de son propre père – face à Joseph qui n’est pas cité selon ses titres quasi-pharaoniques mais exclusivement comme «son fils» (beno).

Joseph ne vient pas seul. Ses deux fils, Menaché et Ephraïm, l’accompagnent et Jacob-Israël fait pour ainsi dire leur connaissance. On peut d’ailleurs s’étonner que l’événement se produise à cet instant seulement, si tard. Avant tout Jacob a fait jurer son fils que celui -ci veillera à le faire inhumer non pas en Egypte mais dans le caveau de Makhpéla, avec ses pères. Il semble que ce serment, drastique, ait résulté d’un premier engagement verbal, moins ferme, de la part de Joseph. Après quoi intervient la bénédiction directe de ces deux petits-fils et, sous cette modalité, de ceux-là exclusivement parce qu’en réalité, selon ses propres dires, Jacob les considère non pas comme ses petits-enfants mais comme ses propres fils. Schéma qui appellerait une étude de fort prés.

Cependant, c’est le cadet qui sera béni prioritairement de la main droite et l’aîné, à contre-usage –  de la gauche. Chiasme qui heurte Joseph, le père effectif, qui a ce moment voudrait se saisir de la main de Jacob pour la replacer dans ce qui lui semble être la bonne orientation. Mais Jacob sait ce qu’il fait et y persiste. L’ordre qu’il indique par ce geste n’est pas destiné à complaire au fils toujours préféré mais à indiquer qui sera le mieux en mesure d’assurer l’histoire du peuple d’Israël en pleine formation et, simultanément, de réaliser la bénédiction pour le genre humain qui s’y attache.

Le dernier instant approche encore. Ces dispositions prises, Jacob-Israël rassemble tous ses fils –  on ne sait plus ce qu’il est advenu de Dinah – pour les bénir à la fois collectivement et chacun personnellement. Il faut être attentif aux termes de cette bénédiction d’avant le départ qui, elle aussi, s’assimile à un viatique pour les temps à venir. Ses significations sont multiples et n’apparaissent pas dans une seule lecture, surtout de surface. La découvrir c’est découvrir un autre niveau du langage biblique: le langage prophétique, celui qui vectorise ses contenus dans la direction d’un futur qu’il permet d’entrevoir. Cette bénédiction constitue la première moitié d’une arche qui se parachèvera avec celle de Moïse, à la fin du Deutéronome. Après quoi Jacob, devenu Israël, ayant transmis ce nom programmatique à ses enfants, rend son dernier souffle. Quelle vie aura été plus remplie que la sienne, riche de moments heureux et d’heures enténébrées!

Un deuil de grande envergure est décrété sur l’Egypte. Joseph a fait connaître à Pharaon les dernières volontés de  Jacob et le serment par lequel il s’est engagé à l’inhumer hors d’Egypte. Le Pharaon y consent, certes,  mais nul ne sait si le cœur approuvait ce à que  la bouche exprimait à ce sujet.  Joseph, accompagné d’une imposante escorte cérémonielle  et militaire s’en va donc avec ses frères inhumer son père à Hébron où se trouve la grotte de Makhpéla. Pourtant, enfants et troupeaux sont restés  à Gochen. Y sont-ils demeurés de leur propre gré ou les y a t-on retenus? Ces notations qui semblent anecdotiques font en réalité comprendre que le climat commence à se détériorer, que le Pharaon hospitalier n’a plus l’esprit tranquille.

N’ont pas l’esprit tranquille non plus les frères de Joseph. La disparition de Jacob leur fait redouter que le fils de Jacob et de Rachel ne retienne plus ses impulsions vengeresses. Sous l’emprise de la peur, ne vont-ils pas proposer à Joseph, en se comportant comme les élites d’Egypte lors des années de la famine, de devenir ses serviteurs! Bien sûr il y a eu réconciliation et pardon mais, quoi qu’il en laisse montrer, la cicatrice de la blessure, notamment celle qui a résulté de sa vente, reste à vif chez celui qui désormais occupe la position suréminente qui est la sienne. Néanmoins Joseph les rassure en tant que de besoin. Si Jacob n’est plus physiquement présent, son image, sinon son âme reste bel et bien vivante. Elle n’a pas quitté Joseph au cachot ni lors des avances lubriques de l’épouse de Poutiphar. Ce n’est pas maintenant qu’il s’en désistera. Dans ces circonstances, le langage dont il use est quasiment identique à celui de Jacob  «Suis-je à  la place de l’Eternel!» (Gn, 30, 2) et (Gn, 50, 17)

Trois générations de Bnei Israël vont alors naître et prospérer en Egypte, dans ce pays où, on l’a noté, une fêlure, à peine discernable, ne s’en est pas moins produite, et surtout un pays dont toute la population, on l’a également rappelé, s’est de son propre mouvement réduite à l’asservissement, s’est assujettie comme un seul homme aux volontés du Maître, quel qu’il soit, et quelles que fussent ses intentions.

 La suite va dramatiquement le démontrer.

Raphaël Draï zal, 11 Décembre 2013

Bloc-Notes: Semaine du 25 Novembre

In BLOC NOTES, SUJETS D'ACTUALITE on décembre 9, 2013 at 6:26

25 novembre.

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Vote sur le projet de réforme des retraites à l’Assemblée nationale. Nul doute que ce vote sera positif. Logique majoritaire oblige. En période de vaches maigres, le principe de réalité l’emportera sur celui de plaisir. Le chômage et la saturation du marché des biens primaires assèchent  les réservoirs des finances publiques. Les ponctions fiscales ne peuvent pas se faire plus fortes sans risque d’explosion et il est impossible de prélever sur un être humain plus que ses deux bras.  Heureusement, l’allongement de la durée moyenne de vie permet de jouer sur le temps, dans ses dimensions politiques, sociales et économiques. Il reste de s’interroger sur le désir irréductible  pour l’immense majorité de nos concitoyens de prendre cette retraite le plus tôt, ou le moins tard possible. Comme pour le repos dominical, il s’agit de bien plus qu’un problème de société: d’une question d’existence. Dans l’organisation du travail telle qu’elle est conçue depuis le XVIIIème siècle, le temps du labeur est vécu comme une soustraction du temps de vie et celle-ci, qualitativement ressentie, doit être dissociée du temps de travail. La disjonction reste fatale entre les notions de  «boulot» et celle de création. Il faut citer Matisse, lui même cité par Aragon: «Je ne suis jamais fatigué» ; fatigué de travailler physiquement ou nerveusement et fatigué du travail dans son idée même. Bien sûr, un créateur sent au bout de plusieurs heures son corps astreint par la loi de gravitation. Les yeux lui piquent, son cerveau parfois bouillonne. Mais au bout d’un peu de sommeil, il n’a qu’une hâte: retourner à sa toile, reprendre sa partition  ou le récit laissé en suspens. Atteint d’une arthrose des membres supérieurs, Renoir faisait fixer ses pinceaux à ses doigts lignifiés pour peindre dans la lumière. Que dire de Beethoven atteint de surdité! Le danger en ces sphères n’est jamais la lassitude mais bien, lorsque la mesure est franchie qui est celle de l’humain lorsqu’il ne se prend pas pour Dieu, celle de la démence. Sans aller jusqu’à ces exemples extrêmes, le droit social permet à des médecins, à des avocats, aux membres d’autres professions atteints par «la limite d’âge légal» de poursuivre leur activité tant elle leur est devenue raison de vivre, de préserver leur vie sociale et surtout de ne pas déchoir à leur propres yeux. Pourquoi n’en irait-il pas de même pour les autres professions dés lors qu’elles ne seraient plus synonymes de classement – ou de déclassement social? Un soudeur  de chez Renault voudrait pouvoir prendre sa retraite à 40 ans. Lorsque le fer à souder est manié pour créer des formes, faire vivre le métal comme Zadkine ou Moore, l’on voudrait, au contraire, que le temps s’arrête.

27 novembre.

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Commémoration ubiquitaire de l’assassinat du président John Fitzgerald Kennedy  le 22 novembre 1963 à Dallas. Les causes déterminantes de cet assassinat ne sont toujours pas élucidées. Les hypothèses s’ajoutent aux spéculations pour aboutir à des scénarios filmographiques où les séries A, B, C, à la télévision ou au cinéma, ne cessent d’interférer. La presse people s’en donne  à cœur joie avec des relents de « Pot-Bouille ». Que reste-il de la présidence Kennedy? Un style, un ton nouveau, l’irruption de la jeunesse dans la vie politique américaine après la Seconde guerre mondiale, après la guerre de Corée et pendant la Guerre froide chère à John Le Carré. «Ich bin ein Berliner » : « Je suis un Berlinois ». La  proclamation est restée fichée dans la mémoire politique contemporaine. Le mur soviétique fut érigé en plein mois d’août de l’année 1961. L’Algérie plongeait dans le chaos à la suite du « putsch des généraux » et la création de l’OAS. Les Etats-Unis avaient poussé, directement ou obliquement, dans le sens d’une indépendance dont, comme toujours, ils ne mesurèrent ni le coût humain ni les suites politiques. Et de Gaulle qui n’avait à la bouche que les mots de « grandeur » et de «souveraineté» s’y plia. C’est également sous la présidence inexpérimentée de John Kennedy que l’équipée désastreuse de la baie cubaine des Cochons mérita bien son nom. Mais ce même Kennedy, toujours à propos de Cuba, su faire reculer Krouchtchev en octobre 1962. «L’image» de John Kennedy est devenu inséparable de celle qui fut son épouse légitime, Jacqueline. Ce qui ne l’empêcha pas de mener la vie de patachon que l’on découvrit après son assassinat. L’épouse exemplaire laissa place, entre autres, à Marylin Monroe, véritable bombe anatomique, en robe de  satin moulée à même le corps, le jour  de l’anniversaire du Président. C’est aussi durant son mandat que s’inaugura vraiment le mélange des genres, celui de la vie publique et de la vie privée: «Je suis oiseau (Papa- gâteau), voyez mes ailes ;  je suis souris (Président nucléaire), vive les rats ».

1er décembre.

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Ouvert avec circonspection de roman de Francis Scott Fitzgerald : « Les heureux et les damnés ( The Beautiful and Damned)». Depuis la Seconde guerre mondiale, la littérature vouée aux états d’âmes, au romantisme doré, au nombrilisme abyssal est devenu insupportable. Comment s’intéresser à ce couple de jeunes rentiers, noceurs, soiffards et léthargiques, évoluant en extra-territorialité sociale,  qui passent de party en party pour tenter de combler le vide d’une existence dont le seul fait qu’elle leur fut dévolue est une preuve irréfutable de la divine Bonté… Et puis, au fil des pages, l’on se dit que tel est l’un des désastres collatéraux du siècle des génocides: nous rendre inattentifs et même insensibles  à ces échelles de la détresse humaine, à ce que la vie d’un couple recèle de mystérieux, de douloureux parfois, de miraculeux aussi. L’on se gardera de toute lecture « sociologique » des romans de Fitzgerald et de la place qu’y occupe l’argent, précisément. Demeure le talent de l’écrivain lorsqu’il confesse comment Jonathan et Gloria d’abord inséparables, véritables « capitalistes »  de leur jeunesse, se mettent à dériver l’un au regard de l’autre, au point de ne plus s’apercevoir visuellement, sans jamais abroger une  présence devenue osmotique de l’un à l’autre. Cette présence absente leur devient souffrance inépuisable au moment de la séparation physique. Même l’alcool ne peut en avoir raison  avant le dénouement qu’on ne dévoilera pas ici. Le livre refermé sur les années 20 aux Etats Unis, l’on est pressé de se reporter à l’original, de découvrir l’écriture personnelle de Fitzgerald, une écriture qui fait date désormais mais sans prendre, contrairement au visage de Gloria, une seule ride.

RD

PARACHA VAYGACHE

In RELIGION on décembre 4, 2013 at 9:04

11.Vayigach

(Gn,  44, 18     et sq)

Quel écrivain aurait imaginé un rebondissement comparable à celui relaté dès le début de cette paracha!  Joseph n’a pas manqué d’imagination pour tourmenter ces frères qui en avaient voulu à sa vie, pour leur faire payer une tentative de fratricide physique et moral puisque son sort avait été abandonné, vis à vis de leur père, au mensonge et au simulacre. Jusqu’à présent Joseph avait pu se déguiser, jusqu’à leur donner le sentiment d’une vengeance divine. Lorsqu’ayant fait descendre en Egypte Benjamin, au corps défendant de Jacob-Israël, le maître effectif de l’Egypte leur annonce qu’il restera auprès de lui tandis qu’eux retourneront en Canaan, les malheureux frères se sentent rien  moins que matraqués! Leur faute, pensèrent-ils, les a rattrapés. Sauf que si Joseph était passé maître es songes, au point d’inspirer Freud lorsqu’il élaborera sa propre technique d’interprétation des rêves, Juda aurait pu devenir une autre source d’inspiration et d’émulation tant va s’avérer grandiose sa capacité à reconstituer une conduite à partir de ses éléments apparemment  épars.

Le début de cette paracha ne laisse plus aucune doute à cet égard: Juda a déjà reconnu Joseph, sous les apparats du vice-Pharaon mais il ne l’a pas montré. A l’instar de son jeune frère, lui aussi à compris qu’une autre Histoire se déroulait en même temps que la sienne et qu’il ne fallait pas en interrompre indûment le cours avant qu’il ne devînt réellement discernable. Il ne faut donc pas s’y méprendre: si Juda à ce moment précis croit devoir intervenir ce n’est certes pas seulement pour faire comprendre au vice-Pharaon qu’à poursuivre ce supplice moral il se pourrait que les choses tournent mal dans l’autre sens, surtout que la paire dévastatrice en cas de besoin: Chimôn-Lévi s’est à nouveau reconstituée. Si Juda  intervient à ce moment-là c’est qu’il s’agit du moment opportun, celui du dénouement. Joseph s’est dissimulé de sa propre volonté? Il devra se découvrir de même. Comme on le dirait en langage plus contemporain, Juda va s’employer à le faire craquer.

Car en reprenant les différentes séquences qui constituent son adresse à  Joseph, lequel se maintient encore dans le recel de soi, celles-ci ne sont pas certes pas agencées au hasard. Devant le maître es songes, Juda devient, on l’a dit, maître es reconstitution! S’il remémore devant Joseph – qui, à aucun moment,  ne l’interrompt – les différentes phases du jeu cruel auquel celui-ci s’est livré, c’est pour lui faire entendre qu’il n’en est pas, ou qu’il n’en est plus dupe. Nul autre que leur frère disparu, nul autre que l’avant-dernier fils de Jacob, ne se serait comporté de cette manière, n’aurait formulé des demandes de cette nature, se succédant dans cet ordre. Joseph est sans doute un spécialiste du fil rouge? Juda lui fait comprendre  graduellement que ce fil rouge est lui même torsadé de fil blanc. A son tour Juda n’agence pas les éléments de sa reconstitution de manière aléatoire. Chacun de ses «Tu as dit alors..» et «ensuite tu as dit» – il faudrait en faire le décompte précis – met Joseph plus largement à découvert jusqu’au moment où il ne peut plus se contenir. Observons que s’il se démasque, si, selon les termes mêmes du récit biblique, il ne su  «plus se contenir», et en dépit de tous les témoins de la scène, ou de la mise en scène, c’est que Juda vient d’évoquer la «mauvaiseté (haraâ) » qui serait infligée à «son» père, son père à lui, Juda, dans le cas ultime et tragique où Joseph séquestrerait Benjamin. Le mot «père» (Gn, 44, 34) est celui, sans pareil, qui fait déborder l’âme de Joseph jusqu’ici celé et scellé. Il faudra qu’il s’y reprenne au moins à deux reprises, qu’il répète «Je suis Joseph» ajoutant «votre frère», celui des «douze-moins-un», pour que ceux-ci commencent à échapper à leur sidération. Et c’est après s’être assuré que Jacob vivait toujours qu’il leur dévoile l’autre fil conducteur: celui de l’Histoire dont il sont ensemble les acteurs.

Si Joseph s’est retrouvé en Egypte, si toute la fratrie s’y retrouve réunie à son tour, ce n’est guère par l’effet de leur volonté individuelle ou même de leurs volontés coalisées, fût-ce pour le pire. Telle est la Volonté d’un autre ordre, celle du Créateur qui a décidé de tracer cette voie afin que les enfants de Jacob  deviennent un peuple: le peuple d’Israël.

Arrivés à ce point à la fois de jonction et de nouvelle bifurcation, personne n’est en mesure de prédire le cours et le tour que prendront les nouvelles phases de cette Histoire. Quoi qu’il en soit, Joseph qui est sans doute le seul en Egypte à savoir qu’il n’en est pas le maître absolu, devra tenir informé Pharaon de tout ce qui vient d’advenir, que ses frères l’ont rejoint et qu’ils n’ont d’autre préoccupation que de trouver des pacages pour leurs troupeaux, jusqu’au moment où la famine cessera. Tous les Pharaons se suivent mais ne se ressemblent pas. Celui dont Joseph a su interpréter les rêves est bienveillant, accueillant, hospitalier. Il ne répugne pas à la réunion des familles. Que Joseph se rassure: toute l’Egypte s’ouvre devant le groupe constitué par les enfants de Jacob. Au point que celui-ci, arrivé en Egypte après s’être assuré que le projet divin était conforme à cet itinéraire, non pas rendit « hommage au pharaon », comme le traduit la Bible du Rabbinat, mais qu’il le bénit ( vaybarekh Yaacov eth Paraô ) » (Gn, 47, 7).

Cette bénédiction n’était ni de circonstance, ni simplement protocolaire puisqu’il s’agit également de la bénédiction d’Abraham à lui transmise par son père Isaac dans le contexte déjà examiné. En retour Pharaon attribuera à Joseph et à sa famille non pas une terre périphérique mais le meilleur du territoire royal, celui de Raâmsès, car ce nom n’appartient pas aux seuls égyptologues, surtout à ceux qui veulent ignorer les enseignements du récit biblique. Les événements à venir concerneront ainsi et simultanément  l’histoire des enfants de Jacob, dont les généalogies et les descendances sont minutieusement récapitulées, l’histoire de l’Egypte et celle de l’humanité.

La famine ne desserre pas son étau. Pour se nourrir les égyptiens,  après avoir aliéné tous leurs biens  à présent aliènent leur personne. S’ensuit une impressionnante concentration du pouvoir entre les mains non de Joseph mais du Pharaon. Etait-ce de bonne politique ?

Pour sa part, Jacob – Israël s’autorise à respirer…

Raphaël Draï zal, 4 décembre 2013

Bloc-Notes: Semaine du 18 Novembre

In BLOC NOTES, SUJETS D'ACTUALITE on décembre 4, 2013 at 7:46

18 novembre.

images-1Erratique violence. Un homme encore inconnu a pénétré dans les locaux du journal « Libération » armé d’un un fusil et s’est mis à tirer sur ceux qui se trouvaient  dans le hall d’accueil. Un photographe a été grièvement blessé et le pronostic vital, comme l’on dit, est engagé. Aussitôt le ministre de l’intérieur se rend sur les lieux, rejoint par le maire de Paris et son adjointe. Chacun a la mine grave. La chasse à l’homme est lancée. Pourquoi cette violence contre un organe de presse? Le directeur actuel de «Libé», la mine encore plus grave, évoque le climat de violence et d’intolérance qui s’est emparé du pays. Comme toujours, chacun peut se sentir visé, c’est le cas de le dire,  mais sans que nul ne se sente concerné personnellement. Qui est le vrai fanatique? Cette attaque réussira t-elle à ressouder l’équipe du journal autour de son directeur, fortement contesté? Il m’est arrivé plus d’une fois dans les années 90 d’écrire dans la page «Rebonds». Et puis le courant s’est arrêté. Le cœur n’y était probablement plus. Je ne saurai en démêler toutes les raisons. Enseignant la science politique, écrire dans un  journal idéologiquement orienté dans un sens ou dans un autre ne semble pas déontologique. Qu’on le veuille ou non, l’orientation d’un journal vous imprime sa propre vection, son pli, quelque précaution que l’on prenne. Et puis, comment s’accommoder du mélange des genres? Comment se vouloir journal de gauche, si ce n’est de tradition gauchiste, et compter parmi ses principaux actionnaires un membre éminent de la famille Rothschild? Il y a sans doute des «Rothschild de gauche», mais les évoquer c’est s’attirer la réplique mémorable de Gabin dans «Le Président»: « Il y a aussi des poissons volants mais qui ne constituent pas l’exclusivité du genre ». Etre d’un  parti ou d’un  autre se justifie lorsque l’on est porté à la militance unilatérale. Enseigner est d’un autre ordre. Pourtant ces dilemmes relèveront d’un luxe de l’esprit lorsque les titres de la presse quotidienne se seront d’avantage raréfiés. A se demander comment pourra réellement s’exercer, en cas de besoin, la clause de conscience dans cette profession. Car, à part  quelques noms et quelques têtes, existe aussi un prolétariat journalistique dont les adhérents forcés ne sont pas toujours en mesure de dire ouvertement ce qu’ils pensent ni d’écrire ce qu’ils ont au bout de leurs pensées. La liberté de la presse n’est pas menacée exclusivement par les fusils à pompe.

20 novembre.

imagesLe voyage de François Hollande s’est déroulé finalement sans encombre et sans faux-pas majeur. Aucune engueulade dans la vieille ville, façon Chirac, ni lapidation à Ramallah, façon Jospin. Sur le tarmac de l’aéroport Ben Gourion, grandes déclarations d’amitié à l’endroit d’Israël, avec en plus le soleil dans les yeux; à  Ramallah, non moins grandes déclarations d’amitié en direction de Mahmoud Abbas. La veille, Israël est présenté comme la nation « start-up » exemplaire; le lendemain haro sur les « colonies» et affirmation que Jérusalem doit devenir la capitale de deux Etats. Rien que cela, et du haut de la tribune pavoisée de la Knesset, avec en prime les applaudissements de l’extrême-gauche et des députes  pro-palestiniens! On ne répètera jamais assez que l’approche des questions politiques dans cette région du monde exige plus que le sens des nuances et de la relativité. On peut user et abuser du mot – balle de « colonisation » dans la mise en oeuvre  de cette « stratégie de la souillure » qui voudrait assimiler l’Etat d’Israël à l’Afrique du sud au temps de l’apartheid. Le seul résultat prévisible sera d’inciter les tueurs de « colons » à ne pas se prendre pour des assassins de civils, de femmes et parfois de nourrissons mais pour des justiciers plus grands que la Justice personnifiée. Genre facile à exporter. Encore faut-il tacher d’être exemplaire en ce domaine. Que Les Etats-Unis, que la France, que la Grande Bretagne ou que la Belgique  prodiguent des leçons de vertu anticolonialiste prêterait à sourire si  la guerre n’était pas au programme. Pour les Etats-Unis, chacun sait comment les immigrants blancs venus d’Europe ont réglé la question «indigène».Certains westerns exterminateurs sont devenus proprement irregardables. En 1916, la France et la Grande Bretagne représentés par Mrs. Sykes et Picot se sont partagées  le Moyen Orient et s’en sont annexés les gigantesques lotissements comme s’ils jouxtaient la Touraine ou le Devonshire. Au point que découvrant la carte issue de ce charcutage cynique, un fonctionnaire du Foreign Office s’écria mais sans être entendu: «Parfait. Mais où donc mettez vous les Juifs?». Ce qui n’empêchera pas la déclaration Balfour du 2 novembre 1917 et ensuite la guerre sourde ou déclarée entre les deux empires pour l’hégémonie dans la région, y compris face aux troupes de la Wehrmacht  dont les chefs avaient encore à l’esprit un autre charcutage, celui pratiqué au Congrès de Berlin de l’an 1878 avec les fastes acérés qu’y déploya Bismarck. Avec de pareils dessous, la vertu anticolonialiste devrait éviter de danser le Can-Can.

23 novembre.

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«L’enfer des hommes »  avec Audi Murphy. Le film est auto-biographique et relate les exploits de ce jeune GI’s de 18 ans qui lui valurent au cours de la Seconde Guerre mondiale plus d’une trentaine de décorations  dont la prestigieuse « Medal of Honor » du Congrés  et, entre autres, la Légion d’honneur  française. Dans le film  de Jess Hibbs (1955), Audie Murphie joue donc son propre rôle, sans ostentation et sans fausse modestie. Arrêter à soi seul une colonne de chars allemands en tirant à la mitrailleuse, debout sur une  caisse d’obus, à l’âge où vos camarades tentent de s’inscrire en faculté, vous dispense de cette humilité fallacieuse dont se masquent les couards et les  dragueurs de l’arrière. Auparavant dans « Le Kid », Audie Murphie avait incarné un angelot de la mort  capable de dégainer encore plus vite que l’ombre de Lucky Luke. Et puis sont venus  les échecs, la descente aux enfers, la drogue et cet accident fatal d’avion qui le remonta à 46 ans vers un autre ciel que celui d’Hollywood. Après la légende du héros juvénile, ce serait un autre sujet de film, prenant et instructif, que celui qui  aurait pour thème cette seconde phase, sans doute indissociable de la première: le destin d’un Icare brûlé par le soleil de la célébrité, devenu un héros national avant même que d’avoir appris tout simplement à vivre.