En ce mois de décembre 2013, à quelques jours de distance, le Premier ministre, Jean -Marc Ayrault, se trouvait en visite, disons d’affaires, à Alger tandis qu’au cimetière de Pantin était inauguré le mémorial des cimetières juifs d’Algérie, à l’initiative de l’association EFJA, dont « Actu J » a déjà présenté les motifs principaux, notamment l’impossibilité de réunir un miniane de dix hommes dans l’un quelconque de ces cimetières, ou ce qu’il en reste, pour y réciter un kaddich. Au cimetière de Pantin, cette inauguration s’est déroulée en présence des institutions communautaires juives, comme il se doit, mais également en présence des représentants des ministères et des collectivités locales concernés ainsi que des cultes engagés dans un véritable dialogue inter-religieux avec les Juifs de France. Seuls les représentants de la Mosquée de Paris n’ont pas répondu du moindre mot à la lettre d’invitation, fort amicale, qui leur avait été adressée en temps utile. Silence qui se passe de commentaires, comme si la Mosquée de Paris avait cru devoir répondre par là même de cette violation d’un des droits de l’Homme les plus immémoriaux, respectés dans toutes les cultures, y compris non monothéistes: inhumer décemment et entretenir les sépultures de ceux et celles qui ont quitté cette vie pour un « au delà » que chacun, selon sa croyance, définit à sa façon. Car, dialogue des cultures et des religions ou non, depuis plus de trois décennies les demandes visant à la visite des cimetières juifs d’Algérie non pour y faire du tourisme mortuaire mais pour déférer aux obligations de la religion juive restent sans suites, quand bien même toutes les procédures administratives ont été satisfaites à cet effet. Souvent les motifs du refus ne sont pas indiqués. Les recours sont inconcevables. En réalité, deux sortes d’obstacles sont dressés. Les premiers le sont par des caciques du FLN ou par leurs successeurs, toujours imprégnés d’une idéologie militarisée datant des années 50 et 60. A leurs yeux, et depuis le décret Crémieux de 1870, les Juifs ont fait cause commune avec le régime colonial français et leur exode n’est que mérité. Il est sûr que les historiens de cette époque ne se retrouveront pas dans cette idéologie ad hoc qui a surtout servi et qui sert encore à justifier la volonté sanglante de faire déguerpir de la terre algérienne les non-musulmans au profit d’une Algérie désormais partie intégrante du « Dar el Islam ». Et c’est pourquoi d’ailleurs l’oeuvre d’Albert Camus, universellement étudiée, y est déclarée par eux non grata. L’autre obstacle, issu d’ailleurs du précédent, est formé par les islamistes radicaux qui considèrent, eux, que l’Algérie, quelle que soit la couleur de sa façade, est terre d’Islam intégral, désormais régie par les lois coraniques et qu’à cet égard toute présence juive, ou d’une autre confession, doit en être bannie. On relèvera ainsi que si la lutte contre le colonialisme a été menée au nom des droits de l’Homme, ceux-ci sont considérés comme non réciproques, parfaitement divisibles et qu’il est possible de bafouer celui qui autorise des enfants et des petits-enfants, des frères, des cousins, des amis, à se recueillir sur les tombes de leurs proches et de leurs rabbanim, lorsqu’elles ont pu être creusées, car de nombreuses victimes de ces années affreuses sont disparues, sans sépulture. C’est ce que le mémorial inauguré au cimetière de Pantin signifie: quel que soit le comportement en ce domaine d’autorités algériennes qui se discréditent aux yeux des croyants dignes de ce nom et aux yeux de tous ceux qui respectent non seulement la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948 mais la législation d’inspiration divine qui en procède; quels que soient les obstacles accumulés, les alibis invoqués, les abus de pouvoir politique et bureaucratique ou l’animosité confessionnelle qui tentent de l’en dissuader, la communauté juive ne renoncera pas à l’exercice de ce droit sur les lieux mêmes où il doit s’exercer. Il appartient aux Algériens et aux Algériennes d’en décider, à l’orée d’une nouvelle élection présidentielle, s’ils entendent déjuger l’affirmation d’un politologue en 2000: « L’Algérie n’est pas un Etat, c’est un système ». Un véritable Etat ne se dissocie pas de l’observance de valeurs et de normes aussi essentielles. Quoi qu’il en soit, le mémorial de Pantin servira de lieu de recueillement, de prières et de transmission du sens inaltérable de cette imprescriptible obligation, de génération en génération, jusqu’au moment où elle sera satisfaite pleinement, pour le repos des esprits des deux côtés de la Méditerranée.
Raphaël Draï