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PARACHA VAYIGACH

In Uncategorized on décembre 29, 2022 at 4:38
11.Vayigach

(Gn,  44, 18 et sq)

Quel écrivain aurait imaginé un rebondissement comparable à celui relaté dès le début de cette paracha!  Joseph n’a pas manqué d’imagination pour tourmenter ces frères qui en avaient voulu à sa vie, pour leur faire payer une tentative de fratricide physique et moral puisque son sort avait été abandonné, vis à vis de leur père, au mensonge et au simulacre. Jusqu’à présent Joseph avait pu se déguiser, jusqu’à leur donner le sentiment d’une vengeance divine. Lorsqu’ayant fait descendre en Egypte Benjamin, au corps défendant de Jacob-Israël, le maître effectif de l’Egypte leur annonce qu’il restera auprès de lui tandis qu’eux retourneront en Canaan, les malheureux frères se sentent rien moins que matraqués! Leur faute, pensèrent-ils, les a rattrapés. Sauf que si Joseph était passé maître es songes, au point d’inspirer Freud lorsqu’il élaborera sa propre technique d’interprétation des rêves, Juda aurait pu devenir une autre source d’inspiration et d’émulation tant va s’avérer grandiose sa capacité à reconstituer une conduite à partir de ses éléments apparemment épars.

Le début de cette paracha ne laisse plus aucune doute à cet égard: Juda a déjà reconnu Joseph, sous les apparats du vice-Pharaon mais il ne l’a pas montré. A l’instar de son jeune frère, lui aussi à compris qu’une autre Histoire se déroulait en même temps que la sienne et qu’il ne fallait pas en interrompre indûment le cours avant qu’il ne devînt réellement discernable. Il ne faut donc pas s’y méprendre: si Juda à ce moment précis croit devoir intervenir ce n’est certes pas seulement pour faire comprendre au vice-Pharaon qu’à poursuivre ce supplice moral il se pourrait que les choses tournent mal dans l’autre sens, surtout que la paire dévastatrice en cas de besoin: Chimôn – Lévi s’est à nouveau reconstituée. Si Juda intervient à ce moment-là c’est qu’il s’agit du moment opportun, celui du dénouement. Joseph s’est dissimulé de sa propre volonté? Il devra se découvrir de même. Comme on le dirait en langage plus contemporain, Juda va s’employer à le faire craquer.

Car en reprenant les différentes séquences qui constituent son adresse à Joseph, lequel se maintient encore dans le recel de soi, celles-ci ne sont pas certes pas agencées au hasard. Devant le maître es songes, Juda devient, on l’a dit, maître es reconstitution! S’il remémore devant Joseph  – qui, à aucun moment,  ne l’interrompt- les différentes phases du jeu cruel auquel celui-ci s’est livré, c’est pour lui faire entendre qu’il n’en est pas, ou qu’il n’en est plus dupe. Nul autre que leur frère disparu, nul autre que l’avant-dernier fils de Jacob,  ne se serait comporté de cette manière, n’aurait formulé des demandes de cette nature, se succédant dans cet ordre. Joseph est sans doute un spécialiste du fil  rouge ? Juda lui fait comprendre  graduellement que ce fil rouge est lui même torsadé de fil blanc. A son tour Juda n’agence pas les éléments de sa reconstitution de manière aléatoire. Chacun de ses «Tu as dit alors..» et « ensuite tu as dit » – il faudrait en faire le décompte précis – met Joseph plus largement à découvert jusqu’au moment où il ne peut plus se contenir. Observons que s’il se démasque, si, selon les termes mêmes du récit biblique, il ne su  « plus se contenir », et en dépit de tous les témoins de la scène, ou de la mise en scène, c’est que Juda vient d’évoquer la «mauvaiseté (haraâ) » qui serait infligée à « son » père, son père à lui, Juda, dans le cas ultime et tragique où Joseph séquestrerait Benjamin. Le mot « père » (Gn, 44, 34) est celui, sans pareil, qui fait déborder l’âme de Joseph jusqu’ici celé et scellé. Il faudra qu’il s’y reprenne au moins à deux reprises, qu’il répète « Je suis Joseph » ajoutant « votre frère », celui des « douze-moins-un », pour que ceux-ci commencent à échapper à leur sidération. Et c’est après s’être assuré que Jacob vivait toujours qu’il leur dévoile l’autre fil conducteur: celui de l’Histoire dont il sont ensemble les acteurs.

Si Joseph s’est retrouvé en Egypte, si toute la fratrie s’y retrouve réunie à son tour, ce n’est guère par l’effet de leur volonté individuelle ou même de leurs volontés coalisées, fût-ce pour le pire. Telle est la Volonté d’un autre ordre, celle du Créateur qui a décidé de tracer cette voie afin que les enfants de Jacob  deviennent un peuple: le peuple d’Israël.

Arrivés à ce point à la fois de jonction et de nouvelle bifurcation, personne n’est en mesure de prédire le cours et le tour que prendront les nouvelles phases de cette Histoire. Quoi qu’il en soit, Joseph qui est sans doute le seul en Egypte à savoir qu’il n’en est pas le maître absolu, devra tenir informé Pharaon de tout ce qui vient d’advenir, que ses frères l’ont rejoint et qu’ils n’ont d’autre préoccupation que de trouver des pacages pour leurs troupeaux, jusqu’au moment où la famine cessera. Tous les Pharaons se suivent mais ne se ressemblent pas. Celui dont Joseph a su interpréter les rêves est bienveillant, accueillant, hospitalier. Il ne répugne pas à la réunion des familles. Que Joseph se rassure: toute l’Egypte s’ouvre devant le groupe constitué par les enfants de Jacob. Au point que celui-ci, arrivé en Egypte après s’être assuré que le projet divin était conforme à cet itinéraire, non pas rendit « hommage au pharaon », comme le traduit la Bible du Rabbinat, mais qu’il le bénit vaybarekh Yaacov eth Paraô ) » (Gn, 47, 7).

Cette bénédiction n’était ni de circonstance, ni simplement protocolaire puisqu’il s’agit également de la bénédiction d’Abraham à lui transmise par son père Isaac dans le contexte déjà examiné. En retour Pharaon attribuera à Joseph et à sa famille non pas une terre périphérique mais le meilleur du territoire royal, celui de Raâmsès, car ce nom n’appartient pas aux seuls égyptologues, surtout à ceux qui veulent ignorer les enseignements du récit biblique. Les événements à venir concerneront ainsi et simultanément l’histoire des enfants de Jacob-dont les généalogies et les descendances sont minutieusement récapitulées, l’histoire de l’Egypte et celle de l’humanité.

La famine ne desserre pas son étau. Pour se nourrir les égyptiens,  après avoir aliéné tous leurs biens à présent aliènent leur personne. S’ensuit une impressionnante concentration du pouvoir entre les mains non de Joseph mais du Pharaon. Etait-ce de bonne politique ?

Pour sa part, Jacob-Israël s’autorise à respirer…

Raphaël Draï zal, 4 décembre 2013

PARACHA MIKETS

In Uncategorized on décembre 22, 2022 at 5:59
10 Mikets

(Gn,  41, 1  et sq)

Si, comme on l’a proposé précédemment, les rêves qui commencent avec celui de l’Echelle et qui se concluent par ceux de Pharaon n’en forment qu’un, les parachiot qui commencent par «Vayétsé» et qui se poursuivent jusqu’à «Mikets» n’en forment également qu’une. Dans les deux cas une vision d’ensemble, panoramique, visuelle et intellectuelle, est requise. C’est d’ailleurs à la toute fin de la paracha «Vayéchev» que se sont produits deux autres rêves qui sont comme le prélude prophétique de ceux relatés dans la présente paracha.

A la suite de ses déboires libidinaux avec la femme de Potiphar, Joseph – dont son maître égyptien a tout de même épargné la vie – se retrouve incarcéré avec deux hauts dignitaires de Pharaon lesquels ont failli à leur fonction et sont enfermés là, en attente de jugement. Joseph n’est plus le jeune homme imbu de sa personne. Les épreuves l’ont  mûri. Il sait être attentif non plus aux soins de sa chevelure mais au visage d’autrui. Et ce matin, le visage de ses codétenus ne trahit rien d’autre que le désarroi et l’inquiétude. Il faut dire que durant la nuit, l’un et l’autre ont fait en commun un rêve étrange, à deux dimensions, l’une personnelle et l’autre transversale. Et ils n’en comprennent pas le sens, ce qui ajoute à leur trouble.

Joseph s’en aperçoit, les approche, leur fait comprendre qu’ils peuvent s’en ouvrir à lui. Mis en confiance ils acceptent et Joseph interprète le rêve de chacun de manière si juste qu’il y reconnaissant pour l’un sa proche libération, pour l’autre sa proche exécution. Joseph adresse une seule demande en retour: qu’il ne soit pas oublié en cette «prison dans la prison». Les événements qui se produisent à présent confirment son interprétation. Seulement, celui des deux officiers que Pharaon a rétabli  dans sa charge avait entre-temps oublié le détenu hébreu, sans doute parce que son image lui rappelait trop son incarcération.

Mais l’Histoire continue, tramée l’on ne sait où, ni par qui, même si Joseph, pour sa part, n’en doute plus. Et il advient qu’à son tour le Pharaon en personne est tourmenté par deux rêves antagonistes dont le sens lui échappe, comme il échappe à tous les sages et nécromanciens que compte l’Egypte d’alors. Le Pharaon a rêvé que des vaches grasses sortaient du Nil que d’autres vaches, faméliques et carnassières, allaient tout simplement avaler. Et comme si ce rêve n’avait pas épuisé l’information de son inconscient, il rêve aussitôt après que sortent de terre des épis gras que d’autres épis secs et goulus vont avaler aussi. Du coup son cerveau n’est plus qu’une cloche battue à toute volée. Les événements s’enchaînent.

L’officier gracié se souvient soudainement de Joseph et relate au Pharaon ce qu’il s’est passé en prison. Le Pharaon montre foi en ses dires et mande Joseph lequel, sentant son intuition se confirmer, s’empresse de se rendre à cette convocation sans réplique. Et dans ce but précise le texte «il se rase et change de vêtement», sans doute pour nous faire comprendre qu’il se départit de ce qui persistait en lui d’adolescence et d’égo-centrage. Arrivé face au Maître de l’Egypte il le prie de lui raconter ses rêves transmués en cauchemars.

Pharaon s’en acquitte et Joseph note quelques variantes au regard de la version qui déjà en avait circulé. Puis il délivre sa propre interprétation: sept années de prospérité seront suivies par sept années d’une famine si dure que les premières seront comme si elles n’avaient pas été. Que Pharaon prenne ses dispositions. Celui-ci ne croit pas mieux faire que d’ériger Joseph au degré de pouvoir juste inférieur au sien. Dans de telles circonstances, Joseph se persuade que l’Histoire en cours ne se limite plus aux péripéties de sa seule existence.

Entre-temps encore, d’autres événements s’agencent de sorte à rejoindre  ceux qui se déroulent en Egypte. Les prédictions de Joseph se confirment. Après sept années de prospérité, la famine frappe cette région du monde, si ce n’est toute la terre. Même Jacob et les siens en sont affligés. Jacob sait qu’il y a du blé en Egypte. Il demande à ses fils de s’y rendre pour en faire provision de survie et ses fils l’écoutent. Avec une seule restriction : Benjamin, le dernier fils de Rachel ne sera pas du voyage. Jacob redoute qu’il ne subisse un sort analogue à celui dont il croit toujours qu’il fut celui de Joseph, le fils de ses dilections.

Dix enfants de Jacob  se rendent donc en terre pharaonique sans se douter le moins du monde qui, à part Pharaon, en est devenu le véritable maître. Et c’est ainsi, de fil en aiguille, si l’on peut user de cette expression, qu’ils se retrouvent devant Joseph qu’ils ne reconnaissant pas, d’autant que celui-ci a bien pris soin non pas seulement de se dissimuler mais dit le verset de Beréchit de se rendre «étranger» (vaytnaker) à leurs regards (Gn, 42, 8). Commence alors un jeu qu’on n’ose qualifier de cache-cache. Joseph entreprend de tourmenter ses frères. Pourquoi ne sont-ils que dix? Pourquoi sont-ils venus en Egypte? À eux de prouver qu’ils ne sont pas des espions. Qu’ils s’en retournent chez leur père et qu’ils ramènent avec eux le frère manquant. C’est peu de dire que la stupeur a saisi la fratrie, aussi diminuée qu’elle soit. Pourquoi ce supplice mental? Que payent-ils en l’occurrence?  N’est ce pas la Justice divine qui s’exerce en ce moment à cause du fratricide qu’ils étaient sur le point de commettre contre leur frère es songes…

En réalité une Histoire aux figures multiples se tresse et se presse dont il est indispensable de discerner les deux fils conducteurs. En premier lieu, il faut, conformément à l’annonce faite à Abraham (Gn, 15, 13) que les descendants de Jacob se retrouvent en Egypte car là se joue une partie du destin de l’humanité et qu’ils en sont parties prenantes. Mais également, c’est en jouant cette partie qu’ils en joueront une autre, celle qui les approche, une nouvelle fois, au plus près du fratricide sans que nul ne sache encore s’ils seront en mesure de le déjouer.

Un des frères commence à le discerner: Juda, celui là même qui avait joué sa propre partie de cache-cache avec sa bru, elle aussi voilée, jusqu’au moment où il comprit que quelque chose d’autre tentait de se faire jour, dans le clair-obscur de la Révélation.

Un clair-obscur que les lumières de Hanoucca, synchrones désormais avec ces parachiot, convertiront en pleine clarté.

Raphaël Draï zal, 27 novembre 2013

LUMIÈRE D’ÊTRE

In Uncategorized on décembre 18, 2022 at 1:35
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Si l’été désigne l’empire du soleil, l’automne puis le début de l’hiver marquent la souveraineté de la lumière, invitant à son éloge. Le 25 du mois de Kislev, jour après jour, s’allument ainsi les huit lumières de Hanoucca qui montent dans la nuit pour évoquer la Présence divine, génératrice de cette lumière génésiaque par laquelle se perçoit tout autre source lumineuse. « Dans ta lumière se voit la lumière », murmure David dans ce psaume que Renan à placé en exergue de Naphtali. La vie est impossible sans air, sans eau ni pain. Que serait-elle sans lumière ? Et sans la lumière d’hiver, la lumière de compassion ?

L’hiver n’est pas la plus sombre des saisons. Le dépouillement des arbres dégage au plus large et au plus loin l’aire céleste ou le soleil enfin peut se regarder en face, soleil esquissé du matin, hâtif de midi, gris-perle de l’après-midi, rougeoyant aux abords de la nuit mais toujours compatible avec nos yeux ouverts. Par-là se ressent un équilibre intime du monde qui laisse pressentir ce que veut dire le mot révélation quand rien ne se dissimule, que les êtres se présentent en ambassadeurs fidèles d’une autre Présence. Lorsque le temps social vire au noir, que l’âme voudrait rentrer en elle-même, n’avoir pas été insufflée dans un corps trop souffrant, advient la consolation de la lumière.

Dieu en a fait la première leçon, au commencement ardu de la Création : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. Et la terre était tohu bohu. Et la ténèbre à la surface de l ’abime ; l’esprit de Dieu s’essoufflait sur la face des eaux ». Nul n’en doit douter : aucune création ne va de soi. Sitôt initiée elle se heurte à ce qui contredit son principe, eût-il été divinement décidé. Face à la création la ténèbre s’encuirasse : face à la ténèbre l’Esprit divin halète. La ténèbre résiste, refuse toute transformation, toute métamorphose. Elle s’entête dans un état que le verbe être est impuissant à designer. Alors Dieu parle : « Et Dieu dit : « Sois Lumière » ».

Dieu n’ordonne pas. Il appelle à l’aide. Seule la lumière, sollicitée par son nom personnel « Lumière », permettra que l’œuvre de Bereshit se poursuive, n’avorte pas comme un embryon inviable dans la fondrière sans fond du chaos primordial, aveuglement perpétué.

« Et Lumière fut ». Cette formule au passé n’est que de syntaxe. Elle veut surtout signifier que la lumière aussitôt se présenta. La nature de la lumière se lie à ce mérite. Face à la peine divine, elle n’hésite, ne tergiverse pas. Elle répond sur-le-champ, avant que l’idée d’instant n’ait été créée. Dieu sait reconnaitre un tel mérite, ses prolongements et ses ulteriorités : « Dieu vit la lumière car c’était bien ». Premier jugement, irréfragable, de valeur. Tous ceux qui adviendront ensuite s’y ajouteront. Lorsque la politique brouillera les regards, endurcira les cœurs, armera les poings ; lorsque la pensée à son tour s’obscurcira, que les chemins et les routes se dissoudront dans l’incertitude ; lorsque la désespérance absorbera l’espoir comme le sable boit l’eau, interviendra la remémoration du geste de lumière d’où l’être naît : sans phrases, sans délais, afin de mettre la ténèbre qui ne sait que s’épandre dans l’impossibilité d’assurer la prorogation du non-être. La leçon sera humainement entendue. L’équivalent de « Et Lumière fut » sera le « Hineni » d’Abraham, le « Je suis ici », tout présent, répondant à l’appel de Dieu quand la fureur et l’absurdité se mettent en travers des routes ouvertes vers la divine bénédiction.

Les bénédictions de Hanoucca marquent une différence radicale entre le feu et la lumière. Le feu dévore, se dévore, puis meurt d’inanition, retournant à la ténèbre dont il n’a fait que différer les reflux. La lumière qui dure, patiente, germinative, féconde le regard, lui donnant à jamais le goût de faire longuement exister ce que le néant a laissé échapper. Elle n’embrase pas la nuit mais l’embrasse. Elle s’y détache comme le rouge sur le noir, la perle sur le velours. A l’instar de la lumière ressuscitée de la havdala shabbatique, elle ne cherche pas à se retrouver seule, au plus tôt, mais retient, indéfiniment, au bord de la table où scintille le Zohar la couronne des hôtes entre lesquels se tiennent, attentifs et silencieux, les archanges venus écouter les interprétations humaines.

La lumière réconcilie en les magnifiant les visages de la terre que la ténèbre dissocie et fait se combattre. Elle donne d’impromptus rendez-vous au désir de vivre sous toutes les latitudes, où que nos pas nous aient menés. Face a la cinémathèque de Jérusalem, elle transverbère la muraille de la Ville ancienne et d’une heure à l’autre la fait passer du blanc nacré au mauve-fauve ; à Marseille elle s’épand au-dessus de la ville en voile de mariée ; à Paris, elle s’avère profuse, profonde, multiple, comme jouée à l’orgue. A Moscou elle se guérit lentement des cicatrices du feu ; à Montréal, elle s’infuse dans le Saint-Laurent qui l’océanise ; Constantine, elle faisait ouvrir les recueils de psaumes et de piyoutim. Par elle, à Rome le vert des pinèdes devient d’émeraude. A Safed, elle fait des bouquets d’étoiles éternelles avec les paroles des Sages. Chaque fois, elle est cette longanime prière des yeux qui déclôt la prière des lèvres, autorisant alors la lecture de la Loi écrite de son encre.

Raphaël Draï zal, L’Arche Janvier 1999

PARACHA VAYECHEV

In Uncategorized on décembre 16, 2022 at 12:07

9 Vayéchev

       (Gn; 37, 1 et sq)

Décidément le récit de la Thora n’a rien à voir avec une histoire édifiante, avec ce qu’il est convenu d’appeler l’Histoire sainte! Après les déboires de Dinah et le massacre des habitants de Sichem, suivis de la réprobation sans équivoque de Jacob-Israël, nous voici engagés dans les péripéties de la rivalité, aux confins du fratricide, entre Joseph et les autres fils de Jacob – Israël.

Le père avait une dilection marquée et marquante pour le premier-né de son union longtemps stérile avec Rachel. Le jeune Joseph  âgé de dix-sept ans – si à dix-sept ans la notion d’âge a le moindre sens – est commis à la surveillance des troupeaux de ses frères, sinon à celle de leur conduite. La difficulté est qu’à ce moment Joseph est porté à se fier aux apparences et à croire en son destin, ce qui le conduit à des rêves dont l’imagerie universelle a enregistrée les contenus.

Il rêve en premier lieu que se trouvant aux champs, sa gerbe personnelle se dresse et s’érige au milieu de celui-ci et que les onze autres gerbes qui s’y trouvent aussi viennent s’incliner devant elle. Or non seulement Joseph exprime ainsi son désir, encore plus ou moins conscient, mais il croit devoir le narrer aux onze autres membres de la fratrie – heureusement Dinah n’est plus là pour l’entendre – qui prennent très mal non seulement le rêve mais le racontar qui l’accompagne. Le pire est qu’ils en conçoivent une haine si intense vis à vis du rêveur que cet affect violent leur coupe l’usage de la parole. Qu’à cela ne tienne! Le désir de Joseph s’avère encore plus tenace que leur haine incessante. Il rêvera donc à nouveau mais cette fois ce sont le soleil, la lune et un groupe d’étoiles formées en fratrie stellaire qui viennent lui déclarer leur obédience. Mais cette fois aussi le père ne dissimulera son inquiétude. Il est bien placé pour savoir qu’il est des rêves prophétiques comme celui qu’il rêva au sortir de Beershéva: le rêve de l’échelle reliant le monde d’En-Haut et le monde d’En-Bas. Pourtant, ce n’est pas parce qu’un rêve est prophétique qu’il n’est pas périlleux. Car la fratrie jure et conjure la mort de l’apprenti despote et il s’en faut de peu qu’elle n’y réussisse. Le jeune Joseph se retrouvera jeté dans un puits sans eau, grouillant de bêtes peu conviviales, images de cette lie déposée au fond de son inconscient où se fausse le vecteur  de son désir  qui s’y réfracte encore.

Une caravane, passant opportunément dans les parages, viendra le sauver de la mort certaine. De caravane en caravane, Joseph aboutira en Egypte où après maintes autres péripéties il sera acquit par un haut personnage de la Pharaonie. La Providence divine y mettra du sien et Joseph se verra promu, quoiqu’esclave et prisonnier, au rang d’intendant de ce haut personnage. Y retrouvera t-il un peu de quiétude?

On l’aurait espéré à sa place, sauf que la femme du dit personnage n’a d’yeux que pour lui dont la beauté est tellement vantée que les cuisinières s’en coupent les doigts dans leur cuisine.. On sait comment le grand écrivain allemand et anti-nazi Thomas Mann a traité de ce thème dans sa magnifique tétralogie: «Joseph et ses frères» qu’on aura grand bénéfice à lire ou à relire. Entre-temps le père malheureux, persuadé par ses autres fils, que Joseph est mort, déchiqueté par une bête de proie – ils ont maquillé en la maculant de sang animal la tunique de la haine – Jacob donc en a pris le deuil et se montre inconsolable. Sa vie n’en est plus une.

Deux histoires et même trois – si l’on compte celle de Judah avec sa bru Tamar – s’entrelacent à présent, sans que les protagonistes  le sachent, comme un tisserand use de son métier pour faire apparaître sur la toile en cours des figures qu’on n‘y eût pas soupçonnées.  Le reste du récit factuel se découvrira aussi dans la suite de la paracha et dans ses commentaires traditionnels dont on suppose l’essentiel connu.

Une important question se pose  alors. On a pu remarquer que le livre de La Genèse était pour l’essentiel le livre des rêves et ceux-ci ne vont pas cesser puisque Joseph, en proie aux élancements érotomaniaque de l’épouse de celui qui reste son bienfaiteur, et qui sait y résister, non sans mérite, sera bientôt convié à interpréter ceux de ses codétenus, en attendant ceux de Pharaon en personne. La Thora donnerait-elle ici dans les récits «populaires» incitant le lecteur à faire jouer en toute fantaisie sa clef des songes?

Une autre hypothèse se forme: tout se passe comme si le rêve de l’échelle, puis les rêves du jeune Joseph, puis ceux du maître-échanson et du maître panetier emprisonnés par Pharaon, avant ceux de Pharaon lui même, ne constituaient pas une série disparate de songes mais bel et bien un même rêve, dont ces rêves singuliers sont des parties qui se renvoient les unes aux autres. On comprend qu’il faille avancer sur ce terrain avec circonspection puisque nous sommes habitués à l’idée qu’un rêve est forcément individuel. L’hypothèse ainsi formulée appelle une plus longue analyse et il faut sans doute comprendre qu’à travers cette véritable « nappe onirique » c’est aussi le sens d’une certaine Histoire, laquelle ne se donne pas à élucider du premier coup, qui doit être approchée. Et c’est sans doute pourquoi – autre hypothèse – cette paracha et la suivante ne se limitent pas à narrer les rebondissements romanesques de l’histoire du jeune Joseph. A travers eux, l’on doit suivre le mûrissement de son esprit, sa capacité progressivement acquise au décentrement de soi-même et à la pensée réfléchie jusqu’à ce qu’il entende jusqu’à leur ombilic les rêves d’autrui et qu’il se trouve en mesure d’en donner l’interprétation juste, et juste en ce qu’elle touche l’auteur de ces rêves qu’on n’hésitera plus à qualifier de prémonitoires, comme si le propre du désir était d’anticiper sur le réel pour le conformer selon ses vues.. Cependant,  que se passe t-il lorsque dans un espace-temps irruptif ces désirs ne sont plus convergents?

Car les frères de Joseph, poursuivent, on l’a dit, de leur côté leur propre histoire, et bientôt, également poussés par la Nécessité qui est dans la Thora le visage de la Providence lorsqu’elle se veut austère, descendront en Egypte, ne sachant pas qui en est devenu le  Maître en second.

Raphaël Draï zal, 20 Nov 2013

PARACHA VAYICH’LAH

In Uncategorized on décembre 8, 2022 at 6:58

8.Vayichla'h

(Gn; 32, 4 et sq)

Dans la typologie des Patriarches, Jacob est identifié à l’homme de la pensée et de l’étude ( yochev ohalim) et à la dimension de vérité (émeth). Mais toute son existence aura exigé de composer avec les apparences, de jouer au plus fin, de se situer d’abord sur un plan donné pour se dépasser sur un plan supérieur, où on ne l’attend pas. Devenu spirituellement l’aîné d’Esaü, qui n’y consent pas, ou plus, sera-t-il à la  hauteur de cette prérogative?

A l’incitation de sa mère il a fui chez Laban, son oncle, les obsessions fratricides d’Esaü qui se sent à la fois «possédé» intellectuellement et dépossédé de la bénédiction paternelle. Arrivé chez Laban en réfugié, Jacob repart muni d’une nombreuses famille et d’un patrimoine considérable. Il sait qu’Esaü le guette pour attenter à sa vie. Quelle stratégie adopte-t-il? Celle de la conciliation. Il tentera d’amadouer cet Esaü qui ne rêve que de reprendre « l’objet perdu » – sans quoi tout lui manque –   dans un moment d’inconscience. Aussi décide-t-il de ne pas le rencontrer de plain-pied, si l’on ose dire. Jacob lui envoie des émissaires, avec un beau lot de consolation, du gros et du menu bétail, des bêtes de somme et de trait. De quoi satisfaire un commerçant retors comme Laban mais non pas celui qui prend de plus en plus le visage et les allures d’un chef de guerre. Jacob ne se fait aucune illusion et prend soin de partager son camp en deux, de diviser les risques. La régression est notable du lieu dit Mah’anaïm, « le double camp », terrestre et céleste, à ce « camp » désormais scindé, partagé et divisé dans sa configuration et dans sa substance. Si par malheur Esaü attaquait la première moitié, l’autre pourrait s’échapper, sans doute, mais, au bout du compte, Jacob serait demeuré dans ce cas le fuyard qu’il a voulu oublier …

On l’a vu à propos du rêve de l’échelle: lorsqu’un esprit de cette altitude tente de se fuir, il est rappelé à l’ordre par celui qui a décidé de cette hauteur là. Jacob a pris toutes les précautions qu’il était possible de prendre. Le voici au gué du Yabbok, seul, pendant que la nuit tombe. Et c’est au moment où la nuit est devenue noire, opaque, qu’il se sent soudain saisi par l’on ne sait qui. Après un moment de sidération, long comme une nuit sans lumière, lui qui était pris à la gorge, dont la nuque commençait à ployer, d’un coup se ressaisit et se met à lutter. Son antagoniste reste non identifiable mais Jacob à présent rend coup pour coup. Si le combat a été engagé à son corps défendant, il n’en sortira pas vaincu.

La lutte est longue, indécidable. La créature qui frappe à l’endroit le plus vulnérable de son  corps s’acharne mais Jacob ne se rend pas à sa merci. Au contraire: plus le temps passe, moins elle sent la partie gagnée. L’aube s’approche qui la dévoilera et il lui faut au plus tôt s’en aller. Encore faut-il que Jacob qui la tient y consente. Il s’y refuse tant qu’elle n’aura pas répondu à sa demande: que son adversaire lui délivre sa propre bénédiction. Etrange demande! Etrange « butin » pour une victoire! Comment la comprendre?

Jacob n’est-il pas nanti de la bénédiction d’Isaac, son père, en dépit des circonstances troubles dans lesquelles il l’a obtenue? Mais cette fois est différente: cette bénédiction délivrée dans ces nouvelles circonstances, il l’aura gagnée de haute lutte, sans mauvaise conscience, même si celle-ci n’empêchait pas le sentiment d’un devoir nécessairement accompli, d’une responsabilité inéluctable. Cette bénédiction il l’obtiendra, mais assortie d’une assurance: le  changement de son nom. Jacob, l’homme qui talonne son frère mais à qui, de ce fait même,  il se trouve assujetti, devient Israël, l’homme qui a lutté avec « l’Ange d’Esaü », un psychanalyste dirait: au fantasme de toute puissance qui lui était attaché. Devenu Israël, Jacob a pris conscience de ses forces neuves. Certes, il rencontrera Esaü, mais en frère de chair et de sang. Si ce dernier s’avisait d’engager le combat, il n’en sortirait pas vainqueur comme cela semblait  dicté d’avance à ses yeux et à ceux de ses hommes de troupe. Israël choisit néanmoins  la conciliation et la rencontre avec Esaü, enfin adouci, est aussi émouvante que celle qui réunira Joseph et ses propres frères après des années d’une autre dissimulation.

Ici s’ouvre une hypothèse de lecture: depuis la première transgression au Gan Êden jusqu’à l’ensevelissement de Joseph dans les eaux du Nil, en passant par la dissimulation de Tamar aux yeux de Juda, son beau père, tout le livre de La Genèse est scandé par des épisodes de recouvrement et de dé-couvrement, de relégation et de révélation, comme si ce doublet-là se rapportait à une pulsation de l’histoire humaine corrélée à la Présence divine. Ce ne sont pas, ou pas seulement jeu de masques mais apprentissages de la pleine présence humaine au regard de la pleine Présence divine. Avec des moments de retrait. C’est ainsi que les routes d’Esaü et d’Israël vont se séparer, Esaü ayant apporté la preuve, par sa manière d’être et de se conduire, que décidément l’aînesse spirituelle ne lui seyait pas. Toutefois, Jacob-Israël est loin de se trouver au bout de ses peines.

Le voici installé sur les terres de Sichem. Sa fille Dinah a le malheur de se croire en terre hospitalière. Elle est raptée par le fils du Maître des lieux et traitée comme une prostituée. C’en est trop pour deux de ses frères: Simon et Lévi qui n’ont toujours pas « digéré » la génuflexion de leur père devant Esaü et qui n’entendent pas subir un nouvel abaissement lié au déshonneur de leur sœur, personnage au demeurant fort énigmatique dans les récits bibliques, elle aussi soudainement apparue et disparue. Leur violence punitive va se déchaîner et se conclure par l’extermination de la cité où ils se sont estimes violentés autant que Dinah. Là encore, le stratagème et la dissimulation aiguiseront le fil de leur épée. Cependant leur père les réprouve et condamne leur conduite, et cette réprobation se retrouvera jusque dans sa bénédiction finale. C’est ainsi que pour sa part Lévi s’engagera dans une  crise de conscience tellement profonde qu’il en sortira digne d’exercer la fonction sacerdotale. La parole divine advient alors à Israël qui doit baliser une nouvelle étape de son itinéraire céleste en terre humaine. Elle se nommera «Beth El»: la maison de Dieu. Entre-temps Jacob se sera délesté des dernières idoles du temps de Laban, perdues de vue dans les fontes de la caravane.

Israël pourra-t-il prendre un peu de repos? Rien n’est moins sûr, pas plus qu’est sûre la fraternité censée régner entre ses fils, et plus particulièrement vis à vis de celui dont il a particulière dilection: de Joseph, suprêmement doué mais suprêmement vaniteux aussi, du moins à ce moment de sa jeune vie.

Raphaël Draï zal 14 novembre 2013

Paracha Vayetse

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7.Vayétsé


(Gn, et sq)

Peut-on se fuir soi-même? La terre ne serait pas si large! Et pourtant c’est bien ce conseil que Rebecca a donné au malheureux Jacob, confronté à la haine de son frère après qu’Esaü s’était délesté auprès de lui de son droit d’aînesse et après que ce frère, prenant ses apparences, avait obtenu par cette dissimulation la bénédiction paternelle Jacob se dirige donc vers le lieu-dit H’aran, lequel en hébreu ne comporte que des connotations négatives (ih’our signifie retard, h’or désigne le trou) mais au moins une indication positive puisque dans cette même langue ah’er désigne autrui, l’Autre, sur la voie de devenir le prochain: réâ.

Un grand esprit en fuite finit par se cogner à son contraire, à retrouver sa droite voie initiale. Sur ce chemin inversif, Jacob, la nuit venu se heurte ( vayphgâ ) en effet à l’on ne sait trop qui ou quoi… Il s’endort, et de cette nuit s’engendre l’un des rêves les plus considérables jamais advenus à la conscience humaine et qui authentifie son désir véritable. Jacob rêve d’une échelle, d’un soulam, qui relie d’un seul tenant la terre et le ciel, comme si jusqu’à présent, et au moins dans son esprit, ils avaient été disjoints. Et cette échelle y est solidement maintenue, au sens là encore juridique et moral, puisque le verbe qui en rend compte: MouTsB(V) se trouve dans tsava, l’organisation cohérente, et dans mitsva, l’obligation  de faire ou de ne pas faire qui met en œuvre le choix de la vie.

Le long de cette échelle-image de la mesure et de la gradation, l’une et l’autre ascensionnelles-montent et descendent des créatures divines, images de l’humain lorsqu’il consent à ne pas se réduire à son substrat matériel. L’« insight », la prise de conscience devient illuminatrice. Jacob comprend que ce lieu n’est rien de moins que « la porte des cieux » (chaâr hachamaïm) et que désormais, quoi qu’il fasse, son cheminement reliera, lui aussi et à son tour, le monde d’en-haut et le monde d’en-bas. Ce ne sera pas une mince affaire et comme le Créateur renouvelle avec lui, en cette vision programmatique, son Alliance, Jacob s’autorise à lui demander un viatique: de quoi manger et se vêtir. Ce viatique ne sera pas sans contre-partie puisque Jacob s’engage à restituer au Donateur un dixième – origine de la dîme –  de ce que la grâce divine aura bien voulu lui accorder.

Jusqu’à présent Jacob était doté d’un droit d’aînesse spirituelle et d’une bénédiction paternelle « théoriques ». Désormais il doit les mettre en pratique, et cela dans un milieu dont le moins que l’on puisse dire et qu’il ne lui sera pas favorable puisqu’il s’agit du clan de Laban, son oncle, à la réputation sulfureuse. Le frère de Rébecca professe l’escroquerie comme d’autres l’honnêteté. Aussitôt arrivé sur les terres de l’oncle pervers, Jacob s’éprend d’une de ses filles, la plus jeune, nommée Rachel. Par cette seule révélation, ce ne sont pas les cieux et la terre qui se conjoignent mais toutes les parties de son être. Cette femme sera sa femme, l’élue. Il en fait la demande à son oncle, s’offrant à le servir pas moins de sept années, de sorte que Laban en récupère un profit considérable. Celui-semble y consentir. Il a d’autres plans en tête.

Jacob le réalisera lorsque, grugé à son tour, dans le lit nuptial il découvrira non pas Rachel mais sa sœur aînée Léa, bien moins belle à ses yeux et correspondant moins aux aspirations de son âme. Un psychanalyste ferait alors observer que le récit biblique opère d’étrange manière. Si Jacob s’est retrouvé en ces lieux, à l’hospitalité douteuse, c’est parce qu’il fuit son aîné «biologique»: Esaü. Or, sur la couche nuptiale, c’est bien la première née des deux sœurs dont il consomme, sans le savoir, la nubilité.

Qu’à cela ne tienne: le désir fait loi surtout lorsqu’il prend le visage d’un amour sans pareil. Jacob ne rebute pas les raisons de son oncle et beau-père – et ici commence un entrelacs parental sans précédent, un écheveau appelé à devenir de plus en plus complexe, constitué de quatre épouses, mères de douze fils et d’une fille – mais il ne se désiste pas de son élection première. Il travaillera pour Laban, encore et encore, jusqu’au moment où Rachel et lui enfin s’uniront. Ce qui ajoute à la difficulté de la situation puisque si Léa est féconde Rachel s’avère stérile. La jalousie fraternelle qui avait incité Jacob à fuir la maison de ses père et mère le rejoint sous la forme de cette compétition entre deux  sœurs. Rachel, la sur-aimée, se trouve au bord du désespoir: elle enjoint à Jacob de lui donner une postérité, autrement la mort vaut mieux. Mais Jacob, ayant à l’esprit la vision de l’échelle, lui répond qu’il ne se prend pas pour Dieu. Un enfant lui adviendra: lorsque le Créateur l’aura voulu. Cependant, excédé par les exactions et les filouteries de Laban, Jacob qui a appris non seulement à les déjouer mais en les tourner à son avantage, réalise qu’il est temps de partir. Le trop long voisinage de gredins fieffés est contagieux! Laban n’entend pas en rester là. Il  poursuit le fuyard et le rejoint, avec toute sa famille et ses biens, en le menaçant d’un mauvais sort. Jacob, aidé de Rachel et du conseil divin,  l’en dissuade. Il passe avec Laban  un pacte de non-agression qui se scellera même par une bénédiction dont nul n’est dupe.

A ce moment l’on dirait, reprenant la vision de départ, que Jacob se retrouve douloureusement au bas de l’échelle prophétique. Ce n’est pas sûr: sur ses nouveaux chemins un nouveau heurt se produit du fait d’envoyés célestes (vayphgéôu bo malakhéi Elohim). Au heurt du début de la paracha correspond celui qui la conclut. Et Jacob comprend que son difficultueux chemin terrestre est la projection d’un tout autre chemin; que l’endroit où il se tient est le « camp de Dieu ». Il nommera ce lieu: Mah’anaïm, au pluriel, pour  mettre en évidence sa bipolarité au regard du monde terrestre,  sur lequel il chemine avec tous les siens, et du monde céleste dont il ne doit pas détourner son regard.

Esaü le guette …

Raphaël Draï zal, 7 nov 2013