danieldrai

Archive for décembre 2018|Monthly archive page

Paracha Chemot

In Uncategorized on décembre 27, 2018 at 12:25


13.Chémoth

La Genèse s’inaugurait par un récit de création. L’Exode commence par un récit de destruction, par la tentative d’extermination d’un groupe humain venu en Egypte du temps de Jacob et qui y était devenu un peuple: le Âm Israel. Pourquoi ce changement de climat, cette mutation de civilisation, si le mot de civilisation pouvait s’accoler à celui d’extermination?

Deux facteurs – clefs doivent être envisagés: la prospérité des descendants de Jacob et le changement de dynastie en Egypte. Pour le premier,  une observation s’impose. Il est dit à propos des Bnei Israël qu’ils  prospèrent, (perou), qu’ils se prolifèrent (ychrétsou), qu’ils  se multiplièrent (vayrebou) et qu’ils devinrent puissants (vayâtsmou)» (Ex, 1, 7). Cette séquence ne va pas sans rappeler celle évoquée précisément par La Genèse à propos du viatique donnée par le Créateur à l’ Humain: « Il les bénit et dit: « Prospérez ( perou )  et multipliez vous ( ourebou ), peuplez la terre ( mil’ou eth haaretz) et gouvernez  la(vekibchouha ) » ( Gn, 1, 28) ».

En terre égyptienne, cet ordre, ce séder, n’est pas exactement suivi. S’y est introduit une phase de prolifération, donc dérégulée, tandis qu’y manque la phase de gouvernance, comme si les Bnei  Israël avaient occupé toutes les positions de pouvoir secondaire, sauf la principale. En Egypte ils n’avaient pas pris le pouvoir politique, le laissant en déshérence. D’où ce qui suit: surgit en Egypte un roi «nouveau» dont la principale caractéristique est qu’«il ne connaissait pas Joseph»; un roi né de lui même, sans mémoire, sans tradition et, à la différence d’Assuérus, sans annales non plus. Pour lui le passé n’existe pas. Le monde est né du jour où il a accédé au trône. Les bienfaits que Joseph a dispensés à l’Egypte, surtout au temps de la famine, sont comme s’ils n’avaient pas été accomplis. L’amnésie renforce l’ingratitude qui, en retour, la motive et qui absout ce Pharaon sans généalogie de la malfaisance du projet qu’il conçoit: réduire  le Âm Israël  à l’impuissance afin qu’il ne se coalise pas, dit-il, avec les ennemis réels ou présumés de l’Egypte et qu’il en vienne à quitter le pays. Comme si telle n’avait pas été la vocation des descendants de Jacob-Israël et de ses fils une fois leur séjour égyptien parvenu au terme prévu.

Ainsi la mentalité paranoïde aggrave la volonté de pouvoir absolu. Néanmoins, ce Pharaon, qui n’a plus rien à voir avec celui qui accueillit Jacob et qui en reçut par deux fois la bénédiction, ce pharaon amnésique n’en a pas moins le sens du temps, du temps stratégique. Il prendra la sien pour transformer une collectivité humaine, féconde et porteuse de bénédictions, en un magma d’esclaves, dépouillés de leur statut antérieur, spoliés de leurs biens justement acquits, réduits à un asservissement décervelant et désespérant, au point de ne plus vouloir assurer leur descendance. Une propension autodestructrice à laquelle un homme et une femme  lévites vont mettre fin.

Un enfant leur naîtra qu’ils s’empresseront de soustraire au coutelas infanticide des sbires pharaoniques. L’enfant est placé dans un berceau, quasiment homologue à l’arche de Noé, puis confié aux eaux du Nil, sous la surveillance de sa sœur Myriam. L’esquif est remarqué par la fille de Pharaon, recueilli par elle  et l’enfant sera sauvé. C’est elle qui lui donnera son nom: «Moché», soit, comme l’explique  Samson Raphaël Hirsch, non pas «celui qui fut tiré des eaux», passivement, mais «celui qui tirera des eaux» – celles de l’amertume et de la désespérance – ses frères qu’il aura reconnus. Toutefois, la femme salvatrice, la bien-nommée Bithiah, «la fille de L’Eternel», ne se substituera pas à la vraie mère de son fils adoptif  et c’est Yochébed qui nourrira  l’enfant élevé par ces voies à la fois dans la Tradition d’ Israël et  selon les normes et la culture de l’Egypte.

L’enfant grandit au palais de Pharaon lorsque se produit un événement qui bouleversera le cours de sa vie. Aux abords du palais un maître de corvée bâtonne un esclave hébreu comme on ne maltraiterait pas un âne. La scène traumatisante révolte Moïse qui tue l’Egyptien  puis qui le dissimule avant de s’enfuir puisque deux autres esclaves, se querellant, lui font comprendre que son crime – car c’en est un – ne tardera pas à être découvert. Par où se retrouve le mouvement de relégation – révélation dont on a vu qu’il parcourt comme un fil rouge La Genèse.

Moïse trouve refuge au pays de Madian et se fait berger des troupeaux du prêtre de ce lieu, de Yétro dont il épouse la fille Séphora. Et c’est alors qu’il paissait les troupeaux de son beau-père que la voix de l’Eternel, celle de sa conscience aussi, le convoque du plus intime d’un humble buisson pour lui enjoindre de se rendre en Egypte afin de solliciter du Pharaon qu’il laisse s’en aller le peuple d’Israël, qualifié « d’aîné » (bekhori) du Créateur. Pourtant Moïse ne se laisse pas convaincre aisément. Il accumule prétexte sur prétexte jusqu’au moment où paraît son frère Aharon qui pourrait bien lui être substitué. Au bout d’un échange sans pareil dans toute la Thora, mis à part la proclamation du Décalogue, et au cours duquel l’Eternel se sera révélé comme «Ehyeh acher Ehyeh», non pas tautologiquement comme: «Je suis celui qui suis» mais: «Je serai qui je serai», un futur de futur rendant possible le recouvrement de l’espérance, Moïse se rend enfin en Egypte où il se fait reconnaître des esclaves hébreux puis est reçu au Palais de Pharaon. Arrivé devant le Maître de l’Egypte il formule à son intention la demande conçue par l’Eternel lui même. Hélas, au lieu d’y accéder, le Pharaon aggrave encore l’asservissement des esclaves dont la condition se dégrade en véritable torture.

Arrivé à ce point d’avilissement, Moïse ne comprend plus le sens de la révélation divine. Etait-ce pour en arriver à ce degré d’au-dessous la Création que l’Eternel, au Buisson ardent, a réduit une à une toutes ses résistances, rétrospectivement légitimées! Moïse interpelle le Créateur: pourquoi (lamah !) laisse t-il  une pareille malfaisance sévir contre ce peuple!

L’interpellation et si forte et tant sentie que la Voix divine l’en assure: on n’en restera pas là et Moïse sera à la fois l’acteur et l’annaliste de ce qu’il va advenir maintenant en Egypte.

Raphaël Draï zatsal 17 décembre 2013

Paracha Vayeh’i

In Uncategorized on décembre 21, 2018 at 1:42

12.Vay'hi

(Gn, 47, 28    et  sq)

Cette paracha est la dernière du Sépher Beréchit. Si l’on considère la structure de ce premier livre du Tanakh, l’on observe que la moitié, ou presque, des parachiot  y sont dévolues à l’histoire de Jacob, de ses épouses, et de ses enfants. C’est souligner son importance et la nécessité de l’étudier en profondeur.

Une fois reconnu de ses frères, et ayant retrouvé son père venu en Egypte à sa rencontre, Joseph continue de gouverner le pays sans doute le plus puissant de l’univers habité. Mais si Jacob dans ce même pays, affligé par une famine qui a conduit tout un peuple à se placer en servitude sous le pouvoir de Pharaon, si Jacob peut prendre quelque repos, il entre dans l’ultime phase de la vieillesse, celle qui le rapproche du terme inéluctable. Il lui faut ainsi veiller à la transmission de la bénédiction dont il est le porteur depuis Abraham et Isaac, et avant eux depuis le premier Homme. Il n’est pas question de flatter tel ou tel de ses fils. Il lui faut discerner celui d’entre eux qui sera le plus apte à poursuivre en effet cette trans-mission. C’est pourquoi son entretien électif le disposera, sur son lit d’agonie, et tandis que son regard s’obscurcit – comme s’était obscurci le regard de son propre père – face à Joseph qui n’est pas cité selon ses titres quasi-pharaoniques mais exclusivement comme «son fils» (beno).

Joseph ne vient pas seul. Ses deux fils, Menaché et Ephraïm, l’accompagnent et Jacob-Israël fait pour ainsi dire leur connaissance. On peut d’ailleurs s’étonner que l’événement se produise à cet instant seulement, si tard. Avant tout Jacob a fait jurer son fils que celui-ci veillera à le faire inhumer non pas en Egypte mais dans le caveau de Makhpéla, avec ses pères. Il semble que ce serment, drastique, ait résulté d’un premier engagement verbal, moins ferme, de la part de Joseph. Après quoi intervient la bénédiction directe de ces deux petits-fils et, sous cette modalité, de ceux-là exclusivement parce qu’en réalité, selon ses propres dires, Jacob les considère non pas comme ses petits-enfants mais comme ses propres fils. Schéma qui appellerait une étude de fort prés.

Cependant, c’est le cadet qui sera béni prioritairement de la main droite et l’aîné, à contre-usage –  de la gauche. Chiasme qui heurte Joseph, le père effectif, qui a ce moment voudrait se saisir de la main de Jacob pour la replacer dans ce qui lui semble être la bonne orientation. Mais Jacob sait ce qu’il fait et y persiste. L’ordre qu’il indique par ce geste n’est pas destiné à complaire au fils toujours préféré mais à indiquer qui sera le mieux en mesure d’assurer l’histoire du peuple d’Israël en pleine formation et, simultanément, de réaliser la bénédiction pour le genre humain qui s’y attache.

Le dernier instant approche encore. Ces dispositions prises, Jacob-Israël rassemble tous ses fils – on ne sait plus ce qu’il est advenu de Dinah – pour les bénir à la fois collectivement et chacun personnellement. Il faut être attentif aux termes de cette bénédiction d’avant le départ qui, elle aussi, s’assimile à un viatique pour les temps à venir. Ses significations sont multiples et n’apparaissent pas dans une seule lecture, surtout de surface. La découvrir c’est découvrir un autre niveau du langage biblique: le langage prophétique, celui qui vectorise ses contenus dans la direction d’un futur qu’il permet d’entrevoir. Cette bénédiction constitue la première moitié d’une arche qui se parachèvera avec celle de Moïse, à la fin du Deutéronome. Après quoi Jacob, devenu Israël, ayant transmis ce nom programmatique à ses enfants, rend son dernier souffle. Quelle vie aura été plus remplie que la sienne, riche de moments heureux et d’heures enténébrées!

Un deuil de grande envergure est décrété sur l’Egypte. Joseph a fait connaître à Pharaon les dernières volontés de  Jacob et le serment par lequel il s’est engagé à l’inhumer hors d’Egypte. Le Pharaon y consent, certes, mais nul ne sait si le cœur approuvait ce à que la bouche exprimait à ce sujet.  Joseph, accompagné d’une imposante escorte cérémonielle  et militaire s’en va donc avec ses frères inhumer son père à Hébron où se trouve la grotte de Makhpéla. Pourtant, enfants et troupeaux sont restés à Gochen. Y sont-ils demeurés de leur propre gré ou les y a t-on retenus? Ces notations qui semblent anecdotiques font en réalité comprendre que le climat commence à se détériorer, que le Pharaon hospitalier n’a plus l’esprit tranquille.

N’ont pas l’esprit tranquille non plus les frères de Joseph. La disparition de Jacob leur fait redouter que le fils de Jacob et de Rachel ne retienne plus ses impulsions vengeresses. Sous l’emprise de la peur, ne vont-ils pas proposer à Joseph, en se comportant comme les élites d’Egypte lors des années de la famine, de devenir ses serviteurs! Bien sûr il y a eu réconciliation et pardon mais, quoi qu’il en laisse montrer, la cicatrice de la blessure, notamment celle qui a résulté de sa vente, reste à vif chez celui qui désormais occupe la position suréminente qui est la sienne. Néanmoins Joseph les rassure en tant que de besoin. Si Jacob n’est plus physiquement présent, son image, sinon son âme reste bel et bien vivante. Elle n’a pas quitté Joseph au cachot ni lors des avances lubriques de l’épouse de Poutiphar. Ce n’est pas maintenant qu’il s’en désistera. Dans ces circonstances, le langage dont il use est quasiment identique à celui de Jacob  «Suis-je à  la place de l’Eternel !» (Gn, 30, 2) et (Gn, 50, 17)

Trois générations de Bnei Israël vont alors naître et prospérer en Egypte, dans ce pays où, on l’a noté, une fêlure, à peine discernable, ne s’en est pas moins produite, et surtout un pays dont toute la population, on l’a également rappelé, s’est de son propre mouvement réduite à l’asservissement, s’est assujettie comme un seul homme aux volontés du Maître, quel qu’il soit, et quelles que fussent ses intentions.

 La suite va dramatiquement le démontrer.

Raphaël Draï zal, 11 décembre 2013

Paracha Vayeh’i

In Uncategorized on décembre 21, 2018 at 1:42

12.Vay'hi

(Gn, 47, 28    et  sq)

Cette paracha est la dernière du Sépher Beréchit. Si l’on considère la structure de ce premier livre du Tanakh, l’on observe que la moitié, ou presque, des parachiot  y sont dévolues à l’histoire de Jacob, de ses épouses, et de ses enfants. C’est souligner son importance et la nécessité de l’étudier en profondeur.

Une fois reconnu de ses frères, et ayant retrouvé son père venu en Egypte à sa rencontre, Joseph continue de gouverner le pays sans doute le plus puissant de l’univers habité. Mais si Jacob dans ce même pays, affligé par une famine qui a conduit tout un peuple à se placer en servitude sous le pouvoir de Pharaon, si Jacob peut prendre quelque repos, il entre dans l’ultime phase de la vieillesse, celle qui le rapproche du terme inéluctable. Il lui faut ainsi veiller à la transmission de la bénédiction dont il est le porteur depuis Abraham et Isaac, et avant eux depuis le premier Homme. Il n’est pas question de flatter tel ou tel de ses fils. Il lui faut discerner celui d’entre eux qui sera le plus apte à poursuivre en effet cette trans-mission. C’est pourquoi son entretien électif le disposera, sur son lit d’agonie, et tandis que son regard s’obscurcit – comme s’était obscurci le regard de son propre père – face à Joseph qui n’est pas cité selon ses titres quasi-pharaoniques mais exclusivement comme «son fils» (beno).

Joseph ne vient pas seul. Ses deux fils, Menaché et Ephraïm, l’accompagnent et Jacob-Israël fait pour ainsi dire leur connaissance. On peut d’ailleurs s’étonner que l’événement se produise à cet instant seulement, si tard. Avant tout Jacob a fait jurer son fils que celui-ci veillera à le faire inhumer non pas en Egypte mais dans le caveau de Makhpéla, avec ses pères. Il semble que ce serment, drastique, ait résulté d’un premier engagement verbal, moins ferme, de la part de Joseph. Après quoi intervient la bénédiction directe de ces deux petits-fils et, sous cette modalité, de ceux-là exclusivement parce qu’en réalité, selon ses propres dires, Jacob les considère non pas comme ses petits-enfants mais comme ses propres fils. Schéma qui appellerait une étude de fort prés.

Cependant, c’est le cadet qui sera béni prioritairement de la main droite et l’aîné, à contre-usage –  de la gauche. Chiasme qui heurte Joseph, le père effectif, qui a ce moment voudrait se saisir de la main de Jacob pour la replacer dans ce qui lui semble être la bonne orientation. Mais Jacob sait ce qu’il fait et y persiste. L’ordre qu’il indique par ce geste n’est pas destiné à complaire au fils toujours préféré mais à indiquer qui sera le mieux en mesure d’assurer l’histoire du peuple d’Israël en pleine formation et, simultanément, de réaliser la bénédiction pour le genre humain qui s’y attache.

Le dernier instant approche encore. Ces dispositions prises, Jacob-Israël rassemble tous ses fils – on ne sait plus ce qu’il est advenu de Dinah – pour les bénir à la fois collectivement et chacun personnellement. Il faut être attentif aux termes de cette bénédiction d’avant le départ qui, elle aussi, s’assimile à un viatique pour les temps à venir. Ses significations sont multiples et n’apparaissent pas dans une seule lecture, surtout de surface. La découvrir c’est découvrir un autre niveau du langage biblique: le langage prophétique, celui qui vectorise ses contenus dans la direction d’un futur qu’il permet d’entrevoir. Cette bénédiction constitue la première moitié d’une arche qui se parachèvera avec celle de Moïse, à la fin du Deutéronome. Après quoi Jacob, devenu Israël, ayant transmis ce nom programmatique à ses enfants, rend son dernier souffle. Quelle vie aura été plus remplie que la sienne, riche de moments heureux et d’heures enténébrées!

Un deuil de grande envergure est décrété sur l’Egypte. Joseph a fait connaître à Pharaon les dernières volontés de  Jacob et le serment par lequel il s’est engagé à l’inhumer hors d’Egypte. Le Pharaon y consent, certes, mais nul ne sait si le cœur approuvait ce à que la bouche exprimait à ce sujet.  Joseph, accompagné d’une imposante escorte cérémonielle  et militaire s’en va donc avec ses frères inhumer son père à Hébron où se trouve la grotte de Makhpéla. Pourtant, enfants et troupeaux sont restés à Gochen. Y sont-ils demeurés de leur propre gré ou les y a t-on retenus? Ces notations qui semblent anecdotiques font en réalité comprendre que le climat commence à se détériorer, que le Pharaon hospitalier n’a plus l’esprit tranquille.

N’ont pas l’esprit tranquille non plus les frères de Joseph. La disparition de Jacob leur fait redouter que le fils de Jacob et de Rachel ne retienne plus ses impulsions vengeresses. Sous l’emprise de la peur, ne vont-ils pas proposer à Joseph, en se comportant comme les élites d’Egypte lors des années de la famine, de devenir ses serviteurs! Bien sûr il y a eu réconciliation et pardon mais, quoi qu’il en laisse montrer, la cicatrice de la blessure, notamment celle qui a résulté de sa vente, reste à vif chez celui qui désormais occupe la position suréminente qui est la sienne. Néanmoins Joseph les rassure en tant que de besoin. Si Jacob n’est plus physiquement présent, son image, sinon son âme reste bel et bien vivante. Elle n’a pas quitté Joseph au cachot ni lors des avances lubriques de l’épouse de Poutiphar. Ce n’est pas maintenant qu’il s’en désistera. Dans ces circonstances, le langage dont il use est quasiment identique à celui de Jacob  «Suis-je à  la place de l’Eternel !» (Gn, 30, 2) et (Gn, 50, 17)

Trois générations de Bnei Israël vont alors naître et prospérer en Egypte, dans ce pays où, on l’a noté, une fêlure, à peine discernable, ne s’en est pas moins produite, et surtout un pays dont toute la population, on l’a également rappelé, s’est de son propre mouvement réduite à l’asservissement, s’est assujettie comme un seul homme aux volontés du Maître, quel qu’il soit, et quelles que fussent ses intentions.

 La suite va dramatiquement le démontrer.

Raphaël Draï zal, 11 décembre 2013

LA CREATION DE L’HOMME ET LA TSEDAKA

In Uncategorized on décembre 16, 2018 at 8:15

Capture d_écran (197)

Qu’en est-il de la nature réelle de cette crise ? Pourquoi chacun et chacune de nous doit-il être partie prenante de sa solution?

Par Raphaël Draï

En France, les chiffres du chômage n’incitent guère a l’optimisme. Pourquoi cette crue constante, contre laquelle les mesures conçues depuis plus de vingt ans s’avèrent inefficaces au point de faire douter de la science économique et de la science politique confondues ? La communauté juive est confrontée à un double défi.

D’une part : comment réaccorder les valeurs qui fondent la République — respect de la dignité humaine et, par suite, droit au plein emploi – avec pareille négation de l’humain ? D’autre part : comment mettre en œuvre les valeurs qui donnent sens au judaïsme — tsédaka, accomplissement de la justice économique, et tsedek, effectivité de la justice juridictionnelle — et l’effacement croissant de la face humaine du monde créateur ?

Lorsque dans une tempête les passagers prennent peur, le devoir du commandement est de rétablir le calme et la confiance. Le risque devient majeur lorsque le commandement lui-même montre des signes de fatigue, qu’il doute de la bonne route et que l’obscurité envahit son esprit.

A l’instar de toutes les communautés de ce pays, la communauté juive de France est affectée durement par le fléau du chômage. Certes, ses responsables ne sont point passifs. Leurs initiatives se multiplient, mais l’aboutissement de celles-ci s’avère parfois aléatoire. Comment en effet répondre a tant de détresse, visible ou secrète, alors que nos moyens se raréfient ?

Pourtant, n’est-ce pas surtout dans les temps d’épreuve que les valeurs dont on se réclame prennent leur sens, découvrent leur densité vitale et leur force d’obligation ? Dans l’éthique juive, l’action et la réflexion se soutiennent mutuellement. L’efficacité de l’une est subordonnée à la justesse de l’autre. Le temps consacré à la réflexion permet de faire l’économie du temps perdu lors d’actions menées à l’aveuglette, fut-ce sous l’impulsion immédiate des bons sentiments. Aussi sommes-nous conduits à nous poser deux questions essentielles. D’abord, qu’en est-il de la nature réelle de cette crise ? Ensuite, pourquoi chacun et chacune de nous doit-il être partie prenante de sa solution ?

L’identification de la crise ne saurait se faire en termes exclusivement économiques, même si ce niveau de l’analyse est indispensable. Pour l’instant, aucun décideur politique ne dispose d’une véritable synthèse ou d’une théorie probante à ce sujet. Les fragments d’explication s’additionnent ou se combinent plus ou moins clairement, selon les pays concernés et suivant leur degré d’émergence dans le marché mondial. En France, les diagnostics varient selon les experts et les saisons. Le coût du travail serait trop élevé parce que les charges pesant sur les entreprises seraient trop lourdes. Cercle vicieux : la pression fiscale devient à son tour de plus en plus lourde parce que le nombre des imposables se restreint et qu’il se restreint précisément a cause du chômage. Par ailleurs, toutes les économies nationales sont prises en tenaille entre, d’un côté, l’arrivée sur le marché planétaire de dizaines de pays nouveau-nés depuis la chute du mur de Berlin ou la « libéralisation » de l’économie asiatique, et, de l’autre, le perfectionnement des technologies qui permettent de se passer de plus en plus du travail humain.

Ainsi l’économique et le social se concurrencent. Le facteur travail devenant de plus en plus onéreux, les chefs d’entreprise tentent d’en minimiser le poids au sein de leur propre unité. Mais ce poids ne disparait pas : il se déporte dans ces conditions sur l’ensemble de la société. Par suite, si le prix d’un travailleur jugé « inutile » devient économiquement dissuasif, celui d’un chômeur de longue durée ou d’un SDF devient, lui, socialement prohibitif. Or il s’agit de la même personne !

Où trouver l’issue de pareilles contradictions ? L’on doit se confronter à l’expression « travailleur inutile » et surtout à ce qu’elle recouvre. Faut-il rappeler qu’un pareil travailleur n’est pas une entité abstraite, qu’il désigne un homme ou une femme dans l’accomplissement présume de ses facultés créatrices. Dans le récit de la Genèse, l’humain est défini comme l’œuvre du Créateur, le résultat de son propre travail : « Dieu dit : Faisons l ’homme à notre semblance »Naassé Adam. Quelle terrible dégradation de la création originelle que celle conduisant à l’injonction morbide, exactement inverse : « Défaisons l’Homme », parce qu’il serait redevenu matériau sans esprit, pure inertie. Le Livre de la Genèse, dont nous sommes en train de reprendre la lecture dans nos synagogues, nous replace devant cette obligation sociale originelle. Qu’il soit façonné à partir de la glaise premiere, ou qu’il soit reconstitué à partir de la « classe » économique et sociale présente, il nous faut sans cesse rétablir cette constante priorité : faire ou refaire l’homme a la semblance de Dieu, c’est-à-dire comme Lui, capable de créer, de « renouveler par sa bonté chaque jour l’œuvre de la Création ».

L’actuelle crise n’est pas exclusivement économique. Pour ceux et celles qui prennent au sérieux l’éthique de la Genèse, elle est aussi une terrible crise spirituelle et même religieuse. Car est en train de se constituer un système dans lequel progressivement l’Humain n’a plus sa place et sa part, ou il se trouve efface de la Création dont Dieu l’a institué, au contraire, rien moins que son mandataire (autre traduction possible de tselem) au regard des instances célestes. Le Livre de la Genèse et, entre autres, Le Traite Sanhédrin du Talmud de Babylone, relatent les avatars des anti-civilisations analogues : celle du Déluge, celle de la Tour de Babel, celle de Sodome, celle des peuplades infanticides de Canaan, celle de l’Egypte génocidaire. Toutes se croyaient protégées par leurs divinités et par leur puissance. Elles ont fini dans l’autodestruction.

Effacer l’humain de quelque domaine de la Création que ce soit, c’est effacer aussi la présence divine. L’y rétablir, c’est la rappeler au milieu de nous. Mais comment ? Dans l’éthique économique du judaïsme, la tsédaka ne se réduit pas à l’acte à la fois ponctuel et souvent stérile de la charité. Si la tsédaka sauve de la mort, ce n’est pas de manière contemplative. La tsédaka reconstitue le flux de la vie en rétablissant les vivants dans leur vocation et leur capacite créatrices.

A cette fin, l’on se doit de ne laisser aucune prise au fantasme selon lequel l’existence pourrait s’établir dans le vide de l’humanité. Depuis la Création de l’Univers d’abord, puis à la suite du déluge qui a manqué de l’anéantir, nous sommes assignés a une mitsva déterminante, axiale : peupler la terre ou la repeupler. Cette mitsva ne concerne pas la seule procréation biologique. Elle vise aussi l’obligation de ne pas laisser la création devenir un désert d’humanité, une désolation sociale. Lorsqu’un etre humain perd pied, lorsqu’il vacille, lorsqu’il commence à se rétracter, lorsqu’il commence à s’absenter de l’existence collective, celle-ci se transforme en un tel désert. Mais dans ce désert-là Dieu ne se révèle jamais ; et l’on aura beau s’époumoner en prières perpétuelles, il ne répond que par son silence.

Gouvernants et responsables communautaires doivent le comprendre : le premier fondement de l’écologie, c’est la présence de l’Homme qui sollicite celle de Dieu. Ce n’est pas le hasard si la métaphore de l’arbre de vie et de ses fruits, présents et futurs (ets h’ayim), irrigue tant le texte de la Torah, depuis la Génèse jusqu’au Cantique des Cantiques. Au contraire du h’essed, de la bénévolence unilatérale, la tsédaka n’est pas forcement désintéressée. Lorsque les arbres humains dépérissent, que les forêts se dégarnissent sous le bleu du ciel, que ce bleu s’assombrit et prend la couleur des nuits mauvaises, alors, pour tout le monde, l’air commence a devenir rare et sale, la respiration devient haletante, l’épuisement gagne les corps et le niveau de la pensée commence à baisser dangereusement comme l’eau d’un puits qu’aucune source, proche ou lointaine, n’alimente.

Le geste de la tsédaka comporte une véritable incidence économique immédiate et patente, comme l’explique le Traite Péah du Talmud de Jérusalem.

Il arriva qu’en des temps de détresse, le roi Monabaz se mit a distribuer ses biens dans les rues. Son entourage le crut fou. Il répondit que non, qu’il assurait de la sorte l’ouverture des voies pour le monde qui vient. Le roi Monabaz avait compris que le monde ne peut subsister sans l’humanité qui doit l’habiter. Nul être humain ne peut imaginer vivre une longue vie sans épreuves, sans vacillement, parfois sans trébucher et hélas parfois aussi sans chuter. Qu’adviendrait-il de l’homme ainsi éprouvé si personne ne se trouvait à sa portée pour lui donner à boire, lui tendre la main, l’aider à se remettre debout ?

Joseph, tiré de sa fosse, sauva l’Egypte tout entière. Il en va de l’économie comme de la médecine : les techniques qu’on dit les plus avancées se révèlent impuissantes si elles ne sont pas orientées par l’intelligence réelle des principes essentiels de la Création. Une des traverses idolâtriques les plus dangereuses de cette fin de siècle est de donner à croire que, d’une manière ou d’une autre, l’humanité pourrait longtemps se survivre at elle-même en proclamant maintenant la désertification de l’humanité apres avoir déclame la mort de Dieu. Vivre, c’est faire vivre.

Raphaël Draï zal, L’Arche Novembre 1996

PARACHA VAYIGACH

In Uncategorized on décembre 13, 2018 at 8:54

11.Vayigach

(Gn,  44, 18     et sq)

Quel écrivain aurait imaginé un rebondissement comparable à celui relaté dès le début de cette paracha!  Joseph n’a pas manqué d’imagination pour tourmenter ces frères qui en avaient voulu à sa vie, pour leur faire payer une tentative de fratricide physique et moral puisque son sort avait été abandonné, vis à vis de leur père, au mensonge et au simulacre. Jusqu’à présent Joseph avait pu se déguiser, jusqu’à leur donner le sentiment d’une vengeance divine. Lorsqu’ayant fait descendre en Egypte Benjamin, au corps défendant de Jacob-Israël, le maître effectif de l’Egypte leur annonce qu’il restera auprès de lui tandis qu’eux retourneront en Canaan, les malheureux frères se sentent rien  moins que matraqués! Leur faute, pensèrent-ils, les a rattrapés. Sauf que si Joseph était passé maître es songes, au point d’inspirer Freud lorsqu’il élaborera sa propre technique d’interprétation des rêves, Juda aurait pu devenir une autre source d’inspiration et d’émulation tant va s’avérer grandiose sa capacité à reconstituer une conduite à partir de ses éléments apparemment épars.

Le début de cette paracha ne laisse plus aucune doute à cet égard: Juda a déjà reconnu Joseph, sous les apparats du vice-Pharaon mais il ne l’a pas montré. A l’instar de son jeune frère, lui aussi à compris qu’une autre Histoire se déroulait en même temps que la sienne et qu’il ne fallait pas en interrompre indûment le cours avant qu’il ne devînt réellement discernable. Il ne faut donc pas s’y méprendre: si Juda à ce moment précis croit devoir intervenir ce n’est certes pas seulement pour faire comprendre au vice-Pharaon qu’à poursuivre ce supplice moral il se pourrait que les choses tournent mal dans l’autre sens, surtout que la paire dévastatrice en cas de besoin: Chimôn – Lévi s’est à nouveau reconstituée. Si Juda intervient à ce moment-là c’est qu’il s’agit du moment opportun, celui du dénouement. Joseph s’est dissimulé de sa propre volonté? Il devra se découvrir de même. Comme on le dirait en langage plus contemporain, Juda va s’employer à le faire craquer.

Car en reprenant les différentes séquences qui constituent son adresse à  Joseph, lequel  se maintient encore dans le recel de soi, celles-ci ne sont pas certes pas agencées au hasard. Devant le maître es songes, Juda devient, on l’a dit, maître es reconstitution! S’il remémore devant Joseph  – qui, à aucun moment,  ne l’interrompt- les différentes phases du jeu cruel auquel celui-ci s’est livré, c’est pour lui faire entendre qu’il n’en est pas, ou qu’il n’en est plus dupe. Nul autre que leur frère disparu, nul autre que l’avant-dernier fils de Jacob,  ne se serait comporté de cette manière, n’aurait formulé des demandes de cette nature, se succédant dans cet ordre. Joseph est sans doute un spécialiste du fil  rouge ? Juda lui fait comprendre  graduellement que ce fil rouge est lui même torsadé de fil blanc. A son tour Juda n’agence pas les éléments de sa reconstitution de manière aléatoire. Chacun de ses «Tu as dit alors..» et «ensuite tu as dit» – il faudrait en faire le décompte précis – met Joseph plus largement à découvert jusqu’au moment où il ne peut plus se contenir. Observons que s’il se démasque, si, selon les termes mêmes du récit biblique, il ne su  «plus se contenir», et en dépit de tous les témoins de la scène, ou de la mise en scène, c’est que Juda vient d’évoquer la «mauvaiseté (haraâ) » qui serait infligée à «son» père, son père à lui, Juda, dans le cas ultime et tragique où Joseph séquestrerait Benjamin. Le mot «père» (Gn, 44, 34) est celui, sans pareil, qui fait déborder l’âme de Joseph jusqu’ici celé et scellé. Il faudra qu’il s’y reprenne au moins à deux reprises, qu’il répète «Je suis Joseph» ajoutant «votre frère», celui des «douze-moins-un», pour que ceux-ci commencent à échapper à leur sidération. Et c’est après s’être assuré que Jacob vivait toujours qu’il leur dévoile l’autre fil conducteur: celui de l’Histoire dont il sont ensemble les acteurs.

Si Joseph s’est retrouvé en Egypte, si toute la fratrie s’y retrouve réunie à son tour, ce n’est guère par l’effet de leur volonté individuelle ou même de leurs volontés coalisées, fût-ce pour le pire. Telle est la Volonté d’un autre ordre, celle du Créateur qui a décidé de tracer cette voie afin que les enfants de Jacob  deviennent un peuple: le peuple d’Israël.

Arrivés à ce point à la fois de jonction et de nouvelle bifurcation, personne n’est en mesure de prédire le cours et le tour que prendront les nouvelles phases de cette Histoire. Quoi qu’il en soit, Joseph qui est sans doute le seul en Egypte à savoir qu’il n’en est pas le maître absolu, devra tenir informé Pharaon de tout ce qui vient d’advenir, que ses frères l’ont rejoint et qu’ils n’ont d’autre préoccupation que de trouver des pacages pour leurs troupeaux, jusqu’au moment où la famine cessera. Tous les Pharaons se suivent mais ne se ressemblent pas. Celui dont Joseph a su interpréter les rêves est bienveillant, accueillant, hospitalier. Il ne répugne pas à la réunion des familles. Que Joseph se rassure: toute l’Egypte s’ouvre devant le groupe constitué par les enfants de Jacob. Au point que celui-ci, arrivé en Egypte après s’être assuré que le projet divin était conforme à cet itinéraire, non pas rendit « hommage au pharaon », comme le traduit la Bible du Rabbinat, mais qu’il le bénitvaybarekh Yaacov eth Paraô ) » (Gn, 47, 7).

Cette bénédiction n’était ni de circonstance, ni simplement protocolaire puisqu’il s’agit également de la bénédiction d’Abraham à lui transmise par son père Isaac dans le contexte déjà examiné. En retour Pharaon attribuera à Joseph et à sa famille non pas une terre périphérique mais le meilleur du territoire royal, celui de Raâmsès, car ce nom n’appartient pas aux seuls égyptologues, surtout à ceux qui veulent ignorer les enseignements du récit biblique. Les événements à venir concerneront ainsi et simultanément  l’histoire  des enfants de Jacob-dont les généalogies et les descendances sont minutieusement récapitulées, l’histoire de l’Egypte et celle de l’humanité.

La famine ne desserre pas son étau. Pour se nourrir les égyptiens,  après avoir aliéné tous leurs biens à présent aliènent leur personne. S’ensuit une impressionnante concentration du pouvoir entre les mains non de Joseph mais du Pharaon. Etait-ce de bonne politique ?

Pour sa part, Jacob-Israël s’autorise à respirer…

Raphaël Draï zal, 4 décembre 2013

 

NOUVELLE PARUTION – « TU CHOISIRAS LE VIE » – LES COMMENTAIRES DU PENTATEUQUE (EDITION COMPLÈTE)

In Uncategorized on décembre 12, 2018 at 11:09

46

Chers amis, nous sommes heureux de vous annoncer que la collection entière des commentaires bibliques tanakhiques, « Tu choisiras la Vie » est enfin disponible aux Editions Lichma.

Nous remercions infiniment Les Editions Lichma et leur Directeur, Yossef Azoulay pour ce travail admirable et la grande qualité de cette édition, Gérard Darmon pour ses magnifiques illustrations, messieurs les rabbins Daniel Dahan, Jacky Milewski et Ariel Messas pour leur précieuse contribution et tous ceux qui nous ont soutenus dans la réalisation de ce projet, œuvrant ainsi à exaucer le vœu de son auteur.

Pour commander

Berechit

Chemot

Vayikra

Bamidbar

Devarim

PARACHA MIKETS

In Uncategorized on décembre 6, 2018 at 11:10


10 Mikets

(Gn,  41, 1  et sq)

Si, comme on l’a proposé précédemment, les rêves qui commencent avec celui de l’Echelle et qui se concluent par ceux de Pharaon n’en forment qu’un, les parachiot qui commencent par «Vayétsé» et qui se poursuivent jusqu’à «Mikets» n’en forment également qu’une. Dans les deux cas une vision d’ensemble, panoramique, visuelle et intellectuelle, est requise. C’est d’ailleurs à la toute fin de la paracha «Vayéchev» que se sont produits deux autres rêves qui sont comme le prélude prophétique de ceux relatés dans la présente paracha.

A la suite de ses déboires libidinaux avec la femme de Potiphar, Joseph – dont son maître égyptien a tout de même épargné la vie – se retrouve incarcéré avec deux hauts dignitaires de Pharaon lesquels ont failli à leur fonction et sont enfermés là, en attente de jugement. Joseph n’est plus le jeune homme imbu de sa personne. Les épreuves l’ont  mûri. Il sait être attentif non plus aux soins de sa chevelure mais au visage d’autrui. Et ce matin, le visage de ses codétenus ne trahit rien d’autre que le désarroi et l’inquiétude. Il faut dire que durant la nuit, l’un et l’autre ont fait en commun  un rêve étrange, à deux dimensions, l’une personnelle et l’autre transversale. Et ils n’en comprennent pas le sens, ce qui ajoute à leur trouble.

Joseph s’en aperçoit, les approche, leur fait comprendre qu’ils peuvent s’en ouvrir à lui. Mis en confiance ils acceptent et Joseph interprète le rêve de chacun de manière si juste qu’il y reconnaissant pour l’un sa proche libération, pour l’autre sa proche exécution. Joseph adresse une seule demande en retour: qu’il ne soit pas oublié en cette «prison dans la prison». Les événements qui se produisent à présent confirment son interprétation. Seulement, celui des deux officiers que Pharaon a rétabli  dans sa charge avait entre- temps oublié le détenu hébreu, sans doute parce que son image lui rappelait trop son incarcération.

Mais l’Histoire continue, tramée l’on ne sait où, ni par qui, même si Joseph, pour sa part, n’en doute plus. Et il advient qu’à son tour le Pharaon en personne est tourmenté par deux rêves antagonistes dont le sens lui échappe, comme il échappe à tous les sages et nécromanciens que compte l’Egypte d’alors. Le Pharaon a rêvé que des vaches grasses sortaient du Nil que d’autres vaches, faméliques et carnassières, allaient tout simplement avaler. Et comme si ce rêve n’avait pas épuisé l’information de son inconscient, il rêve aussitôt après que sortent de terre des épis gras que d’autres épis secs et goulus vont avaler aussi. Du coup son cerveau n’est plus qu’une cloche battue à toute volée. Les événements s’enchaînent.

L’officier gracié se souvient soudainement de Joseph et relate au Pharaon ce qu’il s’est passé en prison. Le Pharaon montre foi en ses dires et mande Joseph lequel, sentant son intuition se confirmer, s’empresse de se rendre à cette convocation sans réplique. Et dans ce but précise le texte «il se rase et change de vêtement», sans doute pour nous faire comprendre qu’il se départit de ce qui persistait en lui d’adolescence et d’égo-centrage. Arrivé face au Maître de l’Egypte il le prie de lui raconter ses rêves transmués en cauchemars.

Pharaon s’en acquitte et Joseph note quelques variantes au regard de la version qui déjà en avait circulé. Puis il délivre sa propre interprétation: sept années de prospérité seront suivies par sept années d’une famine si dure que les premières seront comme si elles n’avaient pas été. Que Pharaon prenne ses dispositions. Celui-ci ne croit pas mieux faire que d’ériger Joseph au degré de pouvoir juste inférieur au sien. Dans de telles circonstances, Joseph se persuade que l’Histoire en cours ne se limite plus aux péripéties de sa seule existence.

Entre-temps encore, d’autres événements s’agencent de sorte à rejoindre  ceux qui se déroulent en Egypte. Les prédictions de Joseph se confirment. Après sept années de prospérité, la famine  frappe cette région du monde, si ce n’est toute la terre. Même Jacob et les siens en sont affligés. Jacob sait qu’il y a du blé en Egypte. Il demande à ses fils de s’y rendre pour en faire provision de survie et ses fils l’écoutent. Avec une seule restriction : Benjamin, le dernier fils de Rachel ne sera pas du voyage. Jacob redoute qu’il ne subisse un sort analogue à celui dont il croit toujours qu’il fut celui de Joseph, le fils de ses dilections.

Dix enfants de Jacob  se rendent donc en terre pharaonique sans se douter le moins du monde qui, à part Pharaon, en est devenu le véritable maître. Et c’est ainsi, de fil en aiguille, si l’on peut user de cette expression, qu’ils se retrouvent devant Joseph qu’ils ne reconnaissant pas, d’autant que celui-ci a bien pris soin non pas seulement de se dissimuler mais dit le verset de Beréchit de se rendre «étranger» (vaytnaker) à leurs regards (Gn, 42, 8). Commence alors un jeu qu’on n’ose qualifier de cache-cache. Joseph entreprend de tourmenter ses frères. Pourquoi ne sont-ils que dix? Pourquoi sont-ils venus en Egypte? A eux de prouver qu’ils ne sont pas des espions. Qu’ils s’en retournent chez leur père et qu’ils ramènent avec eux le frère manquant. C’est peu de dire que la stupeur a saisi la fratrie, aussi diminuée qu’elle soit. Pourquoi ce supplice mental? Que payent-ils en l’occurrence?  N’est ce pas la Justice divine qui s’exerce en ce moment à cause du fratricide qu’ils étaient sur le point de commettre contre leur frère es songes …

En réalité une Histoire aux figures multiples se tresse et se presse dont il est indispensable de discerner les deux fils conducteurs. En premier lieu, il faut, conformément à l’annonce faite à Abraham (Gn, 15, 13) que les descendants de Jacob se retrouvent en Egypte car là se joue une partie du destin de l’humanité et qu’ils en sont parties prenantes. Mais également, c’est en jouant cette partie qu’ils en joueront une autre, celle qui les approche, une nouvelle fois, au plus près du fratricide sans que nul ne sache encore s’ils seront en mesure de le déjouer.

Un des frères commence à le discerner: Juda, celui là même qui avait joué sa propre partie de cache-cache avec sa bru, elle aussi voilée, jusqu’au moment où il comprit que quelque chose d’autre tentait de se faire jour, dans le clair-obscur de la Révélation.

Un clair-obscur que les lumières de Hanoucca, synchrones désormais avec ces parachiot, convertiront en pleine clarté.

Raphaël Draï zal, 27 novembre 2013

DIALOGUE, DIATRIBE, VENGEANCE (Hannouca 1992)

In Uncategorized on décembre 1, 2018 at 11:05

Capture d_écran (191)

 

Plus que toute autre la pensée juive contemporaine a insisté sur l’importance du dialogue dans la vie individuelle et collective. L’on peut comprendre les raisons de cette insistance. Elle s’enracine d’abord dans la Thora où apparaît ce Dieu singulier qui ne se contente pas de donner des signes plus ou moins clairs, comme le faisait la Phytie de Delphes mais qui parle, c’est-à-dire qui s’exprime (dabar) afin d’être compris (lemor). Elle s’explique ensuite par les différentes positions du peuple juif au long de son histoire : peuple engagé par une Alliance sans équivalent dans les autres systèmes juridiques de l’Antiquité et dont il lui fallait leur rendre compte. D’Antiochus Épiphane jusqu’à Ponce Pilate on sait à quel point cette explication fut difficile. Parfois elle s’avéra impossible. Puis Ies situations d’exil, de minorité stigmatisée ont aiguisé ce besoin de parole partagée. Tant de mythes obscurs ont déformé le visage d’Israël que celui-ci ne trouvait pas suffisamment de mots dans les langues de l’Univers entier pour dire sa vérité, clarifier le sens de ses textes, obtenir qu’on les lise sans prévention. Après tant d’efforts et tant de mises entre parenthèses du moi au bénéfice de l’Autre, l’on a fini par croire que la pensée juive était devenue séraphique, allergique au conflit. D’où ces réactions d’incrédulité, parfois scandalisées lorsqu’il arrive qu’un homme juif se défende avec vigueur, voire avec dureté ou que l’Etat d’Israël fasse la guerre.

Mais la pensée juive n’a jamais confondu dialogue et désistement de soi. Sans pour autant prôner la vengeance. Le dialogue implique des moments de grande tension, la capacité de supporter longuement des syncopes de la communication, et même, si nécessaire, des périodes d’affrontement. L’indication en est donnée dans la Haggada de Pessah’ à propos des différents interlocuteurs du récit de la sortie d’Egypte. Vis-a-vis du « rachâ », de celui qui récuse et diffame par avance le sens de cet événement, il n’est pas recommandé de se le concilier a tout prix, de l’amadouer, de le circonvenir. Mais bien de « frapper aux dents ». Est-ce à dire que soudain la pensée juive se révèle inapte à supporter l’idée d’une possible contradiction ? Qu’elle se dénature en recommandant brutalement, en cas d’objection insupportable, le passage à l’acte et la voie de fait? L’enseignement est à comprendre autrement. Car l’on peut se demander pourquoi le texte de la Haggada vise en l’occurrence précisément les dents (chinaïm). En hébreu ce mot est bâti sur la même racine ChN que l’enseignement (véchinanta). « Casser les dents » de l’interlocuteur prédateur, ce n’est pas lui briser physiquement la mâchoire. Mais s’il s’avère que de sa part le désir de diatribe prédatrice, de mauvaise langue (lachone harâ), de polémique sans avenir l’emporte sur le dialogue, il ne faut pas hésiter à mettre en pièces son argumentation, à édenter, si l’on peut dire, son discours où chaque phrase voudrait être une mortelle morsure vipérine. Dans de telles conditions comment assigner alors une limite à la confrontation ainsi engagée sur les voies d’un probable affrontement physique ? Par l’éviction en soi de toute volonté de vengeance. L’on observera l’étrangeté du vocable qui désigne en hébreu ce dernier terme nékama. Nékama est bâti sur la racine kaM qui désigne le fait de se dresser ou de se redresser. Face à l’adversaire ou face à l’ennemi, le plus important n’est pas de le détruire ou de l’anéantir parce que l’on s’estimerait offensé ou bien outragé par lui. Mais de résister à sa propre agression puis de se redresser. Rester debout, rester vivant, telle est la pire des « vengeances » que l’homme doit infliger à qui voudrait par malfaisance (rechaout) le battre et l’abattre. Trente siècles d’Histoire attestent de la constance de cet enseignement. Combien de despotes, d’empereurs, de demi-dieux ont cru pouvoir effacer Israël de la carte du genre humain. La nekama d’Israël ce fut son kiyyoum, sa persistance.

Les lumières de H’anouka attesteront aussi bientôt que cette persistance est celle de la flamme qui ne veut pas alimenter l’incendie mais éclairer les heures de la nuit, avant la levée de l’aube.

Raphaël Draï zal, L’Arche, Décembre 1992