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A PROPOS DES TUERIES DE MONTAUBAN ET DE TOULOUSE (Magistro Mars 2012)

In ARTICLES, SUJETS D'ACTUALITE on janvier 23, 2013 at 12:17

Les assassinats  froidement commis à Montauban et à Toulouse par Mohamed Merah avant qu’il ne soit abattu par les hommes du Raid , contre lesquels il avait livré in fine un assaut d’une virulence sans précédent , appellent à un effort de lucidité également sans précédent . S’ils ne relèvent pas encore  du « fait social  total » cher à Mauss ils sollicitent l’analyse sur plusieurs plans  dont le lien n’est pas toujours patent . Encore faut –il s’interdire les pseudos -explications qui en disent plus sur l’état d’esprit de leurs auteurs que sur la situation en cause . Ainsi en va t-il de l’ « explication » fournie entre autres par le journal algérien  de langue française «  L’Expression »  pour lequel la dite situation s’explique de la manière suivante [1]. Bien sûr les tueries de Montauban et de Toulouse sont injustifiables mais en la matière la France en fait trop . Pourquoi dépasse t-elle la mesure ? Parce que ces actes insensés sont imputables à une personnalité essentiellement délinquante dont les motivations relèvent surtout de la criminologie courante .  Or , plutôt que d’en rester là , la France joue des grandes orgues surtout à propos des assassinats de Toulouse parce qu’elle cède  en période électorale au lobby juif français qui lui même sert la propagande de l’ Etat d’ Israël . En forçant la note à Toulouse l’on  fait ainsi passer au second plan les enfants palestiniens victimes de l’armée israélienne  à Gaza et ailleurs .  D’où l’outrance des réactions  sélectives  qui  ont suivi ces meurtres.

En d’autres mots Catherine Ashton  s’était engagée sur ce même terrain que n’évite pas non plus Henri Guaino lorsqu’à son tour il compare sur Radio J[2] Gaza à une «  prison à ciel ouvert où l’on  n’a même pas le droit de se  baigner » tout en récusant qu’une telle situation justifie les assassinats en question . En somme , s’il ne faut surtout pas établir de lien  entre le proche Orient et la France on l’établit tout de même car il faut  gravement  méconnaître la situation  réelle  dans ce territoire sous l’emprise du Hamas  ainsi que la géopolitique du terrorisme dans la région pour user de la comparaison douteuse  à laquelle recourt le conseiller spécial de l’ Elysée . On l’ imaginait  un peu mieux informé à son niveau de responsabilité [3]. Il faut rappeler en effet que dès l’annonce de la tuerie de Toulouse  les dirigeants palestiniens  tant à Ramallah qu’à  Paris se sont  rapidement et nettement dissociés des motivations invoquées par Mohamed Mérah   relativement à  la «  cause palestinienne » ainsi entendue . Il reste alors de retourner la question : pourquoi le journaliste précité d’ « Expression » se livre t-il à cette incrimination  digne des « Protocoles des Sages de Sion » sinon parce que l’image qu’il s’est forgée des Juifs ne diffère pas sensiblement de celle qui s’était formée  dans le psychisme de Mohamed Merah : les Juifs sont tout- puissants et sans scrupules ;  ils  savent comme personne travestir les bourreaux en victimes et font bénéfice du malheur lui même . On n’insistera pas sur le racisme inavouable qui s’investit dans de pareilles représentations .

Pourtant ces considérations là ne sauraient empêcher  que l’on s’interroge sur  la « production » en terre de France d’un tueur comme Mohamed Merah dont il faut craindre qu’il  ne soit pas le seul de son espèce en mesure de sévir à nouveau si les circonstances  incitaient  l’un de ses clones à un autre passage à l’acte  .  Car il ne faut pas croire que la minute  de silence demandée dans les  établissements scolaires de France ait été partout observée et qu’elle l’ait été partout de  grand cœur.

Quoi qu’il en soit , dès l’annonce de la tuerie de Toulouse , et une fois  révélé le nom du tueur présumé , les représentants du Conseil Français du Culte Musulman rejoints en ce sens par les représentants officiels de la communauté juive  puis par les représentants de l’ Etat  se sont empressés d’enjoindre : «  surtout pas d’amalgame »  entre l’islamisme sanguinaire de Mohamed Mérah et l’islam de France , convivial , humaniste et civilisationnel .

La demande  – sinon l’injonction – en ce sens s’explique sans doute  par la brutalité  du choc  ayant suivi la révélation de l’identité du tueur et qui fermait l’hypothèse d’un acte imputable à un néo- nazi , sans parler d’un éventuel suppôt du FN . Mais , et à moins de céder à la psychopathologie primaire et désensibilisée du tueur lui même  , qui donc aurait  souscrit à un tel amalgame ?  La France compte actuellement plusieurs millions d’arabo – musulmans , sans omettre des arabes chrétiens aussi , dont il serait presque désobligeant de rappeler qu’ils sont intégrés , comme l’on dit , dans la société civile et à la citoyenneté françaises , et cela dans toutes les professions qui s’y exercent . Il n’en demeure pas moins que dans cette même France sont à l’oeuvre des mouvances se réclament d’un Islam d’une tout autre tonalité  dont les adeptes considèrent que leur mission est d’islamiser complètement le pays où ils s’implantent  en y investissant  corporellement et  linguistiquement l’espace public , en le « marquant » en emprises successives et cumulatives  par  des signes vestimentaires ostensibles, en y propageant leur idéologie sans alternative , en y instituant leurs propres pratiques cultuelles et rituelles , et en y faisant finalement régner  par cercles qui se veulent de plus en plus larges de jure  ou de facto leur propre loi . Les mesures annoncées par le Président de la République après la mort de Mohamed Merah le prennent en compte . N’est ce pas déjà trop tard ?

Un tueur comme Mohamed Mérah ne s’engendre pas du jour au lendemain . Pour ne parler que du maniement d’armes , et d’armes de gros calibres , l’apprentissage ne peut s’en parfaire  que dans des camps d’entraînement et dans des champs de tirs conçus à cet usage . L’on en sait alors un peu plus sur l’itinéraire de  l’assassin . Evoquer son origine «  algérienne » n’a rien de stigmatisant mais renvoie à la constitution psychique et aux clivages  mentaux de  groupes humains déracinés , physiquement et mentalement ,aux identités bloquées, sans pères ni repères , et qui deviennent ainsi accessibles à tous les endoctrinement narcotiques  qui leur  promettent souveraineté absolue et extase permanente [4].  Il est inévitable de s’interroger sur les sources  scripturaires d’un pareil endoctrinement dont la fanatisation théologique  à laquelle il aboutit prédispose par la dénaturation et la déshumanisation des ennemis qu’il se désigne aux tueries que l’on  sait . Déshumanisation  préalable de la victime désignée mais aussi du tueur car il faut avoir fait taire en soi  la moindre résonance humaine pour  achever sans sourciller un homme que l’on a déjà abattu  et , quelques jours après , du même sang- froid , pour pénétrer dans une école  , y  massacrer un jeune père et ses deux enfants, puis , mis en verve,   poursuivre une fillette de quelques années et  être sourd à ses supplications   avant de lui faire éclater la tête d’une balle à bout touchant  , en déclarant enfin  qu’on y a pris «  un plaisir infini »  . Le tout filmé en direct aux fins d’itération de la jouissance . Ce que Serge July qualifie de «  fait divers »[5]désormais clos  .

Si pour des tueurs de cet acabit , rien ni personne ne peut inhiber leur  orgie sacrificielle , et s’il n’est pas question d’incriminer collectivement un ensemble humain du fait d’un individu qui se réclame de références  coraniques et de l’application stricte de la charia version Al Qaida , il est non moins indispensable que le  « désamalgame  » , si l’on osait ce néologisme,  prenne des formes qui ne prêtent  à aucune équivoque .  Les  crimes  de Mohamed Merah et de son complice présumé relèvent de la loi et des juridictions de la France . Il importe également  , au regard de leurs possibles émules , qu’ils aient des suites au regard du droit pénal coranique , car il y a un bien droit pénal coranique  comme  l’éprouvent hélas à leur corps défendant Salman Rushdie ou Robert Redéker . Est- ce le cas lorsque d’un côté le CFCM condamne ces tueries mais que de l’autre l’ UOIF invite à son congrès l’un des prédicateurs  les plus anti- juifs qui soient : Youssef El Karadawi ,  jusqu’à ce que la France lui interdise de ce fait l’accès de son territoire  ?  Bien sûr Mohamed Merah  a fini comme il l’avait souhaité , dans le défi  ultime et le mépris de la mort  qui est surtout un mépris de la vie  . L’on aurait tort d’imaginer que  ce qu’il représente soit mort avec lui . Même si l’ identification  morbide avec son personnage demeure  discrète ou retenue , il est probable qu’elle  s’exprime en  incurable ressentiment dans maints quartiers ou autres barres d’immeubles HLM , sans parler de quartiers plus résidentiels où sévit un islamisme «  compréhensif » et mondain .

Il est non moins inévitable de mettre en question les politiques de la  ville appliquées dans ces «  territoires perdus de la République » , comme on les a nommés , depuis trente ans au moins avec plus ou moins de réussite . De ce point de vue une question conclusive vaut également d’être posée : pour avoir quelque chance de succès , une politique d’intégration doit rencontrer le désir de ceux et celles  à qui elle s’adresse  . Est –il sûr que tel soit le cas dans ces zones  transformées en caïdats ? Comment – et sans parler de la « hot money » qui  prolifère et qui transite dans leurs caves et dans leurs caches  – la propagation de l’islamisme nihiliste pourrait –il  plus longtemps y  progresser et prospérer si  la République  intégrative  s’avisait réellement  d’y recouvrer ses valeurs effectives avec  son langage ,  son droit et ses procédures ?

 

Raphaël Draï

Magistro 27 mars 2012


[1] Cf . L’ Expression – Le quotidien , 22 Mars 2012 .

[2] Emission du 25 mars 2012 .

[3] Cf  la mise au point de Shmuel Trigano , Le Figaro , 8 août 2010 . L’on doit aussi s’interroger sur les montages psychiques qui déterminent les représentations politiques de la communauté juive française .  Comme en donne l’idée le lapsus commis par Claude Guéant  s’adressant le 26 mars à la communauté ….israélienne (sic) de France , épithète vite corrigée en «  israélite  » . Le Figaro , 26 mars , 2012 .

[4] Cf . Raphaël Draï et Jean- François Mattéi , La République brûle t-elle ? Essai sur les violences urbaines françaises , Michalon , 2006 .

[5] RTL , 26 mars 2012 .

LE DIXIEME HOMME

In ARTICLES, ETUDES ET REFLEXIONS on janvier 21, 2013 at 11:03

Cet Article a été publié en Septembre 2004

Comme un pyromane fasciné par le feu , le nouveau siècle manipule des idées mortelles . Ainsi joue t-il dangereusement avec l’idée du dernier homme , de la post – humanité. Autant que la substance toxique du thème frappe sa récurrence . Déjà , dans les années 60 , un débat analogue opposait sur un sujet approchant  le Foucault de Les Mots et les Choses et  le Mikel Dufrenne  de Pour l’ Homme . Qui devait l’emporter en ce dialogue de sourds ? La Structure , anonyme , minérale , ou le Sujet , faible , divisé mais responsable ? L’époque  met en circulation trop de mots démonétisés pour ne pas en chercher la  garantie dans la vie spirituellement validée . Où trouver alors les repères auxquels s’orientent  la dignité de l’ Homme , sa consistance , sa persistance ?  La pensée et la vie liturgique d’ Israël l’attestent  : l’ Homme ne se réduit guère à ce visage éphémère tracé sur le  sable tandis que monte la mer, selon Foucault  . Ni inconsistant , ni précaire , le Créateur l’a institué comme son efficient associé dans l’œuvre de la Création puisque celle – ci n’est  point parachevée , qu’elle reste à parfaire ( Gn ; 2 , 3   )  . L’ Humain ( Haadam) cheville  le Monde d’en haut et le Monde d’en bas  , ce Monde – ci et celui qui vient en réduisant leur antagonisme possible  . Deux affirmations des Pirkei Avot  le soutiennent  : » Précieux ( h ‘aviv ) est l’ Homme pour Dieu qui l’a façonné à sa semblance ( betsalmo) , et plus précieux est –il encore puisque Dieu le lui a dit ». Un véritable amour se déclare et s’officialise . Il est des discrétions de mauvais aloi qui préparent des retournements  traîtreux . L’amour de Dieu engage celui ou celle qui l’avoue à ne pa ss’en déjuger dés les premiers moments de la mise à l’épreuve .  De pareils moments se produisent inévitablement dans une création qui doit être toujours gagnée sur le chaos initial  .C’est pourquoi les Pirkei Avot affirment maintenant  : « A l’endroit où il n’y a pas d’ hommes (anachim ) efforce toi d’en être un  (ich ) » . Le langage courant comporte encore , scintillantes , des paillettes du langage d’avant Babel , lorsque les langues humaines communiquaient entre elles au lieu de se rendre opaques et incompréhensibles les unes les autres  . Cette dernière injonction des Pirkei Avot paraît étonnamment proche , étrangement consonante avec l’adage célèbre de Freud :  Wo Es war Soll Ich werden : là où l’Inconscient se trouve , quelqu’Un se doit d’ advenir. Comment ne pas relever  la surprenante  homophonie , sinon l’identité ,  qui surgit là entre le Ich hébraïque et le Ich de la langue allemande !  Certes , ce quelqu’un n’est pas quelconque . De lui  beaucoup dépend parfois  , comme on va le constater . Aussi , la pensée juive ne s’est pas tant préoccupée de l’extinction des hommes –  extinction à quoi elle les sait particulièrement portés  –  que de leur pleine reviviscence . Dans le livre d’ Ezechiel ,  qui fait pendant au récit de la Genèse , le prophète électif de l’exil est justement , avec insistance , convoqué par son plein nom: Ben Adam : enfant de l’ Homme . Et c’est dans ce même livre qu’est décrite , telle qu’«  en direct » , la résurrection des morts . Les prières juives , sans exception ,  sont préoccupées par la défaillance du premier homme , de Adam harichone , une faute générique qui aimantera  les rechutes consécutives du genre humain , y compris celles du peuple juif  avec la confection du  Veau d’ Or  puis avec la destruction des deux temples de Jérusalem  .  Peut –on conjecturer la nature exacte de cette faute initiale ? Elle aurait mené l’ Humain originel à se prendre pour un être à part ( leâstmo) , un univers en soi , autarcique , une deuxième souveraineté , concurrente de la souveraineté  primordiale du Créateur , comme si les autres  humains n’existaient pas  . Cette  forme d’être ,  exalté à ses propres yeux ,  engendre en fait un retranchement , une sécession  au regard de la Création dans son ensemble  (1 ) .

La vocation de l’ Humain  le porte à proclamer la sainteté de Dieu , sa keddoucha  , à l’instar des Anges eux-mêmes ( Es , 6 , 3  ) . Dans le décours des prières quotidiennes , cette proclamation se fait à deux moments particulièrement importants : lors des récitations du kaddich  , et pendant de la récitation  du Chemonei Êsrei , des 18 bénédictions  .  18  indique le chiffre symbolique du vivant ( h’ay ) . Pourtant , cette suréminente proclamation  s’assujettit  à une condition drastique :  la présence préalable d’au moins dix  hommes , d’un minian .  Tant que cette dizaine de hérauts n’est pas constituée , la prière se déroulera , certes , mais privée de la sanctification du nom  de Dieu , Souverain de l’ Univers , dispensateur de la vie  , loué pour  ce don situé au-delà de toute louange humainement exprimable . Dans certains lieux de culte , lorsque la population juive est clairsemée alentour , qu’il s’y ajoute l’inclémence du temps où les départs en vacances ,  plus un peu d’inconscience et  une forte ignorance  , il n’est pas rare qu’en semaine  neuf   hommes , levés tôt , tandis que le Créateur  , gardien d’ Israël ,  ne dort ni ne sommeille , soient en souffrance de la récitation du kaddich et de la keddoucha   : il manque une unité , une seule , à la dizaine attendue . Leur attente est navrée . Le kaddich se récite à la mémoire d’un défunt par ses proches pour assurer , le temps du deuil , soit une année pleine , l’élévation de l’âme affligée du parent disparu  jusqu’à sa complète réception sous la sauvegarde de la Présence divine , de la Chekhina . Considérée dans son énoncé littéral , cette règle surprend donc par sa  presque brutalité .  Le reste de la prière  n’affirme t-il pas la compassion divine ? A ce titre chaque jour de la semaine sont remémorés  et le  non- sacrifice de Isaac  et le pardon obtenu de Dieu par Moïse après la faute , la très grande faute , du Veau  d ‘ Or . Le chemonei  esrei   ne proclame  t-il pas ensuite que Dieu guérit les malades , qu’il relève ceux qui tombent , qu’il libère les prisonniers , détenus de droits communs ou esclaves du destin idolâtré ? L’on aura  beau faire :  rien ne sera diminué d’une telle exigence : dix hommes , sinon ni kaddich , ni keddoucha .

Faudra t-il insister sur la signification décisive , vitale de ce chiffre ? 10 sont les doigts conjoints de nos deux mains qui saisissent le pain avant toute consommation, afin d’affirmer qu’il sera distribué  conformément aux dix Paroles  homologues du Sinaï , sur une table  évoquant à son tour la Table des » pains de visages » , celle qui était disposée à l’intérieur du Sanctuaire , du Michkane , à côté de l’Arche sainte et du Candélabre arborescent . Du premier Homme jusqu’à Noé dix générations  s’écoulèrent ; puis dix encore de Noé à Abraham. Mais dix plaies frappèrent l’ Egypte de la persécution , une Egypte décérébrée , dominée par un Pharaon qui se prenait pour Dieu . En contre- partie , toute l’économie biblique repose sur le principe de la dîme , du mâasser . La dîme n’est pas la  dixième partie d’une somme ou d’une masse mais la dizaine qui se forme précisément par l’adjonction d’une unité complétive à neuf éléments préexistants . Seule cette dizaine forme un ensemble véritable , un  kelal .  Si l’individu , le perat  , est bien  l’élément  premier du  kelal , le kelal , à son tour devient l’élément premier du Peuple , du Âm . Cette intégration logique s’avère indissociablement sociologique  . Elle commande au surplus toute l’argumentation talmudique des lors que celle –ci  se préoccupe de concilier la règle générale et le cas particulier. Les 13 règles de l’exégèse talmudique se remémorent  lors de la prière du matin en même temps que les 13 dimensions de la compassion divine révélées à Moïse après la transgression du Veau d’ Or . D’où , en effet , l’importance irrécusable du dixième homme dont l’absence en ce lieu et à ce moment s’assimile presque à une défection , principalement le lundi et le jeudi parce que ces jours là  sont jour de sortie du Sepher Thora , témoignage que la Loi fut publiquement donnée au Sinaï . Bien sûr , prier  individuellement vaudra  mieux que de ne pas prier mais lorsque l’on mange seul également que devient la joie du partage , de l’échange , des mots qui se mêlent aux mets , rappelant que l’ Homme , doué d’une âme , ne se nourrit pas seulement de pain ? Cette exigence élucidée conduit à se préoccuper sans cesse que le peuple juif , envisagé comme âm ,  existe réellement , tel un ensemble non pas fictif mais effectif  . Heureuse  l’âme du disparu dont les parents où les amis se soucient ensemble de son élévation jusqu’au trône céleste . Cependant , qui dira le kaddich  pour les personnes décédées dans la plus désolée des solitudes , sans plus de parents , ni d’enfants , ni d’amis ;  ces laissées pour compte , ces hors- peuple , que nul ne pleurera , que personne n’accompagnera non plus jusqu’à ce trou creusé dans une  terre anonyme qu’on n’osera qualifier de tombe à leur égard ?

 Neuf hommes se sont tus à l’orée du kaddich  . Ils font penser à des passagers sur un vaisseau en panne .Ils attendent , le dixième ,  puis le bénissent lorsqu’il passe enfin la porte du lieu sanctifié qui mérite maintenant ,et seulement maintenant , d’être appelé maison de prières .  Le kaddich prononcé l’ affirme: désormais   pour s’approcher , le Messie met ses propres pas dans les pas de l’arrivant .

                                                                                             Raphaël Draï

,                                                                                             Juillet 2004

( 1)  Daât Thora , Berechit . 2001 .

LES REGIMES MATRIMONIAUX EN ISRAEL

In ARTICLES, SCIENCE POLITIQUE ET DROIT on janvier 17, 2013 at 10:25

LES REGIMES MATRIMONIAUX

Pour ce numéro spécial consacré à la célébration de vos évènements en Israël, j’aborderai le thème des régimes matrimoniaux.
Le mariage n’est pas uniquement l’union de deux êtres. Il a une incidence sur le statut patrimonial des époux. A qui appartient l’appartement acquis par l’un des époux avant le mariage? A qui appartient-il lorsque vous l’achetez après la célébration du mariage?
La réponse à ces questions dépend de l’existence ou non d’un contrat de mariage entre époux.

ABSENCE DE CONTRAT DE MARIAGE

A défaut de contrat de mariage, c’est un régime analogue au régime de la communauté légale qui régit les relations patrimoniales des époux en droit français.
Les biens acquis en propre par chacun des époux avant la célébration du mariage resteront leur propriété exclusive. Il en sera de même pour les donations et successions.
Les biens acquis postérieurement à la célébration du mariage seront réputés appartenir à la communauté, c’est-à-dire appartenir par moitié à chacun des époux.

Ainsi, l’appartement, la voiture… dont vous êtes propriétaire au jour de votre mariage vous appartiendront en propre.
L’appartement ou la voiture que vous achèterez avec votre conjoint après la célébration de votre mariage sera un bien commun réputé vous appartenir par moitié.

LE CONTRAT DE MARIAGE

C’est la loi sur les relations patrimoniales entre époux de 1973 qui prévoit le contrat de mariage.
Le contrat de mariage peut être établi avant ou après la célébration du mariage.

Il doit être écrit.
Il détermine et définit les biens qui appartiendront en propre à chacun des époux et ceux qui seront leur propriété commune.

Ainsi, par exemple, il peut être décidé que l’appartement, résidence principale des époux, acquis au cours du mariage par le couple sera la propriété exclusive de l’épouse.

Au-delà de la répartition patrimoniale entre époux, le contrat de mariage peut anticiper tout conflit relatif au divorce des époux et en déterminer les modalités: fixation de la résidence des enfants mineurs et du droit de visite et d’hébergement; fixation des pensions alimentaires au titre de l’entretien et l’éducation des enfants, « pensions » ou « indemnités » ( équivalent de la prestation compensatoire existant en droit français) au bénéfice d’un des époux…
Il peut également anticiper tout conflit lorsque les époux ont été précédemment mariés et ont des enfants issus de cette précédente union.

Lorsque le contrat est rédigé et signé avant la célébration du mariage, il peut être passé devant un notaire. Dans cette hypothèse, il aura force exécutoire au jour de la célébration du mariage.
Il peut également être enregistré auprès du « rechem », du greffier du tribunal aux affaires familiales, voire même du tribunal rabbinique.

Lorsque le contrat est rédigé et signé après la célébration du mariage, il doit alors être soumis à l’approbation et l’homologation du tribunal.
Les époux seront convoqués par le Tribunal qui après leur avoir expliqué la teneur de du contrat s’assurera qu’ils en ont compris les conséquences et vérifiera leur libre et entier consentement.
Le contrat sera ensuite enregistré auprès du greffe du Tribunal qui a homologué le contrat de mariage.

Il convient de noter que les époux peuvent au cours du mariage, décider de modifier leur contrat. Il conviendra pour eux de suivre la même procédure que celle relative à l’homologation du contrat de mariage conclu après la célébration de leur union.

Décider de conclure un contrat de mariage n’est pas un signe de défiance entre conjoints. Sa finalité est de définir clairement la répartition patrimoniale entre époux et d’anticiper les conflits pouvant exister dans certaines situations.

Mazal Tov aux futurs époux.

Maître Yaêl ELKYESS-DRAÏ
Avocate au Barreau d’Israël

ETHIQUE ET JUDAISME

In ETUDES ET REFLEXIONS on janvier 15, 2013 at 2:08

ETHIQUE ET JUDAISME

I . Le concept biblique d’éthique

Pour bien comprendre les relations entre éthique et judaïsme  , comme si ces deux termes pouvaient apparaître éloignés , implique avant tout une définition de l’un et l’autre , sachant qu’en ces domaines aucune définition ne saurait être exhaustive . L’on définira ainsi le judaïsme comme la forme de pensée et de civilisation qui fait du choix de la vie sa raison d’être  dont il ne préjuge pas de ses fins , sauf celle de la perpétuation inter- générationelle du vivant ( Dt , 30) . Quant à l’éthique , on ne saurait mieux faire que de la rapporter à la définition de Spinoza  qui la qualifie par l’amour du prochain . Ce qui conduit à l’observation suivante : cet amour là est précisément celui qui est enjoint par la Loi d’ Israël , nommée Thora , dans les termes suivants ,effectivement  repris  par Spinoza : «  Et tu aimeras ton prochain comme toi même » ( Lv , 19, 18) . D’où ce constat : si l’éthique se qualifie sûrement par l’amour du prochain , elle est donc inhérente au judaïsme  dont elle devient l’une des références essentielles , et sans doute la seule convaincante pour la raison que nous allons reconnaître . Il s’agit néanmoins , et en premier lieu, d’ en comprendre le sens  et de mesurer par là même combien sa mise en pratique est plus difficile que ne le laisserait prévoir une pseudo –éthique confiant au narcissisme moral .

Anthropologiquement l’ être humain y est considéré  comme un être de pulsion , la plus prégnante étant celle qui le rabat sur lui même et  l’érige en son propre objet de considération et d’amour , possiblement réversible  d’ailleurs en haine de lui même ( Gn , 2, 18  ) . Ce n’est pas que la pulsion en son énergétique soit jugée mauvaise en soi . Tout dépend de son orientation . Le vocabulaire  hébraïque dispose alors de deux termes pour la désigner , selon sa vection vitale ou au contraire selon sa vection morbide ou destructrice : avat et taava . Ava désigne l’appétence , le désir , la vitalité et la vivance . Elle est l’une des expression du yetser hatov , de la pulsion du bien , du bon , de la vie . Taava  désigne au contraire l’envie , la convoitise , la cupidité dont l’on sait depuis les analyses de Hegel ou de Lacan qu’elle ne se satisfont pas de l’acquisition de l’ objet possédé par autrui et convoité en tant que tel puisqu’elles portent  en réalité sur le désir du désir  d’autrui , un désir impossible à satisfaire, puisque purement présomptif et fantasmatique . La régulation de ces deux modalités de la pulsion fera l’objet de deux injonctions non redondantes dans la Thora  L’une se trouve dans la première formulation du Décalogue et est  exprimée par la locution prohibitive : lo tah’mod ( Ex ,  20 , 17) , et l’autre dans la seconde formulation du même Décalogue et se trouve exprimée  cette fois par la locution prohibitive ; lo tit’avé ( Dt ,5, 18 ) . On comprend ainsi que la première est propédeutique de la suivante , beaucoup plus intériorisée , pour ne pas dire inconsciente  et qui  requiert un savoir spécifique et un long apprentissage . C’est sur ce fond que se détache à présent le commandement positif : «  Et tu aimeras ton prochain … »  lequel doit être replacé dans son énoncé complet : «  Ne te venge pas ni ne garde rancune aux enfants de ton peuple et tu aimeras ton prochain comme toi même : je suis l’ Eternel » .L’aptitude à un pareil amour exige que l’on se départisse au préalable de telles dispositions de l’esprit qui en empêchent  la manifestation , laquelle ne saurait être impulsive . Que cette injonction  se trouve ensuite élevée au coefficient divin atteste , à partir de ses points d’appui initiaux  , de son universalité .

II Ethique et conduites

On mesure par là à quel point une telle éthique est à la lettre bouleversante pour ne pas dire révolutionnaire . L’envie et la cupidité égo-centrent  violemment l’individu qui s’y laisse prendre et inversent  , à cette échelle déjà , le vecteur du vivant vers l’état chaotique antérieur , celui du   « tohou va vohou » ( Gn , 1, 2 ) . Le commandement ( mitsva ) d’amour  replace l’être humain , considéré comme être vivant et devant satisfaire aux conditions de sa perdurable viabilité, à nouveau dans la direction de la vie . D’où le dégagement de cet égo-centrage forcené et létal puis l’ouverture de l’être en direction d’autrui , et cela sans aucun abandon de sa propre subjectivité . Il va de soi également qu’autrui , envisagé  selon sa subjectivité singulière , est assujetti , réciproquement , au même commandement car une éthique asymétrique , se voudrait -elle sublime et sacrificielle , n’en serait plus une . Aucune responsabilité , quels qu’en soient les mobiles et les intentions , ne peut se concevoir comme le dissolvant  d’une autre responsabilité . Cependant l’éthique de l’amour ainsi entendu ne saurait rester à l’état de programme angélique ou pire encore de vœu pieux . Elle doit devenir effective et probante par des conduites congruentes dans tous les domaines de l’existence . C’est pourquoi l’énoncé de référence ne doit pas être isolé du contexte et de la séquence qui lui confèrent  sa signification et son amplitude , soit dans ce même chapitre 19 du Lévitique , les 17 versets qui le précèdent et les 19 qui le suivent . Ils prescrivent tous non pas des normes abstraites mais des normes incarnées dans des conduites , attestant du choix de la vie précédemment souligné ,et pouvant être regroupées en quatre catégories concernant : les père et mère , l’activité économique , l’état de droit , le rejet de toute malveillance et malfaisance , notamment par le mésusage de la parole qui  caractérise l’être humain es qualités .  Ethique proprement révolutionnaire  au regard de ce qui passe pour tel dans d’autres formes de pensée ou de société puisque ne souffrant aucune sélection , aucune restriction , de ce fait récusant l’esclavage , tant celui des corps que de l’esprit , et intégrant l’étranger , le guer , non pas aux marges du peuple mais dans son intime proximité ( kerev) ; un étranger accueilli comme tiers et auquel il est demandé , en réciprocité vitale , de considérer  le citoyen qui lui fait hospitalité comme son propre « autrui »  .C’est à cette condition que l’hospitalité humaine , envers le proche ( karov) et envers l’éloigné ( rah’ok )( Es , 57 , 19 )  , se fait également hospitalité envers  la présence divine , la Chekhina .

GERARD , BERNARD , ALAIN , BRIGITTE , … ET LES AUTRES

In ARTICLES, SUJETS D'ACTUALITE on janvier 14, 2013 at 11:08

Exi(t) l fiscal et « dénationalisations » individuelles

I . Actualité d’ Albert . O . Hirschman

L’affaire de Florange l’a montré avec dureté : quelles que soient ses préférences idéologiques , le gouvernement Ayrault ne souhaite pas revenir , sous une forme ou l’autre , à une politique de nationalisations .Pour prendre une image , ce serait faire monter à bord d’un navire une foule de réfugiés qui feraient couler l’embarcation déjà ployée sous sa ligne de flottaison .Et pendant ce temps ,un certain nombre de chefs d’entreprises ou de grands noms du spectacle ,l’œil fixé sur la leur ,font savoir urbi et orbi qu’ils ont quitté la France , fiscalement parlant ,ou qu’ils s’apprêtent à s’exiler , qui en Suisse , qui en Grande Bretagne , en Belgique ou ailleurs .Autant de nouvelles Coblences ?Il faut y regarder de près .Ces départs là , dont les mobiles strictement personnels ne sauraient être que conjecturés , ne s’en expliquent pas moins en termes de science politique – à condition de ne pas user de cette expression de manière trop présomptueuse .En ce sens les théories d’ Albert O . Hirschman , entre autres , méritent d’être rappelées , au moins pour l’essentiel .

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Le lien d’un individu quelconque avec les siens , avec son entreprise , avec telle ou telle institution , voire avec son propre pays , exige de sa part constance et esprit de suite , ce que garantit psychologiquement et moralement la valeur de loyauté ( loyalty ) . Cette fidélité n’est pas inconditionnelle , donnée une fois pour toutes .En cas de dissentiment ou de conflit , elle doit être confirmée et même renforcée par une discussion libre( voice ) , et si possible , pour employer un terme qui fait florès , « positive » . Lorsqu’elle celle –ci aboutit , le lien de loyauté est renouvelé , comme on

le dirait d’un bail , et se trouve même renforcé par l’épreuve .Autrement deux issues sont envisageables : soit le désistement qui prépare les viles soumissions , soit le départ ( exit ) vers des terres plus accueillantes , ou le même schéma se verra néanmoins reconduit . On le constate , un tel schéma qui date déjà de plusieurs décennies se caractérise par sa simplicité logique et par sa force identificatoire , chaque citoyen pouvant juger et jauger le point où il se trouve personnellement au regard de ses contraintes fiscales et de sa propre capacité de réaction . S’ y rapporter évite en tous cas de se rabattre sur des considérations par trop subjectives .Faute de quoi , qualifier un « partant » de « minable » , c’est risquer le coup de boomerang .Cependant , le même schéma ne suffit pas à rendre compte de ces dilemmes puisqu’il laisse entière la question de la mise en balance des trois éléments qui le constituent , à moment donné et pour telle ou telle personnalité . Car jeter la pierre à ceux qui s’en vont , c’est à coup sûr leur barrer la voie du retour , une voie qu’il faut laisser ouverte , selon la leçon de Benjamin Constant .Dés lors que l’on se sent toujours libre de sa pensée et de ses mouvements rien n’est jamais irréversible .

Mais comme on l’a dit , il ne s’agit pas de supputer les mobiles individuels , conscients ou non , d’une pareille mise en balance .Il faut se demander plutôt comment il se fait qu’une dé- nationalisation de cette sorte devienne possible .Deux hypothèses valent d’être explorées et discutées .La première tient aux effets subjectifs de la mondialisation et de l’hyper- révolution technologique qui l’accompagne , l’étaye et l’amplifie ; la seconde à la faiblesse , faut –il dire corrélative , de l’idéologie socialiste en ce début du XXIeme siècle , du socialisme strictement « gestionnaire » , surtout lorsque ses représentants se retrouvent au pouvoir et y essuient l’épreuve du feu .

II . Exil ou Exit ? Un exil sans déracinement .

L’expérience de l’exil est l’unes plus éprouvantes qui soit. Elle entraîne le déracinement de la terre qui vous a vu naître et grandir. Après quoi se

produisent délocalisation psychique et sentiment d’étrangeté en quelque nouveau lieu où l’on demeure . La tentation est de se rabattre sur soi . Tout le monde n’a pas la capacité de sublimation d’un Victor Hugo à Guernesey .Face à l’océan immuable et rugissant , d’autres idées peuvent venir qui ne se coulent pas forcément en alexandrins incandescents .Aussi , devant les issues imaginables d’un conflit , le risque de l’exil reste dissuasif et la menace du bannissement propre à faire réfléchir les esprits les plus convaincus .Tout dépend de la motivation invoquée .Pour Hugo , ce fut le respect absolu de la Loi et du droit violentés par « Napoléon le petit » ; pour Soljenitsyne la dévastation des idéaux révolutionnaires au Goulag . Mais pour Gérard , Alain , Bernard , Brigitte , et tant d’autres – parce que ce mouvement migratoire ne date pas de l’arrivée de François Hollande à l ’ Elysée ? Quelle raison invoquer ? Faut –il imputer à ces migrants fiscaux des motivations basses et une atrophie de l’âme , avec l’effacement des paroles de la Marseillaise du fond de leur cœur ? On s’en gardera .A quel titre prétendre que l’âme du voisin est moins noble que la nôtre ? Surtout lorsqu’il arrive , au sommet de l’ Etat , que l’on habite dans le même immeuble , que l’on soit même voisins de palier , que l’on ait fréquenté les mêmes écoles et les mêmes clubs ?C’est pourquoi il est indispensable de revenir aux deux grands mouvements collectifs des cinquante dernières années : la crise chronique , et la mondialisation , chacune se nourrissant de l’autre .

Depuis 1973 , nombre de pays sont rongées par un mal aux causes multiples et aux effets perdurables contre lesquels se sont usés tous les gouvernements , de quelque couleur qu’ils aient été . Georges Burdeau l’avait qualifié d’ « anémie graisseuse » . Celle –ci a engendré une autre forme de pathologie collective : l’anomie anxieuse . Face à la durée de cette « crise » si mal nommée et à sa dureté , un sentiment d’impuissance domine qui mine la croyance , vitale pour quelque société que ce soit , en un avenir meilleur . A tel point que les notions de jeunesse et d’avenir – au sens qualitatif- se sont découplées . Dans ces conditions , les formes du

salut elles mêmes ont muté et se sont dégradées , prenant la forme soit des salvations grégaires dans lesquelles le jugement personnel s’abroge , soit des salvations strictement individuelles , avec la religion , s’il faut ainsi la qualifier , de la « réussite » , que celle –ci se manifeste dans le domaine des affaires , du show – bizness, en ses multiples variantes , parfois intellectuelles , ou du carriérisme politique , ces trois catégories n’étant nullement étanches mais commutatives .Le démontre un Bernard Tapie qui pour être quelque peu atypique n’est pas extra – terrestre ou non « bon- français » . Même si la lecture n’en est réservée , à tort d’ailleurs , qu’à quelques spécialistes , n’est -ce pas Max Weber qui l’a solidement expliqué dans L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme ? Il en résulte que la « réussite », conçue comme entreprise de salvation personnelle, ne peut souffrir d’associé ou de participant forcé . Une monade ne saurait devenir une « binade » , si l’on osait ce néologisme . Or , et pour demeurer dans ce registre explicatif , qu’est-ce que la fiscalité sinon la prise de participation forcée de l’ « Autre étatique » dans votre propre dispositif de salut , bref une forme de forçage existentiel , sinon de viol animique ? Et en ce point , il faut s’exposer aux formulations limites : un viol unique , somme toute accidentel , bon … mais la prévision d’un viol en réunion , et parfois d’une « tournante » d’année fiscale en année fiscale exige à la fin que l’on se préserve . La seule issue que l’on perçoive est alors signalée par la pancarte Exit . Cependant , pourquoi exit n’est plus tout à fait équivalent à exil ? A cause – ou grâce – à la construction européenne et à la mondialisation .

Dans les deux cas s’est constituée un vaste espace commun , avec de fortes bifurcations de routes lorsque l’une ou l’autre d’entre elles se trouve encombrée ou barrée .Les deux plaies précitées de l’exil : le déracinement et la délocalisation ne sont plus aussi dissuasives . Grâce au TGV , au Thalys , à l’ Eurostar , Paris est plus proche de Genève , de Londres ou de Bruxelles , que de Marseille.Voilà pour le transport des corps physiques

. Il suffit que le conjoint y consente .Pour le reste , un monde peut se transporter dans un ordinateur – caméra- sous un format de poche .Quant à la « déterritorialisation » , rien ne ressemble tant à un beau quartier qu’un autre beau quartier , et cela sous toutes les latitudes.La mondialisation a accentué ces standardisations qui font l’univers tellement fluide . Si l’on s’y estime contraint , et si l’on en a – encore – les moyens , pourquoi se gênerait –on ? Au pire , il suffit d’attendre quatre années supplémentaires .Si François Hollande à succédé à Nicolas Sarkozy c’est bien que l’alternance politique est avant tout mécanique .

III . Socialisme et réalités

Il n’empêche . L’évasion fiscale était déjà traquée sous la présidence précédente . Pourquoi les diatribes actuelles ? Pourquoi s’étonner qu’un pouvoir « socialiste » fasse prévaloir le social sur l’individuel , en dosages toutefois précautionneux , et qu’il en conçoive le financement drastique au profit des plus nécessiteux ? Un riche serait –il à ce point privé du sens élémentaire de la solidarité , du bien commun ? C’est ici que l’idéologie socialiste bute contre les nouvelles formes de salvation dont il a été question . De nos jours un riche ne s’estime jamais tel , et lorsqu’il l’admet , il affirme ne le devoir à personne qu’à lui même . Comme il n’y plus de « classes » et donc plus de « luttes de classe » qui fournisse une explication transcendante de la mesure qui le matraque , il l’imputera à trois motifs convergents : le ressentiment , sinon le « racisme » anti-riche ; plus prosaïquement le rackett destiné à financer non pas les pauvres et les défavorisés mais le nouveau personnel politique arrivé au pouvoir et décidé à s’y maintenir ; l’analphabétisme économique d’une Gauche qui n’est pas sortie de l’ère psychique de la dékoulakisation .L’auréole « socialiste » ne recouvre plus en réalité qu’une pure et simple entreprise de conquête du pouvoir , pour elle même et pour lui même .Une fois ce pouvoir conquis , non sans intelligence manoeuvrière , la réalité prend des allures de gouffre et les riches y sont précipités en vue de le combler . Voire ..

Une fois de plus , dans ce type de situations , il faut prendre en compte les érosions de longue durée et les détonateurs circonstanciels . Aucune société ne peut survivre sans participation aussi égalitaire que possible à la production et à l’entretien des biens qualifiés de collectifs . Vouloir emprunter une route qui fût toujours bien entretenue à condition que le voisin en prenne exclusivement la charge n’est pas la marque d’un esprit conséquent .C’est pourquoi le mot « contribution » , avec ses connotations volontaristes et consensuelles , est préférable au mot impôt , et que l’on doit s’acquitter d’une « Contribution Sociale Généralisée » plutôt que d’un « Impôt Injuste Totalitaire » . Il n’en demeure pas moins que tout prélèvement – ici le vocabulaire redevient corporel , charnel – ne doit pas être ressenti comme une amputation dont Shylock reste le référent horrifique . Il vaut mieux invoquer les mânes de Keynes , et de toute la mouvance du Welfare State .De sorte qu’une contribution , à condition d’être équitablement calculée , soit considérée , à sa manière, comme un « retour sur investissement » . Autrement , le vocabulaire commutera de nouveau en sens inverse et réapparaîtront , s’ils avaient jamais disparu , les mots non moins horrifiques de « confiscation » et de « spoliation » . C’est sur ce point que l’Etat envisagé comme une entité sinon comme une personne doit s’interroger sur un autre découplage : celui de sa légitimité et celui de ses résultats . De nombreuses études l’ont établi : l’autorité ne s’obtient qu’avec les résultats probants qui la légitiment . Autrement , l’on aura beau faire , et camoufler ses échecs par de la charpie de « com’ » , elle ne se distinguera pas de l’autoritarisme , lequel violente la culture de liberté qui reste heureusement la marque essentielle des sociétés démocratiques .L’écrivain japonais Mishima a pu écrire qu’en matière de pouvoir il ne suffit pas de prétendre : il faut aussi et surtout assumer . Nul n’est obligé de devenir président de la République , Ministre des finances , PDG de Renault ou Primat des Gaules .Une fois parvenu à ce poste il faut , au sens kantien , oublier ses prédécesseurs et assumer ce qui devient une irréductible

responsabilité personnelle. Présider un Etat , conduire un gouvernement porte autant à conséquence que piloter un avion gros porteur ou conduire une opération à cœur ouvert . La mort sociale que constitue le chômage n’est pas moins grave que la mort physique produite par un crash ou par un mauvais geste médical . Il fut un temps où le socialisme désignait une espérance et soutenait des idéaux de haute volée .La philosophie qui le nourrissait se prévalait de quelques uns des plus grands esprits d’alors et ceux – ci , comme Jaurès ou Blum – au passage de si grandes plumes !- étaient prêt à le payer de leur vie et de leur liberté .Aujourd’hui il désigne malheureusement une forme de gestion pénurique substituant aux biens réels des biens « symboliques » , ou passant pour tels , et finançant ceux ci par l’équivalents d’assignats . La révolution sans la révolution , et la réforme sans résultats . Gérard , Alain , Bernard , pour les plus connus , en ont tiré les conséquences .On en pensera ce que l’on voudra . Mais il y a les autres . Les exilés de l’intérieur , ceux qui font le gros dos , quêtent leur salvation dans le calcul anxieux des annuités de retraite , ou vont la chercher chez le dealer du coin .

Raphaël Draï