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Parachat Balak

In Uncategorized on juin 28, 2018 at 7:59

PARACHA BALAK

( Nb,22, 2et sq )

39 Balak.

Si toutes les parachiot de la Thora ont leur singularité, la paracha Balak conserve incontestablement celle de l’étrange. Elle relate la tentative de destruction du peuple d’Israël par la profération d’une malédiction dévastatrice à son encontre. Dans quelles circonstances? Le Roi moabite, Balak, ayant pris connaissance de l’avancée d’Israël et des succès de ses armes, tente de circonvenir le prophète Bilaâm afin qu’il mette un terme à cette progression inexorable. Dans ce but, il ne lui demandera pas de mobiliser des armées innombrables, ni de soudoyer des diplomaties entières. Il sollicite de sa part qu’il maudisse, qu’il rende arour, ce peuple sorti d’Egypte et qui à présent offusque la face de la terre. Etrange procédé! Il rebute la mentalité d’aujourd’hui qui n’adhère plus à cette sorte d’action où la magie et la superstition se mêlent pour former un produit quasiment hallucinogène. En allait-il ainsi de ce temps? L’on a souvent repris cette remarque de Lucien Febvre: le psychisme humain n’a pas été identique à lui même durant les siècles et les millénaires. Il faut sans doute former cette hypothèse: à l’époque où ces faits se déroulent, la magie était efficiente et l’esprit humain régissait fortement à ses opérations. Par quels éléments expliquer néanmoins la réaction paniquée de Balak? Certes par tous les prodiges qui ont précédé, accompagné et suivi  la sortie d’Egypte. Mais aussi et surtout par la défaite  des armées qui avaient prétendu barrer il y a peu le passage à Israël, lançant une guerre sans  merci contre lui. Ainsi que le relate la paracha H’oukat, mal leur en a pris. La capture et l’entrée en possession par le peuple d’Israël de la terre qu’ils occupaient  a sanctionné leur agression. Il est toujours possible de pratiquer à ce propos la stratégie du «soupçon» et d’interpréter les récits correspondants comme autant de justification a posteriori des actes de conquête et de captation imputables à ce peuple. Il faut simplement prendre garde que cette stratégie là ne s’abouche pas aux stéréotypes millénaires amassés autour de la figure d’Israël et qui conduisent à ne lui faire crédit de rien, à lui imputer le pire du pire de la condition humaine.

Quoi qu’il en soit, Balak ne se le fait pas répéter. Il veut atteindre Israël à l’endroit  qu’il juge le plus vulnérable: la bénédiction dont le Créateur l’a doté. A aucun moment le roi moabite ne cherche à établir le contact avec le peuple d’Israël, en entrer en discussion avec lui. C’est pourquoi son attitude n’est pas substantiellement différente de celle des cananéens et des amorites. Elle se déploie sur un autre plan: le plan psychique et spirituel. Deux remarques s’imposent encore. La première concerne le nom même du roi de Moab: BaLaK. Les lettres qui le forment sont identiques à celle qui forment le mot « recevoir »: KaBeL, mais dans le désordre. Cette observation étymologique conforte la remarque précédente. Balak  récuse tout accueil du peuple d’Israël. Il choisit de pratiquer la guerre préemptive, comme l’on dirait de nos jours. De cette manière il pense remédier à la dissymétrie des forces en présence vis à vis de ce groupe humain dont il  clame qu’il est «  plus puissant » que lui. Etrange évaluation qui n’est pas sans rappeler celle, catastrophique, qu’avaient formule les explorateurs envoyés par Moïse, comme le relate cette fois, la paracha Chelah’Lekha. Avant toute confrontation, le  rapport des forces en présence  est majoré pour les uns, minoré pour les autres, au point d’induire cette désespérance qui à son tour active les logiques du pire.

C’est dans ce but que Balak sollicite le prophète Bilaâm, quitte à le soudoyer et à le corrompre, afin qu’il obstrue par les malédictions dont il a le secret le chenal qui selon le roi de Moab conduit la force sur -naturelle dont fait preuve le peuple sorti d’Egypte. Etrangeté du personnage de Bilaâm dont le nom peut s’entendre également comme Bli-Âm: sans peuple ;  individu réduit à lui même et ne sachant au bénéfice de qui exercer son don de prophétie. Le  renversant sur lui même il en corrompt la nature et en altère les effets. Cependant, l’on ne saurait être à la fois prophète, fût-ce de cette  espèce, et ne pas être relié au Créateur au point d’en méconnaître les injonctions. Celles ci ne tarderont pas: Bilaâm s’entend interdire de maudire le peuple d’Israël «parce qu’il est béni». La formulation de cette injonction drastique pourrait sembler redondante. Tel n’est pas le cas. Il faut entendre cette sentence selon sa structure logique: c’est parce que ce peuple est béni par Dieu qu’aucune malédiction ne saurait avoir prise sur lui. La bénédiction divine, insufflée notamment lors de la prière des cohanim, n’est ni superficielle ni de circonstance. Elle est d’essence et de durée divines, si l’on pouvait s’exprimer de la sorte. A force de corruption matérielle et psychologique, Bilaâm cédera toutefois aux objurgations de Balak et se mettra en position de maudire Israël. Pourtant, comme le bâton d’Aharon, transformé en serpent, avait englouti le bâton – boa des magiciens égyptiens, la malédiction proférée par Bilaâm, se heurtant à la bénédiction divine, se transformera en son inverse. Elle viendra renforcer celle-ci pour former les mots d’un des hymnes les plus fervents et les plus mémorables jamais conçus en l’honneur du peuple sinaïtique. Entre-temps c’est l’ânesse de Bilaâm, pourtant maltraitée, et sans doute à cause de cette maltraitance, qui l’aura remis dans la bonne voie. D’où cet enseignement: lorsque l’être humain n’assume pas sa vocation propre, il régresse en deçà même de l’animalité et se fait l’âne de son âne. La leçon ne se limite pas aux temps antiques.

Raphaël Draï zatsal, 19 juin 2013

 

 

EVENEMENT 8 JUILLET 2018 – Hazkara Raphaël Draï zal

In Uncategorized on juin 26, 2018 at 5:26

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PARACHA H’OUKAT

In Uncategorized on juin 21, 2018 at 10:11

38 Houkat.

Cette paracha, celle qui concerne ce qu’il est convenu d’appeler « la vache rousse », est sans doute, en son commencement, l’une des plus énigmatiques, pour ne pas dire l’une des plus impénétrables de tout le H’oumach. Comment comprendre cette liturgie qui incite le grand Prêtre Eléazar à se procurer une vache qui fût complètement de cette couleur mais aussi qui n’ait jamais porté ni faix ni joug pour ensuite la mener à l’extérieur du camp, et là, la réduire en cendres –  chair, os et peau- recueillir ces cendres, les répandre dans de l’eau, pour ensuite, en cas de faute portée à la connaissance du pontife, asperger de cette eau le transgresseur, de sorte à le purifier? Sauf qu’au terme de cette liturgie opaque et destinée à un acte de purification, le cohen deviendra temporairement impur ainsi que l’officiant qui l’aura assisté.  Parmi toutes les tentatives d’explication, et sans y insister ici, l’on se reportera surtout à celle qui nous semble la plus plausible, celle de Samson – Raphaël Hirsch  ad. loc). Pour le présent commentaire deux éléments déterminants sont à souligner.

En premier lieu, et en prenant acte que le récit de la Thora ne procède pas par sauts, il faut se demander quel est le lien entre cette liturgie et la fin de la paracha précédente qui insistait à son tour sur les deux points suivants: la tribu de Lévi n’aura  pas de part territoriale en Israël, ni de patrimoine, à proprement parler. Le Créateur sera cette part et constituera tout leur patrimoine. Une telle déclaration pourrait sembler ambiguë. Si la tribu de Lévi semble  dépossédée  d’une sorte de bien, la voici pourvue d’un bien sans doute inestimable: rien de moins que la part divine. La tentation qui se profile pour elle est de s’ériger en caste, elle aussi divinisée, coupée du peuple: une aristocratie pontificale. L’hypothèse se forme alors selon laquelle  les règles concernant la vache rousse et qui font immédiatement suite à ces dispositions, si elles comportent une signification intrinsèque,  ont sans doute également pour but de prévenir cette tentation puisque les gestes auxquels elles obligent le  grand prêtre le rendent impur, ce qui atteste clairement qu’il n’est pas pur par nature, que de ce fait il reste lié au reste du peuple, qu’il n’est pas d’une essence différente  de la sienne.

Quel peut être alors le sens  profond d’une liturgie qui rend impur l’un pour purifier l’autre? Faut-il, en termes d’anthropologie des religions, concevoir que se produit à cette occasion un véritable transfert cathartique de l’un à l’autre? Il ne faut jamais oublier la remarque de l’historien Lucien Fèbvre selon lequel le psychisme humain n’a pas été identique à lui même au cours des siècles et des millénaires et que l’efficace des rites en dépend. Il n’en reste pas moins que cette dialectique là, entre le pur et l’impur, comporte elle aussi ses enseignements éthiques et sociaux.

Le pur et l’impur doivent être distingués, certes, mais pas au point de donner à penser qu’ils se rapportent mutuellement à deux créations différentes, ou à une création scindée, clivée, dont les deux parties ne pourraient plus jamais être réunies. L’étymologie du mot « diable » conduit à cette vision puisqu’elle signifie partition, division irrémédiable. Il n’est aucune pureté ou impureté pour ainsi dire d’état? L’une et l’autre sont liées au temps qu’elles marquent, sachant que le temps suivant peut les effacer ou les transformer en leur inverse. D’où à la fois l’extrême vigilance éthique requise par ces possibles commutations, et le rejet de toute forme de pensée obsessionnelle ou phobique  symptomatiques d’une religion du tabou. Il n’est pas impossible alors de relier la vache rousse et le veau d’or, comme si la révolte de Korah’ et ses suites devaient être imputées à une rémanence de cette dernière idole que l’on croyait avoir été pulvérisée par Moïse avant, l’on s’en souvient, qu’il ne la réduise déjà en poudre, noyée dans une eau  à boire, une eau de mise à l’épreuve de la fidélité envers le Créateur, donateur de la Loi.

Une dernière observation au sujet du caractère énigmatique de cette liturgie. La tradition juive affirme que le Roi en personne n’a su en discerner le sens véritable. Qu’est-ce qu’un despote, ou un tyran, ou un dictateur? Un individu absolutisé, qui prétend n’avoir rien ni personne au dessus de lui et qui s’identifie à la Loi totale dont il prétend être l’incarnation vivante, la  source indiscutable. Les règles relatives à la vache rousse démentent cette prétention absolutiste. Il y est question non pas simplement de Thora mais de h’oukat hathora, littéralement de «Thora sous sa modalité légale», de h’ok. Qu’elle comporte une part qui d’elle même échappe à la plus haute des intelligence démontre bien son caractère non captable en totalité. Il en demeurera une part toujours accessible au questionnement et qui récuse par là même toute prétention à un éventuel pouvoir absolu. C’est bien cette part d’inexpliqué  qui préserve la liberté de l’esprit et partant  celle des corps.

A méditer pour les temps actuels, face aux dangers de la théocratie sachant que toutes les théocraties ne sont pas forcément confessionnelles.

Raphaël Draï zal, 12 juin 2013

Paracha Korah par Raphaël Draï

In Uncategorized on juin 15, 2018 at 1:19

( Nb, 16 et sq )37 Kora'h.

Qu’il ne suffise pas de se réclamer de la Thora,de la Loi, pour en devenir un exemple probant est illustré ad nauseam par la présente paracha puisqu’elle met aux prises non pas des membres de tribus différentes mais des membres de la même tribu, et quelle! la tribu de Lévi.

Le déclenchement  de la révolte dont Korah’ et sa clique vont prendre l’initiative n’en est pas moins décrit de manière surprenante; «  Et Korah’ prit, fils de Kéhat, fils de Lévi.. ». Surprenante, à coup sûr, d’abord au plan grammatical puisque le verbe « prendre », utilisé ici, n’a pas de complément d’objet comme le voudrait la grammaire habituelle. Faute de copiste? Erreur de transcription?  Si tel avait été le cas, cette faute ou cette erreur eût été mentionnée en marge du texte, selon la règle dite du kétiv-kéri, littéralement: «  C’est écrit comme ceci, mais il faut lire comme cela.. ». Ce n’est pas le cas. Dès lors comment entendre cette formulation?

Plusieurs commentaires en ont été proposés au cours des siècles, portant notamment sur le fait que Korah’ et ses affidés avaient « pris » leurs comparses au piège de leurs paroles captieuses pour les dresser contre Moïse et Aharon  son frère. Une autre hypothèse est envisageable toutefois qui se rapporterait à la force de la pulsion à l’oeuvre en cet affrontement mais également à sa cécité. Tout se passe comme si Korah’ avait été mu par ce que les psychanalystes nomment une pulsion d’emprise dont l’objet qui la soutient initialement importe peu. Dans une situation de ce type, l’on prend pour prendre puis l’on est pris soi même par ce même mouvement. Telle semble être la pulsion particulière qui investit notamment la volonté de Pouvoir. Tous les prétextes lui sont bons. Et comme aucun objet déterminé n’est véritablement de nature à la satisfaire, nul n’est besoin d’en préciser la nature. L’intelligence elle même lui est asservie et la fournit en «bonnes raisons» et en sophismes de mauvaise foi.

C’est sans doute pourquoi le texte des Nombres précise également la généalogie de Korah’, lévite certes mais de la famille en charge, l’on s’en souvient, du service divin au Sanctuaire. Si tant est que l’honneur soit le motif déterminant d’une conduite, quel honneur serait plus grand que celui là!  Et pourtant  Korah’ et sa bande ne s’en satisfont pas. Ce qu’ils visent n’est rien de moins que la place de Moise et d’Aharon, non pas telle qu’elle est mais telle qu’ils l’imaginent: conférant honneurs suprêmes, prébendes et sans  doute, pourquoi pas droit de cuissage. N’est-ce pas cette rumeur qui avait couru à propos de Moïse et de la « femme couchite », racontars dont, hélas, Myriam et Aharon avaient été les relais? Cependant, pour  justifier leur coup de force, Korah’ et les siens vont commettre deux erreurs qui leur seront fatales.

D’une part, ils vont imputer à Moïse et à Aharon des visées monarchiques qui n’étaient pas les leurs. Ce qui s’attestera dans le jugement de Dieu auquel chaque protagoniste sera convié sans tarder.

D’autre part, ils vont prétendre que la tâche de Moise et d’Aharon est achevée puisque le peuple d’Israël serait tout entier parvenu à la sainteté, qu’il serait devenu un peuple de «parfaits», ne justifiant plus aucune tutelle. Or, et à moins que, d’eux mêmes,  ils ne se soient exclus de ce peuple, leur tentative, par le mauvais esprit dont elle témoigne, en apporte la démonstration exactement inverse. Le mécanisme mental à l’oeuvre dans  ce procès d’intentions n’est rien d’autre que celui de la projection. Autrement dit, Korah’ et sa bande imputent à Moise et à son frère de bas motifs qui sont surtout les leurs. D’où la réaction que l’on pourrait qualifier de «contre-projective» de Moïse retournant à  leur véritable source ces motifs séditieux. Le texte de la paracha en rend compte de façon littérale.

Pour signifier à Moise et à Aharon que c’en était assez de leur «  Pouvoir », Korah’ avait dit:

a) «  C’en est trop de votre part (rav lakhem )( Nb, 16, 3) ;

à quoi Moïse répliquera, terme à terme, et symétriquement, après avoir essuyé cette salve de griefs et avoir souligné les hautes prérogatives des kéhatites:

 b) « C’en est trop de votre part, fils de Lévi ( rav lakhem Bnei Lévi  » ( Nb, 16, 7).

Et puisqu’il faut trancher, le jugement de Dieu sera sollicité. Ce qui ne peut manquer de  provoquer notre étonnement. Comment Moise et Aharon ont-ils pu solliciter un tel jugement, en impliquant le Créateur dans une querelle où, en somme, ils étaient juges et parties? Deux raisons ici aussi l’expliqueraient.

La querelle ne porte pas sur  un objet matériel, ni même sur une question de préséance protocolaire. Elle s’est portée sur un terrain capital: celui de la sainteté, de la kedoucha, celui là même où le Créateur affirme que l’on peut s’approcher de Lui selon la prescription du Lévitique: «Vous serez saints car je suis Saint, l’Eternel votre Dieu» (Lv, 19, 2).

Or quel autre juge sinon le Saint par excellence pourrait trancher une pareille contestation! Mais surtout, en acceptant, comme s’il allait de soi, un jugement de cette sorte, Korah’ et sa bande savaient qu’ils prenaient un risque mortel. Membres de la tribu de Lévi, comme on y a fortement insisté, ils ne pouvaient ignorer le sort qui fut celui de Nadav et Avihou, les deux premiers fils d’ Aharon, foudroyés aux abords du Saint des Saints pour  en avoir approché un feu «autre»  qui ne leur avait pas été commandé dans l’exercice de leur sacerdoce. Korah’ et les siens ne tarderont pas à le vérifier par leur propre chute dans l’abîme  qui s’ouvrira de ce fait sous leur pas.

Cependant, comme le Tanakh est d’un seul tenant, les Psaumes nous apprendront que les descendants de Korah’ n’en ont pas été stigmatisés, qu’ils deviendront même des psalmistes de premier rang. Pour bien faire comprendre, s’il en était besoin, que pour quiconque s’y attache parce qu’il le doit, rien n’est irréparable.

Raphaël Draï zatsal, 4 juin 2013

RAPPEL COLLOQUE RAPHAËL DRAÏ – 14 Juin 2018 – Aix en Provence

In Uncategorized on juin 11, 2018 at 9:07

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PARACHA CHELAH’ LEKHA

In Uncategorized on juin 7, 2018 at 11:04

( Nb, 13 et sq )


36 Chala'HLeHa.

Cette paracha inaugure une série de quatre parachiot parmi les plus dures de tout le Tanakh concernant le peuple d’Israël et l’on doit immédiatement relever à ce propos que le récit biblique n’en cache et n’en atténue rien. Jusqu’à présent a été décrite l’organisation pour ainsi dire idéale de ce peuple. Désormais, le voici à l’épreuve. Pour bien comprendre ce qui va suivre, il faut en effet revenir sur un des épisodes les plus marquants relatés dans la paracha précédente, celui au terme duquel le peuple ayant exigé d’être nourri de viande Moïse éclate  de chagrin, allant jusqu’à requérir de Dieu la fin de ses jours.

Moïse sent que sa fin approche, que le plus difficile de l’histoire de son peuple commence. Aux abords de la terre de Canaan, le Créateur lui demande d’y envoyer un groupe d’explorateurs afin d’investiguer dans toute la contrée pour savoir quelle est sa conformation, sa fécondité, la disposition physique et mentale de ses habitants actuels, la forme de ses villes et leurs défenses, et s’il s’y trouve « de l’arbre ou rien (êts in ayn ) », formule sur laquelle on reviendra.

Première interrogation: pourquoi Moïse n’est-il pas invité à conduire lui même cette exploration pionnière? Pourquoi la confier à un échantillon symbolique du peuple? On l’a pressenti: parce que sa propre fin approche et qu’il lui faut passer le relais. Cette transition a commencé dès la paracha précédente avec la constitution de l’assemblée des  70 sages, dotés d’un esprit prophétique allumé à celui de Moïse mais irradiant désormais dans l’ensemble du peuple. En somme, le peuple s’autonomise progressivement en endossant les responsabilités qui jusqu’à présent ont été assumées par le seul Moïse, assisté d’Aharon et de Myriam.

Parmi les multiples enseignements de la paracha Chelakh’ Lekha, l’on retiendra donc pour commencer celui-ci: assumer une responsabilité ne va pas de soi. Cette prétention exige force, endurance, esprit de suite. Au départ, quoi de plus élitiste que cette délégation! Chacun des noms qui la constituent peut être lu comme un brevet de prestige. Certes, mais le prestige doit être honoré et « noblesse oblige »,  sans intermittence. Les explorateurs vont ainsi pénétrer en terre de Canaan, sans que personne n’y  perçoive leur présence. Ils en « auront plein les yeux », suivant l’expression populaire. Cette contrée apparaît comme un mélange de cocagne et de cité anté-diluvienne. A preuve: l’énorme grappe de raisins qu’il devront charrier sur leurs épaules.

Ce que Moïse leur a demandé surtout est de vérifier si ce pays comporte de « l’arbre ou non ». On l’a relevé, cette formule appelle le commentaire  puisqu’il suffisait d’un simple coup d’œil, fût-ce de loin, pour constater qu’elle était boisée et fructifère. Cette formule recèle alors un autre sens, plus condensé.

Si, dans la langue hébraïque, le mot ÊTs désigne l’arbre, il le désigne ainsi parce que, au delà de l’image même de cet arbre singulier, le mouvement générique de l’arborescence se donne à discerner et à comprendre. Qu’est-ce qu’une arborescence?  A partir d’une ligne unique, une bifurcation première donnant naissance à des arborescences secondaires de plus en plus fines. Les psychologues le savent précisément avec le «test de l’arbre».Cette figure-là est signe de liberté, celle qui découle de la possibilité de choisir, entre plusieurs directions, entre plusieurs options. A condition que la fibrillation en cours ne se conclue pas en cassure, en séparation et en dispersion. D’où la nécessité correspondante d’une forte attache des branches entre elles et de toutes au tronc commun, lui même solidement enraciné. On l’a vu avec la Ménora.

Aussi, la racine Êts qui s’écrit en hébreu avec deux lettres elles-mêmes bifurcantes, le âyn et le tsadé, se retrouve dans le mot ÊTsA qui désigne le conseil. On comprend mieux à présent la formule utilisée par Moïse: « Hayech bah êts im-ayn »: s’il y a en elle de l’arborescence – entendue en ce sens – ou «  rien ». La résonance de cette formule est considérable. Elle semble faire écho à celle des Bnei Israël, au lieu-dit Massa et Mériba, avant l’agression de Âmalek, elle même sanctionnant ce questionnement  dubitatif: « Hayech Hachem békirbénou im- ayn »: « Si Le Créateur est parmi nous ou rien » (Ex, 17, 7)… Comme s’il fallait, au moment de franchir la ligne d’arrivée, à nouveau vérifier que les représentants du peuple avaient bien intégré la signification de leur responsabilité. Aussi riche soit elle, une terre n’est que désolation si l’esprit de – bon – conseil ne s’y trouve pas, car c’est en ce conseil et par lui que la Présence divine s’atteste.

Il ne faudra pas attendre longtemps pour constater à quel point l’enseignement n’a pas été compris. Au retour de leur expédition, les envoyés de Moïse se montreront de très mauvais conseil, provoquant la désespérance du peuple, une désespérance dont les effets différés se manifesteront jusque dans la destruction des deux Temples de Jérusalem. Heureusement, Josué, fils de Noun, dont le  nom avait été opportunément changé et bonifié par Moïse avant le départ du groupe, et Caleb, fils de Yéphouné, échapperont au concours de médisance.

Cependant la question demeure: pourquoi Moïse n’a t-il pas également changé et bonifié le nom des autres explorateurs ?

 A chacun et à chacune d’y réfléchir.

Raphaël Draï zatsal, 27 Mai 2013