danieldrai

Archive for décembre 2021|Monthly archive page

LE SENS DES MITSVOT : VAERA

In Uncategorized on décembre 30, 2021 at 7:21

« Et l’Eternel (Elohim) parla à Moïse et lui dit, à lui (elav): « Je (Anokhi) suis Dieu (Tétragramme) » » (Ex, 6, 2).

14 VaéraDéc14

Dans ce premier verset, qui doit être relié à celui d’une révélation préliminaire, celle du Buisson ardent, sont mentionnés trois « noms » de Dieu, tel qu’il se prépare désormais à une confrontation avec le potentat qui nie Son existence: avec Pharaon. Cette confrontation fera l’objet du récit à venir, avec ses dix « frappes » rendues inéluctables par l’obstination de cet homme qui se prenait pour le Créateur et était adoré à ce titre par sa cour et par ses sujets.

Une première question se pose: ces trois noms: Elohim, Anokhi et le Tétragramme ne sont-ils pas redondants? Un seul d’entre eux n’eût-il pas suffi pour conforter Moïse dans ses propres résolutions et auprès des Bnei Israël dont la persécution s’est entre temps aggravée, malgré l’énoncé de la libération, si ce n’est à cause d’elle? Il ne le semble pas et comme nous le verrons, ces trois noms, pour peu que l’on en discerne le sens exhaustif, correspondent à trois modalités de l’intervention divine telle qu’elle est annoncée à Moïse.

Une autre question apparaît, qui se rapporte cette fois à quelques uns des stéréotypes les plus tenaces de la critique biblique. Selon ce stéréotype le récit biblique aurait été rédigé par plusieurs écoles ou mouvances, et à des époques différentes, chacune se faisant de Dieu une idée singulière, d’où ces noms divers. La cohésion d’ensemble du récit en cause ne serait qu’apparente entre le rédacteur « élohiste » et le rédacteur « yawiste », sans parler du « Sacerdotal » qui serait l’auteur particulier du Lévitique, du troisième livre de la Thora. Cette manière d’aborder le texte biblique doit être étudiée, comme il se doit. Elle se heurte néanmoins à la présence de versets tels que le verset précité où apparaissent d’évidence, et simultanément, l’Elohiste et le Yawiste, sans parler de celui que l’on pourrait qualifier d’« Anokhiste ». Faut-il en déduire que ces différents rédacteurs se sont réunis en conclave pour décider d’une motion de synthèse? Cela ne se peut puisqu’ils sont censés avoir existé et travaillé dans des régions différentes, à des époques différentes et avec des « théologies » différentes ? Et puis pourquoi ce verset particulier et non pas un autre? On observera d’ailleurs que ce verset « synthétique » est loin d’être isolé, que le premier de cette sorte apparaît dans le livre de la Genèse à propos de la situation de l’Humain au Jardin d’Eden (Gn, 2, 15).

S’il faut relever cette contradiction, c’est pour mieux comprendre la présence en effet simultanée de ces trois noms au moment où une intervention décisive se prépare dans laquelle la Présence divine va s’impliquer dans l’histoire humaine. Selon la Tradition sinaïtique, et contrairement au stéréotype précédent, comme on a commencé de l’indiquer, chacun de ces trois noms correspond à une modalité de l’action divine et leur présence simultanée signifie que ces trois modalités vont s’exercer, parfois séparément, parfois corrélées mais qu’il ne faut surtout pas les disjoindre. En ce sens Elohim correspond à la modalité ou à la dimension de justice (din), cette justice qui est inhérente à la culture égyptienne mais que ce pharaon là, « qui ne connaissait pas Joseph », violente et bafoue. Quant au Tétragramme, il correspond à la dimension de compassion et de miséricorde (rah’amim) qui sera perpétuellement présente, prête à s’exercer dès l’instant où le maître de l’Egypte répondra sans ambiguïté à la demande divine, transmise par Moïse, sans en rien retrancher, sans aucune réserve mentale. Quant à Anokhi – dont on se souvient qu’il correspondait à une question posée par Moïse au Buisson ardent (Ex, 3, 11)- il se rapporte à la Présence personnelle du Dieu libérateur, celle qui s’adresse à chaque Bnei Israël en particulier et à l’ensemble du peuple nommé de ce Nom, ce nom qui ouvrira une autre phase de la révélation divine, celle du Sinaï, du Décalogue, celle qui justifie que l’actuelle soit engagée en pays de grande servitude: « Je suis (Anokhi) l’Eternel (Tétragramme) ton Dieu (Elohekha) qui t’ai fait sortir du pays d’Egypte, de la maison des esclaves (Ex, 20, 2) ».

En ce verset mémorable les trois noms de Dieu se trouvent une fois de plus réunis et le sens de cette réunion se comprend mieux à l’égard d’un peuple qui commence son cheminement dans l’Histoire à la fois humaine et divine, un peuple libéré et qui doit faire l’apprentissage difficile de la responsabilité.

Raphël Draï zal, 15 Janvier 2015

LE SENS DES MITSVOT: PARACHA CHEMOT

In Uncategorized on décembre 23, 2021 at 11:38
13 ChémothJanv15Texte-2

« Moïse dit à Dieu: « De grâce mon Seigneur, je ne puis pas homme loquace, ni d’hier ni d’avant hier, ni depuis que Tu as parlé à Ton serviteur, car je suis pesant de bouche et pesant de langage ». Dieu lui dit: « Qui a donné une bouche à l’homme? Ou qui le rend muet ou sourd, ou clairvoyant ou aveugle? N’est ce pas moi, Dieu? Et maintenant va! et moi je serai avec ta bouche et je t’apprendrai ce que tu dois dire » (Ex, 4, 10, 11).

Cet extrait du long dialogue entre Moïse et le Créateur au Buisson ardent pose avant tout un problème théologique si l’on définit la théologie comme l’exercice de la pensée qui tente de comprendre ce qu’est le divin. De ce point de vue il est possible de reconnaître deux modalités de cette forme de pensée.

Pour la première, Dieu est inconnaissable parce qu’il est incommensurable au regard de la créature humaine. L’affirment des chants liturgiques comme: « Ygdal Elohim h’ay » ou « Adon Ôlam »: Dieu n’a ni commencement, ni fin, ni forme ni substance. Il ne se situe pas dans un espace parce que l’espace est sa création. Et il n’en va pas autrement du temps. D’où cette autre question: si Dieu est inconnaissable à quoi cela peut-il servir de s’interroger à son propos? En réalité cette première modalité est surtout destinée à prévenir toute captation humaine de l’idée divine, d’éviter que quiconque prétende s’approprier le concept de Dieu pour en faire la base d’un pouvoir à son tour divinisé.

L’autre modalité, illustrée par les versets précités, correspondrait à une théologie existentielle. On le voit ici: le Dieu qui se révèle à Moïse le fait dans un humble arbrisseau, comme pour se mettre à sa portée. Ensuite, il le sollicite et l’engage à lui parler. Ce dont Moïse s’acquitte non sans d’infinies précautions car précisément lorsque la Présence divine se met à la portée de l’esprit humain, elle s’expose à toutes les vicissitudes de celui-ci (mirage, hallucinations, illusions etc..). C’est pourquoi dans ces circonstances Moïse n’hésite pas à demander: « Qui est Anokhi? » ce qui peut s’entendre aussi bien comme « Qui suis-je moi Moïse! » pour que tu me confies une mission aussi exorbitante: d’aller parler à Pharaon afin qu’il laisse s’en aller le peuple hébreu, mais aussi comme: « Qui es tu toi, Dieu? » pour que je défère à ta propre demande.

Quoi qu’il en soit c’est un véritable dialogue qui s’engage et qui se déploie. Le Dieu qui se révèle à Moïse est l’antithèse absolue de Pharaon qui ne permettait d’aucune façon que l’on réplique à sa parole, qu’on lui oppose des objections, qu’on ne l’exécute pas aussitôt qu’elle a été proférée. Au contraire, dans ce long passage du livre de L’Exode, Moïse ne cesse de résister à la Parole divine, de lui opposer objections et contre-arguments comme s’il se trouvait de plain-pied avec la Présence divine au point même de vouloir mettre de soi-même un terme à cet improbable entretien. Car on ne manquera pas de relever un élément discordant dans la réplique de Moïse: il se prétend peu porté à la discussion. Ce n’est pas un rhéteur et l’éloquence n’est pas sa principale qualité. Il n’empêche que depuis plus d’un chapitre à présent le récit biblique nous rapporte ce qui ressemble de plus en plus à un débat avec la Présence divine sans que celle-ci perde patience comme l’on s’y serait attendu selon une vison théologique absolutisée du concept de Dieu.

Qui plus est, Dieu indique à Moïse que c’est Lui et nul autre qui est source de toute parole, origine de tout langage. La formulation biblique est frappante, Dieu est « avec la bouche » de l’Homme lorsque celui-ci est convié à se faire le partenaire du Divin pour l’exécution d’une mission dont dépend la poursuite d’une Histoire indissociablement divine et humaine puisqu’elle met en oeuvre une Berith, une Alliance. Ce qui conduit à cette déduction a fortiori: si au titre de cette Histoire la Parole divine s’engage directement avec la parole humaine, si elle ne s’offense d’aucune objection, quel être humain pourrait s’autoriser à imposer le monologue à un autre être humain, comme s’il était d’une essence supérieure?

Il est vrai qu’aucun dialogue ne saurait non plus aboutir à la dissolution des paroles échangées, faute de décision finale. Le moment viendra où la Présence divine le signifiera nettement à Moïse lequel finira par comprendre qu’il est temps de passer à l’action, que ce qu’il éprouve compte pour peu face à la survie de tout un peuple. Cependant son frère Aharon l’accompagnera. La libération de l’esclavage se place immédiatement sous le signe de la fraternité.

 Raphaël Draï zal, 8 Janvier 2015

LE SENS DES MITSVOT: VAYEH’I

In Uncategorized on décembre 17, 2021 at 12:54
12 Vay'hiDéc14

« Jacob assembla ses fils et dit: « Rassemblez vous (héassphou) et je vous dirai ce qui vous arrivera dans l’en-suite (béah’arith) des jours. Regroupez vous (hikabetsou) et écoutez ô fils de Jacob et écoutez Israël votre père » ( Gn, 49, 1).

« Tous ceux-là forment les tribus d’Israël, douze, et c’est là ce que leur père leur dit et il les bénit, chacun selon sa bénédiction il les bénit » (Gn, 49, 28).

Le livre de la Genèse se conclut spirituellement avec la bénédiction de Jacob-Israël à l’adresse de l’ensemble des fils qui lui furent donnés par quatre épouses, et tandis que tous se trouvent encore en Egypte, une Egypte hospitalière mais qui se veut au dessus de toute autre appartenance. Cette bénédiction présente trois traits particuliers.

Bien sûr elle est propre au fils d’Isaac et ne se contente pas de répéter les bénédictions qui l’ont précédées. Abraham eut deux fils, Isaac également, mais Jacob, lui, est père de douze fils et d’une fille, Dinah. Douze fils qui constituent désormais douze tribus appelées chacune pour sa part, mais collectivement aussi, à une mission qui les projette, pour chacune d’elles et pour l’ensemble qu’elle constitue à présent liée aux autres, dans un à-venir, ce que le récit biblique précise par la locution ah’arit yamim qui ne veut pas dire « la fin des temps », leur terminus, mais bien l’en-suite des jours, leur continuité, leur incessante révélation.

Il faut alors rappeler la généalogie de cette bénédiction, telle que Jacob-Israël l’actualise au moment de quitter cette vie. Elle remonte à la création de l’Humain, Haadam, et à sa projection, là encore, dans ce que l’on appellera par commodité de langage une Histoire: «Dieu les bénit (vaybarekh otham) et dit: « Croissez et multipliez.. » (Gn, 1, 28). Très tôt l’Humain n’assuma guère cette bénédiction primordiale. D’où le Déluge lequel n’empêcha pas non plus la catastrophe babélique au point de donner à penser que la création de l’Humain avait été une erreur, sanctionnée par un échec sans rémission. Jusqu’au moment où apparurent Abram et Saraï qui entreprirent selon l’invite divine de rétablir l’humanité en ses assises et de la restituer à cette bénédiction générique.

C’est bien ce fil que Jacob, béni dans les conditions conflictuelles que l’on sait par son propre père, ne lâche pas. Seulement à la différence des patriarches qui l’ont précédé il doit le tisser entre une progéniture nombreuse et tumultueuse qui s’est parfois dangereusement approchée du fratricide. L’ombre de cette tentative ne la quitte toujours pas. Une fois Jacob décédé, les frères de Joseph auront besoin que celui-ci les rassure sur ses intentions pacifiques et réellement réconciliées à leur égard.

Le livre de la Genèse qui avait commencé au plan humain par cette bénédiction première s’achève donc par celle que Jacob-Israël délivre à chaque fils, nommément désigné, mais aussi à l’ensemble qu’il forme avec ses autres frères, un ensemble qualifié par deux verbes dont les racines sont respectivement ASsaPH et KBTs. Ces deux verbes ne sont pas redondants. Le premier se rapporte à un ensemble constitué par une addition; le suivant à un ensemble formé à une échelle plus intériorisée, au sentiment d’une intime appartenance. Jacob-Israël les emploie tour à tour parce que, s’agissant du premier, il est bien placé pour savoir ce que l’on éprouve lorsque, une fois devenu père de douze fils, un seul vient à manquer; et pour le suivant parce qu’il n’ignore pas non plus qu’un peuple en formation – car c’est de cela qu’il s’agit – ne peut se constituer durablement si cette addition initiale reste strictement quantitative, si elle ne se prolonge pas dans la commune conscience que l’un n’est rien sans les autres.

C’est pourquoi la mention de ces deux verbes précède dans le verset précité chacune des bénédictions qui seront délivrées personnellement à tous les fils. Ils en conditionnent l’union et ils la pérennisent afin que l’aîné effectif, Ruben, puisse vivre et agir par exemple avec Judah et Joseph lesquels peuvent faire prévaloir bien des titres à la prééminence spirituelle.

On observera enfin que cette bénédiction qui met en évidence les points forts mais également les vulnérabilités de chaque fils est une bénédiction d’étape. L’histoire du peuple hébreu commence tout juste. Les quatre livres suivants de la Thora en relateront les péripéties. Eux mêmes se concluront par une autre bénédiction simultanément individuelle et collective délivrée cette fois par Moïse au peuple éprouvé quarante années durant, sur le point de franchir le Jourdain.

             Raphaël Draï zal, 31 décembre 2014

LE SENS DES MITSVOT: PARACHA VAYIGACH

In Uncategorized on décembre 9, 2021 at 12:34

« Et la nouvelle fut entendue au palais de Pharaon, disant: « Les frères de Joseph sont venus ». Et cela plu aux yeux de Pharaon et de ses serviteurs. Pharaon dit à Joseph: « Dis à tes frères: « Faites ceci: « Chargez vos bêtes et allez directement au pays de Canaan. Et prenez votre père et vos maisonnées et venez chez moi (elay). Je vous donnerai le bon du pays d’Egypte (eth tov erets mitsraïm) et vous mangerez le meilleur de la terre (eth h’elev haarets)(Gn, 45, 16, 18) ».

11 Vayigach23Déc14

Les versets précités doivent bien sûr être mis en regard de ceux qui relateront au livre de L’Exode les commencements de la persécution des descendants de Jacob en ce même pays d’Egypte mais par un Pharaon « qui ne connaissait pas Joseph », qui n’en voulait rien savoir. Dans un pays aussi vaste que cette Egypte là, sur des durées aussi longues, il va de soi que les pharaons se suivent et ne se ressemblent pas toujours. Celui dont il est question dans la présente paracha se caractérise par sa grande intelligence, par son élévation spirituelle, ses intuitions concernant l’avenir, son sens de l’hospitalité. Ce qui n’en fait pas pour autant le 13eme fils de Jacob! A aucun moment il n’oublie ni qui il est, ni le pays dont il doit assurer le sort. Les descendants de Jacob ne doivent pas l’oublier non plus, pas plus qu’ils ne doivent perdre de vue qu’ils ne sont en ce pays que de passage, qu’ils ne sont pas destinés à s’y implanter, à devenir des égyptiens hébraïques.

En somme, en ce moment de grande effusion affective et presque de sidération mentale, il convient que chacun garde présent à l’esprit sa propre vocation. Répétons le: celle du Pharaon l’incite à rechercher chaque fois le plus grand bien de l’Egypte, d’où cette invite en direction des frères de Joseph, laquelle procède d’un raisonnement en bonne et due forme. Si un seul des fils de Jacob s’est trouvé en mesure de si bien travailler à la prospérité puis à la survie de Mitsraïm, tous les espoirs seront permis lorsque toute la fratrie se sera installée là, pour apporter au pays de Pharaon l’excellence de son savoir collectif, avec le suc de la bénédiction divine. D’ailleurs, ce n’est pas aux marges du pays, dans l’on ne sait quelle province reculée et obscure que les fils de Jacob s’installeront en compagnie de leur père mais comme précise le récit biblique: dans le « bon » (tov) de l’Egypte, de sorte que l’on puisse y consommer le « meilleur » (h’elev) de la terre, et il faut être attentif à cette gradation ascendante.

Seulement, à bon entendeur… C’est bien vers Pharaon, et vers lui seul (elay), que les Hébreux devront se diriger, physiquement et si l’on peut dire culturellement. La clause migratoire qui les favorise ne saurait leur faire perdre de vue que c’est pour l’Egypte qu’ils devront œuvrer, quels que soient les avantages, réels ou présumés, qu’ils en retireront et c’est pourquoi il ne faut pas dissocier ces versets de ceux du début de L’Exode.

Quant aux fils de Jacob, et à Jacob-Israël lui même à présent, sans doute l’invite de Pharaon est elle inespérée au regard de la famine qui afflige le reste du monde habité. Joseph est déjà sur place, dans une position de pouvoir qui permet à chacun d’envisager l’avenir avec un fort sentiment de sécurité. Mais une sécurité de quelle nature? Si les paroles de Pharaon sont accueillantes, certes, elles impliquent nécessairement et à tout le moins une désorientation spirituelle puisque la vocation de Jacob et des siens, en tant que descendants d’Abraham et porteurs de sa promesse, doit les porter au contraire à s’implanter dans le pays de Canaan, initialement dévolu à Chem, afin de le transformer, de le transvaluer en pays d’Israël. Pour l’ensemble de cette collectivité affectée à ce projet historique et spirituel, le risque est aussi grand que la tentation. Quoi que l’on ait à l’esprit pour l’avenir, sur le moment il ne fait aucun doute que vivre dans le meilleur d’un pays, sachant qu’il faudra un jour où l’autre, et sans doute sans préavis, le quitter pour une autre contrée plus austère, moins immédiatement gratifiante, incite à prolonger sa carte de séjour dans le pays de passage, avec, assurément, le risque de s’y dissoudre complètement.

Débat permanent, pour l’exprimer en termes plus contemporains encore, entre l’intégration et l’assimilation. Risque d’autant plus réel que cette fois Jacob en personne descend en Egypte qui devient par là même son environnement le plus manifeste. Jacob-Israël, de ce point de vue, n’est plus en position d’extériorité vis à vis de Mitsraïm non plus que de sa propre famille. Le moment venu, sortir d’Egypte, pour toutes ces raisons, s’avèrera infiniment plus difficile que d’y entrer.

Raphaël Draï zal 25 décembre 2014

LE SENS DES MITSVOT: PARACHA MIKETS

In Uncategorized on décembre 2, 2021 at 10:57
10 MiketsDéc14

« Pharaon envoya quérir Joseph et on le pressa hors du cachot (…) et Pharaon dit à Joseph: « J’ai fait un rêve mais nul ne peut l’interpréter; j’ai ouï dire de toi que tu comprends un rêve pour l’interpréter ». 

Joseph répondit à Pharaon: « C’est au dessus de moi: c’est Dieu qui répondra du bien être de Pharaon » » 

(Gn, 41, 14 à 16). 

Les deux rêves de Pharaon concluent et parachèvent tous ceux que relate le livre de la Genèse. On n’en retrouvera d’aussi intenses et chargés de sens – mais toujours à interpréter – que dans le Livre de Daniel. La réponse de Joseph atteste en tous cas de sa maturité. Tandis qu’auparavant, et vis à vis de ses frères, il s’autorisait à raconter ses rêves de prééminence et à les interpréter de son cru, cette fois il sait se mettre en retrait et attribuer l’élucidation éventuelle des rêves de Pharaon au seul Créateur qu’il situe clairement au dessus de lui. Hormis cette humilité nouvellement acquise – et après combien d’épreuves ! – il faut aussi se demander pourquoi et en quoi la réponse de Joseph était adéquate à la demande de Pharaon. Bien sûr, il ne s’agit pas d’affirmer que l’inconscient pharaonique est, par nature au dessus de l’inconscient de n’importe quel autre individu. Il n’empêche que les rêves d’un être doté d’un tel pouvoir matériel, régnant à ce moment sur l’un des pays les plus puissants du monde habité, n’a pas les mêmes causes ni les mêmes conséquences que ceux d’un simple passant. Joseph est conscient de cette typologie. Devant l’impuissance affichée du maître de l’Egypte et de ses chiromanciens, il prend garde à ne pas se situer comme le détenteur d’une puissance interprétative qui lui ferait retrouver, fût ce à son corps défendant, la position périlleuse qu’il s’était attribuée initialement à l’encontre de ses frères et même à l’encontre de ses parents. Pourtant Joseph ne cède à aucune courtisanerie puisque c’est Dieu (Elohim) qu’il situe au dessus de lui même et par suite, sans forcer le trait, au dessus de Pharaon, lequel dispose d’assez de ressources spirituelles pour ne pas s’en offusquer.

C’est une fois ces précautions prises que Joseph, qui en avait déjà entendu une version externe, se fait raconter par Pharaon en personne les rêves fameux des vaches grasses et des vaches maigres, des épis replets et des épis secs. On n’insistera pas ici sur la « technique » de Joseph pour mettre de la lumière dans ces rêves énigmatiques. Sans rien enlever aux apports de Freud dans la « Traumdeutung », dans « L’interprétation des rêves », il est clair que cette technique comportait des éléments parlants pour comprendre les rêves de son temps. A coup sûr il est possible de voir dans la séquence binaire des rêves de Pharaon, comme pour tout un chacun, des références à ses images parentales. Faut-il rappeler que la symbolique des épis apparaît déjà dans les rêves du jeune Joseph et que ceux-ci sont immédiatement suivis par un rêve faisant manifestement allusion à Jacob et à Rachel? Pourtant, Joseph, lorsqu’il se livre à sa propre et décisive interprétation ne s’arrête pas au degré primaire de cette symbolique. Ce dont il a l’intuition, c’est que la séquence binaire que l’on a relevée trace en réalité une perspective dans le temps. Nul ne sait quels sont les matériaux de la veille ou de l’avant – veille qui auront induit le rêve en partie – double du maître de l’Egypte. Ce qui importe est la position que Pharaon finit par occuper: sur les rives de l’artère nourricière de son pays, ce qui atteste que c’est elle qui sera affectée par ce qui s’ensuit. Le contraste apparaît alors maximal entre les deux sous-parties de chaque partie du rêve. Surtout Pharaon s’avère dans l’incapacité d’empêcher l’émergence des vaches maigres et des épis secs. D’où la nature de cauchemars de ces rêves-là qui l’empêchent de retrouver un sommeil réparateur et la sérénité de l’esprit. Pour Joseph, il est clair à présent que ces deux sous-parties correspondront à deux périodes complètement contrastées des temps à venir. Toutefois, loin de rester passif devant la calamité qui s’annonce Joseph incite Pharaon à prendre les devants sans attendre. Leurs intuitions respectives sont corroborées. On ne choisit pas le chenal d’une information, d’où qu’elle vienne, mais une fois quelle est advenue au lieu d’en faire l’énigme du pire, il faut l’ouvrir sur l’avenir. Et Pharaon, ce Pharaon là, écoutera Joseph.

Raphaël Draï zal, 17 décembre 2014