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DE L’E(GO)COLOGIE IDOLÂTRE A L’ECOLOGIE EDENIQUE

In ECONOMIE on juillet 29, 2013 at 11:25

DE L’E(GO)COLOGIE  IDOLÂTRE

A

L’ECOLOGIE EDENIQUE

 Introduction: Grandeur et misères de l’écologie contemporaine

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Les mots parlent parfois d’une voix qui les fait se ressembler, qui permet qu’on en joue mais qui ne les empêche guère d’avoir des signification différentes, si ce n’est opposées. Ainsi des vocables trans et transe[1]. Le premier désigne le passage d’un état à un autre, si possible selon un mouvement continu, eurythmique et ascensionnel ; l’autre, au contraire,  désigne la crispation, la secousse épileptoïde, le fait de ne plus  s’appartenir. Appliqués  à une problématique  des sociétés  déclarées en crise et des régimes politiques qui hésitent à qualifier  leur nature réelle [2],  ces deux termes ne leur assignent pas le même mouvement: dans le premier cas il s’agira d’une transformation consciente, qualitative ; dans l’autre  d’une agitation aussi furieuse et véhémente que stérile. Il  importe donc que le jeu de mots, une fois ses bénéfices primaires assurés, cesse pour ouvrir la voie à l’analyse. Celle –ci doit s’appliquer à ce qu’il est convenu d’appeler la mouvance écologique dans les sociétés contemporaines. Si les préoccupations qu’elle exprime ont été longtemps déniées ou caricaturés, à présent elles nourrissent les excès d’une idéologie aussi péremptoire que moutonnière  sous le coup de laquelle chacun tient à se montrer plus «  vert » que son voisin. Bien des composantes souvent contradictoires, pour ne pas dire incohérentes, entrent dans la composition de cette idéologie  au nom de laquelle ne se recyclent pas, tant bien  que mal,  des déchets industriels ou nucléaires  mais aussi de nombreux militants d’autres causes déclarées perdues, en y transportant d’ailleurs leurs illusions et désillusions mêlées avec leurs habitudes invétérées, sans parler de ceux et celles qui y trouvent un boulevard pour leurs ambitions politiques. Cette idéologie là nourrit de nouvelles formes de croyances, quasiment religieuses,si le mot religion pouvait être défini de façon claire et univoque  Et c’est pourquoi il importe de se demander si cette nouvelle croyance en la « Nature », quasiment mythifiée et théifiée, n’est pas également une forme non moins nouvelle d’idolâtrie au nom de laquelle la dite Nature est considérée comme entité en soi, un être à part, qu’il faut aborder avec encore plus de précautions obsessionnelles que l’Arbre de la vie et de la mort, bouturé sur celui de la connaissance du bien et du mal, dans le jardin d’Eden. Car l’une des caractéristiques de la croyance idolâtre, serait elle «  laïcisée », est de se constituer en croyance autonome que nulle autre croyance ou pensée n’aurait précédée avec des préoccupations communes mais des issues différentes.

C’est le moment de rappeler que le récit biblique et plus particulièrement le livre de la Genèse, en ses premiers chapitres, comporte bel et bien une écologie fondamentale qu’il faut découvrir ou redécouvrir non pour affirmer l’on ne sait qu’elle priorité hégémonique mais pour attester que le mouvement écologique contemporain n’est pas sans précédent, loin s’en faut,  et qu’il y aurait bénéfice collectif à engager le dialogue à ce propos.Pour qui est familier avec le corpus biblique, bien des catastrophes récentes dont on dit qu’elles se sont « produites » ne sont à leurs yeux que des « re-productions », des itérations d’un courant ou d’une propension-pour ne pas dire d’une pulsion-« catastrophogène » dont il ont conservé la mémoire longue. C’est donc à la reconstitution de cette information que l’on qualifiera de « biblique » pour en souligner le support et l’esprit à quoi l’on s’attachera dans la présente étude. A chacun et chacune de la  rapporter ensuite, s’il ou si elle en a le désir, à propres vues «  écologiques » du moment. On s’attachera d’abord à la présentation des principales caractéristiques du site édénique, avant de montrer  comment s’y fomente et s’y produit la régression idolâtrique en question, ainsi que les enseignements qui en ont été tirés.

       I. VOCABLES, NORMES, CONCEPTS

Les investigations étymologiques sont à la fois nécessaires et hasardeuses. Il faut néanmoins s’en acquitter pour savoir a minima de quoi nous parlons et ce qui s’y dit, souvent à notre insu. Deux observations préliminaires s’imposent à ce propos.

D’abord le mot « écologie », dont on peut repérer l’émergence sinon la naissance en de nombreux lieux de la sémantique contemporaine [3], est construit sur deux vocable: « éco », qui désigne la gestion cohérente  d’un ensemble d’éléments dont aucun n’est minoré a priori, et bien sûr « logie » qu’il n’est plus besoin de commenter. De ce point de vue: il est deux façons de concevoir et donc d’user du mot ou du concept d’écologie, l’une pluridisciplinaire et conviviale, qui prenne place parmi d’autres facteurs d’organisation et de gestion des sociétés, l’autre maximale qui lui subordonne tous ces autres facteurs, au risque d’en faire une idéologie totalitaire. Dans le premier cas la contrainte écologique s’imposera à l’économie, au droit, à la culture et même à la religion ;  dans l’autre, elle leur  garantira un mode d’application aussi sécurisé que possible et une plus-value non seulement financière mais si l’on peut dire temporelle, de  longue durée. Il faut alors se résoudre à mettre au cœur de l’écologie deux priorités corrélatives: la préservation de la nature et la survie de l’humain, comme si ces priorités là n’habitaient pas, ou plus, les autres domaines de l’organisation des sociétés devenues de ce fait aveugles, prédatrices et auto-destructrices[4]. La difficulté commence à partir du moment où l’on s’attache à définir de manière plus précise ce que l’on entend par « nature », ou par « l’humain », le propre des notions dites « holiste »s étant de ne pas avoir de périmètre déterminé et reconnaissable, ce qui les expose finalement à l’auto-dissolution [5].Pour y parer, il faudrait concevoir une écologie par objectifs, la détermination de ceux-ci se faisant de manière démocratique, autrement dit, et là encore a minima, par délibérations sans fins préconçues et par votation à la majorité[6]. Car non seulement les concepts de « nature » et d’« humain » ne sont pas simples mais ils sont aussi profondément disjonctifs selon la croyance  ou la non-croyance philosophique ou  confessionnelle dans laquelle ils se réfractent et où ils s’assortissent très souvent de normes contraignantes.

Ensuite, l’on relèvera que l’équivalent du mot « nature » ne se trouve pas explicitement et directement dans le vocabulaire biblique  hébraïque. Le mot tévâ, utilisé en ce sens, attend un véritable historique. Il apparaît dans la sémantique post-biblique avec des connotations conjecturales, non validées. Ainsi de celles qui le relient au verbe TBÂ, s’enfoncer, couler (Ex,  15, 4), racine qui se retrouve dans le mot TaBÂ, le sceau, sans doute ainsi désigné parce qu’il s’enfonce dans l’argile ou dans la cire. Quoi qu’il en soit, le mot tévâ, devenu d’usage courant dans le vocabulaire de la pensée juive d’inspiration biblique, avant d’être intégré à l’ivrit contemporain, se pose  non exactement à l’opposé mais en face (négued) du mot rouah ’: l’esprit. Prononcer ce mot, c’est aussitôt désigner un état de choses qui justement ne saurait rester dans sa disposition première, qui en appelle à une  transformation, et à une  transformation spirituelle. C’est pourquoi, le mot hatévâ, comme le font observer les exégètes de la Thora, est de même valeur numérique que le mot Elohim  qui désigne Dieu, ou plus exactement une modalité de l’intervention divine dans sa propre création, dans sa béria. En ce domaine, le concept proprement générique est en effet celui de béria, de création ex nihilo, dont la nature, ne sera qu’un élément, qu’une modalité, ainsi qu’une longueur d’onde l’est au son.

Le récit de la Genèse commence par la relation de cette création et insiste sur son rythme initial dont les résonances écologiques sont manifestes: elle s’opère en deux «  périodes », l’une active, comportant six phases  opérationnelles (péoûlot), chacune voyant l’apparition d’un  élément distinct puis relié aux autres de l’univers, et au terme desquelles l’humain (haadam) est créé ;  et l’autre interruptive, analytique et réflexive. Ce séquençage s’impose au Créateur lui même (Boré) avant que d’être prescrit à l’humain, conçu et configuré à l’image de celui –ci. Ce qui signifie que toute action à venir, quel qu’en soit le champ, devra se concevoir selon cette articulation générique: production-réflexion afin de ne pas être emportée par son propre élan et se couper du reste  de la Création.Cependant articulation ne signifie pas séparation. Aussi, l’être humain: haadam, et l’élément qu’il devra travailler: la terre, adama, sont-ils  placés l’un par rapport à l’autre en position d’inhérence, au moins linguistique.L’homme, créé en corrélation avec le Créateur (Gn, 1, 26)  est issu de l’élément qu’il devra transformer  conformément à cette corrélation. Cette transformation implique un double viatique

 D’abord celui d’une bénédiction, elle aussi générique, pour dire que dès le commencement l’humain est doté d’une propension vitale qui lui permet d’assumer son programme initial: «  Dieu créa l’homme à son image, c’est à l’image de Dieu qu’il le créa (bara). Mâle et femelle furent créés à la fois.Dieu les bénit  en leur disant: «  Croissez et multipliez ! remplissez la terre et soumettez là, commandez aux poissons de la mer, aux oiseaux du ciel, et à tous les animaux qui se meuvent sur la terre »(Gn, 1, 27, 28)[7]. Le programme une fois défini, suit  l’indication des moyens, l’on dirait presque de la logistique nécessaire pour y parvenir: «   Dieu ajouta: «  Or je vous accorde tout herbage portant graine sur toute la face de la terre et tout arbre portant des  fruits qui deviendront arbre par le développement du germe, ils serviront à votre nourriture » (Gn,1, 29). Cette traduction, dite du  Rabbinat,  appelle deux remarques. En premier lieu l’on pourrait montrer dans le programme assigné à l’humain en quoi  elle ne rend pas compte exactement des verbes qui apparaissent dans le texte hébreu, en quoi elle les déporte, vollens nollens, du côté de la domination et du pouvoir. Et l’on doit ensuite insister sur le caractère particulier de l’alimentation prescrite à cette fin, une nourriture non carnée, provenant de sources  germinatives,  germes sur le développement quantitatif et qualitatif desquels ils faudra veiller[8].

L’autre élément du viatique  sera celui de la parole: «  L’Eternel-Dieu façonna (vayytser) l’homme – poussière détachée du sol-fit pénétrer dans ses narines un souffle de vie et l’homme devint un être vivant (Gn, 2, 7) ». A ce stade l’homme n’est plus crée – il l’a déjà été-: il est façonné, formé, configuré. Il faut mettre en regard  les indications littérales du texte hébraïque et sa paraphrase dans le Targoum d’Onkelos. Le verbe vayytser porte  l’accent sur  l’essence pulsionnelle (yetser) de l’humain ainsi configuré, avec ses deux pulsions, l’une patente et l’autre latente, l’une pulsion de vie et l’autre y résistant [9]. Il faut le souligner car si l’homme est assigné à travailler la Création, l’instrument, si l’on peut ainsi le qualifier, n’apparaît pas immédiatement, spontanément ni complètement accordé à cette tâche. Et c’est sans doute pourquoi  le Créateur le dote de ce souffle animé et animant qu’Onkelos rend par la formule «rouah’mélalela»,  « esprit de parole ». Pour l’exprimer dans une autre terminologie, l’humain ainsi créé et doté devient à la fois homo laborens, homos loquens et de ce fait homo sapiens, sans que la coordination entre ces trois dispositions ou facultés fût donnée par avance.

Une fois ce viatique constitué, l’humain est disposé sur ce que l’on appellera le théâtre des opérations: à savoir le Gan Eden (Gn, 2, 15). Que faut-il entendre par cette expression ?

     II. ASPECTS DE LA LEGISLATION EDENIQUE

En ce domaine l’imagerie biblique d’Epinal risque de provoquer une forte déperdition d’informations au regard du récit de la  Genèse dont la traduction  puis la compréhension relèvent de l’exercice infini. Quoi qu’il en soit, l’on dira que si le chapitre Ier de ce livre rend compte de la situation cosmique de l’humain, le chapitre 2-qui fait mention précisément du Gan Eden-en précise la situation proprement anthropologique: littéralement l’adresse.Cette fois l’humain est bel et bien situé dans un lieu,un topos, un makom, qui présente plusieurs caractéristiques.

Ce lieu apparaît à l’interface du monde céleste et du monde terrestre, conduisant de l’un à l’autre, et inversement [10].S’y trouvent toutes espèces d’arbres qui présentent eux mêmes deux autres caractéristiques, englobées dans les précédentes: ils sont beau à voir – ce qui signifie que l’esthétique est une qualité vitale du vivant, et ils sont propres à la consommation, ce qui signifie que le vivant doit avoir accès à une alimentation préservant sa viabilité. Enfin il est multiplement irrigué, ce qui est en fait un lieu ouvert sur une circulation  d’eaux et de minéraux. L’humain est disposé en ce lieu par le Créateur non pas comme une chose  passive et inerte mais avec une double fonction: (se) travailler (léôvdah) et (se) préserver(léchomrah) (en) ce lieu(Gn, 2, 15).Cette disposition typographique voudrait restituer la double signification du texte hébraïque à cet égard. On l’a souligné ailleurs [11], dans sa lecture littérale  le récit biblique ne dit pas que le Créateur disposa l’Humain en ce lieu pour qu’il le travaille et pour qu’il le préserve. Le texte hébreu est au féminin: afin qu’il la travaille et afin de la préserver. De nombreux commentaires tentent d’expliquer les raisons de cette syntaxe. Celle-ci se rapporte à la stéréophonie du récit en question qui nous donne à entendre simultanément que l’humain est assigné à ce lieu pour le travailler et pour le préserver-articulation sur laquelle on reviendra-mais qu’en travaillant ce lieu il devra ipso facto et travailler la terre qui s’y recueille et se travailler lui même puisqu’il en est tiré.Ce qui laisse entendre que sa propre création n’était pas achevée, qu’une partie lui en revenait, non pas qu’il  eût été créé imparfait mais parce qu’il l’a été ouvert sur une part au moins de création de soi.

 Et c’est sans doute également ce qui justifie la loi dont il est aussitôt doté, avec pour la première fois la formulation d’une  défense-terme  préférable à celui d’interdit. Pour en mieux comprendre le contenu et la portée, il importe de revenir sur les deux obligations inhérente à la situation édénique. On l’a dit, l’humain n’y est pas disposé tel une chose parmi les choses mais à la fois et indissociablement comme « oeuvrant » (ôved) et gardien (chomer). Que s’ensuit –il ? Le mot âvoda  désigne le travail et l’oeuvre en leur double dimension: l’oeuvre pratique, pragmatique, avec le souci de discerner le sens de l’oeuvre en cours au regard de ce qui, en l’humain, oblige au dépassement de soi. Et c’est pourquoi le mot âvoda  est également  utilisé pour désigner le Service divin. Autrement dit, comme l’oeuvre principale de Dieu jusqu’ici a été la création de l’univers et de l’humain, le travail en question ne peut concerner que la poursuite et le parachèvement de cette oeuvre créatrice, ce qui, d’ores et déjà, fait défense, tacitement à l’humain de toute action prédatrice, de toute oeuvre fallacieusement dénommée de ce nom là  dès lors qu’elle s’avèrerait destructrice, dé-créatrice.Cette première obligation est couplée à une autre obligation: celle de la (sauve) garde du Gan Eden.Aucune action ne renferme son sens  dans son déroulement factuel. Aucune ne se réduit à ses  effets immédiats. Chacune entraîne des conséquences qui la constituent en tant que telle et qu’il faut anticiper au moment même de son engagement[12]. D’où une première approche, sinon une première définition de la responsabilité dont on sait l’importance qu’elle a prise dans tous les débats sur l’écologie  et la bio-éthique contemporaines,débats dont le livre de Hans Jonas demeure l’un des plus notables repères [13].

 Il importe  de comprendre cette caractéristique là dans toute son amplitude et dans toute sa résonance.Selon le récit biblique, ainsi compris, dès le commencement  l’humain  doit être capable de penser et de faire deux choses à la fois: travailler, transformer, métamorphoser,s’il se doit et s’il le peut, certes, mais cela d’une part sans jamais se laisser emporter, enfermer, résorber, l’on dirait presque identifier dans cet acte singulier, et d’autre  part en intégrant par avance les conséquences prévisibles de son action dans la conception et dans la mise en oeuvre de celle –ci. Le début du chapitre 2 l’avait déjà éclairé qu’il faut citer intégralement pour bien discerner en  quoi la bi-norme dont il vient d’être question en est la conséquence: « Ainsi furent achevés les cieux et la terre ainsi que toutes leurs structures. Et Dieu (Elohim) acheva  par le jour «  le septième «  l’oeuvre qu’il avait faite. Et Dieu bénit le jour «  le septième » et il le sanctifia car en (par lui) lui il fait repos de toute son oeuvre qu’il avait créée pour (par) faire. Telles sont les générations des cieux et de la terre en ce qu’elles furent créées, le jour du faire (par) l’Eternel-Dieu terre et cieux »(Gn, 2, 1 à 4). La traduction de ce passage engendre des difficultés sémantiques et conceptuelles tellement inouïes qu’elle ne saurait  être considérée autrement qu’une proposition de travail, précisément. Sur quoi l’attention est elle attirée ? L’oeuvre divine ne se produit pas d’un coup, d’une seul tenant, en une séquence linaire, mais bel et bien en deux phases, l’une  opératoire, l’autre de repos réflexif et d’une telle importance qu’elle est considérée comme une phase en soi désignée à cette fin par l’article défini: ha. Le récit biblique ne dit pas que Dieu fit repos(chabbatisa) « le septième jour (yom chéviî) », suivant un décompte ordinal, mais « le jour le septième (yom hachéviî) ».Cette séquence bi-phasée conclue,et à propos de ce même jour en lequel se récapitulent les six précédents, interviennent alors les deux opérations suivantes:  l’une de valorisation qualitative, consistant en une bénédiction (bérakha), l’autre étant une sanctification (kédoucha). La bénédiction atteste de la créativité de cette oeuvre,ainsi conçue et conclue, et sa sanctification témoigne de son inhérence, de ce fait, avec le Créateur, une inhérence dont elle ne saurait déroger. A quoi il faut ajouter ce point décisif: dans ce processus  se discerne la loi de sa sauvegarde, laquelle comporte les données principales suivantes: a) effectuation de la Création en six phases, b) évaluation « chabbatique » réflexive,  c) vérification de l’adéquation de cette Création avec le principe de vie, d) élévation de celle –ci  au degré de la sainteté. Et c’est alors et alors seulement que deviennent possible les générations et les engendrements  (toldot) de cette Création, sa fécondité et que son Histoire s’engage.

Ainsi, relativement à la  disposition édénique de l’Humain, les indications selon lesquelles: «  L’Eternel-Dieu [14]acquit l’Humain et le disposa dans le Gan Eden afin qu’il le (se) travaille et qu’il le (se) sauvegarde) » (Gn, 2, 15), ces indications constituent elles la projection homologique des indications contenues dans la citation précédente: Dieu oblige l’humain par la même loi dont lui même s’oblige sachant l’Humain créé corrélativement au Créateur: créature créatrice. Cette loi là est structurellement une Alliance (Berith). Et c’est à ce titre que la loi se  prolonge et devient effective en  droit: «  Et l’Eternel Dieu fit commandement (vaytsav) sur l’humain  disant (lémor): «  De tous les arbres du Jardin (min col êts-hagan) tu te nourriras ; et de l’arbre de la connaissance bien et mal tu ne t’en nourriras pas car le jour où tu en mangeras tu mourras de mort » (Gn, 2, 16, 17). En cette disposition édénique et  relevant déjà d’une législation générique  l’humain voit cette loi se configurer pratiquement dans deux injonctions  spécifiques: une incitation initiale assortie d’une défense.Pourquoi évoquer une incitation ?  La formulation du commandement: «  de tout arbre du jardin tu t’en nourriras »  peut se lire selon deux modes grammaticaux: à l’indicatif et à l’impératif.L’alimentation de l’humain devra se faire universelle comme lui même, en tant qu’humain est universel. Mais il doit déjà percevoir dans ce commandement global l’un de ses modalités restrictives: il ne pourra consommer  que des « arbres-du-Jardin(êts-haGan), autrement dit des arbres qui procèdent des caractéristiques sus-mentionnées du Jardin, dont en quelque sorte eux-mêmes se nourrissent. Or un arbre particulier y fait exception et, en tant que tel, n’est pas justement pas considéré comme « arbre –du-jardin »: l’arbre qualifié de « la connaissance du bien et du mal », arbre «  toxique » dont la consommation provoquerait cela  qui est nommé pour la première fois mais dans une formulation redoublée: la mort, et la mort certaine (mot tamout). Au cours des siècles, la « nature » de cet arbre et par suite la « nature de la Nature » ont donné lieu à tant de conjectures et  tant de spéculations qu’il faut prendre garde à en pas en augmenter la masse et l’opacité.Que pourrait on encore en dire dans le seul  prolongement des analyses précédentes ?

D’abord cequi concerne également la condition humaine et la constitution de sa conscience ainsi que les modalités de fonctionnement de son esprit: de même qu’il doit concevoir son oeuvre en deux phases, l’une active et l’autre réflexive, il doit être capable de l’étayer par une bi-norme: l’une d’action, l’autre de sauvegarde qui à son tour se prolonge en deux dispositions juridiques-et juridiques parce que sanctionnées: une permission incitative, d’une part, assortie d’une exception en forme de défense d’autre part.

Ensuite  ce qui a trait à la nature de cet arbre singulier qui n’est pas a priori « arbre-du-jardin », qui y fait donc exception, sans que l’on sache clairement la cause et la raison d’être de celle –ci. Ce qui soulève alors l’énigmatique question du mal puisque l’arbre de la connaissance est qualifié exhaustivement « arbre de la connaissance bien et mal », comme si en lui le bien et le mal – le mal considéré comme l’antinomique de la création et,  à ce titre,  ne pouvant être ni béni ni sanctifié-coexistant avec le bien, en somme à parité avec lui, un mal brut, si l’on pouvait ainsi le qualifier, n’ayant encore subi aucune transformation et, de ce fait, mis à distance de  ce qui est immédiatement et globalement compatible avec la viabilité de l’être humain [15]. Il semble à ce moment que ce dispositif soit optimal et que l’histoire humaine, articulée  à celle des cieux et de la terre puisse commencer.

Et c’est l’inverse qui arriva.

III. DE LA TRANSGRESSION ORIGINELLE  A L’IDOLÂTRIE DE LA «  NATURE »

Pourquoi cela arriva t –il est moins aisé à résoudre  que le comment  d’un tel enchaînement. Pour le comment, il n’est d’autre voie que celle du récit biblique dans lequel intervient soudain une créature nommée nah’ach, terme traduit par « serpent »(Gn, 3, 1). Cependant le mot traduit ne rend pas compte expressément des significations du mot hébreu lequel est construit sur la racine H’Ch qui désigne la sensorialité, le toucher, sinon la sensualité. Il est donc possible d’engager une interprétation strictement mythologique-ou mythosophique-à ce propos. Une autre interprétation, concomitante, reste également possible  pour laquelle le passage à l’acte qui va suivre est induit par une activation irrépressible de la sensualité laquelle pour se faire jour et se donner cours  remanie et  sape la loi qui doit la réguler, cela par une reformulation des permissions et des défenses qu’elle contient: » Le serpent dit à la femme qu’il a incitée à manger du fruit de l’arbre toxique: « Non vous ne mourrez point mais  Dieu sait que du jour où vous en mangerez vos yeux seront dessilés et vous serez comme Dieu, connaissant le bien et le mal (Gn, 3, 4).L’incitation, pour ne pas dire la tentation opère par dé-légitimation de la loi en mettant en cause ses intentionnalités et ses finalités: la loi est vouée à préserver le Pouvoir exclusif de Dieu et à en interdire l’accès à l’Humain. Cette loi n’en est pas une – et l’on remarquera au passage que tel sera également la «  stratégie « adoptée par Caïn après  le meurtre d’Abel son frère (Gn, 4, 13). Elle n’en est que le simulacre. Cette  déconnexion ouvre alors l’angle de la sensorialité pure: «  La femme vit, que l’arbre était bon comme nourriture, qu’il était attrayant à la vue (taavah-hou) et précieux pour l’intelligence »(BR).La vue personnelle, sensoriellement déterminée, se substitue à la loi générique et par là même substitue son économie et son écologie, singulières et parcellaires,  à celle que cette loi étayait jusqu’à présent au regard de la Création tout entière. Le point focal demeure cependant l’attrait qu’exerce cet arbre là. Le qualificatif   « attrayant »est trop faible. La taava dont il est question ici  désigne plus précisément et plus fortement: la convoitise, autrement dit, pour le dire de  manière cursive, le désir de s’approprier l’objet de l’Autre et partant son propre désir. L’arbre se confond avec l’affect qui s’y projette. Il n’est pas objet de convoitise. Il « est-convoitise » (taava – hou)  Sans abuser de la psychanalyse, l’on dirait que si la femme, en l’occurrence, convoite cet arbre ce n’est pas parce qu’il est interdit en soi  mais parce que cet interdit le valorise, en fait celui dont l’Autre veut disposer pour soi seul, en en diminuant d’autant qui ne le possède pas à part égale. On soulignera en ce sens une particularité étonnante du vocabulaire biblique. En hébreu le même mot:OTH, différemment vocalisé, désigne mêmement la lettre, au sens graphique, et l‘appétit puis l’appétence (avath). Le mot convoitise taava s’obtient alors en préfixant le mot OTh par un Thav, soit la dernière lettre de l’alphabet, comme si la conclusion permutait impérativement avec le commencement dans l’abrogation de tout processus  élaboratif.

S’ensuit comme on l’a dit la levée de toutes les inhibitions inhérentes aux interdits, l’hyperesthésie de cette seule vision et donc le passage à l’acte: «  Elle prit de son fruit et en mangea » Dans sa formulation même ce premier moment du passage à l’acte consomme la transgression, terme à terme, de l’interdit formulé plus haut:

                                                « Vous n’en mangerez pas »

                                                «  Elle en mangea »,

 puis, dans l’enchaînement des gestes qui apparaît,  là encore,  comme l’exact opposé de la supputation intellectuelle et morale de l’action en cours et de ses conséquences, l’élévation de la transgression  au carré, si l’on peut ainsi s’exprimer: «  Elle en donna aussi à son mari,  et il mangea ». L’emprise, au sens psychanalytique et au sens juridique, l’emporte sur le comportement autorisé, sur la conduite validée au regard de l’économie et de l’écologie exhaustives de la Création [16]. Toutefois, il y aura bien une conséquence mais ce ne sera pas celle prévue: «  Leurs yeux à tous deux se dessillèrent et ils connurent qu’ils étaient nus: ils cousirent ensemble des feuilles de figuier et s’en firent des pagnes. Ils entendirent la voix de l’Eternel Dieu parcourant le jardin du côté d’où vient le jour » (Gn, 3, 7, 8). Le passage à l’acte et la conduit d’emprise se sont produits  pour ainsi dire dans une sorte d’ébriété, d’ivresse des sens surexcités. Une ivresse sans autre objet qu’imaginaire et sans autre saisie que celle du vent parce que cette transgression a été induite  par la vision unilatérale de l’arbre interdit dont seul le bon côté a été perçu et le mauvais scotomisé. Or une fois les sens dessaoulés, après  dissipation de ce « bon côté » imaginaire, seul le mauvais  demeure qui devient le réel impitoyable et persécuteur, à son tour sur-perçu. D’où la mention de cette voix divine-pour ne pas dire du surmoi-qui s’en vient(mithalekh), qui se perçoit du côté la clarté, autrement dit du  côté d’un retour de la loi  et d’un réveil de la conscience,  d’une conscience qui ne peut être que celle de ce réel là: désastreux, ruiné sans que ce désastre ne consomme à son tour un anéantissement total.

La suit du récit biblique relate comment le Créateur procède au rétablissement de l’humain et à sa reconstruction: par la mise à distance hors du jardin d’Eden et par l’injonction de taches  impliquant un apprentissage de l’élaboration (culture du sol, enfantement, certes, mais par gestation longue, etc) (Gn, 3, 14 et sq). Pour aussi complète que se veuille cette réparation, il semble que le pli soit pris d’un rapport direct, sans médiation, au seul vu des objets concernés et selon l’unique point de vue de qui les convoite, avec ce qu’il est convenu d’appeler la nature. C’est par ce biais qu’apparaît à proprement parler la conduite idolâtre nommé en hébreu âvoda zara:  «travail ou service étranger», erratique, déconnecté de sa source et de ses buts effectifs. A commencer par l’idolâtrie de soi, comme le Créateur l’avait perçu: «  L’Eternel – Dieu dit: «  Voici l’homme devenu comme l’un de nous en ce qu’il connaît le bien et le mal. Et maintenant il pourrait étendre sa main et cueillir aussi du fruit de l’arbre de vie ; il en mangerait et vivrait  à jamais (h’ay léôlam)» (Gn, 3, 22). Il faut souligner que cette observation à lieu après qu’ont été indiquées, avec la  sanction des   protagonistes de la transgression originelle, les modalités de sa réparation.Pour indiquer que cette transgression générique, quelle qu’ait pu être la mansuétude du Créateur, a provoqué une sorte de métamorphose ou de mutation de l’humain, définitivement sorti de sa nature initiale, devenu une quasi ou une simili divinité. Et c’est sans doute la motivation principale de sa mise hors du Jardin d’Eden dont il n’a pas observé si l’on peut dire la Constitution, au sens juridique de ce terme: travailler et préserver ce makom. Le passage à l’acte sur l’arbre interdit était justement tout le contraire du travail requis, de même qu’il méconnaissait gravement l’obligation de sauvegarde qui lui était connexe. Par les procédures de réparation et de rétablissement exposées auparavant, il faut comprendre que désormais « l’humain nouveau »  est astreint à une double tache dont l’on ne sait pas s’il pourra y satisfaire: travailler la terre  dont il a été tiré initialement, et travailler ce qui en lui a produit la défection que l’on sait à propos de cette tâche, sachant aussi que désormais la structure de l’Alliance première – celle  qui procède de la Création de l’humain corrélativement (betsélem) au Créateur – est  pour ainsi dire déformée, que l’Humain est désormais enclin à s’affubler de son propre tsélem, autrement dit de ne pas considérer qu’il a été créé « à l’image de Dieu », pour reprendre cette formulation là, mais que Dieu a été créé à la sienne.

 Ce qui semble se vérifier aussitôt avec le premier engendrement du fait de l’Homme nouveau: «  Or l’homme s’était uni à sa Eve, sa femme. Elle conçut et engendra et enfanta Caïn  en disant: « J’ai fait naître un homme conjointement avec l’Eternel (kaniti ich eth YHVH) » (Gn, 4, 1). Proclamation à double entente: soit qu’Eve reconnaisse qu’elle n’est pas la donatrice exclusive de la vie, que Dieu y intervient, comme il se doit,  dans la modalité élective de la Création telle qu’elle se poursuit, on l’a vu, par les engendrements d’abord des cieux et de la terre, puis des humains; soit à l’opposé qu’elle se déclare en effet à parité avec Dieu dans cette naissance, ce qui du point de vue de l’économie biblique de la Création la décentre en  la forçant à s’orbiter vers la Génitrix et elle seule puisque, on le constate, l’humain en sa modalité paternelle  n’est même pas mentionné dans la naissance de Caïn.

Les engendrements ainsi engagés vont s’avérer catastrophiques. Caïn, qui n’est même pas un fils doté d’un nom, qui est un produit de cet accouplement imaginaire,  sera le  premier meurtrier, celui de son propre frère, et cela parce que toute idée de partage lui est inconcevable: que la Création globale est à l’image de l’engendrement dont lui même procède.

 Pourtant, là encore, après cette catastrophe plus qu’écologique-au moins sur un plan métaphorique, un quart au moins de l’humanité existante est anéantie-une réparation s’engage et même aboutit, une réparation véridique puisque les manques, les carences et les fantasmes de l’engendrement initial y sont palliés: «  Adam connut de nouveau sa femme, elle enfanta un fils et lui donna pour nom  Seth: «  Parce que Dieu m’a accordé une nouvelle postérité au lieu d’Abel, Caïn l’ayant tué » (Gn, 4, 25). Cette fois, l’enfant né est bien celui du couple humain et non pas celui du couple imaginaire divin. Dieu, si l’on peut dire, est remis à sa place vraie. Seth est à présent expressément qualifié de fils (ben), il a un nom (chem) et ce nom (Chet – qui  nomme à présent le retentissement, la réflexion, la secondarité)  se rapporte expressis verbis au BeréChit inaugural et programmatique.

Il n’empêche que le réalisme du récit biblique fût impressionnant: la propension primaire reste toujours présente et prégnante, à mille lieues d’avoir été liquidée: «A Seth aussi, il naquit un fils; il lui donna pour nom Enos. Alors on commença d’invoquer (ouh’al) le nom  de l’Eternel » (Gn, 4, 26). Le Midrach  l’entend comme le début de la propagation  de l’idolâtrie, telle qu’elle a été précédemment définie. En effet ouh’al ne signifie pas exclusivement « invoqué » mais peut être entendu comme profané (h’iloul), le contraire de la sanctification. Profaner signifie mettre à portée discrétionnaire de soi, ce qui n’est possible que par des représentations disposées à regard- touchant, des  matérialisation à portée  de main qu’il faudra conjurer toutefois par le tabou.

Pour le Midrach cette nouvelle régression allait en provoquer une autre, d’une  ampleur corrélative, aboutissant à des matérialisations à des représentations partielles et purement projectives de la divinité, résorbées  dans tel ou tel élément de la nature en fonction de tel ou tel affect, de peur ou de jouissance – ou des deux – qui s’y investit. Ce qui mène à une véritable «  privatisation » de l’idée divine et une appropriation anarchique de ce qu’elle est censée symboliser avec des répercussions immédiates sur la Création envisagée comme éco-système non seulement terrestre, au sens local, mais véritablement cosmique. L’emprise y redevient la règle et l’arbitraire la loi du plus fort. Le récit biblique en rend compte  selon ce processus dont toutes les phases s’enchaînent inexorablement vers une catastrophe quasiment finale. Cela commence par un déséquilibre, par une déstabilisation démographique, désastreuses pour les conduites en cours: « Or quand les hommes   eurent commencé à se multiplier sur la terre et que des filles leur naquirent, les fils de la race divine trouvèrent que les filles de l’homme étaient belles et ils choisirent pour femmes toutes celles qui leur convinrent » (Gn, 6, 1 et sq). Au delà de cette sélection par la loi du plus fort et de l’arbitraire sexuel, frappent en l’occurrence les éléments de stricte répétition du premier passage à l’acte tel qu’il s’était produit dans le jardin d’Eden: induction de la pulsion par le regard, passage à l’acte prédateur  puis transformation des êtres convoités en objets de pure consommation. Il s’ensuit une formidable et irrésistible rétrogression de l’humain, sa dé-spiritualisation et, en conséquence, l’accourcissement de sa durée de vie limitée désormais  si l’on peut dire à 120 ans, durée jugée suffisante au regard de sa nuisance maximale. La naissance des surhommes (haguiborim) ne suffit plus à masquer la rétro-morphose dont ils procèdent, comme si leur gigantisme ou que leur hyper-puissance n’avaient pour but que de conjurer leur proche et inéluctable disparition. Une disparition qui se manifestera par ce Déluge, en hébreu ce « maboul », dont tout le genre   humain semble avoir conservé la mémoire planétaire, comme en témoignent ses vestiges reconnaissables sur tous les continents.

Un seul homme en réchappa: Noé avec un petit échantillon du vivant.

III. L’ECOLOGIE POST-DILUVIENNE

A la lettre la catastrophe du  Déluge, telle qu’elle est mémorisée par la Bible et par la tradition midrachique, ne fut pas seulement une catastrophe météorologique mais une catastrophe écologique.Si tout le système du vivant d’alors s’est littéralement liquéfié ce n’est pas que le Cosmos en général et la terre en particulier aient déjugé les intentions du Créateur. Devenues prédominantes, les conduites humaines, prédatrices et a-normiques[17],  avaient compromis la viabilité entière de la Création. Ces conduites là s’identifient à partir de ce qu’il est convenu d’appeler les sept lois de Noé, celles qui vont constituer l’Alliance qu’il passera de nouveau avec le Créateur au sortir de l’Arche alors que face au vide total de la terre il eût pu s’en déclarer le Maître exclusif: reconnaître  l’existence du Créateur, ne pas profaner son nom, ne pas tuer, ne pas voler, ne pas commettre l’inceste, refuser l’idolâtrie, ne pas prélever le membre d’un organisme vivant,  ne pas se faire justice à soi même mais confier tout différent à un arbitre ou à un tribunal.L’on peut induire du contenu de ces lois la nature des transgressions qui les ont rendues  nécessaires et comprendre en quoi elles rétablissent l’Alliance par laquelle le Créateur s’est associé l’humain pour parachever l’oeuvre de la Création. Ainsi est instaurée une véritable écologie post-diluvienne, étayée par un état de droit, là encore avant la lettre, dont il faut comprendre les particularités.

L’on peut estimer que celles de ces lois qui concernent Dieu relèvent de la pure  et simple théologie, sauf qu’elles ont pris précisément forme et force de lois et que le Dieu en cause n’est ni un concept ni une vague entité mais comme on l’a dit  le Créateur,  engagé dans et par la poursuite d’une oeuvre qui soit oeuvre de vie. C’est de lui que procèdent les autre lois que l’on pourrait qualifier de sociales ou de juridictionnelles. Cependant celle qui concerne l’interdit de prélever le membre d’un animal vivant appelle d’autres observations et des commentaires spécifiques puisqu’en l’occurrence les lois qui constituent l’Alliance noachide instaurent une véritable écologie de l’esprit qui complémente les dispositions concernant l’écologie naturelle.

Cet interdit se dit en hébreu: «  éver min h’ah’ay » soit:  « un membre à partir du vivant ». Il peut se comprendre tout d’abord dans sa finalité première: l’interdit de  découper sur un animal encore vivant l’un de ses membres, de  le mutiler à des fins alimentaires, utilitaires ou ludiques  et de l’abandonner en l’état.Cet  interdit se rapporte à son tour à d’autres régulations qui prennent leur  sens au regard des pratiques contraires qui prévalaient dans l’humanité pré-diluvienne et qui l’ont conduit à cette catastrophe planétaire, notamment deux d’entre elles: l’avortement dissociant méthodiquement sexualité et procréation, et la consommation du sang pour lui même. La première motive l’interdit énoncé en ces termes dont il faut saisir la syntaxe: «  Celui qui verse le sang de l’humain dans l’homme (chophekh dam hahadam baadam) son sang sera versé (Gn, 9, 6) ». Il ne s’agit pas ici de la sanction pénale – au regard de leurs conséquences-des crimes de cette sorte (sanction dont il va de soi, nous l’avons vu, qu’elle ne peut être prononcée le cas échéant que par un tribunal). Il s’agit aussi des conséquences  systémiques de ces pratiques et des clivages dans l’être humain  qui les autorisent. La forme verbale utilisée dans ce verset (son sang sera versé) peut s’entendre à  la fois sur le mode de l’injonction légale mais aussi sur celui de la conséquence factuelle inévitable. La seconde dispose alors:  «  toutefois aucune créature, tant que son sang maintient sa vie vous n’en mangerez ». L’être humain post – diluvien peut désormais se nourrir de tout ce qui vit avec, une nouvelle fois, cette exception-là, à entendre comme la défense  de porter atteinte et d’exténuer les sources mêmes de son alimentation et sa relation avec le vivant. D’où, entre autres, les règles relatives à l’abattage des animaux pour en éviter le massacre et la consommation quasi-cannibale.

Cette loi, qui est destinée également à réguler en l’être humain sa disposition à la akhzarout, à la cruauté gratuite et  sadiquement exercée, s’applique également aux opérations de l’esprit dans son fonctionnement immédiatement discursif mais aussi, puisque ici la relation est d’évidence, dans la relation avec le divin. Dans le fonctionnement discursif de l’esprit – souvenons nous que l’être humain est un être parlant et qui fait parler (rouah’mélallela) – elle incite à ne pas isoler dans la discussion et dans le débat une citation hors de son contexte, à ne pas dissocier un argument de  l’argumentation qui lui donne son sens et sa portée véritables.Partant, et cela à destination des tribunaux, dont on a vu que leur  création et leur installation était, une fois de plus avant la lettre, d’ordre public, il importe de ne pas isoler et hyperboliser une disposition juridique au regard des autres à seule fin de juger à charge ou à décharge. Dans la terminologie hébraïque l’on relèvera que le même mot, conjoignant les aires rhétorique et sociale, désigne  respectivement l’individu et le cas (perat), la collectivité et la règle (kélal)[18]. De sorte qu’une réconciliation des parties opposées dans un procès ne devienne pas inconcevable ni l’application du droit la poursuite de la guerre civile par d’autres moyens.C’est dans la cadre de cette écologie de l’esprit qu’il faut ensuite comprendre la dite règle au regard du rétablissement des bénédictions par Noé, précisément pour reconnaître l’existence du Créateur mais aussi pour prémunir l’humanité post-diluvienne contre les rémanences de l’idolâtrie et les récidives de sa morbidité.

Qu’est ce qu’une bénédiction, une bérakha ? Certes un acte de religiosité.Quel en est l’intentionnalité et la finalité ? Reconnaître  par exemple que  tout ce qui est consommable n’est pas le seul fait de l’homme, ou d’une force autonome que l’on fût porter  à déifier – comme la terre ou les fleuves ou le tonnerre le sont dans maintes croyance mais, également du fait que la vie résulte d’une création (béria) et qu’elle se rapporte à un Créateur lequel a indiqué  à l’humain comment développer et parachever cette oeuvre dont il fait partie. Dans ce cadre là prononcer une bénédiction ne s’assimile pas à un acte  rituel relevant de la psychopathologie des obsessions. Au contraire, tandis que  dans les réitérations obsessionnelles un geste se referme sur lui même  et devient sa propre cause tautologique, la bénédiction  ouvre le sens de ce geste et le rapporte, degré par degré, à l’ensemble du vivant. L’explicitation proprement talmudique des bénédictions l’éclaire mieux encore. La Michna dispose à cet effet: «  Celui qui voit un endroit où des miracles se sont  accomplis pour Israël doit dire: «  Soit loué celui qui a opéré des miracles pour nos ancêtres en ce lieu »(Bérakhot, IX, 1). Le prononcé  de la dite bénédiction ne fait pas du miracle  un événement  en soi, sans cause et sans relation à rien d’autre, mais un événement causé, localisé, et se rapportant à une histoire collective. Corrélativement, et dans la même michna: «   En voyant l’endroit d’où ont été arrachées des idoles l’on dit: «  Soit loué celui qui a éradiqué les idoles de notre pays ». La Guémara explicite le sens de cette bénédiction dans les termes suivants qui éclairent son intentionnalité véritable, laquelle ne se réduit pas à la seule éradication matérielle: «  En voyant la place où il n’y en a plus, on dit: «  Béni  soit celui qui a arraché l’idolâtrie de cet endroit ; qu’il te plaise Eternel notre Dieu et Dieu de nos ancêtres, de même que tu a arraché l’idolâtrie de cet endroit, de l’arracher de partout, de faire tourner vers toi les cœurs de ceux qui adorent de faux dieux », cette adoration ayant les conséquences que l’on sait et dont témoignent justement une histoire expérientielle, non amnésique et itérative, celle qui se rapporte aux attestations généalogiques des ancêtres, des Pères et Mères.

Le prononcé de bénédictions spécifiques est également de portée analytique. Il rapporte cette fois  les manifestations de la nature non seulement aux lois physiques qui les provoquent mais aussi aux interrogations éthiques, à l’analyse des comportements que ces manifestations permettent d’évoquer: «  Elie d’heureuse mémoire  demandait à Rabbi Néhoray (Lucius): » Pourquoi les tremblement de terre se produisent –ils ? »-et l’on notera que ces manifestations de la nature ne provoquent pas sidération immédiate de l’esprit et prosternation du corps devant une Force vite déifiée mais bien un questionnement, un pourquoi ?-«  A cause du péché répondit –il ».Ce premier élément de réponse, justement isolé de son développement, à l’encontre de l’interdit  « ever min hah’ay », laisserait penser qu’en dépit de l’affirmation précédente sur l’usage du pourquoi ? il s’agit bien de faire entrer dans les esprits la peur superstitieuse du péché et de la divinité punitive.Le  propos de rabbi Néhoray  se  déploie sur un tout autre plan: «  C’est, dit –il, que l’on omet parfois de ne pas prélever sur les produits de la terre les oblations et les dîmes. Or un verset dit: «  Les yeux de l’Eternel sont sans cesse fixés sur elle en bien (Dt, XI, 12) et ailleurs il est dit: «  Il contemple la terre et elle tremble ; il touche les montagnes et elles fument de terreur  (Ps CIV, 32. Comment ces deux versets peuvent –ils être d’accord ? De la manière suivante: lorsqu’Israël accomplit la volonté de Dieu et qu’il prélève la dîme qu’il doit aux prêtres, aux lévites et aux pauvres, Dieu jette un regard favorable sur la terre et elle ne court aucun danger mais au cas contraire le regard divin la fait trembler ». Et la discussion de se poursuivre, une discussion qu’il est possible à notre tour de prolonger au delà des considérations conclusives suivantes. Les dîmes et les oblations ne sont pas vouées aux prébendes du clergé qui en laisseront les miettes aux pauvres, prorogés dans leur pauvreté. Elles relèvent d’un système général, structuré et cohérent, que l’on a nommé ailleurs l’économie chabbatique[19], régulant l’aire de l’économie humaine de sorte justement qu’elle ne dégénère pas en système d’exploitation des êtres  humains et de destruction des ressources  qui les font vivre – d’où, entre autres, la régulation des temporalités de production et de consommation par les cycles corrélés– hebdomadaire, septennaux et jubilaires – du chabbat qui concerne Israël, certes mais aussi l’Etranger ;  les humains, certes,  mais aussi les animaux – dont on rappellera encore qu’un échantillon fut sauvé par Noé dans la même arche que le biotope humain. C’est pourquoi dans la prière de l’après midi du chabbat est rappelé ce verset des  Psaumes qui souligne la solidarité de tout le règne du vivant au regard du Créateur: «  L’humain et l’animal Tu les sauves,  Eternel ».  Ecologie divine, éthique et sociale à la fois, sans angle mort mais aussi sans volonté de puissance ; éthique aussitôt mise à l’épreuve par l’humanité post-diluvienne mais pré-babélique se dirigeant à nouveau vers une faille.

Il n’est pas de vie sans endurance de la conscience.


[1] Selon le titre du colloque où s’inscrit la présente contribution: «  Un monde en trans »

[2] Cf. Douglas G. North (et alii), Violences et ordres sociaux, Gallimard, 2009

[3] Cf. Bertrand de Jouvenel, Arcadie. Essais sur le mieux vivre, SEDEIS, 1969.

[4] Jean Dorst, Avant que nature ne meurt, Delachaux et Niestlé, 2012.

[5] Cf. Monique Atlan et Roger-Pol Droit,  Humain, Flammarion, 2012.

[6] Cf. Charles Girard et Alice le Goff, La Démocratie délibérative, Hermann, 2010.

[7]  Bible du Rabbinat

[8] Comparer avec l’alimentation prescrite après le Déluge, p.

[9] Cf. Raphael Draï, Totem et Thora. L’énigme de l’arbre de la connaissance du bien et du mal,  Hermann, 2011.

[10] Mélila Hellner – Esched, Vénahar yotsé méêden, Âm ôved, 2005.

[11] Raphaël Draï, Abraham ou la recréation du monde, Fayard, 2007.

[12] Cf. Joel Feinberg and Russ Shafer Landau (Dir), Reason and Responsability, Wadworth, 2002.

[13] Le principe responsabilité, Flammarion-Champs, 2008.

[14] La mention de « l’Eternel – Dieu », qui conjoint en cette dénomination le Tétragramme à « Elohim », ne résulte pas d’une «  motion de synthèse » entre « yahvistes »  et « élohistes » dans la rédaction de la Genèse mais de l’association des attributs de justice (din) et de compassion (rah’amim) dans l’oeuvre divine.Ces deux attributs sont rappelés tout particulièrement dans les liturgies de Roch Hachana, de l’année nouvelle en laquelle se commémore la création de l’univers.

[15] Cf. Selon l’auteur du Chaârei Gan Eden le mal doit être considéré comme le résidu et le vestige d’une création antérieure, ratée, dont la Création actuelle est le remède, le tikkoun. Dans la Création actuelle  le tohou vavohou, mentionné dès  le commencement du livre de la Genèse représenterait  le reste rémanent de cette création antérieure, non aboutie.

[16] Cf. John Dewey, Human nature and Conduct, Cosimo Classic, 2007.

[17] L’a-normie se distingue de l’anomie, étudiée par Durkheim, en ce qu’elle vise intentionnellement la négation de toute loi qui ferait obstacle à la « loi » du désir et à la volonté parfois aveugle qui lui donne cours.

[18] Cf. Jacky Milewski, Ethique, Droit et Judaisme. Les treize règle d’interprétartion du récit biblique, Editions Lichma, 2010

[19] Cf. Raphaël Draï, L’économie chbbatique, Fayard, 1998.

Bloc-Notes 20 au 24 Juillet 2013

In BLOC NOTES on juillet 25, 2013 at 8:50

24 juillet.

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La ville de Trappes  est toujours secouée par la nuit d’émeutes qui a suivi le contrôle d’une femme musulmane circulant dans l’espace public complètement voilée, en transgression de la loi qui interdit que l’on se masque le visage. Le ministre de l’Intérieur, Manuel Vals, s’est rendu sur les lieux pour constater les dégâts et pour souligner avec fermeté la nécessité d’obéïr à la loi républicaine. Ce qui lui a valu d’être accroché et fortement houspillé par une habitante de cette cité « sensible », musulmane elle aussi, qui lui rappelait autant ses devoirs que le ministre la rappelait aux siens. Naturellement, le spectacle a été retransmis par les télévisions, ce qui procurait plus qu’un malaise. Car l’on ne sait plus bien ce qui s’exprime dans ces sortes d’algarades au cours desquelles l’arrogance des maîtres réels des lieux – ces territoires perdus de la république, ou en passe de l’être – l’emporte sur la liberté d’expression du citoyen. Qu’apprenons nous au cours de ces débats?  D’abord qu’il faut éviter tout amalgame entre musulmans et islamistes. Qui y concoure? L’extrême droite, comme on la qualifie malgré ses protestations de républicanisme? Ou bien les fanatiques de la mouvance dite « salafiste » qui s’identifient à l’Islam en soi, pur et dur, celui dont il n’est pas sûr que même Mahomet l’eût reconnu? Les territoires, physiques et humains, qu’ils réussissent à contrôler ne sont pas seulement des caïdats classiques, des espaces maffieux. Ils sont intégrés, délimités et gérés par eux comme des pans entiers du Dar el Islam régis désormais par la  seule chariâ, telle qu’ils la conçoivent. A vouloir l’ignorer, je ne sais si l’on fait le jeu de l’extrême droite. Il se pourrait que l’on fasse pire encore. Comme lors du déraillement mortel du train à Brétigny. Entre la sourdine officielle  et les départs de rumeurs incendiaires  sur le Net,  il devient impossible, au strict plan de l’information, de se faire une idée exacte des causes, de l’ampleur véritable et des conséquences  de la catastrophe. Accident ou sabotage? Le saura t-on jamais? L’on veut espérer que les bruits et les rumeurs concernant le « dépouillement » des cadavres ne sont pas fondés. Autrement, ce serait le signe que la sauvagerie la plus sauvage couve dans la France souterraine. Se taire serait  visser le couvercle sur la marmite explosive. Gardons nous  de confondre les époques historiques et politiques mais il faut se souvenir qu’avant même la prise de la Bastille la révolution à venir s’était annoncée par le massacre à Paris du bonasse et bienfaiteur Mr. Réveillon. Au passage,  drôle de nom pour un … présage.

23 juillet.

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Londres.  Le Royal Baby est né. Remake à la manière anglaise de la naissance du divin enfant. Les caméras du monde  entier ont été braqués durant des jours sur le St Mary’s Hospital. Enfin la nouvelle de la délivrance est arrivée, aussitôt suivie de scènes incroyables de liesse. On pourrait trouver déplacée cette crue mondiale  de « peopolisme ». Surtout qu’à la sortie de la maternité la princesse Kate et le prince William, qui ne sont pas au « pound » prés, sont apparus en public vêtus comme des cadres supérieurs sortant de l’apéro. Le peuple britannique, lui, s’y retrouve. Comme s’y retrouvera le peuple belge doté d’un nouveau souverain. On se souvient que la Belgique était restée plus d’un an sans gouvernement et qu’elle n’en est pas morte. Précisément parce que le Roi était là. Il ne s’agit pas de faire  l’apologie du régime monarchique et de vouloir revenir avant 1789. Il faut juste comprendre, dans le marasme moral et intellectuel où se trouve la République Française, comment d’autres sociétés préservent leur sens de la généalogie, leur culture à la fois politique et religieuse, et leurs traditions. Pour employer une image parlante, la tradition pour une  société peut se comparer à la marche arrière dans une voiture. Elle permet de la manoeuvrer. Rétrograder n’est pas régresser. Sans cette possibilité, l’on est forcé de rouler sans cesse  en avant. Et pour se  rassurer, on aura beau crier par la fenêtre le mot « Progrès ». Le vent en émiettera les lettres.

20 juillet.

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Bonne pioche sur le câble. Par hasard tombé sur le film de Renato Castellani: « Deux sous d’espoir ». Un joyau du cinéma italien, néo-réaliste et fortement populaire, dans le meilleur sens du mot,  du début des années 50. Des personnages qui ne font qu’un avec leur patelin et qui participent moins de la Commedia del Arte que de l’Arte della Commedia.. Quels acteurs dont tout le corps, de l’orteil dénudé aux cheveux dépeignés, s’agite, joue, parle, dans ce dialecte méridional où les mots se bousculent dans les bouches, au point de transiter par les mains, des mots pourtant adaptés à une pensée de prime expression, sans recul et sans calcul.. La scène de l’inauguration – ratée – du bus coopératif et celle  de la course – poursuite pour transférer la même bobine de film dans trois cinémas successifs sont des morceaux d’anthologie. Au dessus de Paris l’orage noir grondait avant que la pluie rageuse ne fouette les fenêtres. Peu importe: j’avais les yeux rivé sur ces pays calciné, de craie et de charbon, de « disoccupati », de chômeurs et de générosité, de misère et de joie. Retenu la dernière réplique du film «  Dieu n’est pas pauvre. Sinon pourquoi nous a t-il fait! »

Les Topiques Draïennes – Par Michaël de Saint-Cheron (lettre du Crif – Juillet 2013)

In ARTICLES on juillet 23, 2013 at 11:02

http://www.crif.org/fr/tribune/topiques-draïennes/38273

LE MAL ANTI-JUIF ET L’AVENIR DES DEMOCRATIES (Vigilance Infos . revue du BNVCA , juillet 2013)

In ARTICLES, ETUDES ET REFLEXIONS, SCIENCE POLITIQUE ET DROIT on juillet 19, 2013 at 12:39

I. DE L’ANTISEMITISME  EN GENERAL  AU MAL  ANTI-JUIF  EN PARTICULIER.

L’intitulé de cette contribution à une analyse du phénomène anti-sémite en indique d’ores et déjà l’orientation et les domaines d’investigation.Il y sera question précisément non pas de l’antisémitisme, comme il est convenu de le nommer, en général, mais bien spécifiquement du mal antijuif. Pourquoi cette distinction?

Depuis quelque décennies,le terme antisémite a été subrepticement mais méthodiquement détaché de sa signification première pour désigner soit une forme générale de racisme, soit l’une de ses formes  particulière qui viserait  également les arabo- musulmans. Une telle extension de sens, au motif que les arabo- musulmans  sont, ethnologiquement, des sémites,risque de diluer ce que ce terme signifiait initialement, au détriment, simultanément, du racisme, de l’antisémitisme et de ce à quoi se rapporte le mal anti-juif. Aussi est –il préférable de rapporter expressément cette pathologie, et l’on verra que c’en est une, caractérisée  et préoccupante,  aux  caractères et aux comportements expressément anti –juifs,en  qu’ils  visent à porter préjudice et parfois à détruire les Juifs pour ce qu’ils sont  ou pour ce que l’on imagine qu’ils soient. Un pareil phénomène relève alors de la psychopathologie la plus clinique – celle –ci révèlerait elle ses limites actuelles sur un tel sujet – à la fois par sa résistance à toute argumentation rationnelle mais aussi à cause de sa propre destructivité et finalement de son auto- destructivité.Car il est deux formes principales de cette pathologie dans laquelle le délire  est le plus proche du passage à l’acte : une forme brute, brutale, « béhémotique », et une forme plus insinuante, plus subtile qui affecte les esprits que l’on croirait les plus étrangers à ces miasmes. On en prendra un seul exemple, chez l’un des plus grands poètes français :  Victor Hugo [1]. Nous disons bien Victor Hugo et non pas Déroulède. Dans un des poèmes insérés dans Les quatre vents de l’esprit, destinés comme il se doit à l’édification du genre humain et à porter la lumière dans les consciences,  l’on tombe sur ces vers :

                                «  Saoulez vous dans un bouge à la lumière des suifs

                                  Zénith : «  Je regarde voler les aigles ».

                                  Nadir : » Moi les Juifs ».

On aura remarqué dans ces deux vers la souillure du langage produite, d’une part, par la rime juif- suif – en argot le suif désigne l’argent – et, d’autre part, par l’amphibologie du verbe voler accolée à ce même mot :Juif.

Il ne s’agit pas là chez Victor Hugo d’un exemple isolé, d’une accident de langage et de pensée. A tel point que les promoteurs de l’Edition dite chronologique, de l’Edition «  Massin », croient devoir ne pas passer en outre, dans une note honnête, sur ce qu’ils appellent «  l’antisémitisme de la maturité hugolienne ». En vérité l’on pourrait montrer que cet antisémitisme hugolien est identifiable dès ses oeuvres et sa correspondance de jeunesse.

A l’évidence, il ne s’agit pas non plus de déclarer que Victor Hugo était viscéralement anti- juif mais seulement de souligner que ce mal là, pour sûr, n’épargne pas les esprits les mieux disposés en faveur de la liberté, de la justice et de l’amour des créatures. La dimension anti –juive est l’une de celles qui pourfile l’identité religieuse et culturelle humaine depuis que le peuple juif existe en tant que tel et refuse de se fondre dans les autres cultes, les autres civilisations, les autres cultures pour des raisons qui lui sont propres mais aussi pour ce qu’il croit comprendre et discerner dans ces autres formes d’existence dans lesquelles il est incité parfois par violence crue à se convertir .

Pour conclure ces remarques à la fois introductives et de bonne méthode, l’on a constaté que cet intitulé met en regard le mal anti- juif et l’avenir des démocraties. Ce qui appelle la précision suivante : si le mal anti- juif existait à part soi, ce serait déjà une raison suffisante pour le combattre. Pourtant il n’existe pas isolément mais se manifeste comme le symptôme  morbide des sociétés et des groupements humains décérébrés qui en tolèrent l’incubation puis les épidémies dévastatrices. C’est pourquoi il est indispensable en premier lieu de mettre en évidence le caractère intrinsèquement contradictoire du mal anti- juif et du régime qualifié de démocratique.

II  LE MAL ANTI- JUIF  ET LA NEGATION DE LA DEMOCRATIE.

 Il n’est pas question dans cette étude de se référer d’emblée à des cas ou à des situations récentes ou à peine un peu plus éloignées dans le temps que chacun a encore présents à l’esprit[2].Il s’agit de considérer « la nature des choses », comme dirait Montesquieu. Ce qui exige une définition minimale de la démocratie,  sachant que les traités de science politique les plus récents retentissement des débats nourris à ce propos.Pour notre part cette définition servira surtout de repère pour les développements à venir.

Chez Montesquieu le régime républicain – qui dans ses théories se rapproche le plus de ce qu’aujourd’hui est entendu par le vocable « démocratie »-, dans un tel régime  il faut avant tout comprendre ce que sont les lois, et cela au regard de la raison humaine qui procède elle même d’une raison d’un ordre supérieur : «  Les lois dans la signification la plus étendue sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses ; et dans ce sens tous les êtres ont leur loi, la divinité a ses lois, les bêtes ont leurs lois, les hommes ont leurs lois» [3]. Cela pour signifier non pas que la notion de loi soit relative, si ce n’est éclatée, mais au contraire qu’il n’est aucune forme de vie qui ne fût régulée par une législation prescrivant le permis et le défendu, une législation  à la fois liée à la raison mais hors d’atteinte de la possible prédation des êtres auxquels elle s’applique. Voilà pour le principe générique.

Quelles sont alors les caractéristiques majeures de ces lois qui éclairent sous cet aspect ce qu’il est convenu d’appeler « l’Etat de droit «? Montesquieu ajoute : «  Il faut avouer des rapports d’équité antérieurs à la loi positive qui les établit. Dire qu’il n’y a rien de juste ni d’injuste que ce qu’ordonnent ou prescrivent les lois positives, c’est dire qu’avant qu’on eut tracé le cercle, tous les rayons n’étaient pas égaux ».Pour Montesquieu   il faut prendre garde qu’une loi au sens formel, qui se réduirait à ses énoncés littéraux, ne devienne injuste, faute pour le législateur de prendre en compte et de respecter les valeurs immémoriales qui éclairent l’esprit humain et qui ne doivent jamais s’y éteindre. Ce qui marque nettement qu’aucun pouvoir ne doit se croire absolu, autrement dit né de lui même, sans rien qui le précède, rien qui le dépasse et rien qui l’oblige.

Qu’en est- il de la législation pratique? Une loi, dont on aura vérifié ces caractéristiques préalables, doit ensuite, pour être qualifiée en tant que telle, obtenir le consentement de ses  destinataires.Or un consentement, qualifié lui aussi, ne peut résulter que d’une information préalable, suivie d’un examen personnel et d’une délibération astreinte à des règles établies, et, s’il s’agit d’un jugement,  à des normes procédurales. Ce qui dans tous les cas exige la liberté de parole et de pensée  par quoi se fonde  la capacité de discernement. D’où la condamnation ferme et définitive par  Montesquieu du régime despotique et de l’asservissement  physique, intellectuel et même mental qu’il exige : «L’extrême obéissance suppose de l’ignorance dans celui qui obéit ; elle en suppose même dans celui qui commande. Il n’y a point à délibérer, à douter, à raisonner. Il n’y a qu’à vouloir». Entendons  le bien : ce «vouloir» là sera celui d’un seul, délié de tout  principe de raison suffisante, de toute « contingence » rationnelle et de toute obligation d’avoir à en rendre compte le cas échéant[4].

Lorsqu’il se déclare, le mal anti-juif apparaît comme la négation complète de cette série d’exigences, mutuellement liées. On en prendra deux exemples dans la psychopathologie du nazisme.

Le premier concerne Hitler en personne, si l’on se dire, tant cet être se réduisait psychiquement au magma de ses fantasmes. Un jour qu’il s’était particulièrement déchaîné contre «la juiverie mondiale» et sa «malfaisance congénitale», sans laisser planer aucun doute sur le sort qu’il s’apprêtait à lui réserver, Hitler ajouta ces deux considérations qui portent à la réflexion [5]. L’entreprise qu’à mots à peine voilés il se promettait de mettre en oeuvre, lui était dictée par.. la Providence. Cependant, pour étayer cette mission de salut universel, il lui fallait bien sûr des preuves. Celles –ci se trouvaient selon lui, expressis verbis, dans Les Protocoles de Sages de Sion. Et Hitler d’ajouter: « Je n’ai pas besoin de le prouver, c’est la vérité »[6].En  cette seule assertion l’ensemble des critères établis par Montesquieu est balayé, détruit,  au profit d’une conviction absolutisée, déliée de la moindre exigence rationnelle, de toute obligation délibérative et démonstrative. La « pensée » d’Hitler se confond  avec son vouloir. Si elle prend ce cours et se délie de la raison «  primitive », comme dirait Montesquieu, comme de la raison délibérative, c’est qu’il poursuit, obstinément, compulsivement, une oeuvre de mort. La pensée morbide et mortifère ne tolère pas l’objection parce qu’elle vise à la jouissance immédiate : celle que produit le sentiment de toute-puissance.

L’autre exemple, souvent cité celui là mais qui ne perd rien de sa valeur didactique, sera pris au bas de la hiérarchie nazie. En ce sens, le témoignage de Primo Levi nous place également devant cette contradiction béante, cette «  succion du vide »  comme disait Ernst Jünger. Après son arrestation et son transfert en camp de la mort, Primo Levi se retrouve enfermé dans une baraque avec d’autres déportés. Tous souffrent d’une soif atroce dont les gardiens n’ont cure. Primo Levi aperçoit de la fenêtre un glaçon. Il ouvre cette fenêtre et saisit le glaçon pour tenter de se désaltérer. C’est alors qu’un des gardiens qui l’a vu faire ce geste  se rue vers lui et le gifle à toute volée. Sidéré, Primo Levi qui parle aussi allemand, lui demande « Warum? » (Pourquoi?). Et le sbire de rétorquer «  Hier, ist kein Warum » ( ici il n’y pas de pourquoi)[7] 

Ces deux exemples pris hélas parmi tant d’autres[8] se  correspondent et se complètent. Dans l’histoire de la pensée humaine  le quoi?  le qui?  le pourquoi? et le pour qui? structurent et invigorent la conscience. Ces termes là, génériques, marquent le mouvement réciproque des questions et des réponses  par quoi les pronoms personnels, le je, le tu, le nous, se fondent et à leur tour structure la relation humaine, intersubjective et sociale. La réaction du sbire,sa violence plus qu’arbitraire, se placent  en deça de toute pensée et de toute relation proprement humaines. Elle disloque l’exercice le plus générique de la connaissance. Elle dénie le fait même de la relation humanisée. S’il faut y insister ce n’est pas seulement pour  ses incidences strictement individuelles mais bel et bien parce que le sbire est le rouage d’une machine, le ressort d’une « bourreaucratie », le soldat d’une armée, le serviteur d’un Etat ou de qui passe pour tel. L’illustration, à la lettre, monstrueuse, de l’envers du régime républicain et démocratique, au sens du Montesquieu de L’esprit des Lois.

III. LA RECURRENCE  DU MAL  ANTI-JUIF  ET  SES  ISSUES  POSSIBLES

 Le mal anti-sémite se caractérise bien comme mal ontologique, touchant à l’être même, et resterait –il sur ce plan encore énigmatique -, si celui -ci n’offre aucune prise à la réflexion, s’il aliène les intelligences apparemment les mieux constituées, s’il soudoie le sens moral et l’inverse en permis de détruire. C’est pourquoi si le nazisme en a été jusqu’à présent l’expression extrême, ses émules n’en sont pas comptables exclusifs. A ce propos il faudrait interroger les lettrés les plus qualifiés et leur demander : de qui sont ces déclarations: «Belle conspiration à organiser pour l’extermination de la race juive. Les Juifs bibliothécaires et témoins de la Rédemption »? Ne languissons pas trop. Elles sont de… Baudelaire et surgissent brutalement dans un recueil de notes, d’aphorismes, de confidences intitulé « Mon cœur mis à nu ».D’un collègue professeur de psychopathologie, elles reçurent cette explication : «L’antisémitisme est pulsionnel». Il se détend à la vitesse de l’éclair, comme la langue du serpent et mord en prenant à défaut tous les modes opératoires de la pensée rationnelle, si cette expression ne constitue pas elle même un pléonasme. Bien sûr, les déclarations précitées ne peuvent pas ne pas être rapportées aux tourments existentiels et à la déchéance humaine de l’auteur des Fleurs du mal, à tel point qu’à son propos Benjamin Fondane – arrêté à Paris, rue Descartes ( quelle anti- symbole.. ) et mort en déportation – a pu évoquer une « connaissance par les gouffres ».

Au delà de ce cas individuel, à considérer une fois de plus comme symptôme, la  psychanalyse nous informe que précisément la pulsion s’échappe et se donne libre cours lorsque la Loi qui est censée la réguler défaille. Pourquoi défaille t-elle ou bien s’excepte t –elle de sa  propre nature? Quand elle n’est pas sollicitée, alors qu’elle doit l’être, au motif que l’objet qu’elle devrait protéger n’est pas digne de cette protection, qu’il ne mérite pas son égide. S’agissant, sous cet angle de vue, du mal anti- juif, celui-ci trouve l’une de ses sources les plus empoisonnées dans la théologie dite de la substitution, celle qui a structuré l’identité religieuse planétaire, ou presque, selon le schéma aberrant opposant l’Ancien Testament, et le peuple qui s’y rapporte, et le Nouveau Testament, et le peuple qui s’y réfère. Le paradigme anti- juif s’est ainsi constitué avec ses variantes et ses substituts ne durant pas moins de deux millénaires, au point d’être passé en forme d’habitude mentale et de tropisme culturel. De celle-ci le monde chrétien tente de se défaire depuis la fin de la seconde guerre mondiale mais l’on ne sort pas de deux mille ans de haine à visage d’amour en un demi- siècle.[9] Dans la translation du théologique au philosophique et au littéraire, l’image baudelairienne « des Juifs bibliothécaires » se trouve déjà chez Pascal, grand lecteur des Pères de l’Eglise. C’est ainsi que le peuple juif, dont le nom propre hébraïque : « Israël » avait fait l’objet de cette captation insensée, s’est vu par suite privé de toute repère généalogique inter- humain comme de toute insertion dans l’espace  géo- politique, au point que son retour actuel dans l’Histoire et dans l’univers politique est ressenti comme un véritable séisme identitaire mondial.

C’est de ce paradigme qu’est né le concept même de «solution finale» ou d’annihilation (Vernichtung): à partir non seulement de la déshumanisation anthropologique des Juifs mais également, si l’on osait ce néologisme, de leur « désêtration », de leur expulsion hors de l’Être dont un Heideger pour ne pas le nommer allait faire l’aurore et la destinée fructifère de la pensée occidentale. Les Juifs se retrouvaient de la sorte «  caïnisés »,  privés de toute protection, tant divine qu’humaine, livrés corps, biens et âme  à l’impulsion, dévoyée et pervertie  du premier  assassin en mal  de proie mais à ses yeux  « justicier de Dieu ».

Un telle construction identitaire n’allait pas tarder  à démontrer ses propres effets pervers.Ce que tels théologiens de l’Eglise du Christ avaient conçu à l’encontre des Juifs allait leur être retourné, terme à terme, et thème à thème, par les théologiens et les missionnaires de l’Islam conquérant pour lequel le message des prophètes de la Thora mais également celui des Evangélistes et de leurs commentateurs n’étaient que simples préfiguration du message coranique, révélé par Mahomet ; d’un Coran considéré, en somme, comme « nouveau – nouveau Testament ». En attendant de faire à son tour des émules, à ficher les uns et les autres, successivement, selon ce même paradigme, avec tous ses avatars jargonnés en « post », depuis la « post – Histoire » jusqu’au « post – moderne » en passant, last but not least, par le « post – humain », en attendant un probable « post – postime »,  réactionnel, qui nous ramènera aux temps de l’immutabilité primitive des mentalités et des croyances..

Ces dernières considérations conduisent,  en conclusion, à envisager quelques issues possibles à ce mal plus que radical. Elles impliquent avant tout la prise de conscience du caractère certes destructeur et exterminateur des individus et des organisations infestées du mal anti-juif mais également de son caractère auto- destructeur et finalement suicidaire dès que surgit devant lui un autre individu ou une autre organisation, une autre armée parfois, qui lui inflige de manière récursoire  sa propre « loi ». Faut-il rappeler, s’agissant du fascisme et du nazisme, quelle a été la fin de Mussolini, celle d’Hitler, celle de Goebbels, de son épouse et de ses enfants, « euthanasiés » par leur mère dans l’ultime bunker d’Hitler qui lui même suicida Eva Braun avant de mettre fin à ce que l’on n’ose appeler ses «  jours » [10]?

Telles sont les réflexions qui viennent en foule à l’esprit de celui qu’on n’ose appeler «  touriste » et qui de nos jours marche par exemple dans les rues de Berlin. Il est  impossible que sa rétine ne soit sur- impressionnée, comme de l’intérieur, par tant de scènes affreuses, innommables qui s’y sont déroulées dans le premier quadrant du XXème siècle. Et, en même temps, l’on constate que, décidément,  pas un décimètre carré de cette ville n’a échappé aux bombardements  incendiaires de l’aviation alliée, en attendant les assauts, les pillages et les viols  commis par les soldats de l’Armée Rouge, ivres de vengeance.

Au regard de retours actuels de ce mal, faudra t-il qu’une telle Histoire se répète? Le grand théoricien de l’histoire que fut Fernand Braudel distinguait, on le sait,  dans le cours des événements historiques ce qu’il appelait les durées courtes et les durées longues. Il lui est arrivé d’évoquer parfois aussi des durées «trop» longues. Le mal anti-juif participe de cette dernière forme de durée qui dénature l’essence même du temps. Quiconque est tenté de l’activer, d’en produire de nouvelles occurrences et récurrences, doit alors savoir à quel point le temps trop long finit par se retourner  et par se saisir de qui  s’imagine pouvoir  le déchaîner en toute impunité.

Et puisque cette proposition d’analyse a commencé avec Montesquieu, c’est à Montesquieu qu’on laissera le mot de la conclusion, lorsqu’il relève dans ses Pensées : «  Les Juifs sont à présent sauvés. La superstition ne reviendra pas. On ne les exterminera plus par acquit de conscience ». A l’évidence, Baudelaire n’avait pas bien lu Montesquieu. Puisse alors le souhait d’un des fondateurs du droit public contemporain ne pas être plus longtemps déjugé.

                                                                        Raphaël Draï


[1] Qui a donné son nom à la salle de l’Assemblée Nationale ou s’est tenu le colloque du BNVCA.

[2] Notamment l’affaire Mérah.

[3] Montesquieu. L’Esprit des Lois. Livre I. Œuvres. La Pléiade.

4. Karl Jaspers,  Psychopathologie générale, Félix Alcan, 1933.

5.Cf notre étude : «  Le for intérieur «   in Grands problèmes politiques et sociaux contemporains, Aix en Provence, La Librairie de l’Université Editions, 2000.

6. Témoignage de Robert Fleming.

7. Editions Robert Laffont. On peut regretter que cette édition ait fait choix de textes particulièrement polémiques de Primo Levi sur la politique d’Israël au temps de Menahem Begin.La qualité de «  grand témoin » de l’Histoire n’est pas forcément un gage d’objectivité idéologique.Au plan éditorial, lier ces deux éléments procède d’un évident parti – pris politique.Il en va d’ailleurs de même pour la présentation en 4eme de couverture du recueil de textes de Hanna Arendt intitulé Ecrits Juifs, Fayard, 2012. Ces procédés desservent surtout les oeuvres ainsi agencées.

8. Rabbi Ephraïm Oshry, La Thora au cœur des ténèbres, Albin Michel, 2010.

[9] Cf. La nouvelle édition du Nouveau Testament et ses commentaires parfois contestables aux Editions Bayard.

[10]. Yan Kershaw, La fin, Seuil, 2012.

ETATS JETABLES, ETATS DURABLES – Article Actu J du 18 Juillet

In ActuJ, ARTICLES, SUJETS D'ACTUALITE on juillet 19, 2013 at 12:18

A propos du renversement de Mohamed Morsi par l’armée égyptienne, au nom du « vrai » peuple d’Egypte, l’observatrice sagace qu’est Fiamma Nirenstein faisait observer que l’on ne pouvait parler de « coup d’Etat ». Pour qu’il y ait coup d’Etat, il faut qu’il y ait un Etat. L’Egypte en a t-elle encore un? La comparaison vaut d’être tentée avec l’Afrique du Sud tandis que ce pays se prépare au départ de Mandela vers de plus vertes vallées. Depuis le renversement de Hosni Moubarak, motivé par la main de fer qu’il exerçait sur la terre des pharaons, l’on pensait que l’Egypte allait s’engager vers la démocratie réelle. Qui dit démocratie dit – un peu vite – élections. Les nouvelles autorités organisèrent donc les scrutins législatif et présidentiel requis. Ils menèrent les « Frères Musulmans » au pouvoir suprême et Mohamed Morsi devenait leur homme de paille. Fanatique et manoeuvrier, il dirigea l’Egypte vers un régime prioritairement islamique. Très rapidement une grande partie du peuple égyptien, revendiquant un « pluralisme » dont malheureusement seuls les Juifs sont absents,le prit en aversion.D’où derechef ces nouvelles convocations de foules sur la place Tahrir devenue le haut -lieu d’un printemps arabe sans vraies fleurs ni fruits consommables. Durant ce temps, l’économie égyptienne relevait de l’encéphalogramme plat. Les touristes évitaient sphynxs et pyramides, préférant leur sécurité aux extases de la Vallée des Rois. Quant à elle, l’armée renâclait après le limogeage du Maréchal Tantaoui, comme quoi le parricide, même en uniforme, ne paie pas. Pour la première fois depuis le règne de Nasser, pris entre ces conceptions idéologiques et confessionnelles incompatibles, tandis que l’accroissement quotidien de sa population dévore ce qui s’y  crée de PIB, l’Etat égyptien se liquéfiait. Un jeune général, Abdel Fatah’el Sissi, porté par les clameurs populaires, décréta que Mohamed Morsi avait fait son temps, que les Frères étaient devenus un vrai danger. La menace des chars fit le reste. Sauf que les « Frères » ne l’entendent pas de cette oreille. Retranchés sur leur propre place emblématique, brandissant des Corans maculés de sang, ils menacent les nouvelles autorités de mille morts et ruines. Dans ces conditions, qui voudrait investir le moindre kopeck dans ce four à chaux, hormis le Qatar dont les émirs sont convaincus que tout s’achète! Le peuple égyptien, jusqu’ici phare du monde arabe, se clive. Deux Egyptes se font face désormais. Nul ne sait ce qui résultera de leur confrontation. Une guerre civile? La différence est notable avec l’Afrique du Sud. Ce n’est pas que Nelson Mandela n’aurait  pas eu à assouvir plus que de la rage contre les suppôts de l’Apartheid. Des décennies de prison défalquées d’une simple vie humaine, cela se paie. S’il avait été un autre que lui même, les lendemains de l’indépendance de son pays eussent entraîné des exterminations collectives et un immense exode paniqué de la population blanche, comparable à celui des années 60 pour l’Algérie. La sagesse, celle qui caractérise les véritables hommes et femmes d’Etat, l’emporta sur la vindicte et la rancune. Main dans la main avec un autre sage, Frederik de Klerk, le dernier président blanc, Mandela organisa la transition de leur pays commun vers un avenir partagé, une fois aboli, bien  sûr, le régime intolérable de l’Apartheid qui osait se réclamer de références bibliques. Trop de pays avaient basculé dans le chaos après leur libération du régime colonial, au point de mimer le régime violement combattu. Une émouvante et inventive politique de réconciliation fut ainsi conçue au titre de « la justice transitionnelle ». Pour aussi dur que cela s’avéra, les tortionnaires et leurs victimes furent incités à se rapprocher, à se parler, à tenter non pas de se comprendre mais de discerner  quelles  logiques politiques infernales avaient distribués de tels rôles entre eux. Il en résulta qu’un grand nombre de blancs demeurèrent dans ce qui restait leur pays, les Juifs notamment en dépit de ses bouffées anti-israéliennes – triste Durban! L’économie générale en bénéficia. L’Afrique du Sud pu se prévaloir d’une indépendance qui n’était pas d’apparence. L’équipe nationale de rugby, les chanteurs populaires et les prières conjointes firent le reste. Mandela s’était transformé en icône. A présent, il quitte doucement ce monde, laissant son exemple en héritage. Puissent ses successeurs ne pas le dilapider. Pour s’en convaincre, ils n’auraient qu’à ne pas quitter des yeux l’Egypte, la Syrie, la  Libye, la Tunisie aussi hélas, et peut être bientôt l’Algérie. Rien n’est plus destructeur, des autres d’abord, de soi ensuite, que le fanatisme.

Bloc Notes – 14 au 18 Juillet 2013

In BLOC NOTES on juillet 18, 2013 at 11:31

18 juillet.

 

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«  Croissance es tu là? ». En matière économique, la pratique des tables tournantes semble l’emporter sur celle des prévisions, même approximatives. Enfin, comme pour l’esprit frappeur, l’on se convaincra que la croissance « est là » puisque le président de la République dont les yeux semblent se fermer tous seuls tant il est à la tâche, le dit. Qui ne le souhaiterait, surtout en prévision – non incantatoires pour le coup – des  hausse d’impôts  qui affligeront le budget de 2014. Après une brève embellie, la courbe de popularité de François Hollande plonge à nouveau. Il prétend n’en être pas surpris sachant que cette courbe est « indexée » sur celle du chômage. Ce qui ramène à la même remarque:  tout ça pour ça !C’était bien  la peine de tirer à boulets rouges sur Nicolas Sarkozy pour en arriver finalement à une politique économique qui n’est pas plus éloignée de la sienne que le centre gauche n’est éloigné du centre droit. Et justement, Sarkozy, direz vous, quand va t-il enfourcher son farouche destrier et bouter le Hollande hors de l’Elysée?  Son « non retour » au bureau exceptionnel de l’UMP lui aura donné l’occasion d’un petit bain de foule devant l’entrée de l’immeuble du parti à l’emblème étrange: un arbre sans racines. Avec pour désastreuse conséquence la sortie furibarde du pauvre François Fillon exposé aux sarcasmes de son ancien maître dont il ne réussit pas à se dépêtrer. D’où son allocution venimeuse à la Grande Motte contre le simili « homme providentiel » qui « congèle » son parti. Dans le domaine de la congélation, François Fillon n’a de leçon à recevoir de personne. A la télévision, il donne toujours l’impression de regarder d’en dessous ses yeux  et lorsqu’il sourit on voudrait l’en consoler.  Bien sûr tous les personnages de ce « Bloc Notes » sont des créatures télévisées. S’il m’est arrivé de croiser l’un ou l’autre, en personne, ce fut toujours fugacement. Il n’est pas question ici de leur être véritable mais de leur image telle qu’elle est fabriquée et telle qu’elle se perçoit. Mais lorsque les images tiennent lieu de réalité, il faut les prendre au sérieux. Le plus grave dans cette décomposition collective n’est pas la hausse ou la remontée de François ou de Nicolas dans les sondages mais l’avenir du système politique français dans son ensemble. Impossible de se faire une philosophie de la remarque une fois entendue dans les transports collectifs «  Vous savez la France n’est pas fragile. Même la Wehrmacht a défilé sur les  Champs Elysées … »

16 juillet.

 

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L’Union Européenne unanime vient de décider le boycott des produits ou des activités estampillés « Israël » en provenance des « territoires occupés et de Jérusalem Est ». Sur la notion d’occupation, il est possible de nourrir des opinions bien différentes, l’occupation pour les uns correspondant à la libération pour les autres, s’agissant notamment de la liberté de pensée et de culte dans la partie orientale de Jérusalem. L’on reste frappé tout de même par le fonctionnement de cette usine à gaz qu’est cette pseudo – fédération européenne, formée de 26 Etats dont certains en faillite consommée ou proche du dépôt de bilan, incapables de définir une politique économique commune et de donner le sentiment d’une unité qui ne fût pas de façade. Les amabilités échangées notamment entre Arnaud Montebourg et Manuel Barroso sont encore toutes fraîches. L’Union Européenne est incapable de définir non plus une position commune et efficiente quant à la Syrie où les massacres continuent, quant à l’Egypte où même le Sphynx des Pyramides donne sa langue au chat relativement à l’avenir de ce pays. Mais elle retrouve l’union sacrée dés qu’il s’agit d’Israël, retrouvant par là même de bien lourds tropismes. Et l’on s’étonnera ensuite des progrès sans exemples accomplis par ce pays dans tous les domaines, de la technologie la plus avancée à la gastronomie comparée, au point que pris séparément pas un seul Etat de cette fameuse Union, pris isolément, ne pourrait lui faire concurrence. Ce qui donne une impression déplorable de cette Hue Heu! Les Etats qui la  composent ne savent chasser qu’en bande. Unanimités de mauvais aloi. Elles n’annoncent pas le meilleur des temps, surtout pour ces Etats là.

14 juillet.

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Osmose des dates symboliques. Depuis plusieurs années je me proposais de lire enfin la tétralogie de Robert Margerit sur la Révolution française. Les romans historiques, surtout ceux qui participent de la littérature industrielle actuelle, ne sont en général ni de bons romans ni de bons serviteurs de l’Histoire. Le genre reste dominé en France par Alexandre Dumas dont on peut regretter qu’il ne soit pas fait mention de son propre cycle révolutionnaire dans la  présentation de cette  oeuvre. Ouvert donc  le premier volume qui va depuis  la rédaction des cahiers de doléances jusqu’à l’arrestation de Louis XVI à Varennes. Je ne l’ai plus lâché. Le retour de la  famille royale aux Tuileries dans un Paris astreint à un silence de mort comparable à une nappe de gaz moutarde est un vrai morceau de bravoure. On se croirait en personne dans la pataude berline couleur bronze aux roues peintes  en jaune  – le comble du camouflage!- en compagnie  de la famille royale mais aussi de Pétion et de Barnave, les révolutionnaires transis d’amour pour les souverains déchus  mais pressentant déjà le «  vent d’acier » qui va souffler sur la France. Lorsque vous serez recrus des resucées du « Da Vinci Code », laissez vous emporter par les « Marseillaises » et les « Carmagnoles » de Margerit. La littérature  des années 60 mérite d’être revisitée.

VISAGES D’ISRAEL (Informations Juives – Mai-Juin 2013)

In ARTICLES, PARCOURS on juillet 11, 2013 at 10:12

14 avril.  Roissy. Départ pour Israël. Visites familiales. Quelques jours de repos. Puis Jérusalem. Mer. Librairies. Auparavant, routine insane des fouilles à corps. Il faut ôter ses chaussures. Sa ceinture. Sonnerie persistante, provoquée par je ne sais quoi. Les bras  en croix. Palpations jusqu’autour du col de chemise. Micro-attentats contre la dignité humaine. De quel droit  ce jeune homme que je ne connais pas porte t-il ses mains sur mon corps? Etat des lieux du terrorisme. « Civilisation » du contre – terrorisme.

15 avril au matin. Netanya. Ma fille y a accompli son alya avec sa propre famille il y aura bientôt cinq ans. Le dernier de mes petits-fils est un sabra. « Pourquoi t’en vas tu » lui avais-je demandé? « Parce que je ne veux pas revivre ce que toi et Maman avez vécu au début des années 60, lorsque vous avez  quitté l’Algérie en catastrophe ». Yaël est avocate au barreau d’Israël. Elle a repassé tous ses examens. Le droit israélien contemporain est très différent du droit français. Je lui demande si la vie n’est pas trop dure. Quatre enfants dont trois en bas âge et une vie professionnelle à recommencer de zéro ou presque…Elle me dit: « Ma place est ici ». Sa fille aînée s’apprête à passer les fameux « psychometrics» pour intégrer l’Armée de défense d’Israël. Ce peut-il que le temps ait si vite passé..  Je revois Sarah dans mes bras,  âgée de quelques mois, dans son jardin de Montpellier, suivant du regard le vol des papillons… Elle est métamorphosée. Parlant couramment outre le français, l’anglais, l’hébreu et s’essayant au… coréen. Elle est mordue de rock n’roll venu de Séoul. En même temps elle étudie la Michna et lit Rachi dans le texte.. Sa sœur âgée de 8 ans relève mes impropriétés grammaticales lorsque je lui parle directement en ivrit quotidien. Quelles sont les routes de notre véritable Histoire?

18 avril. Aéroport de Sdé Dov. Proche départ pour Eilat. Les dispositifs de sécurité sont ostensiblement renforcés. Au moins deux interrogatoires, et les valises désormais passées au scanner. Un moment à peine après avoir été installé à la buvette, mon nom est appelé au mégaphone. Je dois me  présenter à un autre agent de sécurité. La technique utilisée est celle des « sondages ». Un nom est appelé au hasard… On sur- vérifie les passeports et les cartes d’embarquement. Sait-on jamais … Ce matin deux « engins », comme on dit pudiquement, sont tombés aux environs d’Eilat, probablement tirés à partir du Sinaï. Officiellement aucun dégât. L’aéroport a été brièvement fermé. Puis rouvert, au grand soulagement des voyageurs qui se voient déjà au bord des plages pour un jour, ou un jour et demi  de vacances  et d’oubli qu’ils n’auront pas volé. Enfin l’avion décolle. Tel Aviv vue du ciel avec ses quartiers aux bâtiments en forme de cube ou de parallélépipède qui irradient  de plus en plus loin à partir du centre historique. Ensuite découverte de Jérusalem également vue du ciel dans sa lumière incomparable à n’importe quelle heure du jour. Puis la Mer Morte, aux couleurs  ultra-  vivantes, turquoise et blanche. Et le Néguev ocre, arable, où l’on pourrait construire mille villes. Enfin Eilat à quelques encablures d’Akaba. Un rêve: avec mes cousins traverser la baie d’Eilat à la nage jusqu’à Akaba. Atterrissage digne d’un film de Tom Cruise, en pleine ville. D’un coup, cette chaleur, cette bonne chaleur qui vous saisit dès la sortie de l’avion et efface d’un coup le gris revêche du printemps parisien.

19 avril. Le téléphone sonne. J’avais promis de l’éteindre. Impossible bien sûr. La communauté juive traverse une grande tourmente. L’on me demande mon avis. Je précise que je ne me trouve pas à Paris mais pour quelques jours à Eilat. «A Eilat?» s’étonne t-on «Mais vous devez vous ennuyer  à mourir!». Mon interlocuteur n’a probablement jamais mis les pieds ici, ou il y a bien longtemps, lorsque le passage d’une voiture dans la  rue principale de la ville constituait un événement. Eilat aussi s’est métamorphosée. Les quartiers d’habitations gagnent sur la montagne. Les infrastructures touristiques se veulent du dernier cri. Les restaurants casher  proposent toutes les cuisines du monde. De nombreuses librairies, générales et de «kodech», ouvrent à différents endroits de la ville. Les synagogues francophones sont particulièrement accueillantes. Nombre de «ôlim» venus il a plusieurs décennies du Maroc retrouvent le français de leur enfance. Les plages sont larges. Les étrangers, surtout russes, y voisinent avec les israéliens venus de tous les coins du pays. L’un d’eux s’exclame: « A Tel Aviv il y a la mer. A Eilat il y a la plage ». Avec ma petite fille nous aimons  longer la  réserve de coraux rigoureusement surveillée contre le tourisme prédateur. A l’extrême du sud d’Israël, le  pays aussi ressemble à un immense chantier. «Il ne faut pas oublier les jeunes couples»  rappelle  fortement le chauffeur de taxi.

22 avril. Trajet Eilat – Jérusalem en autobus Eged. Quatre heures de voyage avec un seul arrêt dans un café-relais bondé. Les transports en commun permettent une  profonde immersion dans le peuple d’Israël. Tous les types humains y sont représentés, depuis l’éthiopien, sombre comme la nuit, à la « Punk », façon San Francisco, avec les cheveux teints en vert et en rouge. Derrière  notre siège, un homme à la kippa de velours noir, relit une Michna. Devant, un couple de retraités qui doit s’imaginer que nous sommes sourds crie à tue tête dans le téléphone portable que le mari et la femme  se passent de l’un à l’autre. Le chauffeur, lui, se repasse Yerouham Gaon. Les kilomètres défilent dans  ce paysage lunaire, avec ses à-pics torturés, ses statues de pierre sculptée par le hasard et ce bleu salin, festonné de blanc pur, qui exténue le regard. En début d’après- midi, Gare centrale des autobus. Sur un étal des livres du Rav Kook. Un véritable centre commercial, mais surveillé à chaque millimètre carré. J’ouvre un recueil de textes sur Chavouôt. Selon le Rav Kook, la différence entre les pharisiens d’un côté, les saduccéens et les boéthusiens de l’autre tient en ceci: ces deniers ne croyaient pas à la sainteté collective du peuple d’Israël.

23 avril. Jérusalem. Directement au Kotel. Grande affluence. Un groupe de pèlerins chrétiens réellement impressionnés. Et ce Mur qui défie le temps. Une fois de plus, le front contre la pierre patinée. Que demander au Créateur qu’il ne sache déjà! L’important n’est-il pas  de le lui demander, personnellement, si j’ose dire?  De l’autre côté de la méh’itsa les femmes prient avec une ferveur qui n’appartient qu’à celles qui enfantent. Pourquoi prier, sinon pour la paix, pour l’unité, pour la lucidité de nos esprits et le discernement de nos cœurs… Je songe à la tourmente qui afflige la communauté juive de France et son rabbinat. Ici, la vie est dure pour le  plus grand nombre mais la vie se construit et l’Histoire s’éclaire. En France, les temps ne sont pas moins durs mais l’on dirait que rien ne s’y édifie plus.. De tous les versets de la Thora, le suivant doit  servir d’étoile polaire : «  Et tu choisiras la vie » …

24 Avril. Nouvel appel téléphonique «Quand retournez vous à Paris?». Ce mot «retour» impacte l’oreille interne. Dans la Tradition juive et  dans l’espérance millénaire du peuple juif le seul retour digne de ce nom est précisément le retour en Eretz Israël. Je corrige aussitôt, sans que mon interlocuteur saisisse le sens de ce qui est plus qu’une nuance: «Je reviens après demain». La communication  prend fin. Non pas  le débat intérieur. Revenir. Retourner. Le temps passe. La vie s’écoule. Irréversible. Destin ou avenir? Au bout d’un demi- siècle  l’Algérie d’une enfance déracinée se dissout. Une voie obstruée se libère peu à peu. Sans rien renier. Je reprends le verset précédent dans son énoncé intégral: «Et tu choisiras la vie afin que tu vives, toi et ta descendance sur la terre que Dieu te donne à toi». La Terre d’Israël, politiquement reconquise mais toujours et éternellement: don du Créateur.

 Raphaël Draï zatsal, avril 2013

Bloc Notes – 6 au 10 Juillet 2013

In BLOC NOTES on juillet 11, 2013 at 9:52

Le 10 juillet

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La guerre judiciaire se poursuit. Impitoyable. Par décision de justice, la plus grande partie des biens de Bernard Tapie est saisie. Il en conserve – temporairement – la jouissance mais il n’a plus le droit d’en disposer à sa convenance. Pour pénétrer d’à peine quelques centimètres dans le dossier Adidas, il faudrait avoir accompli des années de spéléologie des affaires.  Je ne sais si l’Etat, ou ceux qui agissent en son nom – puisqu’en principe l’Etat c’est nous, nous tous – si l’Etat a raison ou tort sur le fond. Dans la forme, il semble vraiment participer à ce que certains spécialistes des sciences sociales nomment la «brutalisation» de la vie publique, dont la propension se décèle depuis au moins la première Guerre mondiale. Que faut-il entendre par ce terme? L’oubli d’un principe majeur: aucune règle de droit, aussi fondée soit elle, ne mérite vraiment ce nom si elle ne contribue pas à la pacification, même relative,  des rapports sociaux. La loi n’est pas une trique à abattre sur le crâne et la colonne vertébrale d’un présumé contrevenant. Elle doit viser les progrès de l’aménité dans une société qui, autrement,  usurperait le qualificatif de «civile». L’Etat risque alors d’y perdre sa propre raison d’être qui est d’arbitrer entre les intérêts, de «chenaliser»  les passions, de promouvoir l’entente et la concorde. Mais il y a loin de l’idéal au réel! De plus en plus, l’Etat apparaît comme l’instrument d’un parti. Il se déclare partie prenante dans ces formes de guerre civile larvée  où l’adversaire cède dangereusement le pas à l’ennemi. Car l’ennemi est bien celui dont l’on recherche avec acharnement la proscription ou l’extermination, par tous les moyens. Dans l’annulation des comptes de campagne de Nicolas Sarkozy, il semble que le Conseil constitutionnel lui même n’en ait  pas été exempt. Une décision émanant d’une instance aussi éminente ne doit pas s’entendre comme un coup de gourdin fracassant une cage occipitale. Cette haute instance avait la capacité  de moduler sa décision de sorte qu’elle illustre la transcendance de la légalité et la neutralité véritable de l’institution en question. Toute décision de cette sorte doit obéir au principe de proportionnalité. La décision du Conseil constitutionnel apparaît au contraire disproportionnée, entachée de cette dé-mesure qui mine la notion même de jugement. Surtout qu’elle n’est pas susceptible d’appel. Au delà des rangs de l’UMP nombre de citoyens en ont été choqués. On  ne cessera de le répéter: lorsque les juges  donnent le sentiment, à tort ou raison, qu’ils sont descendus dans l’arène, les assises de l’Etat se descellent.

Le 8 juillet.

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Nicolas Sarkozy au bureau de l’UMP. Le retour de Zorro? L’ancien président de la République ne pouvait plus demeurer en position statique face aux assauts de ses ennemis. Il a donc tenté  une sortie, dans tous les sens du terme. Et aussitôt ont été déversés des tombereaux d’insultes dont «fraudeur» n’a pas été la moindre. Avec cette forme de hargne impressionnante qui la caractérise et dont la malheureuse Delphine Batho a simultanément fait  les frais, Ségolène Royal la première l’a proférée. Ont suivi Noël Mamère et David Assouline, pour ceux qu’il a été loisible d’entendre à la télévision. Nicolas Sarkozy doit se le tenir pour dit. La haine qu’il suscite ne se contente pas de l’instant où elle s’exprime. Elle se manifeste à titre rétroactif et rétrospectif. Dans son camp même, si personne n’ose exprimer défiance ou rejet, ces dispositions d’esprit n’en sont pas moins perceptibles. Par sa seule présence Nicolas Sarkozy contrarie des trajectoires d’ambitions déjà largement tracées, au moins sur le papier. S’il veut avoir la moindre chance de revenir aux affaires, il lui faut rassembler tout son camp, sans exception. Il été battu en 2012 précisément parce que celui-ci s’était délité aux marges, les rancunes personnelles s’ajoutant aux dissentiments idéologiques inexprimables ouvertement. Lorsqu’une élection se joue à la voix prés, chaque électeur désobligé devient à lui seul l’arbitre de la victoire. Le Centre aussi doit se donner consistance et cohérence. Mais l’on a bien senti ce mardi que l’UMP retrouvant son «leader naturel» vivait son petit printemps indien. Guaino en aurait pleuré de joie. Et même Juppé y est allé de son lapsus en parlant, à propos de Nicolas Sarkozy, du «Président de la République». Comme dit la fameuse blague tunisienne «  Si Dieu veut, mon fils … Si Dieu veut ».

Le 6 juillet.

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Est-ce à cause de la période du baccalauréat? J’ai repris « Les Natchez », de Chateaubriand, persuadé que je n’irai pas au delà de la dixième page, tant ce roman à l’eau  bénite m’avait semblé suranné et catéchétique lorsque j’en avais lu des extraits précisément l’année du bachot. J’en suis aujourd’hui à la page 400, longeant avec plaisir les rives du Meschacebé américain, à quelques encablures de la conclusion. Avec le temps – une dimension essentielle de toute l’oeuvre –  les « Natchez » apparaissent, outre la qualité de l’écriture, comme un remarquable document d’anthropologie politique. Chateaubriand y fait comparaître la civilisation, la société, l’état  de nature, l’état sauvage. On y décèle les tourments d’Œdipe, les dilemmes de « Totem et tabou ». Bien sûr, le christianisme est déclaré seule source de vraie lumière. Mais ce n’est pas, loin  s’en faut, celui de Cortés ou de l’Inquisition. Chateaubriand dénonce déjà les violences de l’occupation illégale, de l’usurpation des terres, et l’extermination des populations indigènes. Bienheureux les écrivains qui gagnent pleinement leur cause en appel..

Bloc Notes – 30 Juin au 3 juillet

In BLOC NOTES on juillet 5, 2013 at 8:41

3 juillet.

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L’armée égyptienne vient de déposer le président élu il y a quelques mois, Mohamed Morsi. Des millions d’égyptiens et d’égyptiennes exigeaient à corps et à cris le départ de celui qui apparaissait de plus en plus comme le factotum des Frères Musulmans et le bras légal de l’islamisation à  la mode nilotique. Du  point de vue de la science politique, le schéma vaut qu’on s’y arrête.

Formellement il s’agit d’un coup d’Etat puisque c’est l’armée qui a dicté sa décision au président jusqu’alors en place et qui, quoi que l’on pense de son idéologie, à la fois manoeuvrière et fanatisée, avait été régulièrement élu. Mais il semble que le consensus qui s’était formé dans toutes les composantes, sauf une, de la société politique et civile égyptienne ait légitimé ce « pronunciamento ».

Situation inédite qui rappelle l’interruption du processus électoral décidé au début des années 90 en Algérie lorsqu’il apparut que les islamistes allaient y prendre le pouvoir sans l’idée de le rendre un jour. On sait ce qui advint: une décennie sanglante durant laquelle l’horreur l’a disputé à l’atrocité. En ira t-il de même en Egypte?  Mohamed Morsi appelle ses partisans à résister mais «pacifiquement». Quant aux chancelleries étrangères, de tous les azimuts elles incitent au retour à la normale, autrement dit, et le plus vite possible, aux urnes. Certes le chef d’Etat major égyptien a souligné que le coup de force réalisé hier mettait en place un dispositif « transitoire ».  Nul n’ignore qu’il est des transitions qui n’en finissent pas. Comme on a pu l’écrire dès le commencement du «  printemps arabe », la pire des politiques en la matière serait la politique du pire. Qui ne souhaiterait que ces pays si fortement peuplés trouvent enfin le calme et ne se déchirent plus en ouvrant dans toute cette région les chenaux du désespoir? Les événements de ce mois de Juillet ne seront –ils qu’une phase supplémentaire dans la régression historique où sont engrenés maints  pays arabes? Il faudra être attentif au voyage de François Hollande en Tunisie. L’islamisme y fossoie bien des espérances et met ce pays en marge du meilleur de la civilisation méditerranéenne.

1er Juillet.

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Delphine Batho, jusqu’alors ministre de l’écologie, est virée, comme l’on dit, du gouvernement ;  saquée comme une contractuelle de rang D. Son crime? Avoir rouspété parce que son budget avait été affligé par une coupe sombre, vraiment sombre, au point de laisser penser que dans le gouvernement actuel l’écologie ne constitue  plus qu’une « variable d’ajustement », pour reprendre cette formule qui fleure bon nos cours d’économie politique de 1ère année. En cette affaire, les principes doivent être distingués des conduites et des manières de faire. Sous la Vème République, un ministre est lié par la solidarité gouvernementale, même s’il  ingère de la couleuvre à tous les repas. Autrement, il doit s’en aller. L’on pouvait penser que la culture socialiste n’était pourtant pas la même que la culture gaullienne, que la liberté de ton, sinon de parole pleine y allait de soi;  que la diversité des points de vue ne se réduisait pas à une illusion d’optique. Eh bien non! La culture PS n’est qu’une « variable d’ajustement » de la culture « énarchique » la plus bâtonnante. Que les autres ministres se le tiennent pour dit! La question ne se pose pas moins: Jean-Marc Ayrault et François Hollande ont-il fait preuve d’autorité ou d’autoritarisme? L’autorité ne se décrète pas. Elle découle des résultats tangibles et probants dont l’on peut se prévaloir. L’autoritarisme marque au contraire l’aveu de faiblesse. L’empereur de Perse faisait donner les verges à la Mer parce que la tempête bloquait ses navires dans leurs ports de départ! Ah, si seulement la fameuse « courbe du chômage » s’inversait autrement que de manière infinitésimale, comme la ligne la plus extérieure d’un cercle soumis aux contraintes de la quadrature..

 

 

30 juin.

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Les « Carnets de Tolstoï », l’équivalant des carnets de croquis des peintres ou des carnets de route des navigateurs. On y suit l’au jour le jour de sa création et son fil directeur: l’amour, l’amour des êtres, surtout de ceux qui suscitent aversion  et haine:  l’amour des ennemis. Cet amour là balise la voie d’un autre amour, venu d’encore plus haut, d’encore plus loin: l’amour du Créateur pour ses créatures. Pour Tolstoï  cet amour là s’est incarné dans le Christ, mais dans son Christ à lui. Est-il identique non pas même à celui de François d’Assises mais à celui de Dostoïevski? Et que faire avec ceux qui n’y croient pas…  Pour Tolstoï, nul besoin d’y aller par quatre chemin: «  Il faut aimer aussi le Juif et le Tartar ». Nous voilà  rassurés. 

Article ActuJ – 1er Juillet: LE FRONT NATIONAL ET LE FRONT DE GAUCHE: ENTRE CHARYBDE ET SCYLLA

In ARTICLES, SUJETS D'ACTUALITE on juillet 5, 2013 at 8:31

 LE   FRONT  NATIONAL   ET  LE  FRONT  DE  GAUCHE:

ENTRE CHARYBDE ET SCYLLA

Chacun sait que ces deux noms désignent dans la mythologie antique deux écueils naufrageurs et parfois deux créatures monstrueuses entre lesquelles les navigateurs de ce temps là devaient se faufiler pour ne pas sombrer corps et biens dans la tempête. Si aucune image mythologique ne peut vraiment rendre compte des réalités politiques d’aujourd’hui celle -là  donne à réfléchir. Pourquoi s’en préoccuper ? Il n’y pas si longtemps le FN était catalogué comme un parti néo- fasciste, raciste et xénophobe, à maintenir en marge de la vie politique française. Quant au Front de Gauche, il mixte les restes du PCF avec ceux d’une mouvance gauchiste recyclée dans un « résistantialisme » purement incantatoire. Il n’empêche qu’aujourd’hui des sondages concordants et des scrutins électoraux parlants laissent penser que le FN est en passe de devenir, par son nombre,  le premier parti de France. Bien sûr les modes de scrutin en cours tant pour les législatives que pour les municipales permettent de lui faire barrage.Au train où vont les choses ce barrage cèdera lors des européennes de 2014, compte tenu précisément du mode de scrutin en vigueur pour cette consultation. Ne  pas s’en alarmer outre mesure en arguant de l’impact somme toute secondaire de ces élections- là serait abuser de la méthode Coué. Si le FN  se révélait comme la première formation politique du pays et occupait  la première place du podium, à mi- mandat présidentiel  ce succès le « boosterait »  fortement pour les scrutins à venir. Du coup, le Front de  Gauche  se sentirait farouchement  investi de sa mission « résistantialiste » comme il a commencé de le faire lors de la mort déplorable du jeune, trop jeune Clément Méric. Mais dira t –on encore, dans ces conditions, le seul « Front » qui vaille, le Front Républicain, se reconstituera de lui même. L’UMP, le PS et les formations centristes sauront décider où est leur devoir. Les scrutins qui viennent d’avoir lieu ne permettent plus de valider cette hypothèse. Un « Front » pareil ne peut reposer que sur des valeurs communes qui transcendant les intérêts partisans  et les affiliations idéologiques des uns et des autres. Nous sommes loin de compte. Pour chacune de ces formations, depuis des mois, les rivalités personnelles, les  références idéologiques inconciliables, l’absence d’une véritable pensée politique, provoquent  la mise à distance, le rejet dans le même sac, si ce n’est le mépris d’une partie croissante  de l’opinion publique  et la tentation d’essayer ce qui ne l’a pas encore été, simplement par besoin d’exutoire et pour marquer un mécontentement gris –plomb  comme le printemps 2013. Le véritable danger apparaît en ce point. Ni le programme du FN, ni celui du Front de Gauche, une fois défait leur emballage médiatique, n’assurent qu’ils sont et qu’ils seront en prise sur le réel. Certes, ces deux formations sont intelligemment « relookées » car il est une chirurgie plastique également pour les courants politiques sénescents ou anxiogènes. Cependant, le FN aura  beau faire il reste identifié à cette droite extrême qui a mené la France au bord du gouffre. Quant au Front de Gauche, ses mots d’ordre et ses incantations le situent hors du monde praticable. François Lamy, très proche de Marine Aubry  et de Jacques Delors, l’a rappelé: Jean-Luc Mélenchon travaille à l’échec des socialistes. Nous ne sommes plus en 1968, au temps de l’Etat -Providence calfeutré dans ses frontières. Dans le monde tel qu’il est, les erreurs se paient « cash », en accroissement destructeur du chômage, en explosion supplémentaire de la dette publique, en désespérance collective. Pourtant, suffit –il de dénoncer l’imminence du pire pour le dissuader d’advenir ? Si les partis républicains patentés poursuivaient leur glissade sur la pente actuelle, le scénario que l’on vient de délinéer deviendra de moins  en moins évitable et ce ne sera pas la première fois que la France côtoiera l’abîme. Il est encore temps de déjuger ce scénario.Deux conditions drastiques sont requises: que les partis républicains mesurent enfin leurs responsabilités spécifiques et mutuelles face à l’avenir: et que pour leur part les responsables des principales organisations de la communauté juive de France prennent conscience de la dangerosité de l’époque ; qu’elles s’astreignent comme jamais aux deux obligations corrélatives de lucidité et d’unité. Lorsque les capitaines sont dignes de ce nom, les navires finissent par arriver à bon port.

Raphaël Draï.