(Ez, 43, 10 et sq.)
En résonance avec la paracha Tétsavé, par laquelle se poursuit la description de l’édification du Sanctuaire au Désert, du Michkane, comme toujours, à des siècles de distance, et comme si le temps prophétique n’était pas sous la juridiction du temps chronologique, ce passage du prophète Ezéchiel vient à la fois marquer la continuité de l’histoire chronologique d’Israël et déployer cette histoire dans un espace-temps différent, celui de la vision prophétique, de la névoua. Ce qui conduit aux observations suivantes.
La prophétie d’Ezéchiel est sans doute la plus incandescente, la plus énigmatique, celle qui déploie l’esprit prophétique jusqu’à des limites jamais atteintes jusqu’alors – que l’on songe aux visions concernant Gog et Magog et celle relative à la résurrection des morts. Et pourtant le prophète y est désigné par la parole divine comme « Fils de l’Homme » (ben Adam). Ce qui tend à établir la dimension universelle de cette prophétie puisqu’il y est question de rétablir le peuple d’Israël en ses véritables assises mais également l’Humain sur les siennes. D’où l’attention que l’on doit porter au contenu de cette prophétie.
Par ailleurs, et c’est en cela qu’elle concerne directement la paracha homologue, il y est question de la construction d’un nouveau Temple dont on se demandera, au regard de la période où Ezéchiel intervient : après la conquête de Jérusalem par Nabuchodonosor et la déportation d’une très grande partie de sa population, s’il s’agit du second Temple, du Baït cheni, ou d’ores et déjà du troisième Temple. Dans tous les cas, il est donné à comprendre que cette succession n’est pas strictement linéaire mais, une nouvelle fois prophétique. Dans la pensée prophétique – et le moment venu la pensée talmudique en prendra le relais – le 2 ne succède pas mécaniquement au 1 tout en précédant le 3 et les chiffres qui s’ensuivent. En réalité cette succession souligne une élaboration, une décantation, un affinement.
- Le 1 marque le commencement du processus.
- Le 2 sa modification.
- Le 3 sa phase synthétique.
Encore faut –il déployer les efforts personnels et collectifs, matériels et spirituels, qui permettent à ce processus de se développer au lieu de se trouver bloqué sur une des phases antérieures.
Le premier Temple, bâti par Salomon, comme on l’a vu dans la précédente haphtara, a été détruit par les armées venues du Nord. Un autre temple sera reconstruit après le retour de l’exil babylonien et ce Temple sera détruit à son tour par les légions romaines. La prophétie d’Ezéchiel saute-t-elle, si l’on ose dire, cette étape pour décrire les caractéristiques non pas d’un autre Temple mais d’un Temple autre dont nombre de ses caractéristiques, dimensions et aménagements font justement l’objet d’une grande partie du livre d’Ezéchiel, jusqu’à sa vision conclusive ? Faut-il en déduire que les temples, une fois détruits, se remplacent et se rebâtissent comme des bâtiments ordinaires et qu’il n’y faut pas chercher d’autres enseignements qu’architectoniques ?
On serait tenté de le penser par une lecture rapide et superficielle des versets constituant cette haphtara où il sera question, certes, de la construction physique de l’édifice mais de telle sorte qu’il devienne ou redevienne apte à recevoir les purs sacrifices, les korbanot, des Prêtres, des Cohanim, assistés des Lévites; les uns et les autres reconnus dignes d’assumer cette responsabilité sacerdotale, celle par laquelle un double rapprochement est opéré entre les Créateur et ses créatures, et entres les êtres humains, es qualités.
On ne saurait s’y méprendre : la présente haphtara prolonge effectivement la précédente dans sa lettre et dans son esprit tout comme la paracha Tétsavé prolonge la paracha Térouma. Ce qui se déduit des termes mêmes employés par le prophète Ezéchiel dès le verset 11 lorsqu’au nom du Créateur il précise l’état d’esprit dans lequel sera conduite la nouvelle entreprise: « Et s’ils ont vergogne de tout ce qu’ils ont fait, donne leur intelligence de la Forme primordiale (Tsoura) de la Maison, de ses installations, de ses voies d’accès et de ses issues et de toutes ses autres formes et de toutes mes principes légaux (h’oukotaiv) et de toute ma Loi générique (Torotaiv); donne leur connaissance et écris les à leurs yeux et ils observeront toutes ces formes et tous ces principes légaux et ils les accompliront » (Ez, 43, 11).
Selon les termes de ce verset particulièrement significatif, le vocabulaire proprement architectural avec le vocabulaire juridique et spirituel s’entremêlent comme si l’on avait voulu former par leur mixage un matériau d’un genre nouveau, particulièrement solide et inaltérable.
L’architecture matérielle n’a pas d’avenir tant qu’elle ne bénéficie pas de cette armature légale et spirituelle.
Raphaël Draï zal, 26 février 2015