Qu’en est –il de la crise, réelle ou supposée, de la jeunesse juive en France ? En ce domaine, il faut se garder des constats noircis comme des envolées démagogiques. La jeunesse, au sens chronologique, est un état passager. Encore faut-il l’avoir vécu pour ce qu’il doit être: un temps de construction, profilé vers un avenir qui en soit un, qui justifie espérance et projets. Lorsqu’une société donnée ne répond pas à ces critères, il est vain de se lamenter sur la raréfaction, le déclin et l’atonie de ces organisations singulières que l’on appelle «mouvements de jeunesse». Sans jouer sur les mots, l’existence et les performances de ces derniers sont inconcevables si n’y est pas suscitée une jeunesse en mouvement. On a relaté dans ces colonnes ce que les EIF ont apporté à la jeunesse juive d’Algérie durant les années que dura la guerre militaire mais aussi terroriste qui l’ensanglanta. De même, à la fin des années 60 et au début des années 70, la communauté juive de France connut une floraison de ces mouvements vivaces, du Bné Akiva à l’Hachomer Hatsaïr, du Dror aux EI, sans parler de l’UEJF et du CLESS, des Centres communautaires et de tant d’autres formations. Leurs responsables ou leurs «chlih’im» étaient en mesure de promouvoir leurs propres valeurs mais aussi de réfléchir à la société environnante et de réunir leurs ouailles en congrès pluralistes. Durant un chabbat plein ou un week-end entier, l’on mettait de côté les identifications partisanes et l’on réfléchissait aux dimensions communes de la jeunesse juive, à ses références spirituelles, à ses attaches avec l’Etat d’Israël. L’antisémitisme était déjà en pleine désinhibition sous couvert d’antisionisme. A partir de 1973, un changement d’époque se produisit. Il mériterait une analyse à la dimension requise par le désarroi actuel. L’automne de cette année fut bouleversé par la terrible guerre de Kippour qui parut la contre-façon de la Guerre des six jours. Dans le monde juif l’exaltation fit place à l’inquiétude, à un douloureux désenchantement relatif au sionisme héroïsé. L’Etat d’Israël pouvait lui aussi avoir ses irresponsables et ses affairistes! Dans les mouvements de jeunesse, un début de dés-idéalisation, si l’on pouvait ainsi le qualifier, commença aussi, aggravé par le déchaînement de la propagande anti-sioniste. Il faut se rappeler qu’en 1975 l’Assemblée générale de l’ONU vota un texte – abrogé depuis – assimilant le sionisme à une idéologie raciste! On s’explique alors que de nombreux jeunes juifs n’aient pas toujours été en mesure d’assumer cette stigmatisation dans les universités et sur leurs lieux de travail. La guerre de Kippour marqua simultanément le début de la fin des «Trente glorieuses». A la société de consommation, à l’« affluent society », vilipendée par une sociologie et une philosophie déjantées, succéda la société du chômage et de la précarité. L’Etat-purgatoire saisit l’Etat-providence comme le mort saisit le vif. Quarante ans plus tard, nous y sommes toujours, au point que la notion de jeunesse et celle d’avenir se soient découplées. En France tous les gouvernements qui se sont succédés ont rapidement vu leurs promesses froissées comme des vieux tracts. Il en résulte ce que d’autres sociologues et philosophes nomment «la société du vide» où errent des «sujets incertains». A quoi s’ajoutent depuis 2000 les purulences d’un antisémitisme à visage confessionnel qui déroute les intelligences et qui promeut l’irrationnel assassin. On en a subit les forfaits notamment à Toulouse et à Montauban. Que faire? Ajuster plus étroitement son casque phonique et ne plus même jeter un coup d’oeil à ses voisins? Si le repli sur soi est une forme de défense contre la société du vide, il faut prendre garde que l’autarcie ne dégénère pas en autisme. Il reste une question. On se contentera de la mentionner en se référant aux deux «Repères» précédents. L’une des missions des mouvements de jeunesse est de créer une pépinière de cadres pour la communauté de demain. L’état présent des institutions juives ne dissuade t-elle pas de pareilles vocations? La «communauté – Providence» n’a t-elle pas mimétiquement laissé place à la «communauté-Purgatoire»? Aux intéressés de s’interroger sur leur exemplarité. L’Histoire n’est pas seulement un concept. Elle exige le désir de vivre et donc le relais des générations. Le plus beau des défis à relever dans le monde tel qu’il est.
Raphaël Draï.